L’
I M M E U C O L O N L U A N D O
B I A
L A I
E L S
U
L’ [IN]ÉVITABLE DÉCLIN D’UN TYPE ARCHITECTURAL
LA FABRIQUE SPATIALE ET CULTURELLE DES TERRITOIRES DURABLE II ENSEIGNANTS : C. PEDELAHORE J. JAUPITRE V. LAGUIA ROMANA NANGA
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L’ [IN]ÉVITABLE DÉCLIN D’UN TYPE ARCHITECTURAL
LA FABRIQUE SPATIALE ET CULTURELLE DES TERRITOIRES DURABLE II ENSEIGNANTS : C. PEDELAHORE J. JAUPITRE V. LAGUIA ROMANA NANGA
H A B I T A T V E R T I C A L C O L O N I A L M O D E R N E T R O P I C A L
- TABLE -
AVANT - PROPOS INTRODUCTION
01 L’IMMEUBLE COLONIAL LUANDAIS, VERS L’EXTINCTION D’UN TYPE ARCHITECTURAL ? -
Un déclin anticipé ? A - LA VILLE EN LAMBEAUX : les causes de la ruine prématurée des immeubles coloniaux à Luanda a - un constat sans appel : l’immeuble colonial gangrené par l’ insalubrité et l’insécurité b - dégradation (in)volontaire du bien commun : l’immeuble colonial et les effets de l’usure due aux usages c - une politique urbaine défaillante : l’immeuble colonial ou le reflet de soixante-dix ans de manque d’entretien B - L’EFFET DOMINO : ou comment le prédio de la DNIC entraina dans sa chute l’immeuble colonial moderne et tropical a - le catalyseur: L’effondrement de l’immeuble de la DNIC b - réaction de chaine : L’immeuble colonial sous les coups des bulldozers c - l’immeuble colonial dans le collimateur de l’État : le cas des prédios de São Paulo C - L’ ÉCHELLE DES VALEURS MATÉRIELLES : à qui profite le déclin de l’immeuble colonial ? a - quand la valeur foncière prévaut sur la valeur architecturale : raser la ville coloniale pour stimuler la spéculation immobilière b - quand la valeur foncière prévaut sur la valeur sociale : raser la ville coloniale pour « gentrifier » le centre ville c - quand la valeur foncière prévaut sur la valeur historique : raser la ville coloniale pour fabriquer la Luanda de demain
02 L’IMMEUBLE COLONIAL LUANDAIS OU LE STIGMATE ARCHITECTURAL -
que représente la perspective d’une Luanda délestée de son héritage colonial bâti, pour un pays encore en quête d’identité et d’affirmation ? A - LE PARADOXE DU MODERNISME COLONIAL : l’immeuble colonial, les origines polémiques d’un type architectural a - construire pour mieux régner : Bâtir la Luanda moderne pour asseoir le pouvoir colonial b - liberté de forme sans liberté de fond : une architecture émancipée dans une Luanda occupée c - de l’universalisme à la ségrégation : les deux visages de la Luanda coloniale et moderne B - LA FABRIQUE DES VILLES « GÉNÉRIQUES » : quel successeur pour l’immeuble colonial ? a - la double négation : le syndrome post-traumatique de la Luanda post-coloniale b - l’impossible retour à la « case » départ : vers une nouvelle architecture Luandaise ? c - le mimétisme architectural : De la Luanda moderne à la contemporaine, une ville en perte de « caractère »
03 L’IMMEUBLE COLONIAL LUANDAIS, NATURALISATION D’UN MODÈLE IMPORTÉ -
Qu’est ce que l’immeuble colonial luandais a d’angolais ? A - LE MODERNISME MÉTISSÉ : l’immeuble colonial Luandais, genèse d’un hybride a - le climat, catalyseur d’innovation : le vent et la lumière dans les immeubles coloniaux à Luanda b - de nouvelles typologies pour de nouveaux mode de vie : habiter à l’air libre, la vie dans les immeubles coloniaux à Luanda c - l’ esthétique tropicale ou le syncrétisme culturel: la forme et la couleur dans les immeubles coloniaux à Luanda B - LA DOUBLE ADAPTATION : l’immeuble colonial investi par les Luandais a - habiter l’immeuble colonial, s’adapter au lieu : mêmes espaces pour de nouveaux usagers b - habiter l’immeuble colonial, adapter le lieu : mêmes espaces pour de nouveaux usages c - adoption d’un modèle : l’immeuble coloniale Moderne et tropical et ses defenseurs
CONCLUSION
ANNEXE - bibliographie - lexique et abréviations - figure 1: l’Angola en Afrique (carte) - figure 2: la province de Luanda en Angola (carte) - figure 3: les divisions administratives de la province de Luanda (carte) - figure 4: les divisions administratives du «município» de Luanda (carte) - figure 5: De la province de Luanda au centre ville de Luanda (organigramme) - figure 6: Maianga et Ingombotas, le centre ville de Luanda (image satellite) - figure 7: échantillons de tissu urbain (images satellites et photographies )
- AVANT-PROPOS -
1988, au 35 rue Amilcar Cabral un jeune couple d’Angolais, récemment marié, vient de s’installer. Ils sont les nouveaux occupants de l’appartement 5F, le dernier sur la droite, tout au bout de la coursive, quand on arrive par l’escalier principal. Sinon, c’est le dernier sur la gauche pour ceux qui montent par l’escalier de secours, mais rare sont ceux qui s’aventure à emprunter cette cage ouverte, protégée par de frêles garde-corps métalliques, dont les volées de béton armé, comprises entre deux vides, grimpent vers le ciel pour aller chercher le dernier étage. Ces deux escaliers qui se font face sont souvent le seul moyen d’atteindre les sept étages que compte le bâtiment, les deux ascenseurs étant le plus souvent en panne ou hors d’usage en raison des fréquentes coupures de courant, qui plonge la ville dans le noir, pendant des heures qui s’étirent souvent en jours, qui deviennent parfois des semaines. Au départ on accédait librement depuis le palier aux coursives qui desservaient les appartements situés de part et d’autre du noyau de circulation, mais dans la Luanda de la fin des années quatre-vingts, jeune capitale d’un pays fraichement libéré du joug des colons portugais, les tentions politiques rendent la société anxieuse et méfiante. Alors au 35 rue Amilcar Cabral, comme dans la plupart des immeubles de la ville, les coursives se ferment progressivement. Un portail métallique, plus ou moins opaque vient créer une frontière physique entre le palier et les coursives. Ce qui était auparavant un espace commun généreux, s’étendant du porche de l’immeuble jusqu’à la porte de chaque appartement, se retrouve à présent fractionné. À une circulation verticale commune viennent s’accrocher des portions de circulation horizontale privatisées par des groupuscules d’appartements. 1990, au 35 rue Amilcar Cabral, un drame vient de se produire. Au sixième étage de jeunes enfants jouaient sur la coursive, quand aux rires et à l’insouciance se sont substitués les pleurs et le désespoir des parents de la petite fille qui vient de basculer dans le vide, fatalement. Suite à cet épisode tragique, c’est d’un commun accord que des parents soucieux de la sécurité de leurs enfants, feront poser des grillages, fermant ainsi davantage ces coursives jadis tournée vers l’extérieur. Pendant quelques temps désertés, ces espaces vont petit à petit reprendre vie, avec le retour des enfants courant d’un bout à l’autre, jouant au ballon, ou apprenant à faire du vélo, sous l’oeil protecteur de leurs parents. Octobre 1992, la peur paralyse la ville de Luanda, le résultat des élections aurait été truqué et la UNITA conteste la victoire du MPLA, parti au pouvoir depuis l’indépendance du pays, un conflit violent entre les deux opposants politique éclate. Au 35 rue Amilcar Cabral, comme partout ailleurs, chacun s’est réfugié chez soi, sortir dans les rues est bien trop dangereux. On reste groupé, on parle bas et on se méfie des voisins. Soudain le silence est rompu par le bruits des balles qui tentent de transpercer la façade, l’immeuble est pris d’assaut car un membre en fuite du parti contestataire s’y serait réfugié. Dans l’appartement 5F, on est encore sous le choc, un drame vient d’être évité de peu. Une balle a atterri dans le berceau du nourrisson qui par chance se trouvait dans les bras de sa mère. Décembre 1992, toutes les portes sont fermées et les rideaux sont tirés, l’appartement 5F s’est mis en veille , en attendant le retour de ses occupants, partis tant qu’ils le pouvaient encore, pour ne pas être pris au piège dans un pays en guerre. 1994, un semblant de paix règne sur la capitale, mais dans les provinces les conflits perdurent. Au 35 rue Amilcar Cabral, notre jeune couple et leurs enfants sont de retour. Les adultes sont soucieux, sous tension, car la situation du pays est loin d’être stable. Les enfants eux, préservés par leur innocence, ne tardent pas à regagner leur terrain de jeux favori, la coursive, et les échos de leurs éclats de rire se propagent dans l’immeuble et apportent dans ce contexte difficile une touche de légèreté salutaire. 1995, La guerre civile est devenue le fond sonore des habitants de la capitale, présente mais suffisamment discrète pour qu’on puisse en faire abstraction. Toutefois les Luandais continuent à vivre dans la crainte d’une reprise des hostilités dans la ville, qui pour le moment est acquise au MPLA et hautement militarisée pour garantir que cet état des choses perdure. Alors chez soi on se prépare comme on peut à un lendemain qui pourrait être pire qu’hier. Les boîtes de conserves s’entassent dans les celliers car on ne sait jamais et une mallette contenant ce qui semble essentiel à emporter en cas de départ précipité est toujours prête. Les grilles et les portails se multiplient, car ils rassurent ceux qui se cachent derrière. Au 35 rue Amilcar Cabral, les habitants de l’appartement 5F, situé en fond de coursive, font ériger un deuxième portail privatisant ainsi leur portion de coursive. L’ époque de la libre circulation est définitivement révolue au sein des immeubles du centre ville de Luanda. 1997, l’accord de paix se fait toujours attendre, mais dans les foyers le cour que prend la vie se rapproche lentement de la « normalité », et on envisage enfin de se lancer dans des projets mis en attente depuis 5 ans. Au 35 rue Amilcar Cabral, dans l’appartement 5F l’heure est aux grands travaux.
Dans un premier temps on referme les deux balcons sur lesquels donnent les chambres, l’un deviendra un dressing et l’autre permettra de créer une troisième chambre. Ensuite on vient annexer une partie de la coursive, pour agrandir le salon et y aménager un coin salle à manger. Puis on modernise la cuisine tout en y ajoutant un coin repas et la salle de bain a elle aussi droit à une mise en beauté. On termine le tout par une couche de peinture fraiche, et obtient un foyer plus adéquat pour une famille de cinq personnes. 1999, les enfants de notre jeune couple ont grandis et ceux des voisins aussi, plus personne ne court sur la coursive, mais elle n’est pas déserte pour autant. Certains y posent des plantes, d’autres une chaise ou des cordes à linges et des activités domestiques en tout genre trouvent leur place dans cette extension du logement. Pour les habitants de l’appartement 5F, c’est là que tous les jours entre dix heures et treize heures, Dona Maria, la femme de ménage lave le linge dans de grandes bassines, assise sur un tabouret en bois. Quand elle a fini sa fastidieuse besogne, elle ouvre la fenêtre aménagée dans le grillage, qui permet d’accéder aux trois cordes à linges et étend les vêtements qu’elle laisse sécher aux vents. 2001, L’Angola est en pleine croissance économique, c’est sur les barils de pétrole qui sont extraits tous les jours dans les plateformes « off-shore » au large du pays, que cette croissance repose. Les salaires augmentent, le niveau de vie s’améliore pour une fraction de la population, que l’on pourrait qualifier de « classe moyenne supérieure ». Au 35 rua Amilcar Cabral, on troque les vieux meubles venus de Russie, par du mobilier dans l’ère du temps importé du Portugal,comme pour fêter l’entrée dans le nouveau millénaire. 4 avril 2002, José Eduardo Dos Santos, le président de la République et Paolo Lukamba, secrétaire général de l’UNITA, signe le tant attendu accord de paix, qui vient mettre officiellement fin à vingt-sept ans de guerre de civil, ayant coûté la vie à près d’un million de personnes. C’est une nouvelle phase pour le pays et pour les habitants de l’appartement 5F aussi. Il y a quelques mois la famille s’est à nouveau agrandie et l’appartement semble depuis avoir rétrécit. La famille s’est décidée à déménager vers la maison qu’ils se sont fait construire dans l’un de ces nouveaux quartiers à quelques kilomètres et plusieurs heures d’embouteillage du centre ville. Il n’est cependant pas question pour eux de se défaire de l’appartement qui a été leur foyer pendant quatorze ans et qui de plus est idéalement situé au cœur de la capitale. Après le départ de ces propriétaires, quelques travaux de remise en état viennent effacer les traces que peuvent laisser plus d’une décennie de vie domestique. L’appartement 5F est enfin prêt pour accueillir ces futurs locataires. 2014, la chute des cours du pétrole plonge dans une crise économique ce pays qui a joui d’à peine quelques années d’une prospérité et d’une croissance qui n’ont profité qu’ à une infime portion de la population. Toutefois l’effondrement de l’économie n’a pas empêché les propriétaires de l’appartement 5F de monter de nouveaux projets. Après le changement d’usagers arrive le temps du changement d’usage. Des cloisons tombent, d’autres s’érigent, pour transformer cet espace domestique en bureaux, qui accueilleront l’entreprise familiale. Un nouveau chapitre de l’histoire de cet appartement niché au cinquième étage d’un des immeubles coloniaux du centre ville de la capitale angolaise, s’apprête a être écrit.
Ce mémoire débute par ce récit pour rappeler qu’au delà d’un solide assemblage de poteaux et de dalles, ces immeubles sont les témoignages silencieux de plus soixante-dix ans d’Histoire et d’histoires. Ils renferment dans leur murs les traces des bouleversements majeurs qu’a connus la ville de Luanda et plus vastement l’Angola depuis 1940, ainsi que des fragments de la vie de ceux qui les ont occupés au fil des ans. Ils incarnent d’ailleurs l’un de ces grands changements et sont des vestiges de l’époque coloniale, un chapitre de l’histoire angolaise qui s’étend sur quatre siècles. Aujourd’hui ils font parti du quotidien de tout ceux qui habitent la ville ainsi que de l’image, de l’esthétique et de l’identité de cette dernière. C’est donc presque inévitablement qu’un lien affectif relie à présent les Luandais à ces structures qui ne leur été pas destinées, mais dont ils ont hérité et dans lesquelles ils ont su développer leur propres mode de vie. Quoique cette dimension affective et subjective ne sera pas au centre de la réflexion menée dans ce mémoire, elle constitue toutefois une raison suffisante de s’intéresser à cet habitat, vertical, colonial, Moderne, tropical, et de nous interroger sur son avenir en nous posant la question suivante :
QUID DES
IMMEUBLES COLONIAUX DANS UNE
LUANDA EN TRANSITION ?
- INTRODUCTION -
Latitude 8°50 ’12’’ Sud, longitude 13°14’03’’ Est, Luanda. Dès le treizième siècle Lu-ndandu, petit village de pêcheurs dans le Royaume Kongo, puis baptisée São Paulo da Assunção de Loanda en 1575 et capitale administrative de la colonie portugaise de l’ Angola à partir de 1627, elle est aujourd’hui Luanda capitale d’une jeune République proclamée il y a tout juste quarante-trois ans. Tournée vers l’océan Atlantique, cette rade naturelle, à la configuration géographique idéale, la prédisposant à assumer une fonction portuaire et jouer un rôle de plateforme d’échange, a été au fil des quatre décennies écoulées depuis l’indépendance du pays, en constante transition et expansion. De capitale d’un territoire colonisé à celle d’une nation souveraine. De siège d’un régime autoritaire, voir totalitaire à celui d’une démocratie qui doit encore convaincre. De ville socialiste ayant connu les files devant les magasins d’État où venait se ravitailler la population, à ville la plus cher du monde pour les expatriés, devant Tokyo, Oslo ou Hong Kong de 2013 à 2015 et en 2017, selon les études réalisées par l’agence Mercer se basant sur plus de deux cents critères, tels que le logement, le transport ou l’alimentation. De ville concentrant près de 30% de la population d’un pays dit du « tiers-monde », sortant de vingt-sept ans de guerre civile à pôle principal de développement d’un pays « nouveau-riche » en pétrodollars. De ville ayant connu l’euphorie des années de boom économique, marquée par l’arrivée des multinationales occidentales puis asiatiques, à scenario d’une crise économique inquiétante plongeant le pays, dont la situation financière ne cesse de se dégrader, dans une période de récession. Luanda, ville à l’histoire riche en rebondissement a depuis plus de quatre cents ans été le théâtre et le point de départ de tous les grands changements et bouleversements qu’a connus le pays. Par conséquent, elles est de toutes les villes d’ Angola celle dont l’évolution morphologique au cours du temps est la plus remarquable, avec notamment un accroissement important de sont territoire ces soixante-dix dernières années. Expansion qui se traduit également par l’apparition de nouvelles formes urbaines et types architecturaux. Cette ville en pleine mutation et croissance et aussi particulièrement marquée par la disparité, tant sur le plan spatiale que sociale. Son tissu urbain d’une grande hétérogénéité, conséquence d’un développement souvent spontané et d’une planification par fragments dénuée de vision d’ensemble, est à l’image d’une société elle aussi disparate, où le fossé entre plus démunis et plus aisés ne cesse de se creuser, exacerbant les inégalités économiques. Il en résulte une ville aux multiples facettes, qui viennent s’imbriquer et se superposer, créant un « patchwork » urbain des plus hétéroclites, où se côtoient différentes formes d’urbanisation, constituant des zones plus ou moins définies dans la ville. Premièrement il y a la ville basse, dite « Baixa » par opposition à la « Cidade Alta » que l’on peut traduire par ville haute. Cette partie de la ville s’étend de la baie aux eaux tranquilles de Luanda, que protège un cordon littoral, jusqu’au pied du plateau où s’étend la Cidade Alta, ville basse et haute étant séparées par un escarpement brutal et une dizaine de mètres de dénivelé. C’est entre le port de la ville, officiellement en activité depuis 1864 et la forteresse Saint-Michel édifiée en 1576 par Paulo Dias de Novais, a qui on attribue la fondation de la ville de Luanda, que se développe la Baixa de Luanda, où se concentrait déjà à l’époque coloniale et encore aujourd’hui l’essentiel des activités. Un mélange de bâtiments administratifs, de sièges sociaux d’entreprises et de petits et grands commerces en tout genre y sont regroupés.
Cette concentration de l’activité en font incontestablement le Central Business District de agglomération et de ce fait le point de convergence de l’essentiel des flux, notamment du trafic automobile, dans un ville où la voiture est le moyen privilégié de déplacement. En couplant cette donnée au faite que la Baixa est aujourd’hui un centre de plus en plus excentré, notamment par rapport aux nouveaux quartiers, c’est sans surprise que l’on constate que tous les chemins qui mènent à elle sont quotidiennement congestionnés. D’interminables embouteillages rendent difficile l’accès au quartier des affaires quelle que soit l’heure de la journée, la situation atteignant un niveau critique aux heures de pointe avec le bal des employés faisant la navette entre leur lieu de travail et leur domicile. Dans cette partie de la ville on compte encore aujourd’hui un grand nombre d’édifices coloniaux de nature diverse. On y trouve des typiques maisons populaires portugaises, reconnaissables à leurs lignes épurées, leurs façades dénuées d’ornement et leurs proportions harmonieuses. Ces construction dans le estilo chão português ou plain architecture en anglais, terme crée par le théoricien états-unien George Kubler, se caractérisent par un retour à une simplicité pouvant s’apparenter à de l’austérité, l’objectif étant de rompre avec les excès du baroque et du maniérisme portugais et de se rapprocher d’une architecture vernaculaire. La majorité de ces constructions datent du dix-neuvième siècle, époque à laquelle la ville coloniale a connue une première période de densification et de modernisation, avec l’arrivée du chemin de fer, la mise au point d’un système de distribution de l’eau, l’installation du télégraphe et du téléphone. On croise également en déambulant dans Baixa quelques beaux exemples de casas nobres portuguesas (1). Ces bâtisses se développent pour la plupart sur deux niveaux, dans les zones rurales les rez-de-chaussée abritent des espaces de stockage liés à une activité agricole ou d’élevage, mais dans les zones urbaines et notamment à Luanda, on y trouve les espaces de services réservés aux esclaves et plus tard aux domestiques. C’est à l’étage supérieur que l’on trouve les salons et les chambres, le tout généralement organisé autour d’un patio. Ces maisons aux dimensions plutôt généreuses présentent plus ou moins d’ornementation selon le statut et les moyens financiers de leurs propriétaires. Une autre de leurs caractéristiques est la présence d’un jardin d’agrément, auquel vient s’ajouter de vaste étendue de terres agricoles en zone rurale, la maison occupant généralement une place centrale dans la parcelle. Quelques palacios et palecetes (2) ont également été érigés dans cette zone de la ville et subsistent aujourd’hui. Ces bâtiments appartenaient pour certains à des familles nobles ou à des colons ayant fait fortune, mais la plupart été érigés afin d’abriter des fonctions administratives ou servir de demeure aux représentants de l’État portugais à Luanda. Leur architecture est tantôt d’inspiration classique avec des colonnades, des galeries et des coupoles, tantôt baroque avec des influences Art déco et Art nouveau, présentant des façades riche en ornements et des formes plus exaltées. C’est également à Baixa que les premiers immeubles de Luanda seront érigés dès le début du vingtième siècle. Dans un premier temps ils n’excéderont pas les quatre étages, et rappelleront ceux de la Baixa de Lisboa (3), construits dans le style Pombalino (4), qui se caractérisent par la planéité des façades, l’emploi de formes simples et géométriques, des toitures en tuile et le recours à des éléments préfabriqués. Cependant ils gagneront rapidement en hauteur et adopteront dès le milieu des années quarante le langage Moderne, se rapprochant des réalisations du Modernisme européenne et brésilien.
(1) maisons nobles portugaises (2) palais et petit palais (3) Le quartier de la Baixa est considéré comme le centre-ville de Lisbonne. Il s’étend depuis les quais du Tage jusqu’à l’avenue de la liberté (Avenida da Liberdade) et se positionne entre les deux collines abritant les quartiers de l’Alfama et du Chiado (4) style Pombalin, style architectural portugais du dix-huitième siècle, nommé ainsi en référence à Sebastião José de Carvalho e Melo, premier marquis de Pombal, qui joua un rôle dans la reconstruction de Lisbonne après le tremblement de terre de 1755
Toutefois c’est sur le plateau, dans la Cidade Alta que l’on peut admirer le plus grand nombre de réalisations des architectes du mouvement Moderne ayant œuvré à Luanda entre 1940 et 1975. Ces jeunes architectes venus pour la plupart de l’école de Porto ou de celle de Lisbonne, étaient en quête de liberté et d’opportunité. Ils voyaient dans les terres coloniales, le laboratoire expérimental idéal où ils pourraient enfin se lancer dans des projets audacieux et d’envergure. Leur créativité, bridée en métropole par les normes et restrictions mises en vigueur par le régime dictatorial de Antonio de Oliveira Salazar, qui durera de 1932 à 1970 année de son décès, pouvait enfin s’exprimer. De plus le défi que représentait la conception d’une architecture en milieu tropical et destinée à une société nouvelle, ayant ses propres mœurs, était également un des facteurs stimulant, qui confortait les architectes de l’époque dans leur choix de s’aventurer à des milliers de kilomètres de chez eux pour rejoindre les colonies et notamment Luanda. Sur ce même plateau, à cet habitat vertical, Moderne, colonial et tropical, vint s’ajouter un tissu résidentiel bas, constitué de villas familiales, comme on en trouve encore aujourd’hui dans des quartiers comme celui d’Alvalade ou de Villa Alice. Ces maisons à l’architecture elle aussi Moderne, sont aujourd’hui très prisées, par ceux qui recherche le confort et l’espace que peuvent offrir l’habitat individuel tout en étant à proximité du centre ville. Un grand nombre d’entre elles sont louées au prix fort par des compagnies étrangères pour loger leurs employés expatriés et leur famille, ainsi que par des entités diplomatiques qui y installent leurs ambassades ou consulats. L’ensemble des types d’habitat évoqués jusqu’ici n’étaient destinés qu’aux colons soit aux cinquante-cinq mille ( 55 000) Blancs et à une partie des treize mille cinq cents (13 500) Métis qui résidaient à Luanda en 1960. Qu’en est-il donc de la population locale, soit des cent cinquante-cinq mille (155 000) Noirs recensés à Luanda cette même année. (5) Repoussés aux marges de la ville coloniale, les autochtones vivaient dans les musseques.(6) Cette forme urbaine s’inscrit dans la continuité des villages de cases, à l’image du village de pêcheur de Lu-ndandu, localisé sur l’ Ilha de Luanda , le cordon littoral qui protège la baie de Luanda. Dans la ville coloniale les musseques se situaient en marge de la zone urbanisée par les Portugais et étaient repoussés vers l’intérieur du pays au fur à mesure que la Luanda coloniale s’étendait. Toutefois aujourd’hui les musseques de Luanda sont parsemés dans la ville et il n’est pas rare d’en trouver aux pieds des hôtels de luxe du centre ville. Cependant, c’est belle est bien au-delà du centre ville que les plus vastes d’entre eux sont situés.
(5) chiffres issus de: La croissance et les caractères de la ville de Luanda Suzanne Daveau Les Cahiers d’Outre-Mer Année 1969 22-88 p.432 (6) zone d’habitation résultant d’occupation spontanée, non reglementée par l’Etat, et dans la plupart des cas non reliée aux réseaux de la ville. On y trouve essentiellement de l’habitat pavillonaire, sous forme de baraque. (7) case, petite habitation sommaire et traditionnelle
Tout comme les cases de pêcheurs, les habitations des musseques désignées par le terme cubata (7), sont comme l’indique leur nom d’une grande simplicité formelle, avec des volumes aux proportions proches de celle d’un cube. Cette forme d’habitat résultant de l’arrivée des colons portugais, était vue par ceux-ci au même titre que la case pré-coloniale, comme une architecture primitive et « inférieure » à celle de la métropole, qu’ils ont pris le parti d’importer dans toutes leurs colonies. L’organisation des espaces intérieurs est initialement sommaire, avec une large majorité de cas où une pièce unique assume différentes fonctions au cours de la journée. Avec le temps on verra apparaître des subdivisons, avec notamment une différentiation entre les espaces réservés à un usage diurne et ceux destinés à un usage nocturne. À l’origine la plupart des cubatas étaient érigées sur des parcelles suffisamment vastes pour permettre l’existance d’un espace extérieur, la maison étant le plus souvent située en fond de parcelle ou en son centre. Dans ces cours on trouvait parfois un jardin potager, où poussaient fruits et légumes tels que des tomates, des laitues, des choux, des mangues, des papayes ou des goyaves selon la saison. Par ailleurs cet espace accueillait également un grand nombre d’activités domestiques, on y faisait par exemple la cuisine au charbon de bois ou la lessive.
C’est aussi là que se trouvaient les pièces d’eau, souvent situées à l’écart en fond de parcelle, notamment les toilettes sèches, et les espaces destinés au bain où de grande bassine d’abord en bois puis en plastique permettait au gens de se laver. Pour ce qui est des matériaux on trouvait dans un premier temps des constructions en terre, faites avec de l’adobe ou d’autres argiles, ou des constructions en bois. On voit ensuite apparaitre les constructions en brique de terre cuite, puis celles en parpaing et finalement celles en béton. Les toits d’abord végétaux, en chaume ou en feuille de palmier, deviennent ensuite en tôle de zinc essentiellement, et plus rarement en tuile. De nos jours avec l’emploi du béton, la toiture terrasse est aussi vastement employée, notamment quand on veut conserver la possibilité de surélever sa construction dans le futur. Il n’était pas rare non plus de voir combiné dans les musseques habitat et activité économique et ce encore aujourd’hui. On trouve souvent adossé à la maison un petit atelier ou une échoppe, tantôt située dans la parcelle avec parfois une ouverture sur la rue ou directement sur la voie, devant la maison. De nos jours, principalement dans les musseques s’étant formés plus récemment, où loge une population qui ne cesse d’affluer des provinces vers la capitale en quête d’un meilleur niveau de vie, la densité est telle qu’elle ne permet plus le maintien de ces espaces extérieurs, les maisons et baraques s’empilant presque les unes sur les autres. À la différence des musseques plus anciens où des artères de circulation claires étaient définies et une certaine trame était respectée, les musseques saturés d’aujourd’hui se développent de manière totalement organique et les impasses se multiplient, au même rythme que ces labyrinthes s’étalent vers l’arrière pays. Dans les musseques on trouve aujourd’hui un mélange de maisons en dur allant de la plus élémentaire des cubatas à des constructions plus complexes qui se rapprochent davantage des villas des quartiers résidentiels du centre ville, auxquelles viennent s’ajouter de frêles baraques construites avec des matériaux de récupération divers, panneau de bois, bâche en plastique, veille tôle, quelques briques, etc. C’est l’apparition de cet habitat précaire, ainsi qu’un accès à l’eau et à électricité encore très limité qui font que les musseques sont de plus en plus assimilés à des « bidonvilles », plutôt qu’à une forme de village urbain par exemple. Alors que d’une part les musseques s’étendent et se multiplient, d’autre part Luanda se modernise et tente de rattraper dans la course à la « verticalisation » les grandes métropoles du « Nord ». Bien que à l’époque coloniale la ville comptait déjà un nombre conséquent d’immeubles d’une dizaine d’étages, ces deux dernières décennies la skyline de Luanda et notamment celle de la Baixa, le quartier des affaires, a été considérablement modifiée par l’apparition des gratte-ciels. Ces tours de verre et d’acier renfermant d’abord les bureaux des multinationales étrangères et des quelques grandes compagnies locales, sont également devenus plus récemment résidentielles. Celles-ci se sont construites pour la plupart au détriment de bâtiment coloniaux, tombant en ruine et en désuétude, détruits à coup de pelleteuse. La multiplication effrénée des tours, a cependant vu son élan coupé quand en 2014 la crise économique a frappé le pays, dont les finances reposaient presque entièrement sur l’industrie du pétrole, de plein fouet. Certaines furent achevées mais ne trouvent point d’occupants, d’autres sont en suspens, le temps que des fonds soient à nouveau disponible pour financer la suite des travaux et finalement beaucoup resteront pour le moment à l’état de projet, rangés dans des tiroirs jusqu’à nouvel ordre.
Si le centre économique de la ville s’est plutôt développé à la verticale, les zones résidentielles ont connu un étalement horizontal, sous forme de musseques comme évoqué auparavant, mais pas uniquement. Au tournant du vingt-et-unième siècle, sont apparus à Luanda les condominiums. L’Angola prenant exemple sur les grandes villes brésiliennes telles que São Paulo et Rio de Janeiro qui avaient déjà adopté cette configuration d’habitat calquée sur les gated communities américaines, va elle aussi opter pour cette forme urbaine. Ces quartiers privés se sont développés en périphérie de la ville historique et coloniale, au-delà de la première couronne de musseques, dans des zones comme Luanda Sul, qui étaient jusqu’alors inhabitées. Le caractère exclusivement résidentiel de ces zones nouvellement urbanisées, les ont longtemps rendu totalement dépendantes du centre ville, où se concentraient tous les services et toute l’activité. Avec le temps des commerces et notamment les premiers centres commerciaux, des entreprises, des restaurants, des hôtels et même plus récemment certains ministères, se sont implantés dans ces zones. Toutefois,une vaste majorité des habitants des condominiums travaillent encore dans le centre ville, ce qui se traduit par des embouteillages quotidiens qui commencent dès l’aube. Dans ces micro-quartiers sécurisés, auxquels on ne peut accéder sans franchir un poste de contrôle, sont construits quasiment à l’identique, derrière les hauts murs d’enceinte, une centaines de pavillons génériques, offrant tout ce que l’on désigne aujourd’hui par le « confort moderne ». Soit, des maisons toutes équipées, avec cuisine américaine, climatisations et ce qu’il faut en générateur et réservoir d’eau pour pallier aux nombreuses failles du réseau électrique et hydraulique qui alimente la ville. À cela vient s’ajouter un accès illimité à des équipements partagés, de type piscine, salle de sport, sauna ou aire de jeux. Le prix de ces pavillons, destinés à loger les employés des multinationales étrangères puis ceux des grandes compagnies nationales, ainsi qu’une population aisée, désirant quitter les immeubles du centre ville et accéder à la maison individuelle, descendent rarement en dessous des cinq cents mille dollars et dépassent régulièrement le million. De tels tarifs les rendent totalement inaccessibles à une vaste partie de la population, aux moyens financiers limités. Ce n’est que en vue des élections législatives du 5 septembre 2008, et par la suite des élections présidentielle du 31 août 2012, que des projets visant à proposer des logements pour une population moins fortunée verront le jour. Ceux-ci reprendront le modèle des villes-nouvelles, avec cette fois un mélange d’habitat se voulant bon marché, essentiellement vertical mais également pavillonnaire, couplé à des commerces et des services de proximité, afin de créer des entités autonomes. Ces ensembles de logements projetés et construits par des entreprises chinoises rémunérées en barils de pétrole, se caractérisent par une architecture tout aussi répétitive que celle des condominiums, d’une simplicité qui tend vers le simplisme. Il en résulte des quartiers monotones voire fades. Un des premiers projet d’envergure de ce type ayant vu le jour à Luanda est le Projeto Nova Vida, soit « Projet Nouvelle Vie », situé dans la municipalité de Kilamba-Kiaxi, à une distance d’environ quinze kilomètres du centre ville. Planifiés en 2003, les deux mille cinq cents logements prévus pour la première phase ne seront livrés qu’en 2012. À ce projet succédera celui de la Nova Centralidade de Kilamba, construit par le groupe chinois CITIC Construction, en moins des trois ans, pour trois milliards cinq cents millions de dollars remboursés en hydrocarbure. Ce projet dont la première phase a été finalisée en juin 2011, est un des plus grands projet urbain à avoir vu le jour sur le continent africain.
Situé à vingt kilomètres du centre ville, dans la municipalité de Belas, il s’étend sur cinquante-quatre kilomètres carrés. En 2011, vingt mille des quatre-vingt-deux mille logements annoncés par le gouvernement angolais furent livrés et mis en vente pour des prix oscillant entre cent vingt mille et deux cents mille dollars. Bien que ces prix soient inférieurs à ceux pratiqués usuellement à Luanda, ces appartements restent hors de portée pour une large majorité, dans un pays où deux tiers de la population vit avec moins de deux dollars par jour. Un an après la fin des travaux neuf logements sur dix sont vacants et seul deux cents appartements se vendront la première année. Kilamba va acquérir malgré elle une notoriété internationale et sera souvent citée dans les médias comme un exemple de ville fantôme contemporaine. Cette ville nouvelle pouvant accueillir jusqu’à cinq cents mille habitants n’en comptait que quatre-vingts mille en 2015 et si aujourd’hui la quasi totalité des logements ont trouvé acquéreur, beaucoup demeurent inoccupés. Depuis, d’autres projets de ce type, situés de plus en plus loin du centre ville, tels que ceux des Zangos (8), ont vu le jour. C’est notamment dans ces nouvelles constructions que sont relogés les habitants des quelques immeubles résidentiels, datant de l’époque coloniale, situés dans la Cidade Alta (9), ayant été démolis ces dernières années. Quoique comme évoqué précédemment, c’est d’abord dans la Baixa de Luanda que les destructions de bâtiments coloniaux ont débuté, pour laisser place à de nouveaux projets, ce phénomène s’est étendu au plateau ces dernières années. Les démolitions sont encore ponctuelles, car contrairement à ceux de la Baixa qui étaient parfois inoccupés voir laissés à l’abandon, les immeubles du plateau sont habités. Certes l’état de certain d’entre eux se rapproche de la ruine, suite à plusieurs années d’usage, de dégradation et de manque d’entretien, mais dans le centre ville de Luanda, même les immeubles inachevés voire officiellement condamnés sont habités. De plus les immeubles démolis ces dernières années étaient pour la plupart légalement occupés, par des personnes qui de surcroit étaient majoritairement propriétaires et qui dans l’ensemble auraient préféré une réhabilitation, plutôt que de les voir démolis. Ce car pour eux cela signifie se faire reloger à une vingtaine de kilomètres, alors que jusque là ils jouissaient d’une proximité du centre ville enviable. Bien qu’à ce jour on recense encore relativement peu de cas, on peut anticiper que ces premières démolitions ont ouvert une porte, et que d’autres sont à venir, alors des questions se posent. Premièrement, quels sont les facteurs, les entités et les motivations à l’origine de ce phénomène ? Ensuite, si cette tendance venait à se confirmer, qu’est ce que cela signifierait pour la ville de Luanda ? Par ailleurs, au vue de la situation actuelle est-il envisageable que cette tendance ne se confirme pas ? Finalement, qui, pour quelles raisons et grâce à quels outils pourrait vouloir freiner ce phénomène ? C’est à ces interrogations que ce mémoire s’évertuera à apporter quelques éléments de réponse.
(8) Projet de logement bon marché, situé dans la municipalité de Viana à Luanda, subdivisé en cinq zones, Zango I, II, III, IV et V. (9) la ville haute, partie du centre ville de Luanda, située sur le plateau, à l’arrière de la Baixa, la ville basse, qui elle s’etend de la baie de Luanda jusqu’au pied de la Cidade Alta.
La première partie s’articulera autour d’une question, le déclin des immeubles coloniaux a t-il été anticipé ? Il est inévitable de constater en parcourant les rues de la capitale angolaise, qu’une grande partie des immeubles coloniaux sont aujourd’hui considérablement dégradés. Surgit alors une interrogation, quarante à soixante-dix ans d’usage suffisent t-ils à expliquer cette situation? Des circonstances aggravantes, telles que des dégradations volontaires des infrastructures et des locaux par les occupants et une politique de la ville qui n’assure pas l’entretien des bâtiments, ne sont-elles pas à prendre en compte, et en partie responsables du vieillissement précoce de ces immeubles. Il semble indispensable d’identifier les éventuels accélérateurs, qui pourraient avoir précipité la chute de l’immeuble colonial luandais. Une fois la lumière faite sur les causes de cette situation, reste la question des réactions face à ce problème et notamment à celles des organismes étatiques responsables du patrimoine bâti de la ville. Restaurer, réhabiliter, rénover ou démolir et reloger, vers laquelle de ces options semble tendre l’État angolais ? Des démolitions, encore rares mais qui commencent à devenir récurrentes, mènent à penser que c’est du côté de la deuxième option que penche la balance. Alors sachant que cette alternative est techniquement compliquée, financièrement coûteuse, et socialement délicate, puisqu’il s’agit de déplacer des populations qui sont parfois installées depuis des dizaines d’années, quelles sont les raisons qui motivent ce choix ? À qui profite le déclin de l’immeuble colonial luandais ? Leur principal atout, leur localisation idéale à proximité du centre, sur des terrains qui une fois libérés pourraient se vendre à des prix indécents, et accueillir des projets de luxe destinés à la « crème de la crème » de la société angolaise, ne se serait-il pas retourné contre eux ? La motivation financière, la volonté d’entretenir la bulle spéculative qui fait vivre le secteur immobilier, pèsent lourdement sur les décisions de l’État quand à l’avenir de certains immeubles jugés insalubres ou inappropriés à l’habitation. Toutefois, est-ce véritablement l’unique raison ? C’est sur cette question que s’ouvrira la deuxième partie. Rappelons-le nous sommes dans un pays ayant connu quatre siècles de colonisation et depuis seulement quarante-deux ans d’indépendance et ces immeubles dont nous parlons, sont un vestige de cette époque sombre pour la population autochtone, dépossédée de ses terres, réduite en esclavage et forcée à l’acculturation. Les dégradation continues que connaissent ces immeubles, ce manque apparent de volonté de les entretenir, ne sont-ils pas les manifestations d’un rejet, qui trouve son origine dans l’histoire de ce pays et de cette ville. Quarante-deux ans après, les effets du traumatisme que fût la colonisation se font encore ressentir et les immeubles coloniaux du centre ville peuvent être perçus comme des stigmates laissés par cette période. Par conséquent, les démolir c’est aussi métaphoriquement s’affranchir, tourner définitivement une page de l’Histoire. Cela est d’autant plus vrai, pour une capitale d’un jeune État en quête d’identité, cherchant à s’affirmer sur le plan international et qui se veut tournée vers l’avenir. Vu sous cet angle, on peut difficilement condamner cette prise de position, mais la vrai question est ; Quel successeur pour les immeubles coloniaux ? L’évolution du nombre d’habitants dans la ville, des modes de vie mais aussi des attentes de la population en terme de logement, à travers le temps rend difficilement envisageable un retour à la case ancestrale. Une nouvelle architecture angolaise, en relation avec le climat, la topographie, la culture, les usages, l’histoire du pays devrait alors pouvoir voir le jour.
Mais est-ce vraiment pour permettre l’avènement de cette nouvelle architecture angolaise, que les immeubles coloniaux du centre ville sont détruits ? À ce jour les immeubles démolis n’ont laissé place qu’à des tours de béton, de verre et d’acier, calquées sur des modèles européens et états-uniens, dans une volonté de faire de Luanda la Dubaï de l’Afrique. On voit surgir aujourd’hui dans la capitale en lieu et place des immeubles coloniaux, des projets encore plus décontextualisés que ceux qu’ils ont remplacés. Somme toute l’habitat vertical, colonial, Moderne et tropical, n’est-il pas plus local, que cette nouvelle production architecturale générique qui lui succède ? Ce questionnement nourrira la troisième partie de ce mémoire. L’architecture a été l’un des nombreux moyens employés par les états colonisateurs pour s’imposer sur un territoire et littéralement y asseoir leur pouvoir. Au-delà d’incarner une forme de domination, elle est aussi le témoignage d’un certain dédain pour l’architecture locale souvent considérée comme sommaire ou rudimentaire, quand bien même celle-ci possédait d’indéniables qualités, en terme d’adaptation au climat et d’optimisation des matériaux. Dans le cas de Luanda, il en est ainsi pour toute la production datant du seizième siècle à la fin du dix-neuvième siècle, qui regroupe des bâtiments, qui sont des copies conformes de ceux construit au Portugal à la même période, avec quelques timides adaptations, faites notamment pour répondre à des exigences climatiques. Le vingtième siècle et l’arrivée des architectes portugais affiliés au mouvement Moderne marquera un tournant. Au service d’une architecture se voulant internationale et standardisée, ils vont se retrouver dans un contexte où le facteur climat ne pourra être négligé, afin d’atteindre un certain confort. Ils seront contraint de trouver un consensus entre une volonté de conserver le caractère universel propre à l’architecture Moderne et une nécessité de s’adapter à un contexte spécifique, notamment sur le plan climatique. La question de la ventilation des volumes et celle de la régulation de la luminosité vont être à l’origine de l’apparition de certains dispositifs architecturaux, tels que le brise-soleil ou le claustra, qui employés à grande échelle vont avoir un véritable impact sur la forme, la matérialité et la structure de ces bâtiments et notamment de leurs façades. Par la suite, l’habitat moderne luandais va également absorber certains elements et aspects de l’esthétique et du mode de vie des populations locales. Aux couleurs pastels et revêtements d’azulejos retraçant les périples des navigateurs portugais, viendront se substituer des teintes plus chaudes, et des mosaïques dépeignant les paysages angolais. Les formes d’abord très anguleuses de l’architecture Moderne vont petit à petit s’assouplir, s’incurver, sous les plumes des architectes portugais, fascinés par le Modernisme brésilien et la sensualité émanant des formes sinueuses des bâtiments d’Oscar Niemeyer. Quoiqu’il s’agisse d’une architecture largement basée sur des modèles importés, très éloignés de la production autochtone, l’impact qu’a eu le milieu sur les objets produits, est tel que le terme « Moderne » à lui seul ne suffit plus à les qualifier sans que lui soit associé des adjectifs tels que « tropical ». Dans ce cas de figure faut-il encore considérer cette architecture comme pleinement étrangère ? N’est ce pas là un cas d’hybridation, de métissage, donnant lieu à une forme de Modernisme ayant quelque chose de locale, d’angolais ?
Si cela est avéré, conserver ces immeubles, n’est pas nécessairement contraire à l’idée d’une Luanda avec une identité forte, un caractère, qui passerait notamment par une architecture qui refléterait le climat, la culture et les modes de vie locaux. Toutefois au vue de leur état actuel, l’avenir des immeubles coloniaux de la ville est compromis. Les possibilités de voir demain une Luanda où cohabiteraient cette architecture à cheval entre Modernisme et Régionalisme et une nouvelle architecture angolaise peut-être encore plus ancrée dans son territoire, sont minces à moins que le nécessaire ne soit fait pour remettre en état ces immeubles et assurer leur entretien assidu par la suite. À l’heure actuelle ce renouveau, qui exigerait la mobilisation d’importants moyens techniques et financiers, est-il justifiable et encore envisageable ? Réhabiliter puis entretenir plus d’une centaine d’immeubles, qui plus est dans le contexte de crise économique que connait actuellement l’Angola, ne peut se faire sans que de solides arguments ne viennent appuyer cette décision. Alors, au delà de l’aspect formel lié à la question de l’esthétique et de l’identité de la ville, en quoi conserver l’habitat vertical, colonial, Moderne et tropical serait bénéfique pour Luanda et ces habitants sur le court et long terme ? Premièrement reloger les dizaines de milliers de personnes vivants dans les immeubles coloniaux représente un défi de taille, qui demande que des sommes conséquentes soient investies, pour construire de nouveaux édifices pour accueillir ceux qui auront été délogés, pour démolir les immeubles qui auront été condamnés et finalement pour construire de nouveaux projets sur les terrains libérés. Est-ce réellement plus rentable que de restaurer, réhabiliter ou rénover ces immeubles ? Par ailleurs il s’agit d’un processus long, pouvant durer plusieurs années, temps pendant lequel, les occupants des immeubles coloniaux continueraient à vivre dans des logements considérés insalubres. Quand bien même ce serait des nouveaux immeubles résidentiels qui seraient construits sur les terrains libérés par la démolition des immeubles coloniaux, le prix des biens immobiliers se devra d’être élevé pour compenser les lourds investissements qui auront été nécessaires pour rendre possible leur construction. Or, les habitants des immeubles coloniaux de Luanda appartiennent globalement à la classe dite moyenne, et n’auront pour la plupart pas les moyens d’acquérir un bien dans ces nouveaux édifices. Ne reconnait-on pas là les rouages de la mécanique de la gentrification des centres-villes, qui dépossèdent la classe populaire de son droit de cité dans le cœur de la ville, et la rejettent à la périphérie, dans des territoires distant, qui n’intéressent pas encore ceux à qui profite la spéculation immobilière ? En prenant en considération ces facteurs, il en ressort que conserver les immeubles coloniaux de Luanda, c’est aussi lutter contre une forme de ségrégation spatiale et s’assurer que dans le futur le centre-ville de la capitale angolaise ne devienne pas exclusivement réservé aux plus fortunés. Il existe donc des motivations d’ordre sociale et economique, qui justifiraient le maintien et la rehabilitation de ces immeubles. Cependant pour mener à bien un tel projet il faut des acteurs, des individus prêts à s’impliquer dans ce processus de réhabilitation de l’architecture Moderne coloniale. Alors qui sont aujourd’hui les personnes et les entités engagées dans cette démarche ?
Il y a d’une part des habitants, qui d’après tout sont les premiers concernés et affectés par le mauvais état de leurs lieux de résidence et qui en se regroupant sous forme d’association tentent de prendre des initiatives communes pour remédier à la situation. Il y a aussi des architectes, angolais, mais aussi portugais, brésilien et autres, qui s’intéressent à la question de la reconnaissance et de la protection de la production du mouvement Moderne dans les anciennes colonies et notamment à Luanda. Finalement il y aussi l’État, bien que à ce jour ce n’est pas vraiment dans ce sens qu’il a œuvré, son implication dans la sauvegarde de ces immeubles est essentielle pour que le projet puisse aboutir. L’ensemble de cette réflexion nous permettra de commencer à entrevoir des réponses à une question plus vaste, qui est à l’origine même de ce mémoire ; Quid des immeubles coloniaux dans une Luanda en transition ?
photographie de la page de droite: Contrastes urbains © Romana Nanga
LUANDA, VILLE DE CONTRASTES IMMEUBLE COL. MOD. TROP.
MUSSEQUE
TOUR CONTEMPORAINE
01 - L’immeuble Colonial Luandais VERS L’EXTINCTION D’UN TYPE ARCHITECTURAL ?
UN
DÉCLIN ANTICIPÉ ?
A - LA VILLE EN LAMBEAUX: les causes de la ruine prématurée des immeubles coloniaux de Luanda
a - un constat sans appel : L’immeuble colonial gangrené par l’ insalubrité et l’ insécurité Des immeubles coloniaux que compte la capitale angolaise, rares sont ceux qui ne présentent pas à ce jour de multiples pathologies, de gravité variable, affectant enveloppe, structure et installations techniques. Les causes à l’origine de ces innombrables dysfonctionnements sont diverses. Premièrement il y a l’inévitable effet du temps ; le béton vieilli, la peinture s’écaille, les carreaux qui ornent les murs chutent un à un, les métaux s’oxydent et rouillent, le bois pourri, les canalisations fuient. À cela viennent s’ajouter plusieurs dizaines d’années d’exposition à des vents parfois violents, des pluies souvent torrentielles et un soleil de plomb. Le climat tropical et les intempéries qui le caractérisent, participent elles aussi au vieillissement du bâti urbain. Finalement, un usage régulier, les frottements, les abrasions et les collisions qui en résultent, laissent eux aussi leurs traces sur le bâtiment et participent à ce que l’on pourrait qualifier de vieillissement naturel de l’édifice. Certains estiment aujourd’hui que la durée de vie d’un bâtiment résidentiel en béton se situe entre soixante-dix et cent ans, si aucune intervention de type restauration, réhabilitation ou rénovation, visant à prolonger son existence n’est menée. Le béton est pourtant un matériau techniquement durable, et bien qu’il puisse parfois se dégrader du fait de sa porosité ou de sa carbonatation, il est assez rare que la stabilité de l’ouvrage s’en trouve affectée. Selon Joseph Abram (1), architecte, historien et chercheur: « Il faut distinguer deux sortes de durée : l’une, technique, liée à la qualité intrinsèque des constructions en béton ; l’autre, sociologique, liée à leur usage, à l’obsolescence des dispositifs spatiaux mis en œuvre. ». (2) Dans les cas des bâtiments en béton datant de la moitié du XX ème siècle, c’est souvent des raisons d’ordre sociologiques qui sont à l’origine de leur déchéance voire leur démolition. (1) Joseph ABRAM, professeur à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy, a notamment réalisé le dossier de demande d’inscription de la Ville du Havre sur la Liste du patrimoine mondial, démarche qui a abouti en 2005, et travaille depuis 2010 au dossier Unesco de la Ville de Metz. (2) MARTINS, Gilmar. « La plupart des démolitions tiennent à des raisons sociologiques. » [en ligne]. 02 Février 2017. Disponible sur :https://bybeton. fr/grand_format/demolitions-tiennent-a-raisons-sociologiques (Consulté le 9/09/2017)
photographie de la page de gauche: Façade d’un immeuble colonial, Moderne, tropical de Luanda © Eric Lafforgue source: Flickr
L’habitat vertical, colonial, Moderne et tropical de Luanda a été édifié entre 1940 et 1975, il s’agit de bâtiments qui ont actuellement entre soixante-dix-sept et quarante-trois ans, ce qui justifie partiellement leur état et les différentes malfonctions qui seront énumérées ci-dessous. Toutefois leur vieillissement précoce est également imputable à leurs usagers et à l’usage qu’en ont fait ces derniers. Exposées aux yeux de tous, les façades des immeubles résidentiels coloniaux de Luanda, alertent ceux qui parcourent et habitent la ville sur l’état de décrépitude d’une vaste part du bâti urbain, et annoncent la couleur en ce qui concerne les conditions de vie actuelles au sein de ces édifices. Le premier mal dont souffrent les façades des immeubles coloniaux luandais, n’est autre que le manque d’entretien. Certaines n’ont jamais été nettoyée ou repeinte et d’épaisses couches de poussière, moisissure et toiles d’araignées accumulées pendant des décennies, viennent masquer les couleurs d’origines, que de nombreux citadins n’ont jamais connues. Bien que dans quelques uns des ces immeubles, les habitants regroupés en association financent eux-mêmes certains travaux visant à améliorer et préserver leur cadre de vie. Il s’agit en générale d’interventions modestes dans les parties communes.
Il est très rare que les associations d’habitants soient à l’origine de travaux aussi ambitieux que des ravalement de façade, qui demandent l’intervention de professionnels qualifiés du secteur du bâtiment et le déploiement de moyens techniques couteux. De tels travaux demanderaient un budget bien supérieur à celui dont ces associations disposent, qui se limite souvent à de menus frais de copropriété versés par les habitants et quelques cotisations. Les appartements des immeubles coloniaux luandais sont majoritairement des propriétés privées, mais les édifices eux appartenaient à l’origine à l’administration coloniale ou à de riches investisseurs portugais. Après l’indépendance, notamment pendant la période socialiste ils ont été nationalisés et sont depuis majoritairement des possessions de l’État angolais. Les habitants de ces immeubles attendent donc des organismes étatiques qu’ils participent à l’entretien de ces édifices et notamment à celui de leurs façades, car leur condition affecte directement l’image de la ville, et leur entretien devrait être une question d’intérêt générale. Parmi les facteurs qui ont modifié l’allure des façades des immeubles coloniaux luandais on peut également citer les différentes initiatives des habitants pour remodeler les loggias, les balcons et les coursives. Ces éléments récurrents dans ce type de construction assuraient à l’origine la distribution horizontale et permettaient un accès en façade et à l’air libre aux appartements. Ils jouaient également un rôle d’espace tampon, permettant une régulation de la température et notamment le maintient d’une certaine fraîcheur dans les pièces habitées. Après que ces appartements aient été laissés vacant en 1975, suite au départ forcé et précipité des familles portugaises qui y résidaient jusqu’à la proclamation de indépendance de l’Angola, ceux-ci ont été occupés par la population autochtone. Ces appartements qui avaient été conçus pour des foyers sur le modèle de la famille nucléaire, avec un couple parental et en moyenne deux ou trois enfants, n’étaient pas adaptés pour les familles angolaises dont la structure différait grandement. Celle-ci se rapprochait davantage du modèle de la famille étendue, avec un couple parental, un nombre d’enfants qui oscille en moyenne entre quatre et six, à qui viennent souvent s’ajouter les grands parents,une sœur, une tante, des cousins ou des neveux. Avec ce changement d’habitant le nombre d’occupants des appartements a doublé voire triplé et très rapidement le manque d’espace s’est fait ressentir. Ces personnes qui pour la plupart vivaient auparavant dans des maisons dans les musseques étaient habituées à avoir un espace extérieur attenant à leur logement. La présence des loggias, balcons et coursives leur permettaient donc de transposer certaines de leurs habitudes dans cet habitat vertical. Toutefois ils ont rapidement ressentis le besoin de pousser les murs et ont pour ce faire sacrifié ces espaces extérieurs. Cloisonner les loggias, balcons et coursives leur a permis de gagner quelques mètres carrés et d’agrandir certaines pièces voir d’en créer de nouvelles et d’obtenir ainsi des logements plus aptes à accueillir une dizaines d’occupants, même si la perte d’une certaine qualité de vie a été l’un des dommages collatéraux. Aujourd’hui sur les façades du centre ville, la quasi totalité des balcons ont été transformés en bow-window, il en résulte une certaine uniformité qui fait que l’on pourrait s’y méprendre et croire qu’ils s’agit de leur configuration d’origine. Une observation plus attentive permet toutefois de desceller les différences, et de comprendre qu’il est question d’interventions non concomitantes, indépendantes les unes des autres, menées par les habitants. L’emploi de matériaux et de coloris dissemblables confère à ces façades un aspect hétéroclite que certains pourraient qualifier d’inesthétique, mais il s’agit là de considérations subjectives. Ce qui peut objectivement être dit c’est que le budget des résidents étant parfois limité, la qualité des travaux et des matériaux employés laisse souvent à désirer. Ces additions vieillissent mal et cela affecte négativement l’apparence général de l’enveloppe du bâtiment.
Plus encore, en comblant ces vides les mécanismes de ventilation des habitations sont parfois perturbés voire annulés et la température à l’intérieur des logements les rend invivables. Les résidents ayant les moyens de le faire s’équipent aussitôt de dispositifs mécaniques pour pallier à cet inconvénient. La proliférations et la démocratisation de l’usage de la climatisation ces vingt dernières années compte également parmi les facteurs ayant eu un effet néfaste sur les façades des immeubles du centre ville et ce pour plusieurs raisons. D’abord parce que l’installation de ces dispositifs implique que des percements soit réalisés dans les façades, et on constate en arpentant la ville, que souvent ces interventions sont réalisées sans égard pour le bâtiment. La finition des travaux laisse généralement à désirer et les dommages causés à la façade dans le processus sont rarement réparés. Au contraire, on peut dans la plupart des cas clairement lire les altérations occasionnées par l’installation des climatisations. Celles-ci s’expriment par des changement de matérialité, avec par exemple des parpaings et des briques laissées à nu dans des façades qui elles sont enduites et peintes, ou encore l’emploi de peintures dont les teintes ne concorde pas avec celle d’origine. Des travaux mal réalisés, notamment aux niveaux du traitement des joints, engendre ensuite des problèmes d’étanchéité et d’isolation, auxquels les habitants tentent de remédier en comblant les interstices avec du plastique, des torchons, voire des cartons. Il en résulte des façades bricolées, à l’esthétique altérée. Aux delà des considérations plastiques, la présence de ces climatisations sur des façades pensées comme des dispositifs climatiques monumentaux, permettant la régulation de la température et une circulation optimale de l’air dans les habitations est pour le moins paradoxale. Privées de leur rôle de régulateur thermique, a présent assuré par des dispositifs mécaniques, ces façades perdent leur sens et leur raisons d’être. Les climatisations ne sont cependant pas les seuls éléments qui sont venus avec le temps se greffer de manière quelque peu anarchique sur les façades des immeubles coloniaux de la capitale. Les antennes paraboliques individuelles, viennent elles aussi saccader les rythmes des façades et en perturber l’harmonie. Avec l’annexion des balcons, loggias et coursives aux espaces intérieurs, une partie des activités qui s’y déroulaient auparavant a élu domicile dans les espaces communs, tels que les porches, halls, cages d’escaliers, paliers et terrasses. Ces lieux quotidiennement investis par les habitants des immeubles, coloniaux, Modernes et tropicaux, se trouvent bien souvent dans un état guère préférable à celui de leur enveloppe.
(3) A vida nos prédios de Luanda. ANGONOTÍCIAS [en ligne]. 10 juillet 2010. Disponible sur : http://www.angonoticias.com/Artigos/item/26629 (Consulté le 12/11/2016) D’après un article du Novo Jornal. (4) « Lixo à entrada dos prédios, águas estagnadas, fezes a rodear os edifícios e, para agravar a situação, pessoas a vender fruta exactamente nestes locais, onde o saneamento básico é muito precário. Esta é a realidade que se observa todos os dias em alguns imóveis na cidade de Luanda. Por toda a capital, o cenário repete-se e são poucos os edifícios antigos que fogem a este quadro. » A vida nos prédios de Luanda. ANGONOTÍCIAS [en ligne]. 10 juillet 2010.
Dans un article paru dans le périodique angolais ANGONOTÍCIAS (3), le 10 juillet 2010, intitulé A vida nos prédios de Luanda, s’intéressant justement aux conditions de vie dans les immeubles de la capitale, le portrait qui nous est dépeint n’est pas glorieux. Des déchets à l’entrée des immeubles, des eaux stagnantes, des excréments aux alentours des édifices et pour aggraver la situation, des individus qui vendent des fruits précisément dans ces endroits, où l’assainissement est très précaire.C’est là la réalité qui s’observe tous les jours dans certain bâtiment de la ville de Luanda. Partout dans la capitale, le scénario se répète et rares sont les édifices anciens qui échappent à cette réalité.(4) Encore une fois l’entretien pose problème; les espaces communs pourtant utiles à tous sont dans de nombreux immeubles sous la responsabilité de personnes. Bien qu’il existe des cas où les charges de copropriétés payées par les habitants servent effectivement à l’entretien de ces espaces, dans beaucoup d’édifices de la capitale ceux-ci sont négligés. N’ayant parfois pas été nettoyé depuis des années, la poussière et la crasse s’accumulent dans les halls et les paliers et cet état des choses favorise la prolifération de vermine de toutes sortes.
Dans certains immeubles de la capitale, comme le dénommé Prédio Sujo (5) localisé dans la rue do Senado da Câmara, dans la municipalité de Rangel, la situation est alarmante. Malgré la présence de personnel d’entretien, sur place on peut voir des déchets dans les escaliers, de la saleté sur tous les murs et pour empirer la condition de ceux qui y vivent, dans cet immeuble il n’y a pas de main-courante et l’électricité dans le couloir est devenue un « rêve ».(6) Cela nous informe de l’existence de problème plus grave encore, comme des gardes corps branlants voire manquant, qui rendent dangereuse l’utilisation des escaliers notamment pour les enfants en bas âges. Cela est d’autant plus problématique car les escaliers sont souvent le seul moyen d’accéder aux étages, les ascenseurs étant parfois condamnés depuis des années ou régulièrement hors services suite aux fréquentes coupure de courant. Privés d’électricité les ascenseurs se retrouvent régulièrement bloqués et ce type de situations a déjà engendré des accidents fatals, après que des personnes prises au piège aient tenté de regagner les paliers. Les gaines d’ascenseurs en désuétudes et mal sécurisée, représentent elles aussi un danger pour ceux qui habitent dans ces immeubles, des cas de chutes parfois mortelles ayant déjà été signalés. Pour ce qui est des escalier de secours, souvent détachés du corps du bâtiment, ces cages extérieures et ouvertes, exposées à plusieurs décennies d’intempéries, sont dans de tels états qu’elles pourraient difficilement assurer leur fonction en cas de besoin et représentent davantage un danger pour leurs usagers qu’une option salvatrice. Dans les immeubles coloniaux, Moderne et tropicaux, circuler d’un étage à l’autre peut se révéler être un défi quotidien pour ceux qui les habitent. L’insuffisance ou l’absence d’éclairage dans les espaces communs est aussi un des problème récurrents dans les immeubles du centre de la capitale. Les installations électriques endommagées ou vandalisées, ainsi qu’un approvisionnement en électricité discontinue, font que les espaces communs des immeubles se retrouvent fréquemment plongés dans le noir. Le soir venu ce fait les rends difficilement utilisable et participe à renforcer le sentiment d’insécurité qui règne dans les édifices situés dans certaines zones de la ville où le taux de criminalité est particulièrement élevée. Les problèmes liés à électricité ne s’arrêtent pas là. Dans de multiple immeubles les installations électriques sont en très mauvais état voire complètement obsolètes. Les habitants du Prédio do Livro, immeuble de dix étages comptant quatre-vingts appartements, situé dans le quartier de São Paulo, se plaignent eux aussi entre autres de la vétusté des installations électriques. les câbles électriques sont à nu et l’intérieur de l’édifice présente certaines fissures. (7) On peut voir dans les espaces communs des agglomérats de fils électriques laissés à nus ou maladroitement protégés avec du ruban adhésif ou du plastique et les risques d’électrocution sont élevés. Les habitants exaspérés par les diverses panne de courant et court-circuit qui en résultent tenter de remédier à la situation par leurs propres moyens. Cependant ces travaux se révèlent tout aussi approximatifs et se traduisent le plus souvent par une multiplication de branchement sauvages, ce qui engendre non pas une diminution mais un accroissement des risques d’incidents. A la bancalité des installations viennent s’ajouter des coupures de courant fréquentes qui poussent un nombre croissant des habitants de la ville à s’équiper de générateur.
(5) Nom traduisible par « immeuble sale » (6) « Apesar de existirem pessoas que fazem a limpeza, no local é visível o lixo nas escadas, sujidade em todas as paredes e, para agravar as condições de quem lá vive, neste prédio não há corrimãos e a energia no corredor passou a ser um “sonho”.» A vida nos prédios de Luanda. ANGONOTÍCIAS [en ligne]. 10 juillet 2010. (7) « os fios de energia estão descascados e a parte interna do edifício apresenta algumas fissuras. » A vida nos prédios de Luanda. ANGONOTÍCIAS [en ligne]. 10 juillet 2010.
Cependant il est assez rare que les habitants d’un même immeuble parviennent à se coordonner pour obtenir un générateur unique capable d’alimenter tout le bâtiment en cas de panne. Dans la plupart des cas chaque appartement s’équipe individuellement et cela pose divers problème. D’abord il y a un problème de place, où mettre un générateur quand on vit en hauteur ? On les retrouve généralement qui encombre les coursives, les loggias et les balcon, et qui cause moult problème de voisinage liés au bruit et à la pollution. Plus récemment on a vu apparaître dans la ville une nouvelle pratique. Les générateurs ont à présent élu domicile au pied des immeubles, protégés par des abris grillagés et cadenassés, et des câbles électriques traversent les airs tels de lianes pour les reliés à des appartements situés jusqu’à trente mètres plus haut. On en compte des dizaines pour un même immeuble. Leur nombre n’est d’ailleurs pas prêt de décroître, au contraire en avril 2017, des coupures systématiques de courant qui ont affecté la capitale, ont engendré une explosion des ventes de générateur, comme en témoigne un article intitulé Venda de geradores dispara face à falta de electricidade paru dans le journal Lusa (8), où on apprend que : On enregistre dans la capitale angolaise des restrictions journalières en terme d’approvisionnement en électricité dues au remplissage du réservoir du barrage de Láuca, en particulier dans le centre de Luanda qui n’est approvisionné, en règle générale, qu’entre 18h00 et 00h00. Pour beaucoup, la solution passe par l’acquisition d’un petit générateur portatif, qui commencent à être vendu dans les supermarchés de la capitale pour 60.000 kwanzas (340 euros) et que l’on voit de plus en plus dans les rues. (9) Dans une interviews menées auprès de vendeurs de boutiques de la capitale commercialisant des générateurs électriques, ces derniers affirment avoir doublé leurs ventes pendant cette période. Il en résulte que l’air au pied des immeubles de la capitale devient à peine respirable et que d’épais nuages de fumée envahissent les espaces alentours, sans parler des nuisances sonores que la prolifération des générateurs représentent pour tous les passants.
(8) PETINGA, Tiago. Venda de geradores dispara face à falta de electricidade. Agencia Lusa [en ligne]. 3 avril 2017. Disponible sur : http://observador. pt/2017/04/03/venda-de-geradores-em-luanda-dispara-face-a-falta-de-eletricidade/ (Consulté le 7/05/2017) (9) « A capital angolana registra restrições diárias no fornecimento da electricidade devido ao enchimento da albufeira da barragem de Láuca, que particularmente no centro de Luanda é garantida apenas, em regra, entre as 18h00 e as 00h00. Para muitos, a alternativa passa pela aquisação de pequenos geradores portáteis, que começaram a ser vendidos em hipermercados da capital a cerce de 60.000 kwanzas (340 euros ) e cada vez mais vistos a funcionar na rua. » PETINGA, Tiago. Venda de geradores dispara face à falta de electricidade. Agencia Lusa [en ligne]. 3 avril 2017.
Les problèmes d’électricité qui touchent les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux et plus amplement la ville, entrainent l’apparition de pratique à risques, qui ont des répercussions négatives sur la santé des habitants et l’environnement urbain en général. Malencontreusement les problèmes d’approvisionnement et d’entretien des installations dans les immeubles coloniaux luandais ne se limitent pas à l’électricité, il en va de même pour l’eau. Des canalisations rouillées, percées, cassées sont à l’origine de grave problèmes d’infiltrations qui se traduisent par l’apparition de traces d’humidité, de moisissures, de fuites, d’odeurs nauséabondes et d’eaux stagnantes. Dans les cas les plus critiques les infiltrations peuvent fragiliser la structure du bâtiment, notamment dans des structures en béton armé et causer des désordres qui peuvent engendrer des éboulements. Autre problème récurrent, l’insuffisance de pression de l’eau, due à des pompes vétustes, prive les habitants des étages les plus haut d’eau. Ceux-ci se voient contraint d’avoir leur propres réservoir d’eau qu’ils doivent remplir manuellement, à l’aide de bidon de dix litres d’eau qu’ils doivent monter en ascenseur pour les plus chanceux mais sur plusieurs volées d’escalier pour la majorité. C’est d’ailleurs le sort de tous les habitants des immeubles de Luanda, quand des coupure d’eau, qui durent parfois des semaines, assèchent les canalisations. La récupération des eaux usées et celles des eaux de pluies pose également problème.
Dans beaucoup d’ immeubles de la capitale et notamment dans le Prédio do Livro la situation est particulièrement incommode. Dès l’entrée de l’édifice les excréments envahissent le patio, à cause des fosses qui sont bouchées (10) De telles situations se multiplient dans la capitale du fait de problèmes internes à chaque immeuble, affectant fosses et canalisations mais également parce que le système d’égout de la ville, jamais rénové depuis l’ère coloniale tombe en décrépitude. Le réseau déjà saturé peine à encaisser la charge croissante due à une augmentation constante de la population dans la capitale. On comptait lors du dernier recensement effectué en 2014 près de neuf millions d’habitants. Cependant la situation varie d’un quartier à l’autre, le réseau d’égout se trouve dans un meilleur état dans les quartiers dit « chic » de la ville, où il est davantage entretenu. Dans des quartiers « populaires » comme celui de Prenda la situation est critique, comme nous le rapporte l’article titré Prédios de Luanda já saturados (11), paru dans le jornal Angolais ANGONOTÍCIAS (12).
photographies de la page de droite: Façade arrière d’un immeuble colonial, Moderne et tropical, du largo Serpa Pinto, Luanda. ©Ruy jorge Source : Views of Angola Façade arrière d’un immeuble colonial, Moderne et tropical, du largo Serpa Pinto, Luanda. ©Nzo Iami Source : Views of Angola
Dans le quartier de Prenda, par exemple, il existe 23 immeubles dont un seul a des égouts en bon état de conservation. (13) Quand elles ne sont plus correctement reprises par les fosses sceptiques ou toutes eaux, les eaux usées stagnent au pied des immeubles et forment des mares nauséabondes, où les moustiques, porteur sous les tropiques de nombreuses maladies telles que le paludisme, se multiplient. Durant la saison des pluies, à ces eaux usées stagnantes viennent s’ajouter les précipitations et dans des quartiers comme Prenda, la vie des habitants devient particulièrement difficile. Se déplacer à pied devient quasiment impossible, les problèmes sanitaires sont accentués et le tout est aggravé par une gestion des déchets souvent inefficace. Dans la capitale un ramassage des poubelles encore trop irrégulier, un nombre insuffisant voire une absence de conteneur à déchets, engendre l’apparition de monticules de détritus aux pieds des immeubles. Ceux-ci restent exposés à l’eau, l’air et de fortes chaleurs pendant des jours, créant ainsi des conditions idéales pour la proliférations des bactéries , ainsi que celle des rats, cafards et autres vermines. Finalement les plus graves des problèmes mais aussi les plus rares sont ceux qui affectent la structure et la stabilité des bâtiments. Au vue de leur état actuel et du peu qui a été fait pour les entretenir, la solidité structurelle des immeubles coloniaux portugais a été prouvée. Toutefois, dans certaines parties de la ville, les Portugais avaient remblayé des plans d’eau, avant de construire des immeubles de plusieurs étages. Aujourd’hui dans ces immeubles situés sur ces terrains parfois mal consolidés, des problèmes de tassements différentiels apparaissent avec le temps. D’autres problèmes encore pourraient être évoqués, mais l’essentiel a été soulevé en ce qui concerne les maux dont souffre l’habitat vertical, colonial, Moderne et tropical de la ville de Luanda. Si il est vrai que l’apparition des ces problèmes est courante au cours du processus de vieillissement d’un bâtiment, reste que bon nombreux d’entre eux pourrait être évités avec un entretien régulier. Toutefois, à ces causes naturelles de vieillissement, viennent s’ajouter des circonstances aggravantes, qui engendrent une accélération du processus de déchéance des édifices résidentiels coloniaux luandais. Parmi ceux-ci il y a les dégradations dues à un usage abusif, qui sont le fait de ceux qui habitent les lieux. C’est à la nature de ces actes de détérioration délibérés et leurs conséquences sur les bâtiments, mais aussi sur le climat social au sein de ces édifices que nous allons nous intéresser à présent.
(10) « Logo à entrada do edifício, as fezes tomam conta do pátio, por causa das fossas que se encontram entupidas » A vida nos prédios de Luanda. ANGONOTÍCIAS [en ligne]. 10 juillet 2010. (11) traduction: Les immeubles de Luanda déjà saturés (12) Article se basant sur un article précédent parut dans le journal angolais Agora. Agora est un journal qui paraît d’abord dans la presse papier et qui aujourd’hui possède aussi une version online ( http:// agora.co.ao/ ) (13) « No bairro Prenda, por exemplo, existem 23 prédios e apenas um tem os esgotos em bom estado de conservação.» Prédios de Luanda já saturados. ANGONOTÍCIAS [en ligne]. 4 septembre 2006. Disponible sur : http://www.angonoticias.com/Artigos/item/10676/ predios-de-luanda-ja-saturados (Consulté le 3/11/2016)
b - dégradation (in)volontaire du bien commun : L’immeuble colonial et les effets
de l’usure due aux usages
Dans les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux de la capitale les espaces communs tiennent une place importante. Plus que des simples lieux de passage que l’on traverserait pour rejoindre son domicile ce sont des lieux de vie où les résidents quelque soit leur âge prennent goût à demeurer. Ces dans ces espaces que se tisse le lien social qui unit les habitants d’un même édifice, qui au minimum se connaissent et au mieux entretiennent des relations cordiales voire amicales. Des logements souvent trop étroits pour les familles « nombreuses » qui y résident, rejettent dans les espaces communs les activités qu’ils ne peuvent héberger. Ainsi c’est sur les paliers que les enfants jouent, dans les cages d’escalier que les adolescent se retrouvent et sous les porches des immeubles que les jeunes se donnent rendez-vous. Les parents eux cuisinent ou bricolent sur les loggias tandis que les retraités, depuis leurs chaises installées sur les coursives, assistent en spectateur au va et vient de leurs voisins. Finalement, c’est sur les toitures terrasses que se déroulent les fêtes et les activités organisées par les habitants auxquelles tous sont naturellement conviés. Si ces espaces extérieurs partagés semblent être appréciés de tous et être le cadre presque idyllique d’une vie communautaire paisible, ils sont aussi paradoxalement les plus exposés aux comportements peu civiques de certains habitants. De relativement bien entretenu à tout juste vivable, l’état des espaces communs de immeubles de la capitale varie selon les efforts fournis par ceux qui en font usage pour les entretenir et la gravité des actes avilissants dont ils sont victimes. Dans un premier temps il y a ce que l’on pourrait qualifier de « petits actes de négligence quotidienne ». Dans cette catégories, se trouvent notamment les actes engendrant la prolifération de déchets dans les parties communes. Dans les immeubles coloniaux de la capitale bon nombre de papiers, emballages, canettes et bouteilles en plastique que les habitants oublient perpétuellement de ramasser avant de regagner leurs appartements, jonchent le sol des paliers et les marches des cages d’escaliers. Les habitants des immeubles de la capitale interrogés par les journalistes du journal angolais Agora, dans le cadre de la rédaction de l’article Prédios de Luanda já saturados (14) témoignent : Aussi incroyable que cela puisse paraître, il y a encore beaucoup de gens qui vivent dans des immeubles et qui jettent leurs ordures ou de l’eau en bas, transformant la partie basse de beaucoup d’immeubles résidentiels en « véritable » décharge (15) Dans certains immeubles des poubelles communes ont été installées dans les espaces partagée et au pied des immeubles afin d’encourager leurs usagers à collecter leurs déchets, mais ces initiatives demeurent peu communes et ne porte pas toujours leur fruits. C ‘est le cas dans le Prédio Cuca, comme l’indique les témoignages des habitants recueillis dans l’article A vida nos prédios de Luanda, réalisé par une équipe du Novo Jornal. (16) Malgré l’existence de conteneur à déchets en bas de l’immeuble, notre interlocutrice a dit que quand les adultes envoient les enfants jeter les ordures, ceux-ci ne descendent pas, les jetant depuis les vérandas de l’immeuble, vers l’entrée ou l’arrière. (17) Joaquim Dombaxe, syndic du Prédio Cuca également interrogé par l’équipe du Novo Jornal, nous informe des efforts déployés par les habitants pour tenter d’améliorer la situation sanitaire de l’immeuble.
(14) Article reprit par le journal en ligne angolais ANGONOTÍCIAS (15) « Por incrível que pareça, ainda há muita gente que vive em prédios e que joga o lixo ou águas de cima para baixo, tornando a parte debaixo de muitos prédios residências “verdadeiros” aterros sanitários » Prédios de Luanda já saturados. ANGONOTÍCIAS [en ligne]. 4 septembre 2016. Disponible sur : http://www.angonoticias.com/Artigos/item/10676/ predios-de-luanda-ja-saturados (Consulté le 3/11/2016) (16) Article reprit par le journal en ligne angolais ANGONOTÍCIAS (17) « E apesar de existirem contentores debaixo do prédio, a nossa interlocutora disse que quando os adultos mandam as crianças deitar o lixo, estas não descem, atirando-no da varanda do prédio para a entrada ou para as traseiras. » A vida nos prédios de Luanda. ANGONOTÍCIAS [en ligne]. 10 juillet 2010.
Nous payons un jeune 400 dollars par mois, grâce à la contribution des habitants et à la compagnie de télécommunication MTVCOM SATE, qui paye annuellement 3600 dollars, comme loyer, pour les antennes qu’elle a posées sur le toit terrasse de l’immeuble. Avec cet argent nous parvenons à faire quelque chose pour l’assainissement. (18) A l’image du Prédio Cuca, dans d’autres immeubles de la capitale les habitants prennent les choses en main et se cotisent pour financer un nettoyage régulier, souvent hebdomadaire des espaces communs, limitant ainsi la présence de détritus. Cependant dans beaucoup d’édifices rien n’est prévu à cet effet, ni par ceux qui résident dans les immeubles, ni par ceux qui les possèdent. Bien que quelques habitants dévoués fassent parfois l’effort de veiller eux-mêmes à l’entretien de ces espaces, ils sont souvent rapidement découragés par le comportement de leur voisins et le retour visiblement inévitable de la crasse. C’est le cas de Félix, un habitant du Prédio Cuca qui n’hésite pas à mettre la main à la pâte, et qui s’est également confié aux reporters du Novo Jornal. Félix est l’un des habitants de l’édifice qui se bat pour maintenir l’hygiène dans son lieu de vie. Cependant, selon lui, il n’a pas eu beaucoup de réussite, parce que beaucoup des habitants n’accordent pas la moindre importance aux efforts fournis par ceux qui de temps en temps nettoient l’immeuble. (19) A cela viennent s’ajouter, bien qu’il ne s’agit pas d’actes ayant un impact direct sur le bâtiment, des comportements et des attitudes qui troublent l’harmonie des relations de voisinage. Un visionnage de la télévision ou une écoute de musique à un volume sonore trop élevé , des conversations un peu trop animées, ou la multiplication de générateurs électriques dans les parties communes, peuvent représenter une gène pour les occupants des logements alentours. Il en va de même pour l’emploi des espaces communs pour des activités telles que la cuisine ou encore comme lieu de stockage des ordures ménagères, pouvant se traduire par des nuisance olfactives. L’emploi en général d’espaces destinés à un usage collectif comme débarras personnel, privant ainsi les autres résidents de leur droit de jouir de ces espaces peut s’avérer problématique. (18) « Pagamos a um jovem mensalmente 400 dólares, graças à contribuição dos moradores e à empresa de telecomunicações MTVCOM SATE, que tem pago anualmente 3.600 dólares, como aluguer, pela colocação de antenas no terraço do prédio. Com esse dinheiro conseguimos fazer alguma coisa pelo saneamento » A vida nos prédios de Luanda. ANGONOTÍCIAS [en ligne]. 10 juillet 2010. (19) « Félix é um dos moradores do edifício que luta para manter o asseio no local onde vive. Mas, segundo ele, não tem tido sucesso, porque muitos moradores não dão a mínima importância aos esforços dos que de vez em quando fazem limpeza no prédio. » A vida nos prédios de Luanda. ANGONOTÍCIAS [en ligne]. 10 juillet 2010. (20) « Os seus moradores só pensam em limpar a parte de dentro e nem respeitam os aspectos arquitectónicos dos imóveis. Fazem e desfazem as rectificações a seu bel-prazer. » Prédios de Luanda já saturados. ANGONOTÍCIAS [en ligne]. 4 septembre 2016.
Ce ne sont là que quelques exemples d’actes, qui bien que de manière souvent non délibérée, nuisent aux locaux et à ceux qui les occupent, mais auxquels il serait aisé de remédier, à condition que les habitants s’y engagent et consentent à modifier leurs habitudes quotidiennes. On trouve ensuite ce que l’on pourrait qualifier de « acte d’incivilité ». On retrouve dans cette catégorie les faits plus au moins grave, endommageant l’immeuble et causant des torts aux autres habitants. Peuvent être cités, les travaux menés par les occupants des appartements pour les adapter et les remodeler, qui quand ils sont mal réalisés, peuvent engendrer des fissures, des dégâts des eaux voir même fragiliser la structure du bâtiment. Ces questions sont abordées dans l’article Prédios de Luanda já saturados, paru dans le journal angolais Agora. Leurs habitants ne pensent qu’à nettoyer leurs intérieurs et ne respectent même pas les aspects architecturaux des immeubles. Ils font et défont des rectifications à leur gré. (20) Dans les cas, comme évoqués précédemment, de modifications qui se répercutent en façade, celle-ci peuvent quand elles sont réalisées avec peu de soin avoir un impact négatif sur l’aspect extérieur et l’esthétique du bâtiment. De plus la réalisation de ces travaux parfois sans consultation du voisinnage, et souvent sans obtention de l’accord des organismes étatiques chargés de l’urbanisme pose question.
À cela on peut additionner, les actes qui constituent un usage abusif des espaces communs. Entre autres la privatisation d’un espace destinés à un usage collectif, par le biais d’installation de grillage, portails, ou autres éléments empêchant ou compliquant l’accès à ces espaces à des tierces personnes. Ces actes, quoique possiblement réalisés sans intention de nuire à l’édifice ou à ces occupants, ont des répercussions qui peuvent être lourdes et occasionnent des gènes difficilement rectifiables voire irréversibles. En dernier lieu on peut recenser ce que l’on qualifiera d’ « actes de vandalisme ». Ils englobent les faits motivés par une volonté délibérée d’endommager une propriété commune ou appartenant à autrui. Cela va du vol des ampoules destinées à éclairer les escaliers, au sabotage des installations électriques, en passant par la réalisation de tags et graffitis sur les murs, jusqu’au épanchements de déjections sur les paliers. Autant d’actions qui détériorent les parties communes et leur font perdre leur attrait, causant parfois jusqu’à leur désertion et qui pénalisent lourdement les résidents. Les comportement à risque comme la consommation abusive d’alcool ou celle de substances illicites dans des espaces partagés et régulièrement emprunter par des enfants, ainsi que les comportements violents peuvent être également assignés dans cette troisième catégories. Les actes supra-cités participent à la dégradation de l’environnement social dans lequel évoluent les habitants des immeubles coloniaux de Luanda. Dans certains édifices situés dans des zones à forte criminalité la situation prend parfois des proportions inquiétantes. C’est notamment la cas quand des gangs décident d’y installer leur quebrada, soit leur quartier général, d’où ils commandent leurs larcins tout en terrorisant les habitants, qui évitent alors au possible de passer plus de temps que nécessaire dans les espaces communs. Si en raison des actes de négligence voire vandalisme cités précédemment, le climat social dans les immeubles de la capitale occupés de manière régulière est déjà très tendu, l’atmosphère est encore plus inquiétante dans les immeubles abandonnés de la capitale. Malgré le fait qu’ils soient officiellement vacant, nombreux de ces immeubles sont en réalité occupés par des « squatteurs » qui ne pouvant se loger ailleurs y ont élu domicile, ainsi que par des délinquants qui y ont trouvé le lieu idéal pour perpétrer des crimes en tout genre. L’article Na cidade dos monstros de betão (21) paru dans le Novo Jornal, écrit par Alexandre Lourenço (22) se penche sur la question de la criminalité urbaine et du rapport entre celle-ci et l’habitat dans la capitale angolaise, Luanda. Selon lui ces battisses délaissées sont devenues de véritables dépotoirs urbains où vivent parfois des centaines de personnes dans des conditions plus que précaires. Les « monstres de béton », comme il les nomme posent problème aussi bien sur le plan sécuritaire que sanitaire. « complices » de plusieurs crimes, allant d’abus sexuels, à des vols à main armée voire des homicides et cibles de choix pour des fréquents dépôts d’ordures, les immeubles abandonnés à Luanda sont devenus des foyers de menaces pour la santé et la sécurité.(23) Les raisons de la vacance de ces immeubles sont diverses allant du manque de fond pour achever les travaux, à l’impossibilité de retrouver leurs propriétaires. Pour ne citer que quelques exemples, le communément dénommé Prédio Negro situé dans le quartier d’Alvalade, dans la rue Emílio Mbidi est condamnée depuis 1991.
(21) traduction : Dans la ville des monstres en béton (22) Alexandre Lourenço est un journaliste angolais, qui a écrit divers articles, sur des questions de sociétés, d’économie, de culture, d’éducation et de politique pour le NOVO JORNAL. (23) “ « cúmplices » de vários crimes, que vão desde abusos sexuais a assaltos e até homicídios, e alvos preferenciais para repetidas descargas de lixo, os prédios abandonados em Luanda tornaram-se focos de ameaça à saúde e à segurança. ” A ciadade dos monstros de betão Novo Jornal [en ligne] 29 avril 2016 Disponible sur : http://novojornal. co.ao/artigo/62900/na-cidade-dosmonstros-de-betao
Dans le cas de l’immeuble nº5 du rond point de Kinaxixi, également connu comme Prédio Miruí, les habitants ont été contraint de quitter leurs logements en raison d’un risque effondrement, il y a déjà plus de dix ans. Un des exemples les plus emblématique reste toutefois celui de l’immeuble situé sur une des avenue principale de Luanda, l’avenue António Barroso. Dressé face à la cidade alta, cœur politique de la capitale angolaise, qui abrite notamment le palais présidentiel, cet immeuble inachevé depuis 1974, illustre les limites de la politique urbaine menée par le gouvernement. Les habitants des environs interrogés par l’équipe du Novo Jornal témoignent : bien que condamné à l’aide de plaques de tôle pour empêcher l’ingression de personnes, rien ne semble freiner l’avancée des marginaux. (24) l’endroit s’est transformé en un « véritable quartier général de bandit ». (25) Loin d’être un cas isolé, le nombre de crimes commis dans ses immeubles abandonnées ne cesse de croitre, mettant ainsi en péril la sécurité de ceux qui par manque d’alternative sont contraint d’y vivre, mais également celle des habitants des immeubles environnants. Ceux-ci craignent que la vague de criminalité s’étende à tout le quartier et militent pour la destruction de ces immeubles, dans les cas où la réhabilitation n’est plus envisageable. Une des habitantes d’un immeuble située à proximité du Prédio Negro affirme avoir peur le soir venu car elle a déjà été victime d’agression. Moi-même je me suis faite braquer plusieurs fois. (26) Un autre résident du quartier déplore que l’espace occupé par ces constructions décadentes ne soit pas employé à meilleur escient. C’est un espace qui pourrait servir à faire une école ou même un centre commercial mais rien ne se fait, et nous ne savons pas pourquoi. (27)
(24) « apesar de vedado com chapas para impedir a invasão de pessoas, nada parece travar o avanço dos marginais. » LOURENCO, Alexandre. A cidade dos monstros de betão Novo Jornal [en ligne] 29 avril 2016 (25) « o lugar tornou-se um verdadeiro quartel de bandidos » LOURENCO, Alexandre. A cidade dos monstros de betão Novo Jornal [en ligne] 29 avril 2016 (26) « Eu mesma já fui várias vezes assaltada » LOURENCO, Alexandre. A cidade dos monstros de betão Novo Jornal [en ligne] 29 avril 2016 (27) « É um espaço que servia para se fazer uma escola ou até um centro comercial mas não se faz nada, e não sabemos porquê » LOURENCO, Alexandre. A cidade dos monstros de betão Novo Jornal [en ligne] 29 avril 2016
La situations des immeubles abandonnés de la capitale angolaise, où tout les maux qui affectent l’habitat vertical, colonial et tropical évoqués précédemment se trouvent décuplés, vient confirmer une tendances aux délaissement mise en évidence précédemment. L’inaction des organismes étatiques chargée de veiller à la conservation et au renouvellement du tissu urbain, même face à des cas aussi alarmants, engendre de nombreux problèmes à l’échelle de la ville. Les situations et les comportement évoqués constituent une liste non exhaustives et subdivisée en trois catégories répertoriant les différents facteurs qui collaborent à la détérioration des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux, aussi bien sur le plan matériel que social, qui nous permet de comprendre un peu mieux l’état dans lequel se trouvent aujourd’hui beaucoup de ces édifices. Comme suspecté cela ne se doit pas uniquement à un « vieillissement naturel du bâtiment » . Les habitants et leurs usages des espaces privés comme collectifs des immeubles, ont joué un rôle déterminant dans le processus de dégradation des immeubles de la capitale, en l’accélérant notamment. Toutefois ce qui demeure obscur sont les raisons derrières la récurrence et la multiplication de ces comportements inciviques à travers les immeubles de la capitale. Ce qui ressort des témoignages des habitants et des observations faites in situ, c’est que ces derniers se sentent désinvestis de la responsabilité de veiller à l’entretien de leur propres cadre de vie et ce bien qu’ils soient les premiers à souffrir les préjudices engendrés par leur état de déchéance.
Alors si les habitants ne se considèrent pas responsable du maintien des immeubles qu’ils habitent, qui l’est selon eux ? Peut-être ceux à qui appartient l’immeuble, soit dans la plupart des cas l’Etat angolais. Les habitants eux sont propriétaires tout au mieux de leurs appartements, et se chargent selon leur moyen de la conservation de leurs biens, mais ils ne se considèrent guère dans l’obligation de se soucier de ce qui se passe au-delà de leurs portes d’entrée. Quand bien même certains serait enclin à s’investir, lassé que leurs efforts ne s’accompagnent ni de ceux des autres résidents ni même de ceux des entités étatiques responsable, en l’occurence le Ministère des Travaux Publics et de l’Urbanisme, ils abandonnent souvent leur initiatives. L’attitude des habitants des immeubles de la capitale est peut être une simple réponse voire conséquence de la désinvolture de ceux qui selon eux devraient veiller à l’entretien de la ville et donc de ses bâtiments. Certains affirment avoir adresser des courriers faisant part de leur inquiétudes quand aux problème d’ insalubrité et d’ insécurité qui gangrènent leur lieu de vie et sollicitant une intervention des instances responsables et capables de remédier à la situation. Restés sans réponses ou ayant obtenus des promesses qui tardent à se concrétiser, un mécontentement et un certain sentiment de délaissement les a gagnés. Les habitants des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux de Luanda s’interrogent ; pourquoi se donner la peine d’entretenir avec les moindre moyens qu’ils ont à leur disposition, des immeubles que l’Etat délaisse depuis maintenant quarante-deux ans ?
c - une politique urbaine défaillante : L’immeuble colonial ou le reflet de soixante-dix
ans de manque d’entretien
Pendant longtemps la guerre, d’indépendance puis civile, a été la cause évoquée par le gouvernement angolais pour justifier la rareté des initiatives prises pour entretenir les bâtiments de la capitale et notamment les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux. Des préoccupations plus urgentes et une économie instable à l’image de la situation politique du pays, ont longtemps relégué au second plan les questions qui touchent à l’habitat, sa production et sa conservation. Depuis, la signature du tant attendu accord de paix entre la UNITA (Union Nationale pour l’indépendance Totale de l’Angola) et le MPLA ( Mouvement Populaire de Libération de l’Angola), le 4 avril 2002, a permis au pays d’acquérir une certaine stabilité. S’en suivirent quelques années de prospérité économique, qui ont permis aux acteurs publics et privés du secteur immobilier de multiplier les projets, ce qui s’est traduit par une explosion du nombre de logement dans la capitale. Au cours de cette période la Baixa de Luanda s’est « verticalisée » en se parant d’un bon nombre de tours contemporaines de verre, de béton et d’acier, s’élevant à plus d’une centaine de mètres. A la périphérie de la ville les condominios privados, fortement inspirés du modèle américain de la gated community pavillonnaire, se sont multipliés favorisant ainsi l’étalement urbain. Des villes nouvelles et des nouvelles centralités telles que Kilamba, comptant des dizaines de milliers de logements, ont été construites dans des laps de temps record pour tenter de désengorger la ville coloniale et de contenir l’expansion des musseques (28). Mais alors que la ville s’est parée de nombreuses nouvelles constructions, qu’en est-il des édifices existants et notamment des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux ? Le Gouvernement Provincial de Luanda (29), dans le but d’améliorer l’image de la capitale angolaise et le quotidien de ces habitants lance en 2004 un certain nombre d’initiative. D’abord une campagne de ramassage des déchets, puis une opération visant à désencombrer les trottoirs de la ville des générateurs électriques et autres objets empêchant une circulation fluides des piétons et ensuite des travaux de réparation des voiries et des trottoirs. Finalement, le GPL décide de se pencher également sur la question des édifices de la ville et notamment celles des immeubles résidentiels.
(28) zone d’habitation résultant d’occupation spontanée, non reglementée par l’Etat, et dans la plupart des cas non reliée aux réseaux de la ville. On y trouve essentiellement de l’habitat pavillonaire, sous forme de baraque. (29) organisme étatique responsable de la gestion de la province de Luanda
Constatant le triste état dans lequel se trouve bon nombre d’entre eux, Higino Carneiro, coordinateur de la Commission de Gestion de Luanda et Ministre des Travaux Publics, signe l’ordonnance 24/004. Celle-ci oblige légalement les propriétaires des appartements des immeubles de la capitale à prendre les mesures nécessaires pour que les façades, et les murs des espaces communs de ces derniers soit repeints. Ces travaux de peinture doivent être impérativement entrepris sur une durée de quatre-vingt-dix jours à compter du 15 mai 2004, date marquant le passage à la saison sèche. Quant aux coût des travaux, ils doivent être repartis entre les propriétaires. Cette décision est mal reçue par de nombreux Luandais, qui considèrent qu’il est de la responsabilité de L’Etat de financer ce type d’intervention et affirment ne pas avoir les moyens de mener à bien de tels travaux dans les délais imposés.
Interrogée à ce sujet par les équipes du Jornal de Angola, Rosa Micolo, directrice provincial de l’habitation, exprime son soutient à cette mesure. La majorité des édifices de Luanda se trouvent dans un état avancé de dégradation et il est nécessaire de mettre un terme à cette situation. (30) La résolution du problème de dégradation des édifices doit inclure la participation des résidents, qui doivent contribuer financièrement pour que leur immeuble soit propre. (31) Elle donne également des détails quand à la manière dont devraient se dérouler les opérations. Des réunions seraient organisées entre les autorités provinciales et municipales, les administrateurs des immeubles et les présidents des comités des habitants. Leur objectif serait dans un premier temps de sensibiliser les habitants à la question de l’entretien de leur cadre de vie et de recueillir les opinions et critiques constructives de ces derniers. Ces réunions devraient également permettre l’établissement d’un diagnostique pour chaque immeuble afin de déduire le coût approximatif des travaux et permettre aux organismes étatiques délégués sur place d’analyser la situation financière des résidents afin de juger de la nécessité ou non d’une participation de l’État pour couvrir les frais. Le gouvernement est conscient qu’il y a des immeubles qui sont tellement dégradés qu’il devra y avoir une participation de l’État. (102) L’État va co-participer, mais pas dans la totalité, et après, à long terme, les habitants devront rembourser cette somme. (103) Quand à ceux qui refuseraient d’appliquer ces nouvelles mesures et d’effectuer les travaux de peinture requis dans les délais imposés, L’État se réserverait le droit des les traduire en justice. La municipalité de Ingombotas où se situe à cette date près de 85% des immeubles de la capitale serait la plus concernée par ces opérations. Suite à cette annonce des travaux de peintures furent effectivement entrepris et de nombreux immeubles de la capitale gagnèrent de nouvelles couleurs, mais cette mesure purement esthétique ne put à elle seule freiner la dégradations des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux. Dans les années qui suivirent cette initiatives les conditions de vie au sein des immeubles de la capitale continuèrent de se détériorer et les plaintes des Luandais de se multiplier, remettant ainsi en cause l’efficacité et le bien fonder de la politique urbaine mener jusque là par l’État en ce qui concerne la conservation du patrimoine bâti de la ville. Lors d’une interview accordée à la Radio Ecclesia (34) en juillet 2006, Zeferino Neto, alors directeur du cabinet juridique de la Direction de l’Habitation, se penche sur la question. Bien qu’il reconnaisse les maux dont souffrent un grand nombre d’immeubles résidentiels de la capitale, il n’attribue pas cet état des choses à une politique urbaine défaillante mais plutôt à un manque de savoir vivre des habitants, qu’il tient pour responsable. la plupart des édifices de Luanda, se trouvent aujourd’hui sales et malodorants, ce qui à l’entendement de la direction d’habitation de la capitale, se doit au manque de responsabilité des habitants.(35) Quand au mesure à prendre pour remédier à cette situation, selon lui les solutions doivent dans un premier temps venir des résidents des immeubles. Il appelle ces derniers à se mobiliser et améliorer par eux-mêmes leur cadre de vie.
(30) « A maior parte dos edifícios de Luanda encontra-se num acentuado estado de degradação e é necessário pôr cobro a esta situação » /. Ordenada pintura dos prédios de Luanda, Angonotícias d’après un article du Jornal de Angola. 28 mars 2004. [en igne] disponible sur : http://www.angonoticias.com/Artigos/ item/408/ordenada-pintura-dos-predios-de-luanda (31) « a resolução do problema da degradação dos edifícios deve envolver a participação dos condóminos, que têm que contribuir financeiramente para que o seu prédio esteja limpo » /. Ordenada pintura dos prédios de Luanda, Angonotícias d’après un article du Jornal de Angola. 28 mars 2004. (32) « O governo tem consciência de que há prédios que estão tão degradados que tem de haver uma participação do Estado. » /. Ordenada pintura dos prédios de Luanda, Angonotícias d’après un article du Jornal de Angola. 28 mars 2004. (33) « O Estado vai comparticipar, mas não na totalidade, e depois, a longo prazo, os moradores vão devolver esse valor. » /. Ordenada pintura dos prédios de Luanda, Angonotícias d’après un article du Jornal de Angola. 28 mars 2004. (34) Radio Angolaise affiliée à l’Église catholique ( FM 97.5 ) Connu pour ces différents programmes dédiés à l’actualité et aux questions de société, et faisant souvent intervenir dans le cadre d’interview différentes personnalités et personnes publics angolaise. (35) « A maior parte dos edifícios de Luanda, encontram-se sujos e mal cheirosos, o que no entender da direcção da habitação da capital, deve-se a falta de responsabilidade dos moradores. » Mau estado dos edifícios de Luanda preocupa governo províncial ANGONOTÍCIAS. 5 Juillet 2006 [ en ligne ] Disponible sur : http://www.angonoticias.com/Artigos/ item/9875/mau-estado-dos-edificios-de-luanda-preocupa-governo-provincial
faisant appel aux occupants des divers édifices et encourageant une conservation continue, qui à son avis, permet d’éviter des graves conséquences. (36) Il va même plus loin en affirmant que des mesures judiciaires seraient prises à l’encontre des mauvais usagers des édifices, aussi bien résidentiels que commerciaux . Les sanctions juridiques évoquées viseraient à protéger les immeubles et leurs propriétaires. Appelé à s’exprimer sur rôle de l’État dans le processus de réhabilitation du patrimoine bâti et notamment sur le fait que de nombreux habitants de la capitale à travers leurs représentants aient réclamé des travaux qui tardent à venir, il répond que la tâche sera longue. Il affirme toutefois que l’État s’engage à lancer une opération pour un traitement au cas par cas, préférable selon lui à une stratégie d’ensemble. Chaque immeuble est un immeuble et chacun présente un problème, de ce fait, il nous a semblé préférable de nous réunir avec leurs assemblées d’habitants et leur syndic pour progressivement diagnostiquer les problèmes que chaque immeuble a. ( 37)
20/12/2018
Cette interview vient appuyer l’idée que l’investissement du gouvernement angolais dans la réhabilitation du tissu urbain de la capitale reste trop limité au vue de la gravité de la situation Old Luanda crumbling | © Sam.Seyffert | Flickr dans laquelle se trouvent de nombreux édifices. Celui-ci rejette la responsabilité sur les habitants, qui eux-mêmes attendent de l’État qu’il prenne les siennes. Quant aux mesures personnes ou groupe d’interventions proposées, elles semblentPhotos, encore trop « floues » pour être véritablement convaincantes et rassurantes pour des habitants dont le mécontentement ne cesse de croitre. L’État peine également à inscrire ces promesses d’interventions dans une temporalité définie et les tant attendus travaux tardent toujours à se concrétiser. Au vue de ce désengagement de L’État pour la conservation des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux, la question qui se pose est ; combien de temps ce laisser-aller peux rester sans conséquences ?
(36) « apelando e incentivando os ocupantes dos vários edifícios da capital para a contínua conservação, que no seu entender, previne consequências sérias. » Mau estado dos edifícios de Luanda preocupa governo províncial ANGONOTÍCIAS [ en ligne ] 5 Juillet 2006 (37) « Cada prédio é um prédio e cada um apresenta um problema, portanto, achamos melhor reunirmos com as suas assembleias de moradores e o seus administradores para paulatinamente diagnosticarmos quais os problemas que cada prédio tem» Mau estado dos edifícios de Luanda preocupa governo províncial ANGONOTÍCIAS [ en ligne ] 5 Juillet 2006
photographie ci-contre: Détails d’une façade d’un immeuble colonial, Moderne et tropical, Luanda © Sam Seyffert Source : Flickr
B - L’EFFET DOMINO : Ou comment le prédio de la DNIC entraina dans sa chute l’immeuble colonial moderne et tropical.
a – le catalyseur : l’effondrement du prédio de la DNIC Dans la nuit du 29 mars 2008, aux alentours de 4h30, soit environ deux ans après l’ interview accordée par Zeferino Neto, représentant de l’État en tant que directeur du cabinet juridique de la Direction de l’Habitation, à la Radio Ecclesia , l’immeuble de la Direction Nationale d’Investigation Criminelle ( DNIC ) s’écroule. Cet immeuble de sept étages, datant de l’époque coloniale, propriété d’un organisme étatique, occupé par cent quatre-vingts personnes dont des détenus au moment du drame, s’est effondré dans des circonstances qui restent floues, faisant trente morts. Depuis une enquête a été ouverte et à ce jour des questions demeurent. Est-il possible qu’il n’ y ait eu aucun signe avant coureur qui aurait du alerter les autorités sur l’état de l’immeuble ? Et si il y en a eu pourquoi l’immeuble n’a pas été évacué ? Qui tenir pour responsable de la mise en danger de la vie des occupants de l’immeuble et de la mort des victimes de ce drame ? En 2015, interrogé sur le sujet devant le parlement angolais (1), Eugénio Laborinho, Secrétaire d’ État des Services de Protection Civile et des Pompiers, du Ministère de L’Intérieur angolais, a reconnu qu’il y avait eut deux premières vagues de secousses avant qu’à la troisième l’immeuble ne s’effondre. Bien que malgré ces signaux d’alerte l’immeuble n’ait pas été évacué pour autant, il a toutefois maintenu que L’Etat et le directeur de la DNIC ne pouvait être pris pour responsable du drame. Il a rejeté cette responsabilité sur l’administration coloniale. (1) Desabamento de edifício da DNIC sem culpados sete anos depois. Clube-K [ en ligne ] 26 novembro 2015 Disponible sur :http:// club-k.net/index.php?option=com_content&view=article&id=22771:desabamento-de-edificio-da-dnic-sem-culpados-sete-anos-depois&catid=2:sociedade&Itemid=1069&lang=pt basé sur l’article : Desabamento de edifício da polícia de Luanda sem culpados sete anos depois. LUSA : Agencia de Notícias de Portugal, 24 novembre 2015 (2) « É o colono que construiu mal, construiu por cima de um lençol de água. » Desabamento de edifício da DNIC sem culpados sete anos depois. Clube-K [ en ligne ] 26 novembro 2015
photographie de la page de gauche: L’immeuble «Cuca» ©Bruno Thielleux source: Flickr
C’est le colon qui a mal construit, il a construit au-dessus d’une nappe phréatique. (2) Selon lui ce drame se doit uniquement au fait que l’immeuble se situait dans une zone d’érosion hydraulique où de nombreux cours d’eau affluaient et donc dans une zone à risques et non à des négligences. Cette interview vient confirmer la tendance de l’État a se dédouaner de la responsabilité de l’entretien des immeubles de la capitale y compris ceux dont il est le propriétaire et l’usager. L’effondrement de l’immeuble de la DNIC a permis de rappeler à l’esprit des citadins que l’entretien du patrimoine bâti, ne peut être une préoccupation secondaire et doit au contraire constituer une priorité. Cela est d’autant plus vrai dans une ville où grand nombre d’immeubles datent de l’époque coloniale et ont donc aujourd’hui entre quarante et soixante-dix ans, période durant laquelle ils n’ont souvent guère été entretenus et parfois même été malmenée. Si des mesures concrètes et efficaces visant à réhabiliter les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux ne sont pas prises, il faut s’attendre à ce que des drames comme celui-ci cessent d’être des incidents isolés et deviennent un problème récurrent dans la capitale angolaise. Ce drame rend aussi particulièrement questionnable la capacité de l’État à intervenir à temps en procédant au cas par cas comme annoncé par Zeferino Neto deux ans plus tôt. Au terme de ce laps de temps rares sont les immeubles ayant été diagnostiqués et plus rare encore ceux qui ont été réhabilités.
À la suite de cette épisode une commission fut créée et chargée d’effectuer un inventaire des immeubles présentant des signes de risque d’éboulement, dans la ville de Luanda. Selon le général Eugenio Laborinho, coordinateur des Services de la Protection Civile d’ Angola, interrogé en avril 2008 par les journalistes du périodique Lusa (3) cette commission existait déjà, mais elle fut réactivée suite à l’effondrement de l’immeuble de la DNIC, dans le but de garantir la sécurité des habitants et d’éviter qu’un tel scenario se reproduise. Une fois identifiés les édifices présentant un potentiel danger pour leurs occupants devraient être évacués dans un délai de un à deux ans et ceux qui y résidaient se verraient attribuer de nouveaux logements. Une campagne de sensibilisation serait également menée auprès des habitants des immeubles de la capitale, afin de les encourager à entretenir davantage leur lieu de vie.
(3) /. Comissão procede a levantamento de prédios em situação de risco em Luanda, d’apres le journal Lusa. 1 avril 2008 [en ligne] disponible sur :http:// www.angonoticias.com/Artigos/ item/17818/comissao-procede-a-levantamento-de-predios-em-situacao-de-risco-em-luanda (4) traductible par : l’immeuble sale de Marçal (5) traductible par : l’immeuble Trembletremble
Parmi les immeubles à inspecter d’urgence comptait notamment le Prédio da Cuca, le Prédio das Heroínas, le Prédio do Kinaxixi, le Prédio Sujo do Marçal (4) , le Prédio Tremetreme (5) ou encore le prédio de la Angola Telecom. Quel fut le sort de ces immeubles ?
Photographies ci-contre : Effondrement de l’immeuble de la Dnic © Lusa Source :http://cangue.blogspot. com/2008/03/desaba-o-prdio-da-dnicem-luanda.html
b - réaction de chaine : à l’aube de la chute de la ville coloniale, Luanda sous les coups des bulldozers
Construit au milieu des années soixante-dix, le predio de la Angola Telecom comptant dix étages et quatre-vingt-quatre appartements, se situait en plein de cœur du centre ville de Luanda, dans la municipalité de Maianga. Connu notamment pour avoir été le siège de la première compagnie de télécommunication du pays, la Angola Telecom, de 1979 à 2006, cet immeuble était également un point de repère pour les Luandais. En mai 2008, des techniciens du Ministère des Travaux Public, chargés d’inspecter les locaux et d’établir un diagnostique, afin de déterminer l’habitabilité de l’édifice avaient constaté que celui-ci présentait de nombreux désordres. Les fondations étaient fragilisées en raison de tassements différentiels, des fissures dans les murs et des ruptures de canalisations provoquant des problèmes d’infiltrations inquiétaient également. Il conclurent que l’immeuble présentait un danger pour ces occupants , car celui-ci pourrait s’écrouler. Par ailleurs au vue de la gravité des dysfonctionnements il fût déterminé que des travaux de rénovation ou de réhabilitation ne pourraient être entrepris car la structure du bâtiment était dans un stade de dégradation trop avancé pour pouvoir être récupérée. Le destin du Prédio Angola Telecom fût scellé et sa démolition annoncée par le directeur provincial des travaux public et de l’urbanisme de la ville de Luanda, Torres Bunga. En juin 2008, les deux cents vingt-quatre personnes qui occupaient l’immeuble furent évacuées et relogées dans des appartements situés dans le projet de logement abordable financé par le gouvernement, le Projeto Nova Vida. Ce n’est cependant que quatre ans après cette évacuation d’urgence, que les travaux de démolition débutèrent. Pendant le laps de temps durant lequel l’immeuble demeura inoccupé, il devint un lieux de criminalité. De nombreux incidents voire meurtres s’y déroulèrent, provocant l’indignation des habitants des autres immeubles du quartier, qui regrettaient l’époque où l’édifice était le foyer de famille plutôt qu’un repère de marginaux. La démolition de l’immeuble qui se fît étage par étage, afin d’éviter de perturber la circulation dans cette zone centrale et très fréquentée de la ville débuta en mai 2012 et fût conclue en août de la même année.On annonça alors qu’un nouvel immeuble, à l’architecture plus moderne verrait le jour à cet emplacement. Peu de temps après la démolition du Prédio Angola Telecom ce fût au tour du Prédio da Tchetchenia, déjà evacuée depuis quelques années, de connaître le même destin. Cet immeuble de quatorze étages, situé dans le quartier de Cidadela, dont les travaux n’avaient jamais été achevé, logeait près de cent quatre-vingts familles. L’immeuble présentait du fait de son état d’inachèvement de nombreux problèmes. L’ accès à l’eau et à électricité par exemple été assuré par des réseaux improvisés par les occupants, ce qui s’est traduit au fil des années par de nombreux problèmes d’inondation, de court-circuit voire des cas d’électrocution. La solidité même de la structure de l’édifice laissait à désirer et nombreux incidents dus à des éboulements sont survenus.
C’est pour ces raisons notamment que le 16 octobre 2005 les habitants de l’immeuble avaient été évacués sous la supervision d’agent du Gouvernement Provincial de Luanda et de la Police Nationale, aux alentours de cinq heure du matin, comme le rapporte l’article du journal local Angonotícias. Des camions avaient ensuite transporté les résidents et leurs biens vers leurs nouveaux logements situés dans les zones résidentielles de Zango et Panguila, à la périphérie lointaine de Luanda. Toutefois certains habitants ne furent pas satisfait par cette décision du gouvernement, car la distance entre leur nouveau logement et tous les lieux qu’ils avaient pour habitude de fréquenter était un obstacle au quotidien. Les étudiants notamment se trouvèrent lésés par ce déménagement hâtif survenu juste avant la fin de l’année scolaire, la plupart d’entre eux se retrouvant sans moyen de transport pour se rendre en cours. L’un d’entre eux, interrogé à ce sujet avait fait par de son mécontentement : L’année est presque finie, il reste très peu de temps avant la fin des cours, mais ça ne va pas être possible. Ils auraient au moins dû attendre que l’année scolaire se termine. (6) Très rapidement un sentiment de mécontentement a gagné également les habitants des immeubles voisins, puisque entre le moment où l’immeuble fut évacué en vue d’une démolition et celui où il fût effectivement démoli, six ans se sont écoulés. Le même scenario que pour le Prédio Angola Telecom s’est répété et l’immeuble vacant devint un lieu de délinquance et il acquit également une triste réputation suite aux nombreux cas de suicides qui y ont été recensés, pendant ce laps de temps. Malgré les nombreuses plaintes reçues ce n’est qu’en octobre 2011 que le gouvernement à travers un communiqué public annonça la démolition imminente du Prédio da Tchetchenia. Torres Bunga, le directeur de la direction provinciale des travaux publics, interrogé par les journalistes du périodique ANGOP, fît savoir que suite à des études menées par des entreprises spécialisées, il a avait été décidé que l’immeuble serait détruit en utilisant de la technologie de pointe afin que les travaux n’affectent pas les voies et les bâtiments alentours. Toutefois aucune entreprise n’avait encore été retenue pour effectuer les travaux. Ce n’est qu’au deuxième trimestre de l’année 2012, que les travaux de démolition débutèrent, au grand soulagement des habitants des environs, à l’image de Paulo Azevedo, qui interrogé par l’équipe de l’hebdomadaire Factual a affirmé : C’est une initiative louable que de démolir les immeubles inutilisés de Luanda, vue qu’ils abritaient des délinquants et facilitaient la pratique de crimes, comme la consommation de drogues. (7) Peu de temps avant la destruction du Prédio da Tchetchenia, un autre immeuble emblématique de la skyline Luandaise venait lui aussi d’être évacué, le Prédio Cuca. Le Prédio Cuca, fût édifié au début des années soixante-dix, cet immeuble de douze étages, comptant cent-soixante appartements où vivaient cent soixante-dix familles jusqu’en 2011, a été pendant longtemps un point de repère dans le paysage de Luanda. Surmonté d’un écriteau de cinq mètres de haut au nom de la bière locale, la Cuca, à qui il doit son nom, il se détachait clairement dans la skyline Luandaise, dont il fût longtemps l’une des plus hautes constructions. Cet édifice connu de tous, véritable symbole de la capitale angolaise était présent sur de nombreuses cartes postales de la ville. Avec sa façade en carreaux de faïence bleu turquoise et ses paliers revêtus de marbre, il était au moment de sa construction l’un des plus cher et luxueux immeuble résidentiel de Luanda.
(6) « O ano já está a acabar, só falta pouco tempo para acabar as aulas, assim não vai dar. Eles tinham que esperar pelo menos até o ano lectivo acabar. » Moradores do prédio da Tchetchenia evacuados este fim de semana, Angonoticias ( source : Rádio Ecclésia) 18 octobre 2005 (7) « é de louvar a iniciativa em demolir os prédios que estão inutilizados em Luanda, visto que estavam a albergar delinquentes e a facilitar a prática de crimes, como o consumo de drogas. » Vizinhos esperam por demolição. Semanário Factual semaine du 12 au 19 mai 2012.
Quarante ans après sa construction, le manque d’entretien régulier et les dégâts dus au temps et à l’usure, avaient gravement endommagés cet édifice iconique. Des multiples fuites d’eau au niveau des canalisations, dues à la rouille notamment, avaient engendré la formation de lac d’eau stagnante, sur les paliers et au pied de l’immeuble. Cette situation était de plus aggravée par la présence de dépôts sauvage de déchets à l’arrière de l’immeuble, dont les habitants de l’édifice étaient en partie responsable. La saleté et l’humidité qui en résultaient a favorisée pendant des années la prolifération de vermine en tout genre, notamment des moustiques, qui sous cette latitude sont porteur de nombreuses maladies, dont le malaria. Au problème sanitaire que la présence de ces mares nauséabondes causaient, vint s’ajouter un problème encore plus grave, d’ordre structurel. Les eaux stagnantes au bas de l’immeuble avaient finies par atteindre les fondations du bâtiment et en fragiliser la structure. En 2008, à la demande des habitants, inquiets du mauvais état de l’édifice, une équipe d’ingénieurs et d’experts délégués par le Ministères des Travaux Publics, s’était rendue sur place pour effectuer un diagnostique. Les résultats de cette études s’étaient avérés plutôt encourageants, puisque aucun problème grave n’avait été détecté à l’époque. Deux ans plus tard, dans la nuit du 4 décembre 2010, un glissement de terrain causé par les travaux de construction du nouveau centre commercial de Kinaxixe, située juste en face du Prédio Cuca, là où auparavant se dressait le tout aussi emblématique marché de Kinaxixe démoli en 2008, ont fait trembler l’immeuble. Réveillés par les secousses, les habitants en panique ont quitté leurs appartements pour se réfugier sur la place de Kinaxixe. Ces derniers ont appelé les pompiers et alerté les autorités. Les agents de l’organisme de Protection Civile envoyés sur place, ont cependant, en se basant sur l’étude effectuée deux ans plus tôt, décidé de ne prendre aucune précaution particulière, jugeant que la stabilité de l’immeuble n’était pas compromise. Les habitants du Prédio Cuca ont regagnés leurs logements, non sans crainte. A peine quarante-huit heures après cette première frayeur, aux alentours de cinq heures du matin dans la nuit du 6 décembre, les habitants du prédio Cuca ont à nouveau été brutalement tirés de leur sommeil, par de nouvelles secousses, causant cette fois des éboulements.
(8) « Vamos, o mais breve possível, realojar estas famílias, para que possam, a partir de hoje, estar acomodadas condignamente nos novos edifícios que preparamos no Zango » Moradores do prédio «Cuca» foram para habitações novas. Jornal de Angola 7 de Dezembro, 2010
Craignant qu’une tragédie comme celle de l’effondrement de l’immeuble de la DNIC ( Direction National d’Investigation Criminelle ) ayant causé la mort de trente personnes ne se reproduise, les autorités ont cette fois réagit rapidement. Une équipe de spécialistes en architecture du Gouvernement Provincial de Luanda et du Laboratoire National d’Ingénierie du Ministère des Travaux Publics a été envoyée sur place pour menée une nouvelle étude. Cette fois ils conclurent que le danger d’effondrement était réel et les habitants furent évacués. Très rapidement des bus transportèrent les familles vers deux immeubles de quinze étages, situés dans la Nouvelle centralité de Zango, dans la municipalité de Viana, à quarante kilomètres du centre ville de Luanda. Des appartements comptant deux à quatre chambres leur furent attribués. Cette opération de relogement fut supervisée par Bento Soito, ancien vice-gouverneur de Luanda, qui s’était à l’époque adressé aux médias à ce sujet, pour garantir que les opérations se déroulaient bien. Nous allons, le plus rapidement possible, reloger ces familles, pour qu’elles puissent, à partir d’aujourd’hui, être accommodées dignement dans les nouveaux édifices que nous avons préparés à Zango. (8)
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Les cent soixante-dix familles subitement privées de domicile s’interrogeaient sur leur avenir et étaient partagées entre le soulagement d’être relogées ailleurs, dans des appartements neufs et des immeubles offrant de meilleures conditions de vie, et la crainte des bouleversements que ce déménagement causeraient assurément dans leur quotidien. Certains vivaient dans le Prédio Cuca depuis plus de trente ans, et travaillaient ou étudiaient à proximité, et ce déménagement bien que nécessaire les inquiétaient, comme en témoignent des interviews accordées par certains d’entre eux au moment des faits. Nous sommes en parties heureux, parce que nous allons vivre dans des maisons plus confortables, malgré le fait que c’est très loin des lieux où nous travaillons ou étudions. Cela sera mieux que de continuer à vivre dans un lieu qui n’offre aucune sécurité. (9) Tocinha Ribeiro, un autre habitant été du même avis : Cuca building getting demolished | Floor by floor, three dig… | Flickr
Ce processus de relogement arrive au moment opportun, mais cela va avoir une incidence sur ma vie d’étudiant, à cause de la distance entre Zango et le centre ville de Luanda. (10) Photos, personnes ou groupe Globalement les anciens habitants du Prédio Cuca se trouvèrent initialement satisfait, puisque comme le rappelle le coordinateur de la commission des habitants de l’immeuble, Joaquim Ndombaxi, cela faisait vingt ans que l’état de l’immeuble se dégradait rapidement et que les habitants attendaient une intervention de l’Etat. La question du devenir des habitants du prédio Cuca ayant été résolue, demeurait celle du devenir de l’immeuble en lui-même. En mai 2011, les travaux de démolition commandités par le Gouvernement Provincial de Luanda débutèrent. Ceux-ci se déroulèrent par phase, les douze étages que comptaient l’immeuble furent successivement démolis. L’opération dura huit mois, au terme desquelles, un des emblème de la capitale angolaise disparu à jamais de sa skyline.
(9) « Em parte estamos felizes, porque vamos morar em casas mais confortáveis, apesar de ser muito longe do local onde estudamos e trabalhamos. Mas vai ser melhor assim do que continuar a viver num sítio que não oferece segurança », reconheceu Elsa Guimas. Moradores do prédio «Cuca» foram para habitações novas. Jornal de Angola 7 de Dezembro, 2010 (10) « este processo de realojamento está a acontecer no momento oportuno, mas vai interferir na minha vida de estudante, por causa da distância entre o Zango e o centro da cidade de Luanda » Moradores do prédio «Cuca» foram para habitações novas. Jornal de Angola 7 de Dezembro, 2010 photographie ci-contre: Démolition de l’immeuble Cuca © Sam Seyffert Source : Flickr
Peu de temps après l’évacuation du prédio da Cuca, ce fût au tour des habitants du Prédio da Lagoa do Kinaxixe d’être relogés. Cet immeuble tout aussi emblématique de la skyline de la capitale, l’était cependant pour des toutes autres raisons. Cet édifice de dix-sept étages dont la construction avait débute en 1975 n’avait jamais été achevée. Situé à l’emplacement du lac de Kinaxixe, remblayé juste avant le début des travaux, l’immeuble a des le départ bénéficié de mal chance. La rumeur raconte que le lac se serait reformé au cours de la construction, endommageant les fondations du bâtiment. De plus, le chantier aurait été régulièrement interrompu suite à de nombreux accidents de travail, avant de finalement être définitivement laissé en suspens au moment des conflits armés de 1992. Le squelette de cette tour hantait depuis le paysage Luandais. D’abord laissé à l’abandon il a été progressivement occupé à partir de 1993, notamment par des familles fuyants les affrontement opposant la UNITA au MPLA qui faisaient rage dans les provinces. Petit à petit ces familles ont elles-mêmes poursuivis la construction de l’immeuble, en improvisant des escaliers, en créant des partitions intérieures et en bricolant des façades avec divers matériaux de récupération, conférant ainsi à l’immeuble son esthétique unique. Sa façade en patchwork aisément reconnaissable lui donnait des airs de « musseque vertical ». Globalement les conditions de vie au sein de l’immeuble étaient mauvaises, n’étant connectés ni au réseau d’eau ni au réseau électrique, les habitants se trouvaient forcés de recourir à des pratiques parfois dangereuses. Transporter au quotidien des lourds bidons d’eau sur des escaliers improvisés et fragiles, installer des générateurs à l’intérieur des appartements, dont le poids contribua d’ailleurs a fragiliser davantage la structure déjà éprouvée du bâtiment, se brancher illégalement sur les poteaux électriques environnants multipliant ainsi les accidents dus à des courts-circuits. L’absence de façade ou de garde-corps a aussi engendrée plusieurs chutes mortelles, notamment d’enfants en bas âge, au cours des années. Des problèmes d’insécurité se firent aussi rapidement ressentir à mesure que de nombreux voyous vinrent s’ajouter aux familles qui occupaient les lieux. C’est au vue de tous ces faits qu’en 2006 des agents du Gouvernement Provincial de Luanda, avaient élaboré une première liste de recensement des habitants, au vue d’un futur relogement de ces derniers, qui a ensuite été actualisée annuellement, la dernière datant de décembre 2010. En 2009 l’architecte et urbaniste angolais Rubem Filipe Domingos, qui faisait partie de l’équipe qui avait conduit une étude pour déterminer l’état et l’avenir de l’édifice avait affirmé que la structure de ce dernier ne supporterait plus pour très longtemps le poids des cent vingt-deux familles qu’il abritait. Interrogé par le journal angolais ANGOP, il avait exprimé son inquiétude : (11) «Esse prédio está na eminência de desabar, pelo que se aconselha a evacuação dos seus moradores o mais rápido possível, para prevenir uma eventual catástrofe » Recomendada evacuação do prédio da lagoa do Kinaxixi. Angop [ en ligne ] http://www.angop.ao/angola/ pt_pt/noticias/reconstrucao-nacional/2009/9/41/Recomendada-evacuacao-predio-lagoa-Kinaxixi,663292 e0-7903-41f7-9085-5a9cb27e099a. html 09 Outubro de 2009
cet immeuble est sur point de s’écrouler, il serait recommandable de procéder à l’évacuation de ses occupants le plus rapidement possible, pour éviter une éventuelle catastrophe. (11) Parmi les nombreux problèmes pointés du doigt par l’architecte, les nombreuses fissures, les problèmes d’infiltrations, les ruptures de canalisations, les tassement différentiels au niveau des fondations dus à la résurgence du lac de Kinaxixe, la moisissure sur les murs et l’apparition de rouille sur les armatures du béton. Les travaux menés par les habitants mettaient également en péril la structure du bâtiment selon lui :
L’autre facteur négatif qui pourrait précipiter l’effondrement de l’immeuble sont les travaux que les habitants sont entrain de faire avec des parpaings, au lieu de la brique creuse. Le projet a été conçu pour une structure en brique creuse et pour une durée maximum de 50 ans, alors en érigeant des murs en parpaings, notamment dans des espaces creux, le poids prédéfini pour celui-ci, vide ou habitée, dépasse les prévisions et les risques d’effondrement sont décuplés. (12) Selon lui le prédio de Lagoa do Kinaxixe devrait non seulement être rapidement évacué mais également démoli, car son état de dégradation lui semble trop avancé pour que la structure puisse être réhabilitée. De plus étant situé dans la zone du Largo de Kinaxixe, où de nombreux travaux étaient en cours, dans le but de requalifier le quartier, il lui semblait logique que le Prédio da Lagoa do Kinaxixe soit détruit afin de laisser place à un projet moderne, s’intégrant dans ce processus de renouvellement urbain. Ce n’est finalement que le 14 janvier 2011, que les cent vingt-deux familles qui occupaient l’édifice furent de fait évacuées. La Police Nationale, des agents du Gouvernement Provincial de Luanda et les pompiers avaient fermé le périmètre autour de l’immeuble aux alentours de cinq heure du matin, avant de procéder à l’évacuation des habitants. Ces derniers n’avaient pas été prévenus à l’avance afin de s’assurer que des personnes extérieures ne tentent de profiter de la situation pour se voir également attribuer un nouveau logement. Malgré la surprise des habitants le processus de relogement s’est déroulé sans accroche. Interrogés par les reporters du Jornal de Angola, les habitants ont manifesté leur soulagement d’être relogés dans des appartements offrant plus de confort et de sécurité, mais également leur crainte de voir leurs vies se compliquer en raison de la grande distance entre leur nouveau lieu de vie et leur lieu de travail ou d’étude. Aida de Almeida une étudiante a exprimé sa préoccupation : La distance va compliquer la vie de nombreux habitants. J’essaye encore de me faire à cette idée, les premiers mois vont être très compliqués, parce que je ne possède pas de voiture. (13) L’ensemble des familles qui résidaient dans l’immeuble se sont vu attribuer des logements neufs dans le quartier de Zango. Malgré le fait que l’évacuation de l’immeuble se soit faite sans encombre, la démolition de celui-ci, qui avait pourtant déjà été décidé des années auparavant a encore une fois tardé à se concrétiser. Or un immeuble ne demeure jamais vraiment vacant dans la capitale angolaise, et comme pour le Prédio Tchetchenia rapidement une nouvelle population constituée essentiellement de délinquants est venue se substituer aux familles. En mai 2012, soit presque un an et demi après l’évacuation de l’immeuble, les habitants des environs, interrogés par les reporters du journal hebdomadaire Factual, ont fait part de leur mécontentement et leurs inquiétudes. Selon eux, non seulement l’édifice se serait transformé en un point de vente et de consommation de drogue, ainsi que de prostitution, mais qui plus est il posait également de nombreux problèmes sur le plan sanitaire. La marre d’eau stagnante qui s’était formée au fil des années au pied de l’immeuble favorisait la multiplication des moustiques et la prolifération du paludisme dans ses environs. De plus certaines personnes vivant à proximité y déposaient depuis sa vacance des déchets et le rez-de-chaussée était rapidement devenu une véritable décharge aggravant ainsi la situation sanitaire. Interrogée, Marta Avelino, une habitante d’un immeuble voisin a déclaré : Nous avons besoin, urgemment, qu’il soit démoli, en raison du danger qu’il représente, une brique pourrait venir à tomber, ou une portion de mur d’un des appartements pourrait s’effondrer, car il ne sont plus très fixes. (14)
(12) « Outro aspecto negativo que poderá forçar a queda desse edifício são os acabamentos que os ocupantes estão a fazer com bloco, ao invés de tijolo. O projecto do prédio foi concebido para uma estrutura de tijolo e tempo máximo de 50 anos, logo ao levantaremse paredes com bloco, sobretudo em espaços ocos, o peso prédefinido para o mesmo, quer vazio quer habitado, ultrapassa as previsões e os riscos de desabamento são maiores » Recomendada evacuação do prédio da lagoa do Kinaxixi. Angop [ en ligne ] http://www.angop.ao/angola/ pt_pt/noticias/reconstrucao-nacional/2009/9/41/Recomendada-evacuacao-predio-lagoa-Kinaxixi,663292 e0-7903-41f7-9085-5a9cb27e099a. html 09 Outubro de 2009 (13) “A distância vai complicar a vida de muitos moradores. Ainda estou a tentar acordar porque os primeiros meses vão ser de muita luta, já que não tenho uma viatura própria” Prédio da Lagoa do Kinaxixi desocupado. Angonoticias [ en ligne ] http://www.angonoticias.com/Artigos/ item/28638/predio-da-lagoa-do-kinaxixi-desocupado 15 janvier 2011 (14) « precisamos,urgentemente, que este seja demolido, devido ao perigo que tem oferecido, caso despenha algum tijolo ou pedaço da parede de algum apartamente, pois estes já não se encontram muito fixos. » Vizinhos esperam por demolição. Semanário Factual. semaine du 12 au 19 de mai 2012.
Ce n’est finalement que bien des années plus tard que leur requête sera satisfaite. En juin 2015 la démolition débute enfin, les travaux dureront jusqu’ à avril 2016. Depuis un projet de centre commercial devant être érigé là où se tenait auparavant le Prédio da Lagoa do Kinaxixe, a été annoncé.
C’est quelques exemples s’inscrivent selon Atanásio Rodrigues, le directeur exécutif du programme de relogement d’urgence du Gouvernement Provincial de Luanda, dans une action menée par l’État ayant pour but de reloger les populations qui vivent sans le confort le plus basique, comme un accès continu à l’eau et à électricité. Dans les cas supra-cités, les démolitions ordonnées par l’État, visaient essentiellement des immeubles qui n’avaient jamais été achevés et qui effectivement n’était pas en condition d’être habité ou des édifices présentant un important risque d’effondrement. Dans ces cas là, quoique les habitants n’étaient pas toujours pleinement satisfait de devoir quitter le centre ville pour être relogés à la périphérie lointaine de la capitale, la plupart reconnaissaient tout de même que les conditions de vie dans les immeubles dans lesquels ils vivaient étaient vraiment déplorables voire dangereuses. Parfois les habitants étaient d’ailleurs eux-mêmes à l’origine de la requête de relogement, et donc en accord avec la décision prise par le gouvernement.
photographie ci-dessus: vue du prédio da Lagoa do Kinaxixe © Sam Seyffert source: Flickr
Toutefois en octobre 2014, quand le gouvernement a annoncé à travers un communiqué de presse la démolition des Prédios do São Paulo, un ensemble d’immeubles de logements abritant dans leurs rez-de-chaussées des locaux commerciaux, cette décision a provoqué un fort mécontentement et a mené beaucoup de gens à s’interroger sur les vrais motivations de l’État quant a ces démolitions successives, visant les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux du centre ville de Luanda.
c - la politique de la table rase : l’immeuble colonial dans le collimateur de l’État, le cas des prédios do São Paulo
Les Prédios de São Paulo, ensemble de six immeubles construits dans les années 1950 dans le district urbain de Sambizanga, étaient à l’époque coloniale des résidences de standing où vivait exclusivement une population étrangère et aisée. Construit à proximité du centre ville, il s’inscrivait dans un projet d’extension du noyau urbain de Luanda. Après l’indépendance la population autochtone qui vivait dans des quartiers voisins tels que Marçal, Rangel ou Bairro Operario, s’est installée dans les appartements restés vacants après le départ des familles portugaises. Avant l’indépendance les rez-de-chaussées abritaient des boutiques connues sous le nom de lojas do povo, soit les magasins du peuple, ancêtre du supermarché, tenues par les familles étrangères. Après 1975, des grossistes s’y installèrent et la zone devint connue sous le nom de Armazéns do São Paulo (15) en raison de cette activité prédominante. Cette zone est rapidement devenue l’une des plus fréquentée de la capitale. Les luandais s’y rendent aussi bien pour acheter des fruits et légumes que des vêtements, mais surtout c’ést le point d’approvisionnement de la plupart des vendeurs ambulants. Ces armazéns jouent un rôle très important dans l’économique locale et sont également des lieux profondément liés à l’histoire de la ville. En octobre 2014 à travers un communiqué de presse le ministère du commerce a annoncé la relocalisation de tous les commerçants des armazéns de São Paulo vers une nouvelle structure construite à cet effet, le Centre Logistique de Distribution ( CLOD ), situé à Viana, soit à seize kilomètres des « armazéns ». La nouvelle fut très mal reçue et de nombreux commerçants tentèrent dans un premier temps de résister. Le principal inconvénient de ce déménagement forcé étant encore une fois la distance. Depuis quarante ans ils avaient bénéficié d’un emplacement privilégié au coeur de la capitale, qui les rendaient facile d’accès ce qui favorisait l’essor de leur activité. Les armazéns de São Paulo étaient proches des principaux marchés de la capitale, des boutiques de revendeurs et des points de vente les plus fréquentés par les vendeurs ambulants. Après de multiples plaintes adressées aux ministère de l’économie une partie des commerçants finit par capituler et rejoindre leur nouveaux quartiers. Peu de temps après, à la surprise générale, le gouvernement annonça la démolition imminente des immeubles. Jusque là il avait été question de « requalifier » la zone et de rénover cet ensemble urbain comme le Gouvernement Provincial de Luanda l’avait laissée entendre dès 2010. La plupart des gens s’attendaient à ce qu’une fois les travaux achevés, un autre type de commerces et de population viennent probablement s’y installer, mais certains gardaient espoir de pouvoir réintégrer leurs anciens locaux ou logement. En somme, personne ne s’attendait à ce qu’ils soient démolis. Contrairement aux commerçants qui eux avaient tout de même disposé d’un préavis, les habitants des immeubles de São Paulo se sont retrouvés face au fait accompli. Ils n’avaient guerre étaient consultés ou avertis de la situation avant de découvrir en janvier 2015, que les immeubles où certains residaient depuis quarante ans été désormais condamnés. A quelques jours de la date de démolition annoncée, les cinq cents familles qui y logeaient n’avaient toujours aucune idée de ce qu’il adviendrait d’eux.
(15) traduction: armazém (nm) - entrepôt ou magasin
Les journalistes de la Rede Angola se sont rendus sur place pour recueillir les témoignages d’ habitants, comme celui de Samuel João, âgé de soixante-cinq ans et propriétaire depuis trente ans d’un appartement : En 2010, nous avons entendu dire que les immeubles seraient requalifiés et non détruit. Mais entre temps, nous n’avons plus été informés de rien. Ce que madame la ministre a fait est un manque de respect. Avant de faire une annonce dans la presse elle aurait dû s’entretenir avec nous. Quelle est cette gouvernance où les personnes ne sont pas entendues ? (16) Ce même habitant rappellent aussi le contexte historique dans lequel l’occupation de ces immeubles s’est faite, ce qui rend cette éviction soudaine encore plus révoltante à ses yeux.
(16) « Em 2010, ouvimos que os prédios seriam requalificados e não destruídos. Mas, de lá para cá, nunca mais fomos informados de nada. O que a senhora ministra fez é uma falta de respeito. Antes de anunciar na imprensa devia ter conversado connosco. Mas afinal que tipo de governação é esta onde as pessoas não são ouvidas? » Vão partir os prédios do São Paulo. Rede Angola 30 janvier 2015 (17 ) «Depois de todos esses anos vêm tirar-nos assim, do nada. Como se fôssemos animais! Deviam ter o mínimo de consideração porque enfrentámos grandes lutas para nos instalarmos aqui. Quando começou a luta armada de libertação nacional, todas as zonas nobres de Luanda estavam a ser ocupadas pelo povo. E nós viemos para aqui. Mas não foi fácil; encontrámos cadáveres, muitos deles em estado de putrefacção. Ainda assim tivemos coragem de retirá-los e limpar, para depois ocuparmos. » Vão partir os prédios do São Paulo, Rede Angola 30 janvier 2015 (18) « Eu também estou de acordo que os armazéns que funcionam aqui fazem muita confusão, mas penso que o governo poderia ter encontrado outras medidas que não sejam a destruição. E o que me indigna é que serão partidos para o benefício das mesmas pessoas. E o povo, que somos nós, não tem voz, nem participa em nada. É por isso que não nos avisaram sobre esta tal demolição » Vão partir os prédios do São Paulo, Rede Angola 30 janvier 2015 (19 ) « De certeza absoluta que nos vão levar ao Zango, a zona dos pobres, dos sem voz. Vão nos pôr ali porque podemos gritar, gritar, mas o barulho não vai chegar aos ouvidos de ninguém porque, pelo que vejo na televisão, nestas zonas falta tudo, até água. » Vão partir os prédios do São Paulo, Rede Angola 30 janvier 2015
Après toutes ces années ils nous expulsent comme si de rien n’était. Comme si nous étions des animaux ! Ils devraient avoir un minimum de considération, parce que nous avons dû nous battre pour nous installer ici. Quand la lutte armée pour la libération nationale a commencé, toutes les zones nobles de Luanda été entrain d’être occupées par le peuple. Nous nous sommes venus ici. Cela n’a pas été facile, nous avons trouvé des cadavres, souvent en été de putréfaction. Même comme cela nous avons eu le courage des les retirer et de nettoyer, pour ensuite pouvoir nous installer. (17) D’autres habitants ont déploré le fait qu’encore une fois le gouvernement n’ait pas hésité à léser les habitants et notamment la classe moyenne angolaise au profit de quelques acquéreurs fortunés à qui cet espace sera probablement vendu une fois le processus de démolition conclu. C’est notamment ce que craint Joana Moreira, âgée de soixante ans, qui vit dans un des immeubles depuis 1979. Je suis d’accord que les entrepôts qui fonctionnent ici font beaucoup de désordre, mais je pense que le gouvernement aurait pu prendre d’autres mesures qui ne soient pas leur démolition. Ce qui m’indigne c’est qu’ils vont être démolis pour leur propre profit. Et nous, le peuple, nous n’avons pas voix au chapitre, nous ne prenons part à rien. C’est pour ça qu’on ne nous a même pas prévenu de cette démolition. (18) Finalement la grande préoccupation de la plupart des habitants interrogés était de savoir où ils allaient être relogés, et beaucoup craignaient de se retrouver contraint d’aller vivre à la périphérie de la ville, notamment dans la zone résidentielle de Zango, où le gouvernement semble avoir pour habitude d’envoyer tous ceux qu’il déloge du centre ville. Dona Silvestre, qui habitait dans un des immeubles de São Paulo depuis plus de vingt-cinq ans craint cet exil. C’est absolument certain qu’ils vont nous amener à Zango, la zone des pauvres, des sans voix. Ils vont nous envoyer là-bas parce qu’on pourra crier, crier, le bruit ne parviendra aux oreilles de personne, parce que de ce que j’ai vu à la télévision, dans ces zones il manque de tout, même d’eau. (19) Quand aux membres de l’administration de la municipalité de Sambizanga, où se situent les Prédios de São Paulo, ils partagent la surprise des habitants. Eux aussi ont été pris de court et affirment avoir appris la démolition imminente des immeubles par la presse en même temps que leurs occupants. Pour ce qui est du sort réservé à ces derniers, ils n’avaient pas davantage d’information, comme en témoigne la réponse donnée par Mara Baptista la directrice de l’administration de la municipalité de Sambizanga aux journalistes de Rede Angola :
Nous avons effectué le suivi d’autres zones, comme la requalification du Bairro Operário, dont les habitants seront pour certains relogés dans un édifice construit à cet effet et d’autres à Zango. Mais pour ceux des immeubles de São Paulo nous n’avons reçu aucune directive. De toute façon, nous attendons qu’au niveau supérieur on nous dise quelque chose. (20) Contactée à ce sujet la ministre de l’économie, Rosa Pacavira, a refusé de donner davantage d’informations quant à ce qu’il adviendrait des cinq cents familles vivant dans les Prédios do São Paulo. Elle a cependant maintenu que la destruction des immeubles débuterait en février 2015, et qu’en lieu et place de ceux-ci seraient construit un centre commercial et des galeries marchandes, ainsi que des immeubles de jusqu’à dix étages. Quand au financement du projet, il se ferait par le biais d’ investisseurs privés. À ce jour les Prédios de Sao Paulo n’ont toujours pas été démolis. Les habitants des immeubles n’ont toutefois pas obtenu gain de cause, et profitent d’une simple période de sursis, qu’ils doivent à la crise économique. La chute du cour du pétrole, conjuguée à une pénurie de dollars, s’est traduit par un taux d’inflation atteignant les 30%. Depuis de nombreux investisseurs étrangers, du secteur immobilier notamment, se sont retirés du pays, et l’activité de ce secteur a nettement diminué faute de moyen financier et par conséquent le nombre de démolition également. Le cas des immeubles de São Paulo marque toutefois un tournant important, puisque ces immeubles qui auraient certes besoins de quelques travaux de réhabilitation, ne présentent aucun désordre majeure justifiant une démolition. Les familles tout comme les commerçant qui les habitaient furent non seulement très surpris d’apprendre leur démolition prochaine mais surtout unanimement contre cette décision. De plus tout le processus s’est déroulé dans la plus grande opacité. Là où les habitants du Prédio da Lagoa do Kinaxixe avaient été approchés par les agents du Gouvernement Provincial de Luanda plusieurs années à l’avance, les résidents des prédios de São Paulo ont été maintenus dans l’ignorance le plus longtemps possible. Au sein même de l’administration du district de Sambizanga, personnes n’était en mesure d’expliquer cette décision et de donner des précisions sur le déroulement des opérations. Cela prouve que le gouvernement peut décider de démolir n’importe quel édifice, sans avoir à en informer le public et sans devoir se justifier. Cela est d’autant plus grave que les gens qui vivent dans ces immeubles sont pour la plupart propriétaires et ils peuvent être dépossédés sans préavis de leurs biens, pour que des investisseurs privés puissent ensuite acquérir ces terrains. Jusque là on pouvait penser que les intentions du gouvernement en décidant de détruire certains immeubles de la capitale et de reloger ceux qui y vivaient dans des nouvelles constructions étaient réellement celles qu’ils avaient annoncées, soit garantir à tous les Angolais des logements salubres et de meilleures conditions de vie. Après cet épisode on peut cependant émettre quelques doutes et se demander s’il ne s’agit pas d’une manœuvre habile, pour mettre la main sur des terrains extrêmement bien localisés, qui pourraient valoir très cher et qui sont très prisés par des riches investisseurs. Ceux-ci recherchent des emplacement centraux pour y construire des hôtels, des centres commerciaux ou des logements de standing, qui s’adressent à une population tout autre que celle qui jusque là résidait en ces lieux. Cela nous amène à nous demander à qui profite réellement ces démolitions.
(20) « Temos feito o acompanhamento de outras zonas, como a requalificação do Bairro Operário, cujos populares alguns serão hospedados num edifício construído para o efeito e outros no Zango. Mas sobre esses dos prédios do São Paulo não passaram nenhuma orientação. De qualquer forma, estamos à espera que nos digam alguma coisa a nível superior. » Vão partir os prédios do São Paulo Rede Angola 30 janvier 2015
A ceux qui avant habitaient dans des immeubles en plein de cœur de Luanda et qui aujourd’hui sont logés dans des appartements certes neufs, mais dans des zones extrêmement éloignées du centre ville et encore mal desservies, dans une ville où l’on sait que tous les services et les activités sont concentrés dans le centre ? Ou plutôt aux riches investisseurs souvent proche du pouvoir ou membre du gouvernement eux-même, qui peuvent ensuite récupérer les terrains restés vacants pour mener à bien des projets mégalomanes, qui ne profitent certainement pas au plus grand nombre ?
Vista geral da zona de armazéns do São Paulo © Ampe Rogério
C - L’ ÉCHELLE DES VALEURS MATERIELLES:
a qui profite le déclin de l’immeuble colonial ? a- quand la valeur foncière prévaut sur la valeur historique : raser la ville coloniale pour stimuler la spéculation immobilière
Les démolitions d’immeubles d’habitation Modernes, coloniaux et tropicaux dans le centre ville de Luanda, se sont multipliées entre 2002 et 2014. Ces dates correspondent pour la première à la signature de l’ accord de paix ayant mis fin à la guerre civile qui opposait le MPLA et la UNITA et pour la deuxième au début de la crise économique dans laquelle a sombré le pays depuis l’effondrement du cours du pétrole. Durant cette période de douze ans, trois phénomènes sociétaux et économiques ont profondément modifié le paysage urbain de la capitale angolaise. Premièrement le pays a connu une importante période de croissance économique, reposant essentiellement sur l’exploitation de son sous-sol et notamment sur celle du pétrole. C’était la période du « estamos sempre a subir » (1) refrain entonné par le chanteur angolais Sebem, repris et popularisé par des millions d’Angolais. Ces mots résumaient parfaitement l’euphorie et l’optimisme que nourrissait le peuple dans les premières années de retour à la paix et de boom économique. Toutefois les fruits de cette période d’abondance furent très inégalement repartis. Luanda seule grande ville du pays où se concentre depuis toujours l’essentiel de l’activité économique et des capitaux générés par celle-ci est devenue à ce moment d’autant plus attractive. L’essor de la capitale angolaise a rendu flagrant le déséquilibre existant entre elle et les autres villes du pays, en terme de croissance aussi bien sur le plan économique et urbanistique, que démographique. Les habitants des provinces se sentant délaissés, face au manque d’investissement du gouvernement dans le développement de l’arrière pays, devinrent de plus en plus nombreux à quitter les provinces pour aller vers Luanda. Pour eux rejoindre la capitale était la promesse d’une vie meilleure, de plus d’ opportunités de travail, de meilleurs salaires, ou d’une éducation. Cette arrivée massive de population vers la capitale se traduisit par une crise du logement. Les nouveaux arrivants étant pour la plupart très modestes, ceux qui n’avaient point de famille pouvant les héberger se retrouvèrent face à de grandes difficultés. La plupart vinrent agrandir les rangs des habitants des musseques et construisirent des habitations de fortunes en marge de la ville. Les plus démunis ne trouvèrent d’autre domicile que la rue. (1) parole d’une chanson du musicien angolais Sebem parue en au début des années 2000 signifiant, « on est toujours entrain de monter », faisant référence à la croissance économique que connait le pays à cette période.
photographie de la page de gauche: Les nouvelles tours de la Baixa de Luanda © Romana Nanga
À cette vague de migration interne, vint s’ajouter une vague de migration externe. Le pays étant officiellement en paix, de nombreuses entreprises et entrepreneurs étrangers liés pour la plupart au secteur des hydrocarbures et un peu plus tard du bâtiment y virent une opportunité de faire de affaires fructueuses. Avant cela le nombre d’expatriés était restreint en raison de la situation politique du pays et ceux-ci vivaient essentiellement dans des maisons individuelles datant de l’époque coloniale situées dans des quartiers huppés comme Alvalade et Vila Alice ou plus rarement dans des appartements dans les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux du centre ville.
Alors que les entreprises étrangères limitaient auparavant leur personnel au strict minimum, petit à petit leurs effectifs augmentèrent et un nombre croissant de travailleurs demandèrent à être rejoint par leurs familles. Cela entraina une croissance rapide du nombre d’ « expatriés » dans la capitale à partir de 2002, pour qui il devint de plus en plus difficile de trouver des locations répondant à leurs exigences dans le centre ville. Les principaux critères de recherche des expatriés étant d’une part la localisation et d’autre part le confort. Ceux-ci recherchaient idéalement des logements cossus dans le centre ville, à proximité des sièges d’entreprises, dans des zones plutôt huppée et plus sécuritaire. C’est ainsi que à une population venue des provinces plutôt modeste à la recherche de logements bon marché vint s’ajouter une population étrangère avec beaucoup plus de moyens financiers à la recherche de logements de standing. Dans le même temps la croissance économique du pays se traduisit par une augmentation du pouvoir d’achat d’une partie de la classe moyenne et l’enrichissement considérable d’une petite élite. Ces familles devenues plus ou moins aisées qui vivaient majoritairement dans des logements datant de l’époque coloniale souhaitèrent acquérir des maisons individuelles ou des appartements plus modernes et confortables et vinrent grossir les rangs des demandeurs de logements plus ou moins haut de gamme. Pour ce deuxième type de demande l’offre provint majoritairement du secteur privé. D’abord, quelques angolais fortunés, voyant s’accroitre considérablement la demande en logement dans la ville, décidèrent de profiter de cette situation pour investir dans le secteur immobilier. Leur objectif étant de générer un maximum de profit ils choisirent de s’adresser plutôt à cette population locale plus aisée et aux étrangers, qui eux avaient les moyens de payer au prix fort les biens immobiliers qui leur seraient proposés Le secteur de la Baixa de Luanda, le quartier des affaires, était le plus convoité, mais aussi déjà saturée. Pour pouvoir y construire des nouveaux logements et bureaux,il fallu détruire des constructions plus anciennes pour libérer des terrains. Des privés qui possédaient des maisons individuelles ou des entrepôts datant de l’époque coloniale, les firent démolir pour les vendre à prix d’or ou y construire eux-mêmes des immeubles, dont il revendraient ou loueraient les locaux par la suite. C’est ainsi qu’apparurent dans la Baixa de Luanda bon nombre de tours d’une vingtaines d’étages, accueillant des sièges d’entreprises ou des appartements de luxe, destinés à héberger expatriés et angolais fortunés. Cependant il devint rapidement difficile de trouver des parcelles à racheter dans cette zone de la ville, et la demande en logement ne cessant d’augmenter, il fallut trouver d’autres endroits où construire. Certains quartiers de la Cidade Alta, situés à l’arrière de la Baixa de Luanda tels que Maianga, Ingombotas ou Alvalade étaient eux aussi très prisés par les investisseurs immobiliers, mais il était beaucoup plus difficile d’acquérir des terrains dans ces zones pour diverses raisons. Premièrement cette zone de la ville ayant été urbanisée bien plus tard que la Baixa, essentiellement entre 1920 et 1975, les constructions y sont bien plus récentes et par conséquent souvent mieux conservées. De ce fait les gens sont moins enclin à les vendre et préfèrent, quand il n’en font pas usage eux-mêmes, les louer. À Alvalade par exemple beaucoup de maisons sont déjà louées à des ambassades et des expatriés a des prix exorbitants, ce qui explique la réticence des propriétaires à céder leurs biens. De plus cette zone de la ville est beaucoup moins pavillonnaire, on y trouve essentiellement des immeubles résidentiels. Ces immeubles qui étaient la propriété de l’empire colonial portugais sont devenus pour la plupart au moment de l’indépendance la propriété de l’État angolais, mais les appartements quant à eux sont des propriétés privés.
Pour ces raisons les investisseurs immobiliers sont longtemps restés sceptiques à l’idée de tenter de construire dans cette zone de la ville. Racheter et démolir une maison pour construire en lieu et place un immeuble de vingt étages leur apparaissait clairement comme une affaire profitable. En revanche devoir négocier avec de multiple propriétaires et le gouvernement pour ensuite devoir démolir un immeuble de cinq à dix étages, opération couteuse, longue, délicate, leur semblait bien moins avantageux. Se heurtant à ces difficultés les investisseurs immobiliers se virent forcer de trouver d’autres zones que le centre ville pour construire. La périphérie immédiate étant déjà occupée par les musseques, il se tournèrent vers Luanda Sul, zone qui jusqu’au début des années 2000 était quasiment inhabitée. Du fait de cette isolation et du manque de services à proximité le modèle de la gated community fut adopté et proliféra rapidement dans cette partie de la ville. Ainsi la cidade Alta de Luanda fut pendant quelques temps préservée de folie immobilière qui en moins de dix ans transforma la capitale angolaise en une des villes les plus cher du monde. C’est à ce moment là que se produisirent deux événements qui firent basculer la situation. D’abord les élections législatives furent annoncée pour le 5 septembre 2008, les premières depuis la signatures de l’accord de paix, très attendues par toute la population. Pour acquérir un large électorat le parti au pouvoir, le MPLA, savait que la question de l’accessibilité au logement pour les familles plus modestes voire vivant dans des conditions précaires serait un des facteurs déterminant. Jusque là les efforts fournis pour répondre à cette crise du logement bon marché été largement insuffisant face à l’ampleur de la demande pour ce type de bien. Quelques projets comme celui de l’ensemble de logements coopératifs du Lar do Patriota (2), inauguré en 2001 et comptant deux mille maisons individuelles de type T2, T3 ou T4, proposées à des prix d’achats modérés, commençaient à voir le jour mais demeuraient rares et encore hors de portée pour un grand nombre d’Angolais. Des projets plus ambitieux comme celui du Projecto Nova Vida, un ensemble de logement bon marché construit par le gouvernement, qui avait été projeté en 2003 mais qui depuis peinait à sortir de terre, furent relancer à l’approche des élections. Il fallut tout de même attendre quatre ans avant qu’en 2012 les deux mille cinq cents logements de la première phase soient livrés. C’est également en 2008 que l’Angola mit en route le projet de la nouvelle centralité de Kilamba, l’un des projets immobiliers le plus ambitieux du continent africain à ce jours, dont la première phase fut livrée trois ans plus tard. Construit en partenariat avec la Chine, ce projet de quatre-vingt-cinq mille logements à prix modérés devait permettre de désengorger la capitale angolaise, en reprenant l’idée de villes satellites, déjà contemplée par les Portugais pendant la période coloniale. Les prix d’achats et les loyers bien que nettement inférieurs à ceux pratiqués dans le centre ville, demeuraient trop élevés pour la vaste majorité des familles des musseques, qui sont pourtant les plus mal loties. Cette même année furent livrés les seize premiers immeubles construits dans le cadre du projet d’urbanisation et de requalification du quartier de Zango, dans la municipalité de Viana. Au total cinquante et un édifices de quinze étages comptant cent douze appartements chacun étaient prévus, dans ce projet initié en juillet 2007. Ce projet financé par le gouvernement s’inscrivait également dans cette politique de production de logements à prix modérés pour résoudre le problème du manque d’accessibilité au logement qu’affrontait au quotidien de nombreux nationaux. (2) traductible par « Le foyer du patriote »
Depuis de nombreux autres projets de ce type virent le jours dans les Zangos, et notamment des projets de logements pour les fonctionnaires de l’État. En somme, l’année 2008, parce qu’il s’agissait d’une année d’élections, vit la production de logements bon marché subventionnés par le gouvernement exploser. Par ailleurs, comme évoqué précédemment, cette année là, dans la nuit du 29 mars 2008, l’immeuble de la Direction Nationale d’Investigation Criminelle ( DNIC ) s’effondra, faisant trente morts. Suite à ce premier cas d’effondrement d’un immeuble coloniale une commission chargée d’inspecter les immeubles dont l’état semblait le plus alarmant fut créée. Depuis une dizaine d’immeubles furent inspectés, jugés inhabitable, évacués et finalement démolis. Dans les différents cas de démolition détaillés précédemment (3), le bien-fondé de la décision ne peut parfois être remis en cause. Certains de ces immeubles, comme le Prédio da Lagoa do Kinaxixe, représentaient effectivement un danger pour leurs occupants. Mais si l’on se penche de plus près sur le cas du Prédio Cuca par exemple, on constate qu’une fois placée dans un contexte plus large, sa démolition soulève des questions. Au mois d’août 2008, l’édifice qui abritait le marché de Kinaxixe situé juste en face du Prédio da Cuca fut détruit. Cet édifice construite entre 1950 et 1952 par l’architecte angolais d’origine portugaise Vasco Vieira da Costa (1911-1982) était un lieu iconique de la capitale angolaise. Extrêmement fréquenté par les Luandais et reconnaissable à son architecture Moderne et tropicale, ce marché était connu de tous et prisé par beaucoup. L’ordre des architectes angolais était en pleine procédure pour obtenir son classement par l’UNESCO comme patrimoine de l’humanité quand fut annoncée, en 2004, sa démolition prochaine. Les luandais exprimèrent leur indignation, des pétitions furent signées, un manifeste fut écrit, mais rien de tous cela ne suffit à faire reculer le Gouvernement Provincial de Luanda, qui avait déjà cédé le terrain à un groupe immobilier. À la place de ce marché « populaire » dans les deux sens du terme, devait être érigé un centre commercial de six étages et deux tours de bureaux et de logements. Ce n’était cependant que le premier pas dans le projet de requalification du quartier de Kinaxixe mis au point par l’État, qui avait de grandes ambitions pour ce quartier central où le mètre carré pouvait valoir très cher. Rapidement la rumeur que le gouvernement voulait également acquérir le terrain de l’immeuble Cuca, faisant face au centre commercial à venir, se mirent à circuler. Puis en décembre 2010, l’immeuble qui deux ans plus tôt avait été inspecté et jugé en bon état, trembla. À l’origine de cet épisode une rupture de canalisation sur le chantier du centre commercial. Certains habitants de l’immeuble ne crurent pas à la coïncidence, beaucoup trop opportune, qui fourni au gouvernement un parfaite raison de les déloger et les ajouter à la liste de ceux que l’on envoi à Zango. Coïncidence ou pas, le fait est que l’immeuble fut détruit, que le terrain fut vendu à des privé pour quelques millions pour qu’un énième projet de logements de luxe, bureaux et galerie commercial puisse voir le jour. Les Prédios do São Paulo connaitront à priori le même sort, être détruit pour laisser place à des projets luxueux. Un schéma commence à se dessiner et semble se répéter à chaque fois qu’un immeuble colonial, Moderne et tropical est démoli. Les habitants des immeubles condamnés à la démolition sont systématiquement relogés par le gouvernement dans des zones encore mal desservies, très éloignées du centre ville et complètement dépendantes économiquement de celui-ci, comme les Zangos. Ces familles de classes moyennes, qui vivaient, travaillaient ou étudiaient dans le centre ville se retrouve du jour au lendemain forcée d’aller vivre à plus de quarante kilomètres, dans des appartements qui bien que neufs ne possèdent pas les qualités spatiales de leurs anciens biens immobiliers.
(3) Confère partie I – B - b
Par ailleurs les terrains libérés par la démolition des immeubles, dont la propriété revient à l’État, n’accueillent jamais par la suite des projets de logements à prix abordable, que le gouvernement construit pourtant par milliers à la périphérie de la ville. Ils sont invariablement vendus à des investisseurs privés, parfois même anonymes, pour des sommes faramineuses. Pour compenser le prix d’achat des terrains, les investisseurs immobiliers se sont focalisés sur la construction d’un certain type de bâtiment et d’un certain type de programme. Ils se sont tournés vers une architecture de tour de verre, d’acier et de béton, car gagner en hauteur leur assure une rentabilité maximale du mètre carré au sol. Dans ces bâtiments aux allures contemporaines, calqués sur les constructions occidentales, on trouve une variété de programmes, invariablement destinés à une clientèle fortunée et minoritaire. Des hôtels comme le Epic Sana Luanda où la nuit coûte entre quatre cents et neuf cents euros. Des centre commerciaux où les boutiques vendent des articles hors de prix, pour couvrir les frais d’exportation et des loyers mensuels oscillant entre cinquante à cent-vingt euros par mètres carrés. Des condominiums comme le Torres do Carmo, situé en plein centre ville dans la municipalité de Ingombotas, où un T2 se vend pour deux cents vingt millions de kwanzas (4) et un T4 se loue pour trois millions six cents mille kwanzas le mois (5). Ce qui peut être retenu c’est que ces projets à objectif purement lucratif, qui gangrenaient déjà la Baixa de Luanda depuis le début des années 2000, ont pu s’étendre a la Cidade Alta, qui jusque là avait été globalement épargnée par la spéculation immobilière. Ce grâce à deux facteurs, l’effondrement de l’immeuble de la DNIC en 2008 et la création de logement bon marché à la périphérie lointaine de la ville par le gouvernement à cette même période. À partir de ce moment là, le gouvernement a commencé à déloger les habitants des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux, en mettant en avant l’intention louable de vouloir assurer leur sécurité et leur offrir de meilleures conditions de vie. Quand à la question d’où les reloger, il avait à présent des milliers d’appartements disponibles dans les Zangos. Si au départ cette action pouvait effectivement reposer sur les principes annoncés, des cas comme celui des immeubles de São Paulo et le fait que les terrains libérés soient toujours revendus par l’État à des prix et des acteurs, qui alimente la spéculation immobilière, nous laisse penser que ce dernier entretien volontairement la bulle spéculative. Pourtant, interrogé à ce sujet en juin 2008, le vice-ministre de l’Urbanisme et de l’Environnement, Mota Liz, avait affirmé que le gouvernement angolais mettrait dans de bref délai en place des mesures pour combattre la spéculation immobilière, notamment à Luanda. Cette initiative reposeraient d’une part sur la création d’un programme de développement immobilier et d’outils juridiques permettant un meilleur contrôle des prix du marché, afin que les Angolais aient accès à des logements à des prix plus raisonnables. L’objectif final serait selon lui de : (4) environ 708 000 euros (5) environ11 000 euros (6) «criar um sistema tributário aplicável ao sector imobiliário de acordo com a tipologia e localização, tempo de construção, acessibilidade a serviços e equipamentos» /. Angola: Governo angolano anuncia combate à especulação imobiliária. MacauHub. 23 juin 2008. [en ligne] disponible sur : https:// macauhub.com.mo/pt/2008/06/23/ portugues-angola-governo-angolano-anuncia-combate-a-especulacao-imobiliaria/
Créer un régime fiscal applicable au secteur immobilier selon la typologie et la localisation, le temps de construction, l’accessibilité à des services et des équipements. (6) Toutefois peu de progrès furent faits dans ce sens et deux ans plus tard, invité à s’exprimer sur ce même sujet, Joaquim Silvestre, secrétaire d’Etat de l’Urbanisme et de l’Habitat Angolais, a reconnu que le problème de la spéculation immobilière en Angola persistait. Cela se traduisait, notamment dans la capitale par des prix de location et de vente tout à fait exubérant. Selon lui c’est le manque d’offre face à une très forte demande, qui expliquait que l’on puisse trouver à Luanda des logements dont le prix s’élevait à plus de six millions d’euros. Il défendait cependant le fait que cette situation n’était pas irréversible.
il est possible de rendre le marché de l’immobilier accessible à toutes les classes sociales […] à condition qu’il existe des outils, qui doivent être crées par l’ Exécutif, ce qui est entrain d’être fait […] Résoudre le problème passe par plus d’offre, mais essentiellement par la régularisation du marché immobilier, nous redoublons d’effort pour revoir cette législation. (7) Malgré de nombreuses déclaration de la même teneur données par divers membres du gouvernement, les prix de l’immobilier dans le centre ville de Luanda, eurent plutôt tendance à augmenter et le gouvernement continua de céder des terrains aux groupes immobiliers angolais et étrangers. Seule la crise économique de 2014 fut capable d’inverser la tendance. Depuis les investisseurs immobiliers qui pensaient pouvoir s’enrichir pendant de nombreuses années encore sont les malheureux propriétaires de centaines de logements et locaux commerciaux qui ne trouvent plus preneur. Certains decident de les brader, d’autres continuent de creuser leur préjudice en entretenant des locaux déserts dans l’attente des jours meilleurs. Certains pris de court, ne surent où trouver les fonds nécessaires pour poursuivre l’avancement de leurs chantiers et leur tours inachevées assombrissent aujourd’hui le paysage de Luanda. Malgré le net ralentissement de la vague de démolition d’immeubles d’habitation Modernes, coloniaux et tropicaux ces quatre dernières années, que l’on doit à la crise économique, le phénomène persiste et continue d’avoir des conséquences sur la ville, aussi bien sur le plan économique, que urbain, mais également sur le plan social.
Proposition gagnante pour le projet Marginal da Corimba promu par le Gouvernement Provincial de Luanda © Van Oord and Urbeinveste Projectos Imobiliários source: https://www.worldconstructionnetwork.com/news/luanda-to-expand-400ha/
(7) « é possível tornar o mercado habitacional acessível a todas as classes sociais […] desde que existam condições, que devem ser criadas pelo Executivo, o que está a ser feito. […] Resolver o problema passa por mais oferta, mas essencialmente pela regularização do mercado imobiliário, estamos a envidar esforços no sentido de rever essa legislação.» BATISTA, Ricardo. Especulação entre os factores que inflaccionam preços no mercado imobiliário em Angola. Construir. 23 avril 2010. [en ligne] disponible sur :http:// www.construir.pt/2010/04/23/ especulacao-entre-os-factores-que-inflaccionam-precos-no-mercado-imobiliario-em-angola/
b - quand la valeur foncière prévaut sur la valeur sociale : raser la ville coloniale pour « gentrifier » le centre ville `
Aujourd’hui dans la capitale angolaise les immeubles des architectes Modernes cèdent petit à petit leur place aux grues de la modernité. Ce scenario n’est pas propre à Luanda, dans de nombreuses villes à travers le monde un regard critique pèse à présent sur les formes d’habitat produites de la moitié du vingtième siècle à la fin des années soixante-dix. Ce patrimoine parfois malmené au cours des années et maintenant mal-aimé, est de plus en plus menacé de démolition. Sa disparition soulève invariablement de nombreuses questions d’ordre social. À Luanda, pour comprendre la valeur sociale de cet habitat colonial, Moderne et tropical, aujourd’hui, il faut remonter jusqu’au moment de sa construction. Ces immeubles bâtis entre 1940 et 1975 par des architectes portugais, logeaient une grande partie des 124 818 Portugais qui résidaient à Luanda en 1970. Ces logements et les quartiers dans lesquels ils étaient construits n’étaient pas accessible à la population autochtone. La ville coloniale était réservée aux portugais et les métis y étaient tolérés. A cette période seul 10% des autochtones vivaient dans des villes ou des centres urbanisés, ce qui représentait en 1970, 568 499 noirs vivant dans les vingt-quatre villes de plus de deux mille cinq cents habitants que comptaient alors l’Angola. (8) Un peu plus de la moitié d’entre eux vivaient à Luanda, à la périphérie de la ville coloniale, dans des quartiers de cubatas connus comme musseques. Au moment de l’indépendance, cette population des musseques s’est installée dans les appartements restés vacants. Pour eux avoir enfin accès à ces parties de la ville et ces logements qu’ils ont pour certains aidé à construire, était une victoire en soit, qui mettait fin à une politique urbaine ségrégative. L’occupation de ces appartements s’est en partie faite de manière spontanée, et dans des conditions difficiles. Quelques uns de ces immeubles ont été le théâtre d’affrontements sanglants, durant lesquels les familles portugaises qui y résidaient et qui refusaient de quitter le pays, ont été délogées de force. Pour pouvoir occuper ces appartements les familles angolaises ont du effacer les empreintes de cette guerre pour rendre à nouveau habitable ces espaces. À la fin de la guerre d’indépendance le gouvernement angolais a régularisé la situation de ces familles, qui sont depuis devenues officiellement propriétaires de ces biens immobiliers confisqués aux familles portugaises. Un grand nombre d’entre elles vivent encore aujourd’hui dans ces appartements. Il y a une dizaine d’années, quand l’Angola était en plein essor économique, que le pays commençait à devenir particulièrement attractif pour les investisseurs étrangers et que sa situation politique s’est stabilisée, les cas de famille portugaise cherchant à récupérer leurs anciens logements ont commencé à se multiplier. Cette situation a fortement inquiété les occupants actuels, qui y résidaient pour certains depuis quarante-trois ans, qui soudainement ont eu peur d’être dépossédés et de perdre à nouveau ce droit d’habiter ces lieux, pour lequel ils se sont battus. (8) BENDER Gerald. Angola under the Portuguese : The myth and the reality. University of California Press, juillet 1992. 326 p.
Selon la loi 7/95 du code pénal et l’article 13 de la constitution angolaise, tout bien reconnu comme « confisqué » ne peut être restitué puisqu’il fait à présent parti du patrimoine de l’État angolais.
Ainsi lorsqu’il a été interrogé sur cette situation en mai 2006, le ministre de la Justice, Manuel de Aragão, avait rappelé ce fait et soutenu que les familles angolaises, dont le logement été réclamé par leurs anciens propriétaires, seraient protégés par ces lois. (9) Ce fut effectivement le cas et grâce à ces mesures juridiques les milliers d’occupants des appartements « confisqués » et depuis réattribués, ont pu conserver leur bien et leur droit à la ville. Alors, quand aujourd’hui ces mêmes familles se retrouvent, parfois sans avoir été consultées et informées des raisons derrières cette décision, contraintes de quitter leurs logements contre leur gré, pour être à nouveau rejetées à la périphérie lointaine de la ville, sur décision du gouvernement , c’est un pas en arrière dans l’histoire de Luanda et de ses habitants. Il est naturel que dans une ville comme Luanda, qui a « tournée au ralentie » pendant près de trente ans, période où le pays été en guerre et durant laquelle le développement urbain et l’entretien du bâti existants ont été quelque peu délaissé, il faille aujourd’hui renouveler une partie du tissu urbain. Un nombre important de bâtiments dans la capitale angolaise et parmi eux des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux, ont indéniablement besoin de travaux d’entretien et malheureusement pour certains le point de non retour a déjà été atteint. Ce qui est questionnable en revanche c’est le fait qu’à la suite des démolitions, parfois nécessaire de ces immeubles, la possibilité de reconstruire et de reloger les familles qui habitaient là, souvent depuis des décennies, ne soit jamais celle pour laquelle opte l’État, propriétaire du terrain. Celui-ci préfère revendre ces parcelles aux plus offrants, soit des groupes privés. Quand bien même ces investisseurs immobilier décident de construire des logements en lieu et place des immeubles démolis, le prix de ces nouveaux biens immobiliers est largement au dessus des moyens des familles délogées. Elles ne peuvent donc pas y acquérir un appartements dans ces nouvelles constructions et ce parce que dès le départ ces logements ne leur sont pas destinés. Les familles qui habitent dans les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux, sont pour la plupart issues de la classe moyenne. Certaines sont parfois même très modestes et ne peuvent vivre dans ces immeubles que parce qu’elles possèdent ces appartements depuis l’indépendance, et ne pourraient pas les acquérir ou les louer au prix actuel du marché immobilier luandais. Rares sont celles qui disposent des centaines de milliers voire des millions de dollars nécessaires pour acquérir des appartements dit de luxe, dans les nouveaux condominiums verticaux du centre ville. L’Etat pourrait pourtant lui-même construire de nouveaux immeubles pour remplacer ceux démolis et y reloger les familles. Ce ne sont pas les fonds qui manquent, puisque celui-ci est en mesure de bâtir des villes nouvelles de quatre-vingt-cinq mille logements à quelques dizaines de kilomètres de là. Il pourrait aussi recourir au partenariat public-privé et garder la main sur une partie des appartements construits et ainsi assurer le relogement des anciens occupants ou au moins celui de personnes ayant des moyens financiers comparable aux leurs. Les investisseurs privés ayant pour objectif de faire du profit et donc de faire grimper les prix, c’est à l’État de s’assurer que dans tout nouveau projet il y ait une part de logements à prix accessible. Dans de nombreuses villes à travers le monde des mécanismes juridiques permettent ainsi de limiter la spéculation immobilière et c’est un choix du gouvernement angolais de ne pas les mettre en place. Au lieu de cela l’État déloge la classe moyenne du centre ville, pour tirer profit de la vente de ces terrains, qui en raison de leur localisation sont âprement disputés par les investisseurs angolais, chinois, portugais ou encore brésiliens.
(9) /. « Imóveis confiscados no país são irreversíveis», afirma ministro da justiça. Angonoticias, d’après un article du journal ANGOP. Le 4 mai 2006. [en ligne] disponible sur : http:// www.angonoticias.com/Artigos/ item/9103/%E2%80%9Cimoveis-confiscados-no-pais-sao-irreversiveis%E2%80%9D-afirma-ministro-da-justica
Quand à ces familles « évacuées » de ces immeubles considérés inhabitables, elles sont rejetées à la périphérie de la ville, dans les quartiers récemment édifiés des Zangos. Leurs vies sont profondément bouleversées suite à ces déménagements imposés. Ce sont toutes leurs habitudes, et leur mode de vie qu’elles doivent revoir, parce que habiter à quarante kilomètres du centre ville et devoir s’y rendre quotidiennement pour travailler, étudier ou accéder à la plupart des services et des loisirs est aujourd’hui un véritable handicap. La sur-concentration des entreprises et des équipements dans le centre ville de Luanda couplée à des routes en mauvais état et saturées par l’important flux automobile dans la ville, crée d’importants embouteillages. Les automobilistes de la capitale résidants en dehors du centre ville prennent au quotidien et notamment aux heures de pointe une ou deux heures, si pas plus, pour parcourir des distances qui pourraient l’être en vingt à trente minutes. Pour pouvoir se rendre en ville ceux qui habitent dans les quartiers les plus éloignés du centre se réveillent avant l’aube et quittent leur domicile à 4h ou 5h du matin, pour s’assurer de pouvoir être au travail à 8h30. Les Zangos étant parmi les zones les plus reculées de Luanda, devoir faire la navette de là vers le centre ville, demande un changement total de rythme de vie. De ce fait les Luandais restent réticent à l’idée d’aménager dans ces quartiers, où le gouvernement à pourtant construit un grand nombre de logements. Ces appartements sont proposés à des prix beaucoup plus accessibles, car ils sont situés dans une zone difficile d’accès et réalisés dans un style architectural très simpliste. Dans le quartier de Zango 0 des appartements de type T4 se vendent pour environ vingt-deux millions de kwanzas (10) soit dix fois moins qu’un T2 dans les nouveaux immeubles du centre ville. Malgré ces prix attractifs, en raison de la difficulté qu’y vivre représente, ceux qui ont le choix n’y vont pas, ce qui explique que de nombreux logements soient encore vacants. C’est donc tout à fait avantageux pour le gouvernement de donner ces logement aux familles « évacuées » des immeubles démolis, car reloger une centaine de ces familles dans des T4 à Zango 0 leur couterait environ sept millions d’euros, alors que les terrains libérés eux, de part leur localisation et leurs dimensions, se vendent pour des sommes avoisinant les cent millions d’euros. Somme toute, cette politique de relogement des personnes vivant dans des immeubles du centre ville jugés susceptible de s’effondrer dans des logement à Zango, profite davantage à l’État et aux investisseurs immobiliers, qu’à ces familles angolaises issues de la classe moyenne. Par ailleurs cette manière de faire participe à recréer dans la ville les scissions que des années de lutte pour l’indépendance ont tenté de gommer. Pendant la période coloniale le centre ville était aux Portugais et la périphérie était laissée aux autochtones. Aujourd’hui un schéma similaire semble se profiler quand petit à petit, en détruisant les immeubles coloniaux pour entretenir la spéculation immobilière, on prive de son droit au centre ville la famille moyenne angolaise et qu’on la renvoie à nouveau aux confins de la ville. Il en ressort qu’en agissant comme acteur de la spéculation, l’État participe également aux processus de gentrification du centre ville et de ségrégation spatiale qui en résultent. Ces trois facteurs combinés, spéculation, gentrification et ségrégation spatiale, forgent une nouvelle image de la ville.
(10) environ 70 000 euros
D’une Luanda dont le centre ville est le lieu d’une forte mixité sociale, incarnée notamment par les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux et la grande diversité de leurs habitants, on passe progressivement à une juxtaposition de tours où seule une élite locale et des expatriés peuvent vivre. Cette Luanda vers laquelle on tend se veut à l’image des Central Business Districts des grandes métropoles occidentales, image globalement associée aujourd’hui à des notions telles que le progrès, le développement ou la modernité. Cela pose la question du rapport entre l’apparent manque de volonté de préserver les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux de la capitale et l’envie de conférer à Luanda une nouvelle identité, grâce à un nouveau langage architecturale notamment.
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2km
N
source: GOOGLE EARTH
CENTRE VILLE DE LUANDA PROJETO NOVA VIDA (2003-2017) 2500 logement livrés en 2012 3150 logements livrés en 2017 5650 logements au total 15 km du centre ville
LAR DO PATRIOTA ( 2000 - 2001) 2000 logements livrés en 2001 25 km du centre ville
CENTRALIDADE DO KILAMBA ( 2008 - ?) 20 000 logements livrés en juin 2011 85 000 logements prévus 31 Km du centre ville
ZANGOS ( 2007 - ? )
6272 + 2464 +8000= 16736 logements livrés à ce jours 35 280 logements prévus 40 Km du centre ville
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c - quand la valeur foncière prévaut sur la valeur historique : raser la ville coloniale pour fabriquer la Luanda de demain
Depuis le drame de la DNIC en 2008, une dizaines d’immeubles résidentiels coloniaux, Modernes et tropicaux ont été démolis car jugés susceptibles de s’effondrer, sous décisions d’une équipe d’experts du bâtiment ayant évalué leur état. En lieu en place de ces immeubles des nouvelles constructions de style contemporain ont vue le jour, amorçant ainsi un changement de l’image de la Cidade Alta de Luanda. Cependant, quelles mesures furent prisent pour empêcher que l’ensemble des édifices coloniaux de la capitale ne connaissent un sort similaire à l’avenir ? En mars 2009 en vue d’une visite de quatre jours du Pape Benoît XVI à la capitale angolaise, les rues de Luanda par lesquelles passerait le cortège papal eurent droit à des travaux d’embellissement. Les trottoirs furent nettoyés et réparés et les rues furent asphaltées. Les immeubles bordant ces voies dont les façades n’avaient pas été repeinte depuis parfois près de trente ans eurent droit à une couche de peinture neuve. C’est dans la zone de São Paulo que les travaux furent les plus visibles, les immeubles de ce quartier, qui sépare le centre ville de sa périphérie proche, furent à l’occasion adornés de couleurs chaudes et chatoyantes, le bleu, le orange et le jaune étant particulièrement présent. Ces travaux de réhabilitation cosmétique furent réalisés sur initiative du Gouvernement Provincial de Luanda, en partenariat avec des entreprises privées de construction civile . Toutefois seules les façades donnant sur rue des immeubles furent peintes, et bien que ces travaux d’embellissement donnaient, vue de l’extérieur et sous certains angles uniquement, une meilleure image de la ville, les motivations et le bien-fondé de cette manière de procéder posent questions. Interrogée à ce sujet dans le cadre d’une enquête du journal Lusa, à quelques jours de la venue du pape, les habitants de ce quartier se sont exprimés, faisant part pour certains de leur satisfaction et restant pour d’autres plus dubitatifs. Pour Tomás Pedro Diogo, habitant du quartier travaillant dans le domaine de la construction publique, l’initiative est bonne mais trop superficielle, car sous ces couches de peintures fraîches se cachent des façades fissurées et attaquées par l’humidité, qui ont besoin de vraies réparations et pas seulement de nouvelles couleurs. De part ailleurs il regrette également le caractère trop ponctuel de cette initiative qui selon lui devrait être renouvelée plus souvent et de manière régulière et pas uniquement quand des personnalités visitent le pays. je trouve ça bien ce qu’ils sont entrain de faire. Ça donne une autre image. Ça devrait être fait tous les six mois, je ne sais pas pourquoi il ne le font que maintenant. (11) Également questionné, Rui Marcos résident du quartier, se dit conscient qu’assurer le bien-être des habitants de São Paulo n’était pas la préoccupation qui avait motivé ces travaux, mais qu’ils en tireraient tout de même profit. Ce sont des travaux fait pour les yeux du Pape, mais qui finissent par profiter aussi aux Luandais. (12)
(11) « Acho bonito o que está a ser feito. Está a ter uma nova visibilidade. Deveria ser feito de seis em seis meses, não sei porque é que estão a fazer isso só agora.» /. Edifícios de Luanda ganham nova pintura para visita do Papa. Angonotícias, d’après un article du journal Lusa. Le 16 mars 2009. [en ligne] disponible sur : http://www.angonoticias.com/Artigos/ item/21627/edificios-de-luanda-ganham-nova-pintura-para-visita-do-papa (12) « são obras para Papa ver, mas que acabam por servir também aos luandenses. » /. Edifícios de Luanda ganham nova pintura para visita do Papa. Angonotícias, d’après un article du journal Lusa. Le 16 mars 2009.
Quant à Ivanildo Miguel, il se montre beaucoup plus critique, car selon lui ce type d’initiative ne sert qu’à camoufler temporairement les vrais problèmes et à transmettre au monde une image améliorée de l’Angola et de sa capitale qui ne correspond pas à la réalité vécue par les nationaux. Très sincèrement, je trouve qu’ils ont commencé à faire ces travaux uniquement à cause de la venue du Pape Benoît XVI et je trouve que ce n’est pas la meilleure façon de procéder. Les voies ont besoin d’être refaites même quand on n’a pas de visite de personnalité. (13) Ils veulent donner une bonne image au monde extérieur, alors que la réalité ici est tout autre. La réalité c’est que les choses quand elles ont besoin d’être faites, ne le sont pas. Ceci ( les rues remodeler et les immeubles peints ) ce ne sont pas nos rues, ni notre pays. (14) Peu de temps après cette initiative l’administratrice de la municipalité de Ingombotas, Susana Augusto de Melo, a annoncée que des travaux visant à rafraichir les façades de l’ensemble des édifices de la municipalité seraient menés. Des entreprises privées de construction civile contractées par le Gouvernement Provincial de Luanda assureraient les travaux. Ceux-ci devraient permettre que les façades, les balcons, les terrasses et les murs des espaces collectifs, des quelques deux cents cinquante immeubles de logements publics et privés concernés où résident près de cinq cents mille habitants soient repeint. Cette initiatives s’étendit ensuite aux municipalités voisines de Sambizanga et Rangel. Les travaux durèrent jusqu’en 2015 et s’encadraient dans un programme de divers travaux d’embellissement et de réhabilitation de la capitale au vue de la commémoration des quarante ans d’indépendance de l’Angola, le 11 novembre 2015.
(13) « Muito sinceramente, acho que só começaram a fazer essas remodelações por causa da vinda do Papa Bento XVI e acho que não seria esta a melhor forma. As vias necessitam de ser remodeladas mesmo quando não temos visitas de tais figuras. » /. Edifícios de Luanda ganham nova pintura para visita do Papa. Angonotícias, d’après un article du journal Lusa. Le 16 mars 2009. (14) « Querem dar uma imagem necessária lá para fora, enquanto a realidade aqui é outra. A realidade é que as coisas quando precisam de ser feitas não são. Aquilo (as ruas renovadas e os prédios pintados) não são as nossas ruas e o nosso país. » /. Edifícios de Luanda ganham nova pintura para visita do Papa. Angonotícias, d’après un article du journal Lusa. Le 16 mars 2009. (15) environ 1 334 300 euros (16) environ 1 419 000 euros (17) environ 51 000 euros (18) Governo da Província de Luanda. Plano de Desenvolvimento Provincial 2013/2017 - Luanda , septembre 2014. 415 p.
Encore une fois c’est travaux demeuraient superficiels et contribuaient uniquement à donner une illusion d’amélioration, alors que les vrais problèmes des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux, ceux concernant les réseaux électriques, les canalisations, les désordres structurelles, les ascenseurs et les espaces de circulation, ne furent pas pris en compte. Dans le plan de développement pour la période de 2013 à 2017 établi par le Gouvernement Provincial de Luanda, la question de la réhabilitation du centre historique de la ville est à peine abordée. Il est tout de même précisé que dans le nouveau Plan Directeur Général Métropolitain en cours d’élaboration, parmi les sept axes stratégiques de développement de la ville, l’un consisterait à « régénérer » la ville coloniale. Toutefois aucun détail sur la manière de procéder n’est donné. En nous penchant sur la liste des projets financés par les pouvoirs publics dans la province de Luanda pour la période de 2013 à 2017, où figure les opérations concernant la réhabilitation du bâti résidentiel de la ville coloniale et le budget qui leur sera alloué, seuls figurent les travaux de peintures des façades évoqués précédemment. On constate également que d’autres études, visant à établir quels édifices devraient être prochainement démolis, sont prévues. En 2013 et 2014 pour la « Réhabilitation et peinture des façades des édifices de Luanda » un budget s’élevant à 444 049 094,00 kwanzas (15) fut alloué pour la première année et 472 255 813,00 kwanzas (16) pour la deuxième année. En 2015 une « Etudes pour la démolition des édifices en ruine qui menacent les habitants et le patrimoine de la ville de Luanda » s’est vue attribuer un budget s’élevant à 17 000 000,00 de kwanzas (17) . Pour les années 2016 et 2017 aucun travaux concernant les immeubles résidentiels du centre ville de Luanda ne furent annoncés. (18)
En somme il en ressort que à ce jours la réhabilitation de l’habitat colonial, Moderne et tropical continue de se limiter à un simple façadisme, qui ne pourra en aucun cas corriger les désordres actuels et encore moins empêcher que ces immeubles ne se dégradent davantage. Cela met en avant le fait qu’il y a de la part du gouvernement angolais une volonté d’améliorer l’image de la capitale, et les interventions menées sur les immeubles résidentiels datant de l’époque coloniale ont pour but de leur conférer dans l’immédiat une meilleure apparence. Toutefois l’absence de travaux plus approfondis laisse deviner qu’il n’y a pas de réelle intention de conserver ces edifices sur le long terme. La politique urbaine menée par le gouvernement Angolais à ce jour ne peut entrainer qu’une multiplication des cas d’effondrement ou de démolition et ainsi la disparition progressive mais assurée de l’immeuble colonial, Moderne et tropical du paysage Luandais. Cette disparition précoce devrait permettre l’apparition d’une nouvelle Cidade Alta, soumise aux mêmes transformations que celle qu’a connues la Baixa de Luanda ces quinze dernières années. Ce changement d’image de la ville amorcée et soutenue par le gouvernement angolais depuis le début des années 2000, témoigne d’une volonté de substituer une ville contemporaine, largement inspirée de New York, Dubai et autres grandes métropoles mondiales, à la ville coloniale. Dans cette Luanda « régénérée », seule quelques bâtiment datant d’avant l’indépendance devraient subsister. Des édifices à usage culturel ou administratif, dont l’architecture remarquable et les dimensions grandioses leur ont permis d’être élevés au statut de « patrimoine ». Parmi eux des bâtiments tels que l’ancienne Assemblée Nationale, qui d’après annonce du président de la République João Lourenço en mars 2018, devrait être rénovée pour accueillir le Palais de la Musique et du Théâtre. Dans ce même communiqué il a également précisé que les bâtiments du Teatro Avenida et du Cine-Teatro Nacional, dont on avait annoncé la démolition en 2008, pour que soit construit en lieu et place des tours qui abriteraient des salles de cinéma modernes et des espaces d’exposition et de représentation, devraient eux aussi finalement bénéficier de travaux et accueillir prochainement de nouvelles activités sociales et culturelles. Quelques édifices comme celui Banco Nacional de Angola eux n’ont jamais cessé d’assurer leur fonction et sont régulièrement entretenus. Qui plus est les quelques immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux, ayant été rehabilités ces dernières années, ont pour beaucoup étaient « victime » de travaux qui ont profondement altérés leur esthétique voire les ont denaturés. Ces interventions temoignent d’une volonté de transformer cette architecture Moderne et tropicale en une architecture contemporaine, grâce notamment un usage excessif de vitrage et non pas de rendre à cette architecture son éclat, ses caractéristiques et ses qualités d’origines, qui sont souvent perdues dans ce processus de «vitrification». Par ailleurs ces initiatives ne concernent que quelques bâtiments considérés «remarquble», soit des hôtels, des sièges d’entreprises ou des edifices à usage administratifs Quant aux immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux à usage résidentiel, ils n’ont jamais pu jouir du moindre effort de conservation et rien ne laisse indiquer qu’ils pourraient se voir offrir une nouvelle jeunesse. Pourquoi cela ? Peut-être, parce qu’il s’agit de logement populaire où réside la classe moyenne et d’une architecture de béton relativement récente et qu’aujourd’hui en Angola mais ailleurs également, on ne conçoit pas toujours que l’habitat ordinaire puisse être à même titre que les palais et autres bâtiment plus monumentaux, digne d’être conservés. Essentiellement, parce que ceux-ci ne cadre pas avec l’image de la Luanda de demain telle qu’elle est vue par ceux qui decident de l’avenir de la ville. Ainsi Luanda comme bien d’autres villes avant elle s’est lancée dans un processus de « modernisation » de son tissu urbain, suite auquel seuls subsisteront quelques échantillons éparts de ce que fut la ville historique.Cette volonté de se départir de cet héritage colonial, s’explique certes par la volonté de bâtir une ville nouvelle, dont l’apparence serait plus en phase avec les ambitions futures du pays, mais trouve également ces sources dans le passé.
Le contexte dans lequel cette architecture a été érigée, les événements historiques, politiques et sociaux auxquels elle renvoi ont probablement lourdement pesé sur la balance au moment de décider de leur devenir dans la capitale angolaise. Au-delà des motivation économiques évoquées précédemment, le déclin précoce de l’habitat colonial, Moderne et tropical, trouve également en partie sa raison d’être dans l’histoire de ces bâtiments, intrinsèquement liée à l’histoire politique du pays. Une histoire d’oppression et d’occupation ayant provoquée des traumatismes qui se font encore ressentir quarante-deux ans après l’indépendance et qui rendent difficilement envisageable la possibilité d’une Luanda de demain, capitale d’un pays pleinement affranchie, sous les traits d’une ville aux tracées herités de l’ère coloniale portugaise.
Hotel Presidente Meridien, Luanda années 70 source: www.sanzalangola.com
Hotel Presidente Meridien, Luanda novembre 2013 source: Archive Modernidad Ignorada
Banco de Populança e Crédito, Luanda octobre 2008 source: Archive Modernidad Ignorada
Banco de Populança e Crédito, Projet de renovation ( en cours ) source: https://tpf.eu/fr/projects/bpc-headquarters-in-luanda/
Edificio Mobil o Carvalho e Freitas, Luanda années 60 source: SAUDADE DE LUANDA, Curado Da Gama, 2005, p48
Edificio Mobil o Carvalho e Freitas, Luanda novembre 2013 source: Archive Modernidad Ignorada
LA « VITRIFICATION» DE L’IMMEUBLE COL. MOD. TROP
02 - L’immeuble Colonial Luandais OU LE STIGMATE ARCHITECTURAL
LUANDA DÉLESTÉE DE SON HÉRITAGE COLONIAL BÂTI, DANS UN PAYS ENCORE EN QUÊTE D’IDENTITÉ ET D’AFFIRMATION ?
QUE REPRÉSENTE LA PERSPECTIVE D’UNE
Luanda - Portugal -Vista Parcial. Carte postale datant des annĂŠes 50. auteur et collection inconnus
A - LE PARADOXE DU MODERNISME COLONIAL :
l’immeuble colonial, les origines polémiques d’un type architectural a - Construire pour mieux régner : Bâtir la Luanda Moderne pour asseoir le pouvoir colonial En 1482 une flotte portugaise sous le commandement de Diogo Cão (1450 -1486) jette l’encre le long des côtes de la province du Zaíre. Son equipage part alors à la conquête de cette région et s’établit finalement non loin du village de pêcheur de « Lu-ndandu », jusque là rattaché au royaume Kongo (1) . En 1575, Paulo Dias de Novais (1510- 1589) est nommé premier Gouverneur d’Angola et cet événement marque officiellement le début de la période coloniale angolaise. Un an plus tard, la ville de São Paulo da Assunção de Loanda est fondée, et la forteresse de São Miguel érigée. De cette date au début du vingtième siècle, la ville de Luanda et la colonie en général se développent peu. Les Portugais investissent davantage dans d’autres territoires, tels que le Brésil, où ils établissent un grand nombre de plantations de canne à sucre et de café et exploitent le sous-sol et les forêts. L’exploitation de l’Angola par les Portugais elle repose essentiellement à cette période sur le trafic d’esclaves et dans une moindre mesure sur l’agriculture, avec notamment des plantations de café et de coton. La forteresse de São Miguel devient le point de départ des bateaux abord desquels les Angolais réduit en esclavage sont emmenés au Brésil pour servir de main d’oeuvre dans les plantations. Pour ce qui est de la ville de Luanda, elle est encore peu étendue et se déploie le long de la baie. On y retrouve la même organisation spatiale que pour la plupart des villes côtières portugaises. D’une part la Baixa, la ville basse située à l’arrière de la côte, où l’on retrouve les casas nobres portuguesas ( 2) et les palecettes (3), où vivent les membres du gouvernement, les militaires et les hauts fonctionnaires de l’administration coloniale. D’autres part la Cidade Alta, le plateau, où se situent les églises, les institutions administratives et la forteresse de São Miguel. Dans un premier temps les Portugais n’habitent pas la Cidade Alta, seul y vivent les autochtones, qui contraint de quitter la Baixa s’y sont établis.
(1) Le royaume du Kongo était un empire de l’Afrique du Sud-Ouest, s’étendant du Nord de l’Angola au Sud du Gabon, tout en englobant une vaste partie du Congo. Fondé en 1390, sa capitale est Mbanza-Kongo et le Kikongo en est la langue principale. En 1914, le Portugal abolit le titre de roi du Kongo et cette date marque la fin du royaume. (2) maisons nobles portugaises (3) petit palais
Cidade de São Paulo da assumpção de Loanda. 1755. © Guilherme Paes de Menezes. source : http://www.nead.unama.br/site/bibdigital/cartografia_potuguesa/textos/MEDIAS1/3.1.htm
En 1822 le Brésil obtient son indépendance et devient un empire, néanmoins gouverné par un héritier de la couronne portugaise, Dom Pedro I (1798-1834), fils du Roi du Portugal João VI de Portugal (1767-1826). L’influence du Portugal sur le Brésil prendra véritablement fin en 1889 avec la proclamation de la République du Brésil. Ces événement couplés à l’abolition de l’esclavage au Brésil en 1888, pousseront le Portugal à revoir sa stratégie coloniale.
C’est ainsi qu’ à partir du vingtième siècle le Portugal décide de se tourner vers ses colonies africaines dont l’Angola et d’y investir davantage. En Angola, cela va se traduire par une intensification de la production agricole, avec une augmentation conséquente de la production de café, mais également par l’industrialisation de l’économie. C’est à cette période que sont construit le port et les quais de Luanda, que l’avenue littorale Marginal est aménagée, et que les armazéns (4) se multiplient dans la Baixa. En 1909 les travaux de la ligne de chemin de fer s’étendant sur près de cinq cents kilomètres et reliant Luanda à la ville de Malanje, se concluent. En parallèle en métropole, António de Oliveira Salazar (1889-1970) devient président du conseil des ministres en 1932 et initie le processus de revitalisation du Portugal et de son empire colonial. En 1933 le Portugal se dote d’une nouvelle constitution dans laquelle figurent des lois garantissant à tous les citoyens de l’empire colonial portugais, à l’exception des « indigènes », les mêmes droits. Il met également en place les Planos de Fomento, des plans d’actions ayant pour but le développement de l’ensemble des territoires de l’empire colonial. L’Angola devient un important exportateur de café et grâce à cela l’économie de la colonie connaît une croissance significative, qui la rend particulièrement attractive. Cela explique l’accélération de la croissance démographique de la ville de Luanda à cette période due à trois flux migratoires. Dans un premier temps des autochtones quittent les provinces du pays pour venir trouver du travail à Luanda.En parallèle un nombre croissant de Portugais viennent eux aussi tenter leur chance dans ce territoire d’outre-mer. Pour rappel, à cette période des conditions de vie difficiles en métropole poussent déjà beaucoup de Portugais à partir à l’étranger, en recherche de travail. Certains mettent le cap vers le Brésil pour travailler dans les plantations de café, qui depuis l’abolition de l’esclavage ont besoin d’une nouvelle main d’oeuvre. D ‘autres notamment après la seconde guerre mondiale, migrent vers des pays européens voisins pour oeuvrer dans les chantiers de la reconstruction. Les plus aventureux mettent le cap sur des territoires aussi lointain que l’Australie, mais pendant longtemps beaucoup demeurent réticent à l’idée de s’installer en Afrique. A partir des années quarante, motivés par les récits de ceux ayant fait fortune en Angola grâce aux plantations de café, de plus en plus de Portugais vont s’y établir. Finalement c’est d’autres territoires de l’empire colonial portugais tels que São Tomé ou le Cap vert, qu’originera le troisième flux migratoire. La ville connait alors une croissance rapide et organique, avec notamment une expansion vers l’arrière pays des quartiers d’habitation de la population autochtones, les musseques. C’est dans une volonté de contrôler la croissance urbaine de Luanda et de l’encadrer que le Gabinete de Urbanização Colonial – G.U.C. (5) est crée en 1944. A partir de là cette entité publique et unique contrôle l’ensemble des projets d’architecture et d’urbanisme concernant les colonies, promus par le gouvernement. Basé à Lisbonne, le G.U.C. regroupe des architectes et des ingénieurs, dont le travail repose sur trois stratégies majeures. Premièrement, gérer la planification urbaine des villes coloniales, en proposant aménagement et possibilité d’extension. Ensuite, encadrer la réalisations de révélés topographiques dans l’ensemble des villes du territoire colonial. Puis, suivre la croissance démographique des villes et veiller à une répartition harmonieuse de la population sur le territoire. Suite à sa création de nombreux projets de routes, d’hôpitaux, d’écoles et de logements sont lancés à Luanda, afin de transformer la ville en un cadre de vie agréable pour les colons de plus en plus nombreux sur place. Seulement ces projets sont réalisés depuis la métropole, parfois même par des architectes ne s’étant jamais rendus à Luanda. Cette manière de procéder s’explique par le faite que l’Etat portugais souhaitait en centralisant la production des projets destinés aux colonies, garantir que ceux-ci soient réalisés dans un « style colonial portugais » reflétant la culture, les aspirations, les goûts et les habitudes du pays colonisateur. Par conséquent ces projets réalisés à distance s’adaptent difficilement à la réalité locale et notamment au climat.
(4) entrepôts (5) Cabinet d’Urbanisation Coloniale
Plano Geral de Urbanização de Luanda par João Aguiar 1949 © Gabinete de Urbanização Colonial source: Maria Alice Vaz de Almeida Mendes Correia. Movimento moderno da arqutectura em Luanda ate 1975. Mémoire pour l’obtention du diplôme de Master en Architecture. 2012. 244p.
Si dès le départ les architectes du G.U.C. appliquent les principes et le langage du mouvement Moderne pour concevoir leurs bâtiments, leurs premières réalisations restent très proches de ce qui se produit en Europe à cette période et n’ont pas encore le caractère exceptionnel que la prise en compte du climat leur conférera par la suite.Par ailleurs leur production en terme d’habitat exclue dans un premier temps la population autochtone. Les nouveaux quartiers de logements planifiés par le G.U.C. dans la Cidade Alta de Luanda se composent d’immeubles et de maisons individuelles destinés aux familles portugaises uniquement. La population autochtone vit dans des musseques, des quartiers issus d’une occupation spontanée du sol, à la croissance organique. Les maisons y sont érigées par leurs occupants et les Portugais n’ont ni prise ni contrôle sur ces territoires. C’est dans les musseques que la culture angolaise subsiste. Les artistes angolais s’y exprime, les dialectes locaux y sont encore parlés, les croyances et les rites ancestraux y sont encore respectés et transmis. Par conséquent les musseques deviennent logiquement le foyer de la résistance à l’occupation portugaise. Profitant de l’absence totale de contrôle par les autorités coloniales, des groupes indépendantistes s’y forment et les intellectuels et les figures politiques locales s’y retrouvent pour diffuser leur message et appeler le peuple à se révolter et lutter pour l’indépendance, comme c’est déjà le cas dans de nombreux autres territoires colonisés d’Afrique.Cette mouvance prend progressivement de l’ampleur quand en 1952 la Libye accède à l’indépendance suivie par le Ghana en 1957. Elle s’intensifie ensuite véritablement en 1960, quand le processus de décolonisation de l’Afrique s’accélère avec l’accès à l’indépendance de nombreux pays cette année là, dont le Nigeria, le Gabon, le Sénégal, mais surtout le Congo, pays frontalier de l’Angola. L’administration coloniale Portugaise doit d’une part faire face à l’imminence d’un soulèvement populaire, mais également à la critique grandissante du colonialisme en métropole, depuis la fin de la seconde guerre mondiale et la création de Nations Unies en 1945. Sous pression, l’État portugais décide de prendre des mesures pour tenter d’adoucir les critiques, notamment en édulcorant la réalité coloniale. C’est à ce moment que le terme « empire colonial » est délaissé au profit de « province d’outre-mer », afin de présenter le Portugal et ses colonies, comme une nation unique et unie.
Pour ce qui est des tensions dans les colonies et notamment en Angola, pour les apaiser et retarder l’indépendance les Portugais fournissent dans un premier temps un effort supplémentaire pour peupler et bâtir la ville coloniale. En augmentant la présence portugaise sur place, il veulent affirmer leur domination et renforcer leur contrôle sur le territoire. Par ailleurs ils prennent conscience que laisser la population locale vivre dans des quartier auto-gérés, facilite la diffusion des idéaux indépendantistes. Ils decident donc de se pencher sur la question de l’habitat pour « indigènes », pour reloger les autochtones dans des quartier aux dimensions et aux emplacement prédéfinis, pour en permettre une meilleure gestion et faciliter la surveillance. Cela rejoint la pensée de l’architecte, urbaniste et chercheur hollandais Antoni Folkers ( 1960- ), qui s’intéresse depuis les années quatre-vingt-dix à l’architecture en Afrique et selon qui: La dernière ère de la colonisation en Afrique, dont la fin débute en 1960, s’est caractérisée par un effort colonial destiné à retarder les indépendances , introduisant les bases de construction d’un moderne État providence. (6) Les initiatives du gouvernement portugais pour encourager ses citoyens à migrer vers les colonies portent leurs fruits et plus que jamais le G.U.C., devenu entre-temps le Gabinete de Urbanização do Ultramar – G.U.U. , doit oeuvrer pour mettre en place un plan directeur d’urbanisation pour Luanda. Celui-ci qui doit prendre en compte le besoin de créer logements et équipements pour ces nouveaux arrivants, mais également la question des quartiers pour les « indigènes ». Toutefois au sein même du G.U.U., une certaine insatisfaction règne, les architectes deviennent de plus en plus critique de cette manière de faire la ville à distance et veulent pouvoir penser leur projet sur place et en adaptation avec environnement dans lequel il vont s’insérer. Cet état des choses n’est pas étranger au fait que le mouvement Moderne traverse alors une période de crise, depuis notamment l’échec sur lequel s’est soldé le neuvième Congrès International d’Architecture Moderne – C.I.A.M. , tenu en 1953 et la critique grandissante du caractère « uniformisant » et trop « technicien » de cette architecture. En 1957 le Gabinete de Urbanização do Ultramar est dissolu, il sera remplacé par divers cabinets d’urbanisation implantés dans les différentes agglomérations des provinces d’outremer portugaises. Le Gabinete de Urbanização de Luanda est crée en 1961 avec à sa tête l’architecte Fernão Lopes Simões de Carvalho (1929 - ). Sa mission, bâtir la Luanda coloniale, Moderne et tropicale, car c’est là le tout dernier recours de l’État Portugais pour tenter de garder la mainmise sur l’Angola. Pour les jeunes architectes diplômés des académies de Porto ou de Lisbonne, partir pour les provinces d’outremer et y intégrer ces cabinets est une opportunité de faire leurs preuves. Ils savent qu’en migrant vers ces territoires, la possibilité d’accéder à des commandes importantes et de construire un lieu nouveau s’offre à eux. Là-bas ils pourront créer la ville de demain, Moderne et idéale, la ville dont il ne peuvent que rêver en restant dans la métropole. C’est donc pour construire une utopie architecturale, basée sur les principes du mouvement Moderne et la Chartes d’Athènes, que les jeunes architectes portugais se rendent à Luanda. Sur place l’immensité des paysages, la séduction de l’exotique et un climat impitoyable, deviendront pour eux des facteurs galvanisants, qui les pousseront à se surpasser et créer un langage Moderne nouveau ; tropical. Ce groupe de jeunes architectes deviendra connu sous le nom de Geração Africana (7) et des villes telles que Quelimane ou Maputo au Mozambique et Lobito ou Luanda en Angola deviendront pour eux de véritables laboratoires d’expérimentation. Néanmoins quelles que soient leurs intentions et leurs motivations premières, le contexte politique de l’époque fait avant tout de ces jeunes architectes rêveurs, des colons, en mission pour défendre les intérêts de l’État portugais et il sera bien difficile pour eux de construire une ville et un mode de vie utopique dans le contexte on ne peut plus dystopique qu’est celui de la colonisation.
(6) « a ultima era da colonizacao em Africa, cujo fim comeca em 1960, caracterizou-se por um esforco colonial destinado a adiar as independencias, introduzindo as bases de construcao de um moderne estado providencia » TOESTÕES, Ana. Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique. Caleidoscope, septembre 2014. 480 p. (7) la Génération Africaine
Luanda anos 60 photographe inconnu source: Centro de Informação e Turismo de Angola
b - liberté de forme sans liberté de fond : une architecture émancipée dans une Luanda occupée
Le Gabinete de Urbanização da Câmara Municipal de Luanda (8) est crée en 1961 et placé sous la direction de Fernão Lopes Simões de Carvalho. Ce jeune architecte formé au Portugal est un disciple de Le Corbusier (1887- 1965) dont il a été le stagiaire et un élève de Robert Auzelle (1913- 1983). Sa mission en tant que directeur du cabinet d’urbanisation sera avant tout de transmettre à son équipe, composée au départ de six architectes, trois ingénieurs, un topographe, un peintre, dix dessinateurs et un maquettiste, les connaissances qu’il a lui-même acquit pendant son séjour à Paris et de faire de ce cabinet une véritable école d’urbanisme. La mission première de ce cabinet, est de réaliser le tant attendu plan directeur d’urbanisme de la ville de Luanda. Celui-ci est en discussion depuis les années quarante et de nombreuses propositions n’ayant jamais été jugées suffisamment satisfaisantes pour être mise en application existent déjà. Parmi elle la proposition de Etienne de Groer (1881-1952) et David Moreira da Silva (1909 – 2002) datant de 1942. Elle se base sur l’idée d’une croissance concentrique de la ville, avec par ailleurs la mise en place d’un zoning des fonctions. De Groer et Da Silva proposent également la création de cinq villes-satellites de cinquante mille habitants chacune, reliées par une voie radiale, formant une couronne périphérique autour du noyau urbain de Luanda. Dans leur version Fernão Lopes Simões de Carvalho et son équipe abandonnent complètement l’idée de ville-satellite et de zoning. Plutôt que de créer des villes dortoir il mettront en place un système d’ Unidades de Vizinhança (9) . Dans ces nouveaux quartiers, habitation, travail, équipement, service et industrie sont mélangés, afin que chaque quartier soit autonome et ne dépende pas du centre ville de Luanda déjà saturé. En plus de penser l’extension de la ville grâce à ces Unité de Voisinage, ils vont également se poser la question de la restructuration de la Baixa et tentant de la désengorger et d’en améliorer la desserte. Leur plan directeur ne sera jamais pleinement appliqué mais certains éléments seront bel et bien réalisés, dont une partie des travaux de voirie et certaines Unités de Voisinage. Celle se traduit à Luanda par une période de grands travaux qui durera du début des années soixante jusqu’à la proclamation de l’indépendance en 1975. Ces grands chantiers attireront de nombreux jeunes architectes et ingénieurs, qui viendront grossir les effectifs du Gabinete de Urbanização da Câmara Municipal de Luanda. Ces jeunes architectes portugais particulièrement sensible à l’esthétique et aux idéaux du mouvement Moderne, étaient en quête d’un lieu où ils pourraient véritablement mettre en application ces principes. Au Portugal sous le régime autoritaire de l’État Nouveau mis en place par António de Oliveira Salazar depuis 1933, tout est réglementé, même l’architecture et peu de place est laissée à la fantaisie. De plus l’État a déjà ses architectes « attitrés » à qui toutes les grandes commandes reviennent et les opportunités pour des jeunes récemment diplômés sont rares et peu enthousiasmantes. Le langage Moderne s’est diffusé au Portugal et il a même été employé pour des projets d’envergure sous la dictature de Salazar, comme lors de l’édification du quartier de Alvalade. Ce quartier dont la construction débute en 1952, s’inscrit dans un projet plus vaste d’extension vers le Nord de la ville de Lisbonne, dans le but de répondre à la croissance démographique de celle-ci. Le plan général réalisé par l’architecte João Faria da Costa ( 1906-1971 ) reprend le modele de l’Unité de Voisinage. Le quartier est divisée en huit cellules numérotées de un à huit. A chaque cellule correspond un projet-type, désigné par une lettre allant de « A » à « H ».
(8) Cabinet d’Urbanisation de la Chambre Municipale de Luanda (9) Unité de Voisinage
Chaque cellule et son projet-type ont été dessinés par un architecte différent, ce qui a permis d’obtenir une grande diversité de forme, de style et de mode d’habiter au sein de ce quartier. Le type A, regroupant des immeubles sur pilotis, est particulièrement représentatif de l’influence de l’urbanisme et de l’architecture « corbuséenne », sur la production portugaise en logement à cette époque. L’urbanisation du quartier d’Alvalade est un exemple de rare de liberté et de « souplesse » dans la manière de faire la ville et de l’architecture au Portugal à cette période. Seulement les jeunes architectes portugais aspirent à bien plus, depuis la publication de Brazil Builds en 1943 par le MoMA de New York, ils sont fascinés par le Modernisme latino-américain. La liberté plastique, la dimension monumentale, l’audace technique dont témoignent les projets de Lúcio Costa (1902-1998) ou Oscar Niemeyer (1907-2012), les rendent rêveurs. De plus l’avènement d’un nouveau style architectural, le Português Suave, vient freiner l’élan du Modernisme au Portugal. Ce style nationaliste, né dans les années cinquante des idées de plusieurs architectes portugais dont Raul Lino (10) (1879-1974), prône un retour à une architecture plus traditionnelle et authentiquement portugaise. Il se rapproche du Estilo Chão (11) et lui emprunte sa rigueur et son austérité. Il intègre tout de même les techniques de construction modernes, mais celles-ci sont camouflées derrière des façades qui reprennent des éléments de l’architecture vernaculaire portugaise. Il est rapidement adopté par le régime au point d’être parfois désigné comme Estilo do Estado Novo. Il est employé pour toutes les commandes du gouvernement. Ce style bien que largement critiqué au Portugal et au delà de ses frontières, car considéré simpliste et peu imaginatif, se popularisera tout de même et reléguera le Modernisme au second plan. Alors pour pouvoir être Moderne et novateur les jeunes architectes portugais mettent le cap sur les colonies et notamment l’Angola. Arrivés à Luanda il ne tardent pas à s’apercevoir que sous de telles latitudes la question de l’adaptation de l’architecture au climat est inévitable. Ils se retrouvent face à deux grands défis, réussir à contrôler et réguler l’incidence du soleil dans les pièces du logement, tout en préservant une façade suffisamment poreuse pour pouvoir assurer une bonne ventilation des espaces de vie. Ces considérations les mènent à s’éloigner de l’idée d’un Modernisme universel, qui pourrait être le même en toute part du globe, pour se rapprocher davantage de certaines idées défendues dans par ceux affiliés au mouvement du Régionalisme Critique. Ce mouvement qui s’intéresse à l’architecture vernaculaire, organique et traditionnelle, revendique une production architecturale en harmonie avec son contexte, tant bien climatique, que géographique, social, culturel ou historique. Il se place donc à contre-courant du caractère uniforme, standardisé et universel que revêt l’architecture du mouvement Moderne. (10) Raul Lino da Silva était un architecte, designer, théoricien de l’architecture et écrivain portugais. Traditionaliste, une grande partie de son œuvre porte sur l’étude de la maison populaire portugaise, la « Casa Portuguesa ». Il s’est intéressé à ces origines et ses particularités et a prôné tout au long de sa carrière la nécessité d’un retour aux traditions et à une architecture plus simple. (11) le « Estilo Chão » ou « plain architecture » en anglais, terme crée par le théoricien états-unien George Kubler, se caractérisent par un retour à une simplicité pouvant s’apparenter à de l’austérité, l’objectif étant de rompre avec les excès du baroque et du maniérisme portugais et de se rapprocher d’une architecture vernaculaire.
Loin de « mettre un frein » à leur créativité, la nécessité de se plier au climat va au contraire avoir un effet catalyseur. Le climat aura une incidence sur toute leur production architecturale, notamment sur celle de l’habitat, qui en représente l’essentiel. C’est pour répondre à la crise du logement à Luanda que le modèle de l’immeuble colonial, Moderne et tropical va se developper et se propager dans la ville, notamment dans la Cidade Alta. L’influence du climat sur l’immeuble colonial, Moderne et tropical se lit à toutes les échelles, de son positionnement dans la ville à la réalisations des détails. La direction des vents dominants et la course du soleil dictent l’orientation des bâtiments et leur espacement les uns par rapport aux autres, selon leurs gabarits. Les façades gagnent une plasticité nouvelle, avec des jeux de volumes, d’ombre et de lumière, nés du besoin d’atteindre le confort thermique. A l’échelle de l’appartement, des réflexions sur les dimensions des volumes et la disposition des pièces donnent lieu à l’apparition de nouveaux types, jusque là absent à Luanda, tels que le semi-duplex. Une attention particulière est également portée aux détails, ce qui se traduit par un travail graphique et minutieux d’éléments tels que les claustras ou les brise-soleil, mais également par des recherches sur la matérialité et la couleur.
Ces immeubles sont édifiés pour loger une population de migrants portugais, récemment installés, établis depuis des décennies ou nés sur place, ayant développé en ces lieux tout à fait différents de leurs lieux d’origine, des habitudes et un mode de vie autre. En plus de s’adapter au climat les architectes de la Geração Africana prennent également soin de penser des espaces et des lieux de vie rendant possible ce mode de vie nouveau, où l’on profite des températures globalement agréables pour privilégier le temps passé en extérieur. La recherche de ce mode de vie « à l’air libre » se devine dans l’ensemble des immeubles coloniaux, modernes et tropicaux, à l’importance et l’abondance des espaces extérieurs. On note une multiplication de balcons, de loggias, de coursives, de galeries, de terrasses et de jardins aux dimensions généreuses. Les espaces de circulation et de desserte sont traités comme des pièces à part entière, abondamment ventilées et ombragées, pour inciter les habitants à y demeurer et en faire des lieux de sociabilité. Cette recherche d’une nouvelle manière de vivre et d’occuper l’espace, plus en adéquation avec le climat atmosphérique mais aussi social, ne se limite pas à la question de l’habitat. Certains programmes tels que les cinémas et les écoles seront aussi complètement ré-imaginés, pour qu’ils s’adaptent davantage à ce mode de vie tropical, au point de presque devenir de nouveaux types d’équipement. C’est ainsi que l’on voit apparaître à Luanda les ciné-esplanade. Il s’agit de cinéma à ciel ouvert ou couvert et ouvert, où l’on se rend pour regarder des films, assister à des représentations théâtrales ou des concerts, par les chaudes nuits de la saison des pluies ou celles plus fraiches mais sèches du « cacimbo » (12) . Luanda en accueille une dizaine, dont les plus connus sont la Ciné-Esplanada Miramar inaugurée en 1964, le Ciné-Atlântico conclut en 1966, le Ciné Tropical et le Cinéma Avis ( aujourd’hui rebaptisé Ciné Karl Marx ) tous deux également construits au courant des années soixante. Les lieux d’apprentissage, école primaire, collège et lycée sont eux aussi repenser, avec une dilatation de l’espace de salle de classe. Celle-ci devient beaucoup plus ouverte, le classique mur percé de fenêtres ayant été remplacé par des parois poreuses, des claustra de parpaing ou béton, et de grandes baies longitudinales laissant entrer l’air, la lumière, les sons et les odeurs du monde extérieurs. Rapidement on commence à parler de Jardim-Escola (13), où la limite entre espace intérieur et extérieur est dématérialisée, où l’on fait aussi bien cours dehors que dedans. La manière même d’enseigner est revue, la séparation des élèves par classe devient moins nette. La salle de classe disparaît petit à petit pour laisser place à un grand espace subdivisé à l’aide de cloisons mobiles. Ces deux exemples d’équipement incarnent parfaitement ce mode de vie où l’on voit le climat tropical comme une plus-value et non comme une menace dont on doit se protéger. Cette manière de procéder est inspirée de la pratique d’architectes tels que Maxwell Fry et Jane Drew, à qui on attribue d’ailleurs le terme « architecture tropicale », et qui dans leur ouvrage Tropical Architecture in Dry and Humid Zones, paru en 1964, défendent l’importance de : collaborer avec la nature pour établir un nouvel ordre des choses dans lequel les êtres humains puissent vivre en harmonie avec leur environnement. (14) Ce type d’exploration vont permettre de passer d’une manière de penser la ville appuyée sur une pensée hygiéniste, portée par des médecins, des ingénieures sanitaire et des scientifiques dont l’objectif premier est d’empêcher la propagation des maladies et de se protéger du climat, à un urbanisme où l’on vise la recherche du confort, du bien-être et l’avènement d’un mode de vie adapté au climat. Sans cette étroite collaboration avec la nature, l’oeuvre des architectes de la Geração Africana n’aurait pu être aussi riche, créative et audacieuse.
(12) nom attribué à la saison sèche en Angola, qui dure du mois de mai au mois d’août. (13) jardin-école (14) « coloboração com a natureza para estabelecer uma nova ordem em que os seres humanos possam viver em harmonia com o seu meio envolvente.» TOESTÕES, Ana. Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique. Caleidoscope, septembre 2014. 480 p.
Ces jeunes architectes qui avaient quittés le Portugal pour aller construire une ville utopique et developper une architecture innovante et osée, ont effectivement créer à Luanda des lieux et des bâtiments uniques, à la hauteur de leurs ambitions premières. Leur prise de position, à mi-chemin entre le Modernisme et le Régionalisme Critique, a rendu possible la réalisation du rêve d’une ville Moderne sous les tropiques. Mais ce rêve a eu un prix. Pour assouvir leur besoin de liberté d’expression et d’expérimentation formelle et leurs ambitions personnelles, ces jeunes architectes ont fait le choix de sacrifier certains des idéaux de ce mouvement dont ils se font de fervents porte-parole. L’idée d’une société égalitaire et sans hiérarchie notamment, incompatible avec la mission coloniale qu’ils accomplissent. Car la ville qu’il bâtissent, cette Luanda Moderne et tropical est avant tout une ville coloniale. Sa construction est d’ailleurs le dernier recours de l’Etat Portugais pour tenter de retarder l’indépendance de l’Angola. Par conséquent bâtir l’utopie Moderne c’était aussi servir le pouvoir colonial et soutenir un système basé sur l’asservissement et l’oppression de la population locale. C’était permettre à ce pouvoir colonial de s’enraciner davantage par le biais de l’architecture. C’était prendre le parti de l’occupant dans un contexte de décolonisation de L’Afrique. C’était abandonner des idéaux universalistes pour perpétrer une politique d’organisation urbaine basée sur la ségrégation raciale. C’est à ce dernier aspect que nous allons nous intéresser à présent.
Vue aerienne du Cine Miramar à Luanda. 1969. auteur inconnu Le bâtiment fut construit en 1964 d’après un projet des frères Jose et Luis Garcia de Castilho.
c - de l’universalisme à la ségrégation : les deux visages de la Luanda coloniale et Moderne
La ville coloniale portugaise s’est bâtie au détriment des villages autochtones et en suivant toujours une logique de mise à l’écart de la population dite « indigène ». Au seizième siècle pour édifier la ville « nouvellement » fondée de São Paulo da Assunção de Loanda, l’administration portugaise déloge de la Baixa de Luanda, les habitants du village de Lu-ndandu, dont l’existence remonte au moins au treizième siècle. Forcés de s’installer dans la Cidade Alta, à la périphérie de ce qui deviendra la ville coloniale, et loin de la côte, ils perdent leurs terres et leurs repères. Le mode de vie de cette population était intimement lié à la mer, ils y trouvaient notamment leur moyen de subsistance en pêchant. Par ailleurs la mer était aussi pour eux un lieu de la vie domestique, et les bains faisaient partie des habitudes quotidienne des villageois. Finalement, dans cette société aux croyances animistes la mer était également un élément naturel vénéré, à la fois généreux et hostile et un lieu de culte, de rites et d’offrandes.Au-delà de ces bouleversements la population autochtone exilée sur le plateau devait aussi faire face à des dangers, car ces zones à l’époque désertiques étaient le territoire de chasse de bon nombre d’animaux sauvages et dangereux. De cette première mise à l’écart de la population autochtone, en forçant sont déplacement vers l’intérieur des terres, naît une organisation spatiale de la ville, où on distingue clairement un centre et sa périphérie. Au centre on trouve la ville coloniale, celle construite en dur, fruit d’une planification, que l’on qualifie de « formelle » et où seul les Portugais vivent. A la périphérie on trouve la ville de caniço (15) née d’une occupation spontanée du sol et à la croissance organique. Construite avec des méthodes et des matériaux traditionnels, celle-ci est dites « informelle ». Dans ces groupements d’habitat dont la structure rappelle celle du village, seul les autochtones vivent. On les appelles les « Musekes », « Mu » voulant dire lieu et « Seke » signifiant sable en Kimbundu (16), en référence à la nature du sol du lieu où ils sont érigés. On constate donc qu’il y a non seulement une hiérarchie qui est établie entre le centre et la périphérie, la ville coloniale et le village « indigène », mais également qu’il y a séparation nette de ces deux entités qui met en évidence une politique urbaine basée sur la ségrégation raciale. Cet état des choses ne changera pas au cours des siècles et la croissance de la ville coloniale, qui en raison de son implantation en bord de mer ne pouvait s’étendre que vers l’arrière-pays, fera progressivement reculer la périphérie. Toutefois avant le vingtième siècle la ville coloniale croit lentement, elle reste essentiellement cantonnée à la Baixa et seul quelques édifices sont construits sur le plateau, dans la Cidade Alta, les églises et la forteresse de São Miguel notamment. En revanche, les quartiers autochtones, les musseques, se multiplient et s’étendent beaucoup plus rapidement. Cela s’explique par le fait qu’à cette période l’Angola n’est pas une colonie de peuplement, seul y résident des membres de l’administration coloniale, des militaires et quelques missionnaires catholiques. Ce n’est qu’avec le développement de l’agriculture et des plantations dans un premier temps, puis de l’industrie, que le nombre de Portugais résidant sur place va connaître une véritable évolution. A partir des années trente la Cidade Alta qui jusque là ne faisait pas partie de la zone résidentielle de la ville coloniale, va progressivement être annexée à celle-ci, faute de place pour les nouveaux arrivants dans la Baixa de Luanda. Pour pouvoir étendre la ville coloniale sur le plateau, la population autochtone qui avait déjà du céder la Baixa, va devoir encore une fois reculer vers l’intérieur des terres.
(15) de chaume (16) le Kimbundu est une langue bantoue parlée en d’Angola dans les régions de Luanda, Malange et Bengo. En 2014 on comptait près de deux millions de locuteurs en Angola.
L’administration portugaise va cette fois-ci faire un premier pas vers la mise en place d’une réflexion globale sur la ville, qui prenne en compte les quartiers « indigènes ». Elle va notamment tenter de designer des zones spécifiques de relocalisation de la population autochtone. C’est de cette initiative que nait le Bairro Operário (17) le premier quartier pour les Angolais, urbanisé par la Câmara Municipal de Luanda. L’urbanisation de ce quartier se limite toutefois à la délimitation d’une parcelle rectangulaire et son découpage en lots. Ce quartier destiné aux familles des travailleurs angolais du chemin de fer est placé à la périphérie, à l’écart de la ville coloniale. Aucune infrastructure n’y est prévue, ni route, ni eau ou électricité et pas de système d’égouts. Au final le regard de l’administration coloniale sur la population autochtones n’a pas changée à Luanda depuis le XVI siècle. L’ « indigène », qui n’est pas considéré comme un citoyen, reste un individus de seconde zone, qui n’a pas le droit d’occuper certaines parties de la ville et avec lequel on ne se mélange pas, mais sur lequel on veut à présent « garder un oeil » par soucis de sécurité. Derrière la création du Bairro Operário se cache une volonté de pouvoir contrôler davantage la population autochtone, savoir où se situent leurs quartiers ou encore combien de personnes y vivent. Pourtant ce quartier qui devait être un ghetto pour la population autochtone devient rapidement un lieu de rendez-vous pour les artistes angolais où la culture angolaise est à l’honneur et par la suite un haut lieu de la résistance à l’occupation, où des meeting secrets sont organisés par les indépendantistes. Rapidement les musseques en général deviennent des foyers de résistance.
Aspectos do Bairro Operário que está sendo construído em Luanda Boletim Geral do Ultramar .Agência Geral do Ultramar, Vol. XXX – 352, 1954, 246 pags, p.148. source: Por dentro da África
De ce fait à partir des années quarante l’administration coloniale portugaise redouble d’efforts pour tenter de trouver une alternative aux musseques. Elle lance une réflexion sur une nouvelle forme de quartier « indigène », dont la localisation par rapport à la ville coloniale, la dimension, et la répartition sur le territoire devront permettre un contrôle permanent, dans le but d’étouffer les mouvements indépendantistes.
(17) traductible par : Quartier Ouvrier
Cette tâche l’administration coloniale portuguaise la confie au Gabinete de Urbanização Colonial et après la dissolution de celui-ci au Gabinete de Urbanização de Luanda et aux architectes de la Geração Africana, ceux qui ont rêvé et oeuvré pour la construction d’une Luanda « idéale », Moderne et tropicale. Mais quelle place ces jeunes architectes ont réservé à la population autochtones au sein de cette ville se voulant « utopique » ?
Deux projets proposés par deux des architectes majeures de cette période, Vasco Vieira da Costa (1911-1982) et Fernão Lopes Simões de Carvalho ( 1929 – ) permettent de comprendre le regard qu’ont porté ces jeunes architectes du mouvement Moderne sur la question de l’habitat « indigène » dans la ville coloniale Moderne et notamment de noter une évolution de leur vision, au cours du temps. En 1948 Vasco Vieira da Costa présente pour passer son « Concurso para Obtenção do Título de Arquitecto » (18), un projet urbain aillant pour scénario la ville de Luanda. Il s’appuie sur le plan directeur de la ville réalisé en 1942 par Etienne de Groer et David Moreira da Silva. Celui-ci proposait entre autres la création de cinq villes-satellites et Vasco Vieira da Costa propose un plan urbain pour la ville-satellite numéro trois. Il propose un modèle de ville auto-suffisante, dont l’économie se baserait sur l’exploitation d’une plantation de coton. Il prévoit quarante mille habitants, vingt-cinq mille européens et quinze mille autochtones. Il se pose donc la question de l’habitat de cette population locale. Il conserve l’idée d’avoir d’une part un quartier pour les européens et d’autre part un quartier pour les « indigènes ». Selon lui les quartiers pour les autochtones devraient être situés sous le vent par rapport au quartier européen et séparées de celui-ci par un « écran vert » de cinq cents mètres. Il juge cette distance idéale car suffisante pour empêcher la migration des moustiques des quartiers « indigènes » vers les quartiers des colons, mais tout de même facilement parcourable à pied, pour que l’accès à la ville coloniale soit facilité pour les autochtones qui y travaillent. Cette organisation urbaine doit permettre selon lui de fixer autour des villes européennes une main d’oeuvre autochtone. Il incombe à l’européen de créer chez l’indigène le besoin du confort et d’une vie plus qualitative, l’incitant ainsi au travail qui le mènera à se fixer, ce qui garantira une main d’oeuvre plus stable. L’orientation des habitations et la localisation des quartiers indigènes sont les deux grands éléments qui doivent régir la composition du plan d’une ville coloniale. (19) Le projet de Vasco Vieira da Costa, défend l’idée d’une ville dont l’organisation spatiale se base encore une fois sur la ségrégation raciale. Par ailleurs on note également dans son discours aux accents civilisateurs, un mépris pour le mode de vie de la population autochtones. Selon lui ces derniers devraient aspirer à se rapprocher des coutumes et habitudes européennes. Il revendique par ailleurs ouvertement une instrumentalisation de la population autochtone qu’il considère uniquement comme une « force de travail », qu’il faut localiser stratégiquement afin d’en tirer meilleur profit. Il va même plus loin en développement dans son projet de ville le principe « espace servi - espace servant » (20). Comme il semble indispensable, du point de vue hygiénique et social, les populations «indigènes» formeront divers groupes dispersés, qui comme des petits satellites ceindront le noyau européen, faisant ainsi que chaque secteur de ce noyau soit servi par un groupe «indigène». (21) Au-delà de cette claire hiérarchisation de la population, on constate aussi que le contrôle de la population autochtone fait partie de ces préoccupations. Limiter la taille de leurs quartiers et les disperser autour de la ville coloniale est selon lui la meilleure solution pour garantir aux colons une position dominante. En somme ce projet est aux antipodes de l’idée d’une société « sans classe » ni hiérarchie et des idéaux démocratiques prônés par le mouvement Moderne. Le projet de Vasco Vieira da Gama, ne se contente pas de s’inscrire dans un contexte colonial, il perpétue une idéologie raciste et incarne cette volonté de domination sur un territoire et sa population native qu’est la colonisation. La caractère « universaliste » de l’architecture Moderne, l’idée que cette architecture se destine à tous, dans un société où tous les individus seraient sur un pied d’égalité est ici totalement perdue.
(18) Traductible par : Concours pour l’Obtention du Titre d’Architecte (19) « compete, pois, ao europeu criar no indígena necessiade de conforto e de uma vida mais elevada, impelindo-o assim ao trabalho que o levará a fixar-se, e que facilitará o mão de obra mais estável. A orientação das habitações e a localização dos baírros indígenas são os dois grandes elementos que devem reger a compisação do plano de uma cidade colonial » TOESTÕES, Ana. Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique. Caleidoscope, septembre 2014. 480 p. (20) Théorie de hiérarchisation des espaces au sein d’un projet mise au point par l’architecte américain d’origine estonienne Louis Kahn (1901-1974) (21) « Como parece indispensável, sob o ponto de vista higiénico e social, as populações « indígena » formarão varios grupos dispersos, que como pequenos satélites abraçarão o núcleo europeu, ficando assim cada sector deste núcleo servido por um grupo « indígena »» TOESTÕES, Ana. Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique. Caleidoscope, septembre 2014. 480 p.
La ville Moderne selon Vasco Vieira da Costa est avant tout une ville coloniale où les autochtones sont ostracisés. La ville-satellite numéro trois ne sera jamais réalisées tout comme le plan directeur de De Groer et Moreira da Silva, mais ce projet pousse à questionner l’emploi de mot comme « utopique » pour se référer à la vision que pouvaient avoir les jeunes architectes portugais de la ville Moderne et tropical dans les années quarante. L’envers du décor de cette ville « rêvée » par et pour certains, révèle une réalité très dure pour les Angolais.
ville-satellite numéro 3
proposition de quartier pour « indigènes » par Vasco Vieira da Costa. 1948
proposition de quartier pour européens par Vasco Vieira da Costa. 1948
images ci-contre, de haut en bas: Plano de Urbanização de Luanda de Etienne de Groër e D. Moreira da Silva.1942. Proposta de bairros para indígenas. Vasco Vieira da Costa. 1948. Proposta de áreas residenciais para europeus. Vasco Vieira da Costa. 1948. source des trois documents: Sílvia Leiria Viegas. LUANDA, CIDADE (im)PREVISÍVEL? governação e transformação urbana e habitacional:paradigmas de intervenção e resistências no novo milénio. Thèse de doctorat en architecture. février 2015. 658 p.
Le basculement de l’opinion publique en Occident en faveur de l’indépendance des pays encore colonisés, l’imminence d’une insurrection de la population autochtone en Angola et des troubles politique au Portugal, où la classe ouvrière souhaite mettre fin à la dictature de Salazar, viendront menacer le maintient de l’empire colonial portugais. Ces différents facteurs mèneront à une redéfinition du statut de « l’indigène » dans la ville coloniale, on tentera notamment de l’intégrer davantage, comme en témoigne le projet de la Unidade de Vizinhança do Prenda (22) de Fernão Simões de Carvalho. Ce projet s’inscrit dans la continuité du travail réalisé par le Gabinete de Urbanização de la Câmara Municipal de Luanda pour restructurer la ville coloniale et l’étendre grâce à la création de nouvelles Unités de Voisinage. Le projet global se focalise sur quatre zone de la ville, celle de Baixa, Kinaxixe, São Paulo et finalement celle de Prenda. Pour chacune d’entre elles un plan partiel de développement urbain est réalisé. Le plan de la Baixa proposait une restructuration du tissu urbain existant mais pour les trois autres plans, il s’agissait créer des Unités de Voisinage, et donc de nouveaux quartiers. Afin de pouvoir récupérer certains terrains dans le centre ville pour permettre l’exécution du nouveau plan, le Gabinete de Urbanização priorise dans un premier temps la réalisation des trois Unités de Voisinage prévues dans la zone de Prenda, pour que celles-ci puissent accueillir ceux qui seraient délogés de la Baixa. La guerre d’indépendance viendra interrompre ce processus mais deux des unités de voisinage de Prenda seront partiellement construites, la numéro 1 et la numéro 3, la première étant la plus aboutie. Pour ce projet élaboré entre 1963 et 1965, Fernão Simões de Carvalho travaille en collaboration avec l’architecte Luis Taquelim da Cruz. Ils s’appuient largement sur les principes et les idées de Le Corbusier pour qui Fernão Lopes Simões de Carvalho a travaillé pendant quatre ans à Paris. Son influence se fait ressentir à toutes les échelles, celle de la ville, du bâtiment et du logement. L’Unité de Voisinage numéro 1 de Prenda est édifiée en lieu et place d’un musseque du même nom. Le projet prévoyait des typologies variées de logements selon les moyens financiers des acquéreurs, allant de la maison individuelle pour les riches familles portugaises, aux maisons en bande à l’architecture minimal pour la population autochtone, en passant par des appartements dans des immeubles Modernes et tropicaux pour les Portugais de classe moyenne. Des équipements tels que une crèche, un « jardin-école » , des commerces et un centre social étaient également prévus et certain sfurent construits. Chaque Unité de Voisinage devait accueillir un certain pourcentage d’ « indigène » pour que ceux-ci soient harmonieusement repartis au sein de la ville. Bien qu’une typologie particulière de logement etait réservée à la population autochtone et que cet habitat se concentrait dans une zone particulière de l’Unité de Voisinage, la proximité entre « indigènes » et européens dans cette proposition de projet était une nouveauté. D’ailleurs Fernão Simões de Carvalho préfère justifier cette distinction par des raisons économiques. Il ne parle pas de zone d’habitat « indigène », mais de zone pour les economicamente débeis (23) et il certain qu’à cette période les moyens financiers des familles angolaises étaient très en deçà de ceux des familles portugaises. Dans son projet Fernão Simões de Carvalho va d’ailleurs tenter d’imaginer un urbanisme qui permettent de changer cet état des choses, pour qu’au fil des années la condition des autochtones dans la ville Moderne puisse s’améliorer. Pour ce faire il imagine la création de Bairro-Escola, soit de « quartier-école ». Dans ces structures des assistantes sociales pourraient apprendre aux familles angolaises à se servir des cuisines et des salles de bain et à s’adapter aux commodités des logements à l’européenne, auxquelles elles n’étaient pas habituées.
(22) L’Unité de Voisinage de Prenda (23) traductible par : économiquement fragile
plan de localisation de l’Unité de Voisinage de Prenda numéro I
images ci-dessus, de gauche à droite: Mapa de Luanda com localização da Unidade de Vizinhança n.º1 do Bairro Prenda, segundo Amaral, 1968 (redesenho: alunos 4º ano MIA ISCTE-IUL) source: Ana Vaz Milheiro. Optimistic Suburbia, building an heritage. article paru dans la revue PAPERS. 2015. Unidades de vizinhança do Prenda. Archive de Fernão Simões Lopes de Carvalho source: Hebdomadaire Angolense
vue général de l’Unité de Voisinage de Prenda numéro I, dans les années 70.
Il prévoit également la création d’ un « centre pour l’emploi » au sein du centre social de chaque Unité de Voisinage, où les Angolais pourraient se former à certains métiers et être guidés pour trouver du travailler, afin qu’ils puissent progressivement améliorer leur situation économique. C’est deux étapes franchies il pourrait ensuite acquérir un logement dans la zone réservées aux « économiquement fragile ». Parmi les mille cent cinquante logements projetés pour l’Unité de Voisinage numéro trois de Prenda, un tiers était réservé aux angolais et deux tiers aux européens, mais Fernão Simões de Carvalho espérait qu’avec le temps ce pourcentage s’inverserait et que les Unités de Voisinage deviendraient des lieux de mixité sociale et raciale, où Angolais et Portugais, riches et modestes pourraient vivre ensemble. Fernão Simões de Carvalho souhaitait que : que tous atteignent une classe supérieure, suite à quoi les zones de unités devraient progressivement se transformer, jusqu’à ce que cesse d’exister le niveau des « économiquement fragile ».(24) Pour s’assurer de cela il va d’ailleurs dissocier la circulation automobile des voies de circulation lentes, aménager des places et des jardins entre les barres de logements, créer une grande artère commerçante et piétonne, afin d’inciter les gens à circuler à pied au sein des Unités de Voisinage et à fréquenter et demeurer dans l’espace public. Son objectif était de multiplier les potentiels lieux de rencontre entre les habitants de ce quartier, pour que ceux-ci puissent se croiser, se fréquenter et tisser des liens de confiance.
(24) « que todos alcançassem uma clase superior, pelo que as zonas das unidades deveriam progressivamente transformar-se, deixando de existir o nível dos « economicamente débeis » » TOESTÕES, Ana. Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique. Caleidoscope, septembre 2014. 480 p.
Selon Fernão Simões de Carvalho, l’urbaniste a pour mission de penser la ville comme un lieu de convivialité entre les habitants, basée sur la solidarité et l’amitié, et favoriser une amélioration des relations sociales. Contrairement à beaucoup d’architectes de la Geração Africana, qui comme Vasco Vieira da Costa mettaient l’accent dans leurs projets sur l’aspect climatique, Fernão Simões de Carvalho lui se concentrera sur les questions de société avant tout. Avec une préoccupation de l’intégration de la population autochtone, d’ordinaire rarement pris en compte dans la planification des colonies africaines. Sa version de la ville coloniale, Moderne et tropicale est beaucoup plus inclusive, et basée sur un urbanisme optimiste et peut-être même un peu naïf, naïveté propre à toute pensée « utopique ».
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maquette général du projet de l’Unité de Voisinage de Prenda numéro I
Unité de Voisinage de Prenda. 2006
Unité de Voisinage de Prenda - Bloc A - Plan du premier étage
Unité de Voisinage de Prenda - Bloc A - façade SSO
Légende maquette ( page de gauche): 1- habitations pour la classe moyenne 2- maisons en bande pour les « économiquement fragile » 3- bloc B, barres de 7 étages 4- habitations pour la classe moyenne 5- Tours de 16 étages 6- habitations pour les plus aisés 7- Tours de 12 étages avec rez-de-chaussée commercial 8- bloc A,, tours de 12 étages 9- bloc D, barres de 6 étages
A travers ces trois projets, celui de l’urbanisation du Bairro Operário dans les années trente, la proposition d’aménagement de la ville-satellite numéro 3 dans les années quarante et la réalisation de l’Unité de Voisinage numéro 1 de Prenda dans les années soixante, on peut constater trois choses. Dans un premier on peut clairement voir comment la place réservée à la population autochtone au sein de la ville coloniale a évoluée. On passe d’une première étape où on laisse la population autochtone s’installer librement mais en dehors de la ville coloniale. Puis on délimite des zones d’habitation précises et on attribue des parcelles aux familles, mais celle-ci veille à la construction et l’aménagement de leur quartier. Ensuite on construit pour eux des quartier et des logements dit « pour indigènes » à la périphérie proche de la ville coloniale. Finalement on construit un quartier unique, comprenant du logement pour les européens et la population autochtone, mais en conservant un zonage et en employant des typologie différentes. Donc on note une évolution avec un passage d’une ville avec un très forte scission due à une politique de ségrégation raciale vers une ville où colons et locaux ne vivent pas vraiment ensemble mais à proximité l’un de l’autre et partagent quotidiennement les mêmes espaces publics. Deuxièmement, cela nous permet de comprendre que l’immeuble coloniale Moderne et tropical, se destinait exclusivement à la population européenne. Ce modèle d’habitat avait été pensé pour la famille portugaise de classe moyenne, les familles les plus aisées préférant résider dans des maisons individuelles. Les familles angolaises n’avaient pas droit de cité dans ces bâtiments. Même dans les projets comme celui de Prenda, où de l’habitat était également prévu pour eux, celui-ci prenait généralement la forme de maison en bande à l’architecture très simple, inspiré des cubatas où vivaient cette population. Ce n’est vraiment qu’après l’indépendance, en 1975, que les familles angolaises ont découvert la vie en appartement, en occupant spontanément ces immeubles restés vacants. Troisièmement, avec la création de logement dit pour « indigènes » et une volonté grandissante d’inculquer à cette population un mode de vie « à l’européenne », on devine également une tentative de gommer la culture et les coutumes locales. Un projet comme celui des unités de voisinage de Prenda construit en lieu et place d’un musseque du même nom, où on vient remplacer une forme urbaine locale et surtout un lieu où une « angolanité » se ressent et s’exprime encore très fortement, par une forme urbaine de création européenne illustre ce phénomène. Cette non-reconnaissance d’une culture angolaise par les Portugais et la mise en place d’un processus d’ « assimilation » de la population locale, va engendrer une crise identitaire dont les effets se ressentent encore aujourd’hui.
images de la page de gauche, de haut en bas et de gauche à droite. Unidade de Vizinhança numero 1 do Bairro de Prenda. Luanda, Angola (1961-1965 ) Archives de Fernão Simões de Carvalho source: Hebdomadaire Angolense Fotographia de conjunto. © Margarida Quintã. 2006 Unidade de Vizinhança Prenda Bloco A. Planta do Piso I. source: TOESTÕES, Ana. Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique. Caleidoscope, septembre 2014. 480 p. Unidade de Vizinhança Prenda Bloco A. Alçado SSW. source: TOESTÕES, Ana. Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique. Caleidoscope, septembre 2014. 480 p.
Tout comme les Portugais beaucoup d’Angolais rejettent aujourd’hui le musseque, qu’ils ont appris à trouver trop précaire, trop primitif, depuis qu’ils les ont quittés pour aller vivre dans l’habitat pour « indigènes » puis dans les maisons et les immeubles laissés par les colons. Par ailleurs, la ville coloniale de par sa simple existence rappelle encore une période douloureuse pour beaucoup de d’Angolais, qui y voient une ville importée et imposée. Cette à cette double négation que nous allons nous intéresser à présent, en nous intéressant dans un premier temps aux origines historiques du rejet du musseque.
XVI EME SIECLE
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LE
1968
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LE
ANNEES
60
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LA
VILLAGE
AUTOCHTONE
MUSSEQUE
VILLE
COLONIALE
B - LA FABRIQUE DES VILLES « GÉNÉRIQUES »: quel successeur pour l’immeuble colonial ?
a – La double négation: du rejet des traditions locales à celui d’un passé colonial Aujourd’hui les musseques sont considérés par la plupart des Angolais et notamment par les autorités comme un « problème » qu’il faut résoudre. Ils sont pourtant ce qui se rapproche le plus à Luanda d’une forme d’habitat, locale et authentiquement angolais, dérivant directement de l’habitat pré-colonial. Néanmoins les musseques ne répondent pas aux critères qui définissent aujourd’hui les formes d’habitat considérées comme compatible avec l’idée d’une ville « développée ». Ces quartiers où les cubatas et les baraques de fortunes s’amoncellent et où les infrastructures les plus basiques telles que l’eau, électricité ou des égouts, sont souvent inexistantes, renvoi aujourd’hui une image plutôt négative. Mais au-delà des conditions de vies souvent difficiles dans ces quartiers, dues notamment aux facteurs cités précédemment, le « rejet » du musseque a en Angola des origines qui sont avant tout historiques. Il découle du rejet de la culture et de la forme d’habitat autochtone par les Portugais, qui ont toujours considérés les traditions locales comme une « sous-culture » primitive, voire inexistante. Cette vision du mode de vie autochtone fait encore aujourd’hui partie de l’héritage colonial de l’Angola et s’est enracinée dans les mentalités.
A l’arrivée des navires portugais dans la baie de Luanda ceux-ci trouvèrent en ces lieux le village de pêcheur de « Lu-ndandu » rattaché au royaume Ngola de Ndongo. Peu d’information et de représentation de la Luanda pré-coloniale existe à ce jour. Les coutumes, les histoires, les lois et l’ensemble de la culture se transmettaient à cette époque grâce à la tradition orale. Toutefois grâce aux gravures réalisées par les Portugais et différents explorateurs européens, aux azulejos de la forteresse de São Miguel et à des photographies de maquettes reproduisant l’habitat « indigène » dans les différentes province de l’Angola réalisées à l’occasion de l’ Exposição-Feira de Angola en 1938, on peut aujourd’hui se figurer l’aspect des villages et des groupements d’habitat autochtones de Luanda entre le seizième et le dix-neuvième siècle.
photographies de la page de gauche, de haut en bas : Gravura antiga de Luanda, secúlo XVI. auteur inconnu source: Por dentro da África Houses and Shacks in a musseque in Luanda. 1968 © Ilídio do Amaral source: Juliana Bosslet. The Making of Imperial Peripheries: The musseques in Late-Colonial Luanda.2017. Evolução da cidade de Luanda entre as décadas de 30 e 60. © José Luis Santos source: Por dentro da África
Grâce à un azulejo de la forteresse de São Miguel représentant un village « indigène » de Luanda, on peut voir qu’à la fin du seizième siècle l’habitat autochtone prenait la forme d’un groupement de cases, construites en matériaux végétaux. Du bois provenant fort probablement de la forêt de Ilha, qui bien que réduite existe encore aujourd’hui, ainsi que de feuilles de palmiers séchées, cet arbre étant également très présent dans cette zone littorale et de la chaume également .Ces cases de forme ronde au toit conique en chaume, semblaient avoir pour seule ouverture une porte d’entrée et leur dimensions étaient réduites. Elles étaient disposées les unes à côté des autres et il n’y avait point de clôture autour des maisons. Des récits permettent également de connaître certaines des activités qui prenaient place dans la Ilha de Luanda à cette période et avant l’arrivée des colons. Les hommes du village pratiquaient la pêche grâce à des « uwanda », mot en kimbundu signifiant « filet », ce qui leur a valu le nom de « axiluanda » donné par les Portugais, signifiant les « hommes de la mer ».Les plages de la Ilha de Luanda étaient également un des lieux où on venait ramasser les coquillages, qui servaient de monnaie d’échange dans le royaume Kongo, dénommés « Njimbo » ou « Zimbo ».
On y trouvait également des élevages de chèvres, ce qui poussa d’ailleurs les Portugais à nommer le lieu « Ilha das Cabras », soit l’île des chèvres avant de le renommer Ilha de Loanda.
un village autochtone à la fin du XVI ème siècle représenté sur le panneau d’azulejos 43 de la Forteresse de São Miguel, Luanda.
Pourtant malgré ces preuves évidentes d’une occupation du site, d’une organisation économique et sociale, les colons portugais vont sans le moindre égard pour la population qui résidait en ces lieux depuis au moins trois siècles, bâtir leur ville et forcée cette dernière à s’établir ailleurs. Cela vient confirmer la fâcheuse tendance qu’avait les nations européennes parties à l’assaut du monde dans le but d’étendre leurs territoires, à considérer des terres pourtant habitées depuis des siècles, qu’eux découvraient pour la première fois, comme étant des terres vierges. Cette idée été confortée par le fait qu’ils ne trouvaient sur place rien de similaire à leur propre conception de la ville et de la vie en société. L’absence d’édification qu’ils puissent selon un point de vue européen considérer comme un monument, faisait partie des facteurs qui selon eux démontraient une absence de culture. En Europe à cette période on accordait déjà peu d’importance à la maison traditionnelle ou populaire, seul étaient considérés digne d’attention les monuments et c’est à ces monuments que l’on mesurait la valeur et la grandeur d’une société, son rayonnement, son « avancement ». Ces monuments étaient représentatifs de l’Histoire, la mémoire et la culture des civilisations les ayant construits et les populations sans monument étaient par conséquent considérées comme dépourvues de tous ces éléments.
photographie ci-dessus: Painel 43- Aldeia indigena com indigena em primeiro plano source: Azulejos da Fortaleza de Luanda
Cependant pour certaines populations l’architecture et la construction n’avaient pas pour vocation d’être la trace de leur culture, ni d’être monumentale, mais simplement d’abriter les hommes et leurs bêtes. En Angola par exemple à cette période les autochtones avaient des croyances animistes et pour eux les éléments naturels, tels que la mer, le vent, le feu, mais également les animaux étaient comme des divinités, des lieux sacrés, des monuments d’une autre nature. On a donc deux système de valeurs et deux cultures très différentes qui ne peuvent être comparées et qui pourtant le seront. De cette comparaison naitra un sentiments de supériorité et de domination que les colons exerceront sur la population locale sur laquelle ils porteront un regard condescendant. Ce mépris s’étendra au domaine de la construction quand ignorant l’existence d’une manière d’habiter angolaise, les colons se contenteront de construire à Luanda des bâtiments calqués sur ceux construits au Portugal à cette période. Cette architecture s’avérera souvent mal adaptée au climat local, et peu confortable, contrairement à l’habitat local. Cela ne poussera pas pour autant la ville coloniale à se calquer sur le village autochtone. Au contraire c’est l’habitat local qui va progressivement se transformer et adopter certains matériaux et aspect de l’organisation spatiale de l’habitat colonial, souvent au détriment du confort thermique. Sur des gravures datant des années 1880 on peut voir des cases de forme rectangulaire, toujours construites en matériaux végétaux. Leurs toits ont deux ou quatre pans et la maison est cette fois-ci comprise dans une parcelle, délimitée par une clôture en piquet de bois. La position de la maison dans la parcelle varie, mais en général elle est légèrement séparée de la clôture sur trois côtés et sur le quatrième côté on retrouve face à la maison une grande cour. On constate donc que l’habitat traditionnelle dans la zone de Luanda s’est transformé dans les trois siècles qui ont suivis l’arrivée des Portugais. De la case ronde on est passé à une forme qui rappelle davantage l’habitat colonial, avec l’apparition notamment d’une clôture et le passage à une forme moins organique et plus géométrique. L’influence de la maison coloniale sur le village autochtone reste toutefois une hypothèse et ces modifications s’expliquent peut-être par d’autres facteurs.
photographie ci-contre: Luanda in Angola, Africa.1881 gravure de Monteiro, paru dans Le Tour du Monde, Journal de Voyage. photographie de Patrick Guenette
gravure représentant la ville coloniale et le village autochtone. Luanda, 1881.
Au vingtième siècle l’idée même de village autochtone aura disparu, on parlera alors de musseques, considérés comme des quartiers « indigènes ». Dans ces quartiers la brique puis les parpaings et la tôle viendront se substituer aux matériaux végétaux. La dimension même du groupement d’habitat va s’accroitre, modifiant ainsi les relations de voisinage. L’organisation sociale très resserrée du village va laisser place à des rapports plus distants. Ces quartiers connaitront une croissance rapide et non contrôlée, due à différentes vagues migratoires provenant des autres provinces de l’Angola mais aussi des autres territoires de l’empire colonial portugais. Les musseques deviendront alors des lieux cosmopolites ou individus de différentes ethnies et nationalités vivront ensemble. Par ailleurs c’est en ces lieux échappant au contrôle de l’administration coloniale, que les idées pro-indépendance vont germer et se répandre. La ville coloniale et les musseques , 1974.
Pour les Angolais les musseques vont devenir les lieux d’expression d’une identité et d’une culture angolaise, tandis qu’ils seront perçus par les Portugais comme des lieux de transgression. Ce parce que à cette période l’administration coloniale portugaise cherchait au contraire à censurer cette culture locale. Cela se traduira par la modification des prénoms et patronymes d’une partie de la population autochtone en faveur de nom portugais. L’emploi des dialectes locaux sera également désapprouvée en dehors du cadre de l’habitation, l’usage du portugais étant imposé à tous. La conversion à la religion catholique et l’abandon des croyances animistes seront également prescrits. A partir de 1926, l’administration coloniale étendra à l’Angola sa politique d’ « assimilation » mise en place au Mozambique en 1910. Ce nouveau statut, celui de assimilado (25) était attribué à certains autochtones ayant prouvé avoir atteint un niveau de « civilisation » comparable à celui des Portugais. Ce statut leur été accordé après qu’une enquête administrative soit menée pour établir si véritablement ils vivaient en accord avec le mode de vie européen. Les assimilés étaient alors en théorie considérés comme des citoyens portugais de plein droit mais en réalité leur statut était un intermédiaire entre celui de « citoyen » et celui d’ « indigène». Ils recevaient une carte justifiant de leur statut, qui leur permettait de jouir de certains privilèges, tels que pouvoir faire des études supérieures ou être exemptés de travaux forcés. L’idée était de pousser les autochtones à abandonner leur propre culture et mode de vie en échange d’une situation plus favorable.
(25) traductible par : assimilé photographie ci-dessus: Luanda, the city and the musseque. Notícia, May 1974. source: Juliana Bosslet. The Making of Imperial Peripheries: The musseques in Late-Colonial Luanda.2017.
C’est également à partir des années trente et toujours animée par cette même volonté de gommer la culture locale que l’administration coloniale va se pencher sur la question de l’habitat autochtone. Des projets comme celui du Bairro Operário ou des Unités de Voisinage de Prenda, démontrent également ce désir de modifier le mode de vie des autochtones et de leur inculquer les habitudes européennes, en leur imposant l’usage d’une cuisine, d’une salle de bain ou de couverts. Quand bien même l’ intention de départ serait de proportionner à cette population de « meilleures conditions de vie » on reste dans une vision infantilisante des Angolais, à qui ont doit « apprendre à vivre ». C’est aussi une manière d’exercer un contrôle, et surtout de détruire une identité commune qui jusque là permettait aux Angolais de s’identifier les uns aux autres et de former un groupe, capable de se retrouver autours de valeurs, d’une culture ou d’une cause commune, comme réacquérir leur indépendance par exemple. (26) homme politique, médecin et poète angolais, fondateur et président du MPLA, Mouvement Populaire de Libération de l’ Angola. Il fut une figure majeure de la lutte pour l’indépendance et le premier président de la République Populaire d’ Angola de 1975 à 1979, année de son décès. (27) homme politique et poète angolais, ayant activement contribué aux mouvements anticolonialistes à travers l’Afrique et participé à la fondation du Mouvement Populaire de Libération de l’ Angola, avant de finalement s’en éloigner pour créer son propre parti, le Revolta Activa. Après l’indépendance de l’Angola et la prise de pouvoir du MPLA, il part en exil, en Guinée-Bissau, puis Cap-Vert et ensuite au Mozambique.
La politique d’ « assimilation » se soldera par un échec puisque c’est justement ces assimilés qui formeront ensuite une élite intellectuelle angolaise indépendantiste et qui deviendront les leaders de la lutte pour l’indépendance, à l’image de Agostino Neto (1922-1979 ) ( 26) ou Mario Pinto de Andrade (1928-1990) (27). Mais les effets de cette politique se feront ressentir même après l’obtention de l’indépendance. Toute une partie de la population angolaise, celle ayant quitté les musseques pour aller vivre dans « la ville de béton » notamment, héritera de la période coloniale les bâtiments mais également cette vision négative du musseque. Le reniement du village de case puis du musseque est le premier facteur à l’origine de la crise identitaire que traverse Luanda depuis le début des années 2000. Le deuxième aspect étant le rejet de la ville coloniale.
Luanda et ses musseques. 1974
1970
Baixa de Luanda résidentiel urbain résidentiel, musseques, clandestins industries port
musseques
zone de loisirs
Esquema geral de uso existente, em 1974 (à esquerda) e Luanda e seus musseques nos anos 1970 (à direita). Troufa Real (1997, p. 10); Amaral (2005, p. 49). source: Sílvia Leiria Viegas. LUANDA, CIDADE (im)PREVISÍVEL? governação e transformação urbana e habitacional:paradigmas de intervenção e resistências no novo milénio. Thèse de doctorat en architecture. février 2015. 658 p.
b - l’impossible retour à la «case» départ : vers une nouvelle architecture Luandaise ?
De l’établissement des Portugais dans la baie de Luanda au seizième siècle au début des années 2000, la ville a toujours eu deux visages. D’abord le village autochtone cohabita avec les premiers bâtiments de la ville coloniale. Puis la ville coloniale où résidaient les Portugais, cohabita avec les musseques, où vivaient les Angolais. Après l’obtention de l’indépendance en 1975, la dualité a persisté entre la ville dite « formelle », celle planifiée et pérenne et la ville dite « informelle », les musseques à la croissance organique et aux constructions « légères ». A peine son indépendance obtenue l’Angola a basculé dans une guerre civile qui durera vingt-sept ans. Pendant ces années les questions concernant la ville, l’encadrement de sa croissance, son entretien, et sa planification furent reléguées au second plan. Les organismes étatiques ont appliqué une politique du laisser faire, qui a eu pour conséquence la détérioration du tissu urbain et des conditions de vie dans la capitale. La ville coloniale et notamment les immeubles Modernes et tropicaux ont gardé pour certains les traces des conflits armés qui ont frappé la ville au début de la guerre civile, avant que les affrontements ne se déplacent vers l’intérieur du pays. Par ailleurs des années d’usage parfois abusif et de manque d’entretien ont également modifié leur apparence. Des façades décrépies, des fuites d’eau, de traces d’humidité, des ascenseurs condamnés, des odeurs nauséabondes, autant de dysfonctionnements qui ont terni au cours des années la ville Moderne et tropicale, rêvée et édifiée par les architectes de la Geração Africana. De plus la pénurie de logements dans la ville, due à une mise en veille du secteur du bâtiment, autre conséquence de la guerre, a entraîné la densification de la ville coloniale. N’ayant le choix qu’entre la ville coloniale et le musseque, les familles angolaises refusant d’aller vivre dans des cubatas se sont tassées dans les immeubles de la capitale, tout en tentant d’étendre leurs logements comme elles le pouvaient. On vivait à plus de dix dans des appartement prévus pour quatre à cinq personnes. C’est à ce moment là que des extensions voire des logements à part entière sont apparus sur les terrasses et entre les pilotis des rez-de chaussées auparavant libre. Cette sur-densité urbaine, a également rendu le trafic automobile chaotique dans la ville, entrainant embouteillage, pollution et la multiplication des parkings sauvages. Globalement la ville coloniale souffrait de n’être point entretenue et d’accueillir par ailleurs bien plus d’habitants que ce pour quoi elle avait été planifiée. Pour ce qui est des musseques, ceux-ci ont connu une croissance très rapide et incontrôlée, due notamment à la migration massive d’habitants des provinces fuyant les affrontements, vers la capitale. La grande majorité d’entre eux s’est installée dans ces quartiers, où le contrôle est moindre, ce qui leur a permis d’occuper le sol et d’y construire pour des sommes modiques. C’est à ce moment que d’une forme de quartier pavillonnaire, certes organique mais organisé, on a basculé vers une forme urbaine beaucoup plus anarchique. La qualité même des constructions s’est détériorée, les cubatas certes simples mais construites avec soin par leurs occupants laissant place à des baraques, construites en tôle, bois, plastique et autres matériaux de récupération. Les espaces libres autour des maisons se sont réduit drastiquement, le tissu s’est resserré jusqu’à saturation, rendant notamment la circulation dans ces quartiers très difficile. Cette concentration de population dans des quartiers sans accès à l’eau, sans système d’égout ou ramassage régulier des poubelles, a favorisée la création d’une atmosphère insalubre. Le gouvernement n’apporta presque aucune aide à ces populations, justifiant cela pour la fragilité politique et économique du pays due à la guerre civile.
Tous ces facteurs réunis firent que le musseque cessa d’être vu par les Angolais comme une forme de village urbain, descendant directement d’une forme d’habitat authentique et pré-colonial, le village de case. Dans les regard des Angolais le musseque devint un « bidonville », synonyme non pas de la résistance d’une culture angolaise, mais d’insalubrité, de pauvreté, de désordre et « sous-développement ». Puis avec le retour à la paix vint la croissance économique, grâce notamment à l’exploitation des hydrocarbures. L’Angola commença alors a attirer les entreprises et investisseurs étrangers et petit à petit on commença a parler du pays autrement que comme d’un pays en guerre. La question de l’image que le gouvernement angolais voulait renvoyer au monde, commença à se poser. Dans un pays centralisé comme l’Angola, où le pouvoir politique, le pouvoir économique, la population, les services, les loisirs et les lieux culturels se concentrent dans une seule et même ville, Luanda, l’image du pays est pour ainsi dire celle de cette ville. Pour la première fois depuis le seizième siècle les Angolais allaient enfin pouvoir pleinement décider de la forme que prendrait leur ville, de la direction à suivre en terme de planification urbaine, du style d’architecture, du type de bâtiment, de l’atmosphère et du caractère de Luanda. Comme pour beaucoup de jeunes États, l’Angola voulait à travers l’image de sa capitale affirmer son indépendance, son affranchissement, mais aussi son pouvoir économique récemment acquis et son identité culturelle. L’architecture de la ville se devait d’être un des véhicule de ce nouveau statut et être à la fois authentique et représentative d’une esthétique et d’un mode de vie local, mais aussi tournée vers l’avenir. Le défi était donc double, d’une part il fallait recréer une âme nationale, fragilisée par des années de colonisation et d’ acculturation, en allant puiser dans le passé et en même temps il fallait rattraper son retard sur les grandes nations occidentales et rentrer dans l’ère de la mondialisation. Ce paradoxe Paul Ricoeur (1913-2005) (28) l’exprimera dans ses écrits dès la fin des années cinquante. Selon lui l’ « universalisation », phénomène qui était vue comme une avancée civilisationnelle, ne pouvait se faire que aux dépend des cultures locales et des traditions millénaires. Les nations devaient se délester d’une part de leur héritage culturelle, afin de pouvoir faire partie d’une plus grande nation universelle, ce qui ne pouvait se faire sans une certaine « uniformisation ». Néanmoins elles devaient également réussir à conserver les spécificités sur lesquelles repose leur unité. Cette tâche était ardue même pour des États anciennement formés, mais s’avérait d’autant plus difficile pour de jeunes États, sortant tout juste de la colonisation, qui devaient non seulement se reconstruire une identité nationale mais même temps entrer dans la « mondialisation ». Comment se moderniser et simultanément retourner aux sources, aux origines ? Comment réveiller une vieille culture endormie et entrer dans la civilisation universelle ? (29)
(28) Paul Ricoeur est un philosophe et écrivain français intéressante entre autres au phénomène de société et la théologie (29) « como se modernizar e simultaneamente retornar as fontes, as origens ? Como despertar uma velha cultura adormecida e entrar na civilisacao universal ? » TOESTÕES, Ana. Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique. Caleidoscope, septembre 2014. 480 p.
Dans le cas de Luanda la tâche s’avérait encore plus difficile car la ville était loin d’être une page blanche sur laquelle ont pouvait commencer de zéro. Même si il y avait possibilité de s’étendre et de construire dans des zones non-édifiées, le cœur urbain de Luanda resterait toujours la ville coloniale et ses musseques environnants. Pourtant comme évoqué précédemment à la fin de la guerre civile les deux facettes que présentaient ce cœur urbain étaient peu reluisantes . Il était donc indispensable de se poser la question du devenir de cet existant et de sa compatibilité avec l’image souhaitée de la Luanda de demain. Le musseques incarnaient cet aspect authentique qui était recherché. Ils étaient ce qu’il restait dans la capitale angolaise de plus proche de l’habitat pré-colonial, du village de case. Qui plus est c’est dans ces quartiers que pendant l’indépendance l’art angolais, notamment la musique, a pu s’exprimer. C’est également en ces lieux que les dialectes locaux on pu continuer a être parlés et transmis de génération en génération.
Finalement les musseques ont joué un rôle important dans le processus de décolonisation du pays, puisque c’est dans ces quartiers que les réunions secrètes regroupant les indépendantistes se tenaient et que la révolte populaire s’est organisée. Cependant déjà leur forme d’origine mais plus encore ce que ces quartiers sont devenus en raison de la guerre civile ne correspondent pas à l’idée mondialement diffusée de ce qu’est le progrès ou le « développement ». Cette forme urbaine est même le plus souvent synonyme d’un certain « retard » et attribuée aux pays dit du « tiers-monde ». De plus les besoins, les aspirations et le mode de vie d’une partie des Angolais, ont beaucoup trop changé au cours des siècles, pour qu’un retour à une vie dans des maisons de l’ordre de l’abri et dans une structure proche de celle du village puisse être envisageable. Le retour à la « case départ » est pour ainsi dire impossible, pour ceux qui n’ont jamais connu ce mode de vie ou qui l’ont abandonné il y a bien longtemps pour s’adapter à la vie citadine en appartement, avec cuisine équipé et salle de bain « à l’européenne ». Au final les musseques ne pouvaient selon le gouvernement angolais et une vaste partie de la population incarner l’avenir de la ville de Luanda, aujourd’hui c’est même un aspect de la ville que l ‘on tente de cacher plutôt que de le mettre en avant. Quoi qu’il en soit les musseques subsistent et ils continuent invariablement leur progression et malgré déjà seize années de retour à la paix le conditions de vie de ceux qui y résident ne sont guère améliorées. Reste alors la ville coloniale. Formellement elle se rapproche davantage de la métropole occidentale. Planifiée, organisée, avec des constructions pérennes, des immeubles, des monuments, des avenues, des places et des promenades paysagères.Bien que surpeuplée et dégradée, des travaux certes d’envergure mais tout de même envisageable pourraient la « dépoussiérer » et lui rendre sa splendeur, restituant ainsi à Luanda son appellation de « Paris de África ». Néanmoins la ville coloniale est aussi un symbole d’oppression, construite à la sueur du front des Angolais mais sans prendre en compte leurs opinions ou obtenir leur consentement. De plus cette ville, les Angolais en ont longtemps été exclus, bien que dans les dernières années de la période coloniale, on ait pu voir apparaître quelques projets montrant qu’ils étaient un peu plus intégrés et acceptés dans la ville. Cette ville n’est donc pas compatible avec un discours prônant une émancipation et la remise à l’honneur de la culture angolaise. En somme, ni le musseque, ni la ville coloniale ne pouvaient incarner le renouveau espéré pour la ville de Luanda. La question de l’émergence d’une nouvelle architecture et de formes urbaines plus ancrées dans leurs sites, en accord avec l’environnement social et naturel, tout en étant « dans l’ère du temps » surgit alors. Quelle seraient les caractéristiques de cette architecture ? Quelle forme pourrait prendre ce nouveau tissu urbain ? Où cette nouvelle architecture s’implanterait-elle ? En bordure de la ville existante ? En lieu et place de la ville existante ? Qu’elle rapport cette ville entretiendrais avec les musseques et la ville coloniale ? Les faits mis en évidence dans la première partie de ce mémoire nous mènent à penser que c’est sur la ville coloniale qu’est entrain de se construire le cœur de cette « Luanda 2.0 », même si la périphérie de la ville a également accueilli bon nombre de nouveaux projets. La Baixa de Luanda a déjà été profondément remaniée et tout laisse présager que c’est à présent au tour de la Cidade Alta de « faire peau neuve ». La Luanda rêvée de ceux qui aujourd’hui font la ville se superpose à la Luanda rêvée par les architectes de la Geração Africana. Reste à savoir si le successeur de l’immeuble colonial, Moderne et tropical, incarne vraiment ce compromis entre authenticité et « avant-garde » ?
c - le mimétisme architectural : De la Luanda Moderne à la contemporaine, une ville en perte de « caractère »
11 novembre 1975, l’Angola accède à l’indépendance, après quatorze années de lutte contre l’occupation portugaise. Les Angolais héritent alors des villes édifiées par les Portugais et notamment de Luanda, qui restera la capitale et la ville la plus importante du pays. Commence alors un processus de réappropriation de la ville par la population locale, qui jusque là avait été privée de droit de cité dans de nombreux lieux de la capitale. Cette réappropriation se fit de manière spontanée, avec notamment l’occupation des maisons et des immeubles coloniaux Modernes et tropicaux par les familles angolaises. Le gouvernement angolais pris également un certain nombre d’initiatives officielles, pour marquer ce passage à l’indépendance et remettre à l’honneur la culture angolaise dans la ville.
(30) Njinga Mbandi fut la reine du royaume du Ndongo et du royaume de Matamba, dans l’actuelle Angola. Elle est connue aujourd’hui pour ses brillantes tactiques militaires et ses qualités de diplomate. Elle a notamment négocié avec l’administration coloniale portugaise pour garantir l’indépendance de ses royaumes et de ses sujets. (31) En 1964, Ernesto Guevara dit El Che, se rend en Afrique pour soutenir les pays encore colonisés et quête d’indépendance dans leur lutte. Apres s’être rendu en Algérie, en Egypte, au Ghana et au Mali entre autres, en 1965 il s’installe au Congo. Il y rencontrera de nombreux leaders des mouvements indépendantistes des pays voisins, et notamment Agostino Neto, président du Mouvement Populaire de Libération de l’Angola. Cuba soutiendra alors l’Angola dans sa lutte pour l’indépendance et par la suite le MPLA, parti aux idéaux socialistes, lors de la guerre civile qui l’opposera à deux autres partis, l’Union Nationale pour l’Indépendance Totale de l’Angola et le Front National de Libération de l’Angola. (32) Ingénieur de formation, cet homme politique de Guinée-Bissau et du Cap Vert, jouera un rôle majeur dans le processus de décolonisation de ces deux pays et apportera également son soutient à l’Angola dans sa lutte pour l’indépendance. Il est le fondateur du Parti Africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, le PAIGC. (33) le Monument au Soldat Inconnu fut inauguré par José Eduardo dos Santos (1942- ), lors de ces derniers jours en tant que président de l’Angola, le 23 septembre 2017.
C’est dans cette optique que les principales voies de circulation de Luanda, dont les toponymes avaient été attribués par l’administration coloniale, furent renommées. Les noms donnés par les Portugais laissèrent place à des noms de figures ayant joué un rôle important dans le processus décolonisation, telles que Agostino Neto, ou à de noms de figures historiques angolaises, comme la reine Njinga Mbandi ( 1583-1663 ) (30). Des noms de personnalités des pays ayant soutenu l’Angola dans sa lutte pour l’indépendance furent également mis à l’honneur, comme Comandante Che Guevara (1928-1967 ) (31) ou Amílcar Cabral (1924-1973) (32), ainsi que ceux des pères du communisme, doctrine politique suivie par le MPLA entre 1975 et 1992, comme Karl Marx (1818-1883) ou Lenine (1870-1924). Un certain nombre de places furent créée et des statues et des monuments furent érigés pour honorer les leaders indépendantistes mais aussi les combattants et les combattantes de la guerre pour l’indépendance, tels que le Monuments aux Héroïnes, la place Agostino Neto ainsi que son mausolée ou le très récemment inauguré « Monumento ao Soldado Desconhecido ». ( 33) Cependant en terme de construction de bâtiments, dans un premier temps les initiatives restèrent rares et ce en raison de la guerre civile et de la fragilité économique du pays. La monnaie nationale le Kwanza, crée en 1977 a notamment subi de nombreuses dévalorisation, dues à l’instabilité politique du pays et un passage non maîtrisé d’une économie socialiste à un système capitaliste en 1992. En 1995, 500.000 Kwanzas équivalaient à 0,15 dollars. Or le secteur du bâtiment angolais déjà à l’époque et encore aujourd’hui dépendait de l’exportation, puisque rares étaient les matériaux de construction manufacturés sur place. Ce n’est qu’à partir de 2002, après la signature des accords de paix qui ont mis fin à vingt-sept ans de guerre civile, que le secteur du bâtiment a pu sortir de sa torpeur. Les nouveaux projets dans la capitale se sont alors multipliés. La régénération du tissu urbain des quartiers du centre ville et la mise au point de projets d’embellissement de la capitale furent annoncées par le Gouvernement Provincial de Luanda, le temps était à la reconstruction. Les caisses de l’Etat étaient pleine grâce aux pétrodollars issus de l’extraction du pétrole sur les côtes de l’Angola. Les conditions étaient enfin réunies pour que puisse émerger une architecture angolaise, qui pourrait incarner ce parfait compromis entre un retour aux sources et l’affirmation d’une identité nationale forte tout en incorporant les innovations techniques, les matériaux et savoir faire actuels. L’idée était de conférer au centre ville de Luanda, soit principalement la Baixa puis la Cidade Alta, une image nouvelle. Pour laisser place à ces nouveaux projets, d’initiative publique mais également privée, un certain nombre d’édifices anciens, datant de la période coloniale, furent sacrifiés.
Cependant quand les premières constructions nouvelles sortirent de terre, on ne vit rien de novateur et encore moins d’authentiquement angolais. Les nouveaux édifices étaient majoritairement des tours de béton, aux façades vitrées, abritant bureaux, logements et locaux commerciaux. Ils étaient de pure produit de l’International Style, et des pâles copies des tours de Dubaï, Rio de Janeiro ou Johannesburg , elle-même vastement inspirées de celle de Chicago et Manhattan. Outre ce déstabilisant manque d’originalité dans un pays pourtant en quête d’une identité qui lui soit propre, le vrai problème était surtout l’inadaptation totale de ce modèle reproduit sans le moindre ajustement, à la réalité tropicale et sociale de la ville de Luanda. Premièrement la construction de ces tours, qui d’ordinaire par l’envergure des chantiers, le type de fondation requise et les dimensions même des bâtiment représente toujours plusieurs millions d’euros, coûtent encore plus cher en Angola.Ce parce que la plupart des matériaux employés aussi bien pour le gros œuvre que pour les finitions sont tous issus de l’importation. Par ailleurs venir insérer ces bâtiments s’élevant parfois à plus d’une centaine de mètre dans la Baixa de Luanda ou dans la cidade Alta, à la place d’un entrepôt de huit mètres de haut ou d’un immeuble résidentiel d’une trentaine de mètres, pose de nombreux problèmes d’ordre urbain. Une telle modification de gabarit des édifice bâtis, qui ne s’accompagne pas d’une modification des tracés urbains, entraine des problèmes d’ensoleillement et de ventilation dans la ville, puisque l’espacement entre les bâtiments demeure le même. Des maisons se retrouvent plongées dans l’ombre de mastodonte de béton, et les façades vitrées et hermétiques bloquent et dévient les courants d’air dans la ville. Les rues de la capitale semblent aujourd’hui plus étroites. De plus la construction de ces immeubles abritant des centaines d’appartements et de bureaux, a rendu le centre ville de Luanda, déjà très dense au début des années 2000, véritablement saturé. Dans le périmètre de la ville coloniale, qui avait été planifié pour accueillir quelques 500 000 personnes, on compte aujourd’hui 2 194 747 habitants selon le recensement de 2014 pour la municipalité de Luanda, soit quatre fois plus d’habitants que prévu. (34) Cette surdensité se répercute notamment sur la circulation, dans un pays où les transports en commun sont encore peu développés et essentiellement assurés par les Candogueiros, des minibus détenus par des privés dans lesquelles on voyage relativement inconfortablement et que tous ceux qui en ont les moyens financiers préfèrent éviter. Si déjà dans les années cinquante le Gabinete de Urbanização da Câmara Municipal de Luanda, cherchait à décongestionner le centre ville, le moins que l’on puisse dire et qu’avec le temps la situation s’est au contraire aggravée et que circuler dans le centre de Luanda ou vers ce dernier est aujourd’hui une véritable corvée pour les automobilistes. En plus de participer à l’encombrement de la capitale angolaise et à la détérioration du cadre de vie de ceux qui y résident, la multiplication des tours à Luanda pose également problème sur le plan climatique. Ce type d’architecture n’est pas compatible avec le climat Luandais. Dans une ville chaude où le mercure chute rarement en dessous des vingt degrés mais atteint facilement les quarante degrés pendant la saison sèche, l’utilisation d’aussi grandes surfaces vitrées pose inévitablement question. L’absence totale d’inertie de la façade et l’effet de serre provoqué par l’emploi excessif de vitrage, entrainent une accumulation de chaleur à l’intérieur des bâtiments, où il fait alors plus chaud qu’à l’extérieur. De plus les hauteurs vertigineuses de ces bâtiments rendent dangereuse l’ouverture des façades, et font de ces tours des édifices presque hermétiques, ne bénéficiant d’aucune forme de ventilation naturelle. La combinaison de ces deux facteurs rendent les espaces impraticables, à moins de recourir à l’emploi d’un système de ventilation mécanique. Luanda ? New York ? Dubaï ?
(34) /. Luanda é mais populosa de Angola mas tem apenas 67b homens por cada 100 mulheres. Observador. Le 22 septembre 2016. photographie ci-contre: quatre tours dans la Baixa de Luanda © Romana Nanga
Chaque tour à Luanda pour pouvoir être habitable doit se munir de centaines de climatisations qui tournent sans interruption. Ces climatisons contribuent non seulement à réchauffer l’atmosphère d’une ville où il fait déjà chaud, mais représentent également une énorme consommation en énergie, qui pourrait parfaitement être évitée ou du moins réduite. En plus d’être mal adapté au climat, ce type d’architecture démontre aussi de nombreuses limites une fois confronté à la réalité luandaise. Rappelons par exemple qu’à Luanda les coupures électricité sont à ce jour encore très fréquente et peuvent durer des heures, voire des jours. Alors comment concilier ce facteur avec l’existence d’immeuble de trente étages où l’ascenseur se doit d’être toujours en état de marche ? Le recourt à des groupes électrogènes est la seule solution en vigueur pour le moment et cela aggrave l’impact de ces bâtiments sur leur environnement. Pourquoi un tel décalage entre ces projets et le réalité dans laquelle ils viennent s’insérer ? L’inadaptation de ces projets au site se doit en partie au fait que la plupart des ces immeubles ont été projetés par des cabinets d’architecture étrangers depuis l’étranger. Ces projets ont ensuite simplement été posés sur des parcelles tels des objets architecturaux. Cela se traduit par des projets dénués de toute originalité, qui quand ils ne sont pas des reproductions des tours qui se construisent partout ailleurs depuis les années vingt, sont des pastiches de l’architecture coloniale. C’est notamment le cas du nouvel édifice de l’Assemblée Nationale à Luanda, en usage depuis 2015, projeté par le groupe libanais Dar Al-Handasah. Le bâtiment rappelle étrangement l’une des constructions les plus iconiques de la Baixa de Luanda, le Banco National de Luanda de l’architecte portugais Vasco Regaleira ( 1897-1968 ), inauguré en 1956. Ce type de situation vient confirmer que Luanda est vraiment la ville de tous les paradoxes, où pour s’affranchir de l’architecture coloniale on va suivre à la lettre les canons du International Style, encore une fois fixés par le monde occidental et même plagier le style colonial portugais. Banco Nacional de Angola. 1956
Assembleia Nacional de Angola. 2015 (34) /. Luanda é mais populosa de Angola mas tem apenas 67b homens por cada 100 mulheres. Observador. Le 22 septembre 2016. photographies ci-contre, de haut en bas: BNA auteur inconnu source: Correio Kianda National Assembly Building of Angola ©Dar Al-Handasah source: www.dar.com
Ce type de pratique prive des architectes locaux d’opportunités de s’exprimer et d’éventuellement proposer une architecture un peu plus en accord avec son contexte. De plus les nombreux accords financiers signés entre la Chine et l’Angola depuis 2002 ont même privé les ouvriers angolais de travail, car une des clauses de ce contrat était qu’en échange d’une aide financière, des groupes chinois comme China Jiangsu pourraient construire en Angola en employant des ouvriers chinois. Ces derniers sont pour la plupart d’anciens prisonniers politique, en quelque sorte « envoyés aux bagnes » . Cette manière de « re-faire » la ville entraine une perte de qualité architecturale, en terme d’esthétique et de richesse des propositions spatiales. Les coursives, les balcons, les galeries, les terrasses, les cages d’escaliers ouvertes, les claustras, les brise-soleil et les couleurs, qui sont parmi les éléments que l’on retrouve par exemple dans les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux et qui confère à la ville une identité architecturale, disparaissent dans cette nouvelle architecture de verre et font de Luanda une ville de plus en plus « banale ». Contrairement à ce que l’on aurait pu espérer, voire souhaiter, depuis que les Angolais sont en mesure de dicter leurs propre règles et de décider de l’avenir de la ville, Luanda n’a pas gagner en caractère, mais en a perdu et elle tend au contraire à devenir « générique ». Au lieu de voir se developper une architecture qui lui serait propre, qui serait riche et qui véhiculerait une culture et une esthétique locale et serait adaptée au climat et à la réalité de la vie à Luanda, on ne voit émerger que des copies conformes des tours d’occidents, qui aujourd’hui ont gagnées le monde entier. Si le centre ville est pris d’assaut par l’International Style, à la périphérie de la ville la situation est encore plus inquiétante avec l’apparition d’une architecture dénuée de tout style et toute volonté de recherche esthétique et spatiale. Cette situation suscite de nombreuses interrogations et nous amène à nous demander si tout compte fait la Luanda coloniale et surtout la Luanda Moderne et tropicale n’est pas finalement plus authentique, plus « Luandaise » que cette « Luanda 2.0 » et ces constructions nouvelles. Ce parce que même si les architectes de la Geração Africana ont appliqué un style architectural importé d’Europe, il se sont efforcés de l’adapter à son contexte géographique, et ont ainsi crée un Modernisme Tropical. En revanche aujourd’hui on compte à Luanda un nombre grandissant de tours, mais celles-ci n’ont rien de tropical, rien de « luandais ». Alors peut-être qu’il ne faut pas sacrifier tout de suite l’héritage de la Geração Africana, et que malgré le fait qu’il rappelle inévitablement une page de l’histoire de cette ville et de ce pays que l’on pourrait compréhensiblement vouloir tourner, il a aussi cette part d’authenticité et d’ Angolanidade, qui manque tant à ce qui se construit aujourd’hui. Cette architecturale Moderne n’est peut-être pas si étrangère, elle est le fruit d’un métissage, initié par les architectes portugais du mouvement Moderne, qui en prenant en compte le climat et le contexte, ont donné à cette architecture des caractéristiques qui lui son propre et qui la lient à son milieu. Ce processus de métissage a été poursuivi par les familles angolaises, qui en vivant dans ses bâtiments, en le remodelant en fonction de leurs usages et leur besoins ont fait de ces édifices des lieux où a émergée un nouveau mode de vie luandais, devenu aujourd’hui indissociable de l’identité de cette ville. C’est à ces édifices Modernes et transculturels et au processus de « métissage », puis de « naturalisation » de cette architecture, menés par les architectes puis par les occupants, ayant permis l’avènement de l’immeuble colonial, Moderne et Tropical tel que nous le connaissons aujourd’hui, que nous allons nous intéresser à présent. Une grande question nourrira la troisième partie de ce mémoire ; qu’est ce que l’immeuble colonial luandais a d’ angolais ? Y répondre nous fournira des clés de réflexion sur la question de la conservation de cette architecture dans une ville au passé et aux tracés coloniaux en quête d’identité à l’ère post-coloniale.
photographies de la page de droite, de haut en bas: Les musseques de la Baixa de Luanda © Romana Nanga Baixa Moderna et tropical © Romana Nanga La verticalisation de la Baixa de Luanda © Romana Nanga
AUJOURD’HUI
AUJOURD’HUI
AUJOURD’HUI
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LA
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LA
LE
MUSSEQUE
VILLE
VILLE
COLONIALE
CONTEMPORAINE
03 - L’immeuble Colonial Luandais NATURALISATION D’UN MODÈLE IMPORTÉ
QU’ EST CE QUE L’
IMMEUBLE COLONIAL
LUANDAIS A D’ ANGOLAIS ?
A - LE MODERNISME MÉTISSÉ :
l’immeuble colonial Luandais, genèse d’un hybride a – le climat, catalyseur d’innovation : le vent et la lumière dans les immeubles coloniaux à Luanda
En parcourant aujourd’hui les rues du centre ville de Luanda, on peut encore voir bon nombre des bâtiments érigés entre 1940 et 1975 par les architectes de la Geração Africana dans le cadre des travaux d’extension de la capitale menés par le Gabinete de Urbanização. Une simple observation permet de rapidement établir le lien entre cette production et le mouvement Moderne. On retrouve des formes d’habitat typiques de ce mouvement telles que la barre de logements. Cette forme architecturale s’est rapidement répandue en Europe dans la période de l’après guerre. Elle fût jugée idéale pour répondre à un besoin important en logement dans des villes à la croissance démographique accélérée par la migration d’une main d’oeuvre ouvrière venue travailler dans les chantiers de la reconstruction, provenant aussi bien des campagnes que des pays voisins ou plus lointains. La barre arrive en Angola au début des années cinquante. Là aussi elle fait sont apparition car la ville connait une crise du logement. Les vagues migratoires venues des provinces de l’intérieur du pays, mais aussi du Portugal et des autres territoires d’outremer de l’empire colonial portugais, sont à l’origine de l’explosion démographique que connait Luanda depuis les années quarante. Ces barres de logements sont construites en béton, matériau phare du mouvement Moderne, et pour ériger ces bâtiments dans les plus brefs délais et à moindre coût, les architectes de la Geração Africana ont eu recours à des procédés vastement employés par les architectes Modernes, tels que la préfabrication et l’emploi d’éléments standardisés. Pour ce qui est de la spatialité de ces édifices, la filiation avec le mouvement Moderne est là aussi claire. On retrouve notamment bon nombre de dispositifs empruntés aux Cinq Points de l’Architecture Moderne, énoncés par Le Corbusier en 1927. Les barres sont sur pilotis et leurs rez-de-chaussée sont dégagés. Les toitures-terrasses sont accessibles et on y retrouve souvent des équipements partagés par les habitants des immeubles, tels que des salles des fêtes. Le plan libre est employé pour permettre un découpage des espaces souple et libérer les façades de leur fonction porteuse. Dans certains bâtiments on trouve même des références directes à l’oeuvre de Le Corbusier, avec l’apparition de rues intérieures et de typologies telles que les semi-duplex imbriqués, qui nous rappellent l’Unité d’Habitation de Marseille, construite en 1945.
photographie de la page de gauche: Les teintes du Modernisme Tropical © Romana Nanga
Si les ressemblances sont nombreuses et la filiation évidente, l’oeuvre des architectes Modernes portugais de la Geração Africana se distingue toutefois de la production européenne de ce courant à cette même période. Ce grâce à un certain nombre de particularités qui leur confèrent un caractère unique et exceptionnel. C’est l’influence du lieu et plus précisément du climat qui va façonner la production Moderne luandaise et permettre l’émergence de ce Modernisme tropical à partir des années cinquante. Avant cette date les projets était réalisés au sein du Gabinete de Urbanização Colonial depuis Lisbonne, par des architectes qui souvent ne s’étaient jamais rendus à Luanda ou même en Afrique. De ce fait leurs propositions, bien que délestées de toutes références au style colonial Portugais ou au style Estado Novo, alors vastement employé en métropole, restaient encore très proche de la production Moderne européenne.
Ces bâtiments s’adaptaient donc avec quelques difficultés aux exigences climatiques du site et n’avaient pas encore cette dimension nouvelle que la prise en compte du climat conférera par la suite à la production des architectes de la Geração Africana. Cette dimension fera sont apparition grâce à une succession d’événements, qui vont permettre aux architectes portugais de cesser de suivre à la lettre l’esthétique Moderne et de véritablement s’approprier et réinterpréter le codes de ce mouvement, en l’adaptant à un lieu, Luanda et un climat, tropical. Premièrement, à partir des années cinquante le Gabinete de Urbanização Colonial, envoi certains de ces membres à Londres, afin qu’ils puissent participer au cours sur l’architecture tropicale dispensés à la Architectural Association (1) sous la direction de Maxwell Fry (1899-1987) et Jane Drew (1911-1996) (2). L’objectif de ces cours était de promouvoir une architecture où une attention particulière serait apportée à trois questions. Celle du choix des matériaux de construction et de l’usage des ressources disponibles localement. Celle du climat tropical et notamment des maladies propres à ce climat. Celle de la prise en compte des besoins et du confort des habitants. Les connaissances acquises par les architectes du Gabinete de Urbanização Colonial dans le cadre de ces cours vont ouvrir la voie à une réflexion sur l’adaptation du langage Moderne au climat tropical. Cette réflexion va s’approfondir quand en 1957, après la dissolution Gabinete de Urbanização do Ultramar, comme il est alors dénommé, des cabinets locaux sont ouverts dans les différentes métropoles de l’empire colonial portugais et notamment à Luanda. Les jeunes architectes portugais migrent alors vers l’Afrique et vont pour la première fois pouvoir oeuvrer en étant « in situ ». La découverte d’un continent nouveau, d’un contexte géographique, climatique et socio-culturel tout à fait different de celui de la métropole, est pour eux un choc, mais surtout l’occasion d’élargir leur horizon et d’enrichir leur architecture. Pour ces lieux nouveaux les architectes de la Geração Africana se prennent au jeu d’imaginer une architecture et des formes elles aussi nouvelles. Petit à petit ils vont se distancer de la production européenne et déporter leur attention vers l’Amérique latine et notamment le Modernisme brésilien. Rendu célèbre par la publication de Brazil Builds en 1943 par le MoMA de New York, la production des architectes Modernes brésiliens comme Lucio Costa, Oscar Niemeyer ou Roberto Burle Marx, possède justement cette dimension tropicale et locale. Leur architecture est imprégnée de la culture brésilienne, même si elle reprend des principes et des codes du langage Moderne et de cette faite elle est originale et parfaitement adaptée au lieu dans lequel elle s’inscrit. Les architectes du Gabinete de Urbanização da Câmara Municipal de Luanda, vont eux aussi rechercher de plus en plus cette symbiose entre leurs bâtiments et leur environnement. Ils sont donc réceptifs à certaines idées portées par le Regionalisme Critique. Ce mouvement qui prend de l’ampleur au courant des années soixante se place aux antipodes du Modernisme. Il fait la critique de la mondialisation et universalisation de l’architecture défendues par le Modernisme et s’intéresse au contraire à ce que l’architecture a de particulier selon le lieu et la culture à laquelle elle appartient. Tournés vers l’architecture vernaculaire, traditionnelle et populaire, les affiliés au Régionalisme Critique se positionnent en défenseur de la diversité en architecture. Les membres de cette mouvance œuvrent pour la répertorisation et la conservation de la grande variété de dispositifs architecturaux créés par les hommes en toutes parts du globe pour s’abriter. Ces abris sont faits avec ce que la nature met à disposition dans l’environnement immédiat et en fonction du climat, de la géographie du lieu, mais également de la culture, des traditions et des croyances de ceux qui les érigent. Selon eux la prise en compte du contexte et des personnes, produit une richesse architecturale qui dans un contexte de globalisation tend à se perdre.
(1) La Architectural Association également connue sous le nom AA school of Architecture, est la plus ancienne école d’architecture indépendante au Royaume-Uni. Fondée en 1847,par deux jeunes étudiants insatisfaits de l’enseignement universitaire de l’architecture, elle se veut être une alternative à l’enseignement classique de cette discipline. Y ont enseignée entre autres Peter Smithson, Philippe Rahm et Rem Koolhass et s’y sont formés des architectes tels que Kenneth Frampton, Geoffrey Bawa, David Chipperfield ou Richard Rogers. (2) Maxwell Fry et Jane Drew formèrent un couple d’architectes britanniques, proche du Mouvement Moderne. Après avoir côtoyé et oeuvré aux cotés de figures éminentes de ce mouvement telles que Walter Gropius ou Le Corbusier, le couple se tournera vers l’Afrique. Dans les années quarante ils projetteront un certain nombre de bâtiments pour les territoires d’Afrique de l’Ouest de l’empire britannique, comme le Ghana et le Nigeria. Dans le cadre de ces travaux ils s’ intéresseront à l’architecture vernaculaire africaine et tenteront à travers leurs projets de proposer une architecture Moderne adaptée au climat tropical. Dans les années cinquante ils participeront également au développement du projet de Chandigarh. Il créèrent ensemble la première école d’architecture destinée à former des étudiants à construire dans des pays de climat tropical, la Tropical Architecture School.
A cette période un intérêt nouveau pour la culture et l’architecture africaine, dont on va déjà dans un premier temps reconnaître l’existence et qu’on va par la suite mettre à l’honneur à travers des expositions ou des ouvrages, comme le livre de Udo Kultermann (1927-2013) (3), Neues Bauen in Afrika, publié en 1963. Dans cet ouvrage Kultermann, regroupe et présente des nouveaux type architecturaux relevés à travers tout le continent Africain et défend egalement l’idée d’une culture architecturale africaine millénaire.
image ci-dessus, de gauche à droite: couverture du livre New Directions in African Architecture de Udo Kultermann pages du livre New Directions in African Architecture de Udo Kultermann
C’est dans ce contexte et influencés par ces différents mouvements et manières de penser et de produire l’architecture, qu’à partir de la fin des années cinquante, les architectes de la Geração Africana revoient en profondeur leurs propres procédés créatifs. Le paysage de Luanda et le climat tropical deviennent leurs alliés et des facteurs stimulant pour eux, qui les poussent à imaginer des nouveaux espaces et dispositifs architecturaux pour pouvoir créer une architecture, qui tire profit de son site et qui s’ouvre à lui. Le climat tropical qui jusque là était plutôt considéré comme un élément dont on devait se protéger, va devenir un élément avec lequel on va chercher à vivre. Pour ce faire il leur faut se familiariser avec le climat tropical angolais. Connaître et prendre en compte la température, les précipitations, les vents, l’ensoleillement et la végétation.
(3) Udo Kultermann est un historien de l’art et de l’architecture. Il s’est notamment intéressé au phénomène d’émergence d’une nouvelle architecture africaine dès les années cinquante et a publié en 1963 l’ouvrage Neues Bauen in Afrika, où il présente une sélection des projets novateurs ayant vu le jours en Afrique, dont beaucoup sont l’oeuvre d’architecte proche du mouvement Moderne ou du Régionalisme Critique.
En Angola l’année se divise en deux saisons. La saison des pluies, qui dure de septembre à avril, avec des précipitations particulièrement importantes entre novembre et janvier. C’est également une période de fortes chaleurs, avec des températures qui tournent autour des trente degrés Celsius et qui peuvent atteindre les quarante degrés. L’air est particulièrement chargé en humidité à cette période de l’année. Puis il y a la saison sèche, dénommée cacimbo, qui est plus courte et qui dure de mai à août. Elle se caractérise par une absence de précipitation et une baisse de la température, celle-ci étant généralement comprise entre vingt et vingt-cinq degrés en après midi et descendant parfois jusqu’à dix-sept degrés en soirée. Pour ce qui est du vent, il souffle à Luanda du Sud-Ouest au Nord-Est, soit de l’océan Atlantique vers l’intérieur des terres. La lumière solaire par ailleurs peut être à Luanda particulièrement vive et éblouissante. Les architectes du Gabinete de Urbanização se trouvent donc face à de nombreux défis. Pour s’assurer que l’habitat qu’ils créeront sera confortable, il doivent réussir à réguler et capter les éléments naturels, et plus particulièrement la lumière et le vent. C’est de cet exercice que naissent les formes et les dispositifs spatiaux qui font encore aujourd’hui la particularité, la beauté et la qualité des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux.
Pour ce qui est du vent il joue un rôle majeur dans la planification de la ville, puisque la disposition des bâtiments, se fait en fonction des vents dominants, afin de garantir que ceux-ci bénéficieront d’une ventilation optimale, necessaire pour empêcher la stagnation de l’humidité dans les pièces habitées Ce besoin poussent les architectes à privilégier certaines organisations spatiales et type d’appartements, en préférant notamment les logements traversants. Pour pouvoir obtenir des appartements disposant de deux façades ouvertes et opposées, nécessaire pour assurer ce type de ventilation, il optent pour des modes de distribution en façade, qui prennent la forme de galeries et coursives. La nécessité de ventiler a également une incidence sur l’intérieur des logements et leurs formes. Des types comme le semi-duplex sont vastement employés, puisqu’en jouant avec l’effet de compression puis de dilatation des volumes, ils permettent une accélération des courants d’air et donc une ventilation optimisée. La disposition des pièces au sein des logements se fait aussi en fonction de ce besoin de ventiler les espaces. Les pièces d’eau et notamment les cuisines se retrouvent souvent en façade, dissimulées par une épaisseur de loggia et les salles de bain, en général situées au cœur du logement, se ventilent plutôt à l’aide de portes avec des impostes et des allèges ventilées ou des parois rendues poreuses en partie haute grâce à l’emploi de claustras. Pour ce qui est de la lumière, le défi est avant tout de l’adoucir et d’éviter la pénétration de lumière directe dans les pièces, tout en ayant des espaces lumineux. Pour ce faire de nombreux dispositifs sont utilisés, avec dans un premier temps un important recours à des éléments de second œuvre comme des persiennes, pour protéger les ouvertures tout en laissant circuler l’air. Des éléments tels que des pare-soleil et des casquettes viennent aussi rythmer les façades et protéger les baies. Puis c’est la paroi même et notamment les façades que l’on traite de manière à ce qu’elles puissent être à la fois un élément de protection solaire, capable de tamiser la lumière et la diffracter, tout en restant perméable à l’air. On voit alors apparaître des claustras, réalisés en jouant sur la disposition des briques pleines ou grâce à des briques evidées, avec progressivement l’apparition de motifs de plus en plus recherchés. Finalement les dispositifs thermiques cessent d’être des éléments « accessoires » et deviennent vraiment des éléments de gros-oeuvre. Au lieu d’avoir une façade sur laquelle viennent se greffer des éléments permettants la protection solaire et une bonne ventilation, la façade elle-même devient un dispositif de régulation thermique d’échelle monumentale. On voit ainsi apparaître à Luanda, des « grilles » de béton qui enveloppent des bâtiments et à l’arrière desquelles se trouvent les espaces habités. Puis dans un second temps ces grilles cessent d’être uniquement des enveloppes et deviennent des espaces habitables. Elles gagnent en épaisseur et les loggias, les balcons viennent se nicher dedans. Ces grilles, en plus d’être des « passoires » monumentales, laissant filtrer une lumière adoucie et favorisant la ventilation, protègent aussi les espaces se trouvant à l’arrière de celles-ci de l’eau pendant les pluies. Certaines servent même de système de récupération des eaux, grâce à des gouttières intégrées, taillées dans le béton, acheminant l’eau de pluie vers des réservoirs. En plus d’être des éléments « fonctionnels » ces grilles sont aussi graphiques et esthétiques, les architectes de la Geração Africana prennent d’ailleurs plaisir à travailler sur les rythmes et les motifs, associant éléments verticaux et horizontaux, créant ainsi des bâtiments « plastiques » d’une certaine beauté, grâce à des jeux de volumes, d’ombre et de lumière, rendus possibles par la souplesse du béton. Cette recherche de dispositifs spatiaux ingénieux et passifs permettant d’assurer un confort thermique et rendant possible un mode de vie « à l’air libre », sans recourir à des dispositifs mécaniques tels que la climatisation, montre la volonté des architectes de la Geração Africana de produire une architecture que l’on pourrait aujourd’hui qualifier de durable.
photographies de la page de droite, de gauche à droite et haut en bas: Colégio dos Maristas (1959) | F. J. Castro © Ana Magalhães source: http://www.estudoprevio.net/ en/papers/70/migracoes-do-moderno-arquitetura-em-angola-e-mocambique-1948-1975 BLOCO MUTAMBA, actual Ministério do Urbanismo e Ambiente. © Cuca Freches source: http://luandahistoriadeumaarquitectura.blogspot.com/ Rádio Nacional de Angola (1963-1967) | F. S. Carvalho © Ana Magalhães source: http://www.estudoprevio.net/ en/papers/70/migracoes-do-moderno-arquitetura-em-angola-e-mocambique-1948-1975 Mercado do Kinaxixe (1951-52), Luanda| Vasco Vieira da Costa © Ana Magalhães source: http://www.estudoprevio.net/ en/papers/70/migracoes-do-moderno-arquitetura-em-angola-e-mocambique-1948-1975 Habitação/Escritórios © Cuca Freches source: http://luandahistoriadeumaarquitectura.blogspot.com/ Ritmos II © Cuca Freches source: http://luandahistoriadeumaarquitectura.blogspot.com/ Ritmos Erguidos São Paulo © Cuca Freches source: http://luandahistoriadeumaarquitectura.blogspot.com/
Les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux sont en ce sens des exemples de « Design with Climate » (4), d’architecture « en phase » avec son environnement et respectueuse de celui-ci. La motivation première des architectes de la Geração Africana était d’atteindre le confort. Pour ce faire leur production s’est distinguée de la production Moderne européenne au cours du temps et a même tendue vers le Régionalisme Critique. Toutefois cette préoccupation pour le confort des habitants et cette volonté de proposer le meilleur cadre de vie possible aux futurs occupants, reste commune à tous les architectes Modernes. Anatole Kopp (1915 -1990 ) (5) dira d’ailleurs que l’architecture Moderne ne reposait pas tellement sur une esthétique mais surtout sur une volonté d’offrir à tous un meilleur cadre de vie. Pour atteindre ce confort, la recherche d’une osmose avec le climat et le lieu s’avèrent pour eux indispensable et fait surgir des formes nouvelles, issues d’un croisement entre les principes Modernes, qui résultent d’une culture « eurocentriste » avec la réalité africaine. De ce métissage de l’architecture, rendu possible par le climat, qui ici a vraiment joué un rôle de « catalyseur d’innovation » naitra une architecture que l’on pourrait qualifier d’hybride. Ana Tostões parlera d’ailleurs dans son livre Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique, de : climat tropical comme promoteur de l’interaction entre différents peuples. (6) Cette architecture n’est plus juste Moderne, elle est profondément liée à Luanda, à son climat, son paysage et de ce fait elle devient également tropicale et locale. Cela marque un tournant dans la manière de produire la ville coloniale, puisque on passe d’une architecture importée et juste reproduite sur place sans avoir été questionnée, à une architecture certes d’origine européenne, mais largement modifiée et façonnée par la réalité luandaise. On peut alors parler de transculturalité, obtenue grâce à une interprétation africaine de l’architecture Moderne.
Habitação Miramar ©Cuca Freches source: http://luandahistoriadeumaarquitectura.blogspot.com/
A présent nous allons nous pencher sur deux immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux, qui illustrent parfaitement ce métissage de l’architecture Moderne à Luanda, et regarder plus en détails ces nouveaux types, créer par les architectes de la Geração Africana pour accueillir ce mode de vie « à l’air libre ». Nous allons d’abord nous intéresser à l’édifice Cirilo & Irmãos puis à l’édifice Servidores do Estado.
(4) Expression tirée du titre de l’ouvrage de l’ architecte, urbaniste et pionnier du bio-climatisme, Victor Olgyay ( 1910 -1970 ) publié pour la première fois en 1963, intitulée Design with Climate : Bioclimatic approach to Architectural Regionalism. On l’emploi aujourd’hui pour se référer à une architecture dont la conception passe par la prise en compte du climat et l’adaptation de l’édifice à celui-ci. (5) Architecte et urbaniste français, proche du mouvement Moderne et impliqué dans le mouvement d’urbanistes marxistes des années soixante. Il s’intéresse particulièrement et a écrit sur la ville soviétique. (6) « o clima tropical como promotor de interação entre diferentes povos. » TOESTÕES, Ana. Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique. Caleidoscope, septembre 2014. 480 p.
b - de nouvelles typologies pour de nouveaux mode de vie : habiter à l’air libre, la vie dans les immeubles coloniaux à Luanda
À partir de la fin des années quarante, les plantations de café en Angola se multiplient, notamment dans les provinces du Nord-Ouest du pays, et dans la zone du Baixo Cuanza. L’augmentation de la production est telle qu’entre 1946 et 1972 le café sera le bien le plus exporté par le pays. Les frères Cirilos, propriétaire d’une vaste et prospère plantation dans la zone de Dembo, la Roça de Monserrate, font fortune à cette période. Ils décident alors comme beaucoup de propriétaires de plantations, de placer leur argent en investissant dans le secteur immobilier. Ils font l’acquisition d’un terrain dans la capitale, situé au numéro 10 rua Major Kanyangulo, anciennement Rua Direita de Luanda. Ils y font construire un immeuble de dix étages, projetés par les architectes portugais Francisco Pereira da Costa et José Pinto da Cunha, tous deux sensibles aux idéaux Modernes. La construction de l’immeuble débute en 1953 et s’achève en 1958. Le bâtiment est construit en béton, ce matériau est employé à la fois pour la structure porteuse, sur le modèle « poteau - dalle », ainsi que pour les parois intérieures et la façade. Pour ce qui est de la l’organisation verticale, l’immeuble compte dix étages, accueillant des appartements, dont une partie était réservée aux employés de la compagnie Cirilo & Irmãos, ainsi qu’aux propriétaires de cette dernière. Le rez-de-chaussée, en double hauteur, accueillait à l’époque en partie basse les locaux commerciaux et les espaces de stockage et sur la mezzanine les bureaux de l’entreprise. Le hall du bâtiment, également en double hauteur est accessible depuis la rue, il faut ensuite le traverser pour atteindre les escaliers et l’ascenseur qui desservent les étages. Ces éléments de circulation se situent dans un volume détaché du bâtiment, dans une tour distributive séparée de quatre mètres de la façade arrière. Les volets d’escalier sont en béton, les marches sont encastrées dans les parois de béton qui les enveloppent. La cage d’escalier est peinte avec des couleurs chaudes, en jaune et rouge. Une galerie ouverte d’un côté et protégée par des brise-soleils de l’autre, relie la tour de distribution au corps du bâtiments. Cela confère au bâtiment une volumétrie particulière, qui joue avec deux des types phares de l’architecture Moderne, la barre et la tour. Ici la barre accueille les logements et la tour est un élément fonctionnel accueillant la circulation verticale et les deux sont reliées par un élément de passage de quatre mètres de long sur deux mètres et demi de large. Cette galerie définie un axe de s ymétrie, puisqu’elle arrive au milieu de cette barre de logements et débouche sur une coursive. Cette coursive qui se déploie sur toute la longueur de la barre permet de desservir les huit appartements que l’on compte par étage. Cette épaisseur de deux mètres et demi assure la transition entre extérieur et intérieur ainsi qu’entre public et privé. C’est un espace partagé par les habitants d’un même étage, où les voisins se croisent régulièrement. Situé sur la façade arrière et donc plus protégé des regards, cet espace est aussi une extension vers l’extérieur du logement, suffisamment large pour qu’il puisse être aménagé avec des plantes, des assises et autres petits mobiliers, sans que cela ne gène la circulation. À l’origine cette coursive n’était fermée par aucune porte et une fois que l’on avait franchi le seuil d’entrée du bâtiment, on pouvait circuler librement d’un étage à l’autre et accéder à toutes les coursives. Cela vient confirmer l’idée que les architectes souhaitaient favoriser les interactions sociales et promouvoir un mode de vie convivial, grâce à des espaces de circulation qui sont aussi des espaces de vie, que l’on va partager et que l’on peut investir. Pour ce qui est des appartements, on trouve dans cet immeuble des simplex et des duplex.
Les duplex se situent entre les deuxième et troisième étages, le septième et huitième étages et le neuvième et dixième étages. Les duplex des deux derniers étages bénéficient d’un accès à une terrasse privative sur le toit. Dans les simplex les cuisines donnent sur la coursive de distribution et les séjours sur la façade principale. Dans les duplex cette disposition est inversée, avec des cuisines prolongées par une loggia donnant sur la façade principale et un séjour tourné vers la coursive de la façade arrière, les chambres se situent à l’étage. Les deux façades principales du bâtiment sont protégées par deux épaisseurs, constituées par la coursive à l’arrière et à l’avant par une grille en béton, dans laquelle viennent se nicher par endroit des loggias. Ces épaisseurs sont comme des secondes peaux, qui permettent de mettre à l’ombre la vraie façade du bâtiment et les pièces à vivre. Ces éléments sont très ouverts, les loggias par exemple ont des garde-corps qui sont des cadres en béton, dont le centre est évidé et clos par une simple grille métallique, afin que ces éléments ne gênent pas la ventilation des logements. La grille de loggias et la coursive arrière fonctionnent comme des espaces tampons, qui permettent une transition entre un extérieur très chaud et des logements plus frais. Ces éléments poreux, en plus d’être des dispositifs fonctionels de protection solaire, ont été pensés de manière à être également des espaces habitables, ce qui fait toute leur qualité. Dans les cas des duplex dont les cuisines donnent sur la façade principale du bâtiment, orientée Sud-Est, celles-ci sont protégées de la vue et du soleil par des claustras de béton toute hauteur, qui permettent également de garantir une ventilation optimale de ces espaces. À l’intérieur du logement des éléments de partition en bois, avec des jeux de plein et de vide, des persiennes et des murs qui ne sont pas construit de toute hauteur, permettent la circulation de l’air d ‘une pièce à l’autre. Dans l’ensemble on note dans ce projet une réflexion poussée sur la question du confort thermique et pour l’atteindre les architectes ont eu recours à différents dispositifs architecturaux. L’emploi de claustras, réalisés avec des parpaing fabriqués sur mesure est une solution à la fois fonctionnelle et esthétique. Ces éléments permettent non seulement de tamiser la lumière, mais participent également au « design » de la façade, grâce à un travail sur les motifs et les rythmes. L’utilisation de grilles de béton monumentales, leur permet de mettre à l’ombre les pièces , de rendre lisible la structure et l’organisation spatiale du bâtiment et de nicher dans ces structures certains espaces de vie. Ce projet se démarque aussi par sa composition volumétrique originale et par le traitement audacieux des espaces de circulation au sein de celui-ci, avec notamment cet élément très fort qu’est cette tour de circulation verticale. Les espaces de distribution horizontaux sont eux aussi traités avec soins et grâce à leurs dimensions généreuses, parviennent à être des lieux de vie et pas uniquement des lieux de passage. La thématique de la transition, entre intérieur et extérieur, mais aussi entre public et privé, est aussi explorée de manière intéressante. Ce passage se fait dans l’édifice de manière progressive, grâce à des espaces tampons, qui sont des entre-deux permettant une transition douce. Le mélange des fonctions, avec un rez-de-chaussée commercial et des étages dédiés à l’habitation, mais également le mélange de types de logement, avec cette alternance de simplex et de duplex, viennent enrichir cette composition. Ces facteurs réunis font de cet édifice un exemple intéressant de Modernisme tropical. Ce projet datant des années cinquante illustre bien le changement qui s’est opéré à ce moment dans la manière de concevoir des bâtiments pour les colonies. Il montre comment à partir de ces années là le contexte et le climat vont progressivement devenir des sources d’inspiration pour les architectes Modernes portugais et façonner leurs bâtiments. On assiste alors à la naissance à Luanda et pour Luanda d’un Modernisme revisité, pour qu’il puisse être adapté à ce lieu. Si les années cinquante marquent le début de ce Modernisme métissé, c’est dans les années soixante qu’il atteindra son apogée à travers des projets comme celui de l’ Edificio Servidores do Estado.
photographies de la page de droite, de gauche à droite et haut en bas: vue de la cage d’escalier ©Margarida Quintã vue de la façade sur rue © Ana Magalhães détail de la façade sur rue © João Vieira Caldas vue de la connection entre la tour de circulation et le corps du bâtiment © João Vieira Caldas détails de la facade arrière: claustras, galeries et coursives ©Margarida Quintã détails de la tour de circulation © Ana Toestões source: TOESTÕES, Ana. Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique. Caleidoscope, septembre 2014. 480 p.
Cet immeuble projeté par Vasco Vieira da Costa, témoigne à la fois de la grande influence de Le Corbusier, pour qui il a travaillé dans l’atelier Rue de Sèvre à Paris et d’une volonté de créer une architecture en harmonie avec son contexte. En 1965, Vasco Vieira da Costa projette cet édifice de logements, destiné à héberger les fonctionnaires publics envoyés à Luanda. Le terrain qui doit accueillir le projet se situe le long d’une des artères principales du centre de Luanda, la Rua Amilcar Cabral anciennement dénommée Rua Serpa Pinto. La géométrie du terrain et l’obligation de suivre l’alignement urbain, font que l’édifice ne bénéficie pas d’une orientation idéale en terme de ventilation. Celui-ci orienté Nord-Est / Sud-Ouest, est presque parallèle aux vents dominants, qui eux proviennent du Sud-ouest et remontent vers le Nord-Est. Réussir à obtenir des espaces bien ventilés malgré cet handicap est un des défis que Vasco Vieira da Costa a dû relever. Pour ce qui est de l’orientation solaire, la façade de la Rua Padre Francisco Gouveia est orientée Est, tandis que la façade de la Rua Amilcar Cabral est orientée Ouest. La première doit donc être protégée du soleil le matin et la deuxième l’après-midi. La construction de ces logements de fonction étant financée par l’État et le budget alloué par celui-ci étant restreint, trouver des moyens de réduire les coûts de construction tout en produisant des espaces qualitatifs, est également une des préoccupation de l’architecte. Finalement le bâtiment donnant sur une artère importante de la ville, Vasco Vieira da Costa, traite avec une attention particulière le rapport entre le bâtiment et la ville, son insertion dans celle-ci et la transition de la rue vers le bâtiment. C’est quatre facteurs combinés à la volonté que l’on retrouve dans l’ensemble des projets de cet architecte de créer une architecture adaptée au climat, mais également techniquement efficace et esthétiquement innovante, seront à l’origine de la création de ce projet. L’Edificio dos Servidores do Estado est une barre de logement, tout en longueur, qui s’étend sur quatre-vingt mètres de long. L’immeuble compte cinq étages, il est compris entre deux axes de circulation, la très mouvementée Rua Amilcar Cabral et la plus calme et plus étroite Rua Padre Francisco Gouveia. L’architecte décide de laisser le rez-de-chaussée libre, comme le préconise les « cinq points de l’architecture » de Le Corbusier. Cet espace est pensé comme un grand espace public, dans lequel la rue vient se prolonger. La pente naturelle du terrain fait que l’hauteur dégagée par les pilotis varie, on passe d’un espace très tenu avec tout juste un mètre quatre-vingt-dix sous plafond à l’extrémité Nord-Est du bâtiment, à un espace monumental de près de six mètres sous plafond à l’extrémité Sud-Ouest. Le matériau prédominant est le béton, il est utilisé aussi bien pour la structure, que pour des éléments de second œuvre, tels que les cloisons. Afin de respecter les contraintes budgétaire et faire baisser les coûts de chantier, l’architecte va recourir à des éléments de béton et de bois préfabriqués et assemblés à sec, soit sans mortier, grâce à des systèmes d’emboitement des éléments. L’accès aux étages se fait grâce à deux cages d’escalier, accessibles depuis la Rua Padre Francisco Gouveia. Il n’y a pas de hall d’entrée, ni de grille, les escaliers donnent directement sur le trottoir et sont donc très publics. Ils sont contenus dans deux volumes qui se détachent de la façade, qui sont protégés par des claustras en béton composés d’élément verticaux. Ainsi ces cages d’escalier donnent à cette façade très horizontales, un peu de « verticalité ». Ces cages d’escalier donnent sur une coursive de deux mètres de profondeur qui longe l’ensemble du bâtiment et permet de desservir les six appartements que l’on trouve par étage. Cette coursive est un espace semi-public, qui ne joue pas uniquement un rôle distributif mais assure également la transition entre ces escaliers très ouverts sur la ville et l’espace du logement, qui lui est privé. Cette transition se fait en plusieurs étapes et cette coursive est la première.
Cet espace qui est emprunté quotidiennement par les habitants des appartements pour se rendre ou sortir de chez eux et également investi par ceux-ci. Les enfants y jouent, des pots de plantes y sont entreposés, les jeunes s’y installent pour discuter et admirer le va vient des passants au pied de l’immeuble. Cette coursive est séparée des appartements par un vide de un mètre cinquante de large, traversée par de petites passerelles, qui permettent d’accéder à chaque appartement. Ce vide marque clairement le passage du semi-public, de l’espace collectif et partagé, vers un espace pleinement privé, le chez-soi. Dans cet immeuble ou cage d’escalier et coursive sont des espaces auxquels théoriquement tout le monde peut accéder, ce vide a pour rôle de protéger l’intimité des habitants de l’immeuble et de mettre littéralement une distance entre les ouvertures du logements donnant sur cet espaces et d’éventuels curieux. Les passerelles d’accès aux appartements sont protégées par des grillages et des portes. Ces espaces extérieurs et ouverts fonctionnent comme des porches d’entrée, que l’on traverse avant de rentrer dans son appartement et où on peut laisser son vélo, mettre une assise ou quelques pots de fleurs décoratifs. Ils sont le denier seuil entre le dehors et le dedans. Par étages on compte six appartements et donc trente en tout. Tous les étages sont identiques et on y trouve un appartement de type T2 et cinq de type T4. Les dimensions des appartements sont généreuses. 81,30 mètres carrés pour les T2 et 166,10 mètres carrés pour les T4. L’immeuble se découpe en vingt-deux travées de 3,60 mètres chacune. Les T2 comptent deux travées, l’une est presque entièrement occupée par un grand séjour, compris entre un espace d’entrée et une loggia de trois mètres de profondeur, donnant sur la Rua Amilcar Cabral. Dans la deuxième travée, on trouve les pièces d’eau côté coursive et une chambre qui elle donne sur la loggia. Pour ce qui est des T4, ils comptent quatre trames, avec une séparation « jour/nuit ». Dans les deux trames « jour » on retrouve côté coursive, l’entrée, la cuisine et le cellier, tandis que le salon lui s’ouvre sur la loggia dans laquelle il se prolonge. Dans les trames « nuit », on trouve une grande salle de bain et trois chambres, une chambre de service ouverte sur la coursive et deux autres donnant sur la Rua Amilcar Cabral et débouchant sur deux balconnets. En ce qui concerne l’aspect thermique, afin de créer des espaces confortables et agréables à vivre, Vasco Vieira da Costa va employer divers dispositifs architecturaux. Il a recours comme on a pu le voir dans d’autres bâtiments à Luanda au système de « double enveloppe » du bâtiment. Du côté Est, donnant sur la Rua Padre Francisco Gouveia, les 3.50 mètres que représente l’épaisseur de la coursive et du vide, joue le rôle d’espace tampon. Cet espace ouvert, ventilé et lumineux, permet de mettre les appartements aux frais. Du côté de la Rua Amilcar Cabral c’est l’épaisseur des loggias qui joue un rôle de régulateur thermique et qui permet de protéger le salon et les chambres de l’incidence du soleil à certaines heures de la journée. Les garde-corps des loggias, sont des cadres en béton évidées, rempli d’une simple grille métallique, afin que ces éléments ne fassent pas obstacle à la ventilation des appartements en partie basse. Cependant la seule présence de cette double façade de part et d’autre du bâtiment ne permet pas d’assurer à toutes heures une protection efficace contre le soleil, pour palier à cela l’architecte protège les ouvertures grâce à des dispositifs fixes ou mobiles,qui laissent passer l’air tout en filtrant la lumière. Vasco Vieira da Costa utilise des claustras en béton pour protéger certains espaces et ouvertures. Les cages d’escalier par exemple sont comprises entre deux murs « poreux » l’un constitué d’un claustra composé d’éléments en béton verticaux, et l’autre, séparant les cages d’escalier des coursives, est composé de parpaings évidés. Sur les deux autres côtés les cages sont ouvertes et simplement protégées par un garde corps d’un mètre de haut.
On retrouve le même claustra en parpaings évidés sur la façade Ouest, ceux-ci protègent les chambres du soleil et permettent une très bonne ventilation de celles-ci. Toujours sur la façade Ouest, les grandes baies des salons sont protégées par un systèmes de persiennes mobiles et ajustables. À l’Est, côté coursive, on retrouve également ce même système de persiennes mobiles, dont l’angle des lames peut être réglé, pour réguler l’entrer de la lumière et du vent mais également pour avoir plus ou moins d’intimité, notamment dans le cas des chambres. Les impostes de ces fenêtres sont elles aussi ventilées grâce à un système de lames de bois verticales fixes. L’architecte a également trouvé des astuces pour faire en sorte que le cloisonnements des espaces n’empêche pas la circulation de l’air au sein des appartements, qui sont tous traversants. Il utilise des cloisons qui ne sont pas entièrement pleines. C’est le cas pour le mur qui sépare les chambres du couloir, ou encore l’imposte qui sépare le salon de la loggia. Tous deux sont en partie évidés et un système de lames de bois verticales pivotantes permet de rendre ces parois perméables à l’air. Quand aux portes elles sont équipées de lames horizontale de bois ou de verre, qui laissent passer l’air et parfois la également la lumière. Le traitement du rez-de-chaussée et l’ouverture du bâtiment sur la ville qu’il permet. Le passage très intéressant du public au privé grâce à une succession de paliers. La richesse de la réflexion sur la confort thermique, qui fait que malgré une orientation handicapante notamment en matière de ventilation, on obtient un bâtiment abondamment ventilé, avec des pièces lumineuses mais fraiches. Toutes ces qualités que l’architecte a réussi à conférer à ce bâtiment, malgré un budget limité qui exigeait efficacité et rationalité constructive, font de l’Edificio dos Servidores do Estado un exemple exceptionnel de Modernisme tropical.
photographie ci-contre : Edificio para los Servidores del Estado Vasco Vieira da Costa, 1965 Source: Archive Modernidad Ignorada (Novembre 2013) source: http://cargocollective.com/ arquitecturamodernaluanda/
Avec ces deux exemples que sont l’Edificio Cirilo & Irmãos et l’Edificio dos Servidores do Estado, on peut voir comment le climat a agit sur les œuvres des architectes de la Geração Africana. La nécessité de se plier à celui-ci, combinée à la volonté de tirer profit des caractéristiques de ce climat, le tout dans le but de créer un habitat confortable, les a poussé à réinterpréter l’esthétique Moderne. Leurs bâtiments tout en conservant des éléments propres au langage architectural de ce mouvement, vont s’enrichir de dispositifs, tels que des persiennes, des claustras et des brise-soleils aux dimensions parfois monumentales, qui sont aussi bien fonctionnels, qu’esthétiques et qui leur confèrent une identité propre. Leur réflexion ne s’arrête d’ailleurs pas aux questions climatiques, on peut voir en étudiant ces deux édifices que les architectes de la Geração Africana, cherchent a créer un habitat en adéquation avec le mode de vie de cette population portugaise installée à Luanda. Ils crée des espaces permettant cette vie en communauté et « à l’air libre », pour ces familles qui veulent pouvoir passer du temps en extérieur sans souffrir les désagréments d’une exposition directe au soleil et avoir des espaces pour se croiser, se regrouper et partager. Pour répondre à cette demande ils ont un traitement original des espaces de circulation, dont ils font des lieux de vie à part entière, aux dimensions généreuses, pour qu’ils puissent être investis et partagés par les habitants. Ils mènent également une réflexion très intéressante sur le passage du public au privé, avec une multiplication des paliers. Cette transition ils la veulent douce et progressive, pour offrir aux habitants de ces immeubles à la fois le sentiment de faire partie d’une communauté, tout en leur garantissant une intimité. Ces deux questions majeures, celle de l’adaptation au climat et celle de la prise en compte du mode de vie d’une société nouvelle, vont permettre aux architectes de la Geração Africana de s’éloigner des modèles d’habitat Moderne européens, et d’imaginer des édifices originaux. Cette originalité ont la retrouve aussi bien dans leur volumétrie, que dans leur organisation spatiale ou leur esthétique. photographie ci-dessus : Edificio para los Servidores del Estado Vasco Vieira da Costa, 1965 Source: Archive Modernidad Ignorada (Novembre 2013) source: http://cargocollective.com/ arquitecturamodernaluanda/
Cela fait déjà de cette production une œuvre unique, mais on verra que dans les dernières années de la colonisation, l’influence du lieu sur la production de ces architectes deviendra encore plus visible dans leurs propositions. Leur version du Modernisme s’enrichira d’éléments empruntés à l’art et la culture locale et plus que jamais on pourra parler de transculturalité et de syncrétisme, qui porteront à son apogée ce Modernisme métissé.
c - l’ esthétique tropicale ou le syncrétisme culturel: la forme et la couleur dans les immeubles coloniaux à Luanda
photographies de la page de gauche, de gauche à droite et haut en bas: Schéma 1 : exposition solaire des appartements Schéma 2 : Circulation de l’air au sein des appartements Vue de la cage d’escalier et des claustras Vue de la coursive et du vide de 1,50 mètres Vue de la coursive et d’un portail d’entrée ajouté par les habitants, depuis la passerelle d’accès à un appartement Vue des coursives et des cages d’escaliers de la façade Rua Padre Francisco Gouveia. Détails 1 : une paroi ventilée grâce à des persiennes horizontales Détails 2 : une baie donnant sur la coursive, protégée par un grillage ajouté par les habitants Vue d’un séjour se prolongeant sur ce qui était la loggia, depuis annexée par les habitants source: TOESTÕES, Ana. Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique. Caleidoscope, septembre 2014. 480 p.
En mettant côte à côte la production des architectes Modernes portugais des années quarante et celle des années soixante on peut clairement voir comment au fil du temps leurs bâtiments se sont teintés d’une certaine Angolanidade. Dans un premier temps on peut déjà se pencher sur la question chromatique et voir comment l’usage de la couleur a évolué dans ces bâtiments entre ces deux dates. Dans les années quarante, quand on voit apparaître à Luanda les toutes premières constructions Modernes, celle-ci présentent des façades où les tons pastels prédominent, comme s’était déjà le cas pour la plupart des édifices coloniaux. Du blanc ou du beige avec quelques touches de rose pâle ou de jaune, voire simplement le gris du béton laissé à nu. Les couleurs plus vives et voyantes étaient jusque là réservées aux bâtiment publics et administratifs, qui eux été peints selon un code couleur. Du vieux rose pour les bâtiments administratifs, du bleu ciel pour les locaux des forces de police et du jaune pâle pour les hôpitaux. Mais à partir des années cinquante on voit que la couleur devient de plus en plus présente sur les façades de la capitale et que les tons pastels sont petit à petit délaissés pour des couleurs plus chaudes. Du bleu canard, de l’orange, du vert menthe, du jaune moutarde et même du rouge. Ces touches de couleurs sont amenées grâce à de la peinture, mais aussi grâce à l’utilisation de petits carreaux en céramique formant des mosaïques colorées. Les couleurs sont utilisées sur les balcons, les loggias, les coursives, les escaliers et dans les halls d’entrée principalement. Elles permettent de rendre plus lisible la composition des façades et de leur donner davantage de rythme en faisant ressortir certains éléments. Au départ les mosaïques étaient essentiellement employées pour créer des surfaces monochromes ou des motifs relativement simples, obtenus en alternant différentes couleurs de carreau. Progressivement les panneaux de mosaïque vont gagner en complexité. On va voir apparaître de véritables muraux de céramiques, dépeignant des paysages, des personnages ou des animaux. Ces tableaux de céramiques seront utilisés pour adorner les espaces communs et certaines façades. Si l’utilisation de mosaïque de céramique pour décorer les bâtiments n’est pas une pratique nouvelle, notamment dans l’architecture portugaise, ce qui l’est c’est le passage d’un style typiquement portugais à une expression plastiques de plus en plus locale. Déjà sur les murs de la forteresse de São Miguel, on pouvait observer un grand nombre de panneaux d’azulejo, dépeignant les exploits de navigateurs portugais mais également des paysages et des scènes de la vie locale. La faune et la flore angolaises, les villages autochtones et le baptême de la Reine Njinga Mbandi marquant sa conversion au catholicisme, sont représentés sur ces azulejos. Toutefois ceux-ci sont réalisés selon les règles de l’art de l’azulejaria portuguesa (7), des carreaux de céramique blancs sur lesquels on vient peindre en bleu.
(7) l’art de l’azulejo portugais
À partir de la fin des années cinquante, dans les muraux que l’on retrouve dans les bâtiments coloniaux, Modernes et tropicaux, l’art figuratif à la portugaise laisse place à des représentations plus abstraites. Celles-ci sont créées en associations des carreaux de céramique, de deux centimètres de côté et de couleur unie. En alternant les couleurs et travaillant minutieusement leur disposition, des motifs et des figures inspirés de la nature, des masques africains, de l’art populaire et du quotidien des angolais, font leur apparition.
Cette transition se doit au fait que la réalisation des ces mosaïques murales est alors confiée à des artistes locaux. Cela marque un tournant important car jusque là l’art angolais, était marginalisé voire même non-reconnu en tant qu’art. En faisant appel à des artistes angolais pour réaliser ces œuvres dans leurs bâtiments, ces architectes leur ont offert l’opportunité de s’exprimer et mettre en avant leur art. L’influence de la culture et de l’art local sur la production des architectes de la Geração Africana ne se limitent pas à l’aspect décoratif, la volumétrie même de leurs édifices va être remodelée et on voit ainsi apparaître des formes nouvelles. Dans les immeubles de logements, en raison des nombreuses contraintes posées par ce type de programme, cette recherche sera limitée et la barre et la tour resteront le modèle dominant.
Vert, Rouge et Bleu - de la couleur sur les façades des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux ©Romana Nanga
Mosaiques , couleurs et motifs dans les immeubles coloniaux, Modernes et Tropicaxux Banco de Poupança e Credito © Cuca Freches source: http://luandahistoriadeumaarquitectura.blogspot.com/
Cependant dans des bâtiments destinés à accueillir des usages moins formellement contraignants, les architectes Modernes portugais vont délaisser l’angle droit, pour tendre vers des géométries plus complexes et même oser la courbe. Certains programme se prêteront particulièrement bien à ces expérimentations plastiques, c’est le cas des églises, des cinémas et même de bâtiments plus fonctionnels comme des laboratoires. Les bâtiments du Laboratório de Engenharia de Angola- L.E.A., projetés par Vasco Vieira da Costa en 1963, sont un bon exemple de cette architecture plus plastiques. Dans ce complexe d’environ sept hectares, les différentes fonctions sont reparties dans divers bâtiments aux volumétries variées. L’organisation générale du Laboratório de Engenharia de Angola, rappelle celle d’une petite ville et l’architecte s’attarde notamment sur la question de la circulation au sein de celle-ci, distinguant parcours piétons et automobiles. Si chaque fonction se traduit par une solution formelle différente, des éléments récurrents, comme les claustras en parpaings évidés ou l’emploie de couleurs comme le orange, le blanc et le vert menthe, permettent de donner à l’ensemble une cohérence et une unité. Les bâtiments les plus intéressants de ce complexe sont ceux abritant de plus petits laboratoires. Ces quatre unités indépendantes sont séparées par des cours. Un mur orange interrompu par des grilles permettant l’accès aux cours relie les quatre bâtiments et permet de lire ces différents éléments comme un ensemble. Les bâtiments sont formellement simples, des édifices au plan rectangulaire, construit en rez-de-chaussée mais ayant une grande hauteur sous plafond, avec pour couverture un toit à deux pans en tôles. Ces bâtiments peint en blanc, sont très opaques, seul des ouvertures en partie haute des murs latéraux permettent leur ventilation. Ce qui fait leur particularité c’est la manière dont les façades avant et arrière viennent découper le mur d’enceinte, faisant ainsi apparaître des formes hexagonales. Celles-ci sont ensuite divisées en deux par un poteau orange et les deux gouttières oranges qui longent les pans de la toiture viennent traverser cette façade. L’architecte parvient ainsi en jouant avec des éléments très simples, un mur d’enceinte et des bâtiments à la volumétrie plutôt banale, à obtenir un résultat sculptural, très plastique, qui rappelle la géométrie des masques africains.
Laboratorio de Ingeniería de Angola (LEA) - Vasco Vieira da Costa, 1965 © Maria João Teles Grilo source: http://cargocollective.com/arquitecturamodernaluanda/
Laboratorio de Ingeniería de Angola (LEA) - Vasco Vieira da Costa, 1965 © Ana Toestões source: TOESTÕES, Ana. Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique. Caleidoscope, septembre 2014. 480 p.
Laboratorio de Ingeniería de Angola (LEA) © João Vieira Caldas source: TOESTÕES, Ana. Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique. Caleidoscope, septembre 2014. 480 p.
Ces bâtiments témoignent de l’influence que l’art local a pu avoir sur la production des architectes Modernes en Angola. Toutefois si à Luanda on peut trouver quelques exemples comme les édifices du Laboratório de Engenharia de Angola, c’est dans les autres villes du pays que l’on peut voir les réalisations les plus parlantes, l’une d’entre elles étant le Cine-Estudio. Construit en 1972 dans la province de Namibe et projetée par l’architecte Bothelho Pereira, cette salle de cinéma ronde intrigue depuis les habitants de la ville et ceux qui passent par là. Sa forme étonnante se doit à la volonté de l’architecte de réinterpréter la structure de la Welwitschia Mirabilis. Cette plante rare se trouve uniquement dans le désert du Namibe, qui s’étend du Sud de l’Angola à la Namibie. La Welwitschia fascine par son apparence, sa rareté, sa longévité, certains spécimens ayant entre mille et deux mille ans et ses dimensions, elle peut atteindre jusqu’à 1,50 mètres de haut pour 4 mètres de diamètre. La Welwitschia fait partie des emblèmes de l’Angola. Le bâtiment, un dôme de béton se prolongeant par des poteaux, enferme une deuxième structure formée de poteaux sculpturaux reliés par une poutre circulaire. Aucune fenêtre ne vient clore l’espace, qui est donc couvert mais ouvert. Cette salle de cinéma à l’air libre est un projet qui illustre la volonté des architectes Modernes portugais de créer en Angola des bâtiments destinés à accueillir ce mode de vie tropical déjà évoqué précédemment. Certains voient cet édifice aux dimensions imposantes, vingt mètres de hauteur pour presque soixante-dix mètres de diamètre, comme un O.V.N.I. (8), d’autres comme un étrange insecte à carapace ou encore un crustacé. En dessinant ce bâtiment Bothelho Pereira a définitivement réussi a créer une forme à la fois futuriste et organique. Ce cinéma devait être le premier de la ville, mais depuis la conclusion du chantier en 1975, à la veille de l’indépendance, il n’a jamais été en usage. Aujourd’hui certains habitants de la province ne savent même pas qu’il s’agit en réalité d’un cinéma et ceux qui le savent regrettent qu’il ne soit pas réhabilité, pour pouvoir enfin être investi par les habitants de cette ville qui jusqu’à aujourd’hui n’ont pas de salle obscure. En attendant le bâtiment sert de repère à des jeunes qui y pratiquent des activités parfois illégales et de tant en tant quelques voyageurs curieux s’y arrêtent, le temps de l’immortaliser sur quelques jolis clichés.
(8) Objet Volant Non Identifié
Welwitschia Mirabilis source: https://worldofsucculents.com/welwitschia-mirabilis-tree-tumbo-tumboa/
Cine-Estudio Namibe source: http://odesterrodoarquitecto.blogspot.com/2006/07/o-cine-estudio-do-namibe.html
Ce bâtiment bien que à l’abandon depuis quarante-trois ans, reste un très bel exemple de ce à quoi peut aboutir un savant mélange entre techniques et matériaux modernes et des inspirations puisées directement dans le site, dans la faune, la flore, l’art et les traditions qu’il renferme. Ces interactions entre le lieu et l’esthétique Moderne, qui se traduisent à travers la couleur, l’art et la forme dans les bâtiments des architectes de la Geração Africana, nous permettent de parler de métissage de l’architecture Moderne. La preuve de ce métissage est qu’aujourd’hui en regardant les édifices, construits entre 1950 et 1975 en Angola par ces architectes, comme des éléments isolés, pris en dehors de tout contexte, on peut tout de même saisir un certain nombre d’informations. Grâce à leur matérialité, leur système constructif, leur volumétrie et la présence d’éléments tels que des pilotis, des coursives ou des toitures terrasses, on peut établir un lien de parenté avec la production des architectes du mouvement Moderne. Leurs dates de construction permettent de confirmer qu’ils sont l’oeuvre d’architectes Modernes.
Par ailleurs la présence de nombreux dispositifs climatiques pousse à penser que ces bâtiments ont été construits pour un climat chaud, où on veut pouvoir réguler l’incidence solaire et capter le vent. En s’attardant sur l’abondance de loggias, de balcons et de coursives, on comprend que dans la société pour laquelle ils ont été construits, de nombreuses activités se déroulent en extérieur, et que ces espaces sont prisés. En analysant l’orientation des bâtiments et le traitement des façades, on comprend aussi que ces édifices se situent dans l’hémisphère sud, où le soleil se lève à l’Est, où il culmine au Nord et se couche à l’Ouest. C’est différentes observations nous permettent d’arriver à la conclusion qu’il s’agit d’édifices Modernes, mais construit dans l’hémisphère Sud. Or nous savons que des architectes affiliés à ce mouvement ont construit à cette période en Amérique Latine et en Afrique de nombreux édifices, on peut donc déduire qu’il s’agit d’édifices appartenant à cette production. En nous attardant sur des détails, comme les couleurs, la plastique des façades ou les représentations graphiques, on peut entrevoir des références plus ou moins évidentes à l’art africain, et supposer que ces édifices soient situés sur ce continent. Le fait qu’une observation minutieuse et une analyse des éléments, nous permettent de situer géographiquement cette production Moderne, justifie que l’on puisse parler d’une architecture Moderne métissée. Ces bâtiments ne sont pas de simples reproductions d’édifices construit en Europe, selon les principes de ce mouvement, transposés sous d’autres latitudes. Ces édifices présentent des caractéristiques uniques, conséquence du lieu et du climat auxquels ils sont destinés et en ce sens ils ont quelque chose de locale, malgré le fait qu’ils soient des dérivés d’un modèle qui lui est importé d’Europe. Ce métissage du langage Moderne, qui à présent porte l’empreinte du climat, de l’art et des traditions du lieu ou il s’insère, font que le simple terme Moderne ne suffise plus à qualifier cette architecture. On parle alors d’architecture Moderne tropicale, un courant à part entière, transculturel, qui dans notre cas est à la fois européen et angolais. Ce syncrétisme c’est le climat qui l’a rendu inévitable, mais comme on a pu le voir il dépasse la simple question climatique et devient aussi un mélange d’influences culturelles. Cela nous permet donc de répondre à la question précédemment posée et d’affirmer que la production des architectes Modernes portugais en Angola a bien une dimension locale et authentique. Les édifices construits dans les trois dernières décennies de la période coloniale, étaient dès le départ porteurs de caractéristiques que le site leur avait conférées. Qui plus est, quarante-trois ans d’occupation de ces espaces par des familles angolaises, qui s’y sont adapté, mais qui se les sont également appropriés, ont fini d’encrer ces constructions dans la réalité angolaise, dont ils sont aujourd’hui indissociables. C’est à ce double processus d’adaptation qui a aboutit à la « naturalisation » de l’architecture coloniale, Moderne et tropicale, que nous allons nous intéresser à présent. photographies de la page de droite, de haut en bas: prédio Totem, Huambo, Angola. ©Nzo Iami Source : Angola Modernism Mosaique du hall du prédio Cirilo & Irmãos. © Margarida Quintã source: TOESTÕES, Ana. Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique. Caleidoscope, septembre 2014. 480 p. prédio Avenida de Portugal ©Nzo Iami Source : Angola Modernism
B - LA DOUBLE ADAPTATION :
l’immeuble colonial investi par les Luandais a - habiter l’immeuble colonial, s’adapter au lieu : mêmes espaces pour de nouveaux usagers
En 1961 ont lieu à Luanda, mais surtout dans le Nord du pays, les premières révoltes menées par les divers mouvements indépendantistes angolais, la répression est sanglante. L’année précédente de nombreux territoires colonisés du continent africain ont obtenu leur indépendance, dont le Congo, pays frontalier de l’Angola. Cette vague d’indépendance donne un nouveau souffle aux mouvements anti-colonialiste angolais et rapidement la population se mobilise autour de cette cause. Le Portugal se montre alors fortement opposé à l’idée de céder ce territoire d’outremer. Les investissements qu’il a entreprit depuis le début du vingtième siècle, commencent tout juste à porter leurs fruits grâce notamment à l’exportation du café. De plus Luanda est en pleine expansion, des grands travaux comme la construction des Unidades de Vizinhança de Prenda ou São Paulo sont en cours. Ce territoire vers lequel de plus en plus de familles portugaises migrent est devenu une vrai colonie de peuplement, entre 1950 et 1960 un peu plus de 100 000 Portugais arrivent en Angola. Il n’est donc absolument pas envisageable de concéder l’indépendance et le Portugal en réponse aux soulèvements de 1961, envoi soixante cinq mille soldats en Angola pour tenter de garder le contrôle sur le pays. Ce refus écarte la possibilité d’un processus de décolonisation pacifique et les deux parties prennent les armes pour défendre leurs intérêts respectifs. Les rivalités entre les différents partis indépendantistes notamment le MPLA, la UNITA et le FNLA (9), les empêchent de s’unir pour une cause commune. Chaque parti mène des actions dans différentes parties du pays, mais le manque de cohésion empêche la révolte populaire de prendre l’ ampleur nécessaire pour renverser le pouvoir colonial.
photographie de la page de gauche:
Cet état des choses dure pendant treize ans, à la longue le poids de cet effort de guerre pèse lourdement sur les finances du Portugal, où le chômage et la pauvreté accablent à cette période la classe populaire. A cela s’ajoute la pression des autres membres de L’OTAN (10), notamment des Etats-Unis, ainsi que celle des pays du bloc de l’Est, tous deux solidaires de la cause angolaise. Au début des années soixante-dix c’est donc un Portugal ayant perdu l’opinion publique qui se retrouve seul pour mener une guerre impopulaire, qu’il n’a plus les moyens financiers de poursuivre. Le 25 avril 1974, un coup d’Etat mené par des militaires, opposés aux guerres coloniales menées par le Portugal et largement soutenus par la classe ouvrière portugaise, renverse la dictature de Salazar. Cet épisode connu sous le nom de « révolution des oeillets », permet la mise en place d’un gouvernement démocratique, qui le 10 juillet 1974, vote en faveur du droit à l’autodétermination des territoires colonisés. L’Angola, représentée par les leaders des trois principaux partis indépendantistes le MPLA, la UNITA et le FNLA, négocie sont indépendance, dont la date est fixée au 11 novembre 1975. A Luanda le MPLA de Agostino Neto proclame la République Populaire de l’Angola, tandis qu’à Huambo, le FNLA et la UNITA de Holden Roberto et Jonas Savimbi proclament la République Démocratique d’Angola. Le Portugal n’en reconnaît dans un premier temps aucune et c’est une Angola divisée et au bord de la guerre intestine qui obtient son indépendance.
Interventions des habitants sur la façade d’un immeuble Col. Mod. Trop. © Romana Nanga
A cette date une parties des familles portugaises avaient déjà quitté le pays, notamment celles vivant dans les provinces, où les mouvements de révolte étaient plus fort.
(9) Mouvement Populaire pour la Libération de l’Angola Union Nationale pour Indépendance Totale de l’Angola Front Nationale de Libération de l’Angola (10) L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, est une organisation politique et militaire en activité depuis la signature du traité de l’Atlantique Nord, le 4 avril 1949. Les pays membres, au nombre de douze à l’origine, parmi lesquels figuraient les Etats-Unis, la France, l’Italie et le Portugal, se sont engagés à oeuvrer ensemble pour assurer leur défense collective, dans un contexte de tensions globales, au lendemain de la seconde guerre mondiale et à l’aube de la guerre froide. L’organisation compte aujourd’hui vingt-neuf pays membres.
Toutefois une grande partie d’entre elles demeurent en Angola, notamment à Luanda, qui était hautement militarisée et sur laquelle l’administration coloniale portugaise avait gardait la main jusqu’à la fin. Ces familles, dont certaines étaient installées dans le pays depuis déjà plusieurs générations, voulurent rester en Angola après l’indépendance du pays. Cependant en 1976, le Portugal reconnaît la République Populaire d’Angola, gouvernée par le MPLA. S’en suivent de violents conflits armées menés par les deux autres partis, le FNLA de Holden Roberto, soutenu par les Etats-Unis et le Congo et la Unita de Jonas Savimbi, qui lui comptait sur le soutien de l’Afrique du Sud et de la Chine. Ces conflits font quarante mille morts et visent notamment les familles portugaises restées en Angola. Après cet épisode la vaste majorité des quatre cents mille portugais présent en Angola ayant survécus à cette vague de violence quitteront promptement le pays, laissant derrières eux la plupart de leurs biens et notamment des logements vacants. C’est ainsi que débute l’occupation des immeubles coloniaux, Moderne et tropicaux de Luanda, par les familles angolaises.
Les maisons et les appartements du centre ville de Luanda, alors occupés et réservés aux colons, sont investis par les familles angolaises venues des mussuques avoisinants. Cette occupation se fait de manière spontanée, profitant de la confusion qui règne dans la ville et du fait que les autorités, les militaires et les forces de police soient entièrement mobilisés pour réprimer les assauts du FNLA et de la UNITA. Après le retour au calme, l’Etat ne déloge pas ces familles et procède à une régularisation de leur situation. Quant aux appartements encore vacants, ils sont distribués par le gouvernement communiste du MPLA à des camarades jugés méritant. C’est la première fois que des familles angolaises vivent dans des appartements, jusque là celles-ci n’avaient connu que la case ancestrale, puis la cubata des musseques et pour quelques unes les maisons en bande, imaginées pour elles par les architectes portugais du Gabinete de Urbanização. Le passage d’un habitat de plein de pied à un habitat vertical, demandera à ces familles un effort d’adaptation. Dans les années soixante-dix la cubata du musseque, est une maison aux dimensions modestes et à l’organisation intérieure relativement simple. Parfois une pièce unique accueille différentes activités selon l’heure de la journée et le plus souvent quelques éléments de partition permettent de créer une division « jour/nuit », avec d’une part un espace de séjour et de l’autre l’espace du sommeil. La maison est construite en éléments de maçonnerie, briques creuses le plus souvent et parfois parpaings. Les toitures, généralement à deux pans, sont en tôle ondulée, et ce malgré le fait que ce matériau favorise l’accumulation de la chaleur dans les espaces et soit à l’origine d’importantes nuisances sonores pendant les pluies.
photographie ci-dessus: la foule devant le palais du Gouvernement à Luanda exigeant d’être rapatriée plus rapide rapidement. Luanda juin 1976. source: https://observador.pt/ especiais/tirem-nos-daqui/
La maison est contenue dans un parcelle plus vaste délimitée par une enceinte et cet espace extérieur à usage privatif est le prolongement de l’habitation. C’est dans ces cours au sol de terre battue que se déroulent bon nombre d’activités domestiques, notamment la cuisine, qui se fait au charbon à l’aide d’un réchaud et la toilette qui se fait grâce à des bassines et un système de toilette sèche. C’est également dans cet espace que l’on va laver son linge et le faire sécher. La cours est le lieu de l’eau, qui est totalement absente à l’intérieur de la maison, celle-ci est stockée dans des réservoirs, qu’il faut alimenter en achetant l’eau ou en allant la puiser. En plus d’accueillir les activités domestiques la cours est aussi un lieu de séjour, on y passe beaucoup de temps et on ne la quitte pratiquement que la nuit pour se réfugier dans l’abri de la maison. C’est dans la cours que les enfants jouent, que l’on discute entre amis, que l’on reçoit sa famille ou que l’on fait sa sieste l’après-midi à l’ombre d’un arbre. La cours est également un lieu de production, on y fait pousser quelques légumes et des arbres fruitiers comme des bananiers, des manguiers ou des papayers. On y élève aussi des animaux, comme des poules, des chèvres ou des cochons. Il y a dans les musseques encore une forme de production agricole et d’élevage à domicile. Quand à la structure familiale, elle est étendue, on compte généralement plus de dix personnes vivant au sein d’un même foyer. Un couple parental et leurs enfants dont le nombre est rarement inférieur à cinq et à eux peuvent venir s’ajouter d’autres membres de la famille. Des grands-parents qui dans cette société vivent rarement seuls et qui habitent la plupart du temps chez l’un de leurs enfants. Des nièces et des neuves, voire des cousins et des cousines, souvent venus des provinces à la recherche d’opportunités dans la capitale. Ils sont alors recueillis par des membres de leur famille et en général en échange d’un logement, ils participent aux tâches ménagères et s’occupent des enfants en bas âges. Les veufs et les célibataires vont également parfois vivre chez leur frères et sœurs, pour ne pas être isolés. Rares sont les foyers où seul vit une famille nucléaire, le modèle dominant étant celui de la famille nombreuse et étendue. Alors comment ces familles d’une dizaine de personnes vivant dans des cubatas dans les musseques de Luanda, se sont adaptées aux appartements des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux et à la vie « à la vertical » ?
(11) Manuel Rui Alves Monteiro (1941- ) est un écrivain angolais connu notamment pour ces romans qui prennent la forme de satires sociales. Il y dépeint d’un œil critique mais avec humour, la réalité politique et sociale de l’Angola. Il est par ailleurs le fondateur de l’Union des Ecrivains Angolais et ont lui doit les paroles de l’hymne national angolais l’ Angola Avante. (12) termes employés dans la traduction française du livre Quem me dera ser onda de Manuel Rui, intitulée Le porc épique , paru en 1999.
Dans un premier temps elles se sont adaptées à la perte du rapport au sol, car dans les immeubles du centre ville de Luanda, les appartements en rez-de-chaussée sont très rares et on vit en hauteur, dans des immeubles comptant parfois une dizaine d’étages. En perdant ce rapport au sol, ces familles perdent également l’espace de la cour, qui est un espace d’une grande importance dans la maison des musseques. Cette perte est quelque peu compensée par la présence des balcons, des loggias et des coursives communes, qui permettent à ces familles de continuer à avoir des espaces extérieurs, en prolongement de leur logement. Cependant la « terre » elle est vraiment perdue et avec elle la possibilité de cultiver à domicile, et d’auto-produire une partie des fruits et des légumes consommés au sein du foyer. La vie en immeuble s’avère aussi incompatible avec l’élevage d’animaux, pour qui il n’y a point de place. Malgré cela certaines familles s’aventurèrent à élever des poules en immeuble, mais cette pratique conduit rapidement à des problèmes de voisinage, car la promiscuité entre les habitations rend la présence d’animaux incommode, en raison notamment du bruit et des odeurs. La perte de cette dimension productive du logement s’est faite particulièrement ressentir pendant les années communistes du pays, durant lesquelles avoir de la viande ou des fruits était devenu un vrai luxe pour les familles angolaises. Dans son livre Quem me dera ser onda l’écrivain angolais Manuel Rui (11), raconte justement les péripéties d’une famille tentant d’élever et d’engraisser en cachette un cochon de lait dans un appartement de Luanda. Il se réfère à cette période comme celle du « manioquisme » et du « poisson-fristisme » (12), moquant ainsi la monotonie alimentaire de la famille moyenne de l’Angola socialiste.
La vie en immeuble vient aussi avec un certain nombre davantages, l’accès à l’eau et à l’électricité notamment sont facilités puisque contrairement aux cubatas des musseques, les immeubles du centre ville sont raccordés aux réseaux urbains. La cuisine et la toilette qui dans les cubatas se faisaient à l’extérieur, ont ici des pièces qui leur sont consacrées à l’intérieur du logement. Des salles de bains avec baignoire, lavabo, bidet et toilette, ainsi qu’une cuisine équipée, avec plan de travail et gazinière. Ce mobilier, marque du confort moderne, les familles angolaises doivent apprendre à s’en servir et s’y habituer, changeant ainsi progressivement leurs habitudes et leur mode de vie. Dans ces appartements aux dimensions plutôt généreuses, comme on a pu le voir avec l’exemple de l’Edificio dos Servidores do Estado, où un T2 fait quatre-vingt-dix mètres carrés et un T4 le double de cette surface, l’espace est beaucoup plus partitionné que dans les cubatas. On compte au minimum quatre pièces, le séjours, la cuisine, la salle de bain et la chambre, auxquelles viennent souvent s’ajouter des chambres de service, des cagibis, des loggias ou des balcons. Chaque pièce est spécialisée et se destine à accueillir un nombre restreint d’activités spécifiques, qui se déroulent à des moments précis de la journée. Ensemble ces pièces doivent pouvoir accueillir toutes les activités domestiques, il n’y a plus « besoin » de sortir du logement et les espaces extérieurs sont « en plus », mais pas indispensable au logements comme c’est le cas pour la cubata. On le voit d’ailleurs à l’inversion du rapport de taille, dans la cubata la cour est plus grande que la maison, dans l’immeuble colonial, Moderne et tropical, les espaces extérieurs sont réduits et le logement gagne enenvergure. Les familles angolaises doivent donc s’adapter à cette manière de vivre en hauteur, dans des appartements dont la configuration et le mobilier leur sont étrangers. Dans ces appartements prévus pour des familles nucléaires portugaises comptant en moyenne quatre à six personnes, vivent à présent des familles angolaises de plus d’une dizaine de personnes et ce doublement voire triplement des effectifs, se traduit par le besoin d’occuper l’espace du logement différemment, voire de le modifier. L’adaptation se fera donc dans les deux sens, la famille angolaise s’adaptera à la vie dans les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux de Luanda, mais adaptera aussi ces espaces à ses besoins. photographies de la page de droite, de haut en bas: Photographie d’une famille portugaise sur un bateau au large de l’ile de Mussolo, Luanda, années 70. source : GARCIA Rita. Luanda Como Ela Era, 1960-1975. Oficina do Livro, septembre 2016. 240p. Luanda1975, les cubatas des musseques et les immeubles coloniaux Modernes et tropicaux source: https://observador.pt/especiais/ tirem-nos-daqui/ Photo de Victor Manuel Patissa et sa famille, Luanda, années 70. source: https://angodebates.blogspot. com/2016/06/rubrica-de-homenagem-ate-26-de-julho_18.html Image ci-contre : Casa no musseque, esquisso © José Almeida Santos source : https://suburbanodigital. blogspot.com/2018/03/ilustracao-de-um-musseque-em-angola-com-a-sua-tipologia-tipica-casa-quintal.html
OS COLONOS LES COLONS
« A CIDADE DE BETÃO » LA VILLE DE BÉTON
« A CIDADE DE CANIÇO » LA VILLE DE CHAUME
L U A N D A A N N E E S
70
OS « INDÍGENAS » LES « INDIGÈNES»
DE LA CASE PRÉ-COLONIAL À L’ APPARTEMENT « MODERNE»
ÉVOLUTION DE L’HABITAT DE LA FAMILLE ANGOLAISE À LUANDA
LA CASE PRÉ-COLONIAL - majoritairement ronde - matériaux de construction d’origine végétale (bois, chaume, terre, feuilles de palmier séchées...) choix des matériaux en fonction de l’emplacement des villages et des ressources disponibles à proximité - regroupées en villages, dont certains étaient protégés par une enceinte - l’enclos pour les animaux était indépendant de l’habitation - aucun élément de division au sein de la case - mobilier se limitant à des nattes posées à même le sol - cuisine et toilette à l’air libre
LA CASE DE LA PÉRIODE COLONIAL I - multiplication de cases carrées ou rectangulaires au détriment de la case ronde - matériaux de construction d’origine végétale (bois, chaume, terre, feuilles de palmier séchées...) choix des matériaux en fonction de l’emplacement des villages et des ressources disponibles à proximité - regroupées en villages - apparition de cases où l’enclos pour les animaux est rattaché à l’habitation - apparition d’éléments de menuiserie en façade (portes, fenêtres..) - apparition d’une division « jour/nuit » au sein de la case - complexification du mobilier, la natte est à présent posée sur un support en bois et apparition d’éléments de rangement pour disposer les différents outils et ustensiles - cuisine et toilette à l’air libre Hypothèse : influence de la ville et de la maison coloniale sur l’habitat autochtone
LA CASE DE LA PÉRIODE COLONIAL II
- case rectangulaire - matériaux de construction d’origine végétale (bois, chaume, terre, feuilles de palmier séchées...) choix des matériaux en fonction de l’emplacement des villages et des ressources disponibles à proximité - regroupées en villages - case contenue dans une parcelle clôturée - éléments de menuiserie en façade (portes, fenêtres..) - multiplication des divisions au sein de la case, avec notamment plusieurs espaces « nuits » - natte posée sur un support en bois -éléments de rangement pour disposer les différents outils et ustensiles - cuisine et toilette à l’air libre
Hypothèse : influence gransdissante de la ville et de la maison coloniale sur l’habitat autochtone
LA CUBATA DU MUSSEQUE
- rectangulaire - utilisation de nouveaux matériaux ( brique, tuile et tôle, dans un premier temps, puis parpaing et béton ) - regroupées en quartiers et musseques - case contenue dans une parcelle clôturée - éléments de menuiserie en façade (portes, fenêtres..) - apparition de pièces différenciées au sein de l’habitation (séjour et chambre) - salle de bain et toilette dans des pièces extérieurs indépendantes ( souvent en fond de cour, à l’arrière de la maison ) - cuisine à l’air libre
Hypothèse : influence gransdissante de la ville et de la maison coloniale, passage de la case de village à la maison de ville
HABITAT COLONIAL ,MODERNE ET TROPICAL POUR LA POPULATION AUTOCHTONE - cubata rectangulaire - construction en dure ( brique, parpaing, béton, tuile, tôle pour la structure et l’enveloppe, bois pour les menuiseries et le mobilier ) - regroupé en quartier ou groupement d’habitat pour autochtones - maison s’articulant autour d’une cour - maison en bande, maisons jumelées... - pièces différenciées au sein du volume principale de l’habitation (séjour, salle à manger et chambres) - cuisine, salle de bain et toilette situés dans un volume indépendant - multiplication d’éléments d’ameublement (lit, table, placard...) - apparition des éléments du « confort moderne » dans l’habitat ( cuisine avec plan de travail intégré , mobilier sanitaires...) Hypothèse : volonté de créer un modèle d’habitat pour les autochtones reprenant certains aspect de l’habitat local ( séparation des pièces d’eau, importance de la cour...) tout en intégrant l’esthétique, les technologies et le confort moderne ( matériaux, mobilier, agencement...)
IMMEUBLE COLONIAL, MODERNE ET TROPICAL - immeuble de type barre ou tour de logements ( majorité de barres ) - construction en dure ( structure béton, remplissage en brique ou parpaing, couverture en tuile ou toit terrasse, menuiseries et mobilier en bois ) - immeubles regroupés en ilots, Unité d’Habitation... - appartements individuels reliés par des espaces de circulation et distribution partagés, verticaux et horizontaux ( coursive, couloir, pallier, escalier, ascenseur, hall...) - pièces différenciées au sein de l’appartement (séjour, salle à manger, chambres...) - cuisine, salle de bain et toilette situés dans l’appartement - pièces extérieures ou ouvertes ( balcons, loggia, terrasse...) - grand nombre d’ éléments d’ameublement fixes et mobiles (lit, table, placard...) - éléments du « confort moderne » dans l’appartement ( cuisine avec plan de travail intégré , mobilier sanitaires...) Cette forme d’habitat était à l’origine exclusivement réservée et pensée pour les familles portugaises
LUANDA 1973
,
LA VIE DANS LES IMMEUBLES COL. MOD. TROP. SOUVENIRS PHOTOGRAPHIQUES D’UNE FAMILLE PORTUGAISE
LUANDA 1977
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LA VIE DANS LES IMMEUBLES COL. MOD. TROP. SOUVENIR PHOTOGRAPHIQUE D’UNE FAMILLE ANGOLAISE
b - habiter l’immeuble colonial, adapter le lieu : mêmes espaces pour de nouveaux usages
En s’installant dans les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux de la capitale, les familles angolaises découvre un nouveau type d’habitat et le mode de vie qui lui correspond. Ces appartements qu’elles habitent à présent sont très différents de la cubata dans laquelle elles vivaient jusque là et ne se destinaient d’ailleurs pas à elles, mais exclusivement aux familles portugaises. Elles doivent donc s’adapter à ces lieux, mais elles ont aussi au cours du temps modifié ces espaces pour que ceux-ci s’adaptent à leurs besoins et leurs habitudes. Ce processus d’appropriation qui a alteré l’apparence des immeubles de la capitale mais également la manière dont les gens y vivent, s’est fait au cours du temps et grâce à une série d’« ajustements ». Ces ajustements selon leur nature ont eut un impact plus ou moins important sur les bâtiments, on peut parler de différents « paliers d’appropriation ». Le premier « palier d’ appropriation » concerne les modifications d’usages au sein du logement. Tout en conservant les mêmes espaces, les familles angolaises les utilisent et investissent de manières différentes, leur donnant ainsi un nouveau rôle et une autre importance au sein du logement. La plupart de ces modifications s’expliquent par le fait que le nombre de personne vivant dans le logement ait doublé ou triplé. Dans ces appartements où vivaient des familles portugaises de quatre à six personnes généralement, vivent à présent des familles angolaises comptant jusqu’à plus de dix membres. Le séjour par exemple qui jusque là était uniquement une pièce utilisée en journée, va retrouver cette dualité « jour/nuit » qu’il a dans les cubatas des musseques. Cette pièce qui le jour est le lieu où l’on se retrouve en famille pour discuter ou prendre les repas, est également l’endroit le plus public de la maison, celui où l’on reçoit ses invités notamment. Le soir il va devenir une chambre de plus. Au départ on se contente de pousser les meubles et d’installer des nattes au sol, pour transformer cette pièce en chambre d’appoint, puis petit à petit les nattes sont remplacées par des matelas et aujourd’hui le canapé-lit a nettement facilité la reconversion de cette pièce selon les heures de la journée.
photographies de la page de gauche, de haut en bas: Album photographique de Encarnação Videira. On peut voir des photos prises dans son appartement à Luanda en 1973. Source : https://eco.sapo.pt/reportagem/a-mare-que-trouxe-os-portuguesesde-angola-em-1975/ Photo d’enfance du journaliste angolais Luandino Carvalho, prise en 1977. On y voit Luandino et sa famille dans le salon de leur appartement. Source : http://villasegolfe.com/pt/ articles/info/971/
Quant aux chambres, on trouve en général une chambre parentale, dans laquelle dorment parfois également les plus jeunes enfants. Les autres chambres sont partagées par les autres membres de la famille selon un regroupement par âge, ou en séparant garçons et filles. La chambre n’a pas dans la culture angolaise la dimension privée qu’elle peut avoir dans certaines cultures occidentales. Ce n’est que rarement le lieu de l’intimité, où l’on peut se retrouver seul, que l’on va décorer selon ses goûts et qui va constituer une sorte de bulle privative au sein du logement familial. C’est un espace que l’on partage à plusieurs, des fois jusqu’à six personnes y dorment et y conservent leurs effectifs. De plus avec l’abandon de la natte, qui avait l’avantage de pouvoir être enroulée et rangée durant la journée libérant ainsi l’espace, en faveur du lit, les chambres deviennent des espaces relativement encombrés dans lesquels on peut rapidement se sentir à l’étroit. On y passe donc beaucoup moins de temps et souvent on ne s’y rend vraiment que le soir pour dormir. Les loggias donnant sur les séjours ou les cuisines, reprennent dans le logement le rôle que pouvez avoir la cour au sein des cubatas. Malgré l’existence d’une cuisine au sein de l’appartement, beaucoup de familles continuent à cuisiner dehors par habitude, mais également en raison des odeurs. La machine à laver n’ayant été démocratisée dans le foyer de la famille angolaise de classe moyenne qu’assez tardivement, c’est également sur la loggia, que le linge est lavé dans des bassines et que des cordes sont tendues pour servir de séchoir.
La loggia est également le lieu où on s’installe pendant la journée pour se reposer ou discuter. C’est aussi le lieu où s’entassent rapidement divers objets et meubles n’ayant pas trouvés de place au sein des logements déjà encombrés. Cet espace qui auparavant était souvent simplement une extension du séjour, a dans l’appartement de la famille angolaise un rôle crucial. Servant à la fois de lieu de séjour, d’espace lié aux activités domestiques et de lieu stockage. Toutefois un usage différent des pièces du logement ne s’avérera pas suffisant pour rendre ces logements véritablement adaptés à ces nouveaux habitants. Ceux-ci procèdent alors à des travaux pour remodeler leurs appartements, afin de les rendre plus compatibles avec leur nombre et leurs besoins. On atteint alors le deuxième « palier d’ appropriation », caractérisé par une modification du logements par ces nouveaux occupants. Des cloisons sont abattues pour agrandir certaines pièces et d’autres sont érigées pour créer des pièces additionnelles au fur et à mesure que les familles s’agrandissent. Les séjours aux dimensions parfois très généreuses des appartements des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux, notamment sont maintes fois rognés, pour pouvoir avoir une chambre en plus, ou agrandir une cuisine trop étroite. Les salles de bains quand à elles restes relativement inchangées au cours du temps, en dehors de quelques modifications de mobilier, leur emplacement et dimensions sont généralement les mêmes qu’à l’origine. Les loggias et les balcons en revanche sont presque tous remaniés et la fermeture des ces espaces extérieurs privés et sans doute le plus commun et fréquent des travaux entrepris par les familles angolaises. Se sentant à l’étroit dans leur logement ces familles souvent nombreuses font le choix de sacrifier ces espaces pourtant d’une grande importance pour eux, pour gagner quelques mètres carrés en plus. L’annexion des loggias et des balcons, permet d’agrandir des séjours ou des chambres, de créer des remises, voire de créer des chambres en plus. La perte de la loggia, va être à l’origine du troisième « palier d’ appropriation ». Les familles angolaises ayant renoncé à leur loggia ne veulent pas pour autant abandonner des habitudes telles que cuisiner ou laver le linge en extérieur. Ces activités vont donc petit à petit se déplacer vers les espaces communs et les coursives notamment. Avant l’indépendance ces dessertes étaient déjà investies par les habitants, mais dans une moindre mesure. On y retrouvait quelques plantes, parfois des assises. C’était des lieux où on pouvait faire une halte pour discuter entre voisins et qui servaient à l’occasion de terrain de jeux pour les enfants. Ces lieux semi-publics, favorisaient les interactions entre les résidents. Avec l’annexion des loggias, les coursives deviennent de véritables extensions de la maison et se privatisent progressivement. Ces espaces de circulation se transforment en pièces extérieures pour les logements et on voit apparaître quantité de chaises, tables, étagères, canapé, vélo et autres objet en tout genre n’ayant pas trouvé leur place à l’intérieur de la maison. Ceux-ci sont entreposés devant les portes d’entrée des appartements. On peut alors croiser sur la coursive, des voisins qui y font griller leurs poissons, parce qu’ils ne veulent pas que toute la maison s’imprègne de l’odeur de friture, ainsi que des femmes de ménage, assise sur des tabourets lavant le linge à la main dans des grandes bassines en plastique, ou encore des retraités installés dans leurs fauteuils, tout occupés à admirer le spectacle des passants au pied de l’immeuble et les va-et-vient des voisins. Les enfants jeunes et moins jeunes, se sentant souvent à l’étroit à l’intérieur des appartements, où ils n’ont pas de « coin » à eux et de place pour jouer, se retrouver ou s’isoler, vont aller chercher ces espaces à l’extérieur des logements. Les locaux partagés, porches, cages d’escalier, coursives et terrasses vont rapidement être investis par eux, avec un système de répartition dans l’édifice selon leur âge. Les enfants les plus jeunes jouent en général sur les coursives, là où un adulte depuis l’intérieur du logement peut garder un œil sur eux.
Ceux un peu plus âgés s’approprient en général les cages d’escalier et organisent des parties de cache-cache et autres jeux entre les paliers. Les adolescents eux se regroupent entre amis au pied de l’immeuble, sous le porche, où loin de la surveillance de leurs parents ils peuvent discuter librement ou vivre leur premières idylles amoureuses en cachette. La terrasse quant à elle est multifonction, parfois les enfants accompagnés d’un adulte, d’un grand frère ou d’une grande sœur peuvent aller y jouer. C’est aussi un espace que l’on peut occuper occasionnellement pour recevoir notamment des invités que l’on n’aurait pas la place d’accueillir chez soi, pour les anniversaires, les repas de famille, les deuils ou autres occasion de la vie. C’est aussi un espace dont certains habitants font leur lieu de travail, ils y donnent des cours de danse, de théâtre ou encore de musique. Les habitants des immeubles ne sont d’ailleurs pas les seuls à investir les espaces en commun, les porches et les halls d’entrée de nombreux immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux de la capitale sont devenus le point de vente des vendeurs ambulants de la capitale. Ils s’y arrêtent pour quelques minutes ou quelques heures à la recherche de client et souvent d’un peu d’ombre. Des cireurs de chaussures, des zungueiras (13) vendant fruits et légumes, des jeunes garçons vendant des recharges téléphoniques, des friandises et autres articles en tous genres. Jusqu’au début des années 2000 il était même fréquent que des vendeurs ambulants montent dans les étages et aillent faire du porte à porte, pour vendre leur marchandises à des ménages qui souvent étaient devenus des clients réguliers. Paradoxalement, c‘est alors que ces immeubles sont occupés par des familles angolaises à qui ils n’étaient pas destinés, qu’on est au plus proche de ce qu’avait souhaité les architectes de la Geração Africana en projetant ces édifices. Créer un habitat vertical qui serait le lieu d’une vie communautaire intense et le cadre idéal pour le développement d’un « mode de vie à l’air libre ». Cette parenthèse va toutefois se refermer à partir de 1992, année où des élections contestées entrainent la reprise des hostilités entre le MPLA et la UNITA. Dans un contexte de guerre civile toute cette effervescence dans les espaces partagés des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux, fait naitre chez certains habitants un besoin de contrôle de ces espaces. Cela se traduit par leur fermeture au cours du temps, marquant ainsi le « quatrième palier d’appropriation ». On voit apparaître des grilles au dessus des garde-corps des coursives pour la sécurité des enfants, qui ont fait de cet espace leur terrain de jeux. Avec le sentiment d’insécurité grandissant, l’idée que des inconnus puissent aussi facilement s’introduire dans leur immeuble va faire naitre des craintes chez les habitants, qui font alors surveiller leur hall d’entrée par des agents de sécurité, comme c’est aujourd’hui le cas pour la plupart des immeubles du centre ville et même des maisons individuelles des quartiers résidentiels plus ou moins huppés. Des portails et des grilles fermés à clefs viendront clorent les coursives qui deviendront alors des espaces où seul les habitants des appartements desservis et des personnes admises par ceux-ci pourront pénétrer. Il n’est pas rare non plus que les propriétaires des appartements en bout de coursive viennent ériger un deuxième portail, privatisant ainsi totalement leur portion de coursive. Avec l’essoufflement des conflits, qui petit à petit vont se limiter à quelques actions isolées menées dans les provinces, loin de la capitale et surtout avec le retour à la paix en 2002, la vie reprend son cours dans les immeubles de la capitale et envahit à nouveaux les espaces partagés. Cependant les grilles, les portails et autres barrières protectrices apparues entre temps, ne disparaitront pas.
(13) terme populaire pour designer les vendeuses ambulantes en Angola
Pendant les années de guerre l’insécurité et des conditions de vie très difficiles dans les provinces poussent les angolais à fuir leurs villages pour rejoindre la capitale. Cela se traduit par une explosion démographique entre 1991 et 2000, Luanda gagnera un peu moins de six cents mille nouveaux habitants, atteignant ainsi les 2 571 600 habitants recensés.
De nombreuses familles angolaises ouvrent alors leurs portes à des membres de leur famille récemment arrivés dans la capitale et sans logement. Les effectifs des foyers luandais s’accroissent et le besoin de pousser les murs pour gagner quelques mètres carrés, afin de décongestionner des logements devenus encore plus étroit se fait vite ressentir. On voit alors apparaitre les extensions, qui incarnent le « cinquième palier d’appropriation ». Des portions de coursives sont annexées, quand celles-ci sont suffisamment larges on en grignote un mètre ou deux, réduisant le passage au strict minimum. Les appartements en bout de coursive annexent même complètement cet espace pour gagner de la place, souvent au mécontentement des voisins qui aimeraient pouvoir en faire autant. Les terrasses sont elles aussi privatisées, notamment dans des immeubles comme l’Edificio Cirilo e Irmãos où les appartements des derniers étages bénéficient d’un accès privatif au toit terrasse. Celles-ci deviennent alors des chambres en plus, voire des petites annexes indépendantes. Dans d’autres immeubles de nouveaux logements sont construit sur la terrasse, où vivent souvent des proches ou les enfants des propriétaires des appartements des étages. Entre les pilotis des rez-de-chaussées aussi on voit apparaître des constructions, qui servent tantôt d’habitation ou de local commercial, aux habitants des étages, à leur proches et même à des personnes complètement extérieures. Dans les rez-de-chaussées des immeubles de l’Unidade de Vizinhança do Prenda, le musseque environnant que les Portugais avaient tenté de repousser a repris ces droits et les cubatas sont venues s’insérer entre les pilotis. Ces situations créent entre les résidents officiels et officieux des tensions parfois vives. L’ ensemble de ces « ajustements » définissent les cinq « paliers d’appropriation », qui ont permis aux angolais de redessiner l’immeuble colonial, Moderne et tropical et d’adapter ces édifices à leurs besoins, leur structure familiale, leur mode de vie, de 1976 à aujourd’hui. Toutes ces modifications, aussi bien de l’emploi des espaces que de la forme de ceux-ci, témoignent de la flexibilité de ces édifices et de leur capacité d’adaptation. Grâce à cela ces immeubles qui avaient été construits pour une population donnée, d’origine européenne et vivant selon un mode de vie occidental, ont pu servir de « chez-soi » pendant des décennies à des familles angolaises, originairement issues des musseques. C’est cette capacité d’adaptation qui à permis à l’immeuble colonial, Moderne et tropical de ne pas tomber en désuétude.
photographie de la page de droite, de gauche à droite et haut en bas: La vie dans la cage d’escalier du prédio do livro à São Paulo, Luanda Hall d’entrée d’un immeuble résidentiel à Coqueiros, Luanda Vue des loggias de l’édifice Hotel Katekero, Luanda Rez-de-chaussée du prédio do livro à São Paulo, Luanda Détails d’une terrasse de l’édifice Oliva , Luanda Vue de la coursive d’un immeuble résidentiel à Coqueiros, Luanda source: Archives Modernidad Ignorada
photographie ci contre: Fermeture des loggias © Romana Nanga
Toutefois les différentes interventions des habitants pour remanier leurs espaces de vie, ont parfois eut un impact négatif sur les bâtiments. Certaines modifications comme la fermeture des loggias et des coursives, le remplacement des persiennes par des fenêtres en verre et aluminium, l’abandon des claustras en faveur de parois pleines et l’érection de cloisons additionnelles totalement hermétiques au sein des logements, ont rendu inefficaces les dispositifs thermiques imaginés par les architectes Modernes. Dans les appartements l’air circule moins bien et la chaleur s’accumule. Le seul moyen trouvé par beaucoup de familles pour pallier à cette situation a été d’installer des moyens de ventilation mécaniques. D’abord des ventilateurs qui depuis ont été remplacés par des climatisations suintantes. Cela et d’autant plus dramatique que comme on a pu le voir précédemment, la réflexion sur l’adaptation au climat a souvent été la question centrale dans la production des architectes de la Geração Africana et est bien souvent à l’origine de la volumétrie même de ces édifices.
photographie de la page de droite, de haut en bas: Occupation de l’épaisseur de la loggia ©Nzo Iami Source : Views of Angola Extensions au pied et sur les toits terrasse des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux de Luanda ©Keita Mayanda Source : Views of Angola Une « zungeira » vendant des bananes braisées au pied d’un immeuble colonial, Moderne et tropical Source : Views of Angola
Par ailleurs l’exécution de ces travaux d’« ajustement » laisse parfois à désirer, car ils sont réalisés avec de matériaux de mauvaise qualité ou inadapté et de manière peu soigneuse, en raison d’un budget limité. Ces interventions, qui vieillissent souvent mal, accélèrent la dégradation de l’édifice, comme évoqué en première partie. Malgré cela ce qui semble important de retenir c’est que la relation entre les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux de la capitale et les familles angolaises qui s’y sont installées depuis 1976, se base sur un processus de double adaptation. Les familles se sont adaptées à ce type d’habitat qui leur été étranger et elles ont aussi agi sur ces espaces. Cela à permis l’émergence d’un nouveau mode de vie, à mi-chemin entre celui que ces familles avaient quand elles vivaient dans les cubatas des musseques, et le mode de vie occidental des familles portugaises. Ce nouveau mode de vie est à la fois locale et Moderne et il est même devenu typique de Luanda, tout comme ces immeubles. On ne peut plus aujourd’hui dissocier Luanda de ces immeubles, au pied desquels les jeunes sont pausados (14), tandis que le gardien qui s’ennuie écoute la «99.9 » (15) sur son poste radio, assis à côté de la zungueira (16) qui attend que l’on vienne lui acheter son kilo de tomates pour 600 kwanzas (17) tout en surveillant d’un œil distrait son nourrisson, pendant que les jovems (18) lavent les voitures et surveillent les places de parking. L’immeuble colonial, Moderne et tropical, à qui la prise en compte du climat et d’autres éléments de la culture locale avaient dès sa création conféré quelque chose de locale a grâce à cette double adaptation été « naturalisé ». Aujourd’hui il est pleinement luandais, il fait parti du paysage de la ville, du quotidien de ceux qui l’habitent et de l’imaginaire de ceux qui en sont loin. Aujourd’hui menacé par les travaux de modernisation d’une ville pourtant Moderne, les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux cèdent petit à petit leur place aux tours de béton, de verre et d’acier, typique de l’International Style. Ces constructions anonymes qui minent la skyline de la capitale, sont en totale décalage avec leur contexte et la réalité luandaise et ne possèdent pas la flexibilité des constructions Modernes et tropicales. La possible disparition de ces édifices, fruits d’une pensée architecturale originale et audacieuse, qui représente une partie moins connue mais très riche de l’oeuvre des architectes du mouvement Moderne, pousse aujourd’hui des personnes s’intéressant à cette production et à la discipline d’architecture à visiter, répertorier, archiver et même tenter de faire restaurer ou classer ces bâtiments. De plus les questions d’ordre social soulevées par la propagation des tours contemporaines, au détriment de l’immeuble colonial, Moderne et tropical, poussent aujourd’hui de plus en plus de Luandais à prendre la défense de cet héritage architectural colonial, depuis adopté par la plupart des nationaux. C’est à ces défenseurs de l’immeuble colonial, Moderne et tropical que nous allons nous intéresser à présent.
(14) expression signifiant demeurer dans un lieu et adopter une attitude décontractée (15) fréquence sur laquelle émet la chaine Radio Luanda, l’une des plus écoutée du pays (16) terme populaire pour designer les vendeuses ambulantes en Angola (17) environ un euro quatre-vingt centimes. (18) terme utilisé pour s’adresser à un adolescent(e) ou une jeune personne dont on ne connait pas le nom.
c - adoption d’un modèle : l’immeuble colonial, Moderne et tropical et ses défenseurs
Au cours des dix dernières années, des dizaines d’édifices coloniaux, Modernes et tropicaux ont disparus du paysage de la capitale angolaise. Parmi eux des bâtiments emblématiques comme le prédio Cuca, le prédio da Angola Telecom ou le marché de Kinaxixe. Ces démolition et l’état de délabrement dans lequel se trouvent une partie de ces édifices, en raison notamment d’un manque de conservation, mènent à penser que leur avenir et leur subsistance dans la ville sont aujourd’hui incertains. La possible disparition de cette architecture a ravivé l’intérêt des citadins, des architectes et des historiens pour cette production du mouvement Moderne en Afrique. En 2003 après l’annonce d’un projet de « revitalisation et d’embellissement » de la baie de Luanda, qui aurait mis en péril l’existence d’un grand nombre d’édifices datant de la période coloniale et qui proposait la construction d’îles artificielles dans la baie de Luanda, des architectes et autres Luandais soucieux de la conservation du centre historique de la ville, se sont réunis pour manifester contre cette proposition. Ils ont également mis une place une pétition contre ce projet et ont obtenu plus de mille signatures, avant de la faite parvenir au conseil des Ministres. Grâce à ces deux initiatives le projet de revitalisation de la Marginal de Luanda a été revu et une proposition plus respectueuses de l’existant a été par la suite adoptée. Un an plus tard, en avril 2004, quelques unes des personnes à l’origine de ce mouvement de défense du patrimoine architectural de Luanda forment l’association « Kalu - Naturais e Amigos de Luanda », dont le nom vient de kaluanda, terme employé pour designer les tous premiers habitants de la baie de Luanda. Cette association à but non lucratif est portée par une équipe de bénévoles, dont font partie Pedro Beirão, le directeur de l’association, Cristina Pinto, la vice-présidente, Carla Guerra, Jaime Cohen, Emanuel Araújo, Chilóia Lara et l’architecte Daniela Lima. L’association organise des débats et des conférences sur des questions urbaines, où des thèmes comme le traitement des déchets, la circulation, ou la santé publique sont abordés. La question de la conservation et la protection des édifices anciens est aussi au cœur de leur action. En 2009 l’association a d’ailleurs fait circuler une deuxième pétition demandant une meilleure préservation du patrimoine architectural de la ville, regroupant plus de cinq milles signatures et l’a présentée au Gouvernement Provincial de Luanda, à la Ministre de la Culture et au President de la République. En mars 2015 les membres de l’association ont été interviewés par Fabiana André, journaliste pour Rede Angola et se sont exprimés sur leurs activités et leur vision de la ville, notamment sur la question du patrimoine architectural de Luanda. Selon eux la conservation des bâtiments anciens et du centre historique doit être une préoccupation partagée par tous les Luandais. Ceux qui habitent et font usage de ces édifices doivent le faire sans les dégrader et faire entendre leurs voix pour défendre ces bâtiments contre les projets spéculatifs. Ils ont pu constater que les Luandais s’intéressant à ces questions sont de plus en plus nombreux, mais ils relèvent aussi que malgré leur engagement la portée de leurs actions est limitée, si elles ne trouvent pas de soutien dans les sphères décisionnelles. Le Luandais se préoccupe du patrimoine, mais il doit il y avoir un engagement de tous, y compris du gouvernement. (19) La bataille juridique menée par l’association Kalu, soutenue par de nombreux Luandais, pour empêcher la destruction du Théâtre Elinga, illustre bien cette situation. Ce théâtre est l’un des derniers restant dans une ville qui à la fin des années soixante-dix comptait de très nombreux édifices culturels, dont des théâtres, des salles de cinéma et de concert, dont il reste moins d’une dizaine en état de fonctionnement à ce jour.
(19) « O luandense está preocupado com o património, mas tem que haver envolvimento de todos, inclusive da governação. » Fabiana André. Associação Kalu. Rede Angola. Le 19 mars 2015. [en ligne] disponible sur : http://www.redeangola.info/especiais/ associacao-kalu/
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(20) Traductible par : témoignage historique du passé colonia
photographie ci dessous de haut en bas: Elinga Teatro actualmente ©Ampe Rogério Source : Rede Angola « Elinga vai pro Zango » ©Ampe Rogério Source : Rede Angola Représentation de la pièce Temple d’Aquarium au théâtre Elinga Source : https://ao.ambafrance.org/ TEMPLE-D-AQUARIUM Image 3D du projet Elipark Source : Imogestim
Construit au courant du dix-neuvième siècle, cet édifice dont la structure a été construite avec du bois provenant du Brésil, transporté par les bateaux qui faisait l’aller retour entre ces deux colonies portugaises pour transporter les angolais réduits en esclavage, est aujourd’hui menacé. Le bâtiment qui avait été classé en 1981 en qualité de « testemunho historico do passado colonial » (20) a été déclassé en avril 2012 par le Ministère de la Culture, pour que le projet immobilier Elipark, rassemblant un hôtel quatre étoiles, des bureaux et un parking, puisse voir le jour. Grâce à l’action de l’association Kalu, de nombreuses personnalités de la sphère culturelle angolaise et d’un grand nombre de Luandais, le théâtre Elinga résiste encore. Cet espace, l’un des plus vivant de la capitale, où s’organisent des concerts, des expositions et qui accueil l’une des troupes de théâtre les plus réputée d’Angola, le Grupo Elinga, est un lieu important de la vie culturelle de la ville, que beaucoup de Luandais fréquentent et affectionnent.
Pour les membres de l’association Kalu défendre ce patrimoine qui a autant une valeur architecturale, que historique et sociale, est le seule moyen d’empêcher que Luanda devienne une ville « banale », à qui des projets à but purement spéculatif auront fait perdre son « caractère » et ses particularités. L’un des grands problèmes de ces immeubles qui sont entrain d’apparaitre c’est qu’ils n’ont pas grand chose à voir avec nos caractéristiques historico-culturelles. Ils se soucient peu de l’intégration dans environnement. C’est le fruit de la course immobilière. (21) Alors pour empêcher cette « dé-caractérisation » de la ville et sensibiliser davantage les Angolais aux questions urbaines, l’association Kalu a travaillé en partenariat avec le pôle architecture de l’université Lusiada de Angola et notamment avec l’architecte Ângela Mingas, qui a crée ce pôle en 2003 et y enseigne depuis. Ensemble ils ont mis en place la campagne « Reviver Luanda » (22), dont le but est d’organiser des activités gratuites ayant pour objectif la diffusion de l’histoire de la ville, notamment à travers des marches thématiques. Selon eux pour que les Luandais puissent vraiment se sentir concernés par ces questions, ils doivent avant tout connaître l’histoire de cette ville et de ces bâtiments et c’est ce que doit permettre cette initiative comme l’a affirmé Maria Cristina Pinto, membre de l’association. Nous voulons mener le voisinage à sentir qu’il existe ce patrimoine et qu’il lui appartient. (23) L’une des marches, celle de la « routes des esclaves », montrent notamment comment ce qui est aujourd’hui un parking à ciel ouvert, été autrefois une place publique, le Largo do Pelourinho. Cette place où été punis les esclaves réfractaires, devrait être aujourd’hui un lieu à la mémoire de ces Angolais privés de leur liberté et victimes des pires violences. Ce combat pour la protection et la mise en valeur des édifices du centre historique de Luanda, mais également pour l’avènement d’une architecture contemporaine mais « située » à Luanda, est aussi celui de l’architecte Ângela Mingas. Au début des années 2000, l’architecture n’est même pas une discipline à part entière en Angola, mais davantage un complément de l’ingénierie civile. Cela explique non seulement le triste état des bâtiments existants, mais aussi la pauvreté en terme de spatialité et d’esthétique de ce qui s’y construit de nos jours. C’est pour tenter de remédier à cette situation alarmante qu’ Ângela Mingas créée en 2003 le pôle architecture de l’Universidade Lusiada de Angola, la première école d’architecture en Angola. Depuis une petite centaine d’architectes y ont été formés, selon un programme axé sur la réhabilitation des ouvrages architecturaux, le développement durable et la recherche en architecture. En 2014 l’ordre des architectes angolais comptait quelques quatre-vingt membres. Egalement très impliquée dans la question de la protection du centre ancien de Luanda, cette architecte considère notamment qu’une des plus grandes victoires de l’association Kalu dont elle est membre est d’avoir réussie à sensibiliser ceux qui vivent dans des édifices anciens à usage résidentiel. Ces immeubles et maisons représentent l’essentiel du « patrimoine architectural » de Luanda, mais sont souvent exclus des discours sur la conservation parce que la définition de « patrimoine » est encore dans les mentalités associée à celle de monument ou d’institution publique et n’englobe pas l’habitat ordinaire. La deuxième grande victoire qu’ont a eu est d’avoir obtenu le soutien de toute la population de la zone du centre historique, principalement celle qui vit dans le patrimoine de petite échelle, les villas et les maisons typiques. C’est ce patrimoine qui est en risque. (24)
(21) « Um dos grandes problemas desses prédios que estão a aparecer é que não têm muito a ver com as nossas características históricoculturais. Poucos estão preocupados com a integração no ambiente. Isso é fruto da correria imobiliária. » Fabiana André. Associação Kalu. Rede Angola. Le 19 mars 2015. [en ligne] disponible sur : http://www.redeangola.info/especiais/ associacao-kalu/ (22) traductible par : Revivre Luanda (23) « Queremos envolver a vizinhança a sentir que existe este património como sua pertença. » Manuel Albano. Protecção do património é desafio da sociedade. Jornal de Angola. Le 22 aout 2018. [en ligne] disponible sur : http://jornaldeangola.sapo.ao/cultura/proteccao_do_patrimonio_e_desafio_da_sociedade (24 ) « A segunda grande vitória que tivemos foi termos tido o apoio de toda a população da zona do centro histórico, principalmente a população que vive no património de escala menor, como os sobrados e as casas típicas ? é esse o património que está em risco. » /. ÂNGELA MINGAS. «O património é uma questão de afectos». Revista Villas e Golfes. Le 2 decembre 2014. [en ligne] disponible sur : http://villasegolfe.co.ao/pt/articles/ info/742/
Photographie ci contre, de haut en bas et gauche à droite: Marche dans la Rua dos Mercadores organisée par l’association Kalu © Santos Pedro | Edições Novembro Source : http://jornaldeangola.sapo. ao/cultura/proteccao_do_patrimonio_e_desafio_da_sociedade Avis du Gouvernement Provincial de Luanda stipulant que le bail de location de la Cervejaria Biker ne sera pas renouvelé Source : page facebook « Salvem o prédio da Biker » Cervejaria Biker, 1991 © Céu Guarda
Cet engagement des habitants dans la protection de ce centre historique et notamment de leur lieu de vie, on a pu le voir dans le cas du Prédio da Biker. En avril 2013, quand le Gouvernement Provincial de Luanda a annoncé la démolition du Prédio da Biker, les occupants de cet immeuble appuyés par d’autres citadins se sont regroupés pour tenter d’entraver ce processus. Construit dans les années 1920 le prédio da Biker accueillait en son rez-de-chaussée la Cervejaria Biker, sans doute l’une des plus populaire de toute la ville. Elle fût le lieu de réunion de plusieurs générations. A midi on y retrouvait les fonctionnaires publics attablés devant leurs carapau frito com arroz (25) et à dix-sept heures les travailleurs sortant des bureaux allaient y boire un verre avant de regagner leurs domiciles. Les jeunes venaient y jouer au billard et les soirs de fin de semaine le lieu se transformait en bar dansant où l’on se rendait entre amis ou en famille pour se divertir. C’était également le lieu de réunion de jeunes intellectuels, journalistes, politiciens, artistes, qui s’y retrouvaient pour débattre de la situation du pays avant et après l’indépendance. De cette tentative de résistance au passage de la « grue de la modernité » est nait un groupe portant le nom « salvem o prédio da biker » (26). Celui rassemble près de huit cents personnes qui ont manifesté leur désaccord face à cette décision du Gouvernement Provincial de Luanda. Une plateforme informatique a été créée et leur a permis de mettre en place une pétition et aussi de partager des photographies, des informations et des souvenirs, autour de cet édifice chargé d’histoires et cher à beaucoup de Luandais.
(25) Plat de poisson frit accompagné de riz. Le « carapau », dénommé chinchard en français, est un poisson pêché en grande quantité au large de la côte angolaise. Il fait parti de l’alimentation quotidienne des familles angolaises, car peu cher et abondant. (26) traductible par : Sauvez l’immeuble de la Biker
Malgré cet élan de soutien au prédio da Biker, celui-ci qui était une propriété de l’État mise en location, fut détruit pour qu’un projet de gratte-ciel, dont le maitre d’ouvrage n’est autre que l’alors Vice-President de la République, Fernando da Piedade Dias dos Santos dit “Nandó”, puisse voir le jour. Dans cette tour on trouve des appartements de luxe, des bureaux et des locaux commerciaux destinés à la location, le tout pour des sommes mirobolantes. La démolition du prédio da Biker est encore un exemple de comment à Luanda des lieux ouvert à tous et fréquentés par l’Angolais de classe moyenne, laissent progressivement place à des projets destinés à une élite fortunée. Qu’ils aboutissent en victoire ou en échec, ces mouvements populaires pour défendre cette production architecturale, ont permis de lancer un débat sur la ville et d’éveiller l’intérêt des Angolais pour la question de la préservation et de la mise en avant de la ville coloniale. Il y a eu une prise de conscience quant à la valeur architecturale, historique et sociale de ces édifices, mais aussi quant à leur fragilité et l’incertitude de leur avenir à cause de la menace qu’est la spéculation. Le besoin face à cette menace d’immortaliser, de répertorier et de relever cette architecture s’est fait ressentir et s’est traduit par divers projets menés par des architectes, des étudiants en architecture, des historiens ou encore des artistes. En 2015, la photographe portugaise d’origine angolaise, Mónica Miranda (1976- ), s’est rendue à Luanda pour immortaliser l’Hôtel Panorama. Construit dans les années 1960, cet hôtel trois étoiles qui était autrefois l’un des plus luxueux de la capitale, situé sur la Ilha de Luanda, face à la plage, est aujourd’hui une ruine où ont trouvé refuge quelques sans domicile et notamment des enfants des rues. Construit dans un style Moderne et Tropical cet édifice qui s’est progressivement dégradé est à l’abandon depuis les années 2010. De nombreux appels à projet pour sa rénovation ont été lancés dès 2005, mais aucun n’a été concluant et alors que partout dans la Ilha de Luanda des tours et projets immobiliers titanesques voient le jour, l’hôtel Panorama lui poursuit sa lente mais certaine désagrégation. Le travail photographique de Monica Miranda est à la fois lié à la géographie, l’espace et l’identité. Se sentant à la fois portugaise et angolaise, l’architecture coloniale luandaise l’intéresse particulièrement puisqu’elle est la trace de l’histoire commune de ces deux pays. Consciente de la rapide dégradation de ces édifices et de la disparition de plus en plus fréquente de ceux-ci, elle a voulu à travers une série de clichés, faire un travail d’archivage, afin de garder une trace de ces ruines coloniales et du passé de Luanda, pour l’avenir. Après avoir déjà enquêté sur l’histoire de l’hôtel Globo, situé dans le centre ville de Luanda et l’avoir photographié, elle a décidé de dresser le portrait d’un autre hôtel de la capitale l’Hôtel Panorama.
photographie ci-contre: Panorama, 2017 © Monica de Miranda source: https://monicademiranda.org/
photographie ci-contre: Springboard, 2017 © Monica de Miranda source: https://monicademiranda.org/
Le photographe angolais Walter Fernandes (1979- ), lui est parti à la découverte des cinémas datant de la période coloniale de l’Angola. De ce projet est né le livre Angola Cinemas, publié en 2015 par le Goethe-Institut – Angola. Le but de cet ouvrage est de mettre à l’honneur l’architecture unique, étonnante et encore trop méconnue des cinémas construits entre 1960 et 1975 en Angola. Bien que les premiers cinémas construits en Angola datent des années 1930, le livre se focalise sur ceux construit à partir de 1960, parce que cette date marque la passage de la salle de cinema fermée, construite dans le style Estado Novo, au cinéma ouvert, fruit du Modernisme tropical. Alors que les premiers cinémas étaient par leur forme porteur d’un message nationaliste et impérialiste, les cinémas des années soixante eux devaient leur forme à un besoin d’adapter cet équipement culturel à un climat et un mode de vie tropical, en privilégiant des formes permettant une meilleure ventilation et une moindre incidence solaire. « Les cinémas des années soixante sont le reflet du Moderne Tropical, ce sont des structures de béton armé, légères et ouvertes qui s’interconnectent avec l’espace public, les espaces verts et le paysage. » (27) Au-delà de leur valeur en tant qu’objet architectural, Walter Fernandes et Miguel Hurst ont choisis pour sujet ces équipements pour tout ce qu’ils peuvent nous révéler sur la société angolaise, sur l’histoire et l’organisation territorial du pays. En s’intéressant par exemple à la répartition des cinémas dans le pays, leur date de construction et leur capacité, on comprend rapidement qu’elles étaient les villes et les provinces les plus importantes dans les dernières années de la colonisation. Sur la cinquantaine de cinéma que comptait l’Angola, quinze était à Luanda, ce qui confirme le statut de la capitale angolaise comme le cœur névralgique du pays et sa capitale culturelle. La ville portuaire de Lobito située dans la province de Benguela, était l’une des plus développées à cette période et elle accueillait les très prestigieux Cine Kalunga et Cine Flamingo.
(27 ) « Os cinemas da década de sessenta são o reflexo do Moderno Tropical, são estructuras de betão armado, leves e abertas que se interligam com o espaço público,
Les cinémas reflétaient également l’organisation sociale du pays à cette période. Chaque cinéma s’adressait à un public différent, selon des critères raciaux et économiques. Prenons le cas de Luanda, certaines salles particulièrement prestigieuses comme le Cinema Miramar ou le Cine Restauração, étaient réservées à la haute société, tandis que le Cine-Teatro Nacional ou le Cine-bar Tropical accueillaient la classe moyenne blanche. La population noire elle fréquentait le Cinema Colonial, situé dans le quartier populaire de São Paulo, quand tous les sièges de cette salle plus modeste étaient pris, les spectateurs ramenaient des chaises de chez eux pour pouvoir assister aux projections. Selon les prix pratiqués et la localisation des salles, on pouvait aisément savoir à qui chaque salle obscure était destinée.
À travers l’histoire du cinéma en Angola on peut également comprendre l’évolution de la place accordée à la culture autochtone. Le premier film tourné en Angola était un documentaire du cinéaste Artur Pereira intitulé Caminho de ferro de Benguela et celui-ci vantait les progrès de l’entreprise coloniale portugaise. Il faudra attendre les années quarante pour qu’un premier long métrage de fiction voit le jour, il s’agit du film O feitiço do Império de António Lopes Ribeiro, en partie filmé en Angola, on retrouve dans ce film des idéaux nationalistes et impérialistes. Ce n’est qu’en 1970 que paraitront les premiers films adaptés d’oeuvres d’écrivains angolais, comme les films Monangambê et Sambizanga de Sarah Maldoror (28), basés sur les livres éponymes de l’écrivain angolais Luandino Vieira (29). Ces films ont pour particularité de traiter du quotidien des autochtones et notamment de leurs difficultés, ce qui n’est devenu possible qu’à partir de 1961, date à laquelle la censure exercée par l’administration coloniale s’assouplie. De manière générale les cinémas étaient en Angola des lieux culturels important, les gens s’y rendaient avec une grande régularité, quotidiennement pour les plus fortunés et au moins hebdomadairement pour les autres. Ce n’était pas uniquement des lieux où était projetés des films, les salles de cinémas accueillaient des spectacles, des expositions et des concerts. Pendant les entractes des artistes voulant se faire connaître du grand public venaient jouer et des artistes de renommée internationale tels que Charles Aznavour, Ray Charles ou Boney M, se sont produit au cinema Avis ( actuel Cine Karl Marx ). C’est aussi dans ce même cinéma que la première élection miss Angola remportée par une candidate noire s’est déroulée. C’est grâce à ces cinémas qui diffusaient des films portugais, brésiliens et toutes les nouveautés hollywoodiennes,que toute une partie de la population autochtone, a pu voyager pour la première fois, grâce à ces images. Les cinémas angolais portent également la marque de tous les grands événements historiques ayant secoués le pays. Quand l’Angola obtient son indépendance en 1975 et qu’elle devient socialiste, les films hollywoodiens disparaissent des affiches, remplacés par des longs-métrages fournis et approuvés par les alliés de cette période, soit Cuba, l’Union Soviétique ou encore l’Allemagne. Les difficultés financière que connaitra le pays suite au passage à une économie socialiste se feront ressentir jusque dans les salles de cinéma, qui proposerons de moins en moins de nouveautés et dont l’état va progressivement se dégrader, menant à la désertion d’une partie des habitués. En 1992 la guerre civile, finira de vider les salles, qui restent pour la plupart à l’abandon jusqu’à ce jour et les quelques unes ayant repris de l’activité sont devenues des lieux accueillant occasionnellement des manifestations culturelles, mais n’ont jamais retrouvé leur superbe d’antan et leur fonction de salle de cinéma. Depuis 2007, des nouvelles salles de cinémas, situées dans les centres commerciaux dont s’est depuis équipé le pays, ont ouvert leurs portes. Celles-ci sont à l’image des salles noires banales du monde entier, elle n’ont rien du caractère unique et novateur des cinémas Modernes et tropicaux, dont l’éclat est malheureusement terni par les couches de poussière accumulées depuis bientôt trois décennies. L’objectif de ce projet était de documenter ce patrimoine architectural exceptionnel et de promouvoir une réflexion sur ces édifices en tant qu’héritage architectural, socioculturel et affectifs. Rappeler les pratiques culturelles, les usages sociaux que le cinéma a favorisé. (30) L’oeuvre rassemble des photographies des cinémas d’Angola de « Cabinda ao Cunene » (31), mais également une brève description de ces lieux et des données telles que l’année de construction, le nom de l’architecte, la capacité de la salle et sa localisation. Le projet a été porté par Walter Fernandes, sociologue et photographe, Miguel Hurst, acteur, metteur en scène et ancien directeur de l’Instituto Angolano de Cinema Audiovisual e Multimédia, aidés de trois architectes, Maria Alice Correia, F. João Guimarães et Paula Nascimento, ainsi que par Christiane Schulte et Grabiele Stiller du Goethe Institut- Angola. (32)
(28) Sarah Maldoror est une cinéaste et réalisatrice française , née en 1939 en Guadeloupe. Ses films traitent de sujets politiques et témoignent de son engagement et de son soutien des luttes indépendantistes africaines. Elle est considérée comme une figure de proue du cinéma africain. (29) José Luandino Vieira est né au Portugal en 1935. Alors qu’il est âgé de trois ans il part vivre en Angola avec ses parents. Il grandit dans les quartiers populaires et fait ses études à Luanda. Rapidement il se positionne en faveur de l’indépendance de l’Angola, ce qui lui vaudra plusieurs séjours en prison. C’est d’ailleurs en incarcération qu’il écrira une bonne partie de son œuvre et notamment le recueil de poème Luuanda, publié en 1963 et aussitôt interdit par les autorités portugaises. Après l’indépendance il rejoint le MPLA et prend la tête de la télévision publique, avant de quitter ce poste pour fonder et présider l’ Union des Ecrivains Angolais jusqu’en 1992, date à laquelle fuyant la guerre il retourne vivre au Portugal. Aujourd’hui citoyen angolais, il est considéré comme l’un des plus importants écrivain, poète et conteur du pays. (30) « Relembrar as prácticas culturais, os costumes sociais que o cinema potencializou. » (31) « de Cabinda à Cunene », expression signifiant du Nord au Sud de l’Angola et plus globalement dans toute l’Angola. (32) Le Goethe Institut est une organisation à but non lucratif, qui a pour but la promotion de la langue et de la culture allemande, mais qui favorise également la coopération culturelle à l’international. Implanté à Luanda depuis 2009, il y promeut et soutient divers projets culturels.
(33) « Há preocupação e reconhecimento da importancia social e política dos velhos cinemas, e há tambem vontade, mas para além disso tem de haver um plano claro de reabilitação e revitalização destes espaços singulares que foram palco de alguns dos maiores momentos do país. » photographie ci-dessous, de droite à gauche et haut en bas: Cine-Teatro Tômbwa, Tômbwa, 2013 Cine Kalunga, Benguela, 2013 Cine Impala, Namibe, 2013 Cine-Teatro Monumental, Benguela, 2013 ©Walter Fernandes source: Angola Cinemas, Walter Fernandes et Miguel Hurst
Au-delà de vouloir créer des archives, les différents acteurs impliqués dans ce projet, espère que leur travail soit un point départ, pour une réflexion plus large sur la récupération et la valorisation des édifices anciens, qui idéalement devrait être suivi par un véritable effort de réhabilitation de ces espaces. Il y a une préoccupation et une reconnaissance de l’importance sociale et politique des vieux cinémas, et il y a aussi de la volonté, mais au delà de cela il doit y avoir un plan clair de réhabilitation et revitalisation de ces espaces singuliers qui furent le théâtre de certains des plus grands moments du pays. (33) Cet ouvrage ne se concentre pas uniquement sur l’architecture Moderne et tropical, même si une majorité des cinémas présentés le sont effectivement. Par ailleurs il se concentre sur un seul type de bâtiment et c’est avant tout un recueil photographique. Toutefois il permet de faire la lumière sur des perles du Modernisme tropical.
D’autres ouvrages comme Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique, eux se focalisent véritablement sur la production des architectes Modernes en Afrique et notamment en Angola. Paru en 2014, ce livre est le fruit d’une recherche de trois ans sur les édifices construits entre 1943 et 1975 en Angola et au Mozambique par les architectes portugais affiliés au mouvement Moderne. Il a été édité par Ana Tostões (1959 - ). Cette architecte, historienne et critique d’architecture portugaise, possède un doctorat en « Culture et Technologie de l’Architecture Moderne ». Elle enseigne à l’Institut Technique de Lisbonne et est également la présidente du DOCOMOMO International. C’est au sein de cette structure créée en 1988, ayant pour mission de documenter et d’oeuvrer pour la préservation et la mise en valeur de la production du mouvement Moderne à travers le monde, qu’elle coordonne le projet de recherche « Exchanging World Visions ». Ce projet se focalise sur la production des architectes Modernes en Afrique subsaharienne. L’auteur étant portugaise et le DOCOMOMO étant à ce jour domicilié à Lisbonne, un intérêt particulier a été porté à l’oeuvre des architectes Modernes portugais. Si ceux-ci ont construit au Portugal, leur production y a été moindre et se démarque peu, en raison du contexte politique de l’époque. Le régime de Salazar a rapidement préféré le style Estado Novo, plus en adéquation avec les idéaux nationalistes, au Modernisme. Les architectes Modernes se sont donc tournés vers les colonies et c’est là que leur production a été la plus abondante et remarquable. C’est donc à cette part de leur œuvre que Ana Tostões a choisie de s’intéresser dans ses recherches. En se rendant sur place, et notamment à Luanda, elle a pu constater qu’une part de cette production avait déjà disparu, pour laisser place à des constructions contemporaines. Quant aux édifices qui subsistaient, quoi que encore nombreux, ils étaient souvent dans un état qui laissait à désirer en raison d’un manque d’entretien. Ces derniers étaient donc également sous la menace de la « grue de la modernité ». Le besoin de faire l’expérience de cette architecture, de l’immortaliser, de la relever et de la donner à voir avant qu’il ne soit trop tard s’est fait ressentir. Les informations rassemblées dans cet ouvrage ont été obtenues, grâce à un travail de recherche au sein des archives du Gabinete de Urbanização Colonial ( puis Gabinete de Urbanização do Ultramar ) et du Gabinete de Urbanização de la Câmara Municipal de Luanda. Il a également été enrichi grâce à des interviews de certains des architectes ayant œuvré au sein de ces cabinets comme Fernão Lopes Simões de Carvalho. Un travail de terrain, qui a pris la forme de documentaire photographique ainsi que de relevés architecturaux a également été mené, lors de voyages effectués pour visiter ces édifices. Certains de ces voyages ont donné lieu à des workshops, durant lesquels des étudiants en architecture ont pu découvrir et participer à un travail d’archivage de cette production. Dans ce cadre des plans actualisés de certains édifices ont été produits, permettant ainsi d’avoir des documents qui correspondent à l’état actuel de ces bâtiments. Une recherche historique élargie visant à remettre la production des architectes de la Geração Africana dans un contexte globale a également été menée. Ces investigations ont permis la création d’une frise chronologique mettant en parallèle les événements importants en rapport avec cette production architecturale qui se sont produits au Portugal, en Angola et au Mozambique entre 1943 et 1975. Cette chronologie permet d’introduire un texte très riche, subdivisé en chapitre qui permet de comprendre quand et comment le Modernisme est arrivé en Angola et au Mozambique, qui étaient les acteurs qui ont permis à cette production de voir le jour et quelle forme a pris leur œuvre. Cet ouvrage s’attardent notamment sur ce que la production Moderne dans les colonies portugaises a de particulier, soit une dimension tropicale, qui a fait son unicité et sa richesse. Il répond aussi à des questions comme à qui s’adressaient ces bâtiments et quelle était la place des autochtones dans la ville Moderne.
photographie de la page de droite, de gauche à droite et haut en bas: Page d’introduction des études de cas Exemple de panneau d’analyse d’un bâtiment réalisé par les étudiants lors du workshop « Exchanging World Visions » Extrait de l’ étude de cas d’une maison individuelle dans l’Unité de Voisinage de Prenda Extrait de l’inventaire des bâtiments coloniaux, Modernes et tropicaux de Luanda. source: TOESTÕES, Ana. Arquitectura Moderna em África : Angola e Moçambique. Caleidoscope, septembre 2014. 480 p.
Il rappelle également certaines des thématiques que cette production Moderne et Tropicale permet d’aborder comme celle de la transculturalité, de l’identité, et du rapport entre le local et l’universel. En plus de ces considérations globales, le livre présente également un vingtaine d’études de cas. Celles-ci regroupent textes descriptifs, photographies et documents graphiques. Finalement le livre présente un inventaire des œuvres du mouvement Moderne dans les villes d’Angola et du Mozambique où les architectes de la Geração Africana ont le plus œuvré, entre autres Luanda, Lobito, Cunene,Quelimane, Maputo et Beira.
Arquitetura Moderna em África : Angola e Moçambique n’est pas le premier livre à traiter de ce sujet. En 2009 l’architecte Ana Magalhães et la photographe Ines Gonçalves publient le livre Moderno Tropical- Arquitetura em Angola e Moçambique, 1948-1975. Ana Magalhães est une architecte portugaise, qui s’est formée à la Faculdade de Arquitectura da Universidade do Porto. Après avoir exercée dans divers ateliers à Lisbonne, elle déménage ensuite en Angola, où elle s’installe d’abord à Lobito, avant de rejoindre la capitale. À Luanda elle dirige notamment l’atelier d’architecture Okuanjuluka, spécialisé dans la restauration, réhabilitation et rénovation d’édifices. Ines Gonçalves (1964 - ) est une photographe, réalisatrice et productrice portugaise, qui vit entre Lisbonne et São Tomé e Principe. Elle a réalisé une première série de photographies sur Luanda et ses habitants en 2006 intitulée « Agora ». À travers cette galerie de portrait elle cherche à montrer le quotidien des Angolais, et « l’ énergie » de la ville de Luanda. Trois ans plus tard Ana Magalhães lui propose une collaboration autour d’un projet mettant en exergue l’architecture Moderne et tropicale en Angola et au Mozambique. La première partie de cet ouvrage présente les caractéristiques de cette production et le contexte dans lequel elle est apparut. L’auteur met notamment l’accent sur l’influence du Modernisme brésilien sur la production des architectes de la Geração Africana. La deuxième partie de l’ouvrage se focalise sur quatre villes, Luanda et Lobito en Angola et Maputo et Beira au Mozambique. Une réflexion sur comment les idéaux Modernes ont façonné ces villes aussi bien à l’échelle urbaine, qu’à celle du bâtiment et de la pièce. Une troisième partie se concentre sur comment les architectes Modernes en intégrant le facteur climat ont revisité certains types architecturaux comme les églises ou l’immeuble à coursive et même créé des types nouveaux comme le cine-esplanada. Une quatrième partie nous présente douze œuvres issues de cette production Moderne et tropicale, dont le marché de Kinaxixe, la Radio Nacional de Angola et le Lycée de Lobito, en Angola. Le livre se termine par huit monographies d’architecte, dont celles de Vasco Vieira da Costa et de Fernão Lopes Simões de Carvalho. Une des grandes richesses de cet ouvrage sont les photographies qu’il présent, les images y sont aussi important que le texte. Ana Magalhães et Ines Gonçalves se sont vues attribuer le prix DAM - Architectural Book Award en 2010 pour cet ouvrage.
images ci-dessous: Première de couverture du livre Moderno Tropical- Arquitetura em Angola e Moçambique, 1948-1975, de Ana Magalhães et Ines Gonçalves Photographies du Cinema Flamingo Source : Moderno Tropical- Arquitetura em Angola e Moçambique, 1948-1975 © Ana Magalhães et Ines Gonçalves
En 2011, Ana Magalhães a collaboré à l’écriture d’un autre livre portant sur cette architecture Moderne en Afrique subsaharienne, encore trop méconnue du grand public, La Modernidad Ignorada – Arquitectura Moderna de Luanda de Roberto Goycoolea Prado. Ce livre est le fruit d’un projet inter-universitaire de recherche intitulé « La Modernidad Ignorada », qui a rassemblé des architectes, des historiens et des étudiants en architecture, espagnols, portugais et angolais. C’est suite à un premier voyage en Angola en juillet 2005 que Roberto Goycoolea Prado découvre la capitale angolaise. Il fait aussi bien l’expérience des musseques et notamment de celui de Cazenga où il est logé, que celle de la ville Moderne, qui le fascine et l’intrigue. La découverte de cette Modernité qui lui était jusque là complètement inconnue, le pousse à revenir à Luanda à de nombreuses reprises. Désireux de comprendre les origines de cette production, de documenter cette architecture, et d’oeuvrer pour sa conservation, il met en place en 2006 avec l’architecte et chercheuse Paz Núñez Martí et les professeurs du département d’architecture de l’Universidade Agostinho Neto de Luanda, un programme d’échange universitaire. Un budget très limité fera que dans un premier temps ces travaux de recherche prendront la forme d’initiatives isolées, jusqu’à ce qu’une bourse soit attribuée à ce projet par la Région de Madrid et l’Université de Alcalá. Suivent deux années de recherche et de travail de terrain, ayant pour but l’archivage, la divulgation et la proposition d’une stratégie de conservation de ces édifices. Les fruits de ce travail de recherche sont recueillis sur quatre supports. Un catalogue regroupant une soixantaine de fiches informatives sur des bâtiments représentatifs de la production des architectes Modernes portugais à Luanda entre 1945 et 1975. Ces fiches regroupent des données telles que l’auteur de l’oeuvre, la localisation de celle-ci, des dessins techniques et des photographies. On trouve également des données sur l’état de conservation des bâtiments et une étude de viabilité de réhabilitation, ainsi qu’une bibliographie listant les œuvres où les bâtiments sont cités. Une site internet ( www.modernidadignorada.com) a été créé, sur lequel on retrouve le catalogue, des photographies, des articles et autres informations. De plus il est possible pour les internautes de compléter cette documentation en soumettant des données additionnelles. Une exposition a également été montée pour présenter la Luanda Moderne, subdivisée en cinq axes. D’abord une approche historique, puis une présentation du contexte urbain, suivie d’une analyse de cette architecture Moderne et tropicale. Une quatrième partie se focalise sur quelques œuvres et une dernière partie ouvre une discussion sur l’état actuel de ces édifices et des possibles scenarii futurs pour la Luanda coloniale, Moderne et tropicale. Les panneaux d’expositions, sont téléchargeable gratuitement en ligne afin de permettre à quiconque de les imprimer et les exposer, dans la finalité de faciliter la divulgation de ce travail de recherche. Finalement, il y a le livre, publié en 2011 par la Fundación General de la Universidad de Alcalá, écrit à plusieurs mains, sous la direction de Roberto Goycoolea Prado et Paz Núñez Martí. Celui-ci cristallise l’essentiel des données recueillies dans le cadre de cette recherche et aborde les thématiques et les questionnements que la découverte de cette « Modernité ignorée » a fait surgir. Le livre est divisé en trois parties, à la rédaction desquelles ont participé des architectes et des historiens s’intéressant à la production du mouvement Moderne en Afrique subsaharienne et notamment en Angola, tels que Ana Tostões, Ana Magalhães, Ana Vaz Milheiros, Jorge Spencer ou encore Inês Lima . La première partie se concentre sur les antécédents historiques et théoriques qui ont menés à l’avènement de cette architecture Moderne en Angola et plus précisément à Luanda. Quand ? Pourquoi ? Pour qui cette production à vue le jour ?
L’objectif de cette première partie et de remettre dans son contexte le Modernisme tropical angolais. Elle se subdivise en quatre sous-parties dont « Luanda no movimento moderno » (34) rédigée par Isabel María Martins. La deuxième partie analyse les transformations qu’a connues la ville de Luanda entre 1945 et 1975, suite à la mise en place d’un projet de développement urbain basé sur l’idéologie Moderne. Comment s’est construite la Luanda Moderne et tropicale ? Le rôle du Gabinete de Urbanização Colonial et de ses successeurs y est traité, ainsi que la question du rapport entre cette architecture et le mode de vie de la société coloniale. Une sous-partie rédigée par Inês Lima intitulée, « Quando a habitação colectiva fez cidade. O caso de Luanda Moderna » (35) se concentre plus particulièrement sur l’habitat collectif Moderne et tropical et sur comment le besoin de répondre à une importante demande en logements a été à l’origine de la Luanda Moderne.
image de la page de droite: Élévation d’un immeuble de l’unité de Voisinage de Prenda Élévation d’un immeuble de l’unité de Voisinage de Prenda Élévation de l’immeuble du Ministere des Travaux Public Réalisées dans le cadre de la recherche « La Modernidad Ignorada » Source : http://cargocollective.com/ arquitecturamodernaluanda/filter/ Obras/___Dibujos Capture d’écran du site internet http:// cargocollective.com/arquitecturamodernaluanda
La troisième partie de cet ouvrage intitulée « Protagonistas » (36), se concentre sur les acteurs qui ont œuvré pour édifier la Luanda Moderne et tropicale. Trois des principaux architectes de la Geração Africana nous y sont présentés, Vasco Vieira da Costa, ainsi que Fernão Lopes Simões de Carvalho et Francisco Castro Rodrigues, qui ont tous deux concédé un entretien. Au-delà de vouloir documenter et archiver l’oeuvre des architectes Modernes portugais en Angola, ce livre veut surtout aider à faire connaître cette architecture et mettre un coup de projecteur sur ces édifices dont beaucoup ignorent l’existence et d’autres la valeur et la raison d’être. Au cours de leurs voyages en Angola, Roberto Goycoolea Prado et Paz Núñez Martí se sont aperçus que si la plupart des Luandais connaissaient ces édifices Modernes et tropicaux au moins de vue, étaient parfois capable de décliner leurs fonctions et de plus ou moins les dater à l’ère coloniale, la plupart ignoraient le contexte dans lequel ils avaient été construits. Quand ? Par qui ? Pourquoi ? Autant de questions auxquelles ceux qui sont quotidiennement confrontés à cette architecture et parfois même l’habitent, ne sont pas en mesure de répondre. La vaste majorité des Luandais ne se doutent pas qu’il s’agit de bâtiments affiliés à un mouvement architectural majeur, ayant marqué la deuxième moitié du vingtième siècle et dont l’oeuvre et les idéaux ont eu des répercussions mondiales. Les Luandais sont assis sur un trésor, dont ils ignorent la valeur historique, politique, sociale et culturelle. Lors de leurs travaux d’investigation in situ, Roberto Goycoolea Prado et Paz Núñez Martí, auraient d’ailleurs souhaité effectuer une enquête pour connaître l’opinion et le regard que portent les nationaux sur cette architecture, mais malheureusement ils ne purent mener à bien ce projet. Toutefois leur participation à la douzième édition des « Jornadas Técnico-Científicas », dont le thème était le futur des villes angolaises, ils purent constater le désintérêt de la plupart des participants et des autorités pour la question de l’architecture Moderne et tropical et de sa conservation et sa valorisation. « Sans exagérer, beaucoup furent surpris quand plusieurs conférenciers étrangers et quelques angolais émirent la nécessité de sa valorisation et de son utilisation comme modèle pour l’ample reconstruction urbaine et architecturale dans laquelle est embarqué le pays. […]. De ce qu’on a pu voir lors de ces Journées, au niveau institutionnel, l’architecture moderne n’intéressaient ni comme patrimoine à conserver, ni comme bien économique, ni comme modèle à suivre. Rien. Elle était simplement ignorée. » (37) Cette architecture ignorée même en Angola l’est aussi au-delà de ses frontières. Roberto Goycoolea Prado a constaté au terme de nombreuses conservations avec des collègues architectes et enseignants d’architecture en Espagne, que la plupart d’entre eux méconnaissaient totalement cette production Moderne subsaharienne, ou alors en avait une idée très vague et générale.
(34) traductible par : Luanda dans le mouvement Moderne (35) traductible par : Quand le logement collectif a fait ville. Le cas de Luanda Moderne. (36) traductible par : Protagonistes (37) « Sem exagero, muitos destes ficaram surpreendidos quando vários conferencistas estrangeiros e alguns angolanos colocámos a necessidade da volorização daquela e da sua utilização como modelo na ampla reconstrução urbana e arquitectónica em que está embarcado o país. […]. Pelo que se viu nessas Jornadas, ao nível institucional, a arquitectura moderna não interessava nem como património a conservar, nem como bem económico, nemcomo modelo a seguir. Nada. Era simplesmente ignorada. » GOYCOOLEA PRADO, Roberto. La Modernidad Ignorada: Arquitectura Moderna En Luanda, Angola. UNIV. ALCALA, novembre 2011. 170p.
Au Portugal, pays d’origine des jeunes architectes ayant édifié la Luanda Moderne, tropicale et coloniale, un intérêt relativement récent pour cette production ayant donné lieu à des ouvrages, des expositions et des travaux académiques, peut être constaté. Toutefois il s’agit de travaux d’archivage ayant pour but de garder la trace de cette production et réalisés avec une perspective historique qui souvent s’arrête en 1975 et parlent peu de ce que ces immeubles sont devenus depuis l’indépendance.
(38) Traductible par : L’architecture moderne africaine dans les Histoires de l’architecture.
Afin de mieux rendre compte du manque d’information et de reconnaissance de cette architecture, Roberto Goycoolea Prado propose à une étudiante de l’Université de Alcalá, Heidy González, de se pencher pour son mémoire de Master sur le sujet « La arquitectura moderna africana en las Historias de la arquitectura. » (38) . Elle a pour ce faire parcouru quatorze des plus notoires et recommandés ouvrages sur l’Histoire de l’architecture du vingtième siècle, couvrant la période de 1941 à 1993. Elle a quantifié les références à l’architecture Moderne africaine. Il est ressorti de ce travail que l’Histoire de l’architecture se limite encore trop à celles des pays hégémoniques et occidentaux, celles des autres pays étant rarement et très superficiellement abordées.
Dans ces quatorze ouvrages on compte soixante-treize références à l’architecture Moderne africaine, reparties dans sept pays du continent, l’Algérie [41 références], le Maroc [10], l’Afrique du Sud [5], l’Egypte [3], le Mali [1], le Nigeria [1] et l’Angola [1]. Des seize architectes cités, seul cinq sont africains, parmi eux l’architecte égyptien Hassan Fathy ( 1900-1989 ) évoqué trois fois et l’architecte Sud-Africain Rex Martienssen ( 1905 -1942) évoqué quatre fois. C’est finalement Le Corbusier avec quarante-cinq références soit 67% des mentions, qui est présenté comme le grand architecte du Modernisme africain. À noter que celui-ci n’a projeté qu’un projet en Afrique, le « plan Obus », pour la ville d’Alger, qui n’a par ailleurs jamais été réalisé. Pour ce qui est de l’Angola, la seule référence à l’architecture Moderne angolaise en quatorze ouvrage retraçant l’Histoire de l’architecture, est celle faite au projet jamais réalisé de Louis Kahn (1901-1974) pour l’ambassade des Etats-Unis en Angola, en 1961. Grâce à ce travail académique réalisé par Heidy González, on peut encore une fois constater à quel point l’oeuvre des architectes Modernes en Afrique et entre autres en Angola est véritablement « ignorée », même par ceux qui ont pour métier d’étudier et de relater l’Histoire de l’architecture. Ce manque d’informations disponibles explique en partie le désintérêt généralisé pour cette architecture. Comment s’intéresser à ce que l’on a jamais vu et dont on n’a jamais entendu parler ? Fort heureusement depuis une vingtaine d’années cet impair est entrain d’être corrigé grâce à la parution de livre comme celui-ci et ceux évoqués précédemment, mais également grâce à un nombre croissant de travaux académiques abordant cette thématique. En 2007, Maria Manuela Alonso da Fonte a rédigé une thèse de doctorat en planification urbaine intitulée « Urbanismo e Arquitectura em Angola – de Norton de Matos a Revolução » qu’elle a présentée à la Faculdade de Arquitectura da Universiade Técnica de Lisboa. Cet écrit se focalise sur l’analyse des formes d’occupation du territoire en Angola au vingtième siècle est plus précisément entre 1920 et 1970. Pour ce faire elle met en parallèle l’histoire urbaine du Portugal avec celle de l’Angola. Cet exercice lui permet de mettre en évidence des similitudes, puisque l’on retrouve des références et des modèles communs, ainsi que des acteurs ayant œuvré dans les deux pays, mais également les différences. Celles-ci surviennent une fois qu’un processus d’adaptation au site et notamment au climat, va venir conférer des caractères spécifiques à la production angolaise. Elle se penche ensuite sur la définition des facteurs qui font que l’architecture et l’urbanisme Moderne en Angola ait une identité propre. Cette identité est le fruit à la fois d’idéaux portés par les architectes ayant participé à l’édification de ces villes Modernes africaines, mais aussi d’un contexte politique, économique, social et culturel. Pour ce faire elle a mené un travail de recherche interdisciplinaire où architecture, sociologie, histoire et anthropologie rentraient en jeu. Ce travail de terrain s’est fait entre l’Angola et le Portugal, où elle a consulté les archives, visité des édifices et fait l’expérience de ces villes coloniales, Modernes et tropicales. Elle a également conduit un certain nombre d’entretiens, profitant du fait que certains des architectes de la Geração Africana, à l’origine de la diffusion du Modernisme en Angola, sont encore en activité ou du moins enclin à s’exprimer sur leur expérience et leur œuvre. Dans ce mémoire Maria Manuela Alonso da Fonte étudie les relations entre le Portugal et l’Angola au vingtième siècle sur le plan politique et social, selon les différents régime qu’a connus la métropole, de l’Empire à l’Etat Nouveau de Salazar en passant par la première République. La question des différentes politiques urbaines appliquées dans les colonies et des modèles qui y ont été exportés et comment ceux-ci ont été ou pas adaptés est également abordée. Elle s’intéresse en particulier à l’influence de l’Ecole Française d’Urbanisme lors des prémices de l’urbanisation de Luanda, mais également à l’application du modèle de la cité jardin et finalement à celle des idéaux Modernes.
Par ailleurs une des thématiques explorée par ce mémoire est celle de la création des villes et noyaux urbains en Angola, en distinguant les villes née d’une occupation spontanée du sol de celle née d’une planification urbaine ayant pour but de sédimenter une partie de la population en un lieu. Elle énonce trois scénarios, la ville littorale de formation spontanée, comme Luanda, Lobito et Benguela, le noyau urbain résultant de la mise en place du chemin de fer comme Malange et la ville s’étant formée suite à l’extension du réseau viaire. Elle se pose la question du rôle de L’Etat, de l’administration locale et des privées dans la création ou l’expansion des noyaux urbains, en se concentrant notamment sur le cas de Luanda et du projet Moderne d’extension de la ville.Elle présente dans ce cadre les différents projets urbains proposés par le Gabinete de Urbanização et s’attardent ensuite sur certains architectes ayant participé à l’édification de la Luanda Moderne et sur quelques unes de leurs œuvres. En décembre 2011, Jessica Marquês Bonito a présenté un mémoire pour l’obtention d’un Master en architecture intitulé « Arquitectura Moderna na África Lusófona – Recepção e difusão das ideas modernas em Angola e Moçambique » (39) à l’Instituto Supérior Técnico de la Universidade Técnica de Lisboa. Le but de ce mémoire était de montrer comment les idées du mouvement Moderne ont été reçues au Portugal et comment elles ont été diffusées et appliquées dans les colonies portugaises. Elle se concentre sur les cas de l’Angola et du Mozambique, sur une période s’étendant de 1948 à 1975. Afin de mettre en lumière le caractère singulier de cette production Moderne en Afrique subsaharienne, elle va étudier la production des architectes de la Geração Africana dans quatre villes, Luanda et Lobito en Angola et Lourenço Marquês ( actuelle Maputo ) et Beira au Mozambique. Elle commence par s’intéresser à l’architecture au Portugal avant le premier Congrès National d’Architecture, qui s’est tenue à Lisbonne en 1948. L’impact de ce congrès, qui avait pour but de permettre aux membres de la profession de discuter des problèmes urbains rencontrés au Portugal et notamment de la crise du logement que connaissent Lisbonne, est ensuite démontré. De nombreux jeunes architectes présents décidèrent de déroger aux impositions du régime de l’Etat Nouveau et défendirent l’idée que les préceptes Modernes pouvaient permettre de résoudre le problème portugais notamment en terme de logement. Se heurtant à des barrières politiques en métropole c’est finalement dans les colonies que ces jeunes architectes s’en vont diffuser les idéaux Modernes. Jessica Marquês Bonito s’intéresse à comment ces jeunes architectes aussi bien influencés par Le Corbusier et la Chartes d’Athènes que par le Modernisme brésilien, ont réussi dans les colonies à créer un langage Moderne spécifique au site et dans ce sens unique. Elle se penche sur les caractéristiques et les éléments distinctifs qui rendent ce Modernisme « tropical » et sur les types architecturaux propre à ce langage architectural, comme la cine-esplanada ou le jardim-escola.
(39) traductible par : Architecture Moderne en Afrique Lusophone – Réception et diffusion des idées modernes en Angola et au Mozambique. (40) traductible par : Le « patrimoine » du mouvement moderne, Luanda 1950-1975
Elle s’intéresse aussi particulièrement aux acteurs de ce Modernisme tropical et présente dix architectes ayant œuvré en Angola ou au Mozambique, avec notamment quelques incontournables comme Vasco Vieira da Costa pour l’Angola et Pancho Guedes pour le Mozambique. Elle prolonge ce travail en réalisant deux études de cas, regroupant dessins techniques, photographies et modélisations informatiques, permettant de comprendre l’organisation verticale des édifices, la circulation au sein de ceux-ci, leur système constructif, l’agencement des logements ou encore l’exposition solaire et la ventilation. L’Edificio dos Servidores do Estado construit à Luanda par Vasco Vieira da Costa en 1965 et l’Edificio Prometheus de Pancho Guedes situé à Maputo, construit entre 1951 et 1953, sont retenus. En 2012, Maria Alice Vaz de Almeida Mendes Correia a présenté un mémoire de Master en architecture et urbanisme intitulé « O «patromônio» do movimento moderno, Luanda 1950-1975 » (40) à la Faculdade de Arquitetura e Urbanismo de l’Universidade de São Paulo.
Dans ce mémoire elle s’intéresse aux transformations urbaines de la capitale angolaise entre ces deux dates. Avant de se pencher sur cette période, elle commence par rappeler l’évolution urbaine de la ville de 1575 jusqu’à la fin des années trente. Elle distingue une période pré-vingtième siècle, où la ville croît de manière spontanée, sans qu’un projet urbain global ne viennent encadrer sa croissance et ce parce que à cette période la ville se développe peu et son périmètre reste restreint. À partir des années 1920, l’industrialisation du pays, l’extension du chemin de fer et l’intensification de l’agriculture, entrainent une croissance urbaine de la ville, qu’il devient primordial d’encadrer et d’accompagner. Le Gabinete de Urbanização est crée et les premières réflexion sur un plan directeur sont lancées, mais les opérations se font à distance depuis le Portugal. À partir de 1938 des architectes tels que Fernando Batalha, Vasco Vieira da Costa ou Fernão Lopes Simões de Carvalho viennent s’installer en Angola. Un Gabinete de Urbanização local est formé, un plan directeur est établi et dès le début des années cinquante, la Luanda Moderne commence à véritablement prendre forme. Afin de mieux comprendre cette production Moderne angolaise et le contexte dans lequel elle s’inscrit, Maria Alice Vaz de Almeida Mendes Correia, s’intéresse dans un premier temps à l’avènement du mouvement Moderne dans le monde, avant se pencher spécifiquement sur l’arrivée de ce mouvement en Angola. Elle se focalise notamment sur les modèles et idées ayant influencé les architectes de la Geração Africana et sur leur formation, au sein des écoles de Beaux Arts de Porto et de Lisbonne notamment. Elle établit ensuite une liste de personnes ayant œuvré dans le cadre de l’expansion urbaine de Luanda entre 1950 et 1975. Elle réalise des fiches informatives pour chacune de ces personnes, qui regroupent des données telles que leur nationalité, leur formation, leur profession et un inventaire illustré par des photographies des œuvres auxquelles ils ont participé. Elle se pose la question de savoir combien de ces bâtiments sont aujourd’hui classés « patrimoine » et ainsi protégés. Le constat est que le processus de classification des édifices est en Angola encore à ces balbutiement. Entre 1922 et 1975 seul dix-sept bâtiments été classés, essentiellement des forteresses, des églises et des palais. De 1986 et 2010, soixante-seize bâtiments ont été ajoutés à cette liste, mais à ce jour aucun édifice Moderne, tropical et colonial n’est classé. Elle conclut donc son mémoire en établissant un lien entre ce fait et l’état de dégradation de nombreux de ces édifices et en ouvrant sur la possibilité de la mise en place d’un programme de protection de cette architecture qui passerait par le classement en tant que patrimoine et leur réhabilitation. En février 2015, Sílvia Leiria Viegas a présenté une une thèse de doctorat en architecture, spécialité conservation et réhabilitation, intitulée « LUANDA CIDADE (im)PREVISÍVEL – Governação e transformação urbana e habitacional : paradigmas de intervenção e resistências no novo milénio » (41) à la Faculdade de Arquitetura da Universidade de Lisboa. Cette thèse se focalise essentiellement sur la production actuelle de logement en Angola, dans un contexte post-colonial et de retour à la paix. Elle analyse la question des politiques et des pratiques urbaines appliquées par les pouvoirs publics en ce qui concerne le logement. Elle soulève de nombreuses questions telles que celle de la production des nouveaux quartiers comme Kilamba, mais aussi celle du délogement et relogement dans des périphéries toujours plus lointaines de la population des musseques et des résistances qui en résultent. La thématique du droit à la ville est le fil directeur de cette thèse, qui traite de questions d’actuelles. Cependant pour pouvoir aborder toutes ces questions et comprendre l’état actuelle de la ville de Luanda, il lui a fallu faire un pas en arrière et s’intéresser notamment à l’évolution urbaine de la capitaine angolaise entre 1948 et 2002, période durant laquelle la ville s’est entendue et consolidée. Elle distingue ainsi dans cette fourchette trois périodes, la ville coloniale jusqu’en 1975, la ville socialiste de 1975 à 1990 et la ville néo-libéral de 1990 à 2002.
(41) traductible par : LUANDA VILLE (im)PRÉVISIBLE – Gouvernance et transformation urbaine et résidentielle : paradigmes d’interventions et résistances dans le nouveau millénaire
Dans sa description de la ville coloniale, elle débute avec la genèse de la ville de Luanda, sous la forme du village de pêcheur de Lu’Ndandu, puis arrive à la cohabitation entre ville coloniale et villages autochtones pour passer ensuite à l’apparition, multiplication et expansion des musseques, avant d’arriver au projet de la ville Moderne. Elle s’attarde notamment sur cette dernière période. Elle pose le contexte dans lequel le Modernisme s’est diffusé en Angola, rappelle les grandes étapes de la réflexion autour de plan directeur de Luanda, avant de se pencher sur quelques grands projets et architectes de cette période comme l’Unidade de Vizinhança do Prenda de Fernão Lopes Simões de Carvalho. Ces quelques exemples cités montrent qu’il y a un intérêt croissant chez les étudiants en architecture notamment au Portugal et au Brésil, pour l’architecture Moderne subsaharienne, en Angola entre autres. Les enseignants en architecture et histoire de l’architecture commencent eux aussi à aborder ce sujet, notamment dans les pays où cette production est présente et dans les pays supra-cités. À l’Institut de Philosophie et Sciences Humaines de l’Université de Campinas au Brésil, dans le cadre du cours « Colonialismo, cidade e arquitetura moderna » (42) proposé par les professeurs Silvana Rubino et Omar Ribeiro Thomaz, deux séances sont dédiées à la thématique « O Modernismo brasileiro en Angola e Moçambique » (43). Ces initiatives permettent de petit à petit élargir l’horizon des étudiants en architecture et d’autres disciplines ayant attrait à la ville. Tous ces différentes initiatives, qu’il s’agisse de livres, d’écrits académiques, de cours ou d’activités proposées par des associations pour faire connaître cette production coloniale, Moderne et tropicale ou de pétitions et de manifestations organisées pour défendre cette architecture et assurer sa subsistance, sont la preuve que cette architecture intéresse et qu’elle a ses défenseurs. Parmi ceux-ci des architectes, des historiens, des urbanistes, des étudiants en architecture ou des photographes. Soit des personnes ayant une culture architecturale ou un regard qui leur permet de déceler au-delà de la peinture qui s’écaille, des traces d’humidité et de moisissure, un véritable trésor architectural, dont beaucoup ignorent encore l’existence et la valeur. Cependant il y a aussi de simples citoyens, des gens qui ne sont pas formés dans le domaine de l’architecture, mais qui quotidiennement font usage de ces édifices et qui ont appris à les aimer avec le temps et à en reconnaître la valeur. Au fur et à mesure que les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux et autres bâtiments datant d’avant l’indépendance, tombent sous les coups des bulldozers pour laisser place à des tours banalisées, on constate que les Luandais prennent de plus en plus la parole pour se positionner contre cette violente mutation urbaine que connait la capitale angolaise. La Luanda qu’ils connaissent, coloniale, Moderne et tropicale, celle qu’ils parcourent tous les jours, qu’ils habitent, dans laquelle ils ont grandi, à laquelle ils s’identifient, où ils ont leurs repères et leurs habitudes et surtout à laquelle ils ont su insuffler leur propre mode de vie et culture, a de la valeur et de la beauté dans leurs regards. De ce fait la voir ainsi menacée suscite de plus en plus d’indignation. Cela prouve que l’architecture coloniale, Moderne et tropicale a été adoptée par les Luandais, même si elle renvoi à une période historique difficile pour le peuple angolais et malgré le fait qu’à l’origine cette architecture ne leur été pas adressée.
(42) traductible par : Colonialisme, ville et architecture moderne (43) traductible par : Le Modernisme brésilien en Angola et au Mozambique
- CONCLUSION -
Au terme de ce mémoire dont l’objectif était de susciter un questionnement autour des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux de Luanda, notamment sur leurs origines, leur état actuel et surtout sur leur possible avenir dans cette ville, le premier constat qui a pu être établi est qu’aborder ces sujets ne peut se faire sans évoquer plus largement l’histoire urbaine de Luanda et l’histoire de l’Angola parallèlement à celle du Portugal. Placer la production des architectes Modernes de la dite Geração Africana en Angola, dans un contexte plus large d’un point de vue géographique et temporel, nous a permis de prendre connaissance et de comprendre un certain nombre de faits. Grâce à cela on peut aujourd’hui tenter de répondre à la question qui fût le fil conducteur de ce mémoire ; Quid des immeubles coloniaux dans une Luanda en transition ? Pour pouvoir y répondre il faut remonter au moins jusqu’au treizième siècle, à la période pré-coloniale. Ce faisant on peut alors comprendre qu’à l’origine de la ville de Luanda, il y avait le petit village de pêcheurs de Lu-ndandu, un ensemble de cases situées sur l’Ilha de Luanda, où résidaient des locaux, qui vivaient essentiellement de la pêche, de l’élevage de chèvres et de quelques cultures. Comprendre que pour établir le long de la baie de Luanda la ville de São Paulo da Assunção de Loanda en 1575, les Portugais, dont l’arrivée en Angola remontait à 1482, ont forcé la population locale à céder ces terres et aller vivre sur le plateau. Jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle la ville coloniale s’est essentiellement cantonnée à la Baixa et s’est peu développée, l’Angola servant presque uniquement de réservoir de main d’oeuvre, dont les locaux étaient réduits en esclavage et envoyés dans les plantations brésiliennes. À cette période la ville coloniale et les villages autochtones ont cohabité, sans jamais se mélanger, la première étant considérée comme le centre et la deuxième comme sa périphérie. Le village de cases a ensuite progressivement disparu, peut-être en raison de l’influence de la ville coloniale, laissant place à une nouvelle forme urbaine, le musseque, qui lui subsiste jusqu’à ce jours. Comprendre qu’à partir du début du vingtième siècle, les Portugais ayant perdu les Indes et ensuite le Brésil, voyaient en leurs colonies africaines, dans lesquelles ils avaient jusqu’alors très peu investi, leur dernier recours. La politique menée par le Portugal en Angola a alors changé, dans le but de rendre ce territoire fructifère. Cela s’est traduit d’une part par la multiplication et l’ intensification des exploitations agricoles et notamment du café, qui est progressivement devenu le bien le plus exporté par l’Angola. D’autre part par l’industrialisation du pays avec notamment le développement du chemin de fer et des activités portuaires. Luanda est alors devenue attractives et les Angolais ont quitté les provinces en nombre pour venir chercher du travail dans la capitale, venant ainsi grossir les effectifs de la population résidant dans les musseques. Ils furent suivis par des Portugais nourrissant l’espoir de faire fortune grâce au commerce du café et même de ressortissants des autres colonies portugaises comme le Mozambique et le Cap vert, à la recherche d’une vie meilleure. La ville a alors connu une croissance démographique rapide, résultant en une croissance urbaine organique et incontrôlée. Pour l’administration coloniale portugaise il devint urgent d’encadrer la croissance de Luanda, par le biais de la création d’un plan directeur, qui devait entre autre prévoir l’extension de la ville et la création de nouveaux logements pour accueillir tous ces nouveaux venus. La ville coloniale ne pouvant s’étendre que sur le plateau, les autochtones furent de nouveau renvoyés à une périphérie toujours plus lointaine. Si la priorité était de fournir des logements aux familles portugaises, les autorités coloniales conscientes qu’elles n’avaient plus aucune prise sur les musseques, de plus en plus vastes et nombreux, voulurent trouver un moyen d’exercer davantage de contrôle sur la population locale. C’était là une conséquence du passage en 1933 à un nouveau régime, l’Estado Novo de Salazar. Profondément nationaliste, celui-ci voulait notamment affirmer davantage sa domination sur les colonies. Comprendre que c’est de cette volonté que les quartiers dit pour « indigènes », dont le premier fût le Bairro Operário, édifié au milieu des années trente, ont été crées. Ces projets devaient permettre de repartir la population « indigène » sur le territoire, facilitant ainsi la surveillance tout en garantissant la présence d’une main d’oeuvre bon marché à proximité des quartiers pour colons.
Comprendre que le Gabinete de Urbanização Colonial a été crée en 1944 à Lisbonne et que cette structure regroupant des architectes et des ingénieures entres autres, avait pour mission de répondre à ces deux questions. Celle de la création de logements pour les familles portugaises et celle de la création d’habitat pour « indigène », afin de permettre le résorption de la « pathologie urbaine » qu’étaient les musseques. Frustrés de ne point pouvoir s’exprimer en métropole, de jeunes architectes formés aux Beaux Arts de Porto et de Lisbonne, sensibles à l’idéologie Moderne, inspirés par le Corbusier et le Modernisme brésilien, sont allés travailler dans ce cabinet dans l’espoir de pouvoir dans les colonies mettre en pratique les préceptes de la charte d’Athènes. Pour pouvoir accéder à cette liberté de création et d’expression, ils ont fait fi de certains des idéaux portés par le mouvement Moderne, tels que celui d’une société égalitaire et choisissant d’oeuvré pour l’entreprise coloniale. Comprendre d’ailleurs que cette entreprise coloniale était depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, devenue de plus en plus critiquée, notamment par les Etats-Unis et les pays du bloc socialiste. Pour tenter d’apaiser les tensions et récupérer l’opinion publique le Portugal a tenté de maquiller la réalité coloniale, en substituant le mot colonie par le terme « province d’Outremer » par exemple. L’objectif était de donner l’impression d’une nation unique et unie. En Afrique aussi les contestations contre cette présence étrangère devenaient de plus en plus fortes avant de culminer en 1960, années où de nombreux pays du continent accédèrent à l’indépendance, dont le Congo pays frontalier de l’Angola. Les Angolais étaient eux aussi désireux de regagner leur autonomie et leur souveraineté. Alors voulant retarder au maximum cette indépendance, les Portugais ont au contraire décidé de renforcer leur présence sur le territoire angolais. Une des manières d’y parvenir était d’encourager et de faciliter l’établissement des familles portugaises dans cette colonie, mais également d’abandonner la stratégie de gouvernance à distance au profit d’instances implantées sur place. Comprendre que c’est ainsi qu’après avoir travaillé pendant un temps depuis Lisbonne, produisant de ce fait des projets pas toujours adaptés à la réalité luandaise et notamment au climat tropical, que les architectes du Gabinete de Urbanização ont pu s’établir en Angola en 1957. Des antennes locales du Gabinete de Urbanização ouvrirent dans la plupart des grandes villes du pays et notamment à Luanda. La principale mission du Gabinete de Luanda était d’enfin produire le tant attendu plan directeur de la ville. La proposition retenue bien qu’elle ne fût jamais réalisée dans sa totalité, donna lieu à une série de grands travaux dans la ville. Ceux-ci incluaient la restructuration des axes routiers et la construction de logements, essentiellement situés sur le plateau, dans la Cidade Alta. Le groupe d’architectes Modernes portugais venus travailler dans les colonies, que l’on surnomme la Geraoção Africana, a vraiment voulu y construire des villes de leur point de vue utopique. Ils reprirent les grands principes du mouvement Moderne, aussi bien sur le plan urbain qu’à l’échelle du bâtiment et du logement, mais les adaptèrent au site et notamment au climat. Petit à petit ils se laissèrent influencer par d’autres éléments locaux, incorporant ainsi des références à l’art et la culture locale dans leur architecture. Leur regard sur la société angolaise et notamment sur les « indigènes » va évoluer, comme en témoigne le passage d’un projet comme celui de la ville satellite numéro 3, proposé par Vasco Vieira da Costa, qui démontre une volonté de domination et d’exploitation des autochtones, à un projet comme celui de l’Unité de Voisinage de Prenda. Dans ce deuxième projet même si il y a une distinction qui est faite entre les logements réservés aux autochtones et ceux destinés aux Portugais, ceux-ci sont compris dans un même ensemble urbain, poussant ces deux populations à la convivance. Comprendre que des initiatives comme celle-ci contribuèrent à une légère amélioration de la condition des autochtones, mais cela ne suffit pas à contenter les Angolais. Les insurrections en faveur de l’indépendance menées par le MPLA, la UNITA et le FNLA se multiplièrent. Alors pour garder la main mise sur l’Angola, le Portugal y déploya près de soixante-cinq mille soldats en renfort, ce qui coûta très cher au pays, déjà en difficulté financière.
Cela causa un mécontentement général qui mena au renversement de l’Estado Novo le 25 avril 1974. Suite à ces événement le nouveau gouvernement portugais, après avoir négocié avec les trois principaux partis indépendantistes concéda l’indépendance de l’Angola, le 11 novembre 1975. Comprendre que beaucoup de familles portugaises demeurèrent en Angola après cette date et ce jusqu’à ce qu’un an plus tard, des massacres commandités par les membres du FNLA et de la UNITA, en représailles du fait que le Portugal n’ait reconnu que l’Angola socialiste du MPLA, fassent quarante mille morts. Après ces événements la majorité des quatre cents mille portugais présents en Angola quittèrent le pays, laissant derrière eux, une ville coloniale à l’abandon. C’est à ce moment que les familles angolaises, s’installèrent dans les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux, dans lesquelles elles n’avaient pas le droit de résider auparavant, car ceux-ci étaient restés vacants. Ces familles ont du s’adapter à la vie en appartement, changeant ainsi certaines de leurs habitudes mais ont également agi sur ces espaces afin de les rendre plus adaptés à leurs besoins et leur mode de vie. Cela se traduisit notamment par une très importante occupation des espaces extérieurs, comme les coursives, les cages d’escaliers, les terrasses et les porches, proportionnant ainsi une vie communautaire intense. Comprendre que les conflits de 1992 qui firent basculer le pays dans une guerre civile latente depuis 1975, entrainèrent une atmosphère de méfiance et repli sur soi. Cela se traduisit par l’apparition de grillages et de gardiens et par la disparition de l’animation qui rendait les espaces collectifs des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux particulièrement vivant. L’éloignement des conflits et le caractère de plus en plus sporadique de ceux-ci permirent un progressif retour à la normale, même si les barrières érigées restèrent en place et ce même après la signature des accords de paix entre la UNITA et le MPLA, le 4 avril 2002. Comprendre que pendant cette longue période d’instabilité politique ayant durée de 1975 à 2002 la préservation et l’entretien du bâti de la ville n’a pas été une priorité pour le pays, qui traversait nombreux autres difficultés. De ce fait les édifices et notamment les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux n’ont bénéficié d’aucun travaux d’entretien et se sont progressivement dégradés. Depuis le retour à la paix et malgré le boom économique qu’a connu le pays grâce à l’exploitation de son sous-sol, peu d’initiatives ont été prises pour réhabiliter ces édifices. Par ailleurs le peu qui a été fait consistait essentiellement en des opérations de « réhabilitation cosmétique ». Ces interventions superficielles se limitaient à des actions visant à l’amélioration de l’aspect des façades, mais n’apportaient aucune solutions aux véritables maux dont souffraient ces édifices. Ce manque d’engagement du gouvernement et le sentiment d’être délaissé par celui-ci, s’est traduit chez beaucoup d’habitants par un laisser-aller de leur part, qui a contribué à la dégradation de ces immeubles et chez quelques autres par la volonté de prendre eux-mêmes les choses en main pour améliorer la situation. Toutefois le budget dont disposent ces habitants volontaires ne leur permet pas sans une aide du gouvernement de procéder à une réhabilitation complète et efficace, causant ainsi le « raz-le-bol » des habitants des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux. Comprendre que si en terme de réhabilitation peu de chose se sont faites, en terme de construction, qu’elle soit l’oeuvre d’acteurs privés ou publics, au contraire on a pu assister à une vraie explosion du secteur immobilier. Les investisseurs privés se sont focalisés sur les projets de luxe. Des logements de standing, des tours de bureaux et des centres commerciaux destinés à une petite partie de la population qui s’est enrichie avec la reprise de l’économie et à des expatriés venus travailler pour les multinationales étrangères, devenues de plus en plus nombreuse à Luanda. Ces projets d’abord concentrés dans le secteur de la Baixa de Luanda furent construits en lieu et place d’édifices coloniaux.
Ils se sont ensuite, faute d’espace libre dans le centre ville de Luanda, déplacés vers la périphérie. Quant au secteur public, à l’approche des élections de 2008, le MPLA pour garantir le vote d’un peuple mécontent de vivre dans des immeubles dégradés voire des musseques devenus insalubres, a lancé plusieurs projets de construction de logements « bon marché », tels que le Projeto Nova Vida, le Lar do Patriota, la Nova Centralidade de Kilamba ou les Zangos. Comprendre que cette même année, la négligence de l’État en ce qui concerne l’entretien des édifices existants a fini par avoir des répercussions désastreuses. L’immeuble de la Direction Nationale d’Investigation Criminelle s’est effondré faisant trente morts. Suite à cet épisode une commission chargée d’inspecter et de juger de l’habitabilité et de la viabilité de la réhabilitation d’une dizaine d’immeubles dont l’état inquiétait a été créée. Les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux inspectés, dont le prédio Cuca et le prédio Angola Telecom, ont tous été jugés impropre à l’habitation. Ils furent évacués et après une période de vacances de parfois plusieurs années, ils furent démolis. Comprendre que toutes ces démolitions d’immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux ont entraîné le relogement de leurs anciens occupants dans les édifices récemment construits des Zangos, situés à plus de trente kilomètres du centre ville et dont la qualité en terme d’espace, d’esthétique, de desserte et d’infrastructure, laisse à désirer. Par ailleurs les terrains libérés par ces démolitions ont systématiquement été vendus à des investisseurs privés, qui y ont construit des projets à visée spéculative, qui ne s’adressent qu’à une élite aisée et auxquels les anciens habitants des édifices démolis ne peuvent que rarement accéder. Si c’est deux facteurs laissent déjà présager les abus qui découlerait de la démolition des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux, le cas des immeubles de São Paulo est venu confirmer cette crainte. Cet ensemble d’édifices abritant en leur rez-de-chaussée des entrepôts, ont été condamnés à la démolition du jour au lendemain, sans cause apparente et sous les protestations de leurs occupants, pour qu’un énième projet luxueux puisse voir le jour. Comprendre que la démolition des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux, est devenue un moyen pour le gouvernement de tirer profit de la spéculation immobilière et par conséquent de l’alimenter. Ces démolitions mettent par ailleurs en danger le « droit à la ville » des familles de classe moyenne, qui progressivement se retrouve rejetées à la périphérie lointaine de la ville, reproduisant ainsi un schéma qui rappelle la ville coloniale. Seulement ici, la ségrégation n’est plus raciale mais sociale, bientôt seul les riches et les expatriés auront accès au centre ville et les plus modestes eux devront se contenter de vivre en marge. Cette situation fait progressivement prendre conscience aux Angolais de l’importance sociale et politique de l’immeuble colonial, Moderne et tropical et de ce que sa perte signifierait. Comprendre aussi que si les immeubles de São Paulo sont pour le moment en sursis comme beaucoup d’autres édifices de la Baixa et de la Cidade Alta de Luanda, c’est « grâce » à la crise économique qui a frappé l’Angola en 2014, suite à la chute du cours du pétrole. C’est la crise qui a mis un frein momentané à la spéculation immobilière et non le gouvernement qui a décidé de changer de politique urbaine ou d’entendre la voix du peuple. Comprendre aussi que les Angolais ont pu croire dans un premier temps que l’immeuble colonial, Moderne et tropical, qui restait peut-être à leurs yeux un modèle importé et imposé, qui faisait écho à une période encore douloureuse de l’histoire de ce pays, serait remplacé par quelques chose de mieux. Une architecture authentique, plus en lien avec le site, la culture et le mode de vie locale, tout en étant dans l’ère du temps, ils ont aujourd’hui compris que ce ne serait pas le cas. Les édifices coloniaux Modernes, certes basés sur des modèles occidentaux, ont tout de même été adaptées à une réalité locale et sont donc porteur d’une certaine « Angolanidade ».
Ils se font aujourd’hui remplacés par des tours inspirées de celles de Manhattan et Dubaï, complètement inadaptées au climat et au contexte luandais. À la périphérie de la ville c’est une architecture de masse et dépersonnalisée empruntée à la Chine et des condominiums horizontaux aux pavillons répétitifs empruntés aux Etats-Unis qui prospèrent. Ces édifices sont projetés par des architectes étrangers, construit avec des matériaux importés et se destinent pour certains presque exclusivement à des expatriés. Une prise de conscience collective s’opère petit à petit et les Angolais commencent aujourd’hui à saisir également la valeur et la qualité de cette architecture coloniale, Moderne et tropicale. Dès sa création celle-ci était déjà plus adaptée et intégrée dans son site que ce qui peut se construire aujourd’hui. De plus des années d’occupation par des familles angolaises, qui l’ont investit, l’ont remodelée et en on fait le théâtre de leur quotidien, ont achevé de rendre cette architecture locale. Comprendre que de plus en plus d’Angolais prennent la parole à travers des manifestations, des pétitions ou des associations, pour lutter pour la subsistance, la réhabilitation et la valorisation de cette architecture coloniale, Moderne et tropicale. Cet intérêt et cette volonté de défendre cet héritage bâti dépasse d’ailleurs les frontières de l’Angola et un nombre croissant d’architectes et d’historiens sont réunis autour de cette cause. De cette mobilisation sont nés des projets de recherche, des livres, des expositions ou encore des écrits académiques, à l’image de ce mémoire. Après avoir assimilé tous ces éléments on peut à présent formuler une réponse au questionnement qui nous a guidé et affirmer que si il est indéniable que les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux luandais ne vivent pas leurs heures de gloire, comme le laisse deviner leur état de dégradation et la démolition parfois injustifiée de quelques uns d’entre eux, ils ont encore leur raison d’être. Ces raisons sont d’ordre architectural et culturel. Ces immeubles sont la trace laissée en Afrique subsaharienne par les architectes affiliés au mouvement Moderne. Mouvement qui a marqué la deuxième moitié du vingtième siècle et dont les idéaux et l’esthétique continuent encore aujourd’hui de servir de référence à d’autres générations d’architectes. Ces édifices incarnent une part encore peu connue de la production des architectes Modernes. Si il est de notoriété publique que ces architectes ont œuvré en Europe, aux Etats-Unis ou même au Brésil, beaucoup ignorent encore que certains ont portés les idées Modernes jusqu’en Afrique « noire ». Le Modernisme subsaharien est d’autant plus intéressant, qu’il ne se limite pas à une transposition à l’identique du langage Moderne, comme il a pu être employé en occident, en Afrique. La production des architectes Modernes en Afrique subsaharienne et notamment en Angola se distingue par son caractère tropicale, qui résulte du besoin d’adapter les idéaux et l’esthétique du mouvement Moderne à une réalité en tout point différente de celle de leur lieu d’origine et un climat où forte chaleur et humidité se combinent parfois. C’est ce besoin de ventiler et de se protéger du soleil qui a conféré à l’architecture Moderne angolaise une dimension unique. Avec le temps la prise en compte du climat a pris une telle importance dans la démarche des architectes portugais officiant en Angola, que leurs projets sont devenus des entités uniques, au croisement entre Modernisme et Régionalisme Critique. Cette idéologie nouvelle, est aujourd’hui désignée comme « Modernisme tropical » et témoigne de cette même capacité à adapter la charte d’Athènes à un site et ses particularités, dont ont également su faire preuve des architectes brésiliens tels que Oscar Niemeyer, Lucio Costa ou Paulo Mendes da Rocha. De plus, parce qu’ils construisaient dans des territoires qu’ils considéraient comme vierge et loin des limitations qui bridaient la créativité des architectes Modernes qui œuvraient dans les grandes métropoles occidentales, les architectes de la Geração Africana ont vraiment pu pousser très loin leurs expérimentations
Ils ont appliqué et réinterprété les idéaux Modernes avec une grande liberté, créant des œuvres audacieuses et innovantes aussi bien sur le plan esthétique, que structurel ou fonctionnel. Les édifices qu’ils ont conçus ont cette dimension « remarquable » et très plastique que l’on ne retrouve pas toujours dans le Modernisme occidental, qui lui s’est développé, en Europe notamment, dans un contexte de reconstruction après-guerre et d’exode rural. Ainsi, Luanda compte aujourd’hui une centaine d’édifices Modernes et tropicaux datant de la période coloniale et parmi eux des constructions véritablement notables. Il semble important que cet héritage ne se perdent pas et que cette page de l’Histoire de l’architecture ne se perdent pas avant même d’avoir été connue. Il existe également des raisons sociales et politiques, car préserver ces immeubles c’est veiller à ce que les familles angolaises de classe moyenne, qui y résident depuis parfois plus de quatre décennies, puissent continuer à vivre dans le centre ville de Luanda, dans leur quartier et dans des logements qui sont intimement liés à leur histoire personnelle et auxquels ils ont un attachement affectif. C’est empêcher que la ville ne soit vendue aux enchères et cédée aux investisseurs les plus offrants, dont l’objectif sera ensuite de faire des projets lucratifs et non pas d’apporter quelques chose à la ville. C’est ralentir le processus de gentrification du centre ville, qui est lui même une conséquence de la multiplication des projets spéculatifs, qui s’adressent uniquement à une minorité d’Angolais fortunés et des expatriés. C’est garantir que le « droit à la ville » pour tous, des plus modestes et aux plus aisés soit respecté. C’est tenter de ne pas exacerber les inégalités sociales qui divisent déjà la société angolaise et le paysage de Luanda, avec d’une part des tours contemporaines et à l’autre bout du spectre des musseques en passant par la ville coloniale, qui aujourd’hui se mélangent et se côtoient de très près. C’est tenter de préserver cette mixité et aller à l’encontre du schéma « centre riche, périphérie pauvre », dont l’inefficacité a déjà été démontrée et dont de nombreuses villes essayent de sortir aujourd’hui. Finalement il y a des raisons économique et écologiques. L’Angola traverse aujourd’hui une crise économique dont les conséquences ont été désastreuses pour le pays et les ménages et dont elle commence tout juste à sortir. Depuis la chute du cours du pétrole en 2014, ressource dont l’exploitation est le pilier de l’économie angolaise et suite à une très mauvaise gestion des gains générés par cette activité pendant les « douze glorieuses » du pays, l’Angola croule sous les dettes, la Chine étant son principal créancier et les caisses de l’État sont vides. De plus cette crise s’est suivie d’une pénurie de dollars, quand les Etats-Unis ont décidé de cesser de fournir des devises au pays suite à de nombreuses affaires de corruption, de blanchiment d’argent et autres fraudes. L’Angola, étant un pays produisant peu et important presque tout, a été frappée de plein fouet par cette décision, car sans devises comment assurer les importations. Dans le secteur du bâtiment cela s’est traduit par l’abandon de plusieurs chantiers en cours, faute de dollars pour faire venir les matériaux. Cela a également entraîné le départ d’une grande part des ouvriers chinois, car ils touchaient leurs salaires en dollars, ainsi que des licenciements et le dépôt de bilan de plus d’une entreprise. Dans un tel contexte valoriser les bâtiments existants devient un besoins primordial. Réhabiliter les bâtiments du centre ville de Luanda, en faisant appel à une main d’oeuvre locale pouvant être payée en Kwanzas, est de loin la solution la plus économiquement viable. On ne peut se permettre aujourd’hui de détruire des bâtiments qui pourraient encore servir pendant des décennies, à condition d’être réhabilités et ensuite régulièrement entretenus. De plus même si la question écologique est encore très peu présente dans les discours des représentants angolais et dans le quotidien des ménages angolais, celle-ci doit devenir une priorité pour tous le monde. Cette question faisait déjà partie des préoccupations des architectes Modernes portugais, qui ont imaginés des bâtiments adaptés au climat, grâce à des dispositifs passifs et ingénieux, garantissant le confort thermique des usagers.
Aujourd’hui il faudrait non seulement rendre à ces édifices ces qualités, en rétablissement les systèmes de ventilation naturels et en limitant la prolifération des climatisations. Par ailleurs plutôt que de détruire ces édifices il faudrait oeuvrer pour leur récupération, afin qu’ils puissent continuer d’assurer leur fonction le plus longtemps possible, ou les recycler, afin qu’ils puissent servir à d’autres fonctions. La démolition doit devenir le dernier recours et pas la première option, et construire doit répondre à une nécessité réelle et non pas être un moyen de placer ou produire des capitaux. Pour cela il faudrait que la politique de l’État et notamment du Gouvernement Provincial de Luanda change et prône davantage la valorisation et revitalisation de l’existant. Les élections du 23 août 2018 et ont mis un terme aux trente-huit ans de présidence de José Eduardo dos Santos, à qui a succédé João Lourenço et un nouveau gouvernement. On ne peut qu’ espérer que dans cette nouvelle ère politique, la question de la réhabilitation du centre ville et de la conservation de l’existant sera davantage prise en compte. Toutefois la situation financière du pays fait craindre que ces questions soient plus que jamais considérées comme de second ordre. Si l’élection de l’architecte Ângela Mingas, qui défend depuis déjà quelques années l’idée qu’il est nécessaire de protéger, préserver et réhabiliter les édifices anciens du centre ville de Luanda, au poste de secrétaire d’État pour l’Organisation Territoriale en septembre 2017 a pu être une note d’espoir, celui-ci fut de courte durée puisqu’elle a quitté ses fonctions un an plus tard. En somme, aujourd’hui on ne peut garantir et ce malgré le fait qu’ils existent de nombreuse bonnes raisons d’aller dans ce sens, que les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux de Luanda et le centre ville de Luanda en général, pourront bénéficier d’un second souffle. Cependant on peut affirmer que ceux-ci ne tomberont pas dans l’oubli et qu’une trace de cette production sera conservée au moins grâce aux mots et aux images, à travers le travail d’archivage et de répertorisation qui a déjà commencé à être mené par des architectes, des historiens, des photographes et des étudiants d’architecture entre autres. Si ces travaux sont précieux, pour ce qu’ils nous apprennent sur l’histoire de la ville Luanda et sur la production Moderne en Angola, on peut tout de même constater que ces écrits ne prennent pas en compte la dimension de « l’habité » et ne s’attardent pas assez sur l’état actuel de ces édifices. Les transformations qu’ils ont connus à travers le temps, la manière dont les gens y vivent aujourd’hui ne sont que peut évoquées et illustrées. Il serait pourtant intéressant de voir ces transformations apparaître sur des documents graphiques, car elle témoignent de la souplesse et de la capacité à absorber les adaptations des occupants de ces édifices, qui sont deux de leurs grandes qualités et la raison pour laquelle jusqu’à soixante-dix ans plus tard cette architecture n’est pas « dépassée ». Cet aspect est d’autant plus important que pour que les Luandais se sentent vraiment concernés par la préservation de ces édifices, il faut qu’ils aient le sentiment que ceux-ci leur appartiennent et qu’ils peuvent notamment agir dessus. L’immeuble colonial, Moderne et tropical que les Angolais sont prêt à défendre n’est pas celui de la période coloniale dans lequel ils n’avaient même pas le droit de vivre, mais celui qui est le théâtre depuis déjà quarante-deux ans de leur quotidien. Celui où le linge est lavée et étendu sur la coursive, où les enfants crient et cours dans les escaliers, où les jeunes se donnent rendez-vous sous le porche et au pied duquel les gardiens des immeubles voisins se regroupent pour discuter. C’est d’ailleurs pour cela que si réhabilitation il y a des ces édifices, celle-ci ne doit pas prendre la forme d’un retour au stade initial. Il faut que la réhabilitation de ces édifices se fasse en concertation étroite avec les usagers pour que ces espaces puissent continuer à répondre à leurs besoins et envies.
Toutefois tous les « ajustements » réalisés par les familles angolaises sur leurs espaces de vie, ne pourront pas être conservés. Certains notamment ont un impact négatif sur le bâtiment, parce qu’ils perturbent le fonctionnement des dispositifs de ventilation naturelle, qu’ils fragilisent la structure ou entrainent une gêne pour les autres résidents par exemple. Il faut donc trouver un compromis qui permettent de préserver ces initiatives de « personnalisation », sans nuire cependant au bon fonctionnement de l’édifice et à la vie de groupe. La première étape de ce travail de réhabilitation pourrait donc prendre la forme d’une enquête, mêlant architecture, anthropologie et sociologie, menée au sein de ces immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux et auprès de leurs habitants. Le but de ce travail préparatoire à la réhabilitation serait de comprendre comment les résidents occupent l’espace de leur logement, ainsi que les espaces partagés. Ce serait également l’occasion de répertorier les « ajustements » auxquels ont procédés les habitants et comprendre quels était les besoins à l’origine de ces initiatives. Finalement cette étude devrait permettre de cerner ce qui aujourd’hui manquent aux habitants et inversement ce qu’ils considèrent comme étant des points positifs. Cette enquête viendrait compléter un travail plus technique et classique de repérage des pathologies du bâtiment, mené par des architectes, des ingénieurs et autres techniciens. En combinant ces deux procédés, un cahier des charges pourrait être établi. Celui-ci pourrait servir de guide aux architectes dans la réalisation de leur projet de réhabilitation, pour qu’il ne soit pas une simple remise en état d’un bâtiment, ou pire, un retour en arrière vers sa forme initiale. La réhabilitation des immeubles Modernes et tropicaux du centre ville de Luanda devrait être l’occasion de procéder à une « actualisation » de ces édifices dont la construction remontent à jusqu’à soixante-dix ans. Tout en conservant les aspect les plus importants des projets d’origine, la réhabilitation pourrait également donner un nouveau souffle à cette architecture, pour qu’elle soit plus adaptée à la société angolaise d’aujourd’hui et cela pourrait passer par la légitimation de certaines modifications menées par les habitants. Prenons par exemple le cas des loggias, dans la plupart des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux de Luanda celles-ci ont été fermées et annexées aux espaces du logement, mais ces « fermetures » prennent au sein d’un même immeuble autant d’expressions différentes que d’appartements. Alors peut-être qu’il faut reconnaître que les familles angolaises ont besoin de ces mètres carrés additionnels et trouver dans un immeuble une solution unique pour à la fois permettre à ces familles de gagner un peu d’espace, tout en s’assurant que ces épaisseurs de loggia puissent continuer de jouer leur rôle de régulateur thermique. La solution apportée se devra d’être plus thermiquement efficace, écologique, esthétique et économique, que la pose d’un vitrage et d’une climatisation, option à laquelle ont généralement recours les habitants et qui très vite s’avère être davantage un problème. Les modifications apportées par les habitants sont nées de besoins réels mais ont souvent été réalisées avec des moyens financiers limités et sans conseil d’un professionnel. Ces projets de réhabilitation pourrait être l’occasion d’accompagner ces familles dans ce processus, pour que les modifications antérieures soient reprises et homogénéisées et que celle à venir soient anticipées et exécutées dans les « règles de l’art », afin qu’elles soient vraiment une plus-values pour tous. Cela nous pousse à réfléchir à la possibilité évoquée précédemment de faire « classer » ces édifices, car une des limites de ce type de procédure est qu’elles impliquent souvent de figer les édifices dans le temps et de les « muséifier ». Or les villes sont en constant changement et leurs édifices doivent pouvoir suivre ces mutations. Ceux à usage résidentiel plus que tout autres, doivent pouvoir offrir une certaine marge d’action aux occupants, qui est nécessaire pour qu’on puisse passer du simple logement à des espaces véritablement « habité » et empêcher que ces édifices ne tombent en désuétudes précocement.
Au vue de cela le classement de ces édifices, qui pourrait être une manière efficace de garantir leur subsistance, n’est peut-être pas pour autant la solution adéquate. Par ailleurs la question de la réhabilitation des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux nous renvoie à un autre sujet également évoqué dans ce mémoire, celui de la recherche d’une nouvelle expression pour l’architecture angolaise. Au-delà de permettre de fournir aux familles angolaises un cadre de vie plus digne et de rendre son éclat à cet héritage Moderne et tropical, ces projets de réhabilitation et notamment les enquêtes menées au sein des édifices au préalable, devraient permettre de recueillir des informations qui s’avéreront fort probablement précieuses dans le cadre de la mise au point de nouveaux projets de logement. Une analyse attentive de la manière dont les familles angolaises vivent aujourd’hui dans les immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux, devraient permettre de créer à l’avenir des logements encore plus adaptés à leur mode de vie et à la structure de ces familles. Ce serait également l’occasion de tirer de leçons de cette architecture Moderne et tropicale, de reprendre ou réinterpréter ce qui fait sa qualité, mais aussi de dépasser ces limites. Ainsi on pourrait voir émerger à Luanda et plus largement dans le pays, de nouvelles formes d’ architecture résidentielle, qui ne soient pas des copies conformes des modèles américains, européens ou chinois, en totale décalage avec la réalité angolaise. Ce travail d’enquête pourrait favoriser l’éclosion d’une expression architecturale plus authentique et locale, d’une architecture angolaise.
Cela vient confirmer l’importance de ce travail d’enquête au sein des immeubles coloniaux, Modernes et tropicaux, qui comme ont a pu le voir aurait au moins trois bonnes raisons d’être. Premièrement permettre de compléter un travail de documentation et d’archivage de cette production du mouvement Moderne en Angola. Il permettrait l’écriture d’un chapitre supplémentaire de l’histoire de ces immeubles, qui jusqu’ici a été peu raconté et montré, qui se concentrerait sur comment les familles angolaises ont investi et transformé ces espaces. Deuxièmement, dans l’heureuse hypothèse d’une réhabilitation de ces immeubles, ce travail d’enquête permettra que celle-ci soient faite avec égard pour les besoins et les volonté des habitants de ces immeubles. Troisièmement les informations recueillies pourraient servir de base de données pour les architectes angolais d’aujourd’hui et de demain et les aider à mettre au point des projets de logement en adaptation avec la structure et les besoins de la famille angolaise, mais aussi avec le climat et le tissu urbain. Ce travail d’enquête, où architecture, sociologie et anthropologie sont combinées, passe par l’observation, la réalisation d’interviews des habitants et de relevés habités de leurs logements, mais également par la représentation de ces espaces grâce au dessin, la photographie ou le film. Dans le cadre de ce mémoire, un travail de terrain semblable a été mené au sein d’un immeuble colonial, Moderne et tropical de Luanda. Les informations recueillies ont permis la création d’un relevé architectural illustré, intitulé « Chronique d’un immeuble colonial, Moderne et tropical Le 35 rua Amilcar Cabral » , qui fera office d’épilogue à cet écrit et de premier pas vers un travail d’enquête plus approfondi et étendu.
CHRONIQUE D’UN IMMEUBLE
COLONIAL, MODERNE ET TROPICAL LE
3 5
R UA AM I LCAR
CAB RAL
L’immeuble étudié se situe au numéro 35 de la rue Amílcar Cabral, une quatre voies, bordée de part et d’autre par une bande de stationnement de 2,5 mètres. Cette artère importante du centre ville de Luanda, relie la Baixa de Luanda au quartier résidentiel de Alvalade. Très empruntée, aussi bien par les automobilistes que par les piétons, c’est une rue animée, le long de laquelle on trouve aujourd’hui un grand nombre de commerces et services, ainsi que quelques équipements. Les édifices qui la bordent sont pour la plupart résidentiels, avec des rez-de-chaussées, accueillant commerces et activités. Le 35 rue Amílcar Cabral, à l’instar des immeubles voisins, a été construit dans les années cinquante ou soixante, dans le cadre du projet d’extension de la ville coloniale, longtemps confinée à la Baixa de Luanda, vers la Cidade Alta. L’immeuble se situe en retrait par rapport à la rue, douze mètres le sépare de la chaussée. Cette épaisseur comprend un trottoir, un parking privé destiné aux résidents de l’édifice et un passage carrossable de 6 mètres. Ce dernier fait office de voie d’accès au parking, est emprunté par les piétons et dessert le rez-de-chaussée de l’immeuble. Le tout est mis à l’ombre grâce à un alignement d’arbres. À l’arrière le bâtiment donne sur une cour privée, qui sert essentiellement de parking. Une portion de cette cour est aujourd’hui occupée par une cantine de restaurant, construite en 2004, par l’une des entreprises officiant dans l’immeuble. Derrière le volume de l’escalier de secours, auquel on peut acceder depuis la cour, une petite maison construite en matériaux de récupération, a été érigée dans le milieu des années quatre-vingt dix et abrite une famille de onze personnes. La présence de ces résidents « officieux » est connue et acceptée par les autres habitants de l’immeuble. Cette barre de logements de 58 mètres de long, 18 mètres d’épaisseur et 38 mètres de hauteur, est une structure en béton, combinant murs porteurs et dalles. Les partitions intérieures sont en briques, des claustras en béton sont utilisées en façade et les portes et les fenêtres sont en bois. Certains éléments de la façade, tels que les garde-corps des balcons sont revêtus de carreaux de céramique colorés de deux centimètres de côtés, verts, rouges, bleus ou jaunes. Les murs du hall et de la cage d’escalier sont pour certains également revêtus de carrelage. Cette utilisation de la couleur donne du rythme à la façade et confère à l’édifice une esthétique tropicale. Au rez-de-chaussée on trouve le hall d’entrée de l’immeuble, qui occupe une position centrale dans cette barre de logements et des locaux commerciaux, occupés par une banque, une pâtisserie et une papeterie. Le rez-de-chaussée est en double hauteur, ce qui a permis la construction de mezzanines dans les locaux commerciaux et la création d’un hall d’entrée monumental. Le hall se développe sur toute la profondeur de l’immeuble, et il faut le traverser pour accéder à l’escalier principal et au deux ascenseurs qui desservent les étages, qui sont au nombre de sept. Initialement les sept étages étaient résidentiels, mais aujourd’hui les quatre premiers étages sont occupés par trois entreprises, et les appartements ont été transformés en bureaux. L’escalier à deux volées s’articule autour d’un vide central et donne sur un vaste pallier qui mène aux deux coursives qui desservent les six appartements situés de part et d’autre de ce noyau de circulation central. Le palier donne également sur l’escalier de secours, qui fait face à la cage d’escalier principale et débouche sur la cour située à l’arrière de l’immeuble. Cette colonne d’escalier de quatre mètres de profondeur se détache de la façade Est et se lit comme un volume greffé à la barre de logement. À l’exception des garde-corps, cette cage d’escalier est complètement ouverte et ses volets sont comme suspendues dans le vide.
RU
A A M
ILC
AR
CA
BR
AL
N
RUA AMILCAR CABRAL
stationnement public
stationnement privé
passage piéton et carrosable
papeterie
extensions sur la toiture terrasse du 37 rua Amilcar Cabral
générateurs appartenant aux entreprises occupant les 4 premiers étages
élevage d’animaux (cochon, chèvre et poule ) par la famille vivant dans l’extension
RELEVÉ DU REZ-DE-CHAUSSÉE
boulangerie
extension
banque
cour / parking privé
0
5
COUPE
N
P L A N D E L’ A I L E D R O I T E DU DEUXIÈME ÉTAGE échelle 1/500
bureau
bureau
bureau
bureau
salle de réunion
cuisine
bureau
hall d’accueil
secretariat
DE
L’ I M M E U B L E
échelle 1/200
archives
2 extensions sur la toiture terrasse
les trois appartements ont été transformées en bureaux 3 étages de logements 18 appartements
extension située au pied de l’immeuble où vit une famille de 11 personnes 4 étages de bureaux Occupés par 3 entreprises une cantine d’entreprise construite en 2004, sur une portion du parking située à l’arrière de l’immeuble rez-de-chaussée occupé par des commerces, des services et le hall d’entrée
modifications faites par les habitants
LAVEUR DE VOITURES ET VENDEUR DE RUE Au 35 rua Amilcar Cabral, compris dans les douze mètres qui séparent l’immeuble de la route, on trouve un parking privé réservé aux habitants et employés des entreprises qui occupent les quatre premiers étages. Deux jeunes garçons viennent régulièrement laver les voitures et les surveiller, les vols de rétroviseur et essuie glace étant très communs à Luanda. Ces laveurs de voitures viennent équipés de leurs seaux et leurs chiffons et prennent l’eau à un robinet situé dans la cour de l’immeuble. Ils viennent surtout en semaine, quand les employés de bureau sont là et que le parking est plein. Les habitants de l’immeuble font pour certains également appel à eux. Un jeune homme, vendant des boisons gazeuses, des sandwichs et des friandises, que les enfants vivant dans l’immeuble descendent souvent acheter, s’est installé sous un des arbres, entre les voitures garées.
LES ZUNGUEIRAS Les « zungueiras », sont des vendeuses de rues, certaines sont ambulantes et sillonnent la ville pour vendre leur marchandise mais d’autres ont un emplacement fixe. On en trouve souvent qui viennent vendre devant les entrée d’immeuble dans le centre ville. Elles profitent ainsi du fait que les artères soient très passantes mais aussi du fait que les habitants et occupants des immeubles deviennent souvent des acheteurs réguliers. Au 35 rua Amilcar Cabral deux « zungueiras » sont installées devant l’immeuble, l’une vend des salades vertes, des choux et des maniocs et l’autre des mangues, des ananas, des papayes et des avocats. Elles versent une petite somme au gardien de l’immeuble pour pouvoir vendre à cet emplacement. Le soir elles confient leur petit mobilier au gardien, qui les range dans le hall, dans une petite remise située sous l’escalier.
RÉSIDENCE SURVEILLÉE En Angola le terme « guarda » est employé pour designer les gardiens d’immeubles et autres édifices. Les commerces, les bureaux, les équipements mais aussi la plupart des maisons et des immeubles sont gardés à Luanda. Toutefois dans les musseques et les quartiers plus modestes les « guardas » se font rare. Au 35 rua Amilcar Cabral il y a plusieurs « guardas », celui employé par les résidents des étages supérieurs, mais aussi les « guardas » des trois entreprises qui occupent les quatre premiers étages. On les retrouve souvent au pied de l’immeuble qui discutent entre eux et avec les « guardas » des immeubles et commerces voisins. La présence d’un « guarda » est surtout une mesure dissuasive et ces derniers n’ont que très rarement besoin d’intervenir. Ils passent donc leurs journées à observer les allers et venues, converser, ou encore écouter la radio.
ASCENCEUR PRIVÉ Au 35 rua Amilcar Cabral les étages sont desservis par deux ascenseurs. L’un d’entre eux est resté hors service pendant des années, alors que l’autre est entretenu par les habitants des trois derniers étages, bien que lui aussi soit souvent en panne. Il y a quelques années l’entreprise qui occupe les troisième et quatrième étage a fait réparer l’ascenseur qui était à l’abandon et depuis il est exclusivement réservé à ses employés. Depuis le rez-de-chaussée l’ascenseur doit être activité à l’aide d’une clef, c’est l’un des gardiens employés par l’entreprise qui joue le rôle de liftier.
RÉSIDENTS OFFICIEUX À l’arrière de l’immeuble, dans la cour qui sert essentiellement de parking, une petite baraque en matériaux de récupération a été construite. Senhor Kimbamda, son épouse, leurs sept enfants et deux petits enfants y vivent. Cette famille venu du Nord-Est de l’Angola et déplacée par la guerre civile, est venue s’installer en ville au milieu des années 90. Sans argent, ni parents, ils ont d’abord vécu dans les musseques avant de venir vivre dans le centre ville, dans l’espoir de trouver plus de travail. Ils « squattent » depuis une dizaine d’année au pied du 35 rua Amilcar Cabral, avec l’accord des habitants. Lui et sa famille ont construit eux-mêmes leur petite « cubata » de tôle et de bois. Ils élèvent des cochons, des poules et une chèvre, qu vivent dans un enclos à côté de leur maison et subviennent ainsi à une partie de leurs besoins alimentaires.
FAÇADE OUEST - RUA AMÍLCAR CABRAL échelle 1/200
FAÇADE D’ORIGINE
FAÇADE ACTUELLE
toiture terrasse partiellement recouverte par une toiture métallique ( treillis + tôle)
extension construite par une famille vivant au septième étage, où vie un de leurs enfants, avec son épouse et leurs enfants.
garde-corps paré de carreaux de céramique colorés carrés de 2 cm de côté (rouge, vert, jaune, bleu ) Fermeture systématique des balcons des 4 premiers étages, occupés par des entreprises
persiennes en bois pour assurer ventilation et protection solaire
des baies vitrées ont remplacé la plupart des éléments de la façade d’origine et ont été utilisées pour fermer les balcons.
clautras en béton, motif carré
clautras en béton, motif carré permettant la ventilation du rez-de-chausée panneaux vitrés pour les devantures des commerces clautras en béton, elements verticaux
FAÇADE EST - PARKING /COUR échelle 1/200
FAÇADE ACTUELLE
FAÇADE D’ORIGINE
Fermeture des coursives à l’aide de grillages aux étages résidentiels, pour des raisons de sécurité (enfants) annexion des coursives pour agrandir les séjours des appartements en bout de coursive
Garde-corps en béton peint en blanc des baies vitrées ont remplacé la plupart des éléments de la façade d’origine, annulant ainsi la ventilation naturelle
clautras en béton, motif carré permettant la ventilation du rez-de-chausée
porte en bois
persienne en bois
brise-soleil en bois, éléments verticaux mobiles
mur paré de carreaux de céramique colorés carrés de 2 cm de côté
Chaque étage compte six appartements, dont quatre T3 de 147 m2 et deux T2 de 112 mètres carrés. Tous les appartements sont desservis par une coursive de 2,5 mètres de large. Initialement les coursives étaient protégées par un simple garde-corps, mais aujourd’hui des grillages ont été posés pour les habitants pour sécuriser ces espaces tout en laissant passer le vent et la lumière. Dans les cas des T3, l’entrée de l’appartement prend la forme d’un couloir de 1,20 mètres, qui dessert l’ensemble des pièces. La cuisine et le salon sont éclairés et ventilés grâce à des baies qui s’ouvrent sur la coursive et qui sont surmontées d’impostes ventilée grâce à de grilles de claustra en béton. Les deux chambres sont situées au fond de l’appartement et se prolonge chacune par un balcon de 1,6 mètres de profondeur, donnant sur la façade Ouest, celle de la rua Amílcar Cabral. La salle de bain est la seule pièce dépourvue de fenêtre, mais elle est ventilée grâce à une porte dont l’allège et l’imposte sont ventilées par le biais d’un système de persienne horizontale, qui bloque la vue mais laisse passer l’air. Pour les T2 on entre directement dans le séjour/ salle à manger et il faut traverser cette pièce pour accéder au petit couloir qui distribue la chambre, la salle de bain et la cuisine. Dans ces appartements seul le salon donne sur la coursive. La cuisine se retrouve en fond d’appartement et donne sur la façade principale du logement. Une grille de claustra en béton vient dissimuler cette pièce et garantir sa bonne ventilation tout en participant à l’esthétique de la façade. Pour ce qui est de la chambre, comme pour les T3, elle se prolonge par un balcon et la salle de bain est ventilée selon le même système d’imposte et d’allège ventilées. Une toiture terrasse vient couronner l’immeuble, celle-ci est accessible uniquement par les escaliers de secours. Cette terrasse est en partie couverte et elle est partagée par l’ensemble des résidents de l’immeuble. Aujourd’hui une partie de la terrasse est occupée par deux extensions construites par des familles qui résident dans l’immeuble.
C O U P E A A’ - L’ A P P A R T E M E N T D E S M I A L A échelle 1/200
C O U P E B B’ - L’ A P P A R T E M E N T D E S D A S I L V A échelle 1/200
N
P L A N D U S I X I E M E E T A G E, R E L E V E H A B I T E D E D E U X A P P A R T E M E N T S échelle 1/200
Création d’un espace de stockage attenant à la chambre en fermant le balcon
A’
Création d’un espace buanderie/chambre en fermant le balcon
B balcon
balcon
chambre
chambre
Création d’une deuxième chambre en annexant le balcon
balcon
cuisine
chambre s.d.b.
147 m²
112 m²
s.d.b. séjour
séjour
cellier
cuisine
Privatisation d’une portion de coursive, grâce à un portail
A Extension du séjour / salle à manger, en annexant une portion de coursive
Extension de la cuisine en annexant le couloir d’entrée
Installation de cordes à linge fixes en façade
B’ Fermeture des coursives par des portails, semi-privatisation
NOUVEAUX USAGERS ET NOUVEAUX USAGES Les appartements du 35 rua Amílcar Cabral comptent 1 à 2 chambres. Comment s’organisent alors des familles, comptant parfois jusqu’à une dizaine de membres, pour vivre dans ces appartements ? La journée certains membres s’absentent pour se rendre au travail ou encore à l’école et d’autres investissent les espaces communs de l’immeuble tels que les coursives et les paliers, pour se sentir moins à l’étroit. La nuit tous les membres sont présent et le « temps du sommeil » exige souvent une réorganisation de l’espace. Certaines pièces se transforment en chambre d’appoint et les chambres quant à elles, sont très souvent partagées.On constate que les enfants en bas âge sont souvent regroupés dans une même chambre, mais à l’adolescence une séparation « fille/garçon » apparaît. Les bébés dorment le plus souvent avec les parents. Les membres de la famille étendue, sont souvent ceux qui dorment dans les espaces servant de chambre d’appoint comme les séjours. Nous allons voir comment les Da Silva et les Miala occupent leur espace pour dormir.
LA FAMILLE DA SILVA - 2018 fils (17) – mère (41) – fille (1) – père (50) – fils (14) - soeur du père (62)
LA FAMILLE MIALA - 2009 Fille (7) – père (39) - mère (33) – fille (5) – fille (3)
LA FAMILLE MIALA - 2011 Fille (10) – père (42) - mère (36) – fille (8) – fille (6) – cousin (19) – cousin (20)
LA FAMILLE MIALA - 2014 Fille (13) – père (45) - mère (39) – fille (11) – fille (9) – grand-mère pat. ( 78) – 3 cousines (22 – 24 -18)
LA FAMILLE MIALA - 2018 Fille (17) – père (49) - mère (43) – fille (15) – fille (13) – fils (2) - cousine (25)
EXTENSION DOMESTIQUE
Chez les Miala la lessive se fait dehors car il n’y a qu’une salle de bain dans la maison et elle est presque toujours occupée. C’est sur la coursive devant leur appartement que Dona Antonia, qui travaille chez eux et s’occupe du ménage et du linge, lave les vêtements. Assise sur un petit tabouret en bois, elle dépose le linge sale sur un vieux pagne en wax qu’elle étend sur le sol. Elle a trois bassine d’eau dans lesquelles elle fait successivement tremper le linge et une corbeille où elle le dépose une fois propre. Quand elle a terminé elle étend le linge sur les cordes à linge installées en façade. Bien qu’ils aient une grande cuisine, les Miala préfèrent faire cuire certains aliments, notamment le poisson, sur la coursive pour éviter que les odeurs parfois tenaces de certains aliments n’envahissent toute la maison. LIVRAISON À DOMICILE Luanda compte un grand nombre de vendeurs ambulants, dont beaucoup de femmes, on les appelle les « Zungueiras ». Certaines d’entre elles ont un point de vente habituel et s’y installent chaque jour, mais d’autres sillonnent la ville, suivant souvent un itinéraire prédéfini. Les « zungueiras » mobiles parcours la ville et celles qui vendent dans le centre avaient pour certaines pris pour habitude de monter dans les étages et faire du porte à porte dans les immeubles où elles avaient souvent des clients. Cette pratique est devenue de plus en plus rare avec le renforcement de la sécurité dans les immeubles de la ville, qui s’est traduit par une multiplication de portails et l’apparition de gardiens postés au pied des édifices et surveillant les entrées et les sorties. Au 35 rua Amilcar Cabral mãe Maria, une zungueira qui s’est liée d’amitié avec les « guardas » monte encore vendre ces légumes aux résidents. Les Miala savent que tous les mardi et les vendredi, mãe Maria, vient vendre ses tomates, ses carottes et ses avocats. Les Mialas sont des clients réguliers et elle met de côté un kilogramme de ses plus belles tomates pour eux, chaque mardi.
LA RÉCRÉATION
Chez les Barrosos qui occupent un appartement au cinquième étage, un fauteuil est installé sur la coursive devant leur appartement. C’est Dona Nadia qui s’y assoit tous les après-midi pour surveiller ces petits enfants qui jouent sur la coursive quand ils rentrent de l’école et prendre l’air. Cette retraitée, est venue vivre chez sa fille depuis que son époux est décédé, il y a trois ans, pour ne pas être seule. En Angola les grands-parents vivent rarement seuls, soit ils vont vivre chez leurs enfants, ou des membres de leur famille viennent vivre chez eux.
LE GÉNÉRATEUR
Devant l’ appartement des Da Silva un générateur est entreposé et occupe la moitié de la coursive. Ils en ont fait l’acquisition il y a quelques années, en raison des coupures d’électricité chroniques et prolongées dont souffre la ville. Il est encombrant, bruyant et polluant, ce qui ne manque pas de causer quelques tensions avec le voisinage, mais tout de même pratique. Pour apaiser le mécontentement des voisins, les Da Silva laissent leurs voisins brancher certains de leur appareils ménagers, grâce à un réseaux de rallonges, quand surviennent les coupures de courant.
LE FUMOIR Les Baydoun qui occupent depuis quelques mois l’appartement central de l’aile gauche du sixième étage, viennent du Liban. Ces deux frères et leurs épouses respectives partagent également ce logement avec un de leur cousin. Tous les samedis soir les trois hommes, parfois rejoint par des amis, se réunissent sur la coursive pour fumer la chicha. Fahra Baydoun, sort sur la coursive tous les soir vers 18h, pour admirer le couché de soleil et fumer sa seule cigarette de la journée. L‘ É B O U E U R Monsieur Kimbamda qui vit dans une baraque au pied l’immeuble avec sa famille, n’est pas alphabétisé et ne peut en raison de son âge avancé exercer une activité physiquement éprouvante. Il gagne un peu d’argent en rendant des services aux habitants de l’immeuble. Il lavent les voitures et s’occupe du ramassage des poubelles. Il passe tous les jours en fin d’après-midi sonner aux portes pour récupérer les poubelles et entrepose ensuite les déchets dans les bennes situées au pied de l’immeuble, qui sont vidées par les services de propreté de la ville hebdomadairement.
L’ E S C A L I E R S O C I A L Comme dans la plupart des immeubles de la capitale, au 35 rua Amilcar Cabral les escaliers sont plus que des éléments de circulation que l’on emprunte pour se rendre d’un étage à l’autre. Ce sont également des lieux de sociabilité, où les adolescents et les jeunes se retrouvent pour discuter, loin des oreilles indiscrètes de leurs parents notamment. Les logements souvent trop étroits par rapport au nombre d’occupants qui y vivent, n’offre pas à ces derniers, des lieux pour s’isoler ou encore se retrouver. C’est donc les espaces communs que les habitants investissent. Assis sur les escaliers de secours, que presque personne n’emprunte, entre le quatrième et le cinquième étage, Andrea qui habite au septième étage, discute avec son petit ami Mauro, dont ses parents ignorent l’existence.
L’ A I R E D E J E U X Si les enfants les plus jeunes jouent en général sur la coursive sous le regard d’un adulte, ceux un peu plus âgés sont autorisés à aller jouer sur les paliers, ou sur la terrasse quand celle-ci est sécurisée, à l’aide de grillage notamment. Sur le pallier du sixième étage, trois petites filles jouent à l’élastique. L’une habite dans l’appartement au fond de la coursive à droite, l’autre vit au cinquième étage et la troisième est une amie, qui vit non loin.
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ÉCRITS
ACADÉMIQUES
ALONSO DA FONTE, Maria Manuela. Urbanismo e Arquitectura em Angola - de Norton de Matos à Revolução. Thèse pour l’obtention d’un doctorat en planification Urbaine. Universidade Técnica de Lisboa – Faculdade de Arqitectura. 2007. 624p. BONITO, Jessica Marques. Arquitectura Moderna na África Lusófona – Recepção et difusão das ideias modernas em Angola e Moçambique. Mémoire pour l’obtention du diplôme de Master en Architecture. Instituto Superior Técnico – Universidade Técnica de Lisboa. Décembre 2011. 225p. CORREIA, Maria Alice Vaz de Almeida Mendes. O « patrimônio » do movimento moderno, Luanda 1950-1975. Mémoire pour l’obtention du diplôme de Master en Architecture. Universidade de São Paulo – Faculdade de Arquitectura e Urbanismo. 2012. 244p. VIEGAS, Sílvia Leiria. LUANDA, CIDADE (im)PREVISÍVEL ? Governação e transformação urbana e habitacional : paradigmas de intervenção e resistências no novo milénio. Thèse pour l’obtention d’un doctorat en architecture, spécialité conservation et réhabilitation. Faculdade de Arquitectura da Universidade de Lisboa. Février 2015. 658p.
- LEXIQUE ET ABREVIATIONS -
LEXIQUE
Armazém (n.m.) [PT] : entrepôt ou magasin Asfalto (n.m.) ( fig.) [PT] : terme utilisé par les Portugais pour designer la ville coloniale, la ville « formelle », celle construite en dur et planifiée, où vivaient les colons Assimilado (n.m.) [PT] :Ce statut était attribué à certains autochtones ayant prouvé avoir atteint un niveau de « civilisation » comparable à celui des Portugais Azulejo (n.m.) [PT] : carreau ou ensemble de carreaux de faïence décorés Baixa de Luanda (n. pr.) : appellation de la ville basse, qui s’étend de la baie de Luanda jusqu’au pied de la Cidade Alta, les deux étant séparées par un escarpement. Elle est le cœur historique, économique et culturel de Luanda. Cacimbo (n.m.) [ANG] : nom attribué à la saison sèche en Angola, qui dure du mois de mai au mois d’août Candongueiro (n.m.) [ANG] : terme désignant les minibus bleu et blanc appartenant à des privés, qui sont le principal moyen de transport en commun en Angola Cidade Alta (n.pr.) : la ville haute est la partie du centre ville de Luanda située sur le plateau, à l’arrière de la Baixa de Luanda Cidade de caniço (expr.) [PT] : expression signifiant « ville de chaume », elle était utilisée par les Portugais pour designer les musseques, la ville « informelle » et auto-construite, où vivaient les autochtones Cidade de Betão (expr.) [PT] : expression signifiant « ville de béton », elle était utilisée par les Portugais pour designer la ville coloniale, la ville « formelle », celle construite « en dur » et planifiée, où vivaient les colons Cine-esplanada (n.f.) [PT] : Cinéma couvert et ouvert ou à ciel ouvert Cubata (n.f.) [PT] : petite habitation sommaire, dérivée de la case traditionnelle, parfois comprise dans une parcelle plus large Estilo Chão (n.m.) [PT] : le « Estilo Chão » ou « plain architecture » en anglais, terme créé par le théoricien états-unien George Kubler, est un style architectural portugais qui se caractérisent par un retour à une simplicité pouvant s’apparenter à de l’austérité, l’objectif étant de rompre avec les excès du baroque et du maniérisme portugais et de se rapprocher d’une architecture vernaculaire Geração Africana (n.pr.) : nom donné au groupe de jeunes architectes et ingénieurs portugais qui ont travaillé dans sur les projets d’urbanisation et d’expansion des métropoles des colonies portugaises d’Afrique subsaharienne entre 1944 et 1975 Jardim-escola (n.m.) [PT] : le « jardin-école » est une forme d’équipement scolaire où l’apprentissage se fait « à l’air libre », l’espace de la salle de classe y est moins rigide et se prolonge souvent à l’extérieur Jovem (n.) [PT] : terme utilisé pour s’adresser à un(e) adolescent(e) ou une jeune personne dont on ne connait pas le nom Kimbundu (n.pr.) : le Kimbundu est une langue bantoue parlée en Angola dans les régions de Luanda, Malange et Bengo. En 2014 on comptait près de deux millions de locuteurs en Angola. Kwanza (n.pr.) : nom de la monnaie angolaise. 100 KWZ = 0,29 EUR / 0,32 USD
Musseque (n.m.) [ANG] : Cette forme urbaine s’inscrit dans la continuité du village de case. Le mot musseque vient de « Musekes », « Mu » voulant dire lieu et « Seke » signifiant sable en Kimbundu, en référence à la nature du sol du lieu où ils sont érigés. À l’origine il désigne un groupement de cubatas, où seul vivait la population autochtone, en marge de la ville coloniale. Aujourd’hui ce terme désigne une zone d’habitation résultant d’une occupation spontanée, non réglementée par l’Etat, et prend souvent le sens de « bidonville » Prédio (n.m.) [PT] : un immeuble Pombalino (n.pr.) : style architectural portugais du dix-huitième siècle, nommé ainsi en référence à Sebastião José de Carvalho e Melo, premier marquis de Pombal, qui joua un rôle important dans la reconstruction de Lisbonne après le tremblement de terre de 1755 Kongo (n.pr.) : Le royaume du Kongo était un empire de l’Afrique du Sud-Ouest, s’étendant du Nord de l’Angola au Sud du Gabon, tout en englobant une vaste partie du Congo. Fondé en 1390, sa capitale est Mbanza-Kongo et le Kikongo en est la langue principale. En 1914, le Portugal abolit le titre de roi du Kongo et cette date marque la fin du royaume Unidade de Vizinhança (n.f.) [PT] : l’Unité de Voisinage est une forme urbaine, regroupant logements, services et équipements. Chaque Unité de Voisinage est pensée comme un quartier indépendant. Zungeira (n.f.) [ ANG] : terme populaire pour designer les vendeuses ambulantes en Angola
ABRÉVIATION COL. MOD. TROP. - Colonial, Moderne et Tropical DNIC - Direction Nationale d’Investigation Criminelle : organisme étatique créé par le Ministère de l’intérieur, qui avait pour mission d’assister les autorités judiciaires dans la répression de la criminalité. En 2015, la DNIC a fusionné avec d’autres entités juridiques pour former le Service d’Investigation Criminelle - SIC FNLA - Front Nationale de Libération de l’Angola : mouvement anti-colonial angolais fondé en 1956 par Roberto Holden GPL - Governo Provincial de Luanda : organisme étatique responsable de la gestion de la province de Luanda GUC - Gabinete de Urbanização Colonial : entité publique créée en 1944 qui contrôlait l’ensemble des projets d’architecture et d’urbanisme concernant les colonies, promus par le gouvernement. Basé à Lisbonne, le GUC regroupait des architectes et des ingénieurs GUU - Gabinete de Urbanização do Ultramar : nouvelle dénomination du GUC, après l’abandon par l’État portugais en 1951 du terme « colonie » en faveur de l’appellation « province d’outre-mer » MPLA - Mouvement Populaire pour la Libération de l’Angola : mouvement anti-colonial angolais fondé en 1956 par Agostinho Neto et Viriato da Cruz. Depuis l’indépendance de l’Angola le MPLA est le parti au pouvoir et trois présidents membres de ce parti se sont succédés, Agostino Neto (1975 - 1979), José Eduardo dos Santos (1979 - 2017), João Lourenço (2017 - ) UNITA - Union Nationale pour Indépendance Totale de l’Angola : mouvement anti-colonial angolais fondé en 1966 par Jonas Savimbi. Suite aux élections présidentielles de 1992, la UNITA réfute la victoire du MPLA et une guerre civile éclate. Celle-ci prendra fin avec la signature d’un accord de paix entre les dirigeants des deux partis le 4 avril 2002, suite au décès de Jonas Savimbi leader du parti déchu, le 22 février 2002.
- ELEMENTS GRAPHIQUES -
L’ A N G O L A
EN
AFRIQUE
N 0
LUANDA
ANGOLA
1000 Km
L A
P R O V I N C E
D E
L U A N D A
E N
A N G O L A
N 0
GABON
CONGO cabinda
R D CONGO
zaire
luanda
uige
lunda norte
kwanza norte malanje
bengo
lunda sul
kwanza sul
OCEAN ATLANTIQUE
benguela
huambo
bie
muxico
huila
ZAMBIE
namibe cuando cubango
cunene
NAMIBIE
BOTSWANA
ZIMBABWE
200 Km
LES DIVI S ION S AD M INIST R AT I V E S D E L A PR OV I N C E D E LUA NDA LES SEPT «MUNICIPIOS» DE LA PROVINCE DE LUANDA
N 0
CAZENGA
CACUACO
LUANDA
VIANA BELAS
ICOLO E BENGO
QUIÇAMA
20Km
L ES DIVI S IONS AD M INIST R AT I V E S D U « M U N I C I PI O » DE LUA NDA LES SIX COMMUNES DU « MUNICIPIO » DE LUANDA
N 0
2 Km
nom des communes
NOM DES « MUNICIPIOS » limite de la zone où se trouvent les immeubles coloniaux, modernes et tropicaux cadrage de la carte « Mainga et Ingombotas, le centre ville de Luanda »
sambizanga
CACUACO ingombotas
CAZENGA
rangel
maianga
samba
LUANDA
kilamba kiaxi
VIANA
BELAS
L E S DI V I S I O N S A D M INI STRATI V E S D E L A P ROV I NCE D E LUA NDA LES SEPT «MUNICIPIOS» DE LA PROVINCE DE LUANDA
L E S D E U X C O M M U N E S O U S E S I T U E N T L E S I M M E U B L E S C O L. M O D. T R O P. MUNICIPIO DE PROVINCE
DE
LUANDA LUANDA
LUANDA
BELAS
CACUACO
CAZENGA
ICOLO E BENGO
INGOMBOTA
CAMAMA
CACUACO
HOJI YA HENDA
CATETE
MUXIMA
VIANA
MAIANGA
BENFICA
KICOLO
CAZENGA
BOM JESUS
CANO-LEBO
CALUMBO
SAMBIZANGA
VILA ESTORIL
FUNDA
TALA HADY
CABIRI
DEMBA-CHIO
KILAMBA KIAXI
ILHA DO MUSSOLO
CASSONECA
KIXINGE
SAMBA
BARRA DO KWANZA
CACULO CAHANGO
MUMBONDO
RANGEL
FUTUNGO RAMIRO
QUIÇAMA
VIANA
0
N
500m
LA LUANDA COLONIALE, MODERNE ET TROPICALE ET SA PERIPHERIE DE MUSSEQUES
M A I N G A E T I N G O M B O T A S, L E C E N T R E V I L L E D E L U A N D A
É C H A N T I L L O N D E T I S S U U R B A I N : LUANDA LA VILLE « PATCHWORK »
0
2km
N
1 - BAIXA DE LUANDA 2 - MAIANGA, CIDADE ALTA 3 - MUSSEQUE DE SAMBA 4 - CONDOMINIO JARDIN DAS ROSAS 5 - CONDOMINIO VILAS DE LUANDA 6 - CENTRALIDADE DE KILAMBA
1 2
5
3
4
6
N 0
1 - BAIXA DE LUANDA
4 - CONDOMINIO JARDIN DAS ROSAS
COEUR HISTORIQUE DE LA VILLE COLONIALE
GATED COMMUNITY PAVILLONAIRE, INSPIRÉE DES MODÈLES ÉTATS-UNIENS
2 - MAIANGA, CIDADE ALTA
5 - CONDOMINIO VILAS DE LUANDA
LUANDA « MODERNE », L’EXTENSION DU COEUR HISTORIQUE
3 - MUSSEQUE DE SAMBA
LA VILLE ORGANIQUE, NÉE D’UNE OCCUPATION SPONTANÉE ET DE L’AUTO-CONSTRUCTION
GATED COMMUNITY VERTICALE
6 - CENTRALIDADE DE KILAMBA
HABITAT BON MARCHÉ FINANCÉ PAR L’ ÉTAT, CONSTRUIT GRÂCE À UN PARTENARIAT AVEC LA CHINE
50m