vus des couloirs scéniques
Florence Noël Sylvie Durbec Ce
qui
reste
Florence Noël
Sylvie Durbec
vus des couloirs scéniques
Ce
qui
reste
« Lisez tout. Lisez toutes les distances que je vous indique, celles des couloirs scéniques qui entourent l’histoire et la calment et nous en libèrent le temps de les parcourir. » Marguerite Duras,
texte accompagnant Les yeux bleus cheveux noirs
il s’agirait d’une petite femme aux yeux d’amande douce, les doigts accrochés à des barreaux de fer forgés, ornementés. ou de son ombre portée, noire, percée de ciel, longue, sertie.
il s’agirait de l’indicible commis à même la peau. la mer sans doute, son reflux, sa terreur ravalée au rang des profondeurs. de l’indicible et d’une caresse comme morte. les doigts dénoués sous la soie du matin.
il s’agirait de vivre, mais reculer n’est pas vivre, et ce reflux, cette mer, il n’en est plus question.
peut-être l’amour en serait-il l’objet. sans doute. à vrai dire quel objet autre que l’amour a une histoire. en connais-tu ?
mais ce mot-là, son incongruité n’auraient pas lieu, ici, dans la sombre entaille du poignard où s’écoule la pourpre des chairs déchirées. non, le mot défie ce genre de brûlure.
on se trompe, dit la servante des lumières, j’apporte celles pour l’aube mais c’est le crépuscule qui grignote la scène. ne tardons guère ; il faut changer les draps, rendre la couche fraîche pour que la nuit s’y verse. réveillez-vous, vous n’avez que trop dormi.
il s’agirait de mouvements infimes d’approche, mais dansés comme pour sortir. au centre le cercle désolé d’une lumière acide. au centre la folie, l’intouchable. l’équerre resserrée sur les mots, le mot. au centre l’interrogatoire. l’amour clampsé. tu vois ? là, je meurs et toi, sans doute, toi…
je danse, je sors, je vole, je reluis, je ne meurs pas, pas question, je ne suis pas né de cette mort-là, dit-il furieusement. il lui serre les poignets, l’isole de sa chute, déjà ses chevilles courbent et cherchent l’aplat d’un sol sépultural. il résiste, je danse, tu danses, sortons.
la scène se vide de bruissements. un grésillement, un, et personne encore n’ose quitter les strapontins.
tout autour, des hommes, des femmes. on leur a dit, prenez ces sièges, asseyez-vous. c’est l’offre qui les a fait asseoir. la tiédeur de l’air aussi, sa lourde persistance malgré cette nuit comme une écharde sous le sable.
il s’agirait d’une patience. d’un rituel d’attente, le grésillement comme signe du silence. Ce silence d’étoffe flottante, sous les reflux glauques de la mer.
il s’agirait d’une préférence. attendre leur venue, et cet amour qui glissera, par un obsessionnel hasard, sous la lumière, son éclat de serre et de bec, sous l’angle de l’aveu, sous leurs yeux, leur mort proche ou prochaine, leur mort.
une préférence pour l’attente, rester pour que rien ne survienne, qu’ils ne franchissent plus le seuil, que l’étoffe alanguie se noie sous l’aube et que la lumière elle-même oublie ses acteurs, la petite femme, les doigts crochetés les siens, à ceux de l’homme, gagné. que l’amour cesse sans histoire. et avec eux la mort.
Les auteures
Florence Noël Née à Ciney (Belgique) en 1973, formation universitaire en Histoire, orientalisme, théologie et didactique, Florence Noël travaille dans l’enseignement. Par ailleurs, elle est investie dans le Net littéraire francophone depuis 1999, surtout des lieux qui stimulent son envie d’écrire. A fait partie du comité de lecture d’Ecrits-vains et des listes de partage littéraire comme Pages libres. A fondé le site littéraire Francopolis. Invitée le 31 août 2008 à l’émission de France Culture, Ca rime à quoi ? animée par Sophie Nauleau. Interview et lectures de textes extraits des recueils inédits. Responsable éditoriale de la revue littéraire et artistique «DiptYque ». Collaboration avec des artistes peintres et photographes comme Pierre Gaudu (livre d’artiste « Chardons »). Recueil Pavane pour une Nebbia, aux éditions Encres Vives (collection Encre Blanches) paru en octobre 2015. Nouvelles et poésies publiées en anthologies : Pas d’ici pas d’ailleurs, Les belles palissades, Dedans/dehors (paru en avril 2016), micro-nouvelle à paraître dans la revue «La Piscine °1»….
Sylvie Durbec Née à Marseille en 1952. Voyages depuis que les enfants ont grandi. Finlande, Portugal, Italie, Tunisie. J’écris depuis longtemps. Publiée depuis une quinzaine d’années. Traductions en italien, anglais, allemand et bientôt arabe. Poésie, théâtre, romans. Ecrit pour dévorer la langue.maternelle D’où la passion de traduire et aussi de pratiquer le collage et le dessin, d’utiliser l’encre. Derniers livres publiés : Marseille éclats et quartiers, éd. Jacques Brémond, 2009, prix Jean Follain la Huppe de Virginia, Ed. Brémond, 2011. Le paradis de l’oiseleur, Al Manar, 20 13 En italien : Scarpe vuote, édizioni Joker, janvier 2014 Prix Laurent Terzieff 2014 avec Nathalie Guen pour le court métrage Smouroute va à la cuisine. Sanpatri, éd. Jacques Brémond, 2014 L’IDIOT(E) devant la peinture, poésie, Propos2 éditions, 2015 Un voyage aux petites plaines, éditions du petit Flou, 2015 Passagères de l’est, édition p.i.intérieur, 2016 sanspatrie.blogspot.fr smouroute.blogspot.com
La revue Ce qui reste RALENTIR POÈME
Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix
Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur. La création n’étant pas que langage, la revue ouvre également son espace à des artistes plasticiens.
© Novembre 2016 — Texte : Florence Noël Dessins de Sylvie Durbec La revue Ce qui reste pour la présente édition 16, chemin des Androns 33710 Bayon sur Gironde www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com Revue numérique hebdomadaire - ISSN 2497-2363
« il s’agirait de l’indicible commis à même la peau. la mer sans doute, son reflux, sa terreur ravalée au rang des profondeurs. de l’indicible et d’une caresse comme morte. les doigts dénoués sous la soie du matin. » Florence Noël
Ce
qui
reste
Dessins de Sylvie Durbec