Un homme avance (et autres p o èm es)
Stéphane Leménorel Damien Brohon
Un homme avance (et autres poèmes)
Po è m e s d e
Sté p h ane Lemén orel Aq u a re l l e s d e
Da m i en Brohon
Un homme avance Un homme avance entre racine et branche il marche et quand il marche un arbre entretissé de ciel dans l’aube-nuit dans l’aube à peine il marche ou c’est le couchant ou il prie il attend il démêle une rivière passe sur les ardoises rousses elle glisse ou c’est le ciel d’automne elle tisse ou c’est le printemps
4
Un homme marche son chapeau a l’âge de ses mains l’âge d’aujourd’hui quand aujourd’hui marche devant il est l’arbre et la couleur du vent l’oiseau qu’on ne voit pas il est son chant l’aube et les chemins parmi l’eau sombre des cailloux ou le couchant quand se couche le jour bête de somme sur le flanc frais du soir et chaque centimètre est un de ses pas chaque seconde un de ses frissons chaque couleur un de ses silences
7
Un homme marche rien n’est pas lui l’oiseau qu’on ne voit pas chante léger le contrepoint de l’aube lune l’aube il est celui qui est respiré d’arbre et thym tissé silence il marche et c’est pareil quand il ne marche pas il n’en finit pas de dérouler le cœur noué de l’arbre de dénouer l’entricotté de nuit
8
Sa joie est tout autour de l’arbre en ardoise en rivière sa joie est l’arbre l’arbre sa joie il sait ce qui bascule du jour ou de la nuit dans la simple joie d’aller son chemin il ne sait pas il marche l’oiseau dans l’aube qu’on ne voit pas ou le couchant il marche sa joie demeure * * *
9
c'est un peu de l'automne ces poèmes qui volent des branches les plus basses et que brasse le vent un vent roux dans les bras du jardinier céleste un vent de pluie joyeux un vent d'avant l'averse pourquoi triste l'automne quand s'apaisent les feux que j'écris les mains froides pour faire de trois mots un foyer du dedans ces mots de feuilles mortes que je ratisse et tisse dans les pierres à l'aube l'automne est tendre et douce tendre la sève enfouie c'est la saison de taire c'est racine d'aimer la saison du gingembre dans le thé qui infuse la saison où se tait ce qui nous tourmentait pourquoi triste on prépare en tisonnant l'hiver et sur les accoudoirs de la nuit prolongée les plaids sont dépliés les branches m'assoupissent viens près de moi la pluie qui ne vient pas le vent tu prends ma main d'averse automne un peu frileux et pensant aux amis qui attendent un signe une lettre un poème ou qui n'attendent rien que de savoir au loin l'ami qui pense à eux 11
et comment savoir et comment savoir si la pluie est en fleurs nos rêves inconstants comme le monde comment savoir si les mots ordinaires se taisent ne disent plus le temps qu’il fait le temps qui passe ces mots qui goutte-à-gouttent de quelle fuite du toit toku toku comment savoir si mot à mot le vent dans les hauts pins du soir ne chante pas plus bas que nos silences et si la pluie comment savoir reprend au ciel ses couleurs humides comment savoir à l’intérieur de l’intérieur du monde si une autre lumière ou la même mais du dedans de soi et du dedans des choses de la pierre de l’herbe de l’insecte 12
si une autre lumière comment savoir par le chant des oiseaux portée haut dans la nuit thé frémissant de l’aube comment savoir ce qui infuse au reflet du reflet au ressac noyée d’embruns cette lumière encore insaisissable qu’une image étouffe qu’un mot entrave cette lumière comment savoir si nos silences aussi en sont féconds
逃山潛
TAO Shan Qian Celui qui se réfugie dans les montagnes et s'y cache
15
Toutes les illustrations de ce livret sont de Damien Brohon Espace, aquarelle sur papier, 24 x 17 cm, 2016
5
En route, aquarelle sur papier, 24 x 17 cm, 2016
6
L'envol, aquarelle et crayon sur papier, 42 x 56 cm, 2014
10
La porte, 24 x 18 cm, aquarelle sur papier, 2017
13
L'arbre, crayon sur papier, 26 X 36 cm, 2017
14
Les auteurs
Stéphane Leménorel poète de la dynastie des Tang grimé en réfractaire de l'ordre industriel occidental, de son vrai nom TAO Shan Ts'ien 逃山潛, a publié, sous le pseudonyme d'Adrien Montolieu, un recueil au Castor Astral : Ciels de traîne (Prix Max-Pol Fouchet, 2008), et un petit essai sur George Orwell : George Orwell ou la vie ordinaire (Le Passager clandestin, 2017). Voilà à quoi se résume son activité visible. Ancien professeur de philosophie, aujourd'hui petite main de l'intendance d'un collège, il cultive le retrait et son jardin, à l'image du "moyen ermite", son ami Po Chu Yi, et cherche paresseusement la source des fleurs de pêcher.
20
Damien Brohon est artiste et conférencier. Son travail artistique (dessin, aquarelle) est régulièrement exposé par la galerie Métanoïa et la galerie Expression d' aujourd'hui. Il aime à travailler à des projets commun avec des poètes tels que Frédéric Tison ou des compositeurs tels que Mikhaïl Malt. Ses conférences portent sur le lien existant entre art et spiritualité et sont données dans divers lieux tels que la Biennale d'art actuel sacré de Lyon, le Centre Culturel Bouddhiste de Rennes ou le musée d'art moderne de Nice. Blog personnel : lemontduretour.blogspot.fr
21
�� L a
revue
Ce
q u i r e s t e ��
Ralentir poème 1 Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix
Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur et un artiste (peintre, graveur, sculpteur, photographe, mais aussi pourquoi pas, musicien, cinéastre, etc).
Ralentir travaux de René Char, Paul Éluard et André Breton, recueil de trente brefs poèmes précédés de trois préfaces, 1930, José Corti 1
…nous suivre…
© Octobre 2017 — Poèmes de Stéphane Leménorel Aquarelles et dessins de Damien Brohon La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363
« c'est un peu de l'automne ces poèmes qui volent des branches les plus basses et que brasse le vent un vent roux dans les bras du jardinier céleste un vent de pluie joyeux un vent d'avant l'averse »
Poèmes de Stéphane Leménorel Aquarelles de Damien Brohon