Héritage

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L’ATELIER, est une revue crée par un collectif de l’EPFL. Ce premier edito est une collection d’articles écrits par des architectes et étudiants lors de l’année 2016. Sous un thème général Heritage les auteurs ont eu carte blanche.


RETOURNEMENT By A. Meuwy

Combien de fois a-t-on vu, lors d’une critique, un jury sortir soudainement de son état méditatif pour empoigner une maquette, la renverser sur le flanc et argumenter en faveur du projet dans cette nouvelle position? Le plan devient alors coupe et la coupe devient plan. Toutefois, il ne s’agit pas uniquement de retourner une forme finie d’architecture, de transposer des murs en dalles ou des piliers en poutres. Le retournement opère à un stade primaire de la conception, durant lequel le projet architectural s’exprime sous une forme abstraite, indépendante de la gravitation qui le lie au sol. Un premier exemple flagrant de retournement a lieu à la Renaissance, période durant laquelle la redécouverte de la représentation en perspective a permis le rassemblement des plans horizontaux et verticaux dans un même dessin tridimensionnel. Bernardo Rossellino, chargé par le pape Pie II du développement de Corsignano, nouvellement nommé Pienza, projette une place irrégulière dont le dessin du pavement correspond à celui de la façade de la cathédrale adjacente. Ainsi, la place semble dédiée à l’édifice religieux, dont le volume est pourtant moins important que celui des palais voisins. 1. Ce retournement se traduit par la mise au sol du principe classique d’expression formelle découlant des éléments constructifs. La composition de la façade retournée à l’horizontale perd sa signification structurelle au profit d’une question de perception. En 1982, également appelé à concevoir un espace public, Rem

Koolhaas use à son tour du retournement: le principe de son projet pour le parc de la Villette correspond au diagramme du Down Town Athletic Club, appliqué à l’horizontale, sur l’ensemble du site du concours. 2. Or, il ne s’agit plus ici, comme à Pienza, du renversement d’une composition permettant la symbiose de deux parties adjacentes. Les deux entités sont géographiquement séparées mais reliées conceptuellement par le diagramme. Vingt-cinq ans plus tard, OMA tente un nouveau retournement avec le projet Dubai Renaissance, monstrueux gratte-ciel suivant la course du soleil, présenté dans un diagramme comme le redressement de la richesse d’une ville moyenâgeuse, dont la validité reste à prouver. Comme le définit Rem Koolhaas, le retournement (reversal) exprime l’opposition d’une génération d’architectes envers la précédente. 3. L’un des couples maître-élève les plus connus du vingtième siècle illustre parfaitement cette idée : l’architecture de Louis Sullivan, qui prône le développement de la ville en hauteur, est caractérisée par son expression verticale. Son élève, Frank Lloyd Wright, propose avec Broadacre City entre autres, une alternative à la ville exploitant le gigantisme du territoire étasunien, dont les villas individuelles reprennent l’expression horizontale des Prairie Houses. 4. Le modernisme a suivi de l’autre côté de l’Atlantique un développement parallèle. Le travail de Le Corbusier, dont l’influence pour cette période est indéniable, a vu plusieurs retourne-

ments dont l’un fut très précoce : La maison Citrohan, développée en 1922, peut être lue comme le retournement spatial du modèle Dom-ino. Alors que l’espace du modèle Dom-ino est caractérisé par ses dalles horizontales, celui de la maison Citrohan est clairement orienté, limité par deux murs verticaux borgnes. De plus, la rigidité de sa compartimentation horizontale est amoindrie par l’existence d’un séjour en double hauteur, liant l’espace du rez à celui du premier étage. Ce retournement, démontrant la capacité de Le Corbusier à abstraire une réalité de son contexte, est un prémisse au développement du plan libre, disposition d’objets sur une surface lisse et sans contrainte. Systèmes de proportions, diagrammes, expressions et spatialités sont autant d’abstractions qui, du fait qu’elles ne répondent pas à des contraintes purement gravitationnelles ou constructives, sont sujettes au retournement géométrique, déclencheur potentiel d’un retournement dans la conception architecturale. Deux retournements successifs ne ramènent pas à la situation initiale, mais forment de nouveaux paradigmes, tout comme le cercle noir de Kasimir Malevitch résulte de la rotation infinie du carré noir. Il écrira d’ailleurs : « Ce que nous appelons Réalité est l’infini qui n’a ni poids, ni mesure, ni temps, ni espace, ni absolu, ni relatif, et n’est jamais tracé pour devenir une forme. » 5. Retournez !


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RUINS By Marco Bakker & Alexander Blanc

By portraying a dead bouquet of flowers one could speak of a ‚nature morte’ in terms of a latin expression but the anglo-saxons would simple call it a ‚still life’. This distinction of consideration can also be applied to architectural ruins. They deal – in a contradictory relationship - with life and death at the same. Vanitas motifs illustrate the absence of human control over life. In the simplest case we witness an abvious presentation of the absence. This presence of the absence is a paradox which is a unique phenomenon in architecture. In medieval times fools symbolized ‚vanitas’. They were supposed to remind their lords to the mortality of all human stubbornness. They were allowed to display the ridiculous simply because their own character was meant to be so. The fools’ sceptre as well as their mirrors were symbols attributing self-reference and it’s resulting reprehensibilitiy. Literary mirrors confronted the human world with their own nullity. The period of Carnival was understood as a time of your own mortality. Willingly or not, architecture is always meant to be a time of Carnival. Post-catastrophic images – like the floor mosaics from Pompeji or the images of a ruinous Aleppo modern movement – are and will always be of a ‚scary’ beauty. But the question is: what can be our result from all this as an architect? We would like to be the fools, the ‚nature morte’ or the ‚still life’.



TENTE Par Antoine Prokos

Le Monde est une sphère, dont la péripherie est partout et le centre n’est nulle part. Il n’en existe pas d’ ‘’extérieur’’ pour y déposer ce que l’on ne veut pas. Partout est quelque part et nul lieu n’est nulle part. Nous séjournons sur ce champ depuis la nuit des temps et nous sommes en train de régresser dans nos capacités à bien le faire. Cette régression est peut-être illusoire, ou bien encore nous n’avons jamais été bons. La question n’est pas là. Les retours aux origines sont autant des choses du présent que les futurs. Nous n’avons jamais quitté la matrice anthropologique. Nous n’avons jamais eu des faits, juste des préoccupations. Que faire à présent ? Au sein de nos réseaux complexes, de nos sphères de survie, l’architecture semble chargée de la conception du stockage. Notre production est donc de nature à produire ‘’La boite pour la vie’’. Si par l’architecture nous entreposons, et cet entreposage vise la médiation (au présent) et non pas l’idéalisation (éternellement), nous pouvons situer notre travail sur trois plans imbriqués. À la limite extérieure de notre responsabilité se situe le périmètre, qui doit être défendu pour s’assurer de la disponibilité d’une surface. Au sein de ce périmètre s’installe nécessairement une enveloppe, qui limite les variations climatiques, résiste à la gravitation et définit un rapport à l’énergie. Enfin, au cœur de la discipline, nous devons prendre en charge des ‘‘choses’’, les nombreux et fragiles supports de la vie. Dans une épopée d’hommesindividus ‘‘nus’’ qui haïssent les hybrides et ne s’intéressent qu’à

la Nature et leur laborieux collectif, l’architecture n’a pas de place ; aucune performance de médiation n’est concevable. En réalité les hommes ont autant l’habitude de la nudité que les cosmonautes. En réalité, la médiation est constamment présente, si occultée par la nudité mythique. Nous avançons aveuglément, tout en générant un monde d’hybrides, impensables et inopérants, derrière notre dos. Ainsi, en architecture nous concevons des bâtiments de 25 ans tout en pensant construire pour l’éternité. Nous faisons face aux fuites, aux panneaux publicitaires et aux routes bruyantes en rêvant de soleil, de sens et d’enfants qui jouent. Nous produisons des assemblages de laine de verre, de ruban adhésif et de colle, tout en essayant de papoter avec la brique qui aimerait être une arche. Nous dessinons des formes, comme nous l’avons toujours fait, en pensant réinventer la vie. Nous visons le temple, où qu’il soit, mais tout ce que nous savons assembler c’est la tente, et le temple est tente aussi. Dans les trois préoccupations, périmètre, enveloppe et choses, la tente est notre meilleur axiome. Ni discours ni symbole, ni commodité ni invention, ni archétype ni prototype, la tente se doit d’être conçue comme un type ; une idée vivante pour l’art de bâtir provenant à la fois de la tradition et de la technologie. Un type n’est pas l’objet d’une imitation directe, mais plutôt le ‘’vaisseau d’une idée élémentaire, apte à fournir des règles’’ pour paraphraser Quatrèmere. Par conséquent, cette tente que le temple est aussi n’est nullement une structure avec une toile, mais

plutôt un gradient d’attitudes, suivant des règles arborescentes. La tente, sous forme North Face, est l’idée de compromis entre la permanence du sol rocailleux et la rapidité de l’objet high-tech. Elle est aussi, sous forme de tipi, le projet d’une dignité précise et discrète pour concilier la répétition et la civilité. Sous forme de yourte, elle nous présente l’intérieur dans sa vraie nature vide. Sous forme berbère, elle nous enseigne les règles de l’enveloppe horizontale, une stratégie de motifs et de tapis pour le plafond et le sol. Sous forme de chapiteau, elle nous montre la voie déployable et réversible pour le grand volume. Sous forme d’écran de cinéma en plein air, elle met en lumière l’opportunisme et l’immédiateté. La tente est l’idée d’un appareil qui, comme une bâche ou un foyer, peu assembler les choses dans l’ouverture du champ.



WOLKENBUGEL FUR MOSKAU Par Christian Gansemer

Walter Benjamin describes the Angelus Novus by Paul Klee as a shocked angel which turned his back to the future and faces the past at the same time. Benjamin describes him as a disillusioned angel because all promises of the future are about to fail and fall into ruins. El Lissitzky’s Wolkenbügel – a sign of progress and revolution but also affirmative artwork of the Soviet Union – failed, like other architectural utopias, and was never realized. With the retrospective construction of El Lissitzky’s Wolkenbügel as an artificial ruin in a romantic landscape scene this attempt of permanent thoughts of progression – whose beginning can be dated in the time of the Enlightenment – is criticized. At the same time the artificial ruin prerecords the natural decay process of any architecture and depicts the mortality of all human work. The lost aura – based on Benjamin’s end of the aura – is restored and an aim achieved which Lissitzky didn’t accomplish: creating revolutionary architecture. Being revolutionary in this sense means to abandon all temporary political and aesthetic orders but not understood as a change from an existing, bad order to a new, good order, not from an outdated status quo to a new one. Rather, revolutionary art abandons all goals – and enters the non-teleological , potentially infinite process which the artist cannot and does not want to bring to an end.



Creating History Par Benedict Esche 28.09.2016 Knowledge in architecture is allencompassing. But it is really the great icons of architecture that inspired architects in creating new stuff and things? Isn‘t it more about the stories and personal experiences, notin the sense of a collective memory, but with individual andpersonal experience? It is the biting stench of exhaust gasesin the big city or the flavored salt air by the sea. The taste of meatballs or cheese fondue in the Alps. Architectural knowledge is not compulsively connected to architecture. To be confronted everyday by designing living- and not only staying spaces this fascinating and it encourages us to think, when we start doing architecture. It is the faith, taht drives us. We do not believe in a specific radicalism which evokes in a rebirth of postmodernism. We believe in thoughts and dreams and the idea of translating those into a new architecture. Because all pictures and moods are already there. One only needs the right sensors. We believe in a certain intuitive and original moment of rethinking history into unspoilt and clear architecture. A simple shift in geometry encourages reflection, it moves us and encourages us to act with our artistic environment. This introduced into the design experience influenced us to think when we start on architecture and this is the faith that drives us. We do not believe in a specific radicalism to a rebirth of postmodernism. We believe in thoughts and dreams and translating those ideals into a new architecture. Very close to Ungers. For all the pictures are and were

already there. One needs only the right sensors. Also not to stuff and things to Heidegger, but in an intuitive and original moment we have to increasingly sharpen the course of a process of designing, until it is completely unspoilt and clear. Then we are far away from any form of language and dare us free on new forms. These are the ideas and thoughts that move us. Not the form, because our work is not the image of what exists, but are entitled to make a new statement on architecture. The architecture is a flowing continuum. It is far more than the synthesis of function, design and interpretation, it is far more than the exploration of boundaries, technology, economy and design. The aim is to transform the knowledge of our environment from the pragmatic reality in the metaphysical world of ideas, to sensitize the everyday world and lift it out of pure triviality. For me, architecture is the story of a new figuration. It is about a continuation of thinking architecture, speaking in surfaces and bodies, with yourself in quite peculiar art fee- lings. Not only the form, but new qualities are the order by changing architecture, to an understanding of responsible architecture. Creating a Home Home is always where someone is understood, where you can be who you want to be. Where you find like-minded people, you find the right place. This can be anywhere in the world. In Berlin, in the Bavarian countryside in the Alps or the Rio del Plata.

Because home is not a place. It is a basic need. There is a sense in the age of changing values, economic crisis and globalization, right now we discover how important it is to somewhere feel at home. „Heimat - A German Dream“ means an English book in which the authors Elizabeth Boa and Rachel Palfreyman try to explain their compatriots the German word with the terms „homeland“ and „roots“. Home, as a place of rootedness, Peter Sandmeyer had outlined it once aptly. Home is the place for each other: the crouching village in the Eiffel, the fishing port on the North Sea, the tenement with four backyards in Kreuzberg, the dark firs of the Black Forest, The mountains of Bavaria, or the blackened housing estates in the Ruhr. These are the stories of small houses and large houses, of places where human’s roots stick. But home is a lot more. The memory belongs to the stoved in the subconscious memory mix of hearing, smell and taste. The smell of fried meatballs and cabbage on the kitchen table, the loud laughter of crows in the trees, the broad sky, the air, the smell of salty sea, by car exhaust or the morning fog over autumnal meadows. The dialect from childhood, the favorite music of the parents and the scent of morning coffee. As long as home is there, you hardly feel it. It is granted like good air one. Only when its missing, you can see their value. Then the lungs hurts from smoking in pubs and the soul of exile.



METABOLISED Par Pierre Marmy







PAVILLON DE L’AMOUR Par Peaks

Le pavillon est construit au coeur d’une forêt au sud d’Orléans, dans une clairière entourée d’étangs et d’immenses arbres. La famille habite depuis plusieurs générations une ancienne bergerie qui tient fièrement et miraculeusement debout au milieu du terrain, retirée du monde. L’implantation du pavillon, à distance de la maison et dans une autre orientation, orchestre une série de relations particulières entre l’intérieur de la structure et les différents espaces de la clairière. L’alternance régulière des poteaux sur les façades extérieures offre depuis l’intérieur une vue continue et changeante. Vu depuis le jardin, le pavillon se confond à la végétation, le rendant omniprésent et presque invisible par endroit. La position des poteaux intérieurs délimite trois espaces couverts singuliers et un espace à ciel ouvert au centre. La confrontation entre l’idée d’un cloître et la perte de ses limites introduit une lecture de l’espace ambiguë et dynamique. La structure du pavillon laisse ouverte la définition des usages, comme une machine statique à performer. L’abstraction apportée par l’unique teinte noire du goudron de pin, la simplicité apparente du dessin évoquent une architecture archaïque, une ruine, une folie.



EXPEDIT Par Nelson Larroque

Chers lecteurs, je ne saurais vous exprimer, à quel point je désirais voir ce meuble aux dimensions si vantées et devenu si célèbre. Pure beauté de génie m’a-t-on conté. Combien de fois ai-je angoissé à l’idée d’être leurré. À me demander si cette histoire n’était qu’une farce, une abominable supercherie. Mais rassurez-vous, mon expérience saura vous convaincre de la véracité de ces propos. Sous le plus beau soleil de printemps 2016 et deux heures d’automobile dans nos banlieues tant aimées, je me promène enfin dans les couloirs peu connus de cette enseigne suédoise. Debout, sur mes jambes courbaturées, j’aperçois enfin du coin de l’œil, les formes douces, fraîches, oblongues, naturelles et ampoulées de ce meuble tant estimé. J’ai trouvé, il est vrai, la présentation de cette étagère un peu potache. Mais qu’importe, muni de mon mètre en papier, gentiment offert par le drugstore, je décèle enfin les dimensions de cette étagère si bien songées. « 39 cm de profondeur ! Mais qui est ce visionnaire ? » j’exalte dans un moment de pure joie. Des curieux, craignant de s’écarter du chemin à sens unique, se troublent de mon émoi. Mais lecteurs, pardonnezles; ils n’osent s’approcher et caresser ce mélaminé. La douleur et la mort ne sont rien, comparées à cette extrême douceur au toucher. Ému aux larmes par la beauté de ces 16 carrés géométriques, je m’agenouille sur le sol en PVC; et pendant que mes narines reniflent le bas droit de l’angle droit, je ne peux m’empêcher d’imaginer cette âme en plein labeur,

de cet instant où sa pensée a été couchée sur papier; de ces mains façonnant avec délicatesse ces lignes tant recherchées; de son regard infaillible, prêt à apercevoir les moindres infirmités; de son empreinte providentielle, à tout jamais figée. Nul ne pourra jamais te voler ce savoir appris au fil des ans. Ah miséricorde, j’aurais tellement voulu assister à cette création. Ecouter le bruit de tes mains tailler ces équilibres; goûter la sueur salée de ton effort; nettoyer la poussière de tes bras et sentir le bout de tes doigts. À combien de liturgies as-tu assisté? de chapelets égrainés pour atteindre le parfait de ce fini ? Lecteurs, ne trouvez pas ces éloges excessifs; ils sont avérés ! Je suis en face d’un appareillage sensationnel digne d’une créature divine. La finesse et légèreté du blanc soigneusement laqué me ramènent cependant à la réalité. Mon cerveau bouillant se tempère et reprend ses esprits. Me levant avec difficulté, je lis sur la notice, méticuleusement accroché à cette merveille, qu’il existe la possibilité de l’acheter aussi en Black ! Enfin des couleurs inimaginables ! des plus riches ! des plus passionnantes ! des plus anticonformistes ! Quelle sagacité d’esprit. Après plusieurs minutes de cogitations, mon cœur battant la chamade et dans le doute le plus profond de mon être, je cède pour le pigment du blanc. Mais lecteurs, qu’il soit noir, qu’il soit blanc, chaque chèvre aime son chevreau... Ne pouvant plus contenir mon émerveillement, je note l’emplacement avec frénésie. Rang 23, Allée 10.

Je m’élance, slalomant entre quelques futurs divorcés et malgré l’odeur alléchante de hotdog, je repère cette fameuse allée. Trois foulées et mes yeux se posent enfin sur mon vénéré. Lecteurs, devant ce carton marron entourés de scotch si délicieusement posé, je réalise enfin, que je fais partie d’un club très fermé. Celui des 250 000 collectionneurs.



DIOGENS GRID Par Mattia Pretolani & Grégoire Guex-Crosier

Programme: Notre module d’habitation minimal pour l’ALJF est un lit rangé dans une bibliothèque. L’objet conçu pour l’exposition collective “Les garages”(1) permet d’habiter le local désaffecté d’un concessionnaire automobile. L’épaisseur des murs du module est utilisé comme espaces de rangement pour livre. Diogens Grid est un projet matrice pour le retour à la culture dans l’architecture. “We are doing pionneering of abandonned spaces!” (2) L’objectif de la capsule est de fournir à son hôte un lieu où dormir et ressourcer son esprit. L’habitant prend un livre sur la façade extérieur, ouvre la porte, se déshabille dans le sas. Puis, après avoir suspendu ses vêtements et posé sa montre sur l’étagère intérieur conçue à cet effet, le lecteur s’allonge dans l’épaisseur des draps, abrité dans la bibliothèque. “Par le livre, l’Homme (...) trouve une continuité d’évolution à l’entreprise historique née avec Rabelais et Cervantes. (...) Une histoire transnationale; où les romans participent tous à une histoire commune, supranationale, laquelle crée le seul contexte où peuvent se révéler et le sens de l’évolution du roman et la valeur des œuvres particulières” (3). Ainsi, la bibliothèque diogens grid offre aux néo-plébéiens le gisement d’extraction nécessaire à la culture commune et aux interactions sociales qui en décou-

lent. Plutôt qu’une belle image, nous proposons un véritable mode de vie. Construction: Les habitats minimaux des garages sont nomades, ils colonisent successivement différentes ruines. La structure Diogène est un assemblage rudimentaire et réversible de matériaux simples. Les panneaux OSB constituent la structure verticale tandis que les lambourdes permettent la cohésion des panneaux entre eux. Les éléments verticaux et horizontaux se tiennent et sont interdépendants. Le remplissage insonorisant, est constitué de paraffine et de verre recyclé. Ces matériaux proviennent de la fonte des briques confiées par l’architecte Dan-Alexis Bolomey du laboratoire d’architecture et technologies durables de l’EPFL. La carcasse s’inspire des assemblages de bois archaïque. A la manière de l’Art Povera, ce sont les techniques utilisées qui transcendent le matériel pour leur donner un caractère mystique. En effet, tout s’emboîte à l’aide d’un gros maillet et les panneaux verticaux, parallèles, font caisse de résonance. Un orgue. Les frappes d’assemblage résonnent. Le glas des constructeurs emplit l’espace. “Nous avons recherché la beauté dans la répétition obsessionnelle du geste invariable exécuté par nos ancêtres.” Diogens grid prend place dans le temps plutôt que l’espace.



COPY/PASTE Par Barbara Woloszczyk

Thomas Demand, photographe de la lignée de l’école de Düsseldorf, reconstitue à l’aide de papier, de carton et de colle, des scènes architecturales à l’echelle 1:1 qui existent déjà. C’est sans doute sa formation de sculpteur qui le pousse à utiliser l’artisanat pour la remise en question de la véracité trop souvent accordée aux images. Il introduit dans ses constructions d’espaces à priori banals des petites anomalies qui lui permettent de signaler le caractère éphémère de ses oeuvres. Son but est de montrer que ce qu’il représente est simplement une interprétation de la réalité, la sienne, une remise en cause du contexte, de notre rapport au monde. Ses photos dénuées de détails sont silencieuses, parfois dramatiques ou mystérieuses. Elles nous poussent à pénétrer à l’intérieur de ces espaces, à nous immerger. Si son installation Space Simulator, reconstituée à partir d’une photographie noir et blanc de la NASA rappelle les oeuvres cubistes, Demand laisse volontairement les coutures et pliages de son décor à la vision d’un oeil expérimenté et nous fait nous interroger particulièrement sur la perception de l’espace. Cette étrangeté préoccupante entre illusion et réalité fait penser aux compositions photoréalistes Bildbauten de Philipp Schaerer construites à partir de zéro à l’aide de l’outil digital. L’ambiguité entre la perception immédiate de l’image et la révélation d’une deuxième approche nous pousse à une remise en question de nos propres connaissances et perturbe notre capacité à distinguer le réel du virtuel.

Dès lors, le travail de ces artistes -auquel pourraient se greffer les photographies de Olivier Bobergfait d’eux de véritables metteurs en scène d’une réalité, ou, comme les appellerait Reto Geiser, des “ingénieurs d’image”1. Dans le domaine de la représentation architecturale, l’illusion picturale -si on peut l’appeler ainsi- pourrait alors répondre à la question subsistante de Merleau-Ponty : «Comment peut-on revenir de cette perception façonnée par la culture à la perception “brute” ou “sauvage”?»2 La manière dont les images de Philipp Schaerer ou Thomas Demand sont composées leur donne une condition mystérieuse. L’atmosphère omniprésente dans leur oeuvre est le résultat d’une créativité minutieuse, d’une sensibilité poétique. Gaston Bachelard, dans La Poétique de l’Espace exalte cette immanence que produit l’artiste dans la perception de son oeuvre3 : « En poésie, le non-savoir est une condition première ; s’il y a métier chez le poète c’est dans la tâche subalterne d’associer des images. Mais la vie de l’image est toute dans sa fulgurance, dans ce fait qu’une image est un dépassement de toutes les données de la sensibilité. On voit bien alors que l’œuvre prend un tel relief au-dessus de la vie que la vie ne l’explique plus. Jean Lescure dit du peintre “Lapicque réclame de l’acte créateur qu’il lui offre autant de surprise que la vie.” L’art est alors un redoublement de vie, une sorte d’émulation dans les surprises qui excitent notre conscience et l’empêche de somnoler. Lapicque écrit, (cité par Lescure) : “Si, par exemple,

je peins le passage de la rivière à Auteuil, j’attends de ma peinture qu’elle m’apporte autant d’imprévu, quoique d’un autre genre, que celui que m’apporta la véritable course que j’ai vue. Il ne peut être un instant question de refaire exactement un spectacle qui est déjà du passé. Mais il me faut le revivre entièrement, d’une manière nouvelle et picturale cette fois, et ce faisant, me donner la possibilité d’un nouveau choc” Et, Lescure conclut: “L’artiste ne crée pas comme il vit, il vit comme il crée”. Ainsi, le peintre contemporain ne considère plus l’image comme un simple substitut d’une réalité sensible. Des roses peintes par Els-tir, Proust disait déjà qu’elles étaient une “variété nouvelle dont ce peintre, comme un ingénieux horticulteur, avait, enrichi la famille des Roses.” »



D O CUMENTAIRE Par Antigoni Papantoni

Voilà trois ans que je travaille pour Visions du Réel, Festival international de cinéma Nyon. Le Festival, l’un des plus importants au monde dans le domaine du cinéma documentaire, a lieu chaque année en avril à Nyon. J’y ai découvert avec enthousiasme un type de cinéma que je ne connaissais pas avant: le documentaire créatif, qui propose des approches personnelles, esthétiques. Lors de la dernière édition du Festival, j’ai découvert et rencontré le cinéaste russe Vitaly Mansky: il y présentait Under the Sun, un film exceptionnel sur le quotidien d’une famille en Corée du Nord. Dans son dernier film, Close Relations, le cinéaste filme d’une manière intimiste les membres de sa famille, qui habitent dans différentes régions d’Ukraine, notamment dans des régions sous contrôle séparatiste. Il déroule sa propre histoire familiale pour mieux étudier les divisions contemporaines de la société ukrainienne après la chute de l’URSS et le conflit russoukrainien. C’est un film poignant, généreux et touchant, qui traite d’une manière profonde la question de l’identité nationale, sous le prisme de la situation sociopolitique de cette région. Le film a été présenté en première mondiale au Festival de film Karlovy Vary en juillet 2016 et j’espère que le public suisse aura aussi la chance de le découvrir sur grand écran prochainement!



ANAFORA Par Antigoni Papantoni









NOTES Image Couverture : Philippe Buchs_Temple_Santorini Retournement : Texte: 1. Mack, Charles R. Pienza: the creation of a renaissance city. Ithaca: Cornell UP, 1987. p.156163 2. « Le rapprochement institue la coupe du Down Town Athletic Club comme un diagramme sinon identique, du moins équivalent à celui de la Villette; il démontre ainsi implicitement qu’un diagramme n’est pas nécessairement attaché à une forme particulière. En l’occurence, il peut s’adresser à une extension verticale tout comme à un développement horizontal. » (Lucan, Jacques. Précisions sur un état présent de l’architecture. Lausanne: Presses Polytechniques Et Universitaires Romandes, 2015, p.22) 3. « REVERSAL. One of the major tragedies of the present architectural condition is that the wisdom of every new generation exists in the complete reversal of the wisdom of the partner generation. Since the sixties had believed and sworn by towers, the seventies did not want to accept them and in fact contradicted them. » (Koolhaas, Rem, Bruce Mau, and Jennifer Sigler. S, M, L, XL. Rotterdam: 010 Publ., 1995, p. 1102) 4. Lampugnani, Vittorio Magnago. Die Stadt Im 20. Jahrhundert: Visionen, Entwurfe, Gebautes. Berlin: Wagenbach, 2010, p. 513516 5. Malevitch, Kazimir Severinovitch. Dieu n’est pas détroné: L’art, L’église, La fabrique. Lausanne: LAge D’homme, 2002

Image: 1.Rossellino, Piazza Pio II, Pienza, plan 2. Le Corbusier, Citrohan, plan 3. Le Corbusier, Domino, coupe 4. Rossellino, Duomo, Piena, elevation 5. Downtown Athletic Club, représenté dans Delirious New York de Rem Koolhaas, coupe 6. OMA, projet pour le parc de la Villette, plan 7.Louis Sullivan, Guaranty Building, Buffalo, elevation 8. Frank Lloyd Wright, Allen-Lambe House, Wichita, elevation 9.Kasimir Malevitch, cercle noir 10 .OMA, Dubai Renaissance, coupe Ruines Image : Philippe Buchs_Ruines_ Pireus Tente Image: Philippe Buchs_ The Tente_Anek Lines Ferries Creating History Benedict Esche Metabolised Image: Pierre Marmy_ Metabolist Japon Diogens Grid (1) http://www.lesgarages.net/ (2) Collectif Mitramachina, à l’occasion du Flying Gap lors de l’EASA2016, http://www.easa.lt/, Nida, Lithuanie (3) Milan Kundera, les testaments trahis, ed folio, 1993 Image: Schillmoeller Theda Avec les projets (de gauche à droite): La Bifanas de Breitling Lawrence_en collaboration avec Le Pommel et Nicolas. One Sheep to Sleep (EPFL) de Chassot Laurent_Mignon Agathe_Paternault Victoire. Diogenes Grid_mitramachina-

(EPFL) de Pretolani Mattia Guex-Crosier Grégoire Wolkenbugel Fur Moskau Image : Christian Gansemer Pavillon de l’Amour Image : Charles Aubertin_Pavillon de l’Amour Expedit Image: Zoé Baueuf_Untitled Copy / Paste Texte: De gauche à droite: 1. Cf. Geiser Reto dans Bildbauten, Standpunkte, Bâle, 2016 2. Merleau-Ponty Maurice, Le Visible et l’Invisible. Notes de travail, Gallimard, 1964, p. 265. 3. Bachelard Gaston, La poétique de l’espace, Presses Universitaires de France, 1958, p. 24. Image: Guilhem Rolland Documentaire Image: Rodnye (Close Relations). Vitaly Mansky Anafora Photographie de Antigoni Papantoni_tiré de la série Anafora. Offset Paul Castella et Tomislav Levak TEAM: Philippe Buchs Paul Castella Tanguy Dyer Grégoire Guex-Crosier Nelson Larroque Tomislav Levak François Rougeron Camille Vallet Barbara Woloszczyk


OFFSET

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ATELIER


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