DAGON "TOWN-SHIFT" by Romana Ng

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D A G O N

«TOWN D E N N I S

C U M B A L

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SHIFT»

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LE TEMPS DU TERRAIN


11 février 2018, huitième jour à Yangon, quatrième journée de terrain. Les deux journées précédentes ont été passées à arpenter ce qui sera le site d’étude. Situé au Nord du chemin de fer, juste au dessus du damier de la ville basse, s’étendant d’ Ouest en Est, du port de Ahlone à la crique de Puzundaung, à présent divisé en trois secteurs, un pour chaque groupe. L’heure est au choix et celui-ci sera décisif, puisqu’il déterminera lequel de ces morceaux de territoire, sera exploré, parcouru et relevé pendant les dix jours à venir. Le secteur 2, occupant une position centrale, délimité à l’ Ouest par Pyay road et s’étendant vers l’ Est jusqu’à Upper Pansodan Road, est retenu. Ses limites presque superposables à celle du township de Dagon, l’un des trente-trois townships que comprennent les quatre districts qui forment la ville de Yangon, justifie qu’il en emprunte le nom.

C’est la régularité et l’homogénéité globales qui se dégagent du tissu pourtant hétéroclite de « downtown » Yangon, qui rendent évident le caractère hétérogène du secteur 2, rebaptisé Dagon. Cette impression provoquée par des changements d’ambiance parfois brusques et particulièrement saisissant pour le piéton, s’explique par la coexistence dans ce secteur d’entités urbaines imposantes, disparates et souvent déconnectées, qui fabriquent le paysage actuel de Dagon. Paysage qui se compose aujourd’hui aussi bien de grandes parcelles opaques et impénétrables, propriétés de la Tatmadaw, l’armée birmane, que d’ ensembles de logements produits par le gouvernement sur le modèle des cités jardins britanniques. Subsistent également quelques villas centenaires en bois de teck et brique, résistant encore au processus de densification de la ville et à la spéculation immobilière, qui ont remplacé la plupart d’entre elles par de l’habitat vertical et plus récemment par des « condominiums ». À cela s’ajoutent quelques grands équipements publics, certains fort populaires comme le zoo de Yangon, où les birmans se rendent comme les parisiens vont aux Buttes Chaumont par une chaude journée d’été, et d’autres moins fréquentés comme le Musée National. Le tout forme un ensemble étonnant, avec une partie Nord plus difficile d’accès, où le piéton trouve moins sa place et où l’animation presque caractéristique des rues du centre de Yangon n’est plus au rendez-vous. La partie sud quant à elle est nettement résidentielle, mais n’est en rien monotone puisque l’habitat y prend des formes très variées. La compréhension de la morphologie de ce secteur passe par la mise en contexte de ce territoire, dans l’espace, en le resituant dans la ville de Yangon et dans le temps, en remontant dans l’histoire de cette ville jusqu’en 1852.


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YA N G O N , V I L L E C O L O N I A L E MODERNE ET SCINDÉE


1852, à cette date le royaume birman alors gouverné par le roi Tharrawaddy, essuie une nouvelle défaite face à l’armée britannique. Cette fois-ci Yangon est prise et annexée à l’empire des Indes Britanniques. Cette guerre les birmans l’avaient pourtant anticipé et s’y étaient préparés afin d’éviter que ne se répète le scenario de 1826, celui d’une lourde défaite. Le roi Tharrawaddy lança de grands travaux, dont l’objectif était de transformer Yangon trop vulnérable aux attaques, en une ville forteresse imprenable. Pour ce faire il fit rebâtir la ville, plus au Nord, au pied de la Shwe Dagon Pagoda, et la fit ceindre d’une palissade. Quant à la ville ancienne, d’abord réservé aux affaires et aux étrangers, elle sera finalement réduite en cendre. Ces grandes mesures s’avérèrent toutefois insuffisantes et quand les Britanniques s’emparèrent de Yangon en 1852, ils firent de la ville fortifiée leur campement et plus tard leur cantonnement. Au sud la vaste étendue vierge qui jadis avait été old Yangon s’avéra parfaite pour recevoir les tracées de la Yangon britannique, ville moderne et orthogonale. La Yangon moderne, dessinée le capitaine Fraser assisté du professeur Montgomerie, sur le modèle de Singapour, prit la forme d’une grille où se croisent à angle droit de larges avenues Est - Ouest et d’étroites rues remontant de la rivière vers le Nord. Les blocks formés par ce découpage furent ensuite divisés en parcelles, étroites et profondes. Sur ces parcelles les compartiments chinois remplacèrent petit à petit les baraques de bois, bambou et chaume. C’est dans cette partie de la ville où vivaient les autochtones, que se concentrait l’activité, essentiellement commerciale et étroitement liée au port de Yangon, l’un des plus important à l’échelle mondiale au début du XX ème siècle. Le Nord, et notamment ce qui est aujourd’hui le township de Dagon, était majoritairement occupé par les populations étrangères. Il abritait le cantonnement militaire britannique, en lieu est place de ce qui fut Tharrawaddy’s Yangon. C’est aussi dans cette partie de la ville que l’on trouvait des grands parcs et jardins ponctués de lac. Les familles les plus aisées, souvent étrangères, souhaitant vivre en dehors du centre ville trop étriqué à leur goût, s’y étaient également installées. Elles y construisirent des villas familiales, sur des vastes parcelles arborées. Cette nouvelle Yangon ville moderne et scindée, poursuivra sa croissance et sa densification jusqu’à la fin des années 1930, où un vent de révolte soufflera sur le pays. La ville deviendra l’un des principaux foyer de la lutte pour l’indépendance, menée par les partis communiste et nationaliste. Le 4 janvier 1948 la Birmanie accède à l’indépendance, s’affranchissant ainsi de la tutelle Britannique et mettant par la même occasion un terme à six ans d’occupation japonaise. C’est la Ligue anti-fasciste pour la liberté du peuple ( LAFPLP ), également connu sous le nom de Pha Sa Pa La, qui après avoir joué un rôle majeur dans le processus de « libération » ,prendra la tête du pays. C’est Yangon, ville portuaire, commerçante et cosmopolite, la plus peuplée du pays, qui sera prise pour capitale.


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DÉ(S)-LOGEMENT(S)


1948, quelle projet pour faire de cette ville divisée, née d’un projet colonial, la capitale d’un état birman naissant ? Le départ d’un grand nombre d’étrangers laissa de nombreux édifices vacants, la première phase dans le processus de restructuration de la ville consista à réinvestir ces lieux, en les mettant à disposition des pouvoirs et des populations locales. Parmi les bâtiments en attente de nouveaux acquéreurs, comptaient certaines des villas au nord de la grille, situées dans le secteur de Dagon. Quelques familles birmanes fortunées les acquirent. Ce fut le cas de la villa située au numéro 65, Yaw Min Guy Street. Min, le fils de la propriétaire actuelle, également gérant et fondateur de la galerie d’art située au rez-de-chaussée de la demeure raconte : MIN, GALLERY 65 « Cette maison a plus de 100. Mes grands-parents l’ont achetée dans les années 50. Ma mère est née ici, elle a vécu ici toute sa vie. Elle adore cette maison, il n’y en a plus beaucoup comme celle-ci. Tout l’étage est en bois de teck, on essaye de bien la conserver, et en cas de besoin de remplacer avec des matériaux similaires, mais le bois est devenu hors de prix de nos jours.On a fait quelques travaux pour transformer le rez-de-chaussée en galerie d’art, on a notamment construit une extension a l’arrière, mais on essaye de ne pas trop modifier l’esthétique de la maison. Nous recevons régulièrement des offres, des gens qui nous propose de grosse somme pour acquérir la maison. Dans ce quartier le mètre carré coute environ 1500 dollars. Mais ma mère refuse catégoriquement, c’est sa maison, et elle ne veut vivre nulle part ailleurs. » Après cette première phase vint celle des nouveaux projets. Ce sont les idées du général Aung San figure emblématique de la LAFPLP, assassiné le 19 juillet 1947, qui vont servir de ligne directrice au parti en terme de politique urbaine. La création de grands ensembles de logements, calqués sur le modèle des cités jardin ouvrières britanniques, pour loger les fonctionnaires, sera l’un des grands fait de cette administration Ne trouvant que peu d’espace dans la ville basse pouvant accueillir des projets d’une telle envergure, c’est naturellement dans le Nord de la ville et notamment dans les townships de Dagon et de Mingalar Taung Nyunt, où des vastes étendues étaient encore disponibles que ces projets prirent forment. Ces terres étaient certes disponibles mais pas inhabitée, il fallu donc avant de pouvoir construire sur ces terrains décider de l’avenir des habitants des villages de hut et bungalows qui y étaient installés. Deux procédés furent employés. L’un visait à déplacer ces populations vers de nouveaux quartier créer en périphérie de la ville. C’est ce qui se produisit lors de la construction de U Wisara, ensemble de logements collectifs pour fonctionnaires situé au Sud-Ouest de Dagon. Mya Than Tint, dans son livre Sur la route de Mandalay, à travers l’histoire de Tin Tin Aye et sa famille, raconte : MYA THAN TIT, SUR LA ROUTE DE MANDALAY, Guirlande de jasmin, p209-211 « Mon vrai nom, c’est Tin Tin Aye, comme l’actrice de cinéma. […] Mon père, Ko Sein Lin, était conducteur de cyclo-pousse. Il est de Rangoun, mais dans son enfance, les banlieues comme Okkalapa n’existaient pas encore et il vivait dans ce qui est devenu le nouveau quartier de U Wisara. Vous devez connaître, c’est la qu’est maintenant le Parc de la Résistance. […] Papa allait au stand de Myenigone attendre ses clients. Il y avait toujours du monde, et il trouvait là assez de clients pour qu’il n’ait pas besoin d’aller en chercher ailleurs. Il dit qu’à l’époque, c’était facile de gagner sa vie […] Mais au bout de quelques années, quand on a voulu construire le nouveau quartier de U Wisara, toutes les familles qui vivaient là dans des huttes ont été déplacées vers les banlieues nouvelles de Okkalapa Nord et Sud. A cette époque, mon père et ma mère sortaient déjà ensemble. Il devait avoir une vingtaine d’années, et elle, dix-huit. Mon père faisait ses tournées à Myenigone en cyclo-pousse et ma mère vendait de la salade de poulet ou de bœuf frit à l’extérieur, devant cette boutique de Bawgabala. Ils faisaient partie des familles qui vivaient dans des huttes, et comme tout le monde, ils ont dû déménager. Seulement, ils ont été relocalisés dans des endroits différents : mon père a dû aller à Okkalapa Sud, et ma mère, à Okkalapa Nord. Tout est devenu plus difficile pour eux et ils n’ont plus aussi bien gagné leur vie. »


L’autre procédé, le hut to apartment scheme proposait de reloger ces populations au sein de ces nouveaux ensembles une fois leur construction achevée. C’est sur ce modèle que sera construite la première phase de l’opération de logements collectifs pour fonctionnaire de Pha Sa Pa La, situé à Mingalar Taung Nyunt, à l’Est de notre secteur. Madame Daw Khw Mu Mu, une des premières habitantes de Pha Sa Pa La raconte : MADAME DAW KHW MU MU « Dans les années 40 en dehors de la grille, les gens vivaient là où ils voulaient, ils n’avaient pas de contrat de propriété. A l’emplacement de Pha Sa Pa La, il y avait un lac et un petit village de bungalows. Puis il y a eu un incendie 1941, qui a détruit la plupart des habitations, les familles les ont reconstruites. En 1944 le général Aung San a signée un contrat avec une compagnie indienne pour la construction des premiers bâtiment de Pha Sa Pa La. Le chantier a débute en 1954 et a duré 2 ans. En 1956 les premiers habitants se sont installés. Le gouvernement a tenu promesse et a attribué des appartements aux familles qui vivaient dans les bungalows, mais ces derniers ne pouvaient ni les louer ni les vendre. Cependant beaucoup l’ont fait en cachette même si c’est illégale, ce qui fait qu’il reste aujourd’hui à Pha Sa Pa La très peu de primo-habitants. » C’est en appliquant l’un de ces deux modèles que furent construites entre le milieu des années cinquante et le début des années soixante, neuf opérations de logements dans la ville de Yangon. La période d’ instabilité politique que traversera une Birmanie gouvernée une Ligue antifasciste pour la liberté du peuple, en manque de cohésion mettra un terme à cette période de grand travaux. Le parti qui finira par éclater en 1958, avant de remporter à nouveau les élections de 1960 sous le nom de Parti de l’Union, sera finalement renversée par le coup d’Etat du général Ne Win, commandant en chef des forces armées. S’achève ainsi une période marquée par un roulement de population dans la capitale, où Yangonites et ruraux viennent réinvestir, les bâtiments restés vacants suite au délogement des étrangers. C’est également la fin d’une importante vague de production de logements, destinés essentiellement aux fonctionnaires de l’Etat et aux militaires.


PHA SA PA LA - FEVRIER 2018


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P R E S Q U E RIEN NE SE PERD RIEN NE SE CRÉE T O U T S E T R A N S F O R M E*

* ANTOINE LAURENT DE LAVOISIER ( 1743 - 1794 )


1962, menant une politique motivée par un sentiment anticolonialiste et anticapitaliste, le socialisme de Ne Win fit chuter l’économie birmane. La croissance économique du pays ne dépassa pas les 1% par an pendant ces années, ce qui ne manqua pas de se refléter sur le paysage urbain. Ce furent des années de stagnation et de lente décrépitude pour Yangon. Peu de nouveaux bâtiments furent construits et les bâtiments anciens, non entretenu, s’usèrent peu à peu. En ce qui concerne Dagon, quelques modifications dans le paysage de ce secteur purent être observées dans les années 60. Peu de ces nouveaux projets furent portés par le gouvernement, dont le fait majeur fut la construction de la Pagode de Maha Wizaya en 1980. Située directement au Sud de la Shwe Dagon Pagoda, elle fût érigée à la demande du général Ne Win. Les quelques autres nouveaux bâtiment construit à Dagon à cette période se doivent à l’action d’ investisseur privés et prendront place sur les parcelles de villa situées au Nord de la voie de chemin de fer. C’est à ce moment que débuta le processus de découpage et densification de la parcelle de villa, avec l’apparition des opérations de housing. Elles prirent la forme d’ immeubles en béton, comptant en moyenne trois étages, à l’architecture très sobre, presque austère, reconnaissable à leurs auvents en tôle arrondie bleu roi ou rouge vif. Cette période fut également celle des grandes réformes aux effets dévastateurs. D’abord celle sur le statut des terres ébranlera le système agraire du pays. L’acte de 1963 légalisera la confiscation des terres. Cette politique restera en vigueur jusqu’en 2010 malgré le changement de régime. Au total entre ces deux dates on estime que près de 120 000 hectares de terre ont été saisis à travers le pays, dont aujourd’hui seul 6% pourrait être rendus par l’armée. Les paysans dépossédés de leurs terres, seront nombreux à affluer vers Yangon à la recherche d’opportunité de travail. Cette politique sera à l’origine d’une première vague massive d’exode rural. Suivra la réforme du secteur de l’éducation, datant de 1965, visant à nationaliser toutes les écoles, notamment celles appartenant aux communautés chrétiennes et bouddhistes. Jimmy, membre de la communauté anglicane, vivant dans le compound de la Saint Gabriel’s Church, situé au numéro 66, Shwe Dagon Pagoda Road, dans le township de Dagon, raconte : JIMMY « il y a trois villas dans le compound de l’église, elles datent des années 1950, elles étaient déjà là avant la construction de l’église. Le compound appartient l’Église anglicane. A l’époque coloniale trois familles anglaises vivaient là, une dans chaque maison. Après l’indépendance, les anglais ont légué le compound aux membres birmans de la congrégation. Aujourd’hui, il y a douze familles qui vivent dans ce compound, quatre dans chaque maisons. A l’époque coloniale chaque église était couplée à une école, le bâtiment en brique au nord du compound était l’école anglicane. Mais pendant la dictature militaire de Ne Win, toutes les écoles furent réquisitionnées et devinrent public. Fort heureusement le gouvernement n’a pas réquisitionné les villas et nous avons pu continuer à habiter ici. » Tout ces facteurs réunis, couplés à trois dévaluations consécutives du kyat, en 1964, 1985 et 1987 ayant presque mené à une démonétisation du pays, furent à l’origine de la révolte populaire de 1988, qui parti de l’université de Yangon. Les manifestations durèrent plusieurs semaines, où les foules envahirent les rues de la capitale. La répression fut brutale, on estime que des centaines voire de milliers de manifestants pro-démocratie furent tuer par les militaires, qui parvinrent ainsi à « réinstaurer l’ordre ». C’est sur cet épisode que s’achève une période de torpeur pour la ville de Yangon, durant laquelle le paysage changea peu, mais des institutions et des parcelles privées devinrent d’Etat et un grand nombre de ruraux devinrent des citadins.


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YANGON PLACÉE SOUS S U R V E I L L A N C E


A l’échelle du pays, façonner une nouvelle identité nationale, basée sur l’unité des différentes ethnies du pays, rebaptisé Myanmar depuis 1989. A l’échelle de la ville, remodeler Yangon pour déjouer toutes possibilités de nouveau soulèvement. Tels étaient les objectifs de la politique menée à cette période par le SLORC, State Law and Order Restauration Council. Pour reprendre le contrôle sur la capitale, ils mirent au point le « Urban Works Program » et créèrent le Yangon City Development Committee – YCDC en 1990. De grandes initiatives furent prisent pour effacer les traces des manifestations, et redessiner les espaces publics afin de les rendre moins propice aux rassemblements et d’en faciliter la surveillance. Les façades de tous les immeubles furent repeintes par les yagonites sous ordre du gouvernement, les rues furent nettoyées et les trottoirs réduits. Les grand axes de la ville tels que Bogyoke Road ou Sule Pagoda Road furent divisés par des séparateurs empêchant le franchissement piétons. Ces derniers se trouvèrent forcés d’emprunter les passerelles construites, officiellement pour leur sécurité et officieusement pour servir de tour de guet aux militaires en patrouille. De nombreux espaces publics, notamment ceux où s’étaient tenus des rassemblements, comme le Mausolée des Martyrs, furent interdit d’accès. Le même sort fut réservé au Myoma Ground, vaste terrain multifonction occupant la partie nord de l’ancien champs de course du cantonnement britannique, situé juste au Nord de U Wisara, dans le township de Dagon. Min gérant de la gallery 65 raconte : Min, Gallery 65 « Quand j’étais jeune, c’était notre terrain de sport à moi et mes amis. Les gens allaient là pour jouer au foot ou au chinlone. L’accès était libre tout le monde pouvaient y aller. Après 1988 ils l’ont fermé au public. De temps en temps la ville y organisait des festivités mais le reste du temps rien ne s’y passait. Aujourd’hui certains recommencent à y aller, il y a même quelques maisons qui ont été construites tout autour, mais ce n’est pas officiellement un espace public. » En contrepartie, furent créées de nouvelles institutions, censée consolider l’unité nationale et participer à l’essor d’une nouvelle identité birmane. C’est de cette initiative que surgirent des projets tels que celui du National Museum of Myanmar construit entre 1990 et 1996 sur Pyay Road, dans le township de Dagon. En 1993 la nouvelle Université de Dagon, fut construite dans le township de North Dagon, à l’écart de la ville afin d’éviter toute interaction entre les étudiants universitaires aux idées trop progressistes et le reste de la population. L’université de Yangon, ne délivrant plus de diplômes, les étudiants n’eurent d’autre choix que d’accepter leur exil. Les universitaires ne furent pas les seuls à payer leur participation aux manifestations de 1988. Plus de 500 000 personnes, soit 20% de la population de la ville à l’époque, furent relocalisées, parfois de force, du centre ville vers les six nouveaux townships créer à la périphérie de Yangon. L’objectif annoncé été de « moderniser » le mode de vie des birmans, en offrant à ces populations qui vivaient dans des baraques autour des complexes monastiques de meilleures conditions de vie. Toutefois la plupart de ces nouveaux townships n’étaient reliés ni au réseau électrique, ni hydraulique, ni viaire. Ceux qui s’y installèrent se trouvèrent complètement coupés du centre ville, aussi bien physiquement, que économiquement. En réalité, ce n’était là qu’une manière de plus d’exiler les réfractaires, car parmi les personnes déplacées, un grand nombre étaient des manifestants avérés ou supposés. Si Yangon le centre ville de Yangon s’était considérablement vidé de sa population civile à cette période, la présence militaire elle augmenta. C’est notamment à ce moment que la deuxième phase de Pha Sa Pa La fut construite, comptant plus d’une trentaine de bâtiments destinés à héberger les officiers de la Tatmadaw. C’était là encore une manœuvre du gouvernement pour garder un œil sur la population.


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D E N S I F I C A INDUSTRIALISA

TION


1995, sur les villes nouvelles vinrent se greffer les zones industrielles de Hlaingtharyar, Shwepyithar, Mingaladon, Shwepaukkan, Dagon Seikkan et Dagon South. Elles furent planifiées par le Department of Human Settlement and Housing Development – DHSHD, à la demande du SLORC dans l’objectif de promouvoir l’économie urbaine en créant des emplois et des revenus. Ainsi que pour concentrer les unités de production industrielle éparses dans des lieux réservés à ce type d’activité. Finalement pour promouvoir les partenariats public-privé dans le secteur de l’industrie et attirer des investisseurs étrangers. La création de cette couronne industrielle, fut suivie par une arrivée massive d’hommes et de femmes, venus des campagnes pour trouver du travail dans les usines de Yangon, soit d’une deuxième vague massive d’exode rural. Il apparaît donc clairement que contrairement à la période socialiste de Ne Win, sous le SLORC la Birmanie et notamment la ville de Yangon connurent de grands changements, engendrés par d’ambitieux projets et d’innombrables réformes. Le gouvernement ne fut cependant pas le seul « à faire bouger la ville », le secteur privé connu également une phase d’effervescence entre les années 1995-2005, notamment par l’action d’investisseurs immobiliers étrangers. Rappelons que si l’Europe et les Etats-unis avaient tourné leur dos à la Birmanie suite aux événements de 88, des pays voisins comme la Chine, la Thaïlande, Singapour et même le Japon continuèrent de placer leurs investissements. Dans le Sud- Est de Dagon, à la première phase du processus de densification de la parcelle de villa datant des années 1960, succeda une deuxième phase s’étendant de 1995 à 2005. L’ étendue des parcelles de villa fut à nouveau réduite, parfois à néant, pour laisser placer à une deuxième génération d’opération de « housing ». Face à la hausse constante du prix des terrains, conséquences de la création d’une bulle spéculative, les promoteurs soucieux de rentabiliser leurs investissements optèrent pour des modèles plus denses, en ajoutant notamment quelques étages supplémentaires. Furent construits des immeubles de cinq ou six étages, reconnaissable à leurs façades souvent parées de carrelage, et leur architecture parfois tapageuse. Cela se traduisit par une « verticalisation » et une densification du quartier.


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Y A N G O N P L O N G É E DANS UN SOMMEIL AGITÉ


Dès les années 2000, peu de travaux publics furent entrepris à Yangon car le pouvoir s’apprêtait à déménager vers la nouvelle capitale, en construction depuis quelques années, Naypyidaw. Dans le secteur privé, ce fut l’annonce de la destitution de Yangon en 2005 qui freina momentanément l’élan de construction. La décision de transférer la capitale découlaient d’un sentiment de méfiance grandissant envers les Yangonites depuis les manifestions de 1988, et d’une volonté de placer le pouvoir politique au centre des anciens royaumes birmans, afin de renforcer l’unité des ethnies et la cohésion nationale. Le coût de ce projet pharaonique, estimé à quatre milliards de dollars, construit alors qu’une vaste part de la population traversait une période de grande difficulté sur le plan économique provoqua l’indignation du peuple. Quand à cela vint s’ajouter une augmentation aussi subite que conséquente du prix de l’essence (+66%), du diesel (+100%) et du gaz (+500%), de nouvelles manifestations éclatèrent à Yangon. Le 19 août 2007, des centaines de milliers de Yagonites descendirent dans les rues, épaulés par les bonzes. Ceux-ci prirent part aux manifestations et c’est à la couleur de leurs robes, que l’on doit le nom « révolution de safran », qui désigne communément ces événements. Le 2 mai 2008, une Birmanie déjà à cran est frappée par le cyclone Nargis, sont passage fit plus de 138 000 morts et disparus, et 2,5 millions de sinistrés. Le gouvernement incapable de faire face à la crise humanitaire qui s’en suivra, refusera obstinément pendant un mois toutes aides extérieures, avant d’enfin permettre aux ONG d’intervenir. Abandonnés à leur propre sort, des familles entières venues des régions les plus affectées, notamment du delta de l’Irrawaddy, ayant perdu maison et récoltes, affluerent vers Yangon en quête d’un nouveau départ. Cela se traduisit par une troisième vague massive d’exode rurale. Arrivées dans la capitale ces familles s’installèrent pour la plupart à proximité des zones industrielles, à la périphérie de la ville. Certaines tentèrent tout de même de se faire une place dans le centre ville déjà très dense de Yangon et s’établirent dans ses interstices et ses entre-deux. C’est dans des réduit situés au pied des immeubles de certaines opérations de logements du gouvernement, comme celle de Pha Sa Pa la que l’on retrouve aujourd’hui quelques unes de ces familles. Ces occupations illégales, ont été rendues possibles par le départ des institutions et des effectifs de l’armée pour Naypyidaw. C’est suite à cela, qu’en 2008 l’armée ceda sa partie de Pha Sa Pa La à deux compagnies d’État, la Myanmar Economic Committee Company, et la Myanmar Timber Enterprise, conservant uniquement une petite parcelle où vivent aujourd’hui onze personnes. Myint Myint Aye, l’une des résidentes raconte : Myint Myint Aye « Le terrain appartient a l’armée, qui nous l’a attribué. Nous avons construit les maisons nous même. Dans la parcelle il y a trois familles, mais une ne vit pas sur place. Cela fait 8 ans que nous habitons là. Avant cela nous vivions dans les logements pour militaires près du Théâtre National. Nous ne payons pas de loyer mais dans chaque famille au moins l’un des membres travaille pour l’armée. » Ce changement de propriétaire, engendra un assouplissement des règles de vie au sein du collectif. C’est à partir de ce moment là que les extensions se multiplièrent rapidement modifiant le paysage de Pha Sa Pa La et que des personnes parfois extérieures s’y installèrent et sont depuis tolérées par le habitants et le gouvernement. Dans le secteur privé, malgré le tumulte, à la fin des années 2000 la constructions reprit lentement, et dans le Sud-Est de Dagon la parcelle de villa poursuivit sa transformation. Ses dimensions s’avérèrent propices pour accueillir d’autres programmes que du logement. On vit apparaître sur ces parcelles des hôtels, des centres commerciaux et des immeubles de bureaux. La multiplications de ces équipements et services destinés aux familles aisées, aux hommes d’affaires, aux investisseurs étrangers, aux entrepreneurs ou encore aux expatriés entraina une gentrification du quartier. Ce nouvel élan de construction s’accélera en 2011, quand après avoir remporté les élections controversées de 2010, le général Thein Sein, redoutant de nouveaux soulèvements pro-démocratie, decida de faire les premiers pas allant dans le sens d’une transition démocratique. Le 13 novembre 2010 il fit lever l’assignation à résidence de sa principale rivale politique, Aung San Suu Kyi. En mars 2011, la junte fut dissoute.


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D’ I N T É R Ê T S


L’entrée du Myanmar dans une nouvelle ère, se voulant démocratique se traduisit par l’ouverture à l’internationale du pays, après un demi siècle de repliement sur soi. La transition fut d’ailleurs facilitée par la levée des sanctions économiques imposées par l’Union Européenne, en 2013, avant que les Etats-Unis ne leur emboite le pas, en 2016. Les investisseurs étrangers qui jusque là venaient principalement des pays voisins, notamment ceux membres de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, furent rejoint par de nouveaux acteurs, de plus en plus lointain. Ainsi des compagnies comme Bouygues ou Lafarge se firent une place sur le marché immobilier birman. Ces compagnies japonaises, singapouriennes, sud-coréennes ou françaises, cherchent aujourd’hui à profiter de cette nouvelle dynamique politique, qui met en mouvement la ville. Les annonces de grands travaux, et de projets ambitieux ayant pour but de moderniser une Yangon, qui veut rattraper son retard sur les autres grandes villes mondiales, se multiplient. Ces projets dit de landmark à plusieurs milliards d’euros, visant à faire de la ville un business hub s’inscrivent dans le nouveau plan de développement de la capitale économique, soumis par U Maung Maung Soe, maire de la ville. Depuis 2016 le Yangon City Development Committee travail à la rédaction d’un nouveau texte de loi, encadrant le développement de la ville de Yangon sur le plan urbanistique, économique et social. Ce texte doit se substituer au City of Rangoon Municipal act datant de 1922 et compléter le YCDC Law rédigé en 2013. Selon le maire de la ville, cette nouvelle législation devrait permettre d’étendre la ville, de proposer à la population des logements de meilleure qualité, d’améliorer l’accès à l’eau potable, mais surtout de favoriser la création de nouveaux commerces et de faire de Yangon un centre d’affaire. Le township de Dagon est particulièrement concerné par cette nouvelle politique urbaine. On trouve aujourd’hui dans cette partie de la ville des terrains libres comme le Myoma Ground ou des parcelles sous-exploitées comme celle laissée vacante par l’armée depuis le déménagement des instances politiques à Naypyidaw. La pression foncière qui s’exerce sur ces parties proche du centre ville est telle qu’il est aisé d’imaginer que ces grandes emprises pourraient très prochainement se transformer en centre commercial ou en condominium. Certains projets quant à eux deviennent de plus en plus concret, comme celui de requalification de la gare centrale de Yangon. Ce projet titanesque s’étendant sur près 110 hectares , coutera 2,5 milliards de dollars et les travaux dureront huit ans selon estimation. Le complexe qui se constituera de hautes tours de verre, béton et acier abondamment climatisées et d’une nouvelle gare au design futuriste reliera downtown au stade Bogyoke Aung San. Il se composera de six zones comprenant, une centre commercial regroupant des boutiques proposant des produits et des services haut de gamme, des tours de bureaux, des condominiums, des hôtels et des résidences, ainsi qu’un parc et un musée du chemin de fer. Le bâtiment de la gare centrale de Yangon, datant de 1954 sera conservé et cerné par ces constructions nouvelles. Alors que des projet similaires, tournés vers le futur et prônant une Yangon modernisée et mondialisée fleurissent dans la ville, les problèmes préexistant persistent et de nouveaux se créent. L’arrivée de ces projets très couteux, destinés à une clientèle locale aisée ou internationale, ont un impact important sur les zones situées à proximité. Ils induisent une gentrification des quartiers alentours et font exploser les prix de l’immobilier tout autour d’eux. La spéculation immobilière des années 90-2000 qui avaient déjà rendu très difficile d’accès pour le Birman « moyen », les biens immobiliers situés dans la grille et ses abord immédiat, a regagné grâce à ces landmark projects un nouveau souffle. Par conséquent, pour les familles de « classe moyenne », les jeunes diplômés, ou les couples récemment mariés, devenir propriétaire d’un logement, relève presque du fantasme. Cette population condamnée à la location, alloue aujourd’hui 30 à 40% de son revenu mensuel au paiement d’ un loyer. Economiser pour pouvoir acheter devient pour eux une tâche particulièrement ardue. Par ailleurs l’effervescence autour de la ville de Yangon, la rend toujours plus attractive, et les campagnes continuent de se vider, au rythme des départs vers la ville. Ces nouveaux citadins viennent s’ajouter à ceux qui dans les années 70 avait quitté la campagne car dépossédés de leurs terres par le gouvernement. À ceux qui dans les années 90 au moment de l’industrialisation, étaient venus chercher du travail dans les usines aux marges de la ville. À ceux qui en 2008, chassés de chez eux par le passage ravageur du cyclone Nargis, étaient venus chercher refuge dans la ville.


Mais une fois arrivées à destination, que deviennent ses populations, souvent démunies et sans pied-à-terre dans la métropole ? Celles-ci viennent grossir les rangs des « squatteurs » de la capitale. En 2013 un rapport du Yangon Hluttaw Legal Affairs Committee a estimé à 600 000 le nombre de squatteurs à Yangon, soit environ 10% de la population de la ville. Cette même étude établissait que 20% des logements occupés par les squatteurs avaient été construits illégalement. Ces logements étant pour la plupart des baraques, shacks, d’environ 15 pieds par 20 pieds ( 5,4 mètres par 7,2 mètres) où vivent en moyenne 5 personnes. Les conditions sanitaires dans ces groupements d’habitat que le gouvernement qualifie de slum sont difficiles, avec un accès à l’eau très limité, une gestion des eaux usées et des ordures presque inexistante. De plus ces dit slums étant pour la plupart situés sur les plaines qui entourent la ville, le risque d’inondation durant la mousson y est élevé. Bien que certains squatteurs ce soient installés dans le centre ville, la plus part de ces groupements d’habitat se sont construit à la périphérie, notamment à proximité des zones industrielles. Le township de Shwepyithar, situé à 25 kilomètres au Nord de downtown Yangon, compte quatre sites industriels et une population de 350 000 personnes en 2014, composée essentiellement de migrants venus des campagnes. Ce n’est pas un fait du hasard, puisque grand nombre d’entre eux espéraient trouver du travail dans les usines. Peu parvinrent à être embauchés, les places à pouvoir devenant de plus en plus rares, et l’âge des ouvriers devant être compris entre 18 et 25 ans. Le salaire mensuel d’un ouvrier à l’usine avoisine les 120 000 kyats et un salaire minimum de 3600 kyats par jour a récemment été fixé par le gouvernement. Pour la vaste majorité qui ne décrocha pas d’emploi, ils vivent au jour le jour, de petit boulot, comme Ma Than Than Htay qui gagne 1500 kyats par jour en cuisinant pour 3 ouvriers d’une usine. D’autres trouvent du travail dans les chantiers, mais quand ceux-ci sont arrêtés pendant la mousson, ils se retrouvent sans revenus. Certaines vont jusqu’en ville pour trouver des emplois de femme de ménage dans les foyers aisés, mais la plupart d’entre eux vivent et travaille au sein de leur township. Cette précarité due à l’impossibilité pour eux de trouver un travail fixe et donc d’avoir un revenu permanent, les condamne à demeurer des squatteurs. Certaines de ces familles vivent avec tout juste 2000 kyats par jour et au moindre imprévu, engendrant des dépenses non planifiées, beaucoup n’ont d’autres choix que de contracter des dettes, dont les taux d’intérêts peuvent atteindre les 30%, au près de créancier parfois peu fiable. Face à un tel scenario il difficile d’imaginer que ces personnes puissent louer ou même acquérir un logement sur le marché officiel, avec les prix pratiqués aujourd’hui dans la ville de Yangon. À la périphérie de Yangon le prix de location des logements les plus accessibles se situe entre 30 000 et 100 000 kyats. A East Dagon une pièce de 9 mètres carrés, se loue pour 35 000 kyats et les propriétaires peuvent demander jusqu’à dix mois de loyer d’avance. Dans le centre ville on ne trouve rien en dessous de 150 000 kyats. Ko Ye Naung qui gagne 5000 à 6000 kyats par jour quand il trouve du travail sur les chantier, dont 1600 sont destinés à ses besoins alimentaires et son transport, a de grande difficulté à mettre de l’argent de coté. Comme lui, beaucoup de squatteur ne bénéficient pas du luxe de pouvoir économiser, et n’ose même plus rêver d’une maison à eux. Coincées dans le cycle de la pauvreté, ces familles vivent dans la peur constante d’être expulsées, par la ville qui n’hésite pas à envoyer la police les déloger tous les mois d’avril. Par les propriétaires des terrains, qui surgissent parfois après de années réclamant leur bien. Par les informal landlords, qui perçoivent des droits sur des biens qui ne leur appartiennent pas plus qu’aux autres squatteurs. Bien que le gouvernement ait lancé quelques initiatives pour tenter de d’améliorer la situation de ces familles, celles-ci restent insuffisantes. Un processus d’identification des « vrais » squatteurs, soit des personnes n’ayant aucun domicile fixe a été lancé. Quelques logements ont également été mis à disposition, mais seul quelques chanceux sélectionnés grâce à un système de loterie furent ainsi relogés. Des travaux de slum upgrading furent également menés dans certaines parties de ville. Malheureusement cela se traduisit par une hausse du prix des « loyers » dus aux informal landlords, et donc à l’éviction des familles les plus démunies qui ne pouvaient plus payer. Aujourd’hui à Yangon l’offre en terme de logement ne répond pas à la demande réelle. Rendre accessible les logements pour la classe moyenne et les squatteurs, est un des défis majeurs que doit relever cette nouvelle administration.


En attendant les solutions venues de « haut », les Yagonites multiplient les combines et les arrangements, pour trouver des solutions concrètes, leur permettant d’avoir un toit sur leur tête. Un marché parallèle voire illégal de l’immobilier se met ainsi en place. Ces sous-locations et ventes parfois clandestines se multiplient à travers la ville, aussi bien sur des parcelles appartenant à des privés qu’au sein des ensembles de logements de fonction appartenant au gouvernement. Sur les parcelles de villa il n’est pas rare que les propriétaires louent à des tierces personnes certaines parties de la maison, notamment quand ils n’habitent pas les lieux. Les cuisines extérieures, caractéristique de ce type de construction sont souvent transformées en logement à part entière et mises en location. Aye Myat, locatrice, raconte: AYE MYAT « Cela fait 30 ans que je vis ici. Je suis mère au foyer, je vis avec mon fils et ma mère, mon mari travaille à Singapour. La villa a plus de 100 ans, les propriétaires vivent au Etats-Unis, ils viennent tout les deux ou trois ans, pour percevoir les loyers. Un des neveux du propriétaire et sa famille, vivent au rez-de-chaussée. Personne ne vit à l’étage car une partie de la toiture s’est effondrée. Moi et ma famille nous vivons dans l’ ancienne cuisine, derrière la maison. » Dans le cas de Aye Myat, il n’y a pas transgression des lois et les deux parties sont en accord, mais certains rapport entre propriétaire et locataire sont plus conflictuels, notamment quand il s’agit d’arrangement en marge de la loi. U Thatun et sa femme Myo Nyunt racontent : U THATUN, MARIN A LA RETRAITE ET SA FEMME MYO NYUNT « les parents de Assan, le propriétaire des villas étaient des Bengalis qui vivaient à Yangon durant l’époque coloniale. Après l’indépendance ils ont dû quitter le pays, c’est à ce moment là qu’ils ont vendu ce terrain à mes parents. Il n’ont pas signé de contrat, c’était un accord verbal. Le problème c’est que les étrangers ont perdu le droit de posséder des terres, et que ces terres appartiennent maintenant au gouvernement. Non seulement les parents de Assan n’avaient pas le droit de vendre ces terres, mais en plus nous n’avons aucune preuve que nous les avons achetées. Aujourd’hui il exige que nous lui payons un loyer de 3000 kyats par mois. Nous avons engagé une procédure judiciaire contre lui, mais il a de l’argent et des contacts à Naypyidaw donc ça va être compliqué. Notre fils fait parti de la National League for Democracy, il connait Aung San Suu Kyi, on espère qu’il pourra faire quelque chose. Il faut que la situation se résolve rapidement, parce que dans quelques années les enfants de Assan auront droit à la citoyenneté birmane, et là ils pourront à nouveaux devenir propriétaires et nous pourrions perdre le terrain et notre maison. » Dans les ensembles de logements gouvernementaux ce type d’accord se multiplie également, malgré l’interdiction formelle de vendre ou de sous-louer les appartements de fonction.Dans un premier temps il s’agissait essentiellement d’arrangement entre membres d’une même famille. Quelques fonctionnaires ayant des propriétés ailleurs sous-louaient leurs appartements à des proches. Afin de légaliser cette pratique certains d’entre eux inscrivaient leurs locataires à leur livret familial, afin que ceux-ci aient le droit d’occuper le logement. U Kyaw, ancien fonctionnaire de la Myanmar Timber Entreprise, aujourd’hui à la retraire, vivant à Pha Sa Pa La, raconte : U KYAW SWE WIN « J’ai travaillé 20 ans pour la Myanmar Timber Entreprise, qui appartient au Ministère de la Forêt. Je reparais des bulldozers, maintenant je suis à la retraite. J’ai aménagé ici en 2011, officiellement l’appartement a été attribué à mon neveux, qui travaille encore pour la Timber Entreprise. Je vit ici avec ma femme, ma fille et mon petit fils de 10 ans. Je paye 5000 kyats de loyer à mon neveu, c’est vraiment pas cher, mais la vie dans le centre ville est cher. Avant je vivait à Ahlone, là-bas le coût de la vie été moins élevé. » Plus récemment un autre phénomène s’est développé, celui de la mise en location des extensions. Mae Thida, qui vit dans un des immeubles appartenant au Myanmar Economic Committee Company ( MEC ) à Pha Sa Pa La raconte :


MAE THIDA « tous les habitants ont le droit de construire des extensions dans l’enceinte du compound. Il n’y a pas de restriction quant au nombre d’extension ou à leurs dimensions et elle peuvent aussi bien être utilisées pour des activités domestiques qu’à des fins commerciales. Pour construire une extension chaque habitant doit consulter le leader de son immeuble. Dans chaque immeuble il y a un habitant qui est désigné par le MEC comme leader, c’est lui qu’il faut aller voir en cas de problème ou quand on veut faire des travaux par exemple. En général ils autorisent les extensions à condition que celles-ci soient construites dans des matériaux légers, facile à démonter et que les habitants en soient les seuls usagers. Il est interdit de les louer ou de les vendre à des personnes extérieurs, mais certains le font quand même. » Cette arrivée de personnes totalement extérieures est tolérée par les habitants, même si elle n’est pas toujours bien vue. Quand au gouvernement, il interdit cette pratique, mais depuis le déménagement de la capital à Naypyidaw en 2005 et la dissolution de la junte en 2011, le nombre d’effectif du gouvernement présent à Yangon a diminué, ainsi que la présence militaire et policière. Par conséquent la surveillance au sein des ensembles gouvernementaux s’est assouplie et certains habitants ont profité de l’occasion pour arrondir leurs fins de mois en mettant en locations des réduits construit au pied des tours d’habitations. Cherry,habitante de Pha Sa Pa La, qui tient un « lunch shop » situé devant l’enceinte de la gare centrale, raconte : CHERRY « J’ai déménagé à Pha Sa Pa La il y a 7 ans, avant j’habitais dans le Thein Phya railway staff quarter. Je suis partie parce que je voulais que ma fille ait une meilleure éducation, et parce qu’ici les conditions de vie sont bien meilleures. L’extension été déjà construite à notre arrivée, elle appartient à un habitant de l’immeuble juste derrière, qui vit au premier étage avec sa famille et son grand-père. Nous lui payons 100 000 kyats de loyer par mois, à Thein Phya je payais 60 000 kyats. La maison en face aussi lui appartient une autre famille la loue. Nous partageons cette petite cour, et on s’arrange entre nous pour son entretien. Quand il y a un problème ou des travaux à faire, c’est le propriétaire qui s’en occupe. Nous participons parfois aux réunions des habitants organisées par l’administration du compound, mais seulement à celle qui sont ouvertes à tout le monde, parce que certaines sont réservées aux locataires officiels. » Au sein du collectif de U Wisara, les mêmes cas de figure se retrouve, mais la location d’extension à des personnes extérieures prend exclusivement la forme de commerce. Dans certains cas des appartements sont même transformés en commerce tenus tantôt par des habitants résidant ailleurs voire par des tierces personnes. U Maung habitant de Lan Thit, tenant une clinique U Wisara raconte: U MAUNG « j’habite à Lan Thit, dans un de ces nouveaux immeubles de vingts étages avec des parkings et des bureaux au rez-de-chaussée. Je voulais ouvrir ma propre clinique mais là-bas les loyers sont trop élevés. Je dois déjà payer 3 lakhs ( 300 000 kyats ) par mois pendant trois ans pour mon logement. Je connais beaucoup d’habitants de U Wisara et j’ai des bonnes relations avec les membres du staff office, c’est ce qui m’a permis d’obtenir le droit d’ouvrir ma clinique ici, alors que je n’ai jamais vécu ici. J’ai payé 10 lakhs ( 1 000 000 de kyats ) pour pouvoir occuper cet appartement en rez-de-chaussée. » Quelques habitants vont plus loin et mettent en vente leurs logements de fonction. Ces appartements sont vendus pour des sommes pouvant atteindre les 100 millions de Kyats, alors que les loyers versés au gouvernement n’atteignent pas les 10 000 kyats. A Pha Sa Pa La les habitants des rez-de-chaussées payent 6000 kyats par mois tandis que ceux des étages payent 5500 kyats. A U Wisara le loyer est de 8500 kyats pour les appartement de plain-pied, 6500 kyats pour le 1er étage, 4500 kyats pour le 2 ème étage et 3500 kyats pour le 3 ème étage. C’est notamment ces prix incroyablement bas pour des logements situés à proximité du centre ville qui explique l’importante demande pour ce type de bien. Les Yangonites n’hésitent pas à courir le risque de les acquérir ou les louer illégalement. C’est ainsi qu’aujourd’hui 3500 des 3700 appartements du collectif de Yankin, initialement destinés aux officiers de la Tatmadaw, sont irrégulièrement occupés.


Cependant tout ces occupants illégaux s’exposent au danger d’être délogés à n’importe quel moment, car une loi instaurée en 1955 par le gouvernement, à des fins dissuasives, permet l’éviction de tous ceux qui occupent illégalement les logements appartement au gouvernement. Toutefois ces dix dernières années, suite à un manque de personnel et de budget, les visites auparavant régulières des housing inspection officers ont été suspendues, et depuis le nombre de vente et de sous location a explosés. A ce jour le gouvernement birman chercherait à agir et déloger les occupants illégaux, mais le processus s’annonce long et compliqué. Certains occupent des appartements depuis plus de cinquante ans maintenant et beaucoup de ces sous-locataires et « propriétaires » sont également des fonctionnaires. Au vue de cela la régularisation de leur situation est également une option que le gouvernement considère. Pour le moment aucune action n’a été mené, mais le gouvernement birman s’interroge sur l’avenir de ces ensembles. Si les Yangonites ont trouvés dans ces arrangements et ce marché parallèle voire frauduleux de l’immobilier une manière d’accéder à un logement, le gouvernement cherche lui aussi des solutions et l’une d’entre elles pourraient prendre la forme d’un upgrading des onze unités de logements de fonction que compte la ville. De ces onze ensembles, deux ont été construits entre 1988 et 2011 sous la deuxième junte militaire, les neuf autres ont plus de 50 ans. En tout on compte près de 16 000 logements de fonction mis à disposition des officiers de l’armée et des fonctionnaires de l’État, gérés par le Department of Urban and Housing Development, branche du ministère de la construction. L’État considère que les parcelles de ces collectifs sont sous-exploitées, et que ces derniers sont globalement en mauvais état. Effectivement n’ayant pour la plupart point bénéficié de travaux d’entretien depuis leur construction, ceux-ci commence à montrer quelques traces d’usure, mais rien qui ne compromettent la solidité des bâtiment. Le gouvernement propose tout de même leur destruction pour les remplacer pour des nouvelles constructions plus hautes voire plus nombreuses, afin d’atteindre des objectifs de rentabilité et de densité. Les collectifs de 51 street et de Link street, ainsi que deux immeubles du collectif de Lan Thit ont été démolis sous la deuxième junte. Ils ont été remplacés par des constructions plus hautes et une partie des appartements a servi à reloger les habitants des immeubles précédents. Le gouvernement actuel souhaite continuer sur cette même lancée et prévoit notamment pour Lan Thit de procéder de la même manière pour les neuf immeubles restants. Les habitants du collectif ne se disent pas opposés au projet mais ceux-ci craignent de ne pas être relogés et s’interrogent également sur leur devenir au cours de la période de construction. Des discussions entre les habitants, les membres du Department of Urban and Housing Development et les représentants des entreprises de construction ayant remporté l’appel d’offre, doivent fixer les termes de cette procédure. Dans le cas de Lan Thit les travaux tardent à débuter suite à un désaccord entre les parties concernées. Le DHSHD et la compagnie en charge des travaux proposent une somme de 600 000 kyats à chacun de 264 foyers pour couvrir les coûts de déménagement. Une somme de 5 400 000 kyats (300 000 kyats / mois ) leur permettant de payer un loyer pendant dix-huit mois, durée annoncées des travaux, leur a également été promise. Certains habitants s’inquiètent cependant de ne pas trouver de logement à ce prix dans le centre ville et craignent de devoir déménager trop loin de leur lieu de travail. Certains se demandent aussi ce qu’il adviendrait si la durée des travaux excédait les dix-huit mois, continueraient-ils à recevoir de quoi payer un loyer ailleurs? Finalement des question quant à la surface de leur nouveau logement et au loyer qu’il devront payer à l’avenir se posent aussi. La DHSHD a affirmé que les loyers resteraient inchangés, que les nouveaux appartements feraient sept cents pieds carrés soit cent de plus que les appartements actuels et que les habitants seraient relogés au même étage qu’ils occupent actuellement. Les immeubles de quatre étages du collectif de Lan Thit seraient remplacés par des immeubles d’au moins douze étages et les appartements des huit étages supplémentaires seraient repartis entre le gouvernement et l’entrepreneur et vendus au taux du marché. À ce jour le projet de Lan Thit est toujours en attente, et bien que des rumeurs annonçant l’imminence d’un upgrading de Pha Sa Pa La commencent à circuler, là aussi rien n’est certain. Au sein des habitants du collectif les opinions diffèrent, U Kyaw et Mae Thida se sont confiés sur la question :


U KYAW « J’ai entendu des rumeurs dans les teashops, des gens disent que Pha Sa Pa La va bientôt être détruit, et qu’à la place un groupe japonais va construire quatre ou cinq condominiums. Il parait que le projet va débuter en 2019. Les gens sont plutôt contents, ils veulent être relogés dans des « condos ». Si ils attribuent vraiment des appartements aux habitants actuels, j’aimerais pouvoir y vivre. » MAE THIDA « Oui, j’ai entendu dire que Pha Sa Pa La va être rasé. J’espère que ça ne se produira pas, parce qu’on ne nous relogera pas dans les nouveaux immeubles, on va devoir déménager à Naypyidaw. De toute façon je n’irais pas là-bas, il fait trop chaud et je n’y connais personne. Moi et mon mari on trouvera un appartement à louer à Yangon. » Ce qui peut être retenu c’est que l’idée d’un upgrading de leur collectif n’est pas toujours bien accueillie par les habitants, et quand bien même ces derniers sont d’accord en théorie, parvenir à un consensus quant au déroulement des événements s’avère difficile. On peut donc à ce jour douter de la viabilité de cette solution pour remédier à la pénurie de logement à petit prix dont souffre la ville. Alors le gouvernement birman et le YCDC considèrent d’autres options, comme la construction de nouveaux ensembles de logements de fonction et bon marché. La question qui se pose est comment construire des logements très abordables dans une ville où le prix du mètre carré est très élevé ? Les partenariat public-privé, auxquels a aujourd’hui recours le gouvernement ne semble pas être la solution la plus adéquate. À ce jour pour construire ces immeubles, l’État met à disposition des terrains et lance un appel d’offre. Ce sont les investisseurs privés qui se candidatent qui doivent financer les projets. Afin de ne pas souffrir de préjudice, ceux-ci fixent des prix qui leur permettent de rembourser celui des travaux voire de générer des profits. Il est donc difficile dans ces conditions de créer de l’habitat bon marché, soit selon le gouvernement des appartements dont les prix oscilleraient entre dix et vingt millions de kyats. Le gouvernement et les entrepreneurs cherchent aujourd’hui des moyens de réduire ces prix, notamment en construisant de plus en plus loin, à la périphérie, dans les township de Dagon Seikkan, Dagon South ou encore Hlaing Tharyar, où le prix de la terre est un peu moins élevé. Supprimer certaines commodités comme les ascenseurs est aussi une des options. Même en étant de plus en plus excentrés et en offrant de moins en moins de confort à leurs futurs occupants le prix des logements bon marché ne descend pas en dessous des sept millions de kyats. Or, une étude menée auprès des populations en besoin de ce type de logement montre que ces ceux-ci ne peuvent acheter des biens dont le prix excéderait les trois ou quatre millions de kyats. La mise en location des logements à bas prix est une des options qui pourrait permettre de débloquer la situation. L’État birman aurait notamment annoncé la construction d’un projet de cinq mille hectares comprenant des logements dont les loyers iraient de trente mille à cinquante mille kyats par mois. L’autre option pourrait être la vente à tempérament, dans ce cas les futurs propriétaires devraient dans un premier temps payer en une fois 30 à 40% du prix du logement, puis la somme restantes sous de forme de redevances mensuelles pendant 10 à 20 ans. Rassembler les 30 à 40% initiaux reste un obstacle insurmontable pour beaucoup de Yangonites, notamment ceux n’ayant pas d’emploi ou de salaire fixe. De plus les familles de classe moyenne, les jeunes professionnels et les étudiants, sans parler des “squatteurs”, peine à obtenir des prêts des banques birmanes. De ce fait cette solution n’en est une que pour un nombre restreint de foyer. Finalement certaines entreprises privées ont vu dans cette pénurie de logement bon marché une bonne opportunité de faire des affaires. C’est notamment le cas de le groupe immobilier birman KT Group, qui vient de signer un contrat avec la start-up philippine Revolution Pre-crafted. Ce contrat a pour but la commercialisation au Myanmar de maisons préfabriquées, dont le prix irait de douze mille à vingt mille dollars, soit seize à vingt-sept millions de kyats, pour des unités 23 à 36 mètres carrés. Non seulement les surfaces sont extrêmement réduites, plus petite que la baraque de squatteur standard même, dont l’aire moyenne est de 40 mètres carrés, mais au prix de la maison, déjà plus élevé que celui de certains appartement bon marché, va venir s’ajouter celui de l’achat d’un terrain. Encore une fois la viabilité de cette initiative dans le contexte birman pose question.


Toutes les options présentées par le gouvernement et les investisseurs privés à ce jour, pour loger les 300 000 nouveaux habitants que gagne Yangon par an, selon les chiffres diffusés par le Myanmar Times, buttent sur des obstacles de taille. Qu’il s’agisse de remplacer les collectifs existants, d’en construire de nouveaux, de vendre et de louer des appartements ou même d’avoir recours à la préfabrication, aucune de ces solutions ne permet de fournir à cette population aux moyens limités, les soixante-quinze mille logements à prix très abordables nécessaires pour loger tout ces nouveaux arrivant, chaque année. Pourtant il y a aujourd’hui à Yangon un nombre croissant d’immeuble vide ou à peine habitée, des constructions toutes neuves, qui ne trouvant point d’acquéreur ou de locataire tombent lentement en ruine avant même d’avoir servies. La question aujourd’hui à Yangon est donc bien plus complexe que de simplement réussir à produire soixante-quinze mille logements par an. Le plus important est de s’assurer que les logements produits soient réellement destinés et acquérables par les personnes qui en ont effectivement besoin. Soit les six cents mille squatteurs de Yangon, les familles de classe moyenne, et les jeunes. De plus il est également important de se demander comment réussir à loger tout ces nouveaux arrivant sans faire de Yangon une ville saturée, où chaque interstice est goudronnée et bâti, pour devenir toujours plus dense. Certains Yangonites regrettent déjà l’époque où Yangon était effectivement une ville verte et se sente suffoquer. La ville n’offre aujourd’hui que 0,37mètres carrés d’espaces public à chacun de ces habitants, tandis que dans d’autres grandes villes voisines comme Singapour ou Bangkok, ce chiffre est dix fois supérieur. Mae Thida qui a vu la ville se transformer ces quarante dernières années raconte : MAE THIDA « Vivre dans le centre ville est pratique pour se déplacer, mais ces trente dernières années, le nombre d’habitants, de voitures et la hauteur des bâtiments n’a cessé d’augmenter. J’ai l’impression que les rues ont rétréci et sont devenues moins vivable. Il fait plus chaud, il y a moins d’air. Je préférerais aller vivre dans une maison à la périphérie, c’est plus calme et plus vert là-bas. » Le YCDC affirme n’avoir non seulement supprimé aucune des quarante-trois aires de jeux créées sous les gouvernements précédents mais en avoir même ouvert cinquante nouvelles, en plus d’avoir facilité l’accès au cinquante-huit parcs que comptent les trente-trois townships de Yangon. Toutefois les habitants ressentent un manque de nature au sein de la ville. Certains affirme même que des jardins dans leur quartier auraient récemment été transformés en Parking vertical ou immeuble de bureaux. Certains habitants déplorent également la rareté des espaces en plein air réservés aux loisirs, et affirment que le seul moyen de se divertir est aujourd’hui d’aller au centre commercial et que pour « prendre l’air » il faut sortir de la ville. Dans un tel contexte on comprend mieux la popularité du zoo de Yangon, qui sert de parc à des habitants en manque d’espace vert, qui ne prêtent finalement que peu d’attention aux lions qui tournent en rond dans leurs cages étroites. On se rend également compte de la chance qu’on aujourd’hui les habitants de collectifs comme celui de Pha Sa Pa La ou de U Wisara qui ont à leur disposition des grands espaces jardinés, partagés ou privés. Cette végétation abondante leur permet pendant la saison des pluies de ne pas être inondés parce que le sol est perméable et pendant la saison chaude de trouver ombre et fraicheur sous le feuillage des arbres. Aux marges de la ville, chaque nouvelle opération de logement vient grignoter l’étendue des terres cultivables, sous prétexte que la populations croît et qu’il faut bien la loger. Cependant il faut également nourrir cette population croissante et faire venir les victuailles de toujours plus loin, c’est aussi polluer plus et payer plus cher. Tandis qu’aujourd’hui à Yangon parcs, jardins, villas, collectifs de logements de fonction et terres agricoles disparaissent peu à peu l’intégrité des parcelles appartement à l’armée birmane, quand bien même celles-ci seraient presque vacantes, n’est jamais menacée.


Récemment le bâtiment qui abritait le musée des armées a été détruit, suite à la construction de ces nouveaux locaux à Naypyidaw. Le terrain laissé vacant aurait été vendu par l’armée à des investisseurs privés souhaitant y construire des « condominiums ». On peut alors se demander si ces terrains particulièrement vastes et bien situés, privatisés par l’armée pendant la dictature, ne pourraient pas aujourd’hui, dans une nouvelle ère démocratique, être rendus à la ville et ces habitants.

Ces parcelles ne pourraient-elles pas accueillir des projets qui profiteraient à un plus grand nombre de personnes, et notamment à ceux dans le besoin d’un logement, plutôt que de servir à des projets qui gonfleraient davantage la bulle spéculative ? C’est sur cette question, et à la lumière de tout ce que nous savons aujourd’hui sur l’histoire urbaine de la ville de Yangon et du secteur de Dagon, que s’ouvre la réflexion qui nous mènera à une proposition de projet.


G G V CONDOMINIUM, NEUF ET A L’ABANDON - F E V R I E R 2 0 1 8


P O S T V E R S

L U D E L E

P R O J E T


Prendre du recul dans l’espace et dans le temps, nous a permis de choisir la position que nous défendrons dans notre démarche de projet. Une partie de la réponse se trouve dans le titre que nous avons choisi pour designer notre travail de terrain, de recherche, mais aussi de réflexion, Dagon Town-shift . Dans un premier temps le mot shift revêt le sens de changement, parce qu’en nous interrogeant sur l’histoire de ce quartier on a pu constater que celui-ci a effectivement connu différentes phases et de nombreuses transformations. Celles-ci ont permis le passage d’une ville fortifiée du Royaume Birman, au patchwork actuel ou se mélange villas de l’époque coloniale, collectifs de logements de fonction, « compounds » religieux, installations militaires, équipement public et « condominiums » de luxe. Par ailleurs le mot shift signifie également déphasage ou décalage. Il résume donc ce que l’on a pu constater en arpentant ce site, et notamment sa partie sud. Il y a effectivement un décalage, entre la manière dont ont évolué les parcelles privées des villas coloniales et les parcelles publiques des collectifs gouvernementaux. À ce jour ces parcelles privées sont déjà passées par cinq étapes, qui ont occasionnées le passage d’un habitat individuel dans un contexte arborée, à un habitat vertical hautement concentré. La première étape est celle de la construction de la villa, la suivante survient après l’indépendance, avec l’adaptation de cet habitat au besoin de ces nouveaux occupants. La troisième étape débute avec une première phase de densification avec l’accroissement du nombre d’occupant puis l’apparition d’extensions. La quatrième étape est marqué par la destruction de la villa, parfois précédés d’une mise en vente du terrain. Finalement la cinquième étape prend la forme d’une deuxième phase de densification avec l’apparition de constructions verticales et resserrées. Les parcelles des collectifs sont aujourd’hui aux troisième stade de ce processus, mais il se pourrait qu’elles complètent rapidement cette trajectoire, si les projets de « upgrading » proposés par le gouvernement venaient à se réaliser. Cette possibilité nous fait craindre que tout comme pour les villas, on aboutisse à des parcelles excessivement dense contribuant à la création d’une ville saturée.

Ce scenario est-il inévitable ? Dans une ville qui manque de logements bon marché, qui commence à manquer de nature, et qui devient de moins en moins accessible aux birmans à revenu moyen, voire bas ou sporadique, doit-on appuyer des projets qui viseraient à détruire des entités urbaines comme U Wisara ou Pha Sa Pa La ? Nous pensons que des scénarios alternatifs où ces ensembles de logements seraient non seulement conservés mais également réhabilités et pourraient même en inspirer de nouveaux sont envisageables. Notre travail consistera à en proposer un et à donner notre propre vision de ce que pourrait être le Town-shift, le mot shift, nous renvoyant alors à un tournant, une réorientation. Ce nouveau scenario se compose aujourd’hui de quatre actes majeures, concernant autant de lieux de notre secteur, le collectif de Pha Sa Pa la, la parcelle de l’ancien musée des armées à présent démoli, le Myoma Ground et le zoo de Yangon. Pour ce qui est de Pha Sa Pa La, il nous semble que malgré quelque signes de l’âge, ces ensembles offrent un cadre de vie avec de réelles qualités à leurs habitants. Déjà par une générosité des espaces autours des bâtiments qui permettent l’apparition de jardins, d’extensions, de petits commerces, de garages et de structures permettant une vie communautaire. De plus l’architecture assez simple et générique des bâtiments, ainsi que des surfaces de logement minimal n’empêche pas une certaine flexibilité. Cela apparait assez clairement sur les façades et au niveau des rez-de-chaussée des immeubles. Il est évident que certains aspects de la vie dans ces collectifs sont moins reluisants. La taille des salles de bain, l’accès à l’eau ou le statut et l’état des arrières-cours des bâtiments par exemple, pose question.À cela s’ajoute le fait que certains aspects n’ont tout simplement pas été pris en compte au moment de la construction, comme celui de la récupération des eaux de pluie. Nous n’y voyons cependant pas des raisons suffisantes pour condamner ces bâtiments. D’autant plus que démolir a un coût, et cette somme pourrait être utilisée pour construire et créer des choses nouvelles ailleurs ou pour entretenir et améliorer l’existant.


Nous proposons donc nous aussi d ‘ « upgrader » ces collectifs, mais en respectant le sens réel de ce mot, qui est celui de mettre à niveau et valoriser, ainsi que l’essence de ces lieux, en gardant l’esprit de la cité jardin, et tout les ajustements que les habitants ont apportés à ce modèle importé pour le rendre plus adapté à leur propre mode vie. La finalité de cette initiative est d’une part de garantir que la spéculation immobilière ne finissent pas de déloger du centre ville ceux dont les moyens financiers sont limités. D’autre part de faire en sorte que l’architecture anonyme qui a proliféré en toutes parts du globe ces vingt dernières années ne viennent pas se substituer à l’architecture déjà générique mais encore un peu située des années soixante à quatre-vingts. Par ailleurs nous pensons également qu’il est temps que le tournant politique que commence à prendre le Myanmar, délaissant petit à petit des années de dictature militaire au profit de la démocratie, se ressente aussi dans la ville. Nous proposons donc de construire sur la parcelle à présent vacante, suite à la démolition du musée des armées, un nouveau collectif de logement, destinés à loger avant tout ceux qui aujourd’hui sont contraint à squatter, mais aussi les jeunes étudiants birmans, les couples récemment mariées ou les familles de classe moyenne. Notre réflexion se portera notamment sur comment developper de nouvelles typologies de logement, de nouveaux schémas de financement et de manières innovantes de construire, qui ensemble nous permettraient de produire du logement de qualité, qui rentreraient dans le budget de la population que l’on vise, et répondraient à leurs besoins. C’est donc un projet assez symbolique, de transformation d’une parcelle militaire, extrêmement bien située dans la ville et donc couteuse et presque prédestinée à se transformer en condominium ou centre commercial, en un projet véritablement populaire. Pour rester dans cette même lancée, nous pensons que le moment est propice pour revenir sur certaines initiatives urbaines menées par la junte après les événements de1988 et notamment de rendre aux Yagonites des espaces publics et des lieux de rassemblement dont ils ont depuis été privés. Faire de nouveaux et officiellement du Myoma ground un espace de rencontres, dédié aux sports et aux loisirs, ainsi qu’un lieu de manifestations culturelles comme politiques, fait partie de notre stratégie générale d’intervention sur le site. Finalement lutter contre l’amenuisement des espaces naturelle voir veiller à leur multiplication fait également parti des idées que nous défendront. D’une part en préservant la nature déjà abondante de Pha Sa Pa La, d’autre part en n’étant point avare en espace plantée dans notre projet d’habitat et finalement en transformant le zoo de Yangon en ce vers quoi il tend déjà, un parc. Mais un parc où Yangonites et animaux domestiques et d’élevage pourront circuler librement. Pendant les mois à venir nous nous concentrerons sur la mise au point du projet de logements collectifs abordables sur l’ancienne parcelle du musée des armées. Nous nous efforcerons de fournir également quelques éléments sur la direction qu’une réhabilitation de Pha Sa Pa La pourrait prendre, en travaillant sur un échantillon de ce vaste ensemble.


SECTEUR 2 : DAGON - 2 0 1 8

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S I T O

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G R A P H I E

Authorities mull renting out low-cost housing TIN YADANAR HTUN 29 JUIN 2015 – Myanmar Times https://www.mmtimes.com/business/property-news/15252-authorities-mull-renting-out-low-cost-housing.html Eight years needed to build Yangon railway station project THOMPSON CHAU 21 FEV 2018 – Myanmar Times https://www.mmtimes.com/news/eight-years-needed-build-yangon-railway-station-project.html Draft YCDC Law to drive Yangon growth submitted in Parliament AYE NYEIN WIN and YEE YWAL MYINT 08 FEV 2018 – Myanmar Times https://www.mmtimes.com/news/draft-ycdc-law-drive-yangon-growth-submitted-parliament.html Construction ministry tenders for state-housing upgrade ZAY YAR LIN 27 SEPT 2016- Myanmar Times https://www.mmtimes.com/business/property-news/22752-construction-ministry-tenders-for-state-housing-upgrade.html Govt signals crackdown on unauthorised occupants of state-owned apartments ZAY YAR LIN 15 MAR 2016- Myanmar Times https://www.mmtimes.com/national-news/yangon/19466-govt-signals-crackdown-on-unauthorised-occupants-of-state-owned-apartments.html Old sites could answer low-cost question HTAR HTAR KHIN 03 SEPT 2012 – Myanmar Times https://www.mmtimes.com/business/property-news/1344-old-sites-could-answer-low-cost-question.html Tenants claim discrimination HTAR HTAR KHIN 08 AVR 2013 – Myanmar Times https://www.mmtimes.com/business/property-news/6424-govt-housing-tenants-claim-discrimination.html Public space dwindles in Yangon KYAW PHONE KYAW 27 MAI 2015- Myanmar Times https://www.mmtimes.com/national-news/yangon/14683-public-space-dwindles-in-yangon.html Low Cost Housing—Equitable and Transparent Policies SAN SHWE AUNG 13 SEPT 2016 - The Global New Light of Myanmar http://www.globalnewlightofmyanmar.com/low-cost-housing-equitable-and-transparent-policies/ Terres confisquées sous la junte et sous le gouvernement de Thein Sein 18 JUIL 2013 - selon le rapport du New Light of Myanmar http://www.info-birmanie.org/les-militaires-birmans-ne-rendront-quune-infime-partie-des-terres-confisquees-sous-la-dictature-et-continuent-daccaparer-des-terres/ KT Group inks deal with Philippines startup to sell prefab homes 16 MAR 2018 – Frontier Myanmar https://frontiermyanmar.net/en/kt-group-inks-deal-with-philippines-startup-to-sell-prefab-homes Socialist-era public housing in Yankin in line for an upgrade ZAY YAR LIN 19 OCT 2016- Myanmar Times https://www.mmtimes.com/business/property-news/23177-socialist-era-public-housing-in-yankin-in-line-for-an-upgrade.html


Ministry plans tender to renovate state housing ZAY YAR LIN and TIN YADANAR HTUN 31 AOU 2016- Myanmar Times https://www.mmtimes.com/business/property-news/22229-ministry-plans-tender-to-renovate-state-housing.html Public housing residents push for work ahead of rainy season NOE NOE AUNG and TIN YADANAR HTUN 11 MAY 2014 - Myanmar Times https://www.mmtimes.com/business/property-news/10297-public-housing-residents-push-for-work-ahead-of-rainy-season.html Yangon’s squatters living on borrowed time NOE NOE AUNG 14 JUIL 2015 - Frontier Myanmar https://frontiermyanmar.net/en/features/yangons-squatters-living-borrowed-time In Yangon’s outskirts, life at the margins GEOFFREY GODDARD and MRATT KYAW THU 24 SEPT 2015 – Frontier Myanmar https://frontiermyanmar.net/en/features/yangons-outskirts-life-margins The lost dream of affordable housing 04 AVR 2016 - Frontier Myanmar https://frontiermyanmar.net/en/the-lost-dream-affordable-housing Falling into the debt trap on the Yangon fringes SU MYAT MON and OLIVER SLOW 16 JAN 2017 - Frontier Myanmar https://frontiermyanmar.net/en/falling-into-the-debt-trap-on-the-yangon-fringes For Yangon’s squatters, a better life still out of reach HEIN KO SOE 26 SEPT 2017 - Frontier Myanmar https://frontiermyanmar.net/en/for-yangons-squatters-a-better-life-still-out-of-reach Huge government housing project hits turbulence in Dagon Seikkan SU MYAT MON 27 OCT 2017 - Frontier Myanmar https://frontiermyanmar.net/en/huge-government-housing-project-hits-turbulence-in-dagon-seikkan Transparency lacking in massive civil servant housing project 31 OCT 2017- Frontier Myanmar https://frontiermyanmar.net/en/transparency-lacking-massive-civil-servant-housing-project 2 mars 1962, Renversement du gouvernement de U Nu en Birmanie (Myanmar) Perspective monde http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=654 COUP D’ÉTAT DE 1962,Coup d’État et arrivée de la junte militaire au pouvoir http://redtac.org/birmanie/?page_id=311 Sur la route de Mandalay MYA THAN TINT AVRIL 1999 P-209-211 https://books.google.fr/books?id=fofax3MzpdgC&pg=PA210&lpg=PA210&dq=RANGOUN+U+WISARA&source=bl&ots=hQKoyUCj5a&sig=hP5DjLfGl3Le80s69R_ibMRnniM&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiZ9YXN0unZAhXIaRQKHWJZA-4Q6AEIVTAG#v=onepage&q=RANGOUN%20U%20WISARA&f=false Entretiens réalisés entre le 12 et le 23 février 2018. Propos recueillis avec l’aide de HSU LAI YEE et THIRI KHIN ZAW.


U WISARA - F E V R I E R 2 0 1 8

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