Un sang ancien - Emmanuel Merle

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Un sang ancien Poèmes d’

Emmanuel Merle

Pastels de

Ce

qui

reste

Cécile A. Holdban



Un sang ancien

Emmanuel Merle Cécile A. Holdban

Poèmes d’

Pastels de

Ce

qui

reste





1 Une eau boueuse. Debout depuis une vie, malgré l’espace, le vent du nord, la bise qui ponce la pierre, malgré le pommeau de lumière, j’éprouve la boue bleue, filante et intime.


2 Et c’est remodeler le visage d’un enfant avec cette argile bleue, mains ruisselantes, c’est le vouloir jusqu’à, de ce lac aztèque, faire un marais salant, motte bleue sur motte bleue. Puis naît le vert, comme lumière sur l’insensé.


3 Jardins flottants de l’enfance verticale, consolant parfois le rouge soir dans la fièvre brutale de l’eau et du ciel, jardins recommencés d’une vie d’avant Colomb, quand la vie prenait, malgré l’espoir, du bleu à la mort, à l’horizon.




4 Il fut peut-être un temps où finir importait peu – et pourtant on finissait – dans ces vocables d’eau où l’axolotl volait l’axiome de l’adulte futur.


5 Et ce ravin, devant quoi je me tiens, lac asséché en contrebas du temps, il me faut y descendre, jusqu’au bleu, – jusqu’à la boue – alors que le ciel s’en va, s’étire, toile déchirée d’un peintre soudain seul et noir, tout le rouge perdu.


6 Sur le lac Texcoco, lac des couleurs, haut bleu au temps de l’or, sec, aujourd’hui, insecte, et pierreux, je cherche les nutriments de l’enfance, j’attends l’écartèlement de l’éclair qui ouvre le ciel, et la pluie d’argile.



7 Mouillée, ta parole claire, nahuatl, toi qui sais descendre sous l’eau des mots, les rends ténébreux et glissants comme les marches de l’escalier d’Eurydice. Parole qui ravine, gorge sèche.


8 Dans cette boue, cet informe du début, plutôt cet indéfait, à Azcapotzalco, ville bleue, là-bas où brasille l’autre possible, l’immédiat de la couleur, Je peindrai une autre enfance.


9 L’ailleurs est promesse presque tenue d’un avant du monde, et l’horizon rouge, – sa frange noire – signe d’un passé où recueillir l’espoir. Oui, ailleurs est une chance pour le souvenir qui veut son obole.


10 La boue, sous l’eau du temps, comme une nuit à remuer, un animal mystérieux à réveiller, chinampa engloutie, la boue, séchée parfois, bleu friable qui saupoudre le ciel, boue, possible pierre.




11 Mexique, cri d’oiseau que le désert sculpte, nom propre de l’ailleurs, non prononcé encore, mais qui résonne dans les crevasses jusqu’au bleu sous-terrain du cortex. Un enfant en moi me nomme.


12 Parole de Babel que je ne comprends pas, déchirure sonore, parfois claquement, je me reconnais dans ton énigme, je crois me voir dans une eau troublée, une déchirure, la fêlure d’un miroir, un claquement, une aile obscure, un sang ancien.





Emmanuel Merle Emmanuel Merle est né à La Mure en Isère en 1958. Il est agrégé de Lettres Modernes et professeur en Classes Préparatoires dans la banlieue de Grenoble. Il a 3 enfants. Il est président de l’association Pandora à Vénissieux et de l’association Livres en Scène sur le plateau du Vercors. Bibliographie –– –– –– –– –– –– –– –– –– –– –– –– ––

Redwood, Gallimard, 2004 Amère Indienne, Gallimard, 2006, Un homme à la mer, Gallimard, 2007 Pierres de folie, La Passe du Vent, 2010, Boston, Cape Cod, New York, Le Pré Carré Éditeur, 2011, Ecarlates, Éditions Sang d’encre, 2011, Ici en exil, L’Escampette éditeur, 2012, Schiste, Alidades, 2013, La chance d’un autre jour, La Passe du vent, 2013, Le Musée clandestin, Pré Carré Éditeur, 2013, Le Chien de Goya, Éditions Encre et Lumière, 2014, Dernières Paroles de Perceval, L’Escampette Éditeur, 2015, Un simple regard où habiter, Éditions Sang d’encre, 2015.

« La poésie ? Un travail de lucidité, un creusement des mots au-delà des concepts, un rythme accordé à la voix, une « poignée de main » (Paul Celan). »

Quatre éléments : L’eau, l’air, la terre, le feu, Cécile A. Holdban, pastel à l’huile sur écorce de chêne



© 2016 - Texte Emmanuel Merle Dessins - Cécile A. Holdban La revue Ce qui reste pour la présente édition www.cequireste.fr


« Mouillée, ta parole claire, nahuatl, toi qui sais descendre sous l’eau des mots, les rends ténébreux et glissants comme les marches de l’escalier d’Eurydice. Parole qui ravine, gorge sèche. » Emmanuel Merle

Ce

qui

reste


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