Ryane de Choiseul - Mémoire de Master : Ouvrir et refermer - L'intervalle, une éloge de la fragilité

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OUVRIR ET REFERMER L’intervalle : une éloge de la fragilité

Ryane DE CHOISEUL ENSA Paris Val-de-Seine Février 2017 Directeur de mémoire : Léo Legendre


Ryane DE CHOISEUL Mémoire de Master 2 ENSA Paris Val-de-Seine 3/5 quai Panhard et Levassor 75013 PARIS Février 2017 Directeur de mémoire : Léo Legendre DE.2


(...) Mais comme il fut peu à peu nécessaire de remettre en cause un certain nombre de postulats, on s’est aperçu très lentement que, tout au contraire, le doute est un moteur; il fonctionne à l’aide de détours et permet de mettre en question ce qui va de soi (...)

CORBOZ André, 2009. Sortons enfin du labyrinthe, Infolio, p.41



SOMMAIRE INTRODUCTION

8-15

I. OUVERTURE(S)

17-27

• La brèche • La cicatrice • Le passage

20 22 24

II. TRAVERSÉE(S)

29-71

1. Révéler le creux 2. Transpercer le plein 3. Projeter par le vide

31 41 57

III. ÉCART(S)

72-87

1. L’ouverture : un intervalle spatial et temporel 2. Le seuil : un espace de ré-union 3. Le passage : un lieu informel, une liberté d’usages CONCLUSION

74 78 82 88-90

REMERCIEMENTS

92

BIBLIOGRAPHIE, WEBOGRAPHIE

94-99

5


Il y a des portes et encore des portes. Et derrière toutes ces portes, il y a un autre dedans et un autre dehors. Il y a quelque chose qui se passe et encore d’autres quelque chose

qui se passent. Ça ne s’arrête jamais.

Le personnage de Jack, dans le film Room, 2015

6


Room Lenny Abrahamson 2015

www..allocine.com

7


INTRODUCTION

Le choix de mon sujet de recherche est né de mon intérêt pour la notion de

seuil : comment passer d’un extérieur à un intérieur ? Comment constituer ce lieu de passage ? L’espace du seuil possède selon moi des caractéristiques d’ordre presque mystiques, en effet c’est un lieu qui –si l’on reprend l’exemple de l’extérieur et de l’intérieur- est à la fois en dehors et en dedans sans être vraiment ni dans l’un, ni dans l’autre totalement. Ce «mi-lieu» dans lequel nous nous situons lorsque nous nous trouvons dans l’embrasure d’une porte nous met en équilibre assez instable dans lequel le corps est pris entre la stase et la mobilité. Le seuil constitue un lieu que je pourrais qualifier de métis : il est un espace hybride né du mariage de deux mondes distincts.

Ces premières réflexions m’ont amenée à me questionner sur d’autres

notions qui se rattachent à celle du seuil qui, « selon son étymologie (…) se réfère au mot « sandale » ou « semelle », une planche où l’on pose le pied pour franchir la porte» [1]

MESTELAN Patrick, 2005. “Le seuil ou le dessin de l’ouverture” in L’ordre et la règle, p.252

et qui « évoque le franchissement d’une limite par une ouverture » [1]. Si on simplifie l’image du seuil, on peut considérer qu’il constitue l’espace liminaire situé de part et d’autre d’un mur percé. Je me suis alors demandé ce que serait une paroi sans percement, un mur que l’on ne pourrait pas franchir, c’est à dire une limite

Le terme « limite » en français provient du latin « limes » qui signifie «route»

et qui désigne à l’origine la route frontalière, la fortification. Si nous avons tout d’abord tendance à appréhender la limite comme la matérialisation d’une HEIDEGGER Martin, 1983. “Bâtir Habiter Penser” in Essais et conférences (1958) p.183 cité par YOUNES Chris, 2008. “Limites, passages et transformations en jeu dans une architecture des milieux” p.5 [2]

extrémité, qui détermine le bout, la finalité d’un espace, il s’avère pourtant que la limite appelle aussi à l’ouverture : en effet, « la limite n’est pas ce où quelque chose cesse, mais bien, comme les Grecs l’avaient observé, ce à partir de quoi quelque chose commence à être »[2]. La limite semble donc déterminer une fin et d’autre part marquer un début, elle n’est pas le bout, dans ce qu’il possède de fini, >> 8


>>, mais bien un bord, comme un tremplin, amenant vers une autre chose, un autre lieu. La limite semble alors appeler à son dépassement, à sa transgression.

« L’architecture établit des limites et des passages pour configurer un monde alors que l’illimité est inhabitable »[3], l’architecte imagine, dessine, élève alors des murs délimitant l’espace afin d’organiser l’illimité : L’apeiron ( du grec ancien composé du préfixe privatif a- « sans » et de péras qui signifie « fin »)[4] que l’on peut le traduire comme infini mais aussi plus finement comme indéterminé. L’architecture construit

YOUNES Chris, 2008. “Limites, passages et transformations en jeu dans une architecture des milieux” p.5 [3]

[4]

Ibid. p.5

donc a priori des limites, des déterminations, autrement dit, des choix, des intentions qui définissent des usages et des espaces distincts. L’architecte en bâtissant des murs organise le chaos et ordonne l’anarchie (du grec anarkhia qui signifie littéralement sans principe, et qui traduit l’idée de désordre, l’anomie).

Néanmoins, si tout n’était que murs, parois, cloisons, nous serions

condamnés à errer entre ces limites infranchissables, à l’inverse si l’ «on entre de partout, il n’y a pas de centre » [5] et nous nous trouverions dans un monde inhabitable. L’architecte doit alors réaliser des ouvertures, bâtir des parois plus ou moins poreuses qui deviennent des frontières que le corps ou simplement le regard peuvent traverser. Ces ouvertures semblent donc former des lieux qui échappent à un certaine organisation du monde, ce sont alors des lieux situés entre l’ordre et l’anarchie, introduisant un souffle d’indétermination dans un espace ordonnancé par l’architecte.

L’architecte défie sans cesse la notion de limite qu’il dessine pour

ensuite en gommer, voire en supprimer les contours afin d’organiser la rencontre entre deux milieux.

9

CORBOZ André, 2009. Sortons enfin du labyrinthe, p.10 [5]


INTRODUCTION

Pour passer d’une limite (infranchissable) à une frontière

(pénétrable) l’architecte procède à un acte d’ouverture, il réalise un percement qui peut prendre la forme d’une fenêtre, d’une porte ou encore d’un couloir offrant le passage de la lumière, de la vue, du son ou encore d’un corps d’un « monde » à l’autre « la frontière est en effet aussi cela : le point à partir duquel commence l’inconnu, et donc HUISSOUD Jean-Marc, 2010. “Les difficiles limites de la géopolotique : les frontières” in Esprit d’avant n°10

[6]

la découverte, l’aventure, le changement »[6] : cette percée fabrique un lieu de passage plus ou moins étendu, un espace suspendu, un lieu des possibles entre deux réalités.

L’architecte fait naître du croisement, de la rencontre, de l’entrelacement

du limité, de l’illimité et du franchissement, un espace de seuil en entre-deux. C’est dans cet intervalle -que constitue le passage- que se situe, selon moi, la richesse du projet architectural qui permet de faire surgir des relations inédites non seulement spatiales entre les choses mais aussi sociales entre les individus.

[7]

YOUNES Chris, Op. cit. p.5

Le passage exprime « à la fois l’action de passer à travers, l’issue, l’entre-deux

ambigu par lequel s’opèrent des relations, des transitions et des médiations »[7]. Le vide créé par l’ouverture dans le plein produit alors une situation transitionnelle, interstitielle et versatile, qui peut faire jaillir, en entremêlant un milieu à un autre, un troisième lieu unique et fécond qui surpasse le « simple » mélange de deux entités distinctes. C’est de ce métissage symbolique que le passage tire ses qualités a priori antinomiques de division et d’union dans un même temps.

Ce lieu de fracture agit alors comme un lien, un nœud, une

passerelle qui possède, notamment dans les exemples étudiés dans ce mémoire, une forte teneur symbolique.

10


Les lieux de passage dans les cas d’études présentés en première et en

seconde partie expriment très bien ce qui est parfois difficilement traduisible par les mots : constitués essentiellement de vide ces espaces de passage en tension entre deux éléments pleins semblent agir comme une colle, une soudure, une couture dématérialisée qui permet à l’invisible de joindre plusieurs entités afin de former un tout.

• Ouverture : Un espace de mise en relation (plus ou moins lâches ou tendues)

• Autonomie

• Désunion

• Tension

• Interstice : Un espace de rencontre, et non un vide (au sens de “néant”)

• Friction

• Passage : Un espace de rencontre (au delà des limites définies par la masse bâtie)

• La masse

• Le vide

11

• Les seuils


INTRODUCTION

L’ouverture d’une brèche dans l’édifice est tout d’abord ce qui permet

la rencontre du bâtiment avec son site : elle peut prendre la forme d’une porte qui fait entrer des corps, ou bien d’une fenêtre qui cadre une vue sur le paysage, et fait pénétrer la lumière dans l’espace. Le passage ouvert dans la masse est un espace de rencontre, entre le lieu bâti par l’architecte et le territoire, entre l’habitant et le site (existant et construit), ainsi qu’entre les personnes elles-mêmes puisque le seuil (qu’il prenne la forme de l’embrasure d’une porte ou, encore, d’un couloir) constitue le lieu matériel et symbolique de la rencontre.

Comment traiter l’ouverture, le vide pourtant porteur souvent

d’un considérable potentiel symbolique? Et comment envisager les dispositifs du franchissement du mur et changer cette limite en frontière ?

Je m’intéresse ici à l’ouverture, à la brèche. A un vide entre deux pleins en

tension que l’on pourrait apparenter à la forme négative d’un pont entre deux rives (fig.1). Même si l’œil à tendance à se focaliser sur les éléments pleins et bâtis, la faille et le pont ont de similaire leur vocation : celle d’être des vecteurs de lien.

L’acte

d’ouverture

est

semblable

à

la

première

inspiration d’un nouveau né: le geste est brutal et semble douloureux.>> Le pont du Gard Photomontage

fig.1 www.photo-paysage.com 12


>>Néanmoins dans les lieux de souffrance, la création d’une faille, d’un nouveau vide qui perce les murs peut offrir un second souffle vital à l’édifice.

Si le geste d’ouverture apparaît d’abord comme une fracture fissurant et

scindant une paroi en deux entités, le vide issu de cette rupture possède alors un rôle essentiel, celui d’un espace de transition entre les deux bords du mur. La résultante de cette ouverture forme alors un espace fragile, dans lequel une certaine tension est perceptible. C’est, selon moi, dans la vulnérabilité de l’ouverture que réside toute la richesse de ce lieu.

L’objet de ma recherche se concentre sur le traitement spatial, matériel et

symbolique des actes d’ouverture pratiqués dans certains édifices marqués par une histoire particulière et douloureuse, et plus particulièrement sur la nature de ces failles qui forment des vides aux allures de passerelles invisibles. Le vide se change alors en une matière que l’architecte façonne en incisant le plein, et devient le lieu d’une suture parfois réparatrice.

Comment le passage constitue-t-il un écart, un intervalle à la fois

lieu de césure et espace d’union ?

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INTRODUCTION

C’est à travers les lectures d’un corpus de textes (chapitres d’ouvrages et

articles essentiellement) ainsi que par l’analyse d’un ensemble de cas choisis dans des domaines d’études variés (sculpture, peinture, design, land’art et bien-sûr architecture) que j’ai effectué mes recherches afin de répondre à ces questionnements.

L’analyse de ces exemples s’est faite notamment par l’image : par la

photographie, ainsi que grâce aux documents graphiques techniques (plans et coupes) que j’ai décidé de relire à l’aide de schémas me permettant de faire ressortir les éléments pertinents pour ma recherche. C’est en combinant les lectures analytiques à la fois bibliographiques et iconographiques que j’ai pu amorcer l’écriture de ce mémoire qui se nourrit de sources diversifiées.

Pourtant profondément ancrés dans des problématiques spatiales,

l’ouverture, le passage et le seuil, notamment par la symbolique qu’ils évoquent, sont des notions qui dépassent le seul domaine de l’architecture et c’est pour cette raison bien précise que j’ai choisi d’aller chercher des réponses dans d’autres disciplines afin d’ouvrir le champ à d’autres interprétations et ainsi tenter d’offrir des réponses plus complètes et plus riches à mes questionnements.

J’ai conçu ce mémoire comme une promenade au travers des exemples

choisis pour étayer mon propos, le déroulement de l’écriture est assez conforme avec la chronologie de ma recherche et suit fidèlement le fil de mes pensées.

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Tout d’abord, j’ouvre mon mémoire avec ce que j’appelle des tours et détours

au travers de divers champs disciplinaires qui m’ont permis de définir des termes (et des thèmes) que l’on retrouvera plus loin dans le mémoire. Ces définitions, qui m’ont permis de mieux cerner mon sujet et mes problématiques, forment le point de départ de ma réflexion.

Dans un second temps, nous traverserons ensemble un recueil de cas d’étude

qui forment le corps principal de ce mémoire. Ces exemples, choisis essentiellement dans le domaine de l’architecture, nous permettront d’observer différents processus de conceptions, dispositifs spatiaux et expressions de l’ouverture et du passage dans des lieux traumatisés ou commémorant la souffrance.

Enfin, dans l’ultime partie de cette recherche, j’ai choisi de m’écarter de ces

cas d’études pour revenir à des questionnements plus détachés des analyses spatiales afin de comprendre et d’interpréter la compléxité et la richesse du passage et ainsi d’entrevoir le rôle de l’architecte dans la conception de ce type d’espace en entre-deux, espace qui possède des qualités spatiales, temporelles et symboliques uniques.

15


16


I.

OUVERTURE(S)

Tours et détours pour définir la notion d’ouverture - au travers de divers champs disciplinaires : • La brèche dans l’artisanat et le design : • La cicatrice en chirurgie : • Le passage dans le land’art :

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Tendance de l’art contemporain apparue aux Etats-Unis vers 1967 et caractérisée par un travail dans et sur la nature. [8]

Pour cette recherche j’ai choisi de m’ouvrir à d’autres champs disciplinaires

comme le land art[8], l’earthwork[8] ou encore le design afin de m’aider à comprendre le fonctionnement, les dispositifs, et la symbolique des actes d’ouverture pratiqués en architecture.

www.larousse.fr

“La réparation ou jointure en or” est une méthode japonaise de réparation des porcelaines ou céramiques brisées au moyen de laque saupoudrée de poudre d’or. [9]

Dans un premier temps, c’est du coté de l’artisanat et du design que je

me propose d’effectuer un premier détour. J’ai pu découvrir l’art du Kintsukuroi [9] (ou Kintsugi) japonais (fig.2) lors d’un semestre à l’étranger en Australie, pendant lequel j’ai pu étudier d’un peu plus près le design d’objet à travers un enseignement d’architecture d’intérieur.

www.wikipedia.fr

18


Kintsukuroi Artisanat japonais

fig.2 www.pinterest.com

19


UN DETOUR PAR L’ARTISANAT...

Kintsukuroi Artisanat japonais

fig.3 www.pinterest.com Le Kintsukuroi - qui signifie réparation en or-, est un art japonais de restauration de porcelaine ou céramique à l’aide d’une laque agrémentée d’or ou d’argent. Cet art met en valeur l’histoire - même accidentée- de l’objet ainsi que sa réparation. La lumière est mise sur la beauté fragile de la fissure.

Seam, Installation Cathrine Bertola 2007

fig.4 www.pinterest.com 20


Cet art japonais appelé Kintsukuroi ou Kintsugi, datant du 15ème siècle,

consiste à mettre en valeur la réparation d’un objet brisé en en recollant les morceaux à l’aide d’une résine laquée mélangée à de la poudre dorée ou argentée (fig.3). Cette technique, encore utilisée aujourd’hui, témoigne, de manière plus générale, d’une vision bien différente de celle que nous pouvons porter sur l’Histoire.

Tandis que nous sommes souvent appelés à voir – à travers notre prisme

culturel – la destruction comme une finalité, cet art japonais met l’accent sur la fêlure comme un événement, ponctuel, dans l’histoire de l’objet et non plus comme sa fin. Plus qu’un recyclage élaboré, c’est l’éloge de l’expérience et de l’imperfection qui est réalisée ici.

Cette technique de réparation conjuguée avec mon intérêt pour l’acte

d’ouverture, me permet d’adopter un nouveau point de vue sur l’architecture et son histoire, ainsi la mise en valeur d’un bâtiment devenu un lieu fragile à cause de l’histoire et des souvenirs dont il témoigne, semble alors nécessaire pour le rendre à nouveau appropriable par le public. Dans le kintsukuroi comme dans les exemples de réhabilitation ou les mémoriaux que j’ai séléctionnés, c’est tout d’abord physiquement par la mise en valeur de l’ouverture, de la faille, de la brèche que l’on donne à voir et à expérimenter la seconde vie de ces lieux de souffrance ou de commémoration.

Ci-contre (fig.4), l’oeuvre de l’artiste Catherine Bertola, qui utilise cette

technique pour mettre en valeur les fissures présentes sur une dalle de béton. Comme dans le Kintsukuroi, l’artiste met en avant l’usure et la fragilité de la matière. 21


UN DETOUR PAR LA CHIRURGIE

Afin d’enrichir ma recherche autour de l’acte d’ouverture, j’ai choisi de

m’intéresser à l’acte chirurgical et surtout à la trace qu’il laisse : la cicatrice.

La cicatrice est le témoin de toute plaie (brûlure, infection, incision, lésion)

ayant détruit le derme. Si elle finit par disparaître lorsque la blessure est de nature superficielle (lorsque, seul, l’épiderme est touché), elle demeure indélébile dans tous les autres cas : la marque évolue alors au fil des semaines, des mois voire des années (fig.5) pour atteindre une forme définitive plus ou moins marquée. Les tissus en dessous de la cicatrice sont définitivement endommagés, ainsi ni bulbe pileux, ni glande sudoripare ne peut se former à nouveau : une partie du corps ne se remettra jamais du traumatisme généré par la blessure.

Il n’existe à ce jour pas de procédés qui permettent réellement d’accélérer

le processus de cicatrisation, hormis le temps, ou de faire disparaître totalement la cicatrice. S’il est néanmoins possible d’en améliorer l’aspect (en en réduisant la visibilité, la couleur, le relief) grâce à la technologie laser, il est impossible de la masquer complètement : dans une certaine mesure la trace demeurera toujours visible.

Le processus cicatriciel permet de réparer des tissus endommagés en

réalisant une soudure, une suture (naturelle lorsqu’il s’agit de plaies superficielles ou de petites tailles, ou bien aidée par la chirurgie dans les autres cas) qui va permettre de refermer les tissus ouverts pour éviter de laisser la plaie à nu afin de limiter le risque d’infection. La suture est donc vitale, sa marque qui demeurera présente indéfiniment sur la peau restera le seul témoin d’un événement traumatisant, comme une trace indélébile du passé. 22


Pour réduire l’aspect d’une cicatrice, on emploie aujourd’hui la chirurgie:

la procédure consiste à rouvrir les tissus afin de suturer à nouveau en espérant que cette fois-ci la peau se régénère mieux afin d’obtenir un cicatrice moins visible et plus esthétique.

Pour certains édifices (notamment le Bunker 599) que je vais étudier dans

la seconde partie de cette recherche c’est un procédé similaire qui est mis en place : en perçant l’espace clos du bunker, on réouvre un chapître de l’histoire qui représente une plaie symbolique, que la traversée va permettre de suturer.

Réouvrir une cicatrice est un geste qui semble brutal, mais

qui peut-être le moyen d’offrir une seconde chance de réparation et pas uniquement dans le domaine de la médecine.

fig.5 www.eatandexercises.net 23


UN DETOUR PAR LE LAND’ART...

Double Negative Michael Heizer 1969-70

fig.6 www.ampersandla.com M. Heizer réalise la découpe d’une tranchée à grande echelle - longue de 457 mètres, large de 9 mètres, profonde d’une quinzaine de mètres- et radicale dans le paysage du Nevada. L’oeuvre du land artiste invite à la contemplation du vide. L’observateur regarde ce qui n’est plus là et pénètre dans les entrailles de la roche, inaccessibles auparavant.

fig.7 www.pinterest.com 24


Après avoir exploré le design à travers le Kintsukuroi japonais et la question

de la cicatrice, je me propose de faire un nouveau détour par le land art afin d’entrevoir l’expression de l’acte d’ouverture et comprendre la symbolique du passage. Je me suis tout d’abord intéressée à l’œuvre de Michael Heizer, Double Negative, creusée dans la roche du désert du Nevada en 1969-1970 (fig.6). Cette sculpture en négatif et à grande échelle - celle du territoire - dans un paysage minéral, impressionne par sa matérialité et son dimensionnement. L’artiste a usé de grands moyens pour donner au public un accès privilégié dans un lieu auparavant impraticable : il ouvre un «intérieur» dénudé dans l’épaisse roche de grès, offrant ainsi la possibilité de pénétrer dans l’intimité des entrailles d’un désert marqué par les essais atomiques effectués par le gouvernement américain.

Avec cette intervention engagée, l’artiste habite l’espace par un vide

imposant et lisiblement découpé par la « main » de l’homme. Ainsi, Michael Heizer donne à voir non pas seulement le paysage tel qu’il a été redessiné et tel qu’il nous est présenté, mais bien ce qui manque, ce qui a été déplacé -mis en évidence par les parois rocheuses-. Par là, il nous permet d’engager une réflexion sur l’absence et l’observation de cette béance. Dans cette faille, on se sent « plein » et confortable, comme contenu par ces épais murs de pierre (fig.7).

Cette œuvre, tout comme le travail artisanal du Kintsukuroi, m’ont permis

d’adopter un regard nouveau sur l’acte d’ouverture et les vocations qu’il possède. L’ouverture permet tout d’abord d’adopter un regard contemplatif sur le vide et sa création. C’est la nature brutale de cet acte qui en révèle toute sa fragilité et c’est précisément, selon moi, ce qui en fait un lieu riche et unique engageant l’émotion de l’observateur. 25


UN DETOUR PAR LE LAND’ART...

Floating Piers Christo 2016

fig.8 www. christojeanneclaude.net

fig.9 www. christojeanneclaude.net 26


La deuxième œuvre de land art que j’ai décidé d’étudier est beaucoup plus

récente ; il s’agit des Floating Piers de Christo datant de l’année 2016 (fig.8). Cette intervention longue de 3 kilomètres, au delà de permettre au public de marcher sur l’eau, offre un moyen de connecter la ville de Sulzano, l’île de Monte Isola et la plus petite île de San Paolo. On peut lire ces quais flottants comme des passages nés d’une déchirure des eaux du lac laissant les passants les traverser pour aller de rives en rives défiant les limites naturelles et les vides existants de ce paysage préalpin.

L’artiste Christo a fendu l’eau (pendant une quinzaine de jours, du 18 juin

au 3 juillet 2016) pour permettre un pèlerinage unique de la terre vers les îles du lac d’Iseo. Comme nous avons pu le voir précédemment avec le Double Negative de Michael Heizer, l’espace né de cette ouverture de l’eau est un « mi-lieu », un entre-deux instable. Ce déséquilibre est d’autant plus marqué ici que la structure flottante se meut au gré de la légère houle. Lors de la traversée, les sensations d’instabilité sont décuplées, ainsi le public prend-il pleinement conscience du chemin qu’il parcourt, des seuils qu’il franchit (fig.9).

L’ouverture est aussi un moyen de connexion, elle offre à la fois

une traversée singulière sur le lac mais aussi des passages, depuis la ville jusqu’au deux îles, de la terre à l’eau et inversement, qui agissent comme des liants entre les différents éléments du paysage.

Si, au gré des exemples étudiés précédemment, l’acte d’ouverture

paraît d’abord écarter, dissocier et fragmenter, il est, ici, aussi un fil tissé entre les différentes entités de ce territoire destiné à les resserrer, les joindre. 27


28


II.

TRAVERSÉE(S)

1. Révéler le creux: Et s’installer dans le vide 2. Transpercer le plein : Et habiter l’interstice 3. Projeter par le vide : Elever la masse pour créer le passage

29


30


1.

REVELER LE CREUX ET S’INSTALLER DANS LE VIDE

Après avoir étudié des exemples traitant de la brèche, de la cicatrice de

l’ouverture et du passage dans les domaines de l’art, du design, de la chirurgie ou encore du land art, nous allons maintenant observer différents processus relatifs à l’ouverture et au passage à l’échelle architecturale, à l’aide d’une série d’exemples significatifs.

C’est tout d’abord avec une série de deux projets participant à la

réhabilitation de la base sous-marine de Saint-Nazaire que j’ai choisi d’explorer la révélation des interstices comme acte d’ouverture.

A l’image d’une plante sauvage qui profite d’une brèche dans un sol

bétonné pour s’installer et pousser, les projets étudiés dans cette première partie évoquent l’acte d’ouverture par la mise en valeur de creux existants restés tapis dans l’ombre. La mise en lumière sur ces ouvertures est déjà, selon moi, un premier acte permettant au public d’adopter un nouveau regard sur un lieu associé à la souffrance. 31


1

REVELER LE CREUX Réhabilitation de la Base sous-Marine Yann Kersalé, LIN Berlin, Gilles Clément Saint-Nazaire, France 1990-2012

La base sous-marine de Saint-Nazaire fait partie d’un ensemble de cinq

bases (avec Bordeaux, Brest, Lorient et La Rochelle) construites pendant la Seconde Guerre Mondiale le long de la côte Atlantique de la France occupée. Les dimensions de l’équipement militaire sont colossales : cette base s’étend sur 300 mètres, s’étale sur 130 mètres et s’élève à 18 mètres. Ce volume d’une capacité de 39000 m3 constitue un véritable « monstre » de béton en périphérie de Saint-Nazaire. Au delà de sa silhouette structure “réalisée avec des blocs de bétons armés d’une grande épaisseur, superposés et posés sur le plancher de couverture de la base pour la protéger”

globale, c’est également sa structure qui en impose ; le système Fangrost [10] permet au

LECARDAN Renzo, TESORIER Zeila, 2011. “Bunker Culturel : La régénération du patrimoine militaire urbain à Saint Nazaire”, in In Situ n°16, p.4

l’estuaire de la Loire : Volumétrie, matérialité, structure, usage, le géant oppresse

[10]

site de sortir quasiment indemne des bombardements.

Ainsi, la base est telle un Bunker titanesque sur les rives portuaires de

(fig.10). Lourd, il inflige une pression à la fois sur l’eau et la ville, constituant un mur apparemment infranchissable. Autour de la base déserte, ce bout de ville isolé du reste de Saint-Nazaire est laissé en état de friche jusqu’en 1996, lorsque les travaux de réhabilitation du quartier (Projet Ville-Port) menés par l’architecte Manuel de Solà-Morales débutent. Le projet inclut l’intégration de la base sous-marine ; en effet elle est un signal non négligeable dans le paysage portuaire de Saint-Nazaire mais surtout un marqueur historique et identitaire dans la ville.

La stratégie, pour restituer la base aux Nazairiens, est de la

rendre accessible : l’ouverture semble donc être le geste qui va permettre de faire pénétrer la ville et ses habitants à l’intérieur de la base et de faire se rencontrer, à nouveau, l’estuaire et la terre. Pour cette étude, je vais me concentrer sur 2 projets témoignant des actes d’ouverture pratiqués sur le site : La Nuit des Docks de Yann Kersalé, puis le Jardin du Tiers-Paysage de Gilles Clément (fig. 11).

32


Vue aerienne Saint -Nazaire

fig. 10 www.presseocean.fr

Jardin du Tiers-Paysage Gilles ClĂŠment 2009 et 2012

fig. 11 www.pinterest.com 33


1

REVELER LE CREUX La Nuit des Docks Yann Kersalé Saint-Nazaire, France 1990

Yann Kersalé réalise en 1990 une mise en lumière du port et de la base

sous-marine. Ce projet, préalable à celui de la réhabilitation du quartier, met pour la première fois l’accent sur la forteresse de béton. « C’était un projet novateur, qui a eu un retentissement national. A l’époque, c’était plutôt les églises et les monuments COTTA Christophe, adjoint au domaine public in l’Echo de la presqu’ile, 2015 [11]

historiques que l’on mettait ainsi en valeur » [11]. Ce projet participe à la valorisation, d’abord visuelle, de ce site à l’architecture massive, et permet d’engendrer par la suite une véritable réfléxion sur la réhabilitation de la zone.

Le concepteur tire profit de la structure gigantesque de la base, des

matériaux bruts et dégradés et, surtout, des grandes béances formées par les bassins, séparés par des voiles massif en béton. Yann Kersalé met en valeur ces ouvertures, il les éclaire d’une couleur bleue, caractéristique de son travail, qui se reflète dans les eaux de l’estuaire (fig.12). La base sous-marine ressort comme le sujet principal de ce tableau vivant, accompagnée dans ce paysage par les grues des chantiers navals de la ville (fig.13).

Ce sont les rythmes des bassins qui servent de support à l’éclairage : un

jeu de lumière entre les seuils formés par les ouvertures, et l’arrière-plan constitué des parois séparatrices des bassins inondées de lumière bleue (fig.14). L’accent est mis sur la succession des plans verticaux -percés régulièrement d’une porte évidéepermettant la traversée, le passage d’une alvéole à une autre.

Dans ce projet l’ouverture est immatérielle : c’est d’abord l’œil qui

effectue le franchissement de toutes ces barrières successives. La lumière, valorisant les creux, créé une première découpe dans la masse. Le regard pénètre dans l’enceinte obscure et permet ainsi de tisser un premier lien depuis la ville vers le port. 34


La Nuit des Docks Yann KersalĂŠ 1990

fig. 12 www.lightzoomlumiere.fr

fig. 13 www.darchitectures.com

fig. 14 www.lightzoomlumiere.fr 35


1

REVELER LE CREUX Jardin du Tiers-Paysage Gilles Clément Saint-Nazaire, France 2009-2012

En 2009, le paysagiste Gilles Clément intervient sur le toit de la base

sous-marine désormais accessible depuis une passerelle qui prend naissance au niveau de la rue et mène le public sur la toiture de la forteresse depuis laquelle le visiteur est invité à admirer un panorama à 360 degrés sur les chantiers navals, la ville et l’estuaire de la Loire.

Le projet paysager est assez simple : après avoir déposé une base de

substrat dans les creux formés par la structure, le paysagiste fait confiance à la nature pour reprendre ses droits sur la construction. Le pari est gagné et la végétation vient se glisser tout naturellement dans les brèches du bâtiment (fig.15).

Ce projet n’est pas un projet d’ouverture, de création d’un vide significatif

dans la masse mais bien un projet de révélation de l’ouverture existante, de la faille, de l’interstice créé par le creux existant dans l’architecture de ce bâtiment pourtant si massif. Et c’est bien au sein de ces espaces en creux que se décide à pousser la nature, malgré des conditions qui semblent bien peu propices à son développement: il semble que ce soit de cet environnement apparemment hostile que les plantes tirent leur force, mais aussi de cet emplacement en entre-deux qu’elles tirent toute leur richesse. En effet, entre terre et mer, ombre et lumière, sous le vent marin, la nature bénéficie d’un environnement opportun à la diversité et la croissance des végétaux (fig.16). Ne voyons-nous pas, souvent, entre les pavés ou dans la faille du macadam, un brin d’herbe, une jeune pousse croître contre toute attente? Ce n’est pourtant pas un hasard, l’interstice permet le ruissellement de l’eau (fig.17), ainsi une graine prend racine et occupe ce vide dont la nature semble effectivement avoir horreur. Ce projet me paraît significatif en ce qu’il nous informe sur les ressources créées par ces ouvertures, ces vides creusés dans la masse. 36


Jardin du Tiers-Paysage Gilles ClĂŠment 2009 et 2012

fig. 15 www.nantes.fr

fig. 16 www.over-blog.com

fig. 17 www.pinterest.com 37


1

REVELER LE CREUX

Ces deux projets nous ont permis de porter un premier regard sur l’ouverture.

Tout comme dans l’art du Kintsukuroi, (p.21), les interventions, présentées dans cette première partie, permettent de révéler les creux existants dans la base sous-marine de Saint-Nazaire, de les sublimer parfois. En effet, le bâtiment apparaît comme un édifice disgracieux ; trop grand, trop long, trop gris, trop lourd. Néanmoins les failles présentes dans l’architecture de cette base sous-marine constituent des espaces de respiration, d’ouverture, de passage qui, non seulement, en allègent un peu l’apparence mais donne également la possibilité de les Bassin où la coque d’un bâtiment (ici des sous-marins) peut être entretenue ou réparée [12]

www.cnrtl.fr

franchir, aussi bien par le regard (puisque les anciens bassin de radoub [12] offrent des percées -en rythme régulier- depuis la ville vers l’océan Atlantique), que par le mouvement (certaines brèches fonctionnant comme des couloirs, des portes à franchir pour traverser l’ensemble du site). Dans ce site, puisque les creux existent, les réveler permet, peut-être, d’établir une première passerelle.

Dans cette première partie, le processus d’ouverture est plutôt subtil, il

est réalisé tout en finesse dans cette enceinte colossale. Yann Kersalé comme Gilles Clément s’installent dans l’existant sans démolir le site. Ce dispositif de mise en valeur de la faille permet de suggérer habilement le potentiel poreux de cette structure, de révéler aux habitants et au public la perméabilité masquée par l’enveloppe épaisse de la base qui cache pourtant un intérieur creux , évidé par les bassins menant à l’eau.

Ces interventions légères me permettent d’ouvrir le débat sur

les actes d’ouvertures discrets recréant des seuils jusqu’ici invisibles, et générant un premier regard, un lien entre plusieurs entités, entre un édifice et son quartier, l’océan et la terre, les chantiers navals et le reste de la ville. 38


Summer Evening Edward Hopper 1947

www.edwardhopper.net

Ci-dessus et ci-dessous, deux tableaux du peintre américain Edward Hopper, choisis pour l’accent qui est mis sur l’entre-deux, espace paradoxal entre intérieur et extérieur, lieu des possibles.

New York Office Edward Hopper 1962

www.edwardhopper.net 39


40


2.

TRANSPERCER LE PLEIN ET HABITER L’INTERSTICE

Après avoir succinctement étudié des projets dont le processus d’ouverture

consiste à valoriser le creux en le révélant, que ce soit par une mise en lumière ou un projet paysager, nous allons maintenant nous concentrer sur des actes d’ouvertures beaucoup plus radicaux : le geste d’ouverture est réalisé a posteriori, sur des édifices existants, pour réouvrir une plaie mal cicatrisée.

La découpe du Bunker 599 (p.42) et l’incision réalisée dans l’ancien Palais

des Congrès du Parti Nazi (p.48) sont des projets dans lesquels l’acte d’ouverture est franc. Le percement du plein est chargé d’une forte symbolique dans ces deux interventions. Il offre un passage qui semble fonctionner comme une sorte de thérapie pour les visiteurs qui le traversent.

C’est par l’entaille, parfois violente, dans la masse bâtie qu’est créée

la traversée permettant de franchir physiquement et symboliquement ces lieux de souffrance afin de surmonter la douleur qu’ils inspirent. Le passage fissure, écartèle et démembre le corps de ces édifices qui pourraient être considérés comme les allégories des protagonistes de ces sombres pages de l’Histoire. 41


2

TRANSPERCER LE PLEIN Bunker 599 RAAAF & Atelier Lyon Culemborg, Pays-Bas 2010

Bunker 599 RAAAF & Atelier Lyon 2010

fig.18 www.designboom.com Ci dessous, la première ouverture dans le Bunker 599. Cette photographie témoigne de l’importance du geste d’ouverture. La faille amène une lueur éclatante dans ce lieu obscur, complètement coupé du monde extérieur. Première découpe dans l’épaisseur du mur du bunker.

fig.19 www.designboom.com 42


Le Bunker 599 fait partie d’un ensemble de 700 constructions du même type, bâties le long de la Nieuwe Hollandse Waterlinie (NHW), une ligne de défense militaire, en fonction de 1815 à 1940, constituée « d’un réseau de fortifications et de cours d’eaux organisés de manière à former un dispositif militaire défensif protégeant les grandes villes à l’ouest des Pays-Bas»[13] comme Muiden, Utrecht, Vreeswijk, par le moyen d’un déclenchement d’inondations contrôlées dans le but de protéger le cœur

KACHLER Charlotte, 2015. Les Ruines du Futur, p.50 [13]

économique en l’isolant du reste du territoire par l’eau.

Après l’abandon de cette ligne de défense (après la Seconde Guerre

mondiale), le gouvernement hollandais souhaite remettre en valeur les 85 Kms de la NHW, le projet du Bunker 599 fait partie de ce grand projet paysager. A l’origine, laissé en ruine, pris entre une nature indomptée et l’autoroute A2, le bunker et son histoire semblent avoir été oubliés. Le projet de réhabilitation est alors l’occasion de rendre le bâtiment appropriable par les visiteurs et ainsi de lui donner une seconde vie et un nouveau sens.

La réalisation des agences RAAAF et Atelier Lyon, à Culemborg en 2010,

consiste à percer une ouverture étroite et franche dans ce bunker (fig.18). Dès la première fissure du mur, on comprend la valeur de l’intervention (fig.19). Par le biais de cette brèche, le public peut désormais avoir accès aux entrailles du bâtiment auparavant invisibles. En outre, les architectes complètent ce geste par la construction d’un chemin qui démarre de la butte, en amont du bunker, et se termine par un passage qui vient mourir dans les eaux peu profondes de la NHW. Comme nous avons pu le voir plus haut, ce bunker (et les autres fortifications de la ligne militaire de défense), témoigne d’un passé belliqueux ; « il est le vestige d’une époque douloureuse» [14].

43

[14]

Ibid. p.50


2

TRANSPERCER LE PLEIN Bunker 599 RAAAF & Atelier Lyon Culemborg, Pays-Bas 2010

Bunker 599 RAAAF & Atelier Lyon 2010

www.raaaf.nl 44


Bunker 599 RAAAF & Atelier Lyon 2010

www.raaaf.nl 45


2

TRANSPERCER LE PLEIN Bunker 599 RAAAF & Atelier Lyon Culemborg, Pays-Bas 2010

L’acte d’ouverture n’est pas anodin : la scission est un geste permettant,

d’une part, de rouvrir un chapitre clos de l‘histoire et, d’autre part, de faire entrer dans un lieu auparavant inaccessible un public non plus seulement en position d’observateur mais désormais acteur puisqu’il peut s’infiltrer dans la structure.

Cette faille exiguë, à peine plus large qu’un Homme, agit comme le

prolongement du chemin amorcé en haut de la butte, comme un trait que l’on tire sur le paysage et qui, se heurtant sur le bâti, le scinde en deux parties égales. Le projet n’est donc pas uniquement un projet d’ouverture mais bien un projet de passage. Passage de la terre à l’eau, du passé vers le futur, de la guerre à la paix, du vide au plein et de nouveau au vide, de la douleur à la sérénité.

Ce projet évoque donc le franchissement plus que l’observation, le

mouvement plus que la stase. Ainsi le bunker béant forme la porte symbolique d’entrée et de sortie du parcours, un seuil à franchir pour accéder de l’autre côté. Bunker 599 RAAAF & Atelier Lyon 2010

fig.20 www.raaaf.nl

46

>>


>>

Plus symboliquement, l’effet produit est celui d’une renaissance. D’abord, on

pénètre dans les sombres et épaisses entrailles de béton avant de retrouver une grande clarté, et ce chemin d’un béton clair qui descend progressivement pour s’éteindre dans l’eau du lac. Les poteaux de bois qui rythment le passage, eux, continuent de s’élever sur quelques mètres même lorsque le sol se dérobe sous nos pieds (fig.20 et 21).

La transition est diaphane, à l’opposé de creusement brutal dans

l’épaisseur du bunker (fig.22). Après avoir rouvert la plaie, s’y être installé, le parcours permet physiquement de réaliser la suture et ainsi de lier l’édifice à son site, et le visiteur à son histoire sans imposer un quelconque regard moraliste, ni sur l’histoire, ni sur l’architecture.

fig.21 Coupe longitudinale Bunker 599 RAAAF & Atelier Lyon 2010

fig.22 Plan et coupes Bunker 599 RAAAF & Atelier Lyon 2010

47


2

TRANSPERCER LE PLEIN Centre de Documentation Günther Domenig Nuremberg, Allemagne 2001

Cente de Documention Günther Domenig 2001

fig. 23 www.aumuangudom .wordpress.com 48


Ce projet de l’architecte Günther Domenig consiste à transformer le site de

rassemblement du Parti Nazi en un musée et un centre de documentation. Conçu à l’origine par Albert Speer, l’édifice a notamment accueilli de grands rassemblements nazis entre 1935 et 1938. Depuis 1945, le site du congrès du parti a hébergé diverses grandes manifestations et rassemblements comme des concerts de rock, des rallyes, ou encore le marché aux puces. Témoin de la plus sombre page de l’Histoire allemande, ce site demeure, malgré tout, un élément fort dans la ville de Nuremberg, et sa destruction n’a jamais été envisagée.

La question du devenir de ce complexe en terme d’usages et d’espaces

se pose alors : que faire de ce site compte tenu de sa forte connotation historique et de son lien avec une période sombre ? C’est après que le bâtiment ait hébergé l’exposition « Fascination et Violence – Nuremberg et le national-socialisme » en 1985 qu’une réflexion est engagée par la ville pour la réhabilitation de ce complexe. L’idée est alors de créer une extension pour accueillir l’exposition de manière permanente en plus de la construction d’un musée d’histoire contemporaine. A ce programme s’ajoute le centre de documentation (qui a notamment pour but d’informer sur la propagande nazie, l’endoctrinement des masses et sur l’histoire des congrès du parti) qui se situe dans l’aile nord du Palais (fig.23).

La réponse architecturale de Günther Domenig est sans

compromis : il transperce le bâtiment d’un grand axe de circulation d’acier et de verre traversant la totalité du site, sans ménagement. >> 49


2

TRANSPERCER LE PLEIN Centre de Documentation Günther Domenig Nuremberg, Allemagne 2001 >> Le discours tenu par ce dessin est clair, et l’architecte se place dans une posture de rupture franche avec l’Histoire et l’architecture nazie «pour tenter de contrer et d’{en}

TROUCHE Dominique, 2012. “Le dispositif architetcural comme médiation du passé” in Communication et Langages,p.81

[15]

abolir l’intention d’éternité et la grandiloquence» [15] : d’un trait, il raye, symboliquement, par cette ligne diagonale, la fameuse symétrie recherchée par cette architecture totalitaire. L’intervention contraste avec l’existant de manière radicale et agressive, notamment par sa modernité, sa matérialité transparente et lumineuse ainsi que par sa figure.

Mais cette balafre semble exprimer bien plus. Si nous avons pu, tout

d’abord, voir comment le dessin de cette intervention tranche avec l’architecture de l’existant, il semble, dans un second temps, qu’elle entretient une relation riche et étroite avec le site. Le dialogue est certes acéré et violent, néanmoins, c’est bien cette passerelle qui permet le lien – visuel, par la transparence et physique, par la longueur – entre les différents bâtiments qui composent le complexe, depuis le parvis d’entrée de l’ancien palais des Congrès jusqu’à à la cour intérieure (fig.24) : «Le musée construit par Günther Domenig coexiste avec le lourd passé du site des Congrès du Parti Nazi. Son architecture revendique une forte dimension [16]

[17]

Ibid., p.71

BROOKER Graeme, STONE Sally, 2009. in Forme + Construction l’aménagement de l’espace intérieur . p.110-111

BROCKMANN Stephen, 2006. in Nuremberg : The imaginary capital. cité par TROUCHE D. Op.cit., p.73 [18]

médiatrice» [16].

L’acte d’ouverture dans l’ouvrage de maçonnerie est, encore une fois,

assez acerbe : «la violence avec laquelle il transperce les espaces existants n’est en rien masquée : les murs bruts et balafrés sont laissés en l’état» [17](fig.25). L’architecte nous révèle ainsi la blessure ouverte qu’il inflige aux parois de l’édifice, et l’affirme d’autant plus par les matériaux qu’il choisit pour sa passerelle qui, s’opposant à la pierre, serait «l’expression (…) de la puissance et de la grandeur allemande» [18].

50


Cente de Documention GĂźnther Domenig 2001 Intervention

fig. 24 www.domenig-wallner.at

Insertion :

fig. 25 www.domenig-wallner.at

51


2

TRANSPERCER LE PLEIN Centre de Documentation Günther Domenig Nuremberg, Allemagne 2001

La passerelle vitrée permet la traversée du centre de documentation, le

public est alors retenu à distance des parois de l’existant grâce au vide qui permet de s’en détacher. Le parcours de la visite est très contraint et le visiteur est à certains moments contenu dans une « cage » de verre suspendue au dessus du vide (fig.26 et 27). Le paradoxe qui réside dans cette intervention me paraît intéressant : en effet, si le visiteur est parfois plongé au cœur des bâtiments existants, le vitrage le met toutefois physiquement à distance : «il va donc découvrir l’architecture [19]

TROUCHE D. Op. cit. p.73

national-socialiste tout en n’étant ni tout à fait dedans ni tout à fait dehors»[19]. Par ailleurs c’est l’horizontalité de la passerelle et sa vocation d’être le lien qui permet la traversée du Palais qui «se confronte avec l’architecture de la pièce traversée, conçue au départ pour donner le sentiment d’un espace statique, massif d’une grande hauteur et de

[20]

Ibid. p.76

ce fait quasi immuable» [20]. Ainsi l’écriture de Günther Domenig semble déconstruire point par point les principes de cette architecture totalitaire au travers de l’ouverture et de l’insertion de cette passerelle, à la fois puissante par le geste et poreuse par sa matérialité.

Contrairement aux cas étudiés précédemment, ce dispositif d’ouverture ne

provoque pas, selon moi, un sentiment d’oppression, mais plus de triomphe : le peuple démocratique pénètre dans la forteresse nazie ébréchée. La faille et le passage créés permettent tout d’abord de prendre le recul nécessaire pour surmonter le poids de l’Histoire, puis d’adopter une posture plus dominatrice sur les évènements tragiques amenés par la montée du nazisme. L’époque de la honte et de l’abattement est révolue et ce projet témoigne de la volonté d’enseigner, d’éduquer pour surmonter le passé ; ainsi, la figure dessinée par l’architecte semble adaptée à l’usage de ce musée dans lequel les visiteurs sont invités à adopter un nouveau regard, plus médiateur, sur l’Histoire. Symboliquement, le passage créé par la passerelle semble affirmer le processus d’une victoire de la démocratie sur le fascisme. 52


Cente de Documention Günther Domenig 2001

Mise à distance :

fig. 26 www.archiseek.com

Passage entre ombre et lumière :

fig. 27 www.mimoa.eu 53


2

TRANSPERCER LE PLEIN

Dans les exemples étudiés dans cette seconde partie, l’acte d’ouverture

est beaucoup plus violent et brutal. L’architecture semble bien plus engagée et l’acte dévoile ainsi des intentions claires : rouvrir et balafrer les édifices semés par une Histoire parfois éprouvante.

Dans les deux cas, l’architecte fait pénétrer dans les entrailles de ces

lieux de souffrance auparavant inaccessibles, les visiteurs qui font l’expérience, lors du franchissement de ces sites, d’une traversée symbolique voire spirituelle. Ces exemples d’ouverture radicale et agressive m’ont permis de comprendre l’importance que revêtent l’acte d’ouverture et le passage à travers ces parois épaisses. En effet, dans ces interventions franches, c’est bien le franchissement et toute sa puissance spatiale et symbolique qui est mise en valeur.

Ces cas d’études sont comme des traductions de l’archétype

du couloir, lieu dont la vocation principale est de connecter et de réunir plusieurs entités, malgré l’apparente scission. C’est en cela que le couloir est un lieu d’entre-deux particulier : il permet à la fois de raccorder, de faire se regarder plusieurs lieux, et offre un lieu de mélange (et non plus seulement d’accolement ou de juxtaposition) dans lequel se percutent et se rencontrent des univers distincts. Le fait que de tels espaces puissent générer autant d’émotions chez le visiteur démontre le fort potentiel de ce type de lieu.

Ce processus d’intrusion et d’insertion dans un existant permet

d’envisager l’acte d’ouverture comme une vraie intention projectuelle dont le but serait de provoquer, par la traversée, des émotions intenses chez le visiteur qui, en même temps qu’il se met en mouvement, se métamorphose. 54


55


Nevel, installation Lawrence Malstaf 2004

lawrencemalstaf.com 56


3.

PROJETER PAR LE VIDE ELEVER LA MASSE POUR CREER LE PASSAGE

Contrairement aux deux interventions présentées précédemment, les deux

projets étudiés dans cette troisième partie ne sont pas des réhabilitations. L’acte d’ouverture n’est donc pas réalisé a posteriori. Le vide est pensé en amont de la création de ces ouvrages. Si les dispositifs de ces ouvertures ressemblent à ceux étudiés dans la seconde partie de ce mémoire, le processus, lui, diffère. L’architecte commence par façonner ces vides symboliques, puis élève les parois qui vont le définir spatialement.

L’œuvre présentée ci-contre me permet d’illustrer mon propos, les parois

cinétiques se meuvent aléatoirement pour former des espaces plus ou moins ouverts, le vide entre ces murs gonfle et se dégonfle selon le mouvement lent des parois pour créer un espace interstitiel plus ou moins en tension lorsqu’elle se fige. Dans le projet du Mémorial de la Shoah à Bologne (p.58) et celui de Yad Vashem à Jerusalem (p.64) le processus est similaire : les architectes se servent de la masse pour dessiner l’entre-deux, l’ouverture permettant le passage, la traversée de l’édifice.

57


3

PROJETER PAR LE VIDE Mémorial de la Shoah SET Architects Bologne, Italie 2016

Mémorial de la Shoah SET Architects 2016

fig.28 www.archdaily.com 58


Le projet du mémorial de la Shoah à Bologne (fig.28), réalisé par l’agence

romaine SET Architects à la suite d’un concours lancé en 2015, procède d’un dispositif architectural similaire au projet du Bunker 599 (p.42). Si le site dans lequel il a été construit diffère grandement -ici la structure est dans un milieu urbain assez dense proche de la gare centrale de Bologne (fig.29)- le processus de conception d’un espace oppressant est comparable au projet présenté précédemment : deux parois de 10m par 10m, épaisses, en acier Corten, parfaitement identiques et symétriques, cadrent un étroit passage dans lequel le visiteur, happé par le vide resserré, vient se glisser. Compression / Oppression

fig.29 www.dezeen.com

Les deux parois sont positionnées de manière à converger, ainsi la largeur

du passage au début du parcours mesure 1,60 m et se rétrécit progressivement pour devenir un chemin très étroit, comme une brèche, d’une largeur restreinte à 80 cm. L’effet produit par l’exiguïté du lieu semble fonctionner parfaitement, la sensation de compression provoque un sentiment d’oppression une fois que l’on a pénétré dans le franchissement encloisonné par ces deux grands murs aveugles. 59


3

PROJETER PAR LE VIDE Mémorial de la Shoah SET Architects Bologne, Italie 2016

Mémorial de la Shoah SET Architects 2016

www.archdaily.com 60


61


3

PROJETER PAR LE VIDE Mémorial de la Shoah SET Architects Bologne, Italie 2016

Le seuil fabriqué par ce projet marque une transition brutale entre

un extérieur, une place encore très neuve et dénudée, et une intériorité très prononcée (fig.30). Même si le parcours « intérieur » est court (10m seulement), le temps semble s’allonger, voire se suspendre tant l’espace est en rupture avec le contexte. Ainsi, le visiteur est transporté dans un tout autre lieu, intra-muros au sens propre, dans lequel chaque son possède un écho grave, un vide habité par la mémoire : un entre-deux -autres- vacuités. La sortie de cette mince faille est comme une délivrance, une naissance brutale sans accoutumance au monde extérieur quitté depuis peu.

Le visiteur est projeté, comme propulsé en dehors, il passe de

l’ombre qui résonne à une clarté rugissante qui aveugle et assourdit.

Ce projet de mémorial n’est pas uniquement un lieu de recueillement mais

véritablement un lieu du souvenir. En effet, les ambiances travaillées dans ce projet (qu’elles soient visuelles, physiques et même acoustiques) permettent de provoquer le visiteur, ses sensations, ses émotions afin de créer un sentiment d’empathie avec ce qu’ont vécu les déportés de la Shoah. Le mémorial prend alors tout son sens, puisque le public expérimentant ce lieu peut alors enrichir les souvenirs de la déportation, souvent construits par la mémoire collective, avec ses propres émotions vécues lors du franchissement de cet espace. Le soulagement survient lorsqu’on quitte la faille, et l’on apprécie alors d’autant plus cet extérieur qui semble à la fois si familier et si étranger après l’expérience de la traversée. 62


Mémorial de la Shoah SET Architects 2016

Ecart / Parenthèse :

fig.30 www.dezeen.com 63


3

PROJETER PAR LE VIDE Le mémorial de Yad Vashem Safdie Architects Jérusalem, Israël 2005

Mémorial de Yad Vashem Safdie Architects 2005

fig. 31 www.e-architect.co.uk

fig. 32 www.msafdie.com 64


Pour poursuivre ma recherche sur l’acte d’ouverture, je me propose de

présenter l’extension du Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, le Nouveau Musée Historique de la Shoah, conçu par l’architecte Moshe Safdie et inauguré en 2005.

Cette nouvelle aile du musée, telle une entaille sur le paysage,

fend le Mont du Souvenir, sur lequel se situent l’ensemble des bâtiments du mémorial. Le geste est brutal, mais l’architecte répond « à plusieurs défis : dessiner une structure qui évoque, sans la trahir, l’histoire de la Shoah, provoquer une émotion forte chez les visiteurs et préserver le site naturel » [21]. Ainsi, l’édifice se glisse partiellement sous la colline et s’ouvre, au nord-ouest, sur un large panorama verdoyant (fig.31).

CHEVALIER Dominique, 2012. “Yad Vashem : un lieu entre mémoires et espoirs” in Territoire en mouvement, p.59 [21]

La majeure partie de l’espace d’exposition se développe en souterrain ; le

«couloir» est éclairé par une étroite fente qui dévoile une lumière généreuse et claire, rasant les parois pour venir expirer sur le sol lisse reflétant les couleurs du ciel que l’on peut apercevoir par fragment à travers la brèche. Dans une tranchée en creux sont exposés des objets de l’époque. La verticalité de la lumière zénithale participe alors à la focalisation du regard au niveau du sol, l’attention est portée sur les éléments disposés à terre, et l’architecture de cet espace allongé appelle à l’intériorité (fig.32).

Le prisme de 16,5 mètres de haut et 183 mètres de long en béton dessert

les différentes salles du Musée Historique de la Shoah, « l’aspect inachevé du béton armé brut, la légère pente du sol et le rapprochement des murs contribuent à créer un sentiment d’oppression » [22]: ces dispositifs témoignent d’un langage commun lorsqu’il s’agit d’évoquer ce type d’émotion, nous les retrouvons, par exemple, dans l’écriture du Musée Juif de Berlin de Daniel Libeskind. C’est précisément ce « hall », cette allée caractéristique du musée qui m’intéresse ici. 65

[22]

Ibid. , p.59


3

PROJETER PAR LE VIDE Le mémorial de Yad Vashem Safdie Architects Jérusalem, Israël 2005

L’allée centrale, bordée par les hautes et épaisses parois en dévers, ne se

traverse pas directement d’un bout à l’autre (fig.33), sauf par le regard. Si elle est un lieu de passage, élancée comme un long couloir, le parcours y est contraint : les visiteurs passent de salles en salles en traversant ce hall uniquement transversalement (les balustrades, protégeant les objets exposés au sol, empêchant la traversée).

C’est physiquement, par le chemin sinueux, en couture, que le

public participe à réaliser la suture de cette ouverture qui agit comme une plaie qui tend à se refermer et ainsi à cicatriser.

L’entrée dans cet espace se situe au sud-est du bâtiment, elle se fait par un

rampe qui conduit le visiteur vers la paroi aveugle à l’extrémité du prisme sur laquelle sont projetés des films en noir et blanc (fig.35). A l’opposé de ce cul-de-sac obscur, «à [23]

CHEVALIER D. Op. Cit. , p.59

l’approche de la fin de la visite, le sol remonte et la lumière devient plus vive » [23] , le public découvre une large ouverture spectaculaire sur les collines de Jérusalem(fig.34).

Ce belvédère offre une bouffée d’air, un souffle presque nécessaire pour

faire face aux évênements relatés dans les dernières salles du musée (notamment avec le Hall des Noms). Ce lieu dédié à la mémoire des déportés, au recueillement, procure une certaine quiétude et libère du poids du passé douloureux retracé par l’exposition.

66


MĂŠmorial de Yad Vashem Safdie Architects 2005

fig. 33 www.msafdie.com

fig. 34, 35 www.hautevitrine.com

67


3

PROJETER PAR LE VIDE Le mémorial de Yad Vashem Safdie Architects Jérusalem, Israël 2005

Mémorial de Yad Vashem Safdie Architects 2005

fig. 36 www.msafdie.com 68


Ce long hall, qui n’en est pas tout-à-fait un, est comme la colonne vertébrale

du musée, il forme la pièce maitresse de l’édifice. En effet, ce lieu est à la fois un couloir dans lequel on passe, brièvement, pour parvenir aux salles d’exposition à proprement parler, mais aussi une galerie dans laquelle le cheminement s’interrompt, sommairement, pour observer les nombreux objets exposés. Le parcours est séquencé et la progression est ralentie avant d’aboutir sur le panorama généreux sur les collines environnantes (fig.36).

Le hall est un d’entre-deux à la fois spatial, pris entre les autres

pièces du musée et au milieu de ces deux murs de béton, mais aussi temporel, il constitue un intervalle entre la mobilité et la stase : l’allée est comme un seuil rythmant ponctuellement le parcours, ramenant à chaque fois le visiteur dans l’axe de l’histoire.

La faille réalisée dans cet édifice crée un espace poreux riche, abritant

divers types d’espaces du musée. Comme nous l’avons évoqué plus haut, elle permet de traverser d’un seul coup d’œil l’entièreté du bâtiment, et pourtant l’architecte a opté pour un parcours discontinu. On comprend alors que ce « couloir » est en réalité bien plus substantiel : si nous avons tout d’abord le sentiment qu’il fissure et dissocie le musée, il est en fait le lieu de la suture dont les tranchées d’exposition seraient les agrafes, et le flux des visiteurs le fil tissant notamment le lien entre le passé et le présent.

69


3

PROJETER PAR LE VIDE

Les cas présentés précédemment reprennent les codes spatiaux de

l’ouverture des exemples étudiés en seconde partie de cette recherche. Néanmoins, le processus de conception de ces failles est différent, contrairement aux exemples de réhabilitation par l’insertion d’un passage dans un existant (comme c’était le cas pour le Bunker 599 (p.42) et le Centre de Documentation (p.48)), les projets de mémoriaux se construisent autour de la brèche et le vide n’est pas la résultante, mais un véritable élément de projet autour duquel le bâtiment s’élève.

Le passage réalisé dans ces édifices n’en perd pas pour autant sa puissance

symbolique : le geste reste fort et éloquent, et les émotions ressenties dans ce type d’espace exigu, sont décuplées. Le vide est contenu entre les hautes et épaisses parois (d’acier Corten dans le Mémorial de Shoah à Bologne (p.58) et de béton dans le Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem (p.64)) des édifices, et c’est bien le rapport, entre la hauteur des murs qui bordent la traversée et la largeur du passage, qui produit autant d’effet sur les « passants ». C’est ce que l’on peut également observer dans la sculpture Through de Richard Serra (fig. 37 et 38): les proportions entre les dimensions de la faille et celles des parois participent à créer un couloir qui donne comme une envie irrépressible de le traverser comme si nous étions happés par le vide de cet espace.

Dans cet exemple de sculpture comme dans les projets étudiés, le vide est

l’élément fondateur du projet, ainsi on peut ressentir sa toute puissance en tant que lieu des possibles, espace d’indétermination dans lequel les visiteurs se mettent en mouvement et se métamorphosent. 70


Through Richard Serra 2015

fig. 37 www.galleryintell.com

fig. 38 www.hyprallergic.com 71


L’acte d’ouverture, et par là l’espace du passage, permet le

franchissement de la limite. Si ouvrir implique une rupture et la séparation d’une entité; le passage qui nait de cette fracture ne se traduit ni par une ligne (qui serait comme une nouvelle limite entre un milieu et un autre), ni véritablement comme un troisième espace distinct.

L’ouverture d’un tout fabrique un seuil qui s’accroche aux éléments de

part et d’autre de la fracture. Cet entre-deux possédant des contours flous dépasse la simple enveloppe physique du passage.

72


III.

ÉCART(S)

1. L’ouverture : Un intervalle spatial et temporel

A

2. Le seuil : Un espace de ré-union 3. Le passage : Un lieu informel, une liberté d’usages

73

A

A

?

B

?

B

?

B


1

L’ouverture : Un intervalle spatial et temporel

« Ainsi, issue de la conjonction entre la limite et le parcours, l’ouverture est MESTELAN Patrick, 2005. “Le seuil ou le dessin de l’ouverture” in L’ordre et la règle, p.252

[24]

un seuil, qui réclame une épaisseur » [24] : les espaces, nés de l’ouverture sur lesquels je porte mon attention dans ce mémoire, forment des seuils lisibles, que l’on parcourt sur une distance assez importante pour nous faire prendre conscience de la limite qui est en train d’être franchie. Ces passages sont comme des écarts dans les édifices. Le mot «écart» n’étant pas uniquement utilisé dans le sens d’ « écarter » pour dire «séparer», mais plutôt comme on l’emploierait en musique, c’est-à-dire au sens d’une mesure,

[25]

www.cnrtl.fr

d’un silence, d’une « distance entre deux notes »[25], autrement dit un intervalle comme

Ibid.

une « portion de temps entre deux moments » [26] ou deux limites (intervalle, du latin

[26]

«inter» : entre et «vallum» signifiant « palissades », « remparts »).

Ces espaces « entre » offrent une pause, comme une virgule entre deux mots

qui permet de reprendre son souffle, d’introduire un sens nouveau dans une phrase et met ainsi en valeur, grâce à l’impulsion donnée par cette ponctuation, les termes se situant de part et d’autre de cette virgule. Dans le domaine de l’architecture, l’effet est similaire, le vide formé par l’ouverture se trouve alors suspendu aux lèvres des parois qui le bordent. Contenu entre des murs parfois épais, l’interstice installé dans les limites bâties des édifices forme un lieu équivoque puisqu’il est « successivement de la SOUDIERE Martin, 2000. “Le paradigme du passage” in Communications, p.8 [27]

et à la fois, un avant et un après, un ici et un ailleurs, (...) »[27]. Avec cette définition du passage donné par Martin de la Soudière, on se rend compte que ces seuils sont comme des parenthèses spatiales et temporelles.

L’intervalle spatial est, par exemple, mis en valeur dans la Base sous-marine

de Saint-Nazaire notamment grâce à l’intervention du paysagiste Gilles Clément investissant la toiture du bâtiment pour y faire pousser de la végétation qui finalement s’immisce et croît particulièrement dans les espaces creux de la structure. >> 74


>> Cette expérience m’a tout d’abord permis d’entrevoir le potentiel de l’ouverture en tant que lieu substantiel à investir.

En effet le vide formé par une brèche ou une large ouverture, ne signifie pas

le néant, et ces ouvertures ne sont pas totalement invisibles, ni immatérielles: nous pouvons d’ailleurs en faire l’expérience lorsque nous regardons la silhouette générale de trois des projets étudiés en 2nde partie : le Bunker 599, le Mémorial de la Shoah à Bologne et le Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem. Dans ces trois édifices, il semble difficile, en coupe par exemple, de lire absolument séparément les deux parties du projet en tant que deux édifices distincts ; le passage entre ces murs, fait partie du projet et l’absence permet mentalement de recomposer le projet tout entier (fig.39). Il n’y a en effet pas besoin de remplir matériellement le vide du passage pour lire l’intervention comme un ensemble.

• La silhouette telle qu’elle apparaît ...

Bunker 599

Mémorial de la Shoah

Mémorial de Yad Vashem

fig. 39 ...La silhouette telle qu’on la perçoit 75


1

L’ouverture : Un intervalle spatial et temporel

L’intervalle temporel peut être lu et interpreté à plusieurs niveaux. La

première me venant à l’esprit étant plutôt d’ordre historique. Dans le cas du Bunker 599 par exemple, l’ouverture étant réalisée a posteriori, le passage ouvert dans les murs épais, forme comme une passerelle temporelle reliant deux périodes: celle de la construction du bunker qui appartient au passé et celle du présent pendant laquelle s’est amorcée la destruction d’une partie de l’édifice. Les deux temps sont désormais symboliquement liés grâce à ce passage ouvert dans le bâti. Lorsqu’on traverse le bunker, on est à la fois dans le présent et le passé, dans l’instant et dans la mémoire. Nous pouvons aussi retrouver cet aspect dans Nommée ainsi par TROUCHE D. Op.cit., p.67 [28]

le projet de Günther Domenig : la « flèche passerelle » [28] traversant l‘ancien centre des Congrès du parti nazi ramène le visiteur dans cette période passée, pourtant le regard est différent et il peut appréhender ce lieu en deux temps mis en relation dans ce lieu de passage.

[29]

de la SOUDIERE Martin, Op.cit., p.9

On peut également lire l’écart temporel d’une autre manière : « Le passage

contient l’idée de mue, de mutation, de métamorphose (…) Dans cette perspective, le passage inclut l’idée de renouvellement de soi (…) »[29], en effet l’interstice appelle au changement, à l’altération, au temps qui passe (à l’encontre duquel nous ne pouvons pas aller) : nous ne serons jamais plus ceux qui ont franchi le seuil quelques minutes ou même secondes auparavant, et c’est peut-être, dans ces lieux dédiés à la traversée, où le temps semble s’allonger, que nous pouvons prendre conscience de cette mue.

Ainsi, l’espace d’ouverture en tant que seuil, et donc passage, forme un espace à part, un interstice spatial ainsi qu’un intervalle temporel: c’est un lieu dynamique, changeant, et fertile dans lequel une multiplicité d’interactions sont susceptibles de naître. 76


• Illustration du lien entre passé et présent, Mémorial de la Shoah à Bologne

illustration personnelle

77


2

Le seuil : Un espace de ré-union

A

Dans le cas du Bunker 599, le passage ouvert dans l’édifice permet de créer

un dialogue auparavant inexistant entre le bunker et le paysage, mais aussi entre les deux parties du bâtiment désormais en tension, puisque les deux tranches désunies peuvent enfin se regarder l’une et l’autre. Un élément architectural isolé tel qu’un bunker, est d’abord un lieu de repli, qui fonctionne certes en réseau avec les autres bunkers, mais qui, à l’échelle du riverain semble être autonome et déconnecté de son site. En scindant l’édifice en deux parties égales et en dessinant un chemin qui traverse le parc, partant du talus pour aller mourir dans les eaux de la zone inondée, la traversée permet de recomposer un paysage qui, bien que fragmenté par les différents seuils (fig.40), semble former désormais un ensemble cohérent comme agrafé, ancré dans son site.

C’est aussi un point que j’ai pu observer dans le cas de la base sous-marine

de Saint-Nazaire. Ce bâtiment, dont l’usage était lui aussi d’abord militaire, était, il y a encore quelques années, à l’écart du centre-ville. Avec ses proportions gigantesques, il forme encore une sorte de forteresse séparant le quartier en mutation de l’Estuaire. Néanmoins, comme nous avons pu l’observer dans la seconde partie de ce mémoire, le travail effectué par Yann Kersalé, a mis “en lumière” certaines richesses et porosités dans la masse de l’édifice, comme par exemple ces ouvertures transversales (fig.41) qui mettent en relation les différentes alvéoles de la base : la mise en valeur de ces « portes » nous permet d’appréhender l’édifice autrement; on ne regarde alors plus seulement les épais murs de béton comme des éléments de rupture, mais on se concentre sur les ouvertures, qui offrent des percées et des traversées, qui sont comme des traits d’union permettant ainsi de parcourir transversalement le bâtiment -par le regard et le corps- d’affilée. C’est en partie par ce projet de révélation du potentiel de la base que s’est engendrée la réflexion sur l’ouverture de la base vers le quartier. 78

?


• De l’autonomie au dialogue : • Situation avant intervention

• Schéma : relation entre l’objet et le site

D’un objet autonome et isolé ....

• Situation après intervention

Bunker 599 RAAAF & Atelier Lyon 2010

• Schéma : relation entre l’objet et le site

... à un lieu orienté, ouvert et ancré dans le paysage

fig. 40 schémas personnels VILLE VILLE

PORT PORT

• De la rupture à l’ouverture : • La base avant les interventions

• Le projet lumière de Y. Kersalé : permet d’accentuer les porosités

• Le projet Ville-Port: Percements des murs ouvertue de la base vers la ville

Base sous-Marine Saint-Nazaire, France 1990, 1996 V I L L E

V I L L E

P O R T

P O R T

fig. 41 schémas personnels 79


2

Le seuil : Un espace de ré-union

A

Enfin, dans le Mémorial de Yad Vashem, ainsi que dans le Centre de

Documentation à Nuremberg, ce sont les espaces de circulation au centre des musées qui ont retenu mon attention puisqu’ils répondent particulièrement bien à cette qualité que possède le passage de suturer les différentes parties d’un lieu. Dans le Yad Vashem, la faille, bien que très longitudinale dans ses proportions, ne se traverse pas d’un bout à l’autre, hormis par le regard : le flux des corps y est contraint et elle s’emprunte uniquement transversalement pour passer de salle en salle et ainsi, c’est le parcours en couture qui permet de joindre les pièces (fig.42). C’est un peu différent dans le cadre du Centre de Documentation, mais la volonté traduite par ce geste brutal semble être similaire : la passerelle, déchirant l’ancien site de rassemblement du Parti nazi, est en fait le fil rouge qui relie les différentes salles de l’édifice, que l’on peut alors parcourir en continu d’un bout à l’autre. Dans ces exemples, c’est bien par ce lieu de passage que peut s’opérer une relation plus intime, un dialogue entre les différentes parties.

Si, au premier regard, les ouvertures dans ces exemples semblent

fragmenter, dissocier l’espace et déchirer un ensemble, les lieux nés de cette fracture dans le dessin du projet forment en fait un espace interstitiel tendu que l’on traverse afin de lier les entités qu’il sépare à l’origine, comme pour resserrer des liens trop lâches.

C’est le corps qui, en passant, dans ces vides, d’un mouvement continu,

allant d’un point à un autre, permet la recomposition d’un nouvel ensemble dans lequel ont surgi des interactions inédites entre les objets, les personnes et les lieux qui procèdent à la formation d’un tout, plus complexe et riche.

80

?


• Le parcours comme suture : • Le parcours du regard

L’oeil est attiré par la clarté au bout du couloir (situé à droite de l’entrée) et non vers l’obscurité du mur de projection symbolisant le passé (à gauche de l’entrée)

Mémorial de Yad Vashem Safdie Architects 2005

Extrémité du “tunnel” qui s’ouvre sur un paysage clair et lumineux

Entrée

Mur de projection de film d’archives

• Le parcours des corps

Tandis que les corps sont contraints à un parcours sinueux : en “couture”

fig. 42 schémas personnels

81


3

Le passage : Un lieu informel, une liberté d’usages

A

?

Si l’architecte construit constamment des limites, des déterminations

et des indéterminations dans l’espace, son travail est aussi de bâtir les points d’entrée, les «ponts» créant une certaine porosité qui – comme les pores sur l’épiderme – permettent à l’édifice de respirer. Les seuils, les traversées, concèdent le franchissement d’un extérieur à un intérieur, d’un espace public à un espace privé, mais aussi d’une pièce à une autre au sein d’un bâtiment. Ces lieux de transition et d’attente – comme les halls ou encore les couloirs -, sont parfois conçus comme la résultante d’un dessin (et d’un dessein) plus global, alors qu’ils constituent non seulement la colonne vertébrale du projet, mais aussi les lieux de respiration, comme des soupirs, permettant de désaturer l’espace.

Dans le Mémorial de Yad Vashem, nous pouvons observer que le passage,

au centre de l’édifice, joue bien son rôle d’échine : il distribue chaque salle du musée mais il offre bien plus. C’est seulement depuis ce grand corridor que le public peut apercevoir « le bout du tunnel », le paysage en fond de scène, comme un appel vers l’ailleurs. Il semble impossible de passer sans s’arrêter, ne serait-ce que l’espace d’un court instant, appelé par cette clarté. Le passage est une pause libératrice nécessaire dans le parcours du mémorial évoquant un passé lourd et douloureux.

Ces lieux intermédiaires échappent à un ordre et à un usage prédéfini

(contrairement aux espaces formels « agencés par des règles, des normes, des fonctions MAURIN Aurélie, 2010. “Passages adolescents : leurs matérialisations dans les espaces et les temps informels des institutions éducatives”, in Conserveries mémorielles, p.3 [30]

(…) délimités par des dénominations, des attribution d’horaires, de lieux etc. »[30], ce sont des espaces qui, pris entre des limites matérielles (des murs, des clôtures etc.), sont généralement spatialement assez contenus mais qui paradoxalement inspirent une certaine forme de liberté et appellent à flâner dans un environnement à la fois contraint et en tension mais aussi protégé et rassurant. 82

B


Ces seuils, qui sont comme des sas, sont créateurs de situations entre

parenthèse, hors du temps et de l’espace, ils pourraient être rapprochés des notions d’a-topie (non lieu) « ni utopie, ni réalité : un non-lieu, un lieu dont la matérialité sert de support à la constitution d’un autre temps, d’un autre espace, et, partant d’un autre langage.(...) Ce non-lieu produit des césures, des interruptions, des respirations, là ou les autres lieux suivaient le cours des choses »

[31]

ou d’hétérotopie (autre

lieu) que Foucault définit comme «des lieux hors de tout lieux bien qu’effectivement localisable» . En effet, dans le cas du Bunker 599 ou dans le Mémorial de la Shoah à [32]

CLEMENT Catherine, 1976. “A-topie : description d’un rituel” in Littératures, n°21, p.105 et 109 [31]

FOUCAULT Michel, 1967. “Des espaces autres”, in Empan n°54 (2004) p. 12-19 [32]

Bologne, si le lieu est situable, lorsque nous pénétrons dans ces espaces nous sommes quasiment immédiatement projetés dans un ailleurs, un autre temps, un autre lieu évoqué par l’Histoire des lieux dans ces exemples là.

L’instabilité caractéristique des seuils, interpellant « à la fois à la mobilité

(franchissement d’interfaces) et la stase (se tenir aux limites, entre deux milieux)»[33], produit des lieux qu’il paraît difficile d’habiter. Pourtant, on peut observer que certains

CHELKOFF Grégoire, 2014. “Ambiances en mouvement”, www.lambiophil.hypotheses.org [33]

espaces de transition invitent à y demeurer et à se les approprier : le hall d’une gare, les couloirs d’un collège, par exemple, semblent être des lieux plébiscités par les occupants qui se laissent aller à y séjourner plus longtemps que prévu. Si, parfois, un environnement agréable et un mobilier adapté peuvent être la raison de cette occupation, je crois que c’est surtout la situation “chancelante” des seuils qui attire.

Comme les limbes (limbus en latin, qui désignent le « séjour des ames des

Justes avant la Rédemption » [34]), les passages sont des non-lieux où les corps sont à la fois dans l’attente, et dans la mobilité, deux notions qui, associées, évoquent l’errance. C’est dans ces espaces vacants pris en entre-deux, que l’inattendu devient possible: à tout moment, une porte peut s’ouvrir sur un autre lieu, et la rencontre fortuite avec l’Autre peut naître, comme nous pouvons le voir dans l’exemple qui suit.>> 83

[34]

www.cnrtl.fr


3

Le passage : Un lieu informel, une liberté d’usages

2ème édition de « Carte Blanche» initiées par PARRENO P. en 2013 (du 12.10 au 18.12.16) [35]

A

?

A l’occasion de la visite de la dernière exposition en date de l’artiste

britannique Tino Sehgal au Palais de Tokyo à Paris, intitulée « Carte Blanche »[35], j’ai pu porter mon attention sur un élément particulier du grand projet conçu spécialement pour le lieu et occupant l’ensemble des 13.000 m2 du bâtiment : This is Progress.

Cette expérience humaine prend place dans le grand couloir arrondi du

rez-de-chaussé de l’espace d’exposition. Le lieu choisi pour développer cette «oeuvre Nom donné par l’artiste à ce type d’expérience à mi-chemin entre la performance et l’oeuvre d’art

[36]

immatérielle» [36] n’est pas anodin, ce vaste corridor désert dont les murs sont dénudés de tout ornement (fig. 43) est tout-à-fait propice à l’expérience offerte par l’artiste.

Accompagné tout d’abord par un enfant, nous traversons l’entrée du

passage immaculé. La promenade démarre par une question posée par le jeune garçon “Pour vous, qu’est ce que le progrès ? ”. Nous tentons de répondre simplement, puis s’ensuit une discussion animée par l’enfant qui, au bout d’une dizaine de minutes -peut-être moins-, nous remet à une jeune adulte, pas encore totalement sortie de l’adolescence. Hasard ou non, je ne le saurais pas, la transmission entre les deux accompagnateurs se fait à l’endroit même de la jonction entre deux dalles de béton, mes pieds frôlant le joint creux. Puis nous repartons, continuant le périple le long des murs blancs, nos paroles faisant des échos dans le couloir quasiment vide. Nous nous arrêtons quelques temps au pied de quatre marches puis, après les avoir gravies, nous traversons un petit sas juste après lequel la jeune femme passe le relais à un homme d’une trentaine d’années, plus mûr, plus confiant, qui nous assène tout-de-go un “Je suis sûr d’une chose, c’est que je n’ai jamais tort.”. La discussion se change en débat plus houleux, pendant que nous continuons de marcher, cette >>

84

B


Le corridor Palais de Tokyo Paris

fig. 43 www.flickr.com

85


3

Le passage : Un lieu informel, une liberté d’usages

A

?

>> fois, le parcours est rythmé par la succession de salles derrière le corridor. Enfin, une fois la boucle de la promenade terminée, nous arrivons dans un autre sas dans lequel un homme d’un certain âge nous accueille ; il ne veut pas nous “donner de leçon”, seulement nous “raconter une histoire”. Le récit commence à l’instant même où nous descendons la première marche d’un grand escalier en colimaçon, et prend fin au moment où nous arrivons au dernier emmarchement (fig. 44).

C’est le lien entre le rythme des discussions et des transmissions

entre les accompagnateurs et les seuils présents dans cet espace libre et ouvert du Palais qui font de cette expérience temporelle et spatiale un ensemble cohérent dont l’une et l’autre partie (le temps et l’espace) semblent indissociables. Le long corridor, avec ses hauts murs blancs continus (fig. 45), fabrique un lieu hors du temps et de l’espace dans lequel les visiteurs perdent leurs repères et profitent d’un moment suspendu hors du cadre formel d’une exposition plus classique.

Parfaitement minutée et à l’unisson avec l’architecture du Palais

de Tokyo, cette expérience évoque avec justesse les possibiltés offertes par le cadre informel du lieu de passage. C’est précisément dans ces corridors et au fil des seuils (jonction entre deux dalles, emmarchements, portes et escaliers) que se produisent des rencontres aussi improbables qu’instructives.

J’ai le sentiment que cette oeuvre qui nous meut -et nous émeut- n’aurait

pas eu la même résonnance dans un espace d’une autre nature que celle d’un passage. Pour moi, c’est véritablement le fait d’être pris entre ces épais murs de béton qui nous guident, dans cet entre-deux contenu qui m’a permis de vivre cette expérience assez déroutante mais sans aucun doute unique en son genre. 86

B


Entrée

1ère Transmission

Plan et Parcours Palais de Tokyo Paris

Dernière Transmission

2nde Transmission

fig. 44

Entrée du corridor Palais de Tokyo Paris

fig. 45 Photo de l’auteure 87


CONCLUSION

ou “qì”, sorte de souffle immatériel et pourtant vital circulant en permanence entre les êtres et les choses. [37]

L’écriture de ce mémoire a été initié par des questionnements personnels

relatifs à la question de l’interstice et, peut-être, plus généralement par mon intérêt pour les relations de distance et de proximité entre les choses et les personnes que l’on pourrait rapprocher de la notion du « chi » chinois[37] qui désigne le souffle invisible

un intervalle qui lie et enchaîne des éléments, une forme de rythme, un mouvement (...) sans début et sans fin.

reliant les êtres et les choses entre eux, ou encore du « ma » japonais [38]. Ces concepts

LUCKEN Michael, 2014. “les limites du ma” Retour à l’émergence d’un concept “japonais” in Nouvelle revue d’Esthétique, p.45

ces deux entités. Les lieux que j’étudie dans cette recherche évoquent bien cette idée

[38]

suggèrent de lire l’intervalle non pas en tant que la distance vide séparant deux choses, mais plutôt de le comprendre comme étant la relation immatérielle unissant

que l’espace interstitiel entre les choses est ce qui les met en tension, le seuil offrant une mise à distance qui permet à chacune des entités de se regarder l’une et l’autre.

Le seuil en tant que notion spatiale forme la frontière, l’interface parfois

invisible, entre deux lieux, deux temps aussi, parfois bien distincts. A la fois espace d’union et de mise à distance, le seuil est versatile et fragile, tout comme les fils invisibles qui me lient à l’Autre. Suis-je trop en retrait ? Trop proche ? Ai-je dépassé les limites ?

D’un point de vue peut-être plus temporel cette fois, si la notion de seuil est

importante à mes yeux c’est parce qu’elle évoque le changement, le passage d’un état à un autre, de la vieillesse à la mort, de la sanité à la démence ou plus simplement de l’enfance à l’âge adulte. Ainsi ce mémoire qui clôture mes cinq années d’études et me fait basculer de l’étudiante à l’architecte, devient alors lui-même un seuil, un passage à traverser, comme un rite liminaire, pour accéder au chapître suivant de ma vie.

88


C’est notamment pour ses qualités à la fois spatiales et temporelles que

le seuil, en tant que passage, ne cesse de m’intéresser. A la fois ici et ailleurs, passé, présent et presque futur, évoquant dans le même temps la stase et la mobilité, ce type de lieu métis constitue, pour moi, le fondement du projet architectural, instituant un nouveau lien entre le bâtiment et le site (comme nous avons pu le voir avec l’exemple du Bunker 599, et la Base Sous-Marine de Saint-Nazaire), rétablissant une connection et une certaine continuité entre les différentes parties d’un édifice (tel que nous avons pu l’observer dans le Yad Vashem et dans le projet de réhabiliation du Palais des Congrès de Nuremberg), ou bien encore, bâtissant un pont entre deux temporalités, le passé parfois douloureux et le présent.

En effet, en franchissant ces passages, on devine, par leur nature plus ou

moins poreuse et lumineuse, leur matérialité et leur dimensionnement, leur capacité à être franchis par le regard ou le corps, le positionnement de l’architecte : est-il en rupture instaurant ainsi une relation d’opposition ? ou bien en lien, établissant ainsi une relation de proximité avec l’existant ?

Dans les exemples étudiés dans ce mémoire, l’acte d’ouverture permet

avant tout de réaliser un pansement permettant de cicatriser les plaies réveillées par ces lieux traumatisés ou commémorant la souffrance. Comme dans l’art du Kinstukuroi japonais, ces passages que l’on traverse offrent la possibilité de réaliser une suture réparatrice et ainsi, peut-être, de se réconcilier avec le passé.

89


CONCLUSION

Cette “thérapie” par l’architecture est une des thématiques qui m’a amenée

vers ce sujet et, peut-être plus globalement, une des raisons pour laquelle je souhaite devenir architecte. Si à l’origine, je souhaitais axer ce mémoire sur les espaces de seuil dans les lieux de thérapie à proprement parler (hôpitaux psychiatriques, maisons de convalescence, instituts de réhabilitation et rééducation par exemple), je me suis aperçue, au fil de mes recherches que l’acte d’ouverture était traduit d’une manière plus éloquente dans ces lieux évoquant le traumatisme et la souffrance.

En choisissant de m’intéresser à ces projets, j’ai pu observer la richesse

des interstices dont la structure spatiale semble parfaitement se combiner avec la symbolique qui est associée aux rites de passage. C’est dans des espaces informels tels que les halls et les couloirs que surgissent des interactions inédites, comme j’ai pu, par exemple, le développer précédemment avec l’intervention de l’artiste Tino Sehgal au Palais de Tokyo.

Les conclusions que je peux tirer de cette recherche, m’amènent à réfléchir

sur le rôle potentiellement thérapeutique de l’architecture. L’architecte, en élevant des murs et des limites, établit sans cesse des seuils, des limites à transgresser et des passages à franchir. Ces traversées établissent non seulement un premier lien entre les édifices et leurs contextes, mais offrent aussi un espace propice à l’errance et l’évasion hors du cadre établi par d’autres espaces dont l’usage est peut-être plus déterminé.

Cette recherche est avant tout une éloge de l’imperfection de

la brèche et de la fragilité de la fissure. Tout comme je peux l’apprécier chez les personnes, c’est dans les accidents que résident le charme et la

> www.pinterest.com

richesse. 90



REMERCIEMENTS

Enfin, je tiens à remercier l’ensemble des personnes qui

m’ont soutenue et accompagnée pendant l’écriture de ce mémoire :

En particulier mon directeur de mémoire Léo Legendre pour son

encadrement et son extraordinaire disponibilité, son écoute attentive et ses précieux conseils, son implication, son intêret et ses références particulièrement pertinentes, et surtout, son soutien dans les moments parfois éprouvants de l’élaboration de cette recherche.

Je remercie chaleureusement mes amies chères, qui ont pris le temps

de me lire et me relire : Ambre Rotenberg, Charlène Coëffic et Leila Benadda.

Et pour terminer ma famille et mon partenaire Maxime pour leur

présence, leurs encouragements, leur écoute et leurs relectures attentives et bien-sûr leur soutien sans faille cette fois, ni limite.

92


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BIBLIOGRAPHIE :

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OUVRIR ET REFERMER Si l’architecte semble bâtir sans cesse des murs et des limites, son rôle est également d’en gommer voire d’en supprimer les contours pour établir la rencontre entre les milieux : naît alors l’espace de seuil. Cet espace quasi mystique possède des caractéristiques particulièrement riches. En effet, suspendu entre le dehors et le dedans sans être vraiment ni dans l’un, ni dans l’autre totalement, ce lieu en entre-deux évoque dans un même temps la stase et l’évasion. Le seuil est un passage, un lieu ouvert dans la limite auparavant infranchissable qui devient alors une frontière pénétrable. Comment ce passage constitue-t-il un écart, un intervalle à la fois lieu de césure et espace d’union faisant naître des relations inédites entre les choses et les individus ?

• seuil • lisière • écart • intervalle • entre-deux • • ouverture • traversée • passages • paysage • • interstice • suture • cicatrice • • atopie • hétérotopie •

Ryane DE CHOISEUL ENSA Paris Val-de-Seine Février 2017 Directeur de mémoire : Léo Legendre


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