Libre Cours n°2

Page 1

syrie édith Bouvier et William Daniels : rester journalistes après la tourmente

côte-d'ivoire

des défis à relever

azerbaïdjan

Eurovision 2012, faire entendre sa voix


En vues

1

1. christophe deloire, nouveau

Longtemps journaliste au Point – grand reporter connu également pour ses enquêtes – après l’avoir été à TF1 (correspondant à Berlin) et à Arte, Christophe Deloire dirige depuis quatre ans l’une des grandes écoles de journalisme, le CFJ, à Paris. Il y était chargé non seulement du management mais aussi de la mutation numérique, du développement et de la communication. Il est aussi écrivain, auteur d’une demi-douzaine de livres d’enquêtes. Voilà bien le profil qu’il nous fallait pour diriger Reporters sans frontières. Car Christophe Deloire, diplômé de l’Essec, occupera à partir du mois de juillet le poste de Directeur général de Reporters sans frontières. Bienvenue à lui. La tâche est immense, le défi passionnant et Christophe a tous les atouts pour le relever.

© AFP Photo / Thomas Samson

directeur général de reporters sans frontières

2

2. le président alassane ouattara reçoit reporters sans frontières

la presse

À l’occasion des 20 ans de sa collection d’albums «  100 photos pour la liberté de la presse  », Reporters sans frontières a réuni le 3 mai, à l’école Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, les photographes mis à l’honneur dans ses albums édités depuis 1992. En présence de Charlotte Rampling, marraine de cet anniversaire, Dominique Issermann, Sabine Weiss, Reza ou encore Patrick Chauvel ont posé pour l'association devant l'objectif d'Emanuele Scorcelletti, et témoigné de leur engagement pour la liberté de la presse.

2

reporters sans frontières

3

© Emanuele Scorcelletti

3. 20 ans de photos pour la liberté de

© AFP Photo / Sia Kambou

« Je peux vous assurer que personne ne sera protégé  », a affirmé le président Alassane Ouattara, devant Osange Silou-Kieffer et Reporters sans frontières, au terme de leur visite à Abidjan. Présents dans la capitale économique ivoirienne pour marquer le huitième anniversaire de l’enlèvement du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, son épouse et Reporters sans frontières ont fait part au chef de l’état de leur inquiétude concernant l’avancement de l’enquête et ont demandé aux plus hautes autorités ivoiriennes de confirmer leur volonté de faire la lumière sur cette affaire.


Du calme !

ÉDITO

Dominique Gerbaud Président de Reporters sans frontières

Jamais campagne électorale ne s’était déroulée dans d’aussi mauvaises conditions pour les journalistes. Jamais ils n’ont eu autant de mal à accéder à l’information, aux sources, aux acteurs. Les confrères qui suivaient les candidats sont de plus en plus souvent parqués devant des écrans, instrumentalisés pour lancer puis alimenter des polémiques de bas étage. Il y eut plus grave. Les journalistes furent accusés de s’en tenir aux détails, de rechercher les divergences, d’aller chercher la petite bête, de ne pas relayer correctement la pensée et le programme des candidats. En un mot, de mal faire leur métier. Jamais les journalistes n’ont été à ce point vilipendés par les candidats ou leurs proches. Jamais ils n’ont été à ce point pris à partie, parfois physiquement, par les supporters des candidats (lire page 7). Les vaincus – de gauche et de droite – se cherchaient un bouc émissaire, un responsable de leur échec. Ils l’ont trouvé : la presse qui, partisane, aurait failli à relayer leurs engagements.

« Que l’on insuffle rébellion contre les journalistes et c’est l’édifice républicain que l’on met en péril.»

Certains diront que le reproche n'est pas nouveau, qu’il y a toujours eu des malentendus entre les dirigeants politiques et les médias. En 1991, l’Association de la presse présidentielle organisait une journée de réflexion, au Sénat, sur le thème « Hommes politiques, journalistes politiques, expliquons-nous ! ». Nouvelle en revanche, et inquiétante, est la forme des attaques et des vindictes. Ce n’est plus en privé que les hommes politiques se plaignent des journalistes, c’est en public, dans leur discours. Ils n’hésitent plus à dénoncer, à désigner des journalistes présentés comme des écrivassiers barbouilleurs de mauvais augure, des échotiers porteurs de ragots. Les hommes et femmes politiques n’ont plus la retenue qu’ils observaient jusqu’à présent à l’égard de la presse et livrent en pâture toute une profession. Là réside le danger. Car ces attaques semblent justifier des agressions physiques aux yeux de certains militants. Ce n’est pas la profession que nous voulons ici défendre car nous ne sommes pas un syndicat de journalistes. C’est la liberté d’informer que supportent de plus en plus mal les politiques. Reporters sans frontières a publié un Pacte pour la liberté de l’information (voir notre rapport à ce sujet) dans lequel nous demandons aux hommes politiques de respecter les journalistes. Car en s’en prenant à ce point aux médias, c’est la démocratie qu’ils fragilisent. Notre équilibre démocratique repose en partie sur la confiance que les citoyens ont dans leur presse. Que l’on insuffle rébellion contre les journalistes et c’est l’édifice républicain que l’on met en péril. Nous ne prétendons pas que la profession soit exempte de reproches. Bien au contraire. Les Français s’interrogent sur les travers des journalistes et cette course à l’audimat qui ne sert pas l’information. Nous pensons que les journalistes devront eux aussi s’interroger, un jour ou l’autre – mais dans quel cadre ? – et faire leur examen de conscience. Mais à froid et dans la sérénité. Dans le calme.

reporters sans frontières

3


William Daniels, photographe

Š William Daniels

grand angle


grand angle

Syrie

édith Bouvier et William Daniels : rester journalistes après la tourmente Soazig Dollet Responsable du bureau Moyen-Orient

Coincés sous les bombardements de Homs, en février dernier, édith Bouvier et William Daniels reviennent sur ces neuf jours durant lesquels les médias internationaux ont été suspendus à leur sort. Avant d’oublier un peu vite le calvaire des Syriens. Roumanie

Russie

Bulgarie

Géorgie Arménie Azerbaidjan

Grèce

Turquie

Turkmenistan

Syrie

Liban Israël Terr. Palestiniens Lybie

Irak

Iran

Jordanie

Égypte

Arabie Saoudite

Population : 22 200 000 habitants 176e sur 179 dans le classement mondial de la liberté de la presse Prédateur de la liberté de la presse : Bachar El-Assad

Baromètre de la liberté de la presse au 11 mai 2012 : 4 journalistes tués 20 journalistes emprisonnés 6 net-citoyens et citoyens-journalistes emprisonnés 1 collaborateur tué

Qatar E.A.U Oman

© Corentin Fohlen

Homs, quartier de Bab Amru, 22 février 2012. Onze obus tombent en quelques heures sur le centre de presse d’où sortent les nouvelles des médias étrangers présents. Le photographe français Rémi Ochlik et la journaliste américaine Marie Colvin sont tués sur le coup. Présents à proximité du lieu de l’explosion, la journaliste française édith Bouvier et le photographe britannique Paul Conroy sont blessés. William Daniels, photographe français, et Javier Espinosa, journaliste espagnol, en sortent indemnes. Une fois les blessés à l’abri, grâce au

édith bouvier, journaliste

courage des habitants et combattants du quartier, l’urgence est de donner des nouvelles. « On a réfléchi à qui on devait téléphoner en premier. On a pensé certes à nos familles, nos amis. Et puis édith a pensé à vous, Reporters sans frontières. On s’est dit que vous sauriez quoi faire », raconte William. Accompagné d’un jeune citoyen journaliste du quartier, le photographe est allé trouver une connexion Internet. En plein après-midi. à découvert. Des snipers ouvrent le feu. William est conduit dans un petit appartement, équipé d’un ordinateur avec une connexion

Internet très faible. « Comme je n’avais que des numéros de téléphone personnel, j’avais besoin d’une adresse avec du crédit sur skype pour appeler ». Ne pas être autonome, ne pas comprendre la langue, dépendre des autres pour garantir sa propre sécurité a été pour lui une source d’angoisse importante. Tandis que William se sent porter la lourde responsabilité du sort d’édith, édith, elle, doit lutter contre un terrible sentiment d’impuissance. «  L’impression d’être un mollusque dans un canapé a été le plus horrible pendant ces neuf jours », confie-t-elle. « Si William et Javier avaient la responsabilité de moi blessée, je me sentais responsable d’eux, valides. Chaque fois que William partait pour le centre de presse, j’avais peur. Et s’il ne revient pas ? S’il reste bloqué là-bas ? Autant de questions que je n’arrêtais pas de ressasser. Il fallait qu’il y aille, mais en même temps ça me flanquait une trouille bleue ». Immobilisée, édith a tout de même pu lire, grâce à l’entremise de William, le mail reçu d’une amie et un message Skype laissé par son frère. «  Je les relisais sans fin. C’est fou comme on s’accroche à un mail ! ». Dans les jours qui suivent, jusqu’à l’exfiltration des deux jeunes gens vers le Liban, le contact avec l’extérieur est impossible. Au retour à Paris surgissent les marques de l’épreuve. reporters sans frontières

5


grand angle

« Psychologiquement je vais bien, sauf quand des personnes que je ne connais pas me sautent dessus pour me poser la question », explique édith, à l'abri des médias pendant son séjour à l'hôpital. « Si je n’avais pas cette blessure, je ne pense pas que je réaliserais ce que nous avons vécu  », ajoute-t-elle, lucide. La jeune femme doit composer avec le symbole qu’elle est devenue, malgré elle. « Les gens se sont impliqués émotionnellement pour moi. Je suis devenue, malgré moi, une sorte d’icône, parce que femme, parce que blessée. En voyant mon visage, les gens pensaient aux massacres en Syrie. Du fait de cette émotion collective, ils se permettent des choses que mes amis proches n’oseraient pas. » Grâce à édith Bouvier, le calvaire syrien a repris une large place à l’antenne des médias. Mais pas comme la journaliste l’aurait souhaité. « Une fois rentrée, je voulais éviter à tout prix la médiatisation.

Marche de journalistes contre la violence. Mexico, 2011.

6

reporters sans frontières

«  En voyant mon visage, les gens pensaient aux massacres en Syrie. » Je ne veux pas être instrumentalisée et devenir l’égérie de la Syrie. Je reste journaliste. Mon rôle à moi est de raconter des histoires et de mettre en avant la souffrance des Syriens. Pas la mienne. Mon image ne doit pas occulter ce qui se passe là-bas. Je veux qu’on parle des Syriens. Nous, notre enfer n’a duré que neuf jours. Le leur se poursuit depuis plus de quatorze mois. Nous, on a perdu un ami. Et eux ? » Depuis, édith Bouvier a accepté la proposition de Flammarion d’écrire un livre. « La rencontre avec l’éditrice s’est bien passée », assure-t-elle, fidèle à son

éthique. « Elle est, certes, d’accord pour que je parle de mon vécu, mais aussi des Syriens et de leurs souffrances depuis un an, tout comme de la condition des freelance dans des zones de guerre. La rédaction de ce livre n’est pas facile. Il faut se raconter, se mettre à nu. C’est une aventure. Un pari. Je ne fais pas ce métier pour parler de moi mais pour témoigner. » La jeune femme n’oublie pas non plus ses compagnons d’infortune. « Je viens de rendre le premier chapitre, intitulé « L’explosion ». Le prochain sera sur Rémi (Ochlik). J’ai envie qu’il ait une place dans ce livre. Pour qu’on ne l’oublie pas, d’autant qu’il a rapidement disparu des médias. » Rentré en France, William Daniels a, quant à lui, rapidement repris l'appareil photo et les chemins de traverse. Il est récemment parti pour la Géorgie, travailler sur le thème de la drogue. Pour continuer à « bosser sur de l'humain ».

© AFP Photo / Joseph Eid

égérie malgré elle


La campagne présidentielle sur un air d’Amérique latine Benoît Hervieu

France

Responsable du bureau Amériques

© AFP Photo / Patrick Hertzog

Dans la dernière ligne droite d’une campagne tendue, certains journalistes ou médias auront subi des assauts militants allant jusqu’à l’agression, venant notamment du camp vaincu. Une situation qui n’est pas sans rappeler une réalité quotidienne dans certains pays du Sud.

Rarement, en effet, journalistes et médias n’auront été à ce point contraints à devenir malgré eux les acteurs d’une campagne dont ils se voudraient normalement les témoins (lire éditorial page 3). Naturelle en temps de campagne, la polarisation médiatique aurait dû se limiter à la joute éditoriale, écho nécessaire du duel au sommet. La fragile limite a connu une brèche dangereuse à l’entame de la semaine décisive du 1er mai.

de gauche, qu’on savait habitué aux coups de gueule contre la profession. L’affaire s’arrête heureusement là. Rive droite, c’est une autre histoire. Sur l’esplanade du Trocadéro autour de Nicolas Sarkozy, il ne fait pas bon être journaliste parmi les militants UMP, et encore moins appartenir à Mediapart, à l’origine d’une dernière révélation sur le financement libyen de la campagne de 2007 du président sortant. Bousculée, injuriée et dépossédée de son badge de presse, Marine Turchi subit en direct cinq ans de foudres du pouvoir contre le site indiscipliné. Un cas isolé ? Certes pas. Geneviève de Cazaux, ancienne de TF1 (et ancienne candidate UMP), confiera plus tard avoir connu le même désagrément. Le surlendemain à Toulon, les soutiens de Nicolas Sarkozy gratifient de crachats et de jets de bouteilles Ruth Elkrief et

« Il ne fait pas bon être journaliste parmi les militants. »

Divisée comme l’opinion en trois cortèges, la fête du travail n’offre guère de répit à des journalistes en immersion dans un camp mais suspectés d’appartenir à l’autre. Boulevard Saint-Michel, JeanLuc Mélenchon règle ses comptes avec une équipe du Petit Journal de Canal +, à qui il recommande de rejoindre le Front national aux Tuileries : « Vous êtes la vermine FN ! », explose le tribun du Front

Thierry Arnaud, de BFM TV, peu suspecte de gauchisme. Au terme d’un quinquennat marqué par l’ambivalence vis-à-vis des médias d’un président lui–même très médiatique, l’agressivité physique envers les journalistes va-t-elle se banaliser, ou retomber dans les mauvais souvenirs d’après scrutin ? La seconde option est à souhaiter, alors que le constat de la première laisse craindre une nouvelle époque, où les médias seraient perçus comme vitrines de l’adversaire politique, et où les journalistes deviendraient l’objet régulier de la vindicte militante. Dérive dangereuse et qui a cours actuellement sur le continent latino-américain, où les journalistes eux-mêmes alimentent parfois la haine entre confrères, voire la guerre de média à média, public contre privé, « progouvernemental » contre « dissident ». Sans atteindre cet extrême, la campagne présidentielle avait, en 2012, tendance à s’en approcher.

reporters sans frontières

7


© AFP Photo / Kambou Sia

MONDE MONDE

c ô t e d ' i v oi r e

La presse ivoirienne à l’heure des défis, un an après la chute de Laurent Gbagbo Ambroise Pierre Responsable du bureau Afrique

La première année au pouvoir d'Alassane Ouattara offre un bilan mitigé. Journalistes incarcérés, rédactions temporairement occupées par l'armée, presse toujours très partisane. Les motifs de satisfaction sont rares. Mauritanie Sénégal Gambie Guinée Bissau Guinée

Niger

Mali

Burkina Faso

Côte d’ivoire

Bénin Ghana Togo

Libéria

Nigeria

Cameroun Guinée équatoriale Gabon Congo

Population : 22 millions d’habitants

Le 13 avril 2011, deux jours seulement après l’arrestation de Laurent Gbagbo à Abidjan, le nouvel ambassadeur de la Côte-d’Ivoire à Paris, Ally Coulibaly, déclarait à Reporters sans frontières : « Nous ne ferons pas les mêmes erreurs. Le président Ouattara tient à ce que chaque journaliste puisse faire son travail sans être inquiété ». Une déclaration qui n'a pas empêché les déconvenues. Un an plus tard, les défis restent à relever.

le défi de la liberté

Pendant la première année au pouvoir d'Alassane Ouattara, un journaliste de la Radio-Télévision Ivoirienne (RTI), HerChef de l’état : Alassane Ouattara, élu le 28 novembre 2010 mais investi mann Aboa, a été incarcéré pendant cinq mois. Une situation d'autant plus injuste le 4 mai 2011 après cinq mois de que la loi de 2004 sur la presse évite aux crise ouverte journalistes toute peine de prison. Le 159e sur 179 dans le classement directeur du quotidien Notre Voie et deux de ses collaborateurs ont également pasmondial de la liberté de la presse sé treize jours derrière les barreaux, en de la presse fin d'année. Abidjan classée parmi les 10 lieux les plus dangereux au monde pour le défi de la réconciliation les journalistes dans le bilan 2011 Devenu directeur général du quotide Reporters sans frontières dien public après l'accession au pouvoir d'Alassane Ouattara, Venance Konan confiait à un hebdomadaire français : 8

reporters sans frontières

« La presse pro-Gbagbo a rouvert. C'est nous, à Fraternité Matin, qui imprimons Le Temps, journal d'opposition. Au début, les proches de Gbagbo avaient peur que je les mange. Au bout de dix mois, ils ont compris qu'ils pouvaient avoir leur opinion. » Mais le journaliste est lucide. La presse écrite reste très polarisée et partisane, souvent virulente, parfois violente.

le défi de la libéralisation de l’audiovisuel

Reste l’épineuse question de la RTI, ce groupe public souvent utilisé, quelle que soit l'époque, comme un outil de propagande pour le pouvoir en place et toujours en situation de quasi-monopole. Il n'existe en effet pas d'autres chaînes hertziennes de télévision que la RTI 1 et la RTI 2. Le chantier de l’ouverture à la concurrence a été confié à l'ancien ministre de la Communication, Ibrahim Sy Savané, qui dirige aujourd'hui la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA). La naissance des premières chaînes de télévision privées est prévue cette année.


MONDE

Azerbaïdjan

Sous les projecteurs, le despotisme et l’information sous tutelle Johann Bihr Responsable du bureau Europe et Asie centrale La façade est brillante, voire clinquante. C’est avec faste que l’Azerbaïdjan se prépare à accueillir le concours Eurovision de la chanson, fin mai 2012. Les autorités ont dépensé des centaines de millions de pétrodollars pour cet événement qui consacre leur offensive de charme sur la scène internationale. Aucun effort n’aura été épargné pour « vendre » au monde l’image d’un pays moderne, dynamique et ouvert. Un nouveau Dubaï au rythme de croissance effrénée, aux discothèques branchées, aux plages accueillantes. Un paradis pour les investissements, à condition de ne pas être trop regardant sur la corruption triomphante. Un paradis, l’Azerbaïdjan ne l’est certainement pas pour les journalistes. Ni pour les droits de l’homme en général. à la 162e place sur 179 dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse, ce petit pays compte à lui seul deux des

L’ensemble de l’audiovisuel est acquis aux autorités, et les rares titres de presse indépendante ne circulent guère hors de la capitale. La situation des médias s’est encore détériorée avec la violente répression des manifestations prodémocratiques qui ont secoué le pays au printemps 2011, dans le sillage des

révoltes arabes. Arrestations de blogueurs, passages à tabac, enlèvements de journalistes d’opposition, expulsions de médias étrangers… La poignée de journalistes indépendants restants est régulièrement la cible de menaces et de campagnes de calomnie. Les assassinats des journalistes critiques Elmar Huseynov en 2005 et Rafik Tagi en 2011 demeurent à ce jour impunis, tout comme les agressions dont sont régulièrement victimes les professionnels des médias. En braquant les projecteurs sur le pays, les autorités ont également donné à la société civile une occasion inespérée de faire entendre sa voix. à la presse internationale de ne pas se laisser guider par les projecteurs du pouvoir.

Agil Khalil, journaliste azerbaïdjanais en exil

Agil, peux-tu nous dire brièvement comment tu as été contraint à l’exil ? » Mes investigations sur des cas de corruption et des activités illégales ont commencé à me valoir des ennuis avec les services secrets en 2008. J’ai été agressé une première fois le 22 février, puis poignardé début mars, et quelques semaines plus tard, j’ai été poussé devant le métro à Bakou. La justice a mené des enquêtes absurdes et de mauvaise foi, qui se sont retournées contre moi. Je ne pouvais plus respirer. J’ai décidé de quitter le pays, non sans mal. Je vis aujourd’hui à Paris, où j’ai obtenu le statut de réfugié politique. Dans quelles conditions tes collègues et amis continuent-ils de travailler sur place ? » Il est très difficile de travailler pour un journal comme Azadlig, le quotidien

d’opposition qui m’employait, ou pour un média indépendant. Il faut oublier sa famille. Mon rédacteur en chef, Ganimat Zahid, a passé plusieurs années en prison, tout comme son frère, Mirza Sakit. Ils continuent à recevoir des menaces jusqu’à présent. Deux collègues ont été enlevés et intimidés au printemps 2011, d’autres encore ont fait l’objet de campagnes de discrédit à caractère sexuel. Qu’attends-tu de la presse internationale à l’approche de l’Eurovision ? » L’Eurovision offre une chance unique de faire connaître la réalité de l’Azerbaïdjan. Mais il est très important pour la société civile que l’attention internationale ne retombe pas, que les efforts se poursuivent sur le long terme. © DR

focus

41 prédateurs de la liberté d’informer identifiés par Reporters sans frontières à travers le monde. Le président Ilham Aliev, dictateur omnipotent qui a repris de son père les rênes du pays, ne tolère aucune critique contre son pouvoir ou sa famille. Son fidèle associé, Vasif Talibov, expérimente dans la région isolée du Nakhitchevan, connue comme « la Corée du Nord de l’Azerbaïdjan », les méthodes répressives les plus poussées. Contrôlant la plupart des activités économiques rentables, les deux hommes et leurs clans ont mis le pays en coupe réglée.

Propos recueillis par : Johann Bihr Responsable du bureau Europe et Asie Centrale

reporters sans frontières

9


Dans l’actu

prédateurs

©Joël Guenoun

La liste des ennemis de la liberté d’informer s’allonge de six nouveaux membres Si elles ont fait tomber certains dictateurs, les révoltes populaires de 2011 n’ont pas réduit le nombre global de prédateurs de la liberté d’informer. Le sinistre cénacle, porté à 41 membres en 2012, compte six nouveaux membres : le groupe islamiste nigérian Boko Haram ; le Conseil suprême des forces armées en égypte, qui a succédé au dictateur déchu Hosni Moubarak ; le ministre de l’Information, des postes et des télécommunications du gouvernement fédéral de transition en Somalie ; Vasif Talibov, dirigeant de la région du Nakhitchevan en Azerbaïdjan ; les services de renseignement au Pakistan ; et enfin Kim Jong-un, successeur de son père, King Jong-il, en Corée du Nord.

Six pays supportent la présence de deux prédateurs. Ainsi, la Somalie, où sévit également la milice islamiste AlShabaab. Au Pakistan, les journalistes endurent à la fois la menace des services de renseignements et celle des talibans. Vasif Talibov, lui, s’inspire des méthodes répressives du président de la République azerbaïdjanaise Ilham Aliev. En Russie, Vladimir Poutine peut compter sur son «  chien de guerre  » Ramzan Kadyrov, président de la Tchétchénie. En Palestine, les journalistes subissent le joug des forces de sécurité

de l’Autorité palestinienne d’un côté, et du gouvernement du Hamas à Gaza de l’autre. Enfin, en Iran, les rivalités entre le Guide suprême Khameneï et le président Ahmadinejad n’améliorent en rien le sort des journalistes d’opposition. Plus d'informations sur www.rsf.org

Album Publié le 3 mai 2012, à l’occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse, le dernier album publié par Reporters sans frontières porte la signature de Martin Parr. En cent photos sur le thème du tourisme, le prestigieux photographe britannique pose un regard tendrement cruel sur ces hommes et femmes de passage dans un pays dont ils ne retiennent le plus souvent que la face la plus visible. Au contraire des journalistes. Un clin d’œil, donc, qui coïncide avec le vingtième anniversaire du lan10

reporters sans frontières

cement de cette collection des grands noms de la photographie, qui constitue l’une des principales sources de fonds pour Reporters sans frontières. Avec Martin Parr, l’album fait peau neuve, agrémenté d’un nouveau format et d’une nouvelle maquette. L'association renouvelle son projet éditorial et propose de nouvelles rubriques entièrement dédiées à la photographie. Fenêtre ouverte sur la création contemporaine, Reporters sans frontières part à la rencontre de jeunes photographes et photoreporters engagés.

©Martin Parr / Magnum Photos

Un nouveau format signé Martin Parr


l'AGENDA Journée mondiale des réfugiés

Bruit inédit dans les « trous noirs » du Net

13 septembre 2012

Lucie Morillon Responsable du bureau Internet et Nouveaux Médias

20 juin 2012

Sortie de l'album "100 photos de Steve McCurry pour la liberté de la presse" 3 octobre 2012 Lancement du site wefightcensorship.org 8 au 14 octobre 2012 Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre

tunisie

Mission de Reporters sans frontières dans les régions à l’occasion d’une mission dans les régions sud et ouest de la Tunisie, Reporters sans frontières est allée à la rencontre des journalistes, des blogueurs et des défenseurs des droits de l’homme des zones les plus reculées du pays. Depuis le 14 janvier 2011, l’information y circule librement sans être, au préalable, contrôlée et distillée par le puissant réseau de surveillance mis en place sous Habib Bourguiba et consolidé par Zine el Abidine Ben Ali.

Difficile, pour les régimes rompus à la surveillance en ligne et au piratage informatique, d’imposer le silence total. Téléphones portables et réseaux sociaux ne se laissent pas si facilement dompter par le « black-out » des despotes. L’onde de choc des « Printemps arabes » se fait même sentir dans les pays réputés les plus fermés. Le « royaume ermite » de la Corée du Nord, où Kim Jong-un assure désormais la succession dynastique, laisse entrevoir des failles. Certains riverains de la frontière chinoise trouvent le moyen d’accéder au réseau mobile du grand voisin. Au Turkménistan, l’explosion meurtrière d’un dépôt d’armes à Abadan, dans la banlieue d’Achkhabad, en juillet 2011, a marqué le début d’une guerre de l’information 2.0. Pour la première fois, des net-citoyens sont parvenus à poster sur Internet de simples vidéos réalisées grâce à leurs portables et à les répercuter à l’extérieur.

internet

Les « Printemps arabes » nourrissent, de la même manière, les espoirs de la diaspora érythréenne. Le terrible régime d’Asmara apparaît quelque peu dépassé par l’influence du Net sur les érythréens de l’étranger. à travers des organisations comme Eritrean Youth for Change (EYC) et Eritrean Youth Solidarity for Change (EYSC), ces derniers ont appelé leurs compatriotes de l’intérieur à « vider les rues » d’Asmara dans le cadre de l’opération Arbi Harnet (Freedom Friday), au début du mois de février dernier. Des SMS et des emails ont été envoyés à la population. Plus de 10 000 abonnés de la page Facebook de EYSC et de EYC ont été sollicités. Un espoir, réel mais ténu, alors que les mêmes régimes, avec d’autres, accentuent la répression physique pour tenter d’occulter leur fébrilité.

© DR

Pourtant, beaucoup reste à faire. Le développement des médias régionaux est un enjeu essentiel pour la bonne gouvernance et l’avenir de la démocratie tunisienne. Pour apporter son soutien aux nouvelles radios privées et communautaires qui commencent à émerger dans le pays et faciliter le travail des journalistes sur le terrain, Reporters sans frontières a distribué des kits de matériel radiophonique. L’organisation a assisté au procès de deux blogueurs, gérant une web-radio à Médenine, au sud du pays. La mission a également permis à l’organisation de consolider son réseau de correspondants locaux, relais d’information actif pour le bureau de l'organisation à Tunis. Basés à Gafsa, Gabès, Kasserine et Sidi Bouzid, les correspondants permettent à l’organisation d’être rapidement avisée des atteintes à la liberté de la presse encore nombreuses dans le pays. reporters sans frontières

11


interview

« Même en France, la liberté d’expression a été entamée » Astrid Scaramus, 37 ans, chef de projet multimédia et illustratrice jeunesse au sein d’un groupe de presse, soutient par ses dons les actions de Reporters sans frontières depuis trois ans.

Qu’avez-vous retenu de votre voyage à Cuba ? » Beaucoup de touristes voyagent à Cuba sans se rendre compte du sort des citoyens de ce pays, qui font des heures de queue pour manger ou circuler. Un jour, j’ai tenté de monnayer la remise en liberté d’un Cubain arrêté sous mes yeux ! Parce que

nous discutions ensemble, il avait été accusé de me vendre des cigares au marché noir et incarcéré sur le champ. Je connaissais le travail de Reporters sans frontières auprès des journalistes. J’ai voulu soutenir davantage l’organisation. Et demain ? » Je compte soutenir Reporters sans frontières dans la durée et à hauteur de mes moyens. L’information que je reçois sur ses actions est régulière et transparente. Cette cause nous engage tous. Nous bénéficions de beaucoup plus de libertés que dans d'autres pays. Or, même en France, la liberté d'expression a été sérieusement entamée ces dernières années. © DR

Pourquoi avoir choisi de soutenir Reporters sans frontières ? » Je suis foncièrement attachée à la liberté d’expression. Et il y a tant à faire. à mon retour d'un voyage à Cuba, je me suis questionnée sur ce que je pouvais faire à mon niveau. Là-bas, l’information ne sort quasiment pas du pays et les Cubains ne la reçoivent pas ou de manière extrêmement filtrée.

Propos recueillis par : Camille Lacoste-Mingam bureau Mécénat

✂ LEGS, DONATIONS, ASSURANCES-VIE Transmettre aujourd’hui pour les libertés de demain Demande d’information

à retourner à : Reporters sans frontières - Service successions 47 rue Vivienne - 75002 Paris - Téléphone : 01 44 83 84 83 - www.rsf.org

Oui

, je souhaite recevoir gratuitement et en toute confidentialité une brochure d’information sur les legs, les assurancesvie et les donations au profit de Reporters sans frontières

© Peter Marlow / Magnum Photos

Oui

, je souhaite m’entretenir avec la responsable des successions.

M.

Mme

Mlle

Nom Prénom N° et rue N° Apt, étage Bâtiment Lieu-Dit Code postal Ville Pays Téléphone Je souhaite être contacté entre

h et

h

E-mail Reporters sans frontières s’engage à la confidentialité la plus absolue en matière de successions. N’hésitez pas à nous contacter si vous avez des questions. Libre cours la revue de Reporters sans frontières pour la liberté de l'information - Publication trimestrielle - Prix 2 € - Abonnement un an : 6 € N°ISSN 1814-8190 - Directeur de publication : Olivier Basille - Rédacteur en chef : Benoît Hervieu - Directeur de la communication : Alexandre Jalbert - Directrice du développement des ressources : Perrine Daubas - Impression et routage : Imprimerie Chauveau - 2 rue du 19 Mars 1962 - 28630 Le Coudray - Conception graphique : Claire Béjat - édité par Reporters sans frontières - Association loi 1901 reconnue d’utilité publique - 47 rue Vivienne - 75002 Paris - Tél : 01 44 83 84 84 - E-mail :  rsf@rsf.org - Site : www.rsf.org - Dépôt légal à parution

Photo de couverture : © AFP Photo / Marco Longari

RECEVEZ GRATUITEMENT ET EN TOUTE CONFIDENTIALITÉ NOTRE BROCHURE


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.