Pornographie

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L’ATELIER

n°10

PORNO G R A P H I E



Contenu

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Incompatibilité élective et convergences parallèles entre deux disciplines à la décence douteuse ou The Devil Wears Prada Nicola Braghieri

10-11 Showtime and some thoughts on tourism Dafni Retzepi 12-13 On Rendering Sebastian F. Lippok 14-15 Sélection I - Boredom Maxim Gorky - The independent 8 août 1907 16-19 Le Catalogue Gregoire Guex-Crosier 20-21 Emmanuels Guillaume Bland 22-23 Quel contexte à l’EPFL? François Rougeron 24-25 Les petits plaisirs Pierre Marmy 26-27 Sélection II - The planet as a festival Ettore Sottsass 28-29 Sélection III - Photocollages Lund Nils-Ole 30-37 Esthétisation & Prise de position - Discussion avec BUREAU A Damien Magat

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EDITORIAL

“The concept of pornography is the lack of communication. The replacement of communication. Pornography for us is not the prostitution of bodies, but this substitute of communication. As in love pornography is the substitute of erotic contact, so in general pornography is a substitute that characterises contemporary life.”

“Frankenstein then became a poster, decorating the wall of a handsome boy’s room. His name is Pinochet or Videla, and keeps dancing in a lonely, elliptical tango. There is no music or a singer. Only an infinite tempo, and numbers. One thousand, five hundred, ten, one hundred thousand - numbers not entirely precise of those disappeared, those tortured and those dead. The tango goes on while on the other side, soccer is breathtaking millions of viewers across the earth. Millions more than those who are willing to fight against the monster, and disappear in ditches, ravines or the rural wild. The moment that Frankenstein becomes decoration in a young boy’s room, the world marches mathematically towards its end. The reason is not that we ceased being afraid, but that we are used to being afraid.”

HATZIDAKIS Manos, à l’occasion d’une conférence radiophonique, 1978

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Incompatibilité élective et convergences parallèles entre deux disciplines à la décence douteuse ou The Devil Wears Prada

...Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté... BAUDELAIRE Charles, L’invitation au voyage, Les fleurs du mal, Auguste Poulet-Malassis éditeur, Aleçon, 1857

Pornographie et Architecture. Il est facile de céder à la tentation de faire de la psychologie pas chère en couplant les deux disciplines par l’entremise d’un jeu d’affinités formelles. La chronique, plus que l’histoire de l’architecture, est gorgée d’immeubles en forme de pénis géant, de cages d’escalier en forme de vagin et de jardins modelés selon des courbes féminines... Il serait plus sérieux, dans ce cas au moins, de procéder selon une approche ontologique, ou métaphysique, et donc affronter la question en explorant les plis et l’origine du langage pour en découvrir le sens qui malheureusement est trahi par les formes d’expression grossières. Les mots, et les choses associées, peuvent construire des chaînes d’analogies et d’affinités extraordinaires. L’architecture et la pornographie sont bien sûr deux disciplines – malgré le fait qu’elles puissent être toutes les deux indisciplinées – qui appartiennent à deux mondes différents et incommensurables. La raison d’être de l’architecture est de répondre à une nécessité primordiale, la mise à l’abri du corps et des choses humaines, selon une action conservatrice opérée consciencieusement et avec raison. La raison d’être de la pornographie, son but, est d’induire un état d’excitation, sans nécessairement l’assouvir. Autant l’architecture est réglée sur la persistance de l’efficacité de son action et de l’harmonie de ses résultats tangibles, autant la pornographie se nourrit du désir d’une satisfaction immédiate, extrême mais transitoire, afin de prolonger et répéter dans le temps l’espoir d’une nouvelle jouissance. L’architecture, étant une action constructive et fonctionnelle associée à l’ambition de communiquer un message à travers son langage formel, provoque du plaisir en répondant et comblant une nécessité contingente, l’action d’abriter, apparemment accidentelle à la survie, la sympathie des sens. La raison d’être complémentaire de l’architecture, tout du moins dans sa conception classique, est bien loin de provoquer une excitation compulsive ; il s’agit d’une recherche formelle de la beauté de manière déductive. Il est cependant vrai que l’architecture et la pornographie sont toutes les deux mues par un désir, la première par la beauté, la seconde par le plaisir. Le mot désir a comme origine étymologique la racine proto-européenne wen qui contient : Venus > venustas, mais aussi vulva. Le mot plaisir a une origine étymologique plus retenue, du grec ἡδονή, hedoné, dérivé de hedys, ἡδύς, doux. La pornographie naît en revanche de la volonté d’assouvir une nécessité induite qui pourrait être définie “commissionante”. Cette nécessité est créée de toute pièce au fur et à mesure par l’instrument pornographique, qui suivant sa nature linguistique est définie comme «support» et non comme “discours” ; même si γραφή désigne à la fois un instrument textuel et figuratif,

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il s’agit de porno-graphie et non de porno-logie. L’architecture est définie, en réalité ou par ambition, aussi comme support : la construction. Mais il est évident que son monde n’est pas exclusivement façonné pour l’admiration du support afin de provoquer l’extase. Comme aussi la valeur “esthétique”, associée à une œuvre d’architecture, ne peut être confrontée avec une performance sexuelle. En termes classiques, la valeur architecturale est définie selon une mesure quantifiable, ou présumée quantifiable, reconnue dans le modèle ou canon et dans le respect de la concinnitas ou, plus simplement, armonia. Il existe d’autres critères relatifs aux qualités plus spécifiquement constructives, à savoir satisfaire les conditions requises par les aspects fonctionnels, économiques, environnementaux... La valeur de la pornographie est évaluée strictement en référence aux techniques expressives employées : photographie ou prose. C’est en effet ce cadre “technique” qui permet de définir la pornographie comme un art d’expression ; comme un genre littéraire ou figuratif qui s’exprime par l’entremise de moyens techniques, plus ou moins, traditionnels et conventionnels. Paradoxalement, il est possible d’affirmer que d’un point de vue strictement disciplinaire la pornographie est un genre expressif propre à l’art figuratif, alors que l’architecture ne l’est que partiellement, étant par nature obligée de répondre à des aspects fonctionnels et nécessaires qui ne sont pas contemplés par le monde artistique et la culture expressive en général. Il est toutefois évident que le “monde du porno” occupe un rôle non indifférent sur le marché et il est, justement, confiné dans le secteur le plus négligé de la culture de masse. Le genre est généralement évalué selon le degré de performance des acteurs ou selon les recettes encaissées par les distributeurs. Les nombreux prix et programmes des festivals du film ou de l’édition pornographique semblent ne pas être intéressés par des artistes comme Jeff Koons ou Tracey Emin qui, au delà de toute considération morale ou technique, affrontent la question avec ironie, sarcasme et avec une importante dose d’engagement critique, politique et social ; en tous cas dans les intentions. Des intentions qui sont bien éloignées de la totalité, ou presque, du “monde du porno”. Si la question est affrontée littéralement, il devient claire combien l’action entreprise par l’architecture soit incommensurable par rapport à celle de la pornographie. L’Architecture est un “archéologisme” à la paternité peu clair, alors que la pornographie est un néologisme français créé il y a seulement deux siècles en 1796 dont la paternité est plutôt célèbre ; le mot est composé de deux unités lexicales du grec ancien bien explicites : πόρνη, porne, “prostituée” et γραφή, graphé, “dessin”, mais aussi “écrit, document” et, donc, littéralement “écrire à l’égard de” ou “dessiner” des prostituées. Par ailleurs le verbe grec περνημι, pèrnemi, signifie vendre, se vendre, au sens large, se prostituer, une activité qui devrait être déontologiquement étrangère à l’éthique professionnelle de l’architecte, mais qui pourrait aussi être littéralement, selon les règles du métier, associée à l’activité quotidienne. L’Architecte est défini littéralement comme Arki-tekton, ἀρχι-_τέκτων, c’est-à-dire le “chef des artisans qui se consacrent à la construction”, selon une notion d’ “art” qui, dans le monde classique, embrasse d’un seul tenant l’activité manuelle et l’activité créatrice. Toutefois Vitruve ne parle jamais d’architectes, mais seulement de bâtisseurs, simplement des artisans constructeurs, identifiant de la sorte la pensée avec l’action pratique. L’architecture est donc une activité qui s’occupe de choses pratiques avec une conscience empirique et une attitude figurative “accessoire”, alors que la pornographie est une pure activité figurative qui célèbre une activité pratique, l’accouplement ou la conjonction des chairs, faisant abstraction de sa soi-disant fonction primaire de reproduction. L’ostentation de la nudité n’est pas forcément un “acte pornographique”, elle ne suppose pas la représentation d’une “prostituée” ni encore moins la représentation d’une vente. La limite du cadre imposé par le “sens commun de la pudeur” est autant une notion absolue et absolutiste que relative aux temps et aux mœurs. Nous pouvons dire que si le porno essaie de déshabiller la femme, l’architecture, quant à elle, vise à revêtir la structure. Beaucoup de spéculations ont été faites sur la nudité structurelle et sur son revêtement défini pulchritudo addicta, un ajout de beauté. Dans un passage

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du De Re Ædificatoria, Leon Battista Alberti emploie aux côtés de la métaphore du fucus, le maquillage, qu’il utilise pour définir l’apparat décoratif d’embellissement et dissimulation des défauts, une autre image suggestive qui restera un point central de la théorie architecturale jusqu’à nos jours, celle de la “veste qui recouvre le corps nu” et donc un bâtiment doit “être fini avant d’être revêtu”. Le célèbre portrait de Raphaël, connu sous le titre de “La fornarina”, aujourd’hui conservé à la Galerie Nationale d’Art du Palais Barberini à Rome, représente une jeune fille aux seins nus et au regard intense. Cette peinture, un chef-d’œuvre absolu de la première Renaissance, a été considérée comme l’hommage du peintre à sa bien-aimée, en compagnie de laquelle il conduisait une vie effrénée et pleine d’excès dans la résidence de la Villa Chigi et dans son atelier de peinture. L’apparente innocence du sourire aguichant s’oppose à la nudité du corps de la jeune fille. Loin d’être considéré obscène, le tableau néanmoins fut jalousement tenu caché par le peintre chez lui jusqu’à sa mort. À la Villa Chigi se sont consumés les derniers plaisirs effrénés contre-nature avant l’avènement purificateur de la contre-réforme. Raphaël partageait avec Giulio Pippi de’ Jannuzzi des triangulations continues d’”accouplements non judicieux” avec des femmes d’aucune noblesse certifiée, de jeunes adolescents imberbes et d’autres sujets humains les plus variés. Dans l’entourage de Raphaël vivait le peintre Giovanni Antonio Bazzi, connu sous le nom explicite de “Sodoma”, une figure centrale de ces années de grands excès et d’incomparable et prolifique culture artistique. C’est dans cette atmosphère magique et perverse que s’est formé justement Giulio Pippi, le grand architecte et peintre du Palais Te à Mantoue. C’est ce même Giulio qui produit les “Modi”, une série de vingt positions érotiques contre-nature, c’est-à-dire des accouplements pratiqués pour le seul plaisir. Les dessins ont disparus, comme les nombreuses gravures exécutées par Marcantino Raimondi sur la base des esquisses des “Modi”. Seules demeurent ses architectures aux schémas d’un classicisme rigoureux mais tout autant ob-sciena que les “Modi” et, surtout, sont encore disponibles les scandaleux vers en rime que Pietro Aretino, poète licencieux de cette époque, rédigea pour accompagner l’œuvre graphique des “Modi”. Il est évident que cette opération était finalisée à l’obtention d’un gain immédiat et donc littéralement pour des fins pornographiques. D’ailleurs aussi les architectures spectaculaires de Giulio obtinrent du succès, de la protection et un considérable et indirect profit. Le succès des illustrations des “Modi” fut énorme, comme le fut la réponse ferme du pape Clément VII qui demanda de saisir et brûler toutes les copies imprimées, fit emprisonner Marcanto-

ROMANO Giulio, i modi

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ROMANO Giulio, Banchetto di Amore e Psiche,Palazzo Te

nio Raimondi et obligea à l’exil l’inspirateur premier de l’œuvre obscène, Giulio, qui à ce moment ajouta à son nom l’épithète “Romano”. À Mantoue, à la cour de Frédéric II, Giulio Romano resta un peintre libre jusqu’à sa mort et aussi, selon Giorgio Vasari, riche et puissant. Des œuvres comme Amour et Psyché, mais surtout Zeus séduit Olympias, ne cachent rien au spectateur et l’amour, sous forme d’attraction physique et terrienne, est au centre de la scène, vrai moteur narratif prédominant et tyranniquement efficace. Dans le genre porno, le centre de la scène est immanquablement occupé par la représentation de l’acte obscène, un acte, donc, qui devrait être ob-scena, hors de la scène du commun sens de la pudeur. L’acte obscène, considéré répugnant et immonde, présent au sein de l’œuvre d’art, devrait être occulté, masqué et caché. Le genre pornographique se définit comme tel au moment où il affiche de manière ostentatoire son propre excès, devenant ainsi le cœur, l’objet et le sujet, de toute la représentation. La scène pornographique devient donc complètement obscène et exalte tout ce qui devrait être masqué. Ces termes jettent la lumière sur la différence toute relative entre la représentation du nu et l’acte d’accouplement. C’est une différence fondamentalement liée à la “licence scénique” d’un sujet en relation au “sens commun de la pudeur”. Selon ces termes, l’architecture a donc tous les droits pour entrer en matière. L’obscénité de l’architecture est toutefois difficile à définir d’un point de vue formel. L’architecture devient obscène lorsqu’elle affiche tous les fastes et le gaspillage face à un monde qui meurt de faim ou lorsqu’elle se montre sournoise et perverse devant les requêtes du pouvoir politique et économique. Mais ce sont là des fautes qu’il faut imputer plus aux architectes qu’à leurs architectures. Les positions théoriques de Rem Koolhaas, qui l’ont sans aucun doute rendu célèbre comme grand prophète du XXIe siècle, mais aussi le malheureux metteur en scène d’un film qui contient un épisode sur le réalisateur soft-porno Russ Meyer, démontrent une évidente coupure avec son travail d’architecte concepteur. Cela montre manifestement la labilité de la frontière entre raison éthique et intérêt personnel, entre morale publique et péché vénal, entre la critique du système capitaliste et le désir irréfrénable de traiter avec ce dernier. De toute évidence, The Devil Wears Prada. Nicola Braghieri

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Showtime

and some thoughts on tourism

We decided to think and write about pornography. An ambiguous term - compound and related to nudity of thoughts and bodies, and the noisy absence of aesthetics. A sign of our times, scourge of our future, nests in our consience and violently cuts off our tongue, makes us victims of the anencephalic repetition of words belonging to others. Other people, other times and other cultures, all mixed up in an orange magazine of EasyJet, transport us in an insignificant duration to places, significant or not. Physically thus, we land on a meticulous theatrical scenery and stroll around the picturesque streets, proud natives, inseparable from the native actors who dance gracefully, when the occasion requires, to the respective traditional rhythm. The material pieces of evidence purchased with local currency and destined for the family museum of objects, are now of major importance. Of crucial significance as well tend to be the digital imprints, inseparable parts of an iconolatric society who witnesses the daily phoographic execution of its historical monuments, facts, landscapes and people, helplessly. Eventually all this, socially tolerated beneath a veil of incomprehension and semi-information, has as an ultimate purpose the economic prosperity of people - or better, of actors and investors. Pornography and tourism, two harmless words, metaphorically associated in our forty-word dictionary. Etymologically and ethically distant, but aesthetically and intellectually, so undeniably related. Dafni Retzepi

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OP DE BEECK Hans, Staging Silence (2), 2013

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On Renderings

We love renderings! Rendering pictures is addictive. The magical moment occurs when the first preview from a 3D model is calculated. A first concrete but immaterial image of an object is created and delivered in small resolution. Something abstract (an idea or plan) is converted into a shape. No understanding of the construction of vanishing points and the building up of a perspective image is more needed. The technical production of renderings is comparatively easy to handle (i.a. using ready composed pictorial scenes on the web) and so it becomes accessible to all. It liberates us from time-consuming, geometrical image structures, light settings and thereby ensures that we can think about the true meaning of architectural representation. And here lies the crux of the matter. Instead of taking the computer-generated image as a basis, and using the saved time to reflect about the content of the image and presentation methods, many architectural draughtsmen are seduced by the faith of technology. This manifests itself in a high detailing of the 3D model and a huge amount of heavy additional 3D objects (like every single tuft of grass). The whole secret of these renderings is the time-consuming creation of a highly detailed three-dimensional architecture, and one an over years carefully assembled and well protected object- or textures library. On the infinitely image galleries as a result of competitions, marginal quality differences (texturing, tiling, light) can be seen but it is difficult to judge whether an image is good or bad. Good or bad is not a claim that can be raised by the rendering. The universality of a rendering is its true success. Architectural firms have little interest in the interpretation of a rendering by an architectural draftsman. The final rendering is not considered as an independent work of art and should not compete with the architecture depicted object. Extreme standpoints, strong light- dark contrasts and atmospheric lighting situations are undesirable. An accurate, objective and passe-partout presentation of the building are more welcome. The universality of the renderings is also defined by the multiple authorship of the single image. More than ever before, architects are interested in the availability of architectural draftsman and usually in how fast the image can be produced because time is money. In other words, the architect needs quantity. Therefore, he often prefers bigger visualization companies since they can provide a lot more renderings within a short processing time by putting several draftsmen on the same project. This means a gain in time for the architect, allowing him to work on the design until shortly before the deadline. This procedure of course, requires an uniform understanding of a typical render image so that every employee can contribute to the homo-

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FERRISS Hugh at work, c. 1925, image courtesy of Princeton Architectural Press

geneous overall submission. In the end, often both sides are not 100% satisfied. The architect laments the few changes that he can’t make after the completion of the image and the architectural draftsman complains about the additional effort that he will not take into extra charge, because he wants to be considered for a further commission. Anyway, whether it concerns a commercial work or the rendering of our own projects, the art of architectural rendering should be defined as “an attempt to state the Truth about the building1”. If a rendering is nothing more than a portrait of a building, why should we not expect from an architectural draftsman an equally personal interpretation of this architecture? The key lies in the abstraction. If one considers building as sculptures, one will understand 3D modeling as a process of “building less”, in the same manner like Hugh Ferriss understanded his method of a rendering as a subtractive process. By erasing the dark parts from a gray and black shaded surface, Ferriss enlightened only the most important details. By emphasizing the building qualities, like monumentality or a tectonic principle, and instead of expressing the surface details, we come close to Ferris’ approach: “The underlying truth of a building, is that it is a Mass in Space 2”. This level of abstraction can reveal the special atmosphere of the subject well and generate a strong and highly memorable images, quite different from the abstraction of the naive montage that propagate as a radical counter-position to rendering today. Why should a carefully elaborated project be mounted in a naive abstraction? Concrete projects requires a concrete sensuous representation! Sebastian F. Lippok

1) See Ferriss`s letter of September 29, 1926 to Gordon G. H. Holt, an editor of “The Architect`s Journal”, who puplished “Draughtsmen of Today VII: Hugh Ferriss”, 65 (June 29, 1927), 937. Ferriss Collection, Avery Library, Columbia University, Box 7. 2) Idem

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Boredom

The independent, 8 août 1907 Sélection I

“À propos de la production architecturale qui n’a pour seul but que d’être singulière.” P.B.

“The City, magic and fantastic from afar, now appears an absurd jungle of straighth-

nes of wood, a cheap, hastily constructed toyhouse for the amusement of children (...) Dozens of white buildings, monstrously diverse, not one with even the suggestion of beauty. They are built of wood, and smeared over with peeling white paint which gives them the appearance of suffering from the same skin disease (...) Everything is stripped naked by the dispassionate glare. The glare is everywhere, and nowhere a shadow. (...) The visitor is stunned; his consciousness is withered by the Intense gleam; his thoughts are routed from his mind; he becomes a particle in the crowd (...) The people huddled together in this City actually number hundreds of thousands. They swarm into the cages like black flies. Children walk about, silent, with gaping mouths and dazzled eyes. They look around with such intensity, such senousness that the sight of them feeding their little souls upon this hideousness, which they mistake for beauty, inspires a pained sense of pity. (...) They are filled with contented ennui, their nerves are racked by an intricate maze of motion and dazzling fire. Bright eyes grow still brighter, as if the brain pales and lost blood in the strange turmoil of the white, glittering wood. The ennui, which issues from under the pressure of self-disgust, seems to turn into a slow circle of agony. It drags tens of thousands of people into its somber dance, and sweeps them into a will less heap, as the wind sweeps the rubbish of the streets (...) Hell is very badly done.” Maxim Gorky

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Coney Island, “the place where merriment is king!�

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Le Catalogue

La conception soumise à l’angle alpha1

Le temps agit de deux manières sur la création. Par accumulation et moisissure. Toutes les deux sont commensurables, des fonctions passives du temps. La première, l’accumulation et une opération d’inception, un téléchargement d’inputs dans le cerveau afin de les copiercoller dans la réalité. L’ensemble des inputs téléchargés dans le cortex cérébral constituent un magma dans lequel la conscience est plongée pour y naviguer. Les idées s’accumulent dans le magma et le densifient. La moisissure intervient ensuite et c’est l’épaisseur de sa pellicule sur les idées dans le subconscient qui donne sa profondeur à toute oeuvre. Il ne s’agit pas de créer des objets qui ont l’air vieux, mais de laisser les inceptions macérer dans le crâne. Ce cancer va continuellement altérer la substance sans toutefois la dénaturer entièrement. L’idée s’oublie, subit une mutation puis resurgit de l’inconscient pour apparaître au protagoniste comme originale et nouvelle. Dès lors, la cristallisation d’un percept en plan, maquette ou carte est essentiel pour permettre à celui-ci d’exister à l’état d’archive dans la réalité, témoignant d’un état des choses C à un moment t. L’oeuvre ne serait finalement qu’un fragment d’un tout, un instantané de l’immatériel magmatique. Toutefois, lorsque le corps des protagonistes s’incarcère dans un bureau, travailler pour un patron consiste à cristalliser le plus rapidement possible des documents de satisfaction de clientèle. Le temps s’oblitère de l’équation et les références sont directement copiés-collés de l’image d’un catalogue cool au permis de construire supprimant ainsi l’épaisseur des choses et les différents degrés de lectures qu’elles auraient pu offrir. Il ne s’agit plus que de constructions à lecture unitaire qui vont être à nouveau publiée dans ces mêmes catalogues cools. Dans une volonté de rentabilité économique des actions d’un bureau sur le réel pouvons nous affirmer que le critère de qualité d’une architecture dépend de sa facilité à être communiquée et vendue à travers les médias. La production contemporaine est elle régie par sa facilitée à être diffusée?

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Papié glacé

EINSTEIN Albert, déformation de la trame de l’espace-temps, la relativité générale,1915

GOULLAGOULLIK, chat social, http://goullagoullik.tumblr.com, encre de chine sur papier, 18.04.2012

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Papiers glacés

Les bâtiments ne sont plus qu’appréhendés à travers le média et le catalogue pornographique devient un filtre sélectif de perception de la réalité dont le vice est de ne faire tourner strictement que les mêmes photos, de bétons nus, d’un journal à l’autre. De même dans les librairies, il ne s’agit plus que de magasines imprimés sur papiers glacés auxquelles s’ajoutent les monographies luisantes de photos d’espaces intérieures coulées en bétons suintants. Dans ces ouvrages, l’information remplace la réflexion et le percept immédiat est le concept. Le vide infini des icônes viendrait même à nous pousser dans les textes de Derand, lorsque celui-ci déclare que “les pratiques et autres connaissances que nous prétendons vous déduire en cet ouvrage, de prime abord et à la première vue que vous en aurez ne produirons peutêtre que des ténèbres ou si peu de lumière en votre esprit que si vous n’y prenez garde vous pourriez vous en dégoûter bientôt. Mais si, continuant votre dessein et vous aidant de la clarté quoique petite que la lecture vous aura donnée, vous passez à une seconde et davantage s’il en est besoin, vous trouverez enfin que vos ténèbres se dissipent et seront suivies d’une claire connaissance de ce qui, au commencement se présentait à vous comme inconcevable2”, dans les prolégomènes de son traité “l’architecture des voûtes”. Il anticipe déjà peut-être l’exode des bibliothèques pour les open-space oú convulsent les employés de bureaux d’architecture devant la lueur blafarde de leur ordinateur qui éclaire la nuit noire de leurs rêves. Pour la photo de publication, l’employé recherche le plan diagramme ainsi que la texture du matériau optimal sous la lumière pour offrir au lecteur un produit idéal. L’effort conceptuel n’est plus intellectuel, il est graphique. “Ce ne sont plus des maisons, mais des images”3. L’architecture est réduite à n’être qu’une publicité de réalité. “La représentation devient une fin, plus stimulante que la réalité qui en découle”4.

L’émancipation du régime référentiel

C’est la méthode que nous critiquons, celle de l’utilisation des références architecturales de catalogue dans le processus de conceptualisation qui génèrent des prismes sans fond et participe à un appauvrissement conceptuel. Par extension, il serait judicieux de refuser tout utilisation de référent construit car la position d’une fenêtre, l’utilisation d’une trame ou d’un matériau devrait plutôt dépendre du contexte et des protagonistes vivant l’objet que de la renommée d’une pornstar du construit qui nous inspire. “Nous croyons que l’exercice le plus urgent de la liberté est la destruction des idoles, surtout quand elles se recommandent de la liberté”5. C’est peut-être aux autres domaines de spéculation humaine que nous devrions nous référer. Pouvons nous cristalliser à travers les éléments Guadesiens le capital culturel accumulé au travers des siècles afin de créer des décors inspirants pour la vie quotidienne? Rechercher “des contextes domestiques banal et une exaltation (...) dans la pensée et la philosophie (...) plutôt que dans un rocambolesque détaché du réel6”.

Grégoire H. L. Guex-Crosier

LORDON, Frédéric, Capitalisme, désir et servitude, ed. La Fabrique, 2010 DERAND, François, L’architecture des voûtes, chez André Cailleau, 1743 3) PERRAUDIN, Gilles , à propos du musée des confluences, 16 Rue Imbert Colomes, novembre 2014 4) LAYL, l’état des choses contemporaines, à l’occasion de la première internationale du sous-réalisme, 21 rue du Garet, 28 octobre 2014 5) DEBORD, Guy-Ernest, Position de l’internationale lettriste, dans un texte refusé pour le journal Combat le 2 novembre 1952 en infraction avec les termes de l’article 13 de la loi du 29-7-1881 6) ERBAN Ludvick, dans un texte de description de l’auteur, http://www.eezee.ch/, 17 novembre 2014 1) 2)

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Projet d’effigie pour la chaire ALICE, à l’occasion d’un concours organisé puis annulé par la chaire ALICE de l’EPFL, 01.09.2013

ERBAN Ludvick d’après Guy E. Debord, Le veau d’or, Métagraphie influentielle, 18.10.2015

ROMANO Giulio, Danse d’apollon avec les muses, huile sur bois, 35x78cm, 1514-23, Galleria Palatina (Palazzo Pitti), Florence

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Tels les mecs près de Trézène. Sur le sexe, la plus intarissable, la plus impatiente des sociétés, il se pourrait que ce soit la nôtre. Boire sans soif et faire l’amour en tout temps, Madame, il n’y a que ça qui nous distingue des autres bêtes. A force de plaisirs notre bonheur s’abîme. Nos yeux, malheureusement, ne savent pas le discerner encore. La vérité est trop nue, elle n’excite pas les hommes. On trouve toujours quelque chose, hein Didi, pour nous donner l’impression d’exister ? L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit; [...]. L’Homme est une ordure, il s’habitue à tout. Eh vraiment! Et puis après ? N’ai-je pas un cul comme les autres ? Quoi que l’on raconte, / Y a pas plus de honte / A se refuser, / Ni plus de mérite / [...] Qu’à se faire baiser. Le plus grand crime, peut-être, de la Société, c’est d’avoir rendu l’amour honteux. Tu veux la voir ma morale à moi ? La vulgarité, c’est l’absence d’engagement [...]. Restreindre l’artiste est un crime. C’est assassiner la vie en germe. N’attendez pas cela de moi. Je découragerais quiconque voudrait faire cela. C’est Dieu qui vous a créés, vous et ce que vous faites. Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi, ni à personne, voilà je crois, toute la morale. Aimez-vous les uns les autres; [...]. Qu’est-ce que le vice ? Un goût qu’on ne partage pas ! Il n’y avait pas d’anormaux quand l’homosexualité était la norme. Comme il sait indiquer que les haines de races / Ne sont jamais, au fond, que des haines de places ! La toute dernière définition de pédéraste : c’est un homme qui s’amuse là où les autres s’emmerdent. La décadence est la grande minute où une civilisation devient exquise. La raison et la logique, c’est pour les temps ordinaires. Luxure : 1+1=69 L’architecture, c’est une tournure d’esprit et non un métier. Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux. Un sein, c’est rond, c’est chaud. J’ai toujours aimé les courbes [...] Nos yeux sont faits pour voir les formes sous la lumière; les ombres et les clairs révèlent les formes; [...]. Et toi, maison brûlante, Espace, cher Espace - Tranquille, où l’arbre fume et perd quelques oiseaux ... Avec deux yeux bavards parfois / j’aime à jaser ; / Mais le seul vrai langage, au monde, / Est un baiser. La beauté sera convulsive ou ne sera pas. [...] ne cessez de penser au lieu, dessinez-moi une vulve et un vagin, une matrice. Une maison, c’est un giron [...]. Tout ce qui n’est pas cru reste décoratif. Baiser, cette soudure de deux tubes digestifs. L’Architecture commence quand vous mettez en relation deux briques. C’est là que tout commence. C’était le jour béni de ton premier baiser. Vos chères mains furent mes guides. Pleine main j’ai recu / pleine main je donne. Fesse, queue, doigt, advienne que pourra. Serres-moi sur ton coeur, et tais-toi ! Prends-moi dans tes bras, c’est l’abîme, accueille-moi dans l’abîme. Un pas de plus pour se perdre et l’on se trouve. Celui que personne n’a pris dans ses bras n’a jamais habité. [...] le rôle de l’Architecte est d’éveiller des émotions justes. Les érections de la pensée sont comme celles du corps : elles ne viennent pas à volonté. Hâtez-vous de céder à la tentation, de peur qu’elle ne passe. Je vous emmène. On vivra au soleil, vous grillerez du poisson et on fera l’amour sous les cocotiers. Parler d’amour, c’est faire l’amour. Le mot, messieurs, le mot est une affaire publique de tout premier ordre. 20

G.


Emmanuels PEREC Georges, Les Revenentes, Paris : Ed. Julliard, Paris, 1972 FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité [Vol.I La Volonté de savoir], Paris : Ed. Gallimard, 1976 BEAUMARCHAIS Pierre, Les noces de Figaro [Acte II scène II], s.n., 1778 COCTEAU Jean, Vocabulaire. Poèmes., Paris : Ed. de la Sirène, 1922 JEANNERET Charles-Edouard, Vers une architecture, Paris : Ed. G. Crès, 1924 COCTEAU Jean, Le coq et l’arlequin, Paris : Ed. de la Sirène, 1918 BECKETT Samuel, En attendant Godot, Paris : Ed. de Minuit, 1952 DEBORD Guy, La société du spectacle, Paris : Ed. Buchet/Chastel, 1967 DOSTOIEVSKI Fiodor, Crime et châtiment, Moscou : Ed. Le Messager Russe, 1866 JARRY Alfred, Ubu Roi, publiée dans le périodique Le Livre d’Art de Paul FORT, Paris, 1896 BRASSENS Georges, Chansonnette à celle qui reste pucelle, s.d. SAMAIN Albert, Carnets intimes, Paris : Ed Mercure de France, 1939 NOE Gaspar, Seul contre tous, 1998 Rapporté par RONDEAU Gérard, Paul Rebeyrolle ou le journal d’un peintre, Lausanne : Ed. Ides et Calendes, 2001 SCHIELE Egon, Titre d’une gouache, 1912 PROUVE Jean, « Jean Prouvé par lui-même », Paris : Ed. du Linteau, 2001 Coran [Sourate XXXVII, 94], s.d. DE CHAMFORT Nicolas, Maximes et pensées, caractères et anecdotes, s.n., 1795 Bible [Jean 13:34], s.d. LORRAIN Jean, La Nostalgie de la Beauté, Paris : Ed. Sansot, 1912 PROUST Marcel, Sodome et Gomorrhe, Paris : Ed. Gallimard, 1921 ROSTAND Edmond, Chantecler [I, 1], Paris : Ed. Libraire Charpentier et Fasquelle, 1904 DE GONCOURT Jules et Edmond, Journal : mémoire de la vie littéraire [Tome II], s.n., 1866-1886 COCTEAU Jean, Maalesh, Paris : Ed. Gallimard, 1949 GIONO Jean, Le bal-L’Ecossais-Angelo-Le hussard sur le toit, Paris : Ed. Gallimard, 1965 (1954) QUENEAU Raymond, s.d. JEANNERET Charles-Edouard, Lettre adressée au groupe des architectes Modernes de Johannesbourg, 10/1936 IONESCO Eugène, La cantatrice chauve, Paris : Ed. Collège de Pataphysique, 1950 RENOIR Pierre-Auguste, Propos de peintres de Jacques-Emile Blanche, Paris : Ed. Emile-Paul Freres, 1919 NIEMEYER Oscar, « Oscar Niemeyer répond aux questions d’Édouard Bailby », Courrier de l’UNESCO, 6/06/1992 JEANNERET Charles-Edouard, Vers une architecture, Paris : Ed. G. Crès, 1924 VALERY Paul, Album de vers anciens [Eté], Paris : Ed. A. MONNIER ET Cie, 1920 DE MUSSET Alfred, Recueil : Poésies nouvelles, s.n., 1850 BRETON André, Nadja [p. 753], Paris : Ed. NRF - COll Blanche, 1928 SERRE Michel, Habiter, Paris : Ed. le Pommier, 2011 COCTEAU Jean, Opium, Paris : Ed. Librairie Stock Delamain et Boutelleau, 1930 COHEN Albert, Solal, Paris : Ed. Gallimard, 1930 MIES VAN DER ROHE Ludwig, Speaking about restraint in design, New York Herald Tribune, 28/06/1959 MALLARME Stéphane, Poésies [Apparition], Paris : Ed. Deman, 1899 VERLAINE Paul, Recueil : La bonne chanson [J’allais par des chemins perfides], Paris : Ed. Alphonse Lemerre, 1870 JEANNERET Charles-Edouard, Le Poème de l’Angle droit, Paris : Ed. Tériade, 1955 PREVERT Jacques, s.d. ROSTAND Edmond, Chantecler [IV, 4], Paris : Ed. Librairie Charpentier et Fasquelle, 1904 KAFKA Franz, Lettres à Milena Jesenska, Paris : Ed. Gallimard, 1956 PONGE Francis, Pour un Malherbe, Paris : Ed. Gallimard, 1965 SERRE Michel, Habiter, Paris : Ed. le Pommier, 2011 LOOS Adolf, Trotzdem, Vienne : Ed. Georg Prachner, 1988 (1931) FLAUBERT Gustave, Correspondance à Louise Colet, 17/02/1853 HERRIOT Edouard, Notes et Maximes [p.17], Paris : Ed. Hachette, 1961 BESSON Luc, Le Grand bleu [00:53:27], 1988 DE BALZAC Honoré, La Recherce de l’Absolu, Paris : Ed. Charles-Béchet, 1834 BALL Hugo, Manifeste DaDa, Zürich, 14/07/1916 21


Quel Contexte à l’EPFL? Ou la retombée de la nappe

Lors de la pause, un matin, avec les maquettistes, la question s’est posée de la possibilité de marcher sur le toit du nouveau bâtiment du MontreuxJazzLab. Question qui semble assez légitime lorsque l’on arpente un peu l’EPFL à pied, sur ce niveau 1 qui fait office de rez à l’ensemble du campus1. Résultat: Absolument pas! Vous devrez redescendre! Je me suis alors intéressé aux derniers bâtiments arrivés sur le campus, m’offrant par la même une visite touristique, histoire de découvrir les diverses transformations qui auront marqué notre lieu de vie au cours de ces derniers mois. Une chose m’a frappée (en dehors de cette magnifique entrée rutilante du nouveau bâtiment de Perrault), la disposition des ces nouvelles constructions. Ces bâtiments dernier cri sont décidément tournés, non plus vers la première phase de l’EPFL et son niveau +1 de référence, mais plutôt indéniablement tourné vers la route cantonale et le Rolex qui la borde . Ce développement voit un début avec la construction de ce cher Rolex Learning Center, qui prend une indépendance totale, voire même provocatrice, vis-à-vis du reste du campus. Poussant le vice jusqu’au bout, SANAA inverse même les principes d’édification du campus, en faisant passer le public sous le bâtiment pour y entrer, sans pour autant créer de niveau supérieur. Le japonais Kengo Kuma n’est pas en reste de ce côté là, se rattachant au centre de la vie à l’EPFL l’esplanade, mais en niant totalement celui-ci. En effet, le fait de forcer les visiteurs à redescendre sur Terre, à peine un pied mis sur le «toit», est un aveux de non-compréhension du système en place. Pour ceux qui auraient suivi les récents développement prévus, le bâtiment de la RTS ne sera pas une découverte. Cependant, pour ce futur édifice, la faute n’incombe pas entièrement à l’agence Geers & Van Severen (lauréats du concours). En effet, on peut noter deux phrases du rapport du jury qui sont symptomatique de l’évolution du mode de pensée: «Le bâtiment de la RTS aura ainsi un caractère fort et reconnaissable: il sera original afin de faciliter son repérage et de susciter la curiosité» «Dans son geste original, le projet lauréat traduit aussi la dimension artistique des médias, générateurs d’émotions, où la « forme » et le soin apporté à la réalisation sont des valeurs importantes»3

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A l’instar de l’éléphant, les bâtiments se donnent en spectacle. A circus elephant balances on its front legs, circa 1920.

Mis à part son bâtiment arc-en-ciel, brillant plus par les couleurs de sa façade que par sa qualité architecturale, Mr Perrault a aussi construit un deuxième chef-d’oeuvre sur le campus. Un magnifique bâtiment gris, dont l’entrée vient se déplier à la manière d’un vaisseau spatial d’un mauvais film de science-fiction. Mais ce n’est pas cette entrée (par ailleurs tournée vers un côté ou rien ne se passe) qui m’a le plus choquée dans ce bâtiment. En effet, la connexion avec les bâtiments de la première étape de la construction de l’EPFL, et leurs panneaux thermoformés gris, est plutôt déplorable. Une reprise du rythme de ces derniers sur la façade de Perrault, sans épaisseur, des fenêtres qui semblent tomber de nulle part, un angle qui semble crier au chaland tous ses problèmes existentiels (ou à défaut, ses problèmes constructifs). Bref, ce que l’on peut qualifier de mauvaise surprise venant de la part de quelqu’un comme Mr Dominique Perrault. Finalement, ces divers projets répondent à ce que l’on nous assène en Théorie de l’Architecture depuis notre première année: le rejet progressif des idées de «web» et des ces grands plans des années 70, pour une nouvelle architecture qui se tourne vers elle-même2. Ce serait même à se demander si le plus que célèbre «Fuck Context4» de Rem Koolhaas n’a pas pris le pas ces dernières années, et ce même pour des bâtiments de moindre importance. Un de nos professeur nous a d’ailleurs fait remarqué récemment que le campus ressemblait de plus en plus a un palimpseste de clichés de l’évolution de l’architecture post-moderne à aujourd’hui. François Rougeron

1)

dans l’article Pris dans la nappe, L’A n°9, 2014 LUCAN Jacques, Précisions sur un état présent de l’architecture, Lausanne, PPUR, 2015 3) Rapport du Jury, concours «Campus RTS» 4) KOOLHAAS Rem, SMLXL

2)

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Les petits plaisirs

MARMY Pierre, Les petits plaisirs de Jody, l-autre-berne.tumblr.com

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MARMY Pierre, Les petits plaisirs de Ross, l-autre-berne.tumblr.com

Pornographie “Représentation complaisante - à caractère sexuel - de sujets, de détails obscènes, dans une œuvre artistique, littéraire ou cinématographique.1” New Brutalism “Brutalist buildings usually are formed with striking repetitive angular geometries, and, where concrete is used, often reveal- ing the texture of the wooden forms used for the in-situ casting. A building may achieve its Brutalist quality through a rough, blocky appearance, and the expression of its structural materials, forms, and (in some cases) services on its exterior. Another com- mon theme in Brutalist designs is the exposure of the building’s functions, ranging from their structure and services to their human use, in the exterior of the building.2”

Pierre Marmy

1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Pornographie http://www.saylor.org/site/wp-content/uploads/2011/05/Brutalist-architecture.pdf

2)

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THE PLANET AS A FESTIVAL Casabella #365, 1972 sélection II

Production problems no longer exist. A few movements alone are sufficient, and the machines make everything by themselves in eternally repeating cycles. Even the “consumer goods” are moved automatically along the channels of a kind of under- ground network of a super-pneumatic post, automatically questioned by portable keyboards which communicate via radio with the computers in the superstorehouses. In this way consumer goods automatically pile up in distributing points spread over the planet. with a super-abundance of basic goods and foodstuffs, scattered at random. The explosive decentralization of consumer goods distribution has pulverized the cities, has eliminated them from the face of the earth. They have been consumed by the jungle, by the silk-cotton trees, by the desert. There are no tonger men going to work because men are not needed in the factories, and neither are there any temples to productivity and income any longer, since there is no directive to work - I mean no kind of directive. since one works only when one feels like it, since there is the super-possibility of communication. In this way we have all become artisan-artists, furnished with super-instruments for doing what we feel like by ourselves. We are also nomad-artists {or even not nomads}, in that we are freed from the factory, the bureau, the supermarket, the bank, the street, the pavement. the tube, the crystal entrance hall the crippled door-keeper, and all this type of thing. We are all nomad, or not nomad, artisan-artists because we also possess this super-possibility to communicate. which always allows us to find out everything {about everyone and everything} and allows us to let everyone know everything about us, without any static centralized power, permanent or quasi-permanent filtering it. We have arrived at a phase in which we, ourselve, are always our own representatives. The Upper and the Lower Houses are any place where we are. and power can be manipulated from any place at any moment with anyone, and for anyone. So we are at the point in which there are no more powers, but wandering fluxes of will and public passions, which are generated within in some way, like the molecular movements and settlements of gases and liquids. like the sky settling with clouds coming and going, storms, rains, winds, clear skies, tornadoes and then lulls in the winds. I mean a liquid or gas power which represents everything making up gases and liquids. But about the subject I know very little. After this vague, but not Utopian, introduction, I thought that there was nothing left for me to design, solitary, not group artist that I am — child of an era worried about the future — a degenerate child for I am not engrossed in the destinies which generated me, which political parties. armies and suchlike threateningly point out to me. I thought there

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SOTTSASS Ettore,

plans of temples, 1972

was no architecture left for me to draw, I mean that there is no architecture left to propose, either as Andrea Branzi aptly says “as a model for society” or to put in the hands of society “as a psycho—motor activity”. All that was left to me was to imagine architecture designed by others. “the others”. Maybe one day they will happen to modify the use of architecture. Maybe they will design caravanserai for the wild seasonal gatherings of tribes from every part of the planet. or festival halls. Maybe they will design rafts for trips up river or stadiums for land and sky observation. They may design temples for private or public meditation, or lawns for reposing on, or even buildings conserving memories provoking smiles, boredom, eroticism or mysticism etc. Maybe they will design temporary or permanent buildings to scatter like popcorn over the planet along the ancient migratory routes, the ancient areas of pleasant crime, the beaches with spring winds, under the crumbling mountains, in the shade of the luxuriant forests, under the rainbows of African waterfalls. Therefore I designed these projects as if they had been proposed by someone else— someone far removed from the trajectory or thought concerned with the city, since I considered that thought concerned with the city has, up to now, only projected. wherever it comes from and wherever it goes to, the insane, sick, dangerous and aggressive idea that men must live only to work and must work to produce and then consume. With my projects I imagined that something has been changed in the moral of the man “worker-producer” and that it is thought that men can live {if they want to} for the sake of living and can work {if perchance they want to} to come to know, by means of their bodies. their psyche and their sex, that they are living. I know that some may want this and may even pretend it for themselves, intensely, passionately, with a great need and a great religion. They may pretend it instead of pingpong and the television—set, or even the motor-ways which at the moment only serve to take us to the carpark smelling of petrol at the sea-side, or some such equivalent place. I know all this very well — not because I have invented it myself, but because I have heard it all over the place, from young people, from poets, form many people who really work, from the oppressed, the alienated, the tired, Indian chiefs,Gurus, children, prisoners. And then I know it from Nanda, when she came to understand with compassion that freedom can only come from the possible knowledge that each of us is living and that very slowly each of us is dying, too. Ettore Sottsass

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Collage Architecture Nils-Ole Lund, 1990 sĂŠlection III

LUND Nils-Ole, Architectural Call Girl, 1987

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LUND Nils-Ole, First the building then the site, 1982

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Esthétisation & Prise de position Discussion avec BUREAU A 23.10.15 (Genève)

BUREAU A est un atelier d’architecture créé en 2012 par Daniel Zamarbide et Léopold Banchini. Ils se sont regroupés après des expériences assez différentes. Daniel était associé dans le bureau group8 qui fait de l’architecture à une grande échelle. Léopold avait un autre bureau qui s’appelait 1to100 où il a développé des projets liés au temporaire et avait déjà défini un intérêt pour les questions d’installations et l’éphémère après des stages au sein de l’Atelier Van Lieshout à Rotterdam et chez Low Tek à New York. Ils répondent à nos questions autour des thèmes de la représentation, l’esthétisation, la prise de position et l’évolution de la pratique et des préoccupations architecturales ces dernières années. Daniel Zamarbide : Nous nous sommes mis ensemble, ayant les deux baignés dans le monde de l’art. Cela nous intéressait d’avoir une relation à l’artistique tout en étant des architectes. Nous souhaitions aussi continuer à travailler sur des projets de petite échelle et se concentrer sur des détails artisanaux. Nous avons eu la chance de gagner très vite, après la fondation du bureau, le concours du CEVA à Champel pour l’aménagement des espaces publics ; l’espace public est un autre thème qui nous intéresse beaucoup. Depuis ce moment, nous avons aussi participé à beaucoup d’expositions, d’installations pour des expositions, de la scénographie et nous travaillons souvent avec des festivals. En parallèle nous participons régulièrement à des concours et nous réalisons des transformations et d’autres projets plus classiquement architecturaux. Damien Magat : Quel rôle attribuez-vous au dessin et la représentation dans vos différents projets ? DZ Dès le départ du bureau nous nous sommes demandés comment représenter nos idées car il y a plusieurs aspects. Nous nous demandons d’abord comment dessiner d’une manière qui puisse être spécifique à nos réflexions. Un autre aspect concerne la photographie. C’est un outil de communication mais aussi un plaisir de se demander comment représenter nos projets. Le film devient aussi très important puisque nous travaillons beaucoup dans le temporaire. Souvent il s’agit de projets qui apparaissent et disparaissent et nous nous demandons comment les capter. Nous avons réalisé plusieurs films en rapport avec des expositions et des installations en Valais, à Maïdan (Kiev) et récemment en Allemagne.

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“MAIADAN SURVEY, WINTER 2014” BUREAU A & BURØ BOABOOKS, Genève, 2014_p. 18

Місце обігріву - Калуш

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DM Le dessin et la représentation sont donc plus des outils de communication que de recherche ? DZ Nous ne sommes pas vraiment « romantiques » dans notre façon de dessiner pour développer nos projets. Comme ils sont souvent temporaires, notre mode de recherche se base plus sur nos discussions et la réalisation même du projet que sur le dessin. Nous nous laissons aussi beaucoup de liberté pour voyager, lire, visiter des expositions. Par conséquent lorsque nous nous retrouvons ensuite pour travailler ensemble, nous pouvons prendre rapidement des décisions. Nous avons cette chance de travailler dans le temporaire où la recherche peut se faire plus dans la réalisation même que dans le dessin ou en maquette. DM En 2010 vous avez participé à l’exposition “Reclaim” avec Harry Gugger à la biennale de Venise qui a remporté le Lion d’or. Cette exposition mettait en scène des petites maisons dans lesquelles des pêcheurs vivent sur certaines plages du Bahreïn. En 2012, Urban ThinkTank a également remporté le Lion d’or avec leur exposition ”Torre David/Grand Horizonte” qui reconstruisait un restaurant de la tour David (tour squattée à Caracas, connue comme bidonville vertical). On peut voir certaines similarités entre les deux expositions qui traitent toute deux de la pauvreté en l’emmenant à l’échelle 1:1. Est-ce un effet de mode ? DZ Je pense qu’il y a tristement un “effet de mode” en raison de la crise importante de l’architecture d’auteur iconique liée à la crise financière mondiale. L’architecture est liée à l’argent, au développement du monde, à la progression financière, au pouvoir. L’architecture qui a donc été dominante ces dix-quinze dernières années a été une architecture qui accompagnait le monde capitaliste occidental puis asiatique et moyen- oriental. Du coup toutes ces figures qu’on que l’on connait, les Zaha Hadid, Renzo Piano, Rem Koolhaas, Jean Nouvel etc, ont produit des projets qui ont globalement dominé le paysage de l’architecture et des écoles. Nous nous plaçons à un autre endroit. Nous nous intéressons à l’histoire de l’architecture et nous voyons que la construction d’icones, de grands théâtres ou de musées n’est pas la seule façon d’être architecte. Un exemple évident est le collectif Archigram qui n’a rien construit et a quand même marqué des époques d’une manière très forte. Il y a donc d’autres manières d’être architecte, qui ont été mises entre parenthèses. Aujourd’hui la crise mondiale provoque aussi la crise de ces architectures iconiques parce qu’il n’est tout simplement plus possible de les réaliser. Il y a ainsi de plus en plus d’intérêt pour d’autres modes de production architecturale : par exemple pour des projets réalisés dans des contextes modestes, pour le bricolage ou des modes de production architecturale alternatifs. Dans ce nouveau contexte, nos projets semblent être remarqués. Mais le système capitaliste est tel qu’il a cette capacité à tout absorber, tout recycler, même l’image de la pauvreté, pour en faire des objets de commercialisation. Je crois qu’il y a quand même un véritable intérêt et une vraie ouverture vers une lecture différente de l’architecture. Tant les architectes que le public commencent à être fatigués des Zaha Hadid et Jean Nouvel. Il y a des intérêts qui devraient aussi être plus fondamentaux. Je m’intéresse toujours aux rapports de UN-Habitat. Même si les statistiques ont un peu changé depuis 2009, on constate toujours qu’une personne sur sept dans le monde habite dans un bidonville. En tant qu’architecte, on devrait s’intéresser à ces « une personne sur sept ». DM Justement en tant qu’architecte, il me semble qu’on a aussi une tendance à être fascinés par l’architecture dite sans architecte. Ce n’est pas quelque chose de récent, que ce soit le

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“Un Lion d’Or pour un labo d’architecture”Mediacom EPFL, 07.09.2010 http://actu.epfl.ch/news/un-lion-d-or-pour-un-labo-d-architecture/ (consulté le 11.11.2015) Photo: Mediacom

“RECLAIM, A costal promenade” Camille Zakharia Ministry of culture, Kingdom of Bahrain, 2010 (Hut 15 Muharraq) p. 8 Photo: Camille Zakharia

Corbusier et les silos, Louis Kahn et les villages dogons ou encore l’exposition “Architecture without architects” qui avait eu beaucoup de succès dans les années 60 au Moma. On retrouve d’une certaine manière aujourd’hui cette architecture auto-construite dans les bidonvilles/favelas qui devient presque une nouvelle forme d’architecture vernaculaire. En quoi cela vous fascine-t-il aussi ? DZ Nous avons été éduqués à un autre type d’architecture et nous nous rendons compte qu’il existe aussi autre chose que cette architecture un peu élitiste. Une des raisons pour lesquelles nous nous sommes mis ensemble est notre sensibilité socio- politique ; nous nous intéressons aux phénomènes du monde autant qu’aux bâtiments. Et parce que nous travaillons beaucoup à petite échelle, nous regardons avec intérêt ces auto-constructions spontanées. Que ce soit les bidonvilles, les cabanes de pêcheurs ou le village de Maïdan, cette créativité nous interpelle. Elle est souvent née de l’urgence mais elle a aussi une esthétique et une culture propres qui sortent des canons établis enseignés à l’école. C’est peut-être un peu notre côté contestataire et notre manière de se révolter contre ce que nous avons appris. DM Ce qui vous intéresse, c’est aussi ce rapport direct entre projet et besoins de l’utilisateur, sans intermédiaire, avec un type de construction très efficace et économique ? DZ Oui, mais ce que nous questionnons aussi, c’est notre propre culture architecturale et ses contraintes, ses limites. En Suisse, où les possibilités sont assez restreintes, nous nous demandons si notre futur consiste seulement à réaliser des petites villas, des écoles ou des EMS. Et nous regardons d’autres régions du monde où on peut agir autrement. Il y a aussi une envie d’utopie, de se dire qu’on peut changer de petites choses dans le monde et avoir une influence en travaillant à notre échelle. Il n’y a pas besoin de construire des villes pour se dire : « je suis en train de changer le monde ». DM En 2014 vous avez étés invités à participer à l’exposition “Orientations, Young Swiss Architects” à Bâle. Vous avez présenté des relevés des constructions et installations, souvent liés à la défense, réalisés dans le contexte des événements de la place Maïdan à Kiev,

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en Ukraine. Quel était votre leitmotiv et pourquoi avez-vous décidé de les présenter à cette exposition? DZ L’idée de l’exposition était de représenter six orientations de jeunes architectes suisses. Nous avons été invités au moment où les manifestations commençaient en Ukraine. Comme nous étions toujours en contact avec des architectes ukrainiens avec lesquels nous nous étions liés d’amitié, nous les avons contactés pour prendre de leurs nouvelles. Nous avons ensuite pensé qu’il serait intéressant de concevoir un projet en lien avec ces événements pour cette exposition de Bâle. Nous ne voulions pas être nombrilistes et nous avons décidé de lancer une recherche sur des événements d’actualité qui nous paraissaient importants. Cela a donné ce regard sur les manifestations en Ukraine. C’est ainsi que nous avons commencé à travailler avec nos confrères ukrainiens afin de construire une tente en boucliers pour l’exposition. Durant les manifestations Ces boucliers sont vite devenus un symbole avec en plus une esthétique forte. Des dessins de relevés des constructions spontanées faites en très peu de temps sur la place Maïdan accompagnaient l’installation. En tant qu’architectes nous nous demandions aussi comment on a pu en quelques jours construire un village de 20’000 personnes avec des infirmeries, des lieux d’assemblées, des objets de défense et d’attaque. C’était comme une petite ville constituée en très peu de temps. Comme dans le cas des cabanes de pêcheurs à l’exposition de Venise, nous avons pris un élément tel quel, le bouclier, avec lequel nous avons construit une architecture de base. L’idée n’était pas du tout de « sentimentaliser » des manifestations violentes qui ont fait des victimes. Deux films ont également été réalisés à Maïdan sur la construction de ces différents objets. DM Je me rappelle avoir assisté à une critique de première année à laquelle vous étiez invité. Un étudiant avait choisi de faire une potence d’exécution comme projet. Vous lui aviez dit qu’en tant qu’architecte il y a des choix éthiques à faire, et que vous- même ne feriez jamais un tel projet ni même une prison. Dans le cas de votre réalisation sur les événements d’Ukraine et de l’utilisation du bouclier, n’y a-t-il pas aussi une part de cynisme puisque vous avez représenté des événements violents avec une esthétique qui filtre la violence réelle ? DZ Du cynisme en tous les cas pas car ce sont des questions que nous nous sommes posées. Dans ce contexte, nous avons décidé de travailler avec une esthétique propre, un peu clinique, qui essaie d’apporter un regard objectif sur ces objets-là. Il y a tout d’abord un intérêt politique : un soulèvement et des gens qui ont réussi à renverser le gouvernement, même si ça n’a malheureusement pas donné de belles choses par la suite. Il y a aussi évidement un intérêt humain. C’est cet intérêt plus général qui arrive jusqu’au bouclier. Il représente la capacité des gens à produire des choses dans l’urgence. Nous avons cosigné l’exposition avec nos amis ukrainiens, sans lesquels nous n’aurions pas traité ce thème, justement par peur du voyeurisme. Nous voulions ainsi éviter toute condescendance ainsi qu’un regard « vu d’oiseau ». Cela a d’ailleurs été un problème lorsque nous avons exposé ce travail à Design Miami. Nous nous sommes fâchés avec les organisateurs qui avaient présenté l’exposition avec des photos de gens cagoulés, alors que c’était justement ce côté pseudo- dramatique que nous voulions éviter. Notre but avec cette réalisation n’était pas de se dire « on regarde depuis la Suisse » mais d’inverser le propos. Nous voulions dire qu’en tant que Suisses nous devrions observer des

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‫ م‬25

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“RECLAIM” Ministry of culture & al. Ministry of culture, Kingdom of Bahrain, 2010 (Survey of shermen’s huts on the coast of Muharraq) p. 73

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phénomènes plus globaux ou urgents et non pas présenter des projets de villas de luxe en Suisse pour des clients riches. DM Il me semble que depuis les années 80, hormis quelques rares projets, textes et manifestes, l’architecte est devenu de plus en plus neutre et politiquement correct. Comme on a pu le voir avec votre exposition de la place Maïdan, vous semblez prendre des positions claires en rapport avec l’actualité. On peut également lire sur votre site internet un message de soutien à la résistance palestinienne. La prise de position est pour vous un acte citoyen ou quelque chose qui est intrinsèquement lié à la profession d’architecte? DZ On appelle ça l’engagement. En ce qui nous concerne, nous estimons devoir nous poser des questions avant de commencer à travailler. Donc nous prenons des positions vis-à-vis d’un certain nombre de programmes architecturaux et de l’actualité. Le récent débat autour du Corbusier a pris une ampleur incroyable. Mais pourquoi ne pousse-t-on pas aussi le débat sur ce qui se passe maintenant : toutes les vedettes architectes du moment essaient à tout prix de travailler en Chine et au Moyen-Orient sans qu’on se demande qui les mandatent, dans quels contextes sociaux-politiques ils interviennent. On se fascine pour le côté “citoyen” de Foster qui conçoit une ville zéro carbone à Abu Dhabi mais on ne se demande pas du tout dans quel contexte c’est fait et par qui. En tant que participant à la construction de notre environnement, même à petite échelle, on a le droit de dire non. C’est une conscience qu’on peut appeler politique, sociale ou citoyenne. Et pour l’architecte, cela concerne souvent des questions d’argent. Par exemple, les logements sont liés à des investissements, parfois même à de la spéculation. DM Comment vous positionnez-vous pour adresser ces questions en tant qu’architecte et ne pas tomber dans l’opportunisme ou le cynisme ? Faut-il être opportuniste pour espérer amener du changement? DZ Il y a toujours cette espèce de boucle : soit on ne fait rien, soit on est “cynique”. S’il faut qu’on nous colle une étiquette parce qu’on prend des positions et qu’on n’accepte pas tout ce qui nous arrive sans se questionner, je préfère être considéré cynique que passif. La question est de savoir si on prend position ou non. Dans notre cas, nous nous en sortirions beaucoup mieux si nous acceptions d’autres types de mandats et que nous faisions d’autres types de concours. Mais il y a des choix et des choses qui nous intéressent. Je comprends bien cette critique d’opportunisme mais faudrait-il alors rester sans rien faire ? Lorsque nous prenons position, il y aura toujours des gens pour dire que nous sommes des opportunistes qui veulent exploiter des images du tiers-monde ou de la violence. Nous avons bien sûr notre culture esthétique qui nous fait nous intéresser aux images et c’est là, dans l’utilisation de ces images ou l’appropriation de situations particulières pour les « traduire » en projet, que certains peuvent peut-être percevoir une démarche cynique. Mais c’est aussi notre parti créatif ou artistique et dès qu’on produit une image on est en train de manipuler et d’exploiter quelque chose. Nous vivons dans un monde d’images et nous pourrions rester complètement opaques... mais nous adorons les images et nous prenons position. DM D’autant plus qu’un projet qui souhaite apporter du changement découle d’opportunités et que la critique de l’opportunisme n’a plus vraiment de sens lorsque cela apporte réellement du changement... Merci beaucoup pour cette discussion et ces propos qui poussent à la réflexion sur l’éthique dans le domaine de l’architecture, en espérant qu’il y aura de plus en plus d’architectes à prendre position. Damien Magat

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Щіти Самооборони

“MAIDAN SURVEY, WINTER 2014” BUREAU A & BURØ BOABOOKS, Genève, 2014_p. 1

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L’atelier n° 10 COMITÉ REDACTIONNEL: Conception et coordination générale Philippe Buchs François Rougeron Suivi redactionnel Gregoire Guex-Crosier Dafni Retzepi Guillaume Bland Traduction libre Patrick Giromini Dafni Retzepi Conception graphique Philippe Buchs Redaction Guillaume Bland Nicola Braghieri Grégoire H. L. Guex-Crosier Sebastian F. Lippok Nils-Ole Lund Damien Magat Pierre Marmy Dafni Retzepi François Rougeron Sélections de la rédaction Hatzidakis Manos Maxim Gorky Ettore Sottsass Nils-Ole Lund

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