Tenir parole - Marc Dugardin & Marie Alloy

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tenir parole Marc Dugardin G r a v ur e s e t m onotype s de

Marie Alloy Ce

qui

reste



tenir parole Marc Dugardin G r a v ur e s e t m onotype s de

Marie Alloy

Ce

qui

reste


(après une lecture / André Du Bouchet) tout a commencé avec le gris sur le lac avec sous le jour le remuement d’un autre jour avec le vent indéchiffré et l’homme pris de vitesse avec le crayon tendu entre deux lignes et soudain le miroitement d’une enfance presque tranquille Kibuye / Kigali, février 2016




(se taire) le silence maternel au fond de la langue c’est cela qui nous fut donné ce matin c’est lui que l’oiseau a sauvé comme on sauve l’enfant de la noyade le vide de notre effroi n’est pas le vide de l’oiseau le chant de l’oiseau n’est pas la peur du silence nous nous sommes tus pour écouter et ce n’est pas la mort qui est venue Kigali, février 2016


(même si…) voici — quelqu’un a enfoncé un clou dans la nuit comme on enfoncerait un clou dans l’éternité à présent des bras se sont ouverts pour promettre autre chose même si la voix reste tremblante et les mains crucifiées Kigali, février 2016




(mwaramutse / bonjour) puisque nous sommes sortis vivants de la nuit il nous faudra ĂŠcoper un peu de honte encore tenir parole Kigali, fĂŠvrier 2016


(insistances) adossée à l’abîme la maison vivre c’est là dans ce basculement avec la faute tapie dans un coin et le pain déposé sur la table avec l’attente de quelqu’un sur le seuil sa douceur écorchée avec l’enfant perdu en chemin avec les pas gagnés sur la perte




(en pensant à Ossip E. Mandelstam) ainsi que toute simple l’eau pour se laver le tonneau dans la cour cerné par tout le malheur du monde le roulement des menaces les réveils poignants les étoiles par-dessus et d’elles que dire qui n’ait déjà été dit ? alors il ne reste que l’usure du jour et de l’eau une goutte tombée sur le sol et l’étoile qu’elle fait jaillir à nos pieds vivante inexorablement



(Mandelstam / Mandelbaum) sous l’arbre l’ombre fait un tapis et l’on ne marche pas pour l’écraser sur cette douceur mais pour marcher seulement et l’on ne piétine pas non plus cette étoile à peine croyable cette étoile autrement étoile et qui nous fait balbutier on la regarde à nos pieds on l’écoute affleurer comme une mélodie et ce n’est rien d’autre que cela vivre


(lied) on va sur la berge perdu dans la perte dont la rivière suit le cours notre visage de mort est déjà passé par là comme on rêve pourtant d’un grand lit d’indulgence et d’être ce marcheur dont le visage est en paix et qu’on n’a pas vu venir




(à la mémoire d’Imre Kertész) ces ornières derrière nous creusées ces coups de pelle fugue fracassée et ces corps ces tas de corps lui quand même respirant et la main qui écrivait d’une page non ensevelie il nous enfante


(une barque / en pensant à Tarjei Vesaas) amarrée une barque attend qu’on la détache mais que savons-nous de l’attente d’une barque et de la profondeur sur laquelle elle repose et qui est peut-être une peur sans bornes peut-être le lieu où toute peur prend fin ? nous disons : dans la barque il n’y a personne sans même savoir si ce vide n’est pas la présence de quelqu’un et sans savoir non plus si la barque contient nos questions ou si déjà elles sont passées par-dessus bord ?




(trois impromptus)

1 infime mélodie – elle m’écoute murmurer elle me murmure je meurs entre ses lèvres 2 sur la tasse une fêlure c’est elle que je bois des yeux 3 d’avoir pris tous les risques un saxo éclate de rire au bout de la nuit


(une barque, et Vesaas encore) d’un grand calme la barque et l’eau en dessous et par-dessus le ciel comme s’il voulait bien différer un peu la menace un matin sur la table qui tient lieu de rivage c’est cela qu’on écrit comme si de rien n’était puis on tourne la page ses filets ses poissons ses étoiles et ses peurs plus profondes encore qu’on ne l’imaginait et c’est à peine si elle tremble la barque lorsqu’elle nous ramène à l’ombre de ce que nous sommes




Les auteurs



Marc Dugardin Né à Bruxelles en 1946, Marc Dugardin habite actuellement à Namur, où s’est déroulée la plus grande part de sa vie professionnelle (il est actuellement retraité). Il a publié, à partir de 1982, une vingtaine de titres, uniquement en poésie. Depuis sa première publication chez Rougerie en 1986, un lien de fidélité et d’amitié le rattache tout particulièrement à cet éditeur. C’est dans le cadre de la poésie également qu’ont pris place différents voyages, au Québec, au Mexique (où un choix de ses poèmes a été publié), à Craiova (Roumanie), où des poèmes de lui ont aussi été traduits et publiés. Il a fréquemment eu l’occasion de présenter, notamment dans des librairies à Bruxelles ou Namur, l’œuvre de poètes qu’il admire (entre autres, Pierre-Albert Jourdan, Lorand Gaspar, János Pilinszky…) et il a été associé aux hommages rendus à Henry Bauchau à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance. Avec cet auteur, il a entretenu une correspondance amicale durant une dizaine d’années. De sa propre poésie, on dit qu’elle est plutôt intimiste, écrite dans la tension entre une certaine retenue et le besoin parfois de laisser échapper des cris. Souvent concise, allusive, il lui arrive toutefois de se faire plus directe, plus familière. La référence à la musique est en tout cas un de ses traits caractéristiques. Nourrie de solitude, elle se veut aussi solidaire, en quête de la résonance qu’autrui peut lui offrir. Bibliographie –– Connivences, Flémalle, Vérités, 1982 –– Itinéraires de la patience, Bruxelles, Le Cormier, 1984


–– Ricercare, Flémalle, L’Arbre à paroles, 1984 –– Poème des matins exigeants, Mortemart, Rougerie, 1986 –– Une parenthèse pour le vent, Mortemart, Rougerie, 1989 –– Un pas pour l’éphémère, un pas pour l’éternel, Mortemart, Rougerie, 1993 –– La peur la plénitude, Amay, L’Arbre à paroles, 1994 –– L’écoute infiniment, Mortemart, Rougerie, 1999 –– Adieux, en collaboration avec Lucien Noullez, Bruxelles, Editions de l’Ours, 2000 –– Solitude du chœur, Mortemart, Rougerie, 2002 –– Hovenieren in vergetelheid / Jardiner dans l’oubli, Leuven, Editions P, 2002 –– Stances, Amay, L’Arbre à paroles (collection Textimage – avec deux gravures de Jean Verly), 2004 –– Fragments du jour, Mortemart, Rougerie, 2004 –– Eenzame samenzang en andere gedichten / Solitude du choeur et autres poèmes, Leuven, Editions P, 2005 –– Soupirail d’enfance, Mortemart, Rougerie, 2007 –– A la escucha, Mexico, Editions Fosforo, 2009 –– Voyageurs que nous sommes (avec des photographies de Muriel Claude), Bruxelles, La Ravine, 2009 –– Dans l’oreille profonde, Châtelineau, le Taillis Pré, 2010 –– Over en weer/ De part et d’autre (en collaboration avec Marleen De Crée, gravures de Goedele Peeters), Leuven, Editions P, 2011 –– D’écluse en écorce (en collaboration avec Alexandre Valassidis), Paris, L’herbe qui tremble, 2011 –– In memoriam, tirage limité à 20 exemplaires avec des collages de Max Partezana, éditions Centrifuges, 2011 –– Quelqu’un a déjà creusé le puits, Mortemart, Rougerie, 2012 –– Table simple, Mortemart, Rougerie, 2015 –– Lettre en abyme, Mortemart, Rougerie, 2016


Marie Alloy Née en 1951 dans le Pas-de-Calais, Marie Alloy est peintre et graveur comme on est poète : peindre ou graver l’empreinte intérieure du vécu, du visible, ou des mots. Elle exprime également son rapport à la nature et au monde par la photographie et le livre d’artiste. Elle a réalisé plus d’une trentaine d’ouvrages de bibliophilie aux édition « le Silence qui roule » qu’elle a créées en 1993, en accompagnant de ses estampes et peintures originales des poètes comme Guillevic, Emaz, Dhainaut, Laâbi, Jean Pierre Vidal, Françoise Hàn, etc. Elle est elle-même l’auteur de livres de poésie et d’écrits sur l’art. Elle accompagne volontiers depuis plus de vingt ans d’autres éditeurs et revues pour des contributions artistiques (couvertures, frontispices, illustrations intérieures, tirages de tête…) comme par exemple L’Herbe qui tremble, Al Manar, Voix d’Encre, L’Amourier… Nombreuses expositions personnelles et collectives autour de ses peintures, gravures et livres. Un article dans Arts et Métiers du Livre n°315, lui est récemment consacré (été 2016). D’autres précisions à retrouver sur son site : www.lesilencequiroule.com Ensemble d’estampes originales de Marie Alloy, eaux fortes, aquatintes, pointes sèches et vernis mou, tirées sur chine appliqué. Monotypes.



La revue Ce qui reste RALENTIR POÈME Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix

Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur. La création n’étant pas que langage, la revue ouvre également son espace à des artistes plasticiens.

© Janvier 2017 — Poèmes de Marc Dugardin Gravures et monotypes par Marie Alloy Les œuvres reproduites ici le sont avec l’aimable autorisation de l’artiste, uniquement dans le cadre de la Revue Ce qui reste. Reproduction interdite / Tous droits réservés. ADAGP. La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363


« puisque nous sommes sortis vivants de la nuit il nous faudra écoper un peu de honte encore » Marc Dugardin Gravures et monotypes de

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