USAGE(R)S
Comment inclure les usagers fragilisés d’établissements médico-sociaux dans le projet d’architecture ?
Mémoire de HMONP - Mai 2020 Etudiante: Ryane de CHOISEUL MSP : AUP-Architectes Tuteur : François DIGARD Directrice d’étude : Nadège BAGARD ENSA Nancy
“J’ai considéré que l’architecture devait se faire avant-tout pour les autres. J’ai donc réfléchi sur l’adaptation de la proposition architecturale à la demande des gens. La meilleure manière de faire étant de laisser l’habitant trouver lui-même la solution.” Yona Friedman
Remerciements
Je tenais à remercier l’ensemble de l’équipe de l’agence AUP-Architectes : Ammara, Aurélie, Erwan, François, Isabelle, Mickaël, Pierre et Samia pour leur bienveillance, leur soutien, la transmission de leur savoir-faire, la joie qui les anime au quotidien et nos précieux moments partagés à l’agence. Merci à ma directrice d’études, Nadège Bagard, de m’avoir suivie et soutenue pour cette habilitation, merci pour cet accompagnement, les nombreuses relectures, les conseils et les encouragements tout au long de l’année. Merci à Virginie Derveaux de m’avoir octroyé un peu de son temps et de ses connaissances qui ont participé à enrichir ma réflexion et l’écriture de ce mémoire. Merci à Pascal Breda pour l’organisation de cette formation à l’enseignement riche, varié et rythmé. Merci également : à Maxime, mon conjoint, pour son écoute attentive, ses conseils, sa patience et son soutien infaillible. à Clara, pour les précieuses relectures et sa présence, son amitié et sa bienveillance. à Ambre, Charlène et Florent, avec qui j’ai eu l’honneur de partager mes cinq années d’études à Paris, pour leus relectures attentives, leurs critiques, et encouragements. Merci aussi à Emilie, Valentin, Pierre-Aimond, Quentin et l’ensemble de la promo 2019-2020 pour leur accueil, les moments partagés, des débats les plus sérieux aux fous rires.
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SOMMAIRE
Préambule Introduction
p.9 p.13
Chapître 1er - Observer et constater : cas d’études, situations et mécanismes 1.1. La pratique de la programmation dans le projet de fin d’études (PFE) - récit d’une première expérience 1.2. La concertation avec les habitants et futurs utilisateurs - un outil essentiel à l’élaboration du projet 1.3. Maîtrise d’ouvrage et utilisateurs - cas d’une dichotomie d’enjeux 1.4. La MOA “à tiroir” - l’épineuse question de la perte d’information 1.5. La co-conception Architecte/Association/Promoteur - La maîtrise d’usage à l’oeuvre
p.19 p.20 p.24 p.28 p.32 p.36
Chapître 2nd - Comprendre et reconnaître : 2.1. La maîtrise d’usage (MUS) au sein du couple MOA/MOE 2.2. Outils d’intégration de la MUS à disposition aujourd’hui 2.3. Personnes âgées ou handicapées - un public fragilisé à écouter
p.41 p.43 p.47 p.53
Chapître 3ème - S’engager et construire : 3.1. Se réapproprier la programmation 3.2. Mettre en place une démarche d’intégration de la MUS à proposer au MOA 3.3. La conception centrée utilisateurs (CCU) comme démarche sociale et durable
p.63 p.64 p.70 p.76
Conclusion
p.80
Bibliographie
p.85
PRÉAMBULE Je ne sais pas si je peux dire que j’ai “toujours voulu” être architecte et, en toute sincérité, je crois bien que j’ai plutôt saisi une occasion qui s’est présentée. Sans parler de vocation, je crois que ma place était à l’origine plus dans le domaine médico-social et j’ai souhaité plusieurs fois y revenir. Néanmoins, chaque année, toujours plus happée par mes études et par l’intérêt que je portais à l’architecture, je n’ai finalement jamais quitté mon cursus et me suis promis de pratiquer cet exercice dans une démarche la plus sociale possible pour ne pas renoncer à ce qui m’anime. Si mon parcours étudiant peut sembler des plus classiques, puisque j’ai suivi l’ensemble de mon cursus à l’ENSA Paris Val-de-Seine, j’ai fait le choix de profiter des stages et d’un échange universitaire pour aller voir comment se pratique le métier d’architecte à l’étranger (Espagne, Royaume-Uni, Australie) mais aussi quels autres métiers connexes je pourrais exercer avec un diplôme d’Etat d’Architecte ; c’est ainsi que j’ai pu découvrir au fil de mes différentes expériences professionnelles l’urbanisme, le paysagisme, le design d’espace ou encore la conception lumière. Finalement, après ces quelques détours, j’ai choisi de suivre la voie de l’architecture qui constitue un exercice généraliste assez complet faisant intervenir un grand nombre de champs disciplinaires et de spécialités. En effet, c’est un des aspects que j’affectionne particulièrement dans notre profession ; elle est faite de constants apprentissages et s’enrichit en permanence au contact des nombreux acteurs, provenant de disciplines extrêmement variées que nous côtoyons.
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Préambule
Ainsi, pendant mes études déjà, j’ai toujours favorisé les sujets touchant de près ou de loin cette dimension ; j’ai fait le choix de suivre des enseignements centrés autour des usages et de la programmation, des problématiques de rénovation urbaine de quartiers de grands ensembles etc. C’est grâce à ces ateliers et à ces projets que j’ai pu réaliser un P.F.E. dans cette lignée, consacrant la majeure partie du temps de travail à la programmation et à la recherche sur le terrain, en relation avec les habitants.
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Toujours en cohérence avec la volonté de pratiquer l’exercice d’architecte dans un contexte plus ou moins social, j’ai saisi l’opportunité de travailler pour l’agence AUP-Architectes, depuis octobre 2017, dont les projets sont essentiellement tournés autour de programmes de logements sociaux et de projets médico-sociaux tels des EHPAD (Etablissements Hospitaliers pour Personnages Agées Dépendantes, RSS (Résidences Services Séniors), FAM (Foyers d’Accueil Médicalisés, MAS (Maisons d’Accueil Spécialisées). C’est donc depuis plus de deux ans que j’ai la chance de pratiquer l’architecture comme j’ai toujours souhaité le faire, ne dérogeant pas à la promesse que je m’étais faite au début de mon cursus scolaire. L’agence AUP-Architectes m’a fait confiance en m’embauchant suite à mon diplôme et à une mince expérience professionnelle. Son gérant, architecte et mon tuteur, François DIGARD et son associée Samia SERRADJ, sont particulièrement engagés à transmettre leurs connaissances, leur expérience et leur savoir-faire aux plus jeunes ; ils
me l’ont fait savoir dès notre premier entretien et le prouvent, au quotidien, en m’épaulant au sein de l’agence. Si aujourd’hui, je peux me sentir autonome dans la pratique du métier, c’est grâce à leur management fait à la fois de soutien et de confiance. En effet, rapidement, il m’a été confié des projets que je conduis seule tout en sachant que je suis soutenue et qu’ils restent disponibles si naissent des doutes ou des interrogations. Ainsi, j’ai choisi, naturellement, de suivre la formation HMONP en sein de cette agence, sachant que j’allais pouvoir y recevoir tout le soutien nécessaire à la bonne poursuite de cette dernière année d’études. Si j’ai suivi la formation HMONP, c’est d’abord grâce aux associés de mon agence d’accueil qui me l’ont proposé et ont fait naître en moi l’idée de suivre cet enseignement plus tôt que je ne l’avais imaginé. Ce faisant, ils ont une nouvelle fois témoigné de la confiance qu’ils m’accordaient et c’est ainsi que, peu à peu, je me suis appropriée l’idée de m’inscrire à l’été 2019. J’ai compris qu’avec la formation HMONP, je pouvais saisir l’occasion de m’engager encore un peu plus dans la vie de l’agence et de prendre progressivement les responsabilités qui vont de pair avec le titre d’architecte. C’est naturellement ce qui s’est passé au fil de l’année, en effet la formation m’a réellement permis de découvrir l’envers du décor de l’exercice d’architecte et de mieux appréhender les rouages de la commande et des relations avec nos commanditaires et nos prestataires notamment. Ainsi, je prends conscience que j’ai beaucoup évolué cette année en m’investissant plus personnellement pour l’agence.
Préambule
Le désir de faire cette formation a également grandi au regard du contexte actuel de la vie de l’agence AUP-Architectes : en effet, le fondateur et co-gérant François DIGARD, songe à prendre sa retraite dans les années à venir et a récemment choisi de s’associer avec Pierre BONNET, salarié Chef de Projet depuis novembre 2017. La gérance de l’agence évolue et je souhaite m’offrir la possibilité de m’associer avec Samia SERRADJ et Pierre BONNET lorsque le moment semblera opportun et si ce souhait est partagé. Je n’imagine pas une association sans le port du titre, en ce qui me concerne, car si je choisis cette voie, c’est bien pour m’engager pleinement au titre d’architecte maître d’œuvre, en assumant les responsabilités allant de pair avec l’inscription à l’Ordre des Architectes.
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INTRODUCTION Introspection : L’exercice du mémoire m’a permis de me questionner sur le choix d’un sujet qui me représente réellement et me tient à coeur et à mieux comprendre les raisons qui me poussent à m’intéresser au secteur médico-social, et ce depuis un certain temps. A y réfléchir, mon intérêt pour ce secteur est né de mon expérience personnelle du monde hospitalier et des EHPAD. En effet, marquée par un an d’hospitalisation dans diverses structures d’accueil et par le placement de ma grand-mère en EHPAD il y a 4 ans, ces expériences m’ont permis d’interroger la notion d’habiter dans ces contextes si particuliers et comment l’architecture peut participer à accompagner une démarche de soin et des usagers vulnérables qui quittent leur environnement d’origine pour vivre dans des lieux confinés, souvent à l’écart de la ville et de la vie qui l’anime. Lorsque ma grand-mère résidant en EHPAD raconte fièrement aux soignants -dans un abus de langage affectueux- que sa petite-fille est «architecte», j’ai régulièrement le droit à mon lot de sollicitations : «Mademoiselle, quand vous construirez des EHPAD, faites des chambres plus grandes !» etc. et d’injonctions sur la conception des espaces communs notamment. Ces réflexions, toujours de bon ton, m’ont interpellée : les utilisateurs – patients/ habitants autant que les membres du personnel de service ou soignants – qui ont l’expérience du terrain, s’expriment facilement, donnent leur avis sur le projet d’architecture pour peu qu’on leur “tende la perche” et reconnaissent en l’architecte la personne à qui parler
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Introduction
lorsqu’il s’agit de poser un regard critique sur leur environnement de travail. J’ai été particulièrement touchée de me rendre compte que l’architecte, personnage si souvent stéréotypé et décrié puisse sembler à ces aides-soignantes, à ce moment-là, être une figure de référence à qui énoncer ses besoins en la matière. Ces apostrophes fortuites m’ont confortées dans l’idée que le port du titre d’architecte revêt véritablement une mission sociale, d’écoute et de reconnaissance de l’utilisateur qu’il est essentiel d’intégrer dans la démarche de projet.
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Expériences : Par ailleurs, au fil de mon parcours, lors de stages ou dans le cadre de mon travail au sein de l’agence AUP-Architectes, j’ai eu l’occasion de participer à de beaux évènements de concertation avec les usagers et de co-conception du projet architectural avec les utilisateurs. Ces expériences concrètes, au contact de la population ou des associations et sur le terrain dont je fais état dans la première partie de ce mémoire ont renforcé mon désir de poursuivre l’exercice du métier d’architecte dans cette voie socialement engagée. D’autres expériences et observations ont, a contrario, servis de contre-exemples et ont fait naître des réflexions sur lesquelles je tente de poser, en première partie de cet écrit, des constats définissant des enjeux à défendre. Ce mémoire, c’est l’occasion pour moi de transcrire par écrit mes pensées et d’acter un certain idéal vers lequel je souhaite tendre en portant le titre d’architecte. 1
Loi n°77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture
Responsabilités : “ L’architecture est une expression de la culture. La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public.” 1
Le domaine de l’architecture est défini comme d’intérêt public depuis 1977. Cette dénomination fait porter à notre profession des responsabilités d’un tout autre ordre : politiques, culturelles, écologiques, sociales etc. et nous oblige à œuvrer en gardant à l’esprit le bien commun comme dessein. Ainsi, il apparaît essentiel pour les architectes de s’engager et de s’impliquer dans une démarche allant au delà de considérations simplement esthétiques liées à l’art, domaine auquel appartient la discipline architecturale, pour rejoindre des réflexions peut-être plus ancrées dans les problématiques sociétales actuelles ; qu’il s’agisse d’urgence climatique, d’inégalités économiques, d’urbanisation déraisonnée, de disparités sociales ou encore d’exclusion discrète d’une frange de la population par exemple. Dans ce mémoire, c’est ce dernier point qui sera mis en avant et nous verrons comment l’architecture peut fournir des solutions pour accompagner un public fragile, trop systématiquement écarté de la société et, selon moi, trop souvent ignoré lors de la conception des lieux dans lesquels il vit.
Introduction
“ Quel qu’en soit l’exact contenu, l’utilité, qu’elle soit «commodité», «distribution», «fonction» ou «usage» participe étroitement de la production architecturale et en constitue l’une des dimensions irréductibles et qui, de plus, apparaît la distinguer notablement des autres disciplines artistiques : par sa finalité même, qui consiste à réaliser l’abri d’activités de la société humaine, l’architecture remplit une fonction qui n’a pas d’équivalente dans les autres arts, et en fait selon Valéry, « le plus complet des arts ».” 2
Engagements : Être architecte, c’est comprendre que notre art se distingue forcément des autres puisqu’il revêt une dimension d’utilité que les autres ne portent pas en eux. Il est essentiel de se défaire de « l’image » pour porter son attention aux « usages ».
“ Dans notre formation d’architecte, la tyrannie de l’image était considérable (elle le reste d’ailleurs) : c’est elle qui gouverne avant tout notre travail de conception des espaces, accompagné accessoirement de quelques formules-slogans à l’emporte-pièce, cette manière de prophétie péremptoire (…) ” 3
Être architecte, c’est, au-delà des responsabilités énoncées dans le Code de déontologie des architectes, avoir une responsabilité envers la société, le peuple et se soucier des autres.
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PINSON Daniel, Usage et architecture, Editions L’Harmattan, 1993, p.91 Ibid., p.12
Être architecte, c’est créer des espaces dans lesquels les gens se sentent bien, des lieux qui permettent à l’humain de vivre dignement sans distinction d’origine, d’âge, de milieu social, de condition de santé. Être architecte, c’est prendre soin des habitants d’une ville, des usagers d’un bâtiment ou simplement des visiteurs, des gens de passage. Être architecte, c’est porter attention à toujours construire pour le bien commun quitte à mettre le « trait », le « geste » en sourdine pour mieux écouter les besoins, les exigences et les souhaits des usagers. Être architecte, c’est reconnaître l’utilisateur comme partie prenante dans la commande architecturale et s’engager à lui donner un rôle dans la mise en œuvre du projet.
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Introduction
Préoccupations & interrogations : Si, au cours de mes études, la question des usages a toujours eu une place centrale dans l’enseignement et au sein des projets que j’ai pu concevoir, il me semble que dans le cadre de ma pratique professionnelle cette notion est parfois repoussée au second plan, aux dépends de l’utilisateur.
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Rarement par désintérêt mais en revanche souvent par manque de temps, d’organisation, et de définition claire d’une mission de rencontre avec les usagers, je constate que cette étape de questionnement et de mise au point du programme soumis par la maîtrise d’ouvrage est fréquemment écartée. Au sein de mon agence d’accueil, rares sont les fois où nous avons l’occasion de véritablement prendre le temps d’engager un dialogue avec les futurs utilisateurs. Différentes raisons peuvent expliquer ce manque d’investissement auprès des usagers : un temps de conception écourté, un commanditaire frileux à l’idée de confronter son programme avec les futurs habitants, les habitudes de travail d’une agence etc. Cependant, à l’heure de mon engagement en tant qu’architecte, je souhaite prendre le temps de questionner ma pratique vis-à-vis des futurs habitants des projets que je conçois. En premier lieu, je commencerai par vous faire part de mes expériences de projet au sujet de la participation des usagers au projet d’architecture et d’urbanisme. Cela me permettra de dégager des constats et de comprendre les enjeux posés par la prise en compte des usagers. J’explorerai, ensuite, la notion de maîtrise d’usage, de programme ainsi que les outils à notre disposition permettant l’inclusion des
utilisateurs au sein du projet. Enfin, je proposerai des solutions d’adaptation de ces outils de concertation et de co-conception lorsqu’il s’agit de travailler avec un public vulnérable et tenterai de démontrer l’importance de ce travail en commun pour le projet d’architecture.
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Ryane de Choiseul, Atelier de concertation initié par l’agence Levitt Bernstein à la maison de quartier de Winstanley & York Road Estate, Londres.
CHAPÎTRE 1ER OBSERVER ET CONSTATER : Cas
d’études, situations mécanismes.
et
Afin de pouvoir tout d’abord établir un diagnostic sur la question des usages, nous allons explorer dans cette première partie, diverses situations de projet piochées dans ma pratique estudiantine et professionnelle permettant de faire un état des lieux de ce que j’ai eu l’occasion d’observer et d’expérimenter au sujet de la prise en compte des usagers de la conception à la réalisation du projet d’architecture et d’urbanisme. Ces situations, non-exhaustives, permettent tout de même de se faire une idée assez précise des enjeux posés par l’implication ou le manque d’implication des usagers dans la mise en place du projet.
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Observer et constater
Ryane de Choiseul, Projet de Fin d’Etudes : - Coupe longitudinale le long de l’avenue Ernest Chevrier - Plan du projet de rénovation urbaine - Différents scénarii d’usage pour un lieu de rencontre, structurant pour le bourg
Observer et constater
1.1. La pratique de la programmation dans le projet de fin d’études (PFE) : Au cours de mes études à l’ENSA Paris Val-de-Seine, j’ai reçu un enseignement assez tourné autour de la question des usages, et c’est dans la continuité de cette pédagogie que j’ai réalisé mon projet de fin d’études portant sur la rénovation urbaine d’un centre-bourg en Loire Atlantique. Si je me suis intéressée au bourg de Tharon-Plage (rattaché à la commune de Saint-Michel-Chef-Chef, 44), c’est parce que j’ai eu l’occasion d’y séjourner régulièrement puisque c’était le lieu de vie de mes grands-parents. Ainsi, pour la conception de ce PFE, j’ai pu croiser ma vision de ce territoire à la leur pour façonner ma démarche de programmation. Ryane de Choiseul, Carte de synthèse des enjeux, intentions et stratégies de projet
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Observer et constater
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Dans le temps consacré au projet de fin d’études (environ 1 an), j’ai choisi de prendre un long moment (un peu plus d’un semestre) pour définir le mieux possible quels seraient les besoins pour cette commune balnéaire à deux visages (celui de l’été : vivant, attractif, accueillant des milliers de voyageurs pendant 3 à 4 mois et celui de la basse saison : calme, principalement habité par des retraités, avec une grande partie des commerces et des activités en stand-by). Cette dualité quasi antagonique a été pour moi une véritable occasion et un grand potentiel de projet permettant de répondre avec un programme hybride à des problématiques économiques, climatiques, sociologiques et démographiques bien distinctes. Pour ce faire, il m’a fallu -au-delà de l’analyse urbaine, historique et géographique du territoire- aller à la rencontre des habitants (commerçants et résidents) et des communes pour comprendre quels seraient leurs besoins et appréhender leurs envies pour continuer à faire vivre ce bourg désert, assoupi, semblant uniquement attendre la période estivale pour se réanimer. L’enjeu de ce projet de fin d’études était moins pour moi la production d’un objet architectural qu’une occasion de partir à la découverte de la programmation comme fondement du projet. Ainsi, ce n’était pas tant les bâtiments en eux-mêmes que j’ai souhaité mettre en avant mais plus leur fonction hybride, adaptable et fédératrice qu’ils portaient en eux comme permettant de créer de nouveaux usages dans ce bourg métissé. C’est finalement grâce à cette
étude auprès des usagers que j’ai pu produire un projet qui semble faire sens. Est venue a posteriori la question de l’esthétique, des volumes et des matières restant plus du ressort de l’architecte (même si ce sujet n’est pas totalement distinct de la notion d’usage, c’est à ce moment-là qu’intervient la sensibilité qui traduit la personnalité de l’architecte). Ce que je retiens de cette démarche principalement centrée sur l’aspect programmatique du projet est l’importance pour l’architecte de bien savoir cibler –au-delà des enjeux spatiaux- les besoins de l’usager amené à habiter au quotidien les édifices que nous concevons et surtout construisons. Pour cela, il paraît difficile de s’abstenir d’octroyer un certain temps d’observation, d’analyse, de mise en situation d’échange avec les futurs utilisateurs pour bien définir les enjeux du projet, qu’il soit architectural ou urbain. Nous pouvons à ce sujet nous rappeler l’article 1 de la Loi sur l’Architecure du 3 janvier 1977 : “ L’architecture est une expression de la culture. La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public. (…) ”
Il y est énoncé notamment la notion «d’intérêt public» se rapportant à la mise en œuvre de l’intérêt général qui doit pouvoir servir l’ensemble d’une population. Si une première lecture de cet article ne semble pas faire apparaître clairement l’idée que l’architecture doit pouvoir s’adapter et se conformer aux exigences des usagers, en fait, c’est dans l’expression «d’intérêt public» que nous pouvons en extraire ce devoir à mon sens.
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Ryane de Choiseul, Atelier de concertation initié par l’agence Levitt Bernstein à la maison de quartier de Winstanley & York Road Estate, Londres.
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1.2. La concertation avec les habitants et futurs utilisateurs – un outil essentiel à l’élaboration du projet : Lors de mon premier stage – réalisé à la fin de ma deuxième année d’études-, j’ai eu l’occasion de découvrir la pratique du métier d’architecte et d’urbaniste de l’autre côté de la Manche, à Londres, dans une agence pluridisciplinaire regroupant notamment architectes, ingénieurs, paysagistes et urbanistes. Rapidement, j’ai eu l’opportunité de rejoindre une équipe d’urbanistes qui préparait un évènement de concertation avec les habitants d’un quartier de grands ensembles Winstanley et York Road Estate situé au Sud-Ouest du Grand Londres. Il s’agissait d’un projet de rénovation urbaine d’un quartier délaissé et paupérisé pris en étau entre les rails de l’overground (équivalent du R.E.R. parisien) menant à la grande gare de Clapham Junction d’une part et les bords de la Tamise, qui s’étaient gentrifiés au fil du temps, d’autre part. Epaulés par des programmistes, nous avions d’ores et déjà quelques pistes pour répondre aux enjeux de la restructuration. En effet, préalablement à cette phase de projet, le concours gagné par l’agence Levitt Bernstein avait été réalisé en s’appuyant sur une note de constat établie par une société de programmation. Passant d’une esquisse d’intentions un peu génériques à la conception d’un avant-projet détaillé, les urbanistes continuèrent à travailler conjointement avec les programmistes pour affiner l’analyse des enjeux et des besoins de ce quartier principalement habité par des populations en difficultés.
L’enjeu principal de cette concertation était d’en faire un véritable moment de partage et de créer du lien avec les usagers. Il a donc fallu réfléchir dans un premier temps à la manière dont nous allions pouvoir créer cet échange avec les résidents qui, d’une part, étaient très inquiets de se voir repoussés encore un peu plus loin, aux confins de la capitale et qui, d’autre part, n’étaient pas forcément familiers avec les outils formels de représentation du projet d’architecture et d’urbanisme (plan, maquette etc.). A mon sens, c’est dès la concertation qu’il faut tenter de se mettre à la place de l’utilisateur probablement novice et malhabile avec nos codes de présentation et de représentation. Je crois qu’il est primordial de se mettre au niveau de son interlocuteur pour parler le même langage afin qu’ensemble nous puissions réellement comprendre quelles sont les libertés et les limites du projet. Alors, nous avons profité d’une fête estivale dans le quartier et avons pu investir la bibliothèque associative locale pour créer un événement que nous souhaitions être assez informel pour à la fois informer et renseigner le public sur le projet à venir mais aussi entendre leurs doléances et inscrire puis traduire leurs volontés, idées, craintes et envies pour cette restructuration. A l’aide de maquettes en mousse sur fond de photo aérienne, de feutres, post-it et autres outils appréhendables pour les résidents nous avons pu recueillir un ensemble d’informations essentielles sur le ressenti des habitants vis-à-vis de leur quartier que jamais nous n’aurions pu envisager de l’extérieur. À cet évènement, se sont ajoutées des interventions
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Ryane de Choiseul, dessins issus des interventions dans deux écoles primaires du quartier de Winstanley & York Road Estate, initié par l’agence Levitt Bernstein, à Londres.
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dans des écoles du quartier afin d’écouter également ce que les plus jeunes désiraient voir se créer dans leur futur quartier et dans le but de les inclure dans ce processus de transformation. Contrairement à ce que j’ai pu croire avant de me lancer dans cette opération de sensibilisation et de recueil d’informations auprès des enfants, nous sommes repartis avec des idées concrètes de projet façonnées par les jeunes usagers qui nous ont permis de ponctuer le futur quartier d’espaces leur étant dédiés et dans lesquels nous avons pu transcrire une partie de leur vision. Le temps de mon stage a bien sûr été trop court par rapport à la temporalité de cet ample projet, néanmoins je garde en mémoire ce principe de
« réunion » (qui n’en était pas vraiment une au sens propre du terme) de concertation avec les riverains qui a permis à mon sens de les intéresser et des les intégrer dans ce projet qui va bouleverser leur vie courante. Si nous avons souvent pris l’habitude de concevoir nos projets dans nos bureaux, parfois loin de l’environnement concerné, je souhaite garder en tête que pour les usagers c’est une grande partie du quotidien qui se joue et c’est cette dimension que nous, acteurs de la maîtrise d’œuvre, ne devons pas négliger. Ainsi, accepter de prendre du temps pour se retrouver non pas « face » mais « avec » les usagers permet de cibler des potentiels de projet invisibles et pourtant si structurants aux yeux des utilisateurs.
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1.3. Maitrise d’ouvrage (MOA) et utilisateurs – cas d’une dichotomie d’enjeux :
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Au quotidien, à l’agence AUP dans laquelle j’exerce actuellement, je travaille essentiellement sur des programmes neufs d’EHPAD ou résidences séniors pour la maîtrise d’ouvrage privée D.. Je suis, depuis un peu plus d’un an, un projet d’EHPAD de 80 lits (dont 14 en unité UPPD (Unité Protégée pour Personnes Dépendantes)– adaptée aux personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer-) situé dans un bourg du département de l’Aisne (02). Ce projet m’a été confié depuis l’étude de faisabilité et nous sommes actuellement en rendu de la phase PRO, j’ai donc pu suivre l’ensemble du projet jusqu’ici et en ai la mémoire globale, ce qui me permet d’en avoir une vision assez complète. Pour la petite histoire, la construction de cet EHPAD se fait dans un contexte de transfert de lits depuis un EHPAD existant dans la même commune qui se trouvait être auparavant un village vacances pour retraités ayant muté progressivement en résidence séniors puis en EHPAD, mais n’étant plus tout à fait adapté à la fonction qu’il occupe : l’établissement est morcelé en une multitude de maisonnettes réparties sur un terrain avec un fort dénivelé rendant le travail du personnel très pénible pour le transfert des personnes et du matériel notamment. Ce centre loué à D. qui en est donc le gestionnaire sera voué à redevenir un lieu d’hébergement type court-séjour lorsque le transfert de lits vers le nouvel établissement sera effectué.
Pour concevoir ce projet, nous avons pu organiser une visite des constructions existantes (situées à moins de 200 mètres du futur EHPAD) avec la MOA afin d’y rencontrer notamment le personnel et la directrice qui sera en charge du nouvel établissement dans le but de bien comprendre les dysfonctionnements pour de ne pas répéter les mêmes maladresses et d’appréhender le fonctionnement d’un EHPAD en milieu rural. Au delà du personnel soignant, l’autre utilisateur majeur de ce type de programme est évidemment la personne âgée, qui, dans l’établissement actuel, possède un confort qu’on ne retrouve que rarement dans les programmes neufs : la possibilité d’habiter un petit pavillon (d’environ 25 m2) avec un accès privatif depuis l’extérieur. Si effectivement cela n’est pas pratique pour le personnel (multipliant les allers et venues en extérieur), cela demeure pour le résident un moyen de ne pas se sentir dans une maison de retraite classique rappelant l’hôpital et lui permet de conserver une intimité et un mode de vie se rapprochant de ses habitudes passées. Ainsi, deux problématiques d’usages se rencontrent pour former un potentiel de projet intéressant dans les contraintes qui l’initient. Enfin, à ces observations s’ajoute ma volonté personnelle d’architecte sur la création d’espaces d’entre-deux de rencontre - allant au delà de la fiche
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AUP-Architectes, Perspective depuis l’entrée sur le site de l’EHPAD, “les Maisons du Bourg”, Bourg-et-Comin. AUP-Architectes, Vue axonométrique de l’établissement et de son jardin commun, Bourg-et-Comin.
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de programme transmise par la MOA- que j’aurais souhaité intégrer au projet. Ce souci pour ces espaces informels d’échange provient de mon expérience personnelle en EHPAD au contact des résidents et des soignants avec qui j’échange régulièrement. Ainsi, en faisant s’entrechoquer ces questionnements, nous avons pu proposer une esquisse à la MOA.
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Ce projet a été confronté à la réalité de l’enveloppe financière et malheureusement nous avons dû revoir certaines prestations notamment spatiales à la baisse et condenser un peu plus le programme. En compactant l’ensemble du projet, des espaces de qualité répondant aux demandes des usagers (personnel et résidents) ont été supprimés et cela a participé à appauvrir le projet à mon avis– il nous a fallu donc commencer à « négocier » avec la MOA pour voir comment nous pourrions nous entendre sur un projet économiquement viable pour eux et satisfaisant en terme d’usages pour les utilisateurs. Dans ces moments-là, j’ai rapidement compris que l’EHPAD était pour la MOA principalement un produit financier et que, malgré les promesses qu’ils avaient faites devant la directrice de l’établissement existant, la prise en compte de l’usager -au-delà des strictes réglementations en vigueur et des avis de l’ARS (Agence Régionale de Santé)- n’était pas leur priorité. En revanche la rentabilité de l’établissement avant tout, ça oui. Lors d’une des réunions de travail j’ai pu discerner comment la MOA choisissait de répartir les prestations dites de qualité. En effet, lors d’une de ces rencontres, la responsable du pôle qualité et
hébergement m’a confié que les prestations les plus onéreuses et spatialement coûteuses étaient réparties le long du parcours de visite des familles souhaitant placer leurs parents dans l’EHPAD. Au-delà de cet itinéraire bien défini, la MOA ne souhaitait pas particulièrement accorder plus de budget que strictement nécessaire. Ainsi, j’ai bien pu percevoir la logique financière de la MOA sur ce point et ce fut à moi d’en « jouer » si je souhaitais valoriser certains aspects important du projet. À mon sens, c’est notamment dans cette adversité que l’architecte a un grand rôle à jouer : après avoir analysé et compris les problématiques d’usages et les avoir opposées avec la réalité de la commande de la MOA, c’est à lui de savoir jongler et d’oser se confronter avec son client pour faire valoir le bien commun que représente le projet d’architecture. Ainsi dans le cas présent, même si des concessions ont dû être faites, nous sommes parvenus à nous entendre avec la MOA notamment sur les espaces informels de rencontre, propices à des activités en petits groupes (comme c’est le cas dans l’établissement existant) en élargissant les circulations, offrant en plus un apport généreux de lumière naturelle et une multiplication des vues vers l’extérieur depuis les couloirs. Cela pourrait paraître dérisoire à l’échelle d’un projet comme celui-ci, mais de mon point de vue, le fait d’avoir pu garder une organisation spatiale s’apparentant à l’EHPAD actuel (correspondant sur ce point aux attentes des utilisateurs) est une réussite qui finalement a su conquérir le directeur général de D. qui a fini par appuyer notre projet auprès des
Observer et constater
responsables de programmes (nos interlocuteurs directs). Ce qui me semble important à noter dans ce cas d’étude, c’est la difficulté de faire converger les attentes des usagers et les enjeux (souvent économiques) de la MOA d’autant plus lorsque la MOA constitue une grande entreprise multipliant les services et les strates hiérarchiques. Si dans la théorie je n’ai qu’un seul interlocuteur : le•a• directeur•trice• de programme, dans les faits, nous devons parfois concilier les desideratas de chaque responsable de service dont les stratégies et finalement les objectifs divergent. L’architecte doit alors pouvoir faire la synthèse de l’ensemble des contraintes de chacun et à mon sens garder en tête qu’au-delà des enjeux de la MOA c’est le quotidien des utilisateurs qui se joue dans le projet. Dans ce type de cas de figure où la MOA ne représente qu’une partie des utilisateurs (ici le personnel, puisque c’est une de leur filiale qui sera gestionnaire de l’établissement) – dont les services de promotion immobilière sont assez éloignés par ailleurs-, un grand conflit en terme de considération des besoins et des intérêts de l’ensemble des usagers subsiste. Si l’architecte doit sa confiance à son maître d’ouvrage, il est parfois bien difficile de travailler conjointement lorsqu’on se rend compte que l’intérêt du public n’est pas totalement respecté. Alors, comment se positionner en tant qu’architecte lorsque la MOA campe sur ses positions souvent mues par des logiques financières qui nous dépassent ? C’est une question à laquelle je ne trouve pas réellement encore de réponse. Dans l’élaboration de certains projets, nous avons une
marge de manœuvre permettant de faire comprendre et de démontrer à la MOA le bien fondé de certaines propositions architecturales, néanmoins l’argument financier y met souvent un terme et le contexte de la commande fait qu’à l’agence nous nous trouvons donc contraints de nous résoudre à appliquer les désirs de la MOA même s’ils vont à l’encontre de nos devoirs envers les usagers. Ce souci prend probablement naissance dans la logique de programmation de la MOA. Dans ce cas présent, la MOA applique une fiche programmatique type pour l’ensemble des établissements. Ce programme surfacique est seulement ajusté en fonction du nombre de lits, au-delà de cette adaptation de surface le cahier des charges définissant l’organisation des espaces entre eux reste le même d’un projet à un autre. Ainsi, notre marge de manœuvre se situe lors de l’étude de faisabilité et la phase d’esquisse pendant laquelle nous pouvons faire valoir les qualités intrinsèques du site contraignant le projet. Néanmoins, je crois qu’il faudrait prendre le temps pendant ces phases de créer des réunions d’ajustement de programme avec la MOA (après visite et analyse du contexte géographique et sociologique du futur établissement) afin d’engendrer un premier échange et d’établir dès l’initiation du projet un programme plus adapté. Ce serait là une occasion pour les architectes d’argumenter et de défendre une certaine vision pour le projet à concevoir pour éviter de devoir le faire en APS lorsque certains jalons financiers notamment ont déjà été posés.
31
Observer et constater
32
INFORMATION 1
Utilisatrices : Congrégation de Soeurs Franciscaines
Architecte MOE
EXECUTION
INFO 1
MOA (Maîtrise d’Ouvrage)
INFO 1
AMO (Assistant à maîtrise d’ouvrage)
INFORMATION 2
Une fois le concours gagné par l’agence AUP s’en est suivi un (très) grand nombre de réunions avec la MOA ainsi qu’avec les sœurs et leur AMO afin de définir en précision l’ensemble des prestations et l’enveloppe financière du projet. Les sœurs franciscaines n’avaient, avant ce projet, pour ainsi dire jamais eu à faire au monde de l’architecture, de l’immobilier ou encore de la construction, par conséquent il leur était difficile d’appréhender un tel projet. C’est pour cela qu’avec l’aide de leur AMO et du bailleur nous avons décidé de les accompagner de
INFORMATION 3
La MOA I. fait concevoir ce bâtiment pour réaliser une VEFA (Vente en État de Futur Achèvement) aux acquéreurs également utilisatrices qui sont assistées par un AMO (Assistant à Maîtrise d’Ouvrage) chargé notamment de les aider à définir leurs besoins et d’en faire la transmission à la responsable de projet chez I. qui est également notre interlocutrice sur ce projet.
Schéma reprenant les différents modes de transmission (formels en rouge et informels en gris) d’une information avec ce type d’organisation. Les transmissions informelles, parfois plus directes, brouillent pourtant la chaîne de communication et peuvent aboutir à la confusion.
DECISION
Le projet de construction d’un foyer logement que je vous présente dans cette sous-partie a un montage composite en terme d’interlocuteurs et d’acteurs. L’agence AUP a gagné en 2017 un concours lancé par le bailleur I. pour la réhabilitation, surélévation et extension d’un édifice existant voué à devenir un foyer logement destiné à accueillir une congrégation de sœurs franciscaines à Paris (les utilisatrices).
De nombreux dysfonctionnements sont apparus au fil de l’élaboration de ce projet que nous pourrions regrouper autour de problèmes de communications entre les futures utilisatrices et nous les architectes (par le biais de l’AMO et de la MOA). De fait, à cause de la multiplication de strates d’information…
MISE EN FORME +TRANSMISSION
question de la perte d’information :
plus près en détachant une personne de l’agence pour travailler exclusivement sur ce dossier.
VALIDATION +TRANSMISSION
1.4. La MOA “à tiroir” – l’épineuse
Observer et constater
… Il est évident qu’une partie des besoins énoncés par les sœurs est déformée ou pire perdue. Depuis février 2019, nous sommes passés à la phase d’exécution du projet, nous aurions pu penser qu’hormis quelques ajustements à la marge, le projet serait figé dans ces grandes lignes et qu’il ne nous resterait « que » les reprises liées aux aléas d’un chantier dans l’existant, mais après 7 mois de chantier de nombreux indices de plans en conception sont régulièrement produits. À quoi cela est-il du ? Plusieurs raisons peuvent-être invoquées mais après avoir multiplié les réunions informelles en interne à ce sujet, nous sommes arrivés à la conclusion qu’entre autre la stratégie de communication de départ n’a pas été respectée et que nous avons (tous) laissé glisser les modes de communication. Il avait été établi au départ que les sœurs communiqueraient uniquement avec la MOA via leur AMO comme c’est souvent le cas dans cette configuration. Néanmoins, étant donné la complexité du projet de réhabilitation + surélévation + extension, l’ensemble de l’équipe MOA+AUP a décidé de faire des réunions conjointes avec les utilisatrices et leur AMO. Si dans un premier temps, cela a été bénéfique et allait dans le sens du projet en nous permettant de bien comprendre (et plus directement) les besoins et les envies des sœurs, la proximité que nous avons entretenu avec les clientes de la MOA (avec l’accord de cette dernière) ont un peu chamboulé les modes de communication. En dehors des réunions, la chaine d’information classique reprenait son cours avec néanmoins des manquements dans la transmission de propositions ou changements par la MOA vers les utilisatrices.
C’est dans ce contexte que nous avons appris au cours du chantier que depuis le début de l’élaboration du projet certaines propositions et ajustements proposés par AUP n’avaient jamais été transmis de la MOA aux sœurs (via l’AMO). Il en résulte de grosses incompréhensions de la part de la congrégation sur des éléments de projet aujourd’hui figés. Aujourd’hui, l’AMO joue de ces choix qui ont été faits sans l’accord de ses clientes pour faire encore évoluer le projet, engendrant ainsi des TS (Travaux Supplémentaires) qu’il fera facturer à la MOA, profitant des manques de communication précédemment énoncés. Si nous avons toujours en ligne de mire de concevoir un projet le plus adapté possible aux souhaits des sœurs franciscaines qui en feront leur lieu de vie, il est aujourd’hui difficile de savoir où mettre le curseur. Nous sentons que la MOA est un peu dépassée par ce projet « vitrine » - notamment puisqu’il est situé en plein Paris – et nous en payons un peu les frais : conception à rallonge, grosses reprises en chantier etc. Dans ce type de cas de figure où : • La MOA réalise une vente en VEFA • L’acquéreur est également directement l’utilisateur de l’édifice • L’acquéreur est novice dans ce type de montage financier et projet • L’acquéreur/usager est assisté d’un AMO
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Observer et constater
Il est primordial à mon sens de bien définir les limites de prises de décision de chacun des interlocuteurs, les besoins des usagers (représenté par l’AMO dans le cas présent) mais également de bien définir les modes de communications entre chacun des acteurs.
34
Chacun a sa part de responsabilités dans les difficultés que nous rencontrons ; la congrégation est non seulement non-sachante et très inexpérimentée mais elle devrait pouvoir compter sur son AMO qui par ailleurs n’a, par exemple, jamais rédigé à proprement parler un cahier des charges pour le compte des sœurs. De son côté la MOA a laissé trainer la rédaction et la signature de la notice 68 contractant la VEFA et du sien, AUP n’a pas su cadrer les limites de sa prestation de service : nous nous sommes laissés noyer par les innombrables réunions de conception et avons accepté sans dire mot d’effectuer de gros changements de conception pendant la phase EXE (Exécution) sans avenant au contrat. Résultat : l’ensemble des relations est tendu et la frustration de chaque partie ne fait plus avancer le projet dans le bon sens. Il aurait peut-être été plus pertinent de réaliser une plus longue phase d’avant-projet en co-conception avec les futures utilisatrices et leur AMO tout en leur faisant comprendre qu’après chaque validation de phase il est impossible de chambouler l’ensemble de projet. Bien sûr les ajustements à la marge doivent toujours pouvoir se faire et il faut garder une certaine souplesse. Néanmoins ce n’est pas non plus, à mon avis, aller dans le sens des usagers que
d’effectuer perpétuellement des changements – cela montre un défaut dans la maîtrise du projet de la part des sachants et n’est certainement pas rassurant pour la maitrise d’usage (MUS).
Observer et constater
1.5. La co-conception Architecte/ Association/Promoteur – La maîtrise d’usage à l’oeuvre:
36
En 2018, nous avons eu l’occasion avec l’agence AUP de participer à un appel à projet innovant initié par l’ARS en Essonne (91) pour la création d’un foyer pour personnes en situation de polyhandicap. Pour répondre à cet appel à projet, l’équipe était constituée d’AUP (agence d’architecture), d’Envoludia (association de familles spécialisée dans l’accompagnement du public infirme moteur cérébral et polyhandicapé) ainsi que de France Habitation (Bailleur social, aujourd’hui rebaptisé Seqens). L’appel à projet consistait à proposer un programme mixte avec un foyer d’hébergement pour une vingtaine de personnes polyhandicapées associé à un programme d’une quarantaine de logements sociaux. Le bailleur s’est chargé de trouver un site « fictif » sur lequel nous devions faire l’esquisse du projet en co-conception avec l’association. L’idée n’était pas de simplement répéter le type d’établissement que nous pouvons trouver en Ile-de-France mais bien de créer un concept d’hébergement innovant adapté à ce type de public en difficulté. Ainsi, nous avons d’abord commencé par la visite d’un établissement récemment construit (occupé par Envoludia) particulièrement adapté aux problématiques liées à la prise en charge assez lourde du handicap touchant les résidents. La visite commentée par le gérant du foyer s’est faite pôle
par pôle et nous avons donc pu passer en revue les éléments justes et appropriés d’une part et pointer d’autre part les petits dysfonctionnements et défauts de conception liés à ce programme complexe. Lors de cette visite nous avons également pu échanger avec quelques résidents qui nous ont montré leur chambre et les éléments leur permettant de garantir la plus grande autonomie possible au quotidien. Cette visite m’a beaucoup marquée, pour la première fois depuis mon entrée dans la pratique professionnelle du métier d’architecte, j’ai vraiment ressenti ce qui m’avait poussée à exercer cette profession avant tout : j’ai compris le sens que je souhaite donner à ma pratique, celui de traduire spatialement les besoins des usagers dans une démarche sociale. J’ai compris l’importance de l’écoute et de l’analyse des usages que nous devons traduire dans un édifice et l’impact que l’acte de bâtir génère. Nous avons donc poursuivi notre co-conception par des réunions hebdomadaires faisant grandir le projet et en s’attardant dès l’appel d’offre à des détails, parfois assez techniques pour cette phase d’esquisse, mais qui conditionnent le projet. Ainsi, nous sommes parvenus à un bâtiment constitué de petites unités de vie permettant de regrouper les résidents par groupe de 4 personnes par appartement pour recréer comme une cellule « familiale » offrant la
“ Comme à la maison “
Observer et constater
Pour cette consultation, nous avons
éclairée naturellement par une grande
l’établissement : l’aile des bureaux, des
travaillé sur un concept novateur pour
verrière zénithale et par de grandes
locaux de rééducation et de soins et le
ce type de programme, à savoir sur des
baies vitrées ouvertes sur la terrasse
studio des familles, l’aile qui dessert les
appartements partagés par deux ou
intérieure et le jardin public.
locaux d’activités et le gymnase, l’aile de la rue qui conduit aux logements
quatre résidents. C’est un lieu convivial et chaleureux,
et à la grande terrasse potagère du
Les locaux de l’EAM (Établissement “ Comme à la maison “
largement ouvert sur l’extérieur, conçu
deuxième étage accessible à tous les
d’Accueil Médicalisé) sont répartis par
comme la « place du village » qui
résidents.
fonction autour de l’Agora. Elle est
distribue l’ensemble des fonctions de
Pour cette consultation, nous avons
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l’établissement : l’aile des bureaux, des
travaillé sur un concept novateur pour
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Les locaux de l’EAM (Établissement7
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■ Coupe de principe montrant l’agora, les locaux communs du RDC et les appartemens au R+1 7
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1
et jardinières enen toiture 3. AUP-Architectes, Coupe de principe : l’agora, les locaux communs du RDC et lesSerres appartement étages Salles d’activités 4. AUP-Architectes, Plan d’un appartement partagé par 4 résidents (4 ch., 2 SdB partagé et 1 espace de jour) Gymnase 5. Appartements de 4 ch. 6. Logements collectifs 7.
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Chambre individuelle SDB partagée Séjour partagé Kitchenette Terrasse
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Plan détaillé d’un appartement de 4 Ch., 2 SdB partagées et un séjour-cuisine commun
pour y vivre sur le « mode
N
familial » et il est spécialement
adapté pour recevoir deux, trois
ou quatre résidents handicapés moteurs.
4
Le séjour est plus grand que celui
1
d’un logement familial classique
pour faciliter la circulation des fauteuils
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mobilier et avoir un accès aisé à
la kitchenette. Il donne accès à
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une terrasse ou un balcon par une grande baie vitrée à seuil zéro.
Les chambres sont spacieuses
2
et équipées d’un grand placard,
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fixé au plafond et disposent d’une 1
1
salle d’eau partagée pour deux
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ou trois chambres. Les matériaux employés
sont
chaleureux
et apaisants pour conférer à
chaque logement un sentiment 1. 2. 3. 4. 5.
Chambre individuelle SDB partagée Séjour partagé Kitchenette Terrasse
Plan détaillé d’un appartement de 4 Ch., 2 SdB partagées et un séjour-cuisine commun
N
■
d’appartenance.
Observer et constater
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possibilité d’être accompagné quasi individuellement notamment pour les repas et les petites activités et ainsi retrouver l’intimité et l’individualité de chacun d’entre eux -ce qui n’est pas forcément le cas dans beaucoup d’établissements où les personnes sont souvent regroupées dans de grands espaces pour plus de facilité d’organisation-. Il s’est avéré, d’après l’association, que la gestion des personnes par petits groupes n’était pas forcément plus compliquée -pour les repas notamment- contrairement à ce qu’on pourrait penser, et que cette distribution pourrait permettre de retrouver un certain calme et plus de sérénité dans les moments de soins par exemple. La conception de cet établissement permet l’un et l’autre : depuis de petites unités de vie plus domestiques et confidentielles vers un vrai cœur de vie conviviale où peuvent se mettre en place les grands évènements. Avant la visite de ce foyer, je n’avais absolument aucune idée de l’étendue des enjeux de ce type de programme et je suis persuadée que pour concevoir et réaliser ce type de projet médico-social complexe, il est essentiel avant toute chose de se faire accompagner par des acteurs comme les associations qui vont jouer le rôle de la maîtrise d’usage (n’ayant pas uniquement en ligne de mire d’intérêt économique) afin de bien s’immerger dans les usages avant de les confronter aux autres contraintes de projet (contraintes géographiques, politiques ou encore financières par exemple). L’association a eu un rôle clé dans l’élaboration du programme et du projet. En effet dans ce cas précis l’usager principal ne peut pas forcément
énoncer clairement ses besoins et à moins d’en avoir fait l’expérience personnelle, l’architecte ne peut saisir seul l’ensemble des problématiques et enjeux de ces établissements à l’intendance complexe. J’ai trouvé particulièrement enrichissant voire primordial de concevoir ce projet conjointement. Nous n’avons pas fait que recevoir un programme préétabli que nous aurions dû décortiquer en risquant de mal le comprendre, là, nous avons pu participer activement à son élaboration et jouer notre rôle d’ « interprète » dans le sens de traduire des besoins en y répondant par des espaces les plus adaptés possible.
AUP-Architectes, Vue axonométrique du projet du MAS-FAM de Champlan
CHAPÎTRE 2ND COMPRENDRE ET RECONNAÎTRE : Après avoir cherché à démontrer dans une première partie, au travers de quelques situations significatives, les enjeux que pose la prise en compte des usages dans le projet d’architecture et d’urbanisme. J’ai choisi des projets distincts dans lesquels ces problématiques font surface à différentes phases du projet (depuis l’esquisse jusqu’à l’exécution) afin de mettre en valeur ce que la (bonne ou mauvaise) gestion de cette question peut avoir comme conséquence pour l’élaboration du projet et la manière dont il sera reçu par ses futurs habitants. Si ces exemples ne sont pas exhaustifs, ils permettent néanmoins de se questionner sur le rôle de l’architecte aujourd’hui au sein de la trinité maîtrise d’ouvrage / maîtrise d’usage / maîtrise d’œuvre et de son rôle envers les utilisateurs. Dans un premier temps, je crois qu’il est essentiel de se poser à nouveau la question de l’importance de l’intégration du citoyen dans la
composition du projet d’architecture si l’on souhaite partager notre travail avec les usagers, l’impliquer dans la fabrique de la ville et s’engager en tant qu’architecte œuvrant pour le public et le bien commun. Si nous pouvons imaginer que dans le cadre de la commande publique initiée par l’Etat et ses collectivités, les besoins des citoyens sont peut-être mieux appréhendés par la M.O.P., lorsqu’il s’agit de la commande privée initiée par des sociétés de promotion immobilière, les logiques économiques et financières biaisent souvent cet aspect. Alors, dans ce cadre que je pratique au quotidien et sur lequel je peux m’appuyer, comment garantir aux utilisateurs (qui constituent souvent des acteurs distincts de la MOA) la prise en compte de leurs besoins, d’autant plus lorsque ces usagers constituent un public vieillissant ou en situation de handicap?
41
Comprendre et reconnaître
Depuis mon arrivée à l’agence AUP-Architectes, j’ai eu l’opportunité de travailler sur différents programmes de foyers d’hébergement ou d’équipements médico-sociaux : FAM, EHPAD, RSS notamment. Ces projets destinés à accueillir des usagers fragilisés doivent à mon sens dépasser le simple statut de lieu d’hébergement évoquant plus l’idée d’un séjour de courte durée et assumer leur vocation d’habitat comme lieu de vie. Afin de passer de l’un à l’autre, il est nécessaire de convoquer les premiers concernés lors de la conception de ces foyers.
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Nous verrons dans cette seconde partie comment définir la maîtrise d’usage (MUS) et comment l’associer au couple MOA/MOE grâce aux outils d’inclusion des usagers assez répandus dans les projets urbains ou de logements et puis, enfin comment nous pourrions les adapter pour un public lésé, en situation d’exclusion.
Comprendre et reconnaître
2.1. La maîtrise d’usage : La notion de démocratie participative émerge depuis quelques décennies et si elle apparaît toujours aussi complexe à mettre en œuvre à l’échelle d’une nation toute entière, de mon point de vue c’est une démarche qui peut s’immiscer plus facilement au travers de plus modestes champs d’action, et trouver sa place à l’échelle locale ; la fabrique de la ville semble être un bon exemple de participation illustrée par bien des expériences depuis les années 1970, que nous étayerons par la suite, mais avant tout qu’est-ce que la maîtrise d’usage et comment l’intégrer à l’équation restreinte entre MOA et MOE ? Qu’est-ce que la maîtrise d’usage ? Pour caractériser ce qu’est la maîtrise d’usage, j’ai souhaité m’appuyer sur un article d’Alain Vulbeau, qui offre une définition claire de cette notion: “La maîtrise d’usage est une façon de nommer la compétence des usagers, ce que l’on peut exprimer de façon très élémentaire ainsi : les usagers ont les savoirs et en conséquence doivent détenir les pouvoirs issus de leur maîtrise du sujet à l’ordre du jour. La maîtrise d’usage pose l’existence d’usagers qui ne sont pas seulement des consommateurs passifs mais des acteurs réfléchis et créatifs face aux problèmes qu’ils vivent.” 4
Ainsi, comme l’a exprimé A. Vulbeau, les usagers portent en eux la vision la plus juste de leur environnement de proximité et de leurs besoins puisque c’est eux en premier lieu qui, au quotidien,
4 5
souffrent des affections d’un habitat parfois inadapté à leurs problématiques, ne répondant pas ou plus à l’usage qu’ils en font. Les commanditaires et maîtres d’œuvre ne peuvent à mon sens que porter un regard forcément biaisé (que ce soit par des logiques de rentabilité pour l’un et pour l’autre, des sujets réglementaires -qu’ils soient urbains, de sécurité, d’accessibilité, énergétiques etc.- par exemple). “ La MUS (…) est liée structurellement à deux autres niveaux : la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre ”5
La MUS et le couple MOA / MOE sont complémentaires : tandis que l’un détient l’expérience vécue, le « savoir d’usage », l’autre possède un certain recul, le pouvoir de faire, l’expertise et un savoir-faire qui, une fois combinés, vont pouvoir permettre de concrétiser le projet participatif et inclusif.
Quand et comment l’intégrer à l’équation MOA / MOE ? Si, dans les faits, les utilisateurs viennent habiter le projet, lui donner vie une fois l’œuvre achevée et qu’ils n’interviennent qu’en bout de chaîne, pour un meilleur usage et dans le but d’adapter le plus possible le projet à des besoins spécifiques, il faut pouvoir sortir du mariage formé et fermé entre la MOA et la MOE en incorporant la MUS pendant la phase d’élaboration du programme et au démarrage du projet, dès les études préalables.
VULBEAU Alain, “la maîtrise d’usage entre ingénierie participative et travail avec autrui”, Recherche sociale n°209, 2014, p.62-75 Ibid.
43
Comprendre et reconnaître
Inclure la MUS à la genèse d’un projet, c’est d’abord anticiper des incompréhensions, des frustrations pouvant mener parfois jusqu’à l’arrêt d’un projet.
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42 logements sociaux à Gagny : Pour illustrer ce cas de figure, je prendrais l’exemple d’une opération de logements menée à l’agence AUP-architectes depuis 6 mois. Le projet consiste en la construction de 42 logements sociaux dans la ville de Gagny (93). La maîtrise d’ouvrage souhaite édifier un bâtiment voisin à un ensemble d’une centaine de logements sociaux qu’elle possède dans une démarche de densification. Les logements neufs feront face aux appartements existants et de par leur implantation cela réduira notamment le nombre de stationnements à RDC dédiés aux résidents. Le bailleur -suivant la démarche inscrite dans sa charte- propose d’effectuer une réunion de présentation du projet avec le voisinage avant le dépôt de Permis de construire (PC), afin de prévenir un éventuel recours entre autres. Ainsi en cours d’APS, le chef de projet à l’agence participe à une réunion de présentation du dossier aux habitants de la parcelle voisine : l’implantation du bâtiment provoque un tollé ; le vis-à-vis et les stationnements supprimés sont les principaux arguments en défaveur du projet. Une habitante se propose même de faire signer une pétition aux autres résidents contre la mise en œuvre de l’opération et pour finir, la MOA nous demande de revoir le projet que nous présenterons à nouveau aux riverains décalant ainsi la date du dépôt de PC. Dans l’intervalle, une association de Gabiniens
attaque le plan local d’urbanisme (PLU) de la ville -à juste titre- qui est rapidement débouté. La ville se retrouve sous le règlement national d’urbanisme (RNU) à la veille des élections municipales et nous fait savoir qu’elle ne prendra pas le risque de délivrer de permis de construire contre l’avis des habitants, ce qui signifie pour la maîtrise d’ouvrage et pour l’équipe de maîtrise d’œuvre la suspension du projet pendant quelques mois a minima. Cette anecdote loin d’être isolée illustre bien l’importance de s’engager auprès des usagers en amont. Je ne peux que comprendre la clameur qui s’est élevée puisqu’ils ont été mis au pied du mur ; la réunion n’avait pas pour objet la discussion avec les habitants mais bien l’exposition d’une opération avancée et déjà ficelée. Je reste persuadée qu’avec de la pédagogie, de la diplomatie et de l’engagement envers les voisins nous aurions pu arriver à nous entendre sur un projet satisfaisant en partie leurs besoins – il y aurait évidemment eu des compromis, néanmoins je crois que l’opération aurait pu être mieux comprise et donc acceptée par les résidents. Au lieu de ça, l’opération demeure à l’heure actuelle compromise. Rénovation urbaine à Osdorp, Pays-bas : Ecouter et comprendre les usagers pour les greffer au projet, peut également permettre de prévenir des dégâts dans un bâtiment inadapté aux modes d’habiter de ses occupants. Je prends en exemple pour éclaircir ce point une opération de rénovation urbaine de grands ensembles dans le quartier d’Osdorp à Amsterdam
Comprendre et reconnaître
réalisée par une agence6 d’architectes et designers que j’ai eu l’occasion de visiter lors d’un voyage d’étude en 2016. Dans ce quartier principalement occupé par des populations issues de l’immigration, les habitants ont des cultures d’habiter -et dans le cas qui nous intéresse notamment des habitudes culinaires- différentes de celles que nous pratiquons habituellement en Europe. Ainsi, l’association d’architectes et de designers en charge de la rénovation urbaine de ce quartier s’est aperçu lors d’entretiens avec les résidents et pendant des visites de leurs logements que les pièces à vivre (cuisines et séjours) étaient dégradées à cause notamment de la manière dont ils cuisinaient. Pour l’anecdote, ces familles avec peu de moyens ont conservé la tradition de fabriquer leur pain elles-mêmes. N’ayant pas de réels fours à pain au sein de leurs appartements, les habitantes (principalement des femmes au foyer) fabriquaient donc des ersatz de four faits de bric et de broc dans leur logement pour cuire le pain au risque parfois d’incendier tout l’immeuble. L’association, installée au cœur de ce quartier dans un local vacant, s’est saisie de cette problématique aussi invisible qu’ordinaire pour en faire une réelle opportunité de projet. Mettant de côté ce qu’ils avaient imaginé faire pour améliorer le quartier, l’association s’est concentrée sur la réalisation au cœur de la cour commune d’un four-à-pain partagé permettant différents modes de cuisson pour s’adapter aux us gastronomiques de ces communautés diverses grâce à la participation volontaire des mères de familles. 6
Au-delà de solutionner le problème de sécurité et sanitaire de ces pratiques inadaptées aux constructions existantes, ce projet a également favorisé la rencontre des familles (ne parlant pas forcément la même langue) autour d’une tradition qui a également permis la création d’ateliers de cuisine autour du four partagé, soudant encore un peu plus les résidents. Dans ce cas précis, il était évidemment difficile de prendre en compte en amont les besoins et les usages d’une population qui n’était peu ou pas encore présente sur le territoire néerlandais au moment de la construction de ces logements dans les années 1970. L’idée n’est pas de dire que les logements doivent être conçus au cas par cas, s’adaptant à l’usage individuel de la personne qui y vivra peut-être seulement une dizaine d’années avant de céder sa place à une autre famille etc. Cependant, la démarche que l’association a menée est un véritable exemple à suivre de mon point de vue ; elle a d’abord fait un constat des dysfonctionnements, puis a réuni l’ensemble des familles concernées autour d’un workshop permettant de trouver une solution accordant des besoins distincts pour bâtir un lieu partagé façonné par les utilisatrices. Les architectes de l’association nous ont d’ailleurs confié à l’époque qu’ils n’avaient jamais imaginé que leur premier travail sur ce quartier porterait sur la fabrication du pain ; ils ont su faire taire leurs pensées et projets de rénovation urbaine et saisir cette opportunité unique de concevoir et construire un projet inédit que s’approprient les usagers. L’association a alors endossé le rôle de facilitateur et de metteur en œuvre d’une initiative
Malgré des recherches avancées, je ne suis malheureusement pas parvenue à retrouver le nom de cette agence néerlandaise.
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Comprendre et reconnaître
citoyenne en permettant à ces familles de prendre la parole et d’être écoutées dès le commencement de leur intervention dans ce quartier délaissé.
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Comment ? Comme nous avons pu le voir avec ces deux exemples que j’ai eu l’occasion d’observer, je crois que pour pouvoir inclure les usagers dès le début de la conception du projet d’architecture, il est nécessaire que la MOA et la MOE soit déterminés à laisser une place à l’usager en incorporant dans le temps de conception du projet, une phase de concertation. Il apparaît également nécessaire que l’architecte soit capable de mettre de côté, le temps de l’échange avec les utilisateurs, ses idées préconçues sur le site, le programme etc. afin de garder l’esprit ouvert et d’être attentif aux nouvelles opportunités de projet qui vont être à même de se créer pendant le dialogue avec la MUS. Le rôle de l’architecte pendant cette phase d’écoute et de concertation est décisif. Lui seul, par sa formation et son expérience, semble à même de pouvoir traduire les usages et les besoins des utilisateurs par la création d’espaces qui deviendront à terme des lieux de vie. C’est dans ces moments d’échange directs avec les usagers que peuvent aisément s’exprimer les qualités de l’architecte, qui, à l’aide de croquis minutes par exemple, peut rapidement illustrer les propos de la maîtrise d’usage leur permettant de s’approprier le projet naissant.
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2.2. Outils d’intégration de la M.U.S. à disposition aujourd’hui : En réponse à l’architecture rationaliste et moderniste d‘après-guerre faite de processus de standardisation ignorant de fait la singularité des contextes et des usagers, en France les décennies 1960-1970 forment le terreau de l’architecture participative marquée par un certain idéal social et en recherche de nouvelles formes d’exercice d’un pouvoir politique, économique plus engagé. C’est en partie à cette période de socialisation de l’architecture que nous devons les expériences de concertation et de participation du citoyen dans le projet architectural et urbain. L’intégration de la maîtrise d’usage prend aujourd’hui des formes diverses, s’adaptant à une situation et un contexte particulier. Il me semble difficile de les présenter exhaustivement, c’est pour cette raison que j’ai choisi de m’appuyer sur quelques cas concrets significatifs faisant ressurgir différentes méthodes d’inclusion de la M.U.S. desquelles nous pourrions nous inspirer pour les adapter aux usagers des équipements médico-sociaux formant un public singulier avec lequel il est parfois difficile de communiquer. Concertation et participation : Les Vignes Blanches à Cergy Pontoise (1979) – Architecte : Lucien Kroll 7 La ville de Cergy-Pontoise, sous l’impulsion d’un comité de quartier engagé dans la participation des habitants au projet d’architecture, a initié un concours en 1976 pour la construction de 7
maisons de ville regroupant des architectes sensibles à cette question et aptes à s’investir dans la concertation avec les futurs habitants. Ainsi, les architectes lauréats du concours menés par Lucien Kroll ont décidé de conduire ce projet avec en tête cette devise « pas d’habitants, pas de plans ». Bien décidés à inclure les habitants de cette ville-nouvelle, ils se sont engagés dans la vie du village en se présentant aux commerçants, en allant au marché le dimanche au contact de la vie de quartier afin de mieux pouvoir en faire partie, eux qui en étaient étrangers. Les réunions de concertation en présence du maire ont permis de faire apparaître les premières intentions émanant des villageois et des futurs résidents : relier l’ancien village aux quartiers récents de la ville-nouvelle. Ces problématiques avaient déjà été soulevées – de manière plus virulente par les paysans- par le passé, mais lors de ces réunions, l’ambiance propice à la discussion a permis aux résidents d’être écoutés et de se faire entendre par l’administration de la ville. Nous pouvons retenir que la concertation, souvent vue comme un évènement forcément cacophonique, où chacun n’évoquerait que ce qui lui importe personnellement, peut être un véritable moment d’échange citoyen faisant émerger des intentions de vivre ensemble comme cela été le cas pour les Vignes Blanches, pour peu que l’on parvienne à être « avec » les habitants (par opposition à être « face » à eux) au sein d’un groupe destiné à élever un projet s’accordant avec le bien commun.
KROLL Lucien, Un quartier banal - Les vignes blanches à Cergy Pontoise, les annales de la recherche urbaine n°32, 1986, p.67-77
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La méthode utilisée par les architectes pour retranscrire les besoins des usagers (existants et futurs) de la ville a été la suivante : • D’abord les réunions ont été enregistrées (certainement pour ne pas en perdre une miette) puis analysées et synthétisées par l’ethnologue Ita Gassel. La présence d’un acteur apparemment étranger à la maitrise d’œuvre est à mon sens un véritable atout pour ce genre d’initiative : en effet, le professionnel va pouvoir épauler la MOE et l’aider à mieux comprendre ce qui se dit et se joue au-delà des mots. • Puis, les architectes ont traduit cela par différents croquis, maquettes et plans de masse pour provoquer des débats avec les habitants, leur permettre de s’engager dans le projet en proposant d’y intégrer des places, de créer de nouvelles connexions, de revoir le positionnement de tel ou tel pavillon. Là, les documents n’étaient pas figés, il ne s’agissait donc pas de présenter le travail de l’architecte face à une audience (comme nous avons pu le voir précédemment avec le projet mené par ICF et AUP-Architectes à Gagny) mais bien de « faire avec » les usagers. • Ensuite, une fois le plan masse arrêté dans ses grandes lignes, chaque famille a choisi son lot ; “ Etonnant : il n’y a pas eu de conflit, chacun avait choisi un lot différent et puis se moquait de son voisin, qui avait évidemment choisi moins bien ”8 , raconte Lucien Kroll.
C’est aussi là que s’exprime la singularité de l’utilisateur; ce qui déplait à l’un devient pour l’autre une source d’appréciation et de qualité. “ Lorsque quelques personnes entrent dans une pièce, elles se situent les unes par rapport au autres d’après leur type de caractère : près de la porte pour fuir, le long des murs, près de la fenêtre, vers le centre, tournant le dos à d’autres, dans les coins, et même certains en dernier rang pour voir sans être vus… Cette façon animale de se situer crée la forme du groupe dans son espace, c’est elle qui a créé les villages, les bourgades et les villes anciennes. A partir d’un urbanisme fabriqué, elle n’a plus été pensable : nous l’avons retrouvée par hasard, en laissant se faire les choses, car elle ne s’invente pas, ne se provoque pas. ” 9 • Enfin, une fois que l’ensemble des familles est satisfait, le plan masse se fige naturellement et témoigne de la diversité des caractères et des situations qui font un quartier, une ville. Lucien Kroll pose la question de la place de l’architecte dans le processus participatif et comment il se situe. Il définit alors en guise de réponse ce qu’est pour lui participation : « Cette participation n’est pas de laisser faire n’importe quoi n’importe comment. Mais d’abord de décider, d’imposer même durement l’organique, la différence. Ensuite de proposer une forme fertile, compatible : celle-ci est déjà l’architecture. » 10
KROLL Lucien, Un quartier banal - Les vignes blanches à Cergy Pontoise, les annales de la recherche urbaine n°32, 1986, p.69 Ibid., p.69 10 Ibid., p.70 8 9
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Lucien Kroll, Plan masse en volume du projet des Vignes Blanches à Cergy-Pontoise - rmn.fr
La suite du récit expose comment quelques uns ont dessiné les plans de leur maison rêvée et puis malheureusement comment la reprise par un organisme de promotion n’ayant ni les mêmes logiques, ni les mêmes intentions a fait glisser le projet, ayant en ligne de mire la rentabilité du marché en se détachant peu à peu de la démarche sociale de l’opération provoquant ainsi le départ de certaines familles. Même si le résultat final de cette expérience
s’est légèrement éloigné de l’idée que s’en faisaient les architectes et habitants au départ, l’opération a été un franc succès et l’ensemble des 43 maisons de ville s’est vendu sur plans, les futurs propriétaires n’étaient finalement pas tous ceux qui étaient présents pendant la phase de conception mais Lucien Kroll pense que leur manière de s’approprier les lieux a posteriori fait également partie de la démarche.
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Co-production / Co-construction : Zone de l’Union - Ilôt Stephenson à Tourcoing (2010) – Architecte : Patrick Bouchain L’histoire de ce projet débute dans un quartier en friche, dévisagé par les fermetures d’usines textiles dans les années 1970. Dans l’ilôt Stephenson, voué à la démolition, les derniers résidents, s’opposant à être évincés, se mobilisent pour la sauvegarde de leurs logements et s’organisent en 2000 au sein de l’association « Rase pas mon quartier » pour la préservation du patrimoine de ce quartier. Ici, c’est bien l’initiative citoyenne qui est à l’origine d’un projet participatif de réhabilitation, et comme nous le verrons par la suite, l’architecte fera partie des acteurs requis pour faciliter la mise place et en œuvre de ce projet. En 2008, Patrick Bouchain et son collectif « Notre Atelier Commun » (fondé en 1999) qui a notamment pour mission “la recherche, la transmission et l’accompagnement de projet ”11 s’associe à la SEM Ville Renouvelée pour organiser des ateliers avec les habitants pour co-concevoir la réhabilitation de leur quartier et la rénovation d’une trentaine de maisons ouvrières. L’idée émerge rapidement d’établir un atelier au cœur du quartier comme lieu de repère et de référence dans lequel on peut venir à tout moment pour discuter, se rencontrer, échanger et débattre autour des différentes thématiques abordées par l’association de riverains. La maison du projet (installée dans un ancien atelier désaffecté) sera également le lieu de production de la conception – un peu comme une 11 12
cabane de chantier ouverte au public portant en elle toute la symbolique du projet participatif. D’autre part, souhaitant s’effacer un peu de la scène politique, Patrick Bouchain décide de détacher une jeune architecte tout juste diplômée de HMONP pour habiter le quartier, afin de se confronter directement aux problématiques et aux habitants : c’est elle qui sera responsable du projet : “en étant habitante, elle a pu devenir porte parole des habitants” 12
Comme nous avons également pu le voir avec le projet des Vignes Blanches de L. Kroll, il semble inévitable de devoir pendant un temps s’introduire dans la vie de quartier et d’y vivre si l’on souhaite réellement s’imprégner d’un contexte et comprendre la réalité vécue par les usagers. La présence au quotidien de l’architecte a permis aux habitants d’avoir, au sein du quartier, une voisine qui les comprend puisqu’elle expérimente, elle aussi, les dysfonctionnements du site et qui possède, en outre, les compétences pour les épauler à les résoudre. Cette double casquette semble redonner confiance aux riverains et l’architecte n’est ainsi plus seulement perçu comme concepteur loufoque détaché du réel ou encore comme donneur d’ordre négligeant le quotidien des habitants au profit d’une architecture arbitraire qui sont des stéréotypes entachant encore aujourd’hui notre profession et notre titre. Le processus de co-production et de co-construction a donc pris naissance à la maison du
BOUCHAIN Patrick, Notre atelier commun, 2018, p.2 {https://lapreuvepar7.fr/wp-content/uploads/2018/10/NAC-2018-web.pdf} BOUCHAIN Patrick, On est ce que l’on a, Conférénece ENSA Nancy, 18 septembre 2014, 9’
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Cyrille Weiner, Atelier de concertation autour du projet de l’ilot Stephenson à Tourcoing, mené par Notre Atelier Commun - espazium.ch
projet, au travers notamment d’une maquette évolutive réalisée par les étudiants à l’ENSA-Lille permettant de tester facilement et rapidement les idées des riverains et futurs acquéreurs et par le biais de «conversations » faisant intervenir divers acteurs de la maîtrise d’œuvre et les habitants dans une démarche de partage de savoir-vécu (par la MUS) et savoir-faire (par la MOE). Lors des « conversations» permettant de faire un état des lieux de l’îlot, ce sont parfois les sujets les plus banals qui offrent l’opportunité de s’interroger sur des problématiques essentielles comme la consommation énergétique, le réemploi de matériaux etc.
pour se comprendre et cela permet à chacun de définir un projet commun par l’appréhension des besoins et des limites du projet.
Ces évènements ont pour but de libérer la parole et de créer un vocabulaire commun à l’ensemble des acteurs. C’est effectivement un moyen indispensable
L’îlot formant un quartier défavorisé habité par des populations lésées avec des emplois précaires ou au chômage et ne pouvant pas a priori
En effet, comme l’énonçait Lucien Kroll, se lancer dans une démarche participative, ce n’est pas se dire que l’on va créer un projet sans limite : au contraire, le processus doit être bien organisé pour permettre la plus grande cohésion entre les intervenants (habitants formant la MUS, architectes formant la MOE, et représentants politiques formant la MOA) et le contexte.
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accéder à la propriété, Patrick Bouchain met en place des dispositifs permettant aux habitants d’acquérir leur logement à un prix réduit, palliant ainsi à la problématique du coût de l’acquisition : les constructions seraient réalisées grâce au réemploi de matériaux de récupération et les logements rénovés seraient livrés non-finis par les architectes. Ainsi, les futurs propriétaires aidés par les acteurs de la MOE peuvent participer au chantier de leur logement afin de terminer les travaux de finition dans le cadre de l’auto-finition (plutôt que de l’auto-construction). L’idée va bien au delà du projet d’architecture participatif et rejoint un certain idéal social que je partage avec ce collectif puisqu’elle permet aux habitants (dès lors, formés aux travaux de rénovation intérieur) de retrouver une place dans la société active. En 2010, la première maison témoin voit le jour : la Maison 106. Elle a été conçue avec les habitants suite à des diagnostics mettant en lumière les défauts acoustiques et thermiques et deviendra un lieu vitrine de l’opération. Les usages sont revus, le rez-de chaussée est entièrement dédié à l’espace de jour, la salle d’eau est ainsi remontée à l’étage et l’ensemble est doté d’une extension baignée de lumière naturelle redonnant à ces habitations modestes une surface habitable plus généreuse et un meilleur confort. Les maisons vendues aux particuliers continuent aujourd’hui d’évoluer et
de trouver leur singularité constituant un tissu urbain vivant : les citoyens résistants ont gagné la bataille de la démolition, s’engageant dans un projet aussi social qu’écologique.
Comme nous avons pu le voir au travers de ces deux exemples témoignant des bienfaits de la participation des citoyens-usagers dans le projet d’architecture, il semble certain qu’une telle démarche nécessite un cadre. Ce n’est pas parce qu’on choisit de donner, à juste titre, la parole aux usagers, qu’il faut s’exempter de l’organiser. Notre rôle, en tant qu’architecte maître d’œuvre est bien de fournir à la M.U.S. les clés pour comprendre le cadre du projet et ses limites afin qu’elle puisse à son tour dessiner le contour de ses besoins en cohérence avec les enjeux exposés par le contexte. L’architecte épaule l’usager qui n’a pas la compétence, parfois pas tout à fait les bons mots et l’aide à traduire dans un langage spatial ses désirs. Dans ce cas l’architecte « ne fait pas à la place de » mais bien « avec », il s’efface un peu, insuffle son savoir-faire et exécute pour l’habitant.
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2.3. Personnes âgées ou handicapées un public fragilisé à écouter :
Dans le cadre des utilisateurs au sein d’hébergements et équipements médico-sociaux, là où la maîtrise d’usage est constituée d’un public encore plus exclu de la société, le projet participatif n’est pas encore tout à fait monnaie courante. Cela est certainement dû à plusieurs raisons : les personnes âgées et handicapées sont repoussées aux confins de la société car elles représentent une catégorie de personne que l’on cache puisqu’elle renvoie à ce que nous, les actifs bien-portants ou valides, avons peur de devenir : dépendants et impotents, et aussi peut-être à cause de la difficulté d’entrer en communication avec ce public qui ne parle plus ou peu et dont il semble difficile de recueillir les pensées. Ce constat peut sembler âpre mais pour en témoigner je crois qu’il suffit de voir où sont positionnés les établissements d’hébergement de ce type au sein des villes : rares sont les cas où comme l’école, la bibliothèque et la mairie, on trouverait l’EHPAD et son unité Alzheimer ouvert sur le centre-ville – si de tels exemples existent, ils demeurent marginaux (cela est notamment dû à la taille de ces lieux qu’il est difficile d’intégrer dans des tissus urbains resserrés). Alors dans ce cadre, quels sont les enjeux sociaux de la participation des soignants, des personnes âgées et handicapées dans la fabrication du projet architectural ?
Deux catégories d’utilisateurs dont les enjeux distincts doivent pourtant pouvoir s’accorder :
• Les résidents : Dans le cadre qui nous intéresse pour ce mémoire, les habitants de ces foyers ou équipements médico-sociaux constituent un public soit vieillissant pour le cas des résidences séniors ou EHPAD, soit polyhandicapés pour le cas des M.A.S. (Maisons d’Accueil Spécialisées) ou encore des F.A.M. (Foyers d’Accueil Médicalisés). L’accueil de ces personnes pose dans ces deux cas une problématique majeure : comment organiser la conservation de l’autonomie le plus longtemps possible au sein d’un environnement familier, confortable et digne ? Si le nombre de résidents est en constante augmentation, le rejet pour ce type de structure semble également croissant ; autour de moi par exemple, rares sont les personnes qui envisagent de passer leur fin de vie dans un établissement de ce type et pourtant une partie de nos parents y ont été admis. Nous vivons un paradoxe dont il faut vraisemblablement s’accommoder, surtout si l’on prend en compte que la progression du nombre de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, et donc en perte d’autonomie, implique qu’elles n’auront d’autres choix que d’intégrer
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une structure afin d’être accompagnées au quotidien Ce constat ne doit pas être décourageant, au contraire, il offre une opportunité d’expérimenter de nouvelles formes d’habitat centrée sur le « bien vieillir ».
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Pour pouvoir être à même d’accompagner les usagers de ces résidences, je crois que l’ensemble des acteurs de l’acte de bâtir (MOA et MOE) doit pouvoir se mettre au niveau de ces habitants constituant une partie de la MUS pour bien en cibler les besoins – la notion de « se mettre à niveau » n’est ici pas à prendre de manière péjorative. Bien au contraire, elle exprime à mon sens le fait de balayer toute hiérarchie dans la mise en œuvre du projet afin de créer un groupe entre MUS, MOA et MOE dans lequel chaque voix pourrait être entendue également dans un rapport non hiérarchisé. Si nous faisons encore partie de la catégorie des actifs et qu’il peut parfois être difficile de réellement se mettre « à la place de … », nous avons en revanche tous un proche, un parent, même un voisin ou encore une connaissance vieillissante ou invalide pour laquelle on peut se projeter à concevoir un lieu de vie décent et agréable en continuité avec la manière qu’ont eu nos aînés d’habiter auparavant. Ainsi, de mon point de vue, l’EHPAD ou le FAM doivent avant tout être des foyers dans le sens le plus archaïque possible, nous rappelant à l’idée de la domesticité, du lieu chaleureux où l’on se retrouve pour y alimenter le feu autour duquel on se rassemble et on partage. Cette figure, apparemment naïve, porte pourtant en elle un ensemble fait de traditions et d’imaginaire qui doit participer à la conception de ces établissements. 13
La maison de retraite ou le foyer médicalisé doivent donc à mon sens être perçus comme étant la continuité d’un habitat «classique» avec un soupçon d’adaptabilité nécessaire si l’on veut anticiper la perte d’autonomie physique allant de pair avec le vieillissement du corps ou encore l’handicap. Le studio, cœur de la vie familière et privée, doit pouvoir être étudié et conçu avec toutes les qualités du logement individuel garantissant notamment l’intimité et le confort même si, par souci d’économie, l’unité de vie possède généralement une surface restreinte. Pensé avec les futurs usagers, un logement optimisé et modeste peut tout à fait fournir une réponse adaptée aux problématiques du vieillissement -par exemple, une petite unité va permettre à l’habitant de limiter ses déplacements au sein des différentes pièces de son logement et ainsi lui permettre de conserver son autonomie à l’intérieur de son logement- c’est donc un potentiel de projet intéressant à saisir. Les manières d’habiter évoluant au fil du temps avec les modes de vies ou selon les régions et leurs spécificités culturelles, chaque projet doit être une nouvelle occasion de questionner les usages : ainsi concevoir un établissement qui accueillera des personnes issues d’un milieu soit urbain soit rural, ou pour un public de la génération de nos grands-parents ou de celle de nos parents devra prendre en compte dès sa conception les spécificités émanant de ces us et coutumes. Lors de la conférence “Prendre Soin” de Jan et Pascale Richter13, une réflexion me paraît bien traduire les écueils qui résident dans la conception de ces lieux de vie. En effet Pascale Richter a énoncé
RICHTER Jan et Pascale, Prendre soin, Conférence à la Cité de l’Architecture de Paris, 20 janvier 2020.
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Nicolas Walteflauge, Espace de repos et de rencontre devant l’entrée des chambres de la maison de retraite l’Alumnat à Scherwiller, par Richter architectes et associés richterarchitectes.com Nicolas Walteflauge, Escalier principal et sa grande baie offrant une large vue sur le paysage de la maison de retraite l’Alumnat à Scherwiller, par Richter architectes et associés - richterarchitectes.com
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le fait que généralement les maisons de retraite sont faites par des personnes qui sont dans la vie active et qui recherchent le calme pour des personnes dont la situation est précisément à l’inverse. En effet, les architectes, insufflant dans leur projet une partie de leur rêves et désirs, apposent sur la vieillesse un imaginaire fait de lieux de quiétude et de repos qui seraient comme une échappatoire à notre quotidien frénétique alors que les personnes âgées qui se meuvent lentement semblent plus en recherche d’une certaine activité et se regroupent généralement au cours de la journée dans les lieux de passage, dans les halls, proches des bureaux administratifs en activité. 56
Cette observation peut donc nous interpeller sur l’importance de ces espaces d’attente d’entre-deux, à l’articulation, au cœur de la vie de ces établissements qu’il est nécessaire de penser comme des salons ouverts sur la vie, en mouvement, permettant à la personne vieillissante de participer, même de manière passive, aux activités du quotidien. C’est aussi la dimension sociale au quotidien qui va permettre à la personne âgée de rester en prise avec son environnement, éloignant de fait la dégénérescence et la dépendance. Ainsi, nous pouvons voir que les problématiques soulevées par la dépendance de ce type de public dépassent les besoins strictement pratiques liés aux notions d’invalidité pour aller vers la prise en compte de besoins plus subtiles appelant les notions de domesticité, de mode de vie et de dignité.
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• Le personnel de service et les soignants : Du côté du personnel de service et des soignants, l’autre grand corps de la MUS pour ce type d’établissement d’accueil – trop souvent écarté de l’équation-, les besoins en terme d’usage sont différents à plusieurs égards. Cet autre acteur de la MUS ne doit pas être oublié lors de l’élaboration du projet de lieu d’accueil. Ce sont eux qui font fonctionner, encadrent et accompagnent les résidents au jour le jour et qui, par leurs actions et leurs soins, garantissent aux habitants un lieu de vie sain et un environnement sécurisant leur permettant de ne pas se soucier des aspects pratiques et parfois pénibles du quotidien, à savoir par exemple la cuisine, le rangement, le ménage etc. Si certaines actualités de l’année passée concernant l’accompagnement des personnes âgées en maisons de retraite14 peuvent faire froid dans le dos, elles témoignent de la difficulté liée à ce travail qui – en dehors des conditions salariales parfois déplorables, ce qui n’est pas notre sujet ici- confère des tâches pénibles dans un temps imparti très restreint, mus par la rentabilité de ces établissements impactant directement le bien-être au travail du personnel et la dignité des résidents. Cela met en lumière la problématique qui doit, pour nous architectes, nous importer pour l’élaboration du projet avec les équipes de service et de soins : l’optimisation des espaces, la fine organisation spatiale des services entre eux permettant de gérer, en coulisse, les flux de personnes, de matériels et de denrées nécessaires au bon fonctionnement de
témoignages rapportés notamment par l’ancienne aide-soignante Hella Kherief dans son ouvrage “Le scandale des EHPAD”.
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ces foyers. Ainsi, une conception réalisée en bonne intelligence et en présence de l’ensemble de ces acteurs – et surtout actrices- de la MUS, pourrait concéder un gain de temps considérable dans leur quotidien permettant certainement de mieux réaliser leur mission première d’accompagnement des personnes fragiles. Ainsi nous avons, du côté des résidents, des besoins s’apparentant à l’ambiance du lieu de vie, auquel l’architecte doit apporter le soin d’une conception spatiale assurant à la fois le respect de l’intimité, favorisant l’autonomie et recréant les lieux propices à la vie sociale et de l’autre côté, les exigences du personnel motivant la création d’espaces pratiques et minutieusement organisés et paramétrés afin de satisfaire la mécanique complexe de ces établissements. Ces deux grandes familles d’usagers aux besoins apparemment distincts trouvent finalement un point commun : celui de donner du sens ; du sens à la vie pour les résidents et du sens au travail pour le personnel, et c’est en travaillant une approche inclusive de ces usagers que le projet d’architecture trouvera, lui aussi, sa cohérence.
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Donner un sens à la vie en foyer et de la cohérence au travail : De par mon expérience actuelle, les MOA privées à l’initiative de projets de foyers médico-sociaux avec lesquelles je travaille possèdent déjà un cahier des charges bien ficelé évoluant tous les 2 ans environ. Cette évolution du programme se fait notamment suite à des retours d’expérience sur des projets menés et audités par les gestionnaires mais aussi en fonction des contrats passés avec certains fournisseurs lorsqu’il s’agit de mises à jour en terme de matériel et de prestations. Si l’on peut donc penser que la prise en compte des usagers se fait en amont de la mise en place du projet, il semble tout de même que ce ne soient pas uniquement les intérêts des utilisateurs qui constituent ces mises à jour, mais bien aussi les intérêts économiques de la MOA. Je ne souhaite pas ici faire le procès des sociétés de promotion immobilière et de leur logique économique. Il est évident que le financement et la gestion de ces établissements privés demandent une certaine rigueur et économie, et il serait naïf de penser que ces sociétés continueraient à financer de tels projets sans se poser la question de la rentabilité ; c’est évidemment un élément à considérer dans l‘équation. La problématique que je désire soulever dans ce mémoire est alors plus celle de la standardisation des éléments de programme et ce que cette normalisation peut produire. Que les fournisseurs de mobiliers et de matériels soient les mêmes selon les opérations ne semblent pas porter atteinte à la qualité du projet et ce n’est pas là mon
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propos, ce qui en revanche me semble préjudiciable c’est bien de considérer qu’il n’y aurait qu’une réponse commune à l’ensemble des établissements construits par la même MOA sans considérer l’étendue des contextes dans lesquels ces lieux sont bâtis. Lors de la phase d’esquisse des projets, la MOA nous fournit deux types de documents afin de nous aiguiller dans la conception de ces établissements: • la fiche de programme surfacique type • le cahier des charges avec, entre autres, un synoptique d’organisation de leur établissement. Si on regarde de plus près la fiche programmatique transmise, et n’étant pas à mon coup d’essai avec cette MOA, on s’aperçoit que c’est un tableau simplement composé de ratios de surface en fonction du nombre de chambres allouées au projet. De même pour le synoptique d’organisation, c’est toujours le même schéma quels que soient la situation géographique et le milieu urbain, rurbain ou rural du projet. En addition à cela, mes interlocuteurs -responsables de projet du coté de la MOA- semblent baser leur jugement du projet que nous leur présentons quasiment uniquement sur le respect de ces surfaces, par pôle et par pièce, sans prendre en compte la spécificité du projet et des usagers qui vont l’habiter. Pour le projet que j’ai pu exposer en première partie, prenant place dans la commune de Bourg-et-Comin (02), il m’a fallu alors effectuer de nombreux rendez-vous avec les responsables de projet (issus de différents services) et m’armer d’arguments adaptés à leur langage et leurs problématiques afin de
pouvoir déroger à ces programmes standards pour correspondre avec les besoins énoncés des usagers de l’EHPAD existants voués à déménager dans le nouvel établissement. J’ai donc appris que c’est aussi- et surtoutcela le travail d’architecte ; questionner en amont les prérequis de son commanditaire afin de s’assurer de la correspondance entre le programme dicté par des personnes étrangères au projet (dans ce cas où la MOA est distincte des utilisateurs), n’ayant pas dans le viseur les mêmes exigences et les besoins de la MUS. Ainsi, cette remise en question à été l’occasion de donner du sens au projet, d’établir un dialogue, puis une relation plus sincère et plus riche avec la MOA et enfin de concevoir un projet reprenant autant que possible l’ensemble des problématiques pour créer un ensemble cohérent et satisfaisant aussi bien l’enveloppe financière que les usages. Ainsi la flexibilité qui nous a été accordée pour ce projet démontre bien l’importance de la participation de la MUS dès la conception du projet. C’est grâce à la visite que nous avons pu faire, en compagnie de la MOA, sur le site existant et en échangeant avec la directrice de l’EHPAD et par ailleurs avec les soignants ainsi que les résidents habitants dans des maisonnettes mitoyennes, nous racontant au travers de la visite, leur rapport à la vie dans cet établissement, que nous avons pu enrichir notre projet. Sans eux et sans ce moment que nous avons pu leur accorder, je pense que nous serions passés à côté du sens de ce projet car je n’avais pas conscience à l’époque de la manière dont était établie la vie dans cette résidence particulière.
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Si effectivement, le fait de construire un EHPAD neuf conforme aux réglementations en vigueur permettait déjà de régler un certain nombre de dysfonctionnements (liés à des défauts d’accessibilité notamment rendant extrêmement difficile les manœuvres et transferts pour le personnel), nous n’aurions pas pu saisir l’essentiel de l’organisation de la vie quotidienne qui s’est créée grâce à son architecture singulière faite de petites maisonnées rassemblées par groupes de 6 ou 8 autour d’un petit lieu de partage à l’échelle modeste, où se réalisent des activités en groupes restreints. 60
C’est bien ce mode de vie qui a conduit à la conception du nouvel établissement dans lequel nous avons souhaité conserver une mise en place similaire pour une meilleure continuité du projet de soin initié sur le site existant, par «maisonnées» regroupant au maximum 8 chambres (contre 14 chambres habituellement - ce chiffre prenant naissance dans la règlementation de sécurité incendie indiquant un nombre maximum de 14 chambres par unité d’intervention J12 qui est devenu une norme dans les EHPAD que nous réalisons), rassemblées autour de petits salons de vie à l’échelle domestique ponctuant les couloirs des étages, offrant une pause dans le parcours, un éclairage naturel généreux et une ouverture sur le paysage. D’autre part, nous avons également réalisé le souhait -énoncé officieusement par la directrice- de conserver des volumes avec des toitures à deux-pentes permettant de conserver l’image de la « maison traditionnelle » s’insérant dans le paysage local de ce bourg d’abord contre l’avis de la MOA qui a finit par accepter cette requête.
Ce projet simple, à l’aspect extérieur sans artifice, cache en son cœur un certain nombre d’espaces de partage soignés qui lui donne son sens et qui, nous l’espérons, conviendront à l’usage qu’en feront les résidents et le personnel. En ce sens, c’est pour moi un projet qui traduit mon engagement social en tant qu’architecte au service des gens modestes. N’ayant pour cette opération qu’un budget assez limité, nous avons choisi de mettre l’accent sur la relation entre les espaces, sur la qualité des lieux de pause plus que sur des éléments de façades allant à l’encontre de l’architecture tendrement banale et ordinaire des pavillons voisins.
CHAPÎTRE 3ÈME S’ENGAGER ET CONSTRUIRE : “ J’ai considéré que l’architecture devait se faire avant tout pour les autres. J’ai donc réfléchi sur l’adaptation de la proposition architecturale à la demande des gens. La meilleure manière de faire étant de laisser l’habitant trouver lui-même la solution.” 15
A l’instar de Yona Friedman, faire vœu de construire pour le bien commun et au service des personnes fragiles et lésées constitue mon engagement principal en tant que future architecte. A mon sens, l’architecture a une dimension intrinsèquement sociale puisqu’elle est d’abord au service des personnes. Ainsi elle façonne l’environnement impactant l’organisation des gens et les modes de vie (comme nous avons pu le voir précédemment où l’architecture morcelée et subdivisée de l’EHPAD existant de Bourg-et-Comin a permis, au delà des contraintes pratiques, de créer une organisation plus individuelle des activités et des soins). Afin de donner du sens à cet engagement, il m’apparaît nécessaire de partager notre savoir-faire et nos compétences avec le public directement impacté par les édifices que nous concevons et de le laisser prendre la main sur le projet. Parfois, lorsqu’il est impossible de laisser faire seul l’usager -que ce soit car il ne peut pas s’exprimer ou parce que la MOA ne souhaite pas l’intégrer-, c’est à nous que peut revenir la tâche de se faire porte-parole de la MUS et je suis convaincue qu’il faut se réapproprier cette mission d’assistance à l’usager si l’on souhaite donner du sens à nos œuvres et à notre titre. Ainsi, nous verrons dans 15
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cette troisième partie comment reprendre la main sur la programmation, quelles sont les démarches que nous pourrions proposer aux commanditaires pour faire participer ce type d’usager à la création architecturale et finalement comment la participation de la MUS s’intègre dans une démarche durable qui est plus que d’actualité pour notre génération d’architecte et, plus largement, de citoyen ?
FRIEDMAN Yona, l’Architecture de survie, une philosophie de la pauvreté, Editions de l’Eclat, 2003
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3.1. Se réapproprier la programmation : . Reprendre la main sur cette mission … Pour étayer mon propos, je souhaite tout d’abord m’appuyer sur l’intervention de Blandine Galiègue, architecte, ingénieur et programmiste indépendante16. Pour comprendre le métier du programmiste et afin de pouvoir se réapproprier ses missions, je propose de regarder en arrière et de faire un petit historique racontant la relation intime qui existait auparavant entre l’architecte et le programme. 64
“Les termes de programmes et programmation ont été introduits assez tardivement dans la langue française, respectivement au XVII et XIXe siècle avec le développement de la pensée rationnelle, mais l’idée et les pratiques auxquelles ces notions renvoient sont déjà perceptibles dans certaines grandes entreprises d’aménagement ou de construction engagées par les puissances politiques ou religieuses dès le Moyen-Âge pour asseoir leur pouvoir et diffuser un ensemble de valeurs, en mettant en cohérence organisation sociale et spatiales.” 17
Si le terme de « programme » n’apparaît qu’au Grand Siècle, la pratique de la programmation semble déjà naître au Moyen-Âge. A cette époque, et jusqu’au XIXème siècle, ce sont les acteurs de la maîtrise d’ouvrage (alors principalement constituée de représentants du pouvoir religieux, politique et industriel) qui définissent la commande et, par extension, le programme d’un projet avec les architectes maîtres d’œuvre.
Une des premières traces concrètes de la mise en place d’une véritable programmation et de la rédaction d’un programme précis se trouve certainement dans la Règle de Saint-Benoît détaillant l’organisation de la vie monastique, à l’origine de l’architecture d’abbayes bénédictines notamment. Le plan de ces abbayes est devenu un modèle maintes fois répété et que se sont appropriés les architectes maîtres d’œuvre de l’époque. La conception de ces édifices religieux est la traduction spatiale du mode de vie bénédictin, de sa hiérarchie et de son rapport à la nature et au travail. Ainsi se trouve dans les écrits un ensemble de prescriptions destinées à cadrer la mise en œuvre de ces lieux afin qu’ils permettent aux moines de mener leur vie quotidienne selon les règles édictées par Benoit de Nursie. L’architecture, au delà de servir la symbolique du pouvoir, contribue alors à façonner l’organisation du quotidien de ses usagers. Par la suite, certains exemples nous permettent de comprendre comment les architectes se sont réellement attribués cette mission de programmation et comment elle devient un élément quasiment indissociable de notre métier. Si l’on prend le cas de la Saline Royale d’Arc-et-Senans, c’est en quelque sorte à l’initiative de l’architecte Claude-Nicolas Ledoux qu’elle va être édifiée. Pour en venir au projet tel qu’on le connaît, Ledoux a d’abord effectué un état des lieux des salines déjà construites afin de comprendre leur fonctionnement et d’établir l’organisation permettant une rentabilité optimale de l’usine ; en établissant des constats, il
Après un cursus et de premières expériences professionnelles en architecture et ingénierie, Blandine Galiègue choisit de s’orienter vers la programmation qu’elle pratique en parallèle de son exercice d’architecte. Elle a été sélectionnée par Pascale Breda pour intervenir au sein de la formation HMONP dans le cadre du module n°2 : Commande publique et privée, début décembre 2019 17 CHOTTEAU Patrick, ZETLAOUI - LEGER Jodelle, MEUNIER François, Maîtrise d’ouvrage de l’opération d’aménagement urbain, la démarche de programmation urbaine, ann.3, décembre 2015, p. 162 16
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Lucien Bégule, L’abbaye de Fontenay et l’architecture cistercienne, Plan de l’abbaye - gallica.bnf.fr Nicolas Ledoux, Plan des Salines royales d’Arc-et-Senans - Inrap.fr
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fait alors déjà le premier travail de programmation : le diagnostic. Après quelques écueils, Ledoux voit son oeuvre refusée par le roi Louis XV, l’architecte revoit donc son projet et redéfinit son programme. Si la physionomie du projet traduit alors l’assise du pouvoir social sur les ouvriers, avec cette forme en demi-cercle, comportant en son centre la maison du directeur, permettant le contrôle des travailleurs tel le principe du panoptique et assurant ainsi une certaine rentabilité de l’entreprise, le projet de Ledoux semble alors imprégné de ses utopies. Sa vision du travail en usine transparait dans l’ensemble du projet permettant aux ouvriers de vivre quasiment en autarcie. On retrouve également ce souffle d’utopie dans le plan à la géométrie en demi-cercle parfait, faite de symétries et d’alignements.
la programmation, permettant d’offrir un cadre de définition du projet, apparaît alors.
Le temps où l’architecte semblait réellement régner en maître sur son projet, ayant en main -en plus du dessin et de la mise en œuvre- un certain pan de la programmation, s’est arrêté au XXème siècle. C’est notamment suite à l’apparition des traités de construction visant à planifier des opérations de grande envergure et à en encadrer les coûts d’une part, et de par les conséquences de l’architecture fonctionnaliste et normative de la reconstruction d’après-guerre d’autre part, que les architectes se sont vus progressivement écartés de la mission de programmation (témoignant d’une certaine défiance envers les architectes). Aux vues d’une production architecturale standardisée et à la pauvre qualité des constructions d’après-guerre semblant faire fi des considérations environnementales et sociales, la place de l’architecte au sein des processus de conception et de construction est interrogée et la nécessité de
Ainsi, on voit bien qu’avec la nécessité d’avoir un programme, qui va être fourni préalablement à la conception du projet, l’architecte est en quelque sorte déjà écarté de la programmation. Elle va être réalisée sans son concert et un cahier des charges sera remis à l’équipe de MOE lors de la commande. L’architecte suivra alors les prescriptions, la ligne énoncée par son MOA pour réaliser un projet conforme à ces dernières. Le concours pour la construction du centre Beaubourg est un des premiers grands exemples de la mise en place d’une démarche programmatique cadrée qui va définir aux architectes participant au concours : “-Le sens du centre Beaubourg dans le monde contemporain, -Ses objectifs culturels essentiels -La liste et la nature des activités qui s’y dérouleraient -Des notions fondamentales de flexibilité et de perméabilité ” 20
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“L’architecture est l’art d’organiser l’espace pour permettre le jeu des différentes fonctions sociales et assurer l’épanouissement de l’homme. Elle doit se nourrir des données, contraintes, besoins et exigences du maître d’ouvrage et des usagers pour parvenir à une conception originale. (...). Le programme, cahier des charges de l’architecte, ne se limite pas à une simple compilation d’informations en provenance de domaines aussi hétérogènes que l’environnement physique ou social, le comportement des individus, la sécurité, la technique, l’économie. Au terme d’une véritable démarche méthodologique, cette demande doit être reconnue compatible, cohérente et faisable ; un concept programmatique fort et accepté de tous doit éviter à l’architecte de s’engager dans des voies sans issues.” 19
LICHNEROVICZ André, Commission sur la réforme Architecturale, 1969 Tiré du support d’intervention de Blandine GALIEGUE, 4 décembre 2019
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La phase de programme se distingue de la conception et devient une mission dissociée autonome. Avec la loi MOP, ce principe est confirmé dans le but, toujours, d’améliorer la qualité architecturale des édifices publics. On distingue alors les rôles respectifs de la MOA et de la MOE. Au maître d’ouvrage revient la responsabilité de définir ses besoins dans un programme avant d’initier son projet. Si cette démarche permet d’« obliger » la MOA à s’impliquer dans la précision de sa commande, de fait, elle engendre la création d’un nouvel acteur spécialisé dans l’équation qui, du fait de son intervention préalable à la commande, n’entrera pas réellement en relation avec l’architecte. Une nouvelle profession – pour laquelle il n’existe pas réellement de cursus- fait son apparition ; le programmiste épaule la MOA en établissant des études préalables se composant de la manière suivante : • Une phase de diagnostic permettant d’analyser les contextes et les enjeux sociodémographiques, et enfin de définir « le projet d’usage » au travers de concertation, interviews et rencontres. • Une phase de pré-programmation qui définit plusieurs scénarii d’équipements et permet de vérifier la compatibilité entre le programme imaginé et la réalité d’une enveloppe financière. • Une phase de programme pendant laquelle le programmiste aide à la traduction et à la rédaction d’un cahier des charges qui sera fourni à l’équipe de MOE.
Cette démarche s’étend au sein du domaine public grâce à la loi MOP et trouve aussi une résonnance au sein de la MOA privée dans le cadre de projets considérés comme plus complexes à établir. Si, sur le principe, le programmiste est un acteur dont le rôle est bénéfique pour la MOA et par conséquent pour la MUS, le fait qu’il intervienne au préalable et qu’il disparaisse une fois le cahier des charges rédigé et transmis à la MOE ne permet pas d’avoir une continuité dans la mise en place du programme. La temporalité de sa mission ne permet pas, de fait, à l’architecte de questionner les postulats programmatiques et d’en discuter avec le programmiste. La relation de l’architecte avec les usages des futurs utilisateurs est distancée et il est parfois difficile, entre les lignes d’un cahier des charges souvent abrégé et fixé, de bien comprendre les enjeux et les besoins des usagers du projet à venir. Dans le cadre de commandes privées initiées par des sociétés de promotion immobilière, le caractère contractuel de la programmation, bornée à des prescriptions techniques, circonscrites (des m2, des surfaces vitrées, des synoptiques figés etc.) et financières, semble limiter le rôle et la mission de l’architecte à qui on ne demande que rarement de questionner et d’ajuster le programme. Il me semble nécessaire, en tant que future architecte, d’oser encourager nos commanditaires à nous redonner une mission d’ajustement de programme qui peut s’exprimer par différents procédés et démarches.
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… Et se faire assister d’acteurs qualifiés ? “ Il est rare de rencontrer dans un même édifice, en l’occurrence dans un établissement médico-social, un condensé de problèmes aussi variés. L’architecte en charge d’un projet d’établissement doit faire face à une très grande hétérogénéité de groupes d’usagers et satisfaire, malgré leurs caractères plus ou moins contradictoires, une très forte diversité de fonctions, qui plus est, en mutation.” 21
Dans le cadre de commande de projets d’équipements médico-sociaux ou de foyers-logements destinés à accueillir un public vieillissant ou/et handicapé, où la mission de programmation peut parfois être trop lourde à porter pour une agence d’architecture, l’architecte doit pouvoir proposer à son MOA de se faire assister par des acteurs qualifiés afin de concevoir un établissement en cohérence avec les usages que doivent pouvoir accueillir le projet. C’est à l’architecte maître d’œuvre en appliquant son devoir de conseil déontologique que revient la mission de conseiller son commanditaire en trouvant les arguments afin d’engager, au sein de l’équipe de MOE, d’autres partenaires. La constitution d’une équipe faisant la part belle à des spécialistes du secteur médico-social dans ce cas précis est évidemment une force pour le projet. Plusieurs types d’intervenants sont à notre disposition : • Les programmistes : dont la présence pendant les phases d’esquisse et d’APS permettrait de conserver une continuité avec les études qu’ils ont pu mener au préalable avec la MOA.
• Les associations : formant une partie des utilisateurs des équipements. Comme nous avons pu le voir dans la première partie de ce mémoire, lors d’un appel à projet innovant initié par l’ARS pour un FAM, nous avons eu l’occasion de travailler conjointement avec une association spécialisée dans l’accueil de personnes polyhandicapées. Ce travail de concert ayant eu lieu en amont même de la conception nous a permis de faire un diagnostic complet et éclairé sur les besoins et les enjeux spécifiques à la conception de ce type d’établissement. • Les médecins et spécialistes type kinésithérapeutes, ergonomes, gérontologues, psychologues ou psychiatres : ayant une expertise dans ces domaines spécifiques et permettant de nous familiariser avec des enjeux plus « techniques » et « pratiques » qui nous échappent et qui, pourtant, sont intimement liées à la conception spatiale de ces lieux. Ces intervenants permettront entre autres choses de nous sensibiliser sur la dimension cognitive. • Les sociologues ou ethnologues : portant un regard encore différent sur ces usagers, pouvant nous éclairer dans des domaines tels que le comportement pouvant ainsi nous permettre de sculpter des lieux propices à certains types de thérapie par exemple. • Les résidents et leurs familles, les gestionnaires et le personnel: dont les expériences au quotidien sont très précieuses pour ajuster jusqu’aux détails du projet d’architecture.
BOUDIN Bill et MECHKAT Cyrus, Quelle architecture pour une société fragrilisée par son vieillissement ? La spatialité des personnes âgées entre l’établissement médico-social et l’habitat pour tous, Gérontologie et société, 2006/4 (vol. 29 / n° 119), p. 39-73 21
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“ L’interface entre le projet social (ou médico-social, en l’occurrence) et le projet architectural requiert en effet une interaction entre partenaires – scientifiques, praticiens et usagers – et une entente trans-sectorielle, à la mesure des enjeux. ” 22
L’ensemble de ces acteurs peut permettre aux architectes d’envisager des opportunités de projet inédites et d’interroger la maîtrise d’ouvrage sur des nouvelles problématiques ; que ce soit sur des questions de gestion, de flux et d’organisation au travers du point de vue des associations gestionnaires et du personnel de service et soignant, ou encore concernant l’ambiance visuelle, tactile, olfactive et auditive (essentielle dans ce type d’établissement accueillant des personnes sensibles à la perception de leur environnement qui peut, par exemple, affecter leur manière de vivre, au quotidien, le handicap, la maladie et le vieillissement). Enfin, avec l’aide de spécialistes des questions précises liées au handicap ou à la vieillesse, c’est directement le lieu qui va se modeler pour pouvoir permettre aux résidents de mieux se mouvoir dans des espaces adaptés en leur conférant une meilleure autonomie dans leurs déplacements par exemple. Je souhaite, dans ma future pratique, ouvrir le champ de la maîtrise d’œuvre à d’autres protagonistes -sortant des sentiers battus du versant techniques de l’équipe de MOE classique composée, au-delà des architectes, d’ingénieurs spécialisés, économistes ou paysagistes- dont les connaissances permettront de mener des projets expérimentaux interrogeant en permanence les simples prescriptions reçues lors de la commande. BOUDIN Bill et MECHKAT Cyrus, Quelle architecture pour une société fragrilisée par son vieillissement ? La spatialité des personnes âgées entre l’établissement médico-social et l’habitat pour tous, Gérontologie et société, 2006/4 (vol. 29 / n° 119), p. 39-73 22
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3.2. Mettre en place une démarche d’intégration de la MUS à proposer au MOA :
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S’inspirer des outils à disposition et les adapter à ce type de public : Comme nous avons pu le voir dans la seconde partie de ce mémoire, une grande diversité d’outils de concertation et de participation -plus communément utilisés dans le cadre de projets urbains ou de logements- sont d’ores et déjà à notre disposition. À nous, alors, de nous en saisir et d’en faire profiter un plus large public en les adaptant à ce type d’usagers. Pour ce faire, je crois qu’il faut déjà apprivoiser les utilisateurs – leurs modes de vie, leurs habitudes, leurs capacités physiques et mentales-, faire un travail de recherche auprès de professionnels de ce secteur pour réellement appréhender les enjeux des usagers concernés afin de se mettre à niveau et de bien comprendre que nous fabriquons, avec nos projets d’architecture, des lieux de vie et non simplement des établissements de séjours dans lesquels le public ne serait que de passage. Comprendre cela doit pouvoir nous amener à porter autant de soin à l’unité de vie des établissements médico-sociaux qu’aux logements que nous concevons et pour lesquels les démarches de prise en compte des usagers existent depuis plusieurs décennies. Si, effectivement, les personnes âgées ou en situation de handicap n’ont peut-être pas les mêmes facilités à s’exprimer et à définir précisément leurs besoins, alors le travail consistera dans un premier temps à réviser et adapter les procédures de
concertation que nous connaissons. Si je prends les exemples de Lucien Kroll et ses Vignes Blanches et de Patrick Bouchain à Tourcoing développés en seconde partie, nous pourrions alors envisager plusieurs scénarii à mettre en place pour faire le projet avec ces usagers en s’inspirant de leurs travaux : • Regarder : Comme ces architectes et bien d’autres avec eux, nous pourrions imaginer de nous installer quelques temps dans des EHPAD ou des FAM afin d’observer la vie au quotidien des habitants, des travailleurs et de faire un diagnostic au travers de notre regard d’architecte des lieux qui fonctionnent, autour desquels les personnes se retrouvent par exemple et, à l’opposé, d’établir les dysfonctionnements, les espaces délaissés ou non-adaptés aux utilisateurs. Si aujourd’hui, tout semble tourner autour de la rentabilité et que l’idée de détacher un architecte à l’observation peut paraître infructueux pour l’entreprise, je crois que cela pourrait tout de même fonctionner. L’idée n’est pas forcément de dire qu’il faut vivre par exemple pendant un mois entier dans un lieu pour le comprendre et être à même de le concevoir. Ainsi, sans tomber dans l’extrême, je crois que le fait déjà de passer quelques heures dans un établissement à différents moments de la journée et de la semaine en réalisant des visites commentées par le personnel ou par les résidents pourraient déjà permettre d’affûter notre regard et ainsi enrichir la conception de ces lieux.
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• Ecouter : Au travers de visites -que nous ne prenons plus forcément le temps de faire dans mon agence d’accueil-, il s’agit alors de rentrer en communication. Au-delà du regard que nous portons sur un lieu, il me semble nécessaire de prendre le temps d’échanger avec les usagers. Cela peut parfois être un peu laborieux avec un public handicapé mais avec l’aide du personnel soignant qui peut nous assister et ainsi traduire ce qui est dit, nous avons beaucoup à apprendre des difficultés du quotidien qui parfois pourraient être facilement résolues pour peu que l’on prenne le temps de s’y attarder. • Faire avec : Comme cela est le cas dans certains processus de participation, des ateliers de conception seraient à mettre en place dans ces établissements. Ils portent en eux deux grands avantages à mon sens : o En premier lieu, les ateliers permettent évidemment de produire du contenu concret qui pourra servir à la conception architecturale en permettant aux usagers parfois mutiques de s’exprimer par d’autres voies que celle du langage. o En second lieu, c’est une activité qui peut aisément s’inscrire dans un projet de soins, permettant aux résidents de s’échapper un peu d’un quotidien monotone et de les faire participer à quelque chose qui a du sens et qui les concerne directement. La participation est aussi un outil social dans ce sens, puisqu’il permet de réintégrer un public écarté en lui redonnant la parole et donc une place dans la société. Ces ateliers pourraient prendre des formes diverses, du débat plus ou moins formel aux travaux manuels, en passant par des expériences concrètes
pendant lesquelles nous pourrions nous mettre dans la peau de résidents afin de voir avec eux comment le handicap, ou même plus simplement les douleurs du corps vieillissant voire les troubles cognitifs entravent le quotidien et comment notre dessin pourrait peut-être, dans un certaine mesure, l’améliorer. Enfin, tout comme a pu le faire Patrick Bouchain, pourquoi ne pas inviter les usagers à une visite de chantier de leur futur établissement ? Nous pourrions également leur permettre de participer aux choix du mobilier, de matériaux parmi des sélections conformes aux cahiers des charges si cela est le souhait de la MOA et aux réglementations afin de réellement les inclure dans la fabrique de leur lieu de vie. Enfin, nous pourrions imaginer inclure une partie de la MUS en tant que membre d’un jury de concours le cas échéant. Ainsi, les aidants (parents proches), soignants ou membres du personnel logistique seraient amenés à pouvoir donner leur avis sur les projets présentés en fonction du programme qu’eux-mêmes auraient aidé à établir. Etre jugé par des personnes totalement extérieures au domaine de l’architecture permet aussi de requestionner l’approche du projet, d’adapter les documents à présenter et son discours. Cela peut permettre de tendre vers un projet qui parle plus des usages et vend moins des «images» (à l’inverse de nombreux concours marqués par des perspectives de synthèse parfois fantasmagoriques des projets présentés). Les idées, piochées dans des expériences passées de co-conception, sont nombreuses et riches et, de mon point de vue, tout à fait adaptables peu
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importe le type d’usager dès lors que l’on souhaite s’engager dans la mise en place d’un projet commun appartenant aussi à ses utilisateurs. Néanmoins, si l’on souhaite s’investir auprès des usagers afin, toujours, d’améliorer la qualité architecturale de nos villes et de nos paysages, il est nécessaire de comprendre qu’il faut réintroduire un temps d’observation, de constat et d’échange dans l’élaboration du projet. Un temps parfois effectivement assez long, qui me semble trop souvent être repoussé au second plan (dû aux échéances toujours plus écourtées faisant écho au rythme effréné auquel vit la société actuelle) qui va de pair avec une certaine idée de décroissance ; «faire peut-être plus lentement pour faire mieux» avec en tête l’idée qu’une architecture pensée par et avec ses usagers est plus susceptible de traverser le temps. Faire valoir ces missions de concertation auprès de la MOA : Pour un architecte ou une agence, il est indéniable que le temps à consacrer à ce type de démarche doit pouvoir être valorisé par la maîtrise d’ouvrage. En effet, comme nous avons pu l’observer précédemment, dès lors qu’un processus de concertation est mis en place, la temporalité du projet est automatiquement affectée et cette démarche doit faire partie d’une mission à part entière confiée par la MOA. Si le sujet est toujours un peu épineux, c’est en partie la rémunération qui sera le gage d’investissement de l’équipe de MOE dans ce processus faisant intervenir des visites, des réunions ou des ateliers qu’il faudra ensuite résumer et synthétiser dans le projet d’architecture.
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Une des solutions qui pourrait être apportée pour trouver un terrain d’entente avec la MOA quant à la rémunération de cette mission de service dont le résultat n’est pas forcément garanti et l’avancement parfois difficilement palpable, pourrait être de détailler la mission et de présenter à la MOA différentes «formules» de concertation avec les usagers – plus ou moins engagées- selon les attendus de la MOA. “ Pour l’instant nous n’avons pas encore défini le mode de rémunération (…) c’est une discussion en cours. C’est un moment assez compliqué parce qu’il s’agit du moment où tu transformes la démarche en prestation de service (offre). C’est difficile d’évaluer ces interventions. On aimerait bien proposer ces missions sous forme de « menu de prestation ». Une sorte de plaquette qui permettrait de communiquer sur nos interventions passées. Et ce « menu » serait composé de plusieurs services différents en fonction du niveau d’implication des usagers que le MOA souhaite mettre en oeuvre. Ça pourrait aller de la balade urbaine, lecture paysagère, aux entretiens puis aux ateliers.” 23
Un découpage de la mission, comme cela est imaginé par Macquentin Kun, permettrait indéniablement à la MOA d’y voir plus clair et d’offrir à l’architecte MOE une compensation plus juste au regard de l’implication des architectes et du temps passé. Dans ce sens et comme nous avons pu le voir avec l’intervention de Claire Hamann – architecte DPLG et urbaniste OPQU24-, il est essentiel pour cadrer la concertation de bien estimer les ressources (humaines et matérielles) nécessaires à sa bonne réalisation.
Propos receuillis lors d’un entretien avec MacQuentin KUN, A.D.E. salarié à l’agence INSITU à Nancy, 14 Mars 2020. Intervention dans le cadre du module 04 de la formation HMONP : Agence durable, compétences et perspectives, début mars 2020
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Ainsi, il faut pouvoir déterminer au préalable et présenter à son MOA : •Le type d’intervention : Visites, entretiens individuels, réunions collégiales ou encore ateliers •Le nombre d’interventions et le temps de présence sur place et avec les usagers •Le temps de préparation et de restitution des interventions -selon leur type•Les moyens humains nécessaires : nombre d’intervenants (MOE) présents selon le nombre de participants (MUS) •Les moyens matériels utilisés pendant les interventions et à la restitution (fournitures maquettes, panneaux, etc.) Le fait d’estimer les besoins de la démarche de concertation va permettre à l’équipe de MOE d’être en capacité de pouvoir demander à son MOA une rémunération juste au regard des moyens mis en œuvre, listés de manière compréhensible. De cette manière, on transforme une mission de prestation intellectuelle pouvant sembler assez floue et indéfinie en une prestation de services, beaucoup plus détaillée et concrète pour le commanditaire. Présenter sa démarche de co-conception de la manière la plus intelligible possible à son MOA est aussi une manière de le sensibiliser sur les avantages d’une co-conception avec les usagers que le commanditaire peut retenir et ce, à plusieurs échelons :
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“ Niveau programme, ça peut permettre de rendre plus concrets des besoins plutôt qu’un tableau effectué par un programmiste qui n’a surement pas rencontré les usagers. Parfois, ça permet de se rendre compte qu’en fait les utilisateurs n’ont pas besoin de tant d’espace dans une pièce et qu’ils préfèreraient plutôt agrandir une autre. Ca équilibre le programme selon les besoins. Niveau planning, il faut voir ça sur le long terme. Prendre en compte dès la conception les besoins des usagers, ça allonge la durée de la phase de conception. Mais ça évite qu’en phase chantier, il y ait des modifications de dernière minute. C’est une sécurité en plus dans la satisfaction. Du coup, ça a un impact sur le budget. Tu proposes des services qui sont plus chers, mais qui sont moindres en cas de modification en phase chantier. Niveau qualité architecturale, je pense que tu y gagnes car tu apportes une réponse plus adaptée. Evidemment, il ne faut pas oublier que tu restes le sachant et que tout avis n’est pas forcément bon à prendre. Parfois il y a des choses que tu ne peux pas prendre en compte, mais au moins, l’utilisateur sait que tu l’as écouté, qu’il a donné son avis. Et c’est plus facile d’expliquer et de faire accepter pourquoi tu n’as pas fait tel ou tel choix quand tu as préalablement demandé l’avis à l’usager. Niveau pérennité, comme j’ai déjà dit, ça permet d’éviter de faire des reprises après la livraison. La CCU (note : Conception Centrée Utilisateurs) permet de pouvoir anticiper l’évolution des usagers dans le bâtiment et donc de prévoir un certain degré de modularité des locaux, sachant qu’on sait par expérience que le tout modulable, ce n’est pas viable.” 25
Propos receuillis lors d’un entretien avec MacQuentin KUN, A.D.E. salarié à l’agence INSITU à Nancy, 14 Mars 2020.
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Ces différents points sont autant d’arguments à soumettre au MOA qui, ainsi, pourra y voir son propre intérêt – lorsque le meilleur confort des usagers et un projet plus adapté à leurs besoins ne semblent pas être des raisons suffisantes, ce qui est parfois le cas-. En effet, une meilleure prise en compte des futurs utilisateurs permet aussi d’éviter –comme nous avons pu le voir avec les cas d’études cités en première partie de ce mémoire- des retards de plannings dûs à des changements provenant des usagers lors des phases d’études avancées ou de chantier, impactant le coût des travaux et mettant, potentiellement à terme, en péril la pérennité de l’ouvrage, qui, s’il est mal utilisé, maintenu et entretenu aura, par exemple, tendance à se dégrader bien plus rapidement qu’un bâtiment que les usagers s’approprient pleinement.
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3.3 La CCU (Conception Centrée Utilisateurs) comme démarche sociale et durable:
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Moins d’image, plus d’usages – Renouer avec ce qui constitue l’essence de l’habiter:
“ (…) Plus une situation de handicap (physique comme psychique) est grave, plus le rôle joué par l’aménagement architectural devient déterminant. Il y a lieu ici d’affirmer que les dispositions architecturales proposées peuvent prévenir, mitiger ou compenser une déficience potentielle ou attendue, passagère ou croissante, comme elles peuvent soulager la déficience si celle-ci est devenue permanente. L’accompagnement architectural vient s’insérer dans l’instrumentation thérapeutique physique et psychique, dans une perspective d’amélioration de la qualité de vie du soigné, du proche aidant, des conditions de travail du soignant. ” 26
Nouer une relation avec les usagers, prendre en compte leurs avis et besoins, c’est aussi s’engager dans la dimension sociale que confère notre titre. L’architecture possède un rôle qui est, par nature, déterminant dans la vie des habitants des lieux que nous fabriquons, et c’est aussi elle qui, alliée à une démarche de soins cohérente, va pouvoir pallier aux problématiques liées au vieillissement et au handicap, telles que les défauts d’intimité et d’appropriation des lieux, l’entrave à la mobilité, ou encore l’isolement dû à la coupure avec le monde extérieur par exemple. “ Dans cette perspective, l’architecte tendra à faciliter la négociation par toute personne en situation de handicap d’une relation encore significative avec son environnement. A cette fin, il appartient à l’architecte d’anticiper l’aménagement des espaces pour permettre
à chacun, selon ses capacités, l’accomplissement de soi dans ses gestes quotidiens (se laver, se mouvoir, s’habiller, se nourrir, dormir…), comme dans ses activités créatrices ou récréatives (lire, communiquer, se promener…), ainsi que de recevoir, quand besoin est, l’aide et les soins demandés par son état.” 27 Ainsi, nous devons nous poser à nouveau la question de ce qui constitue l’essence de la notion d’habiter pour faire de ces équipements médico-sociaux de véritables lieux de vie, dans lesquels les résidents redeviennent des habitants. Comment permettre le dialogue entre l’équipement (ou le foyer) et la ville ? Quel traitement pour les seuils permettant le passage de l’espace public à la sphère privée ? Comment redonner aux usagers l’intimité et la dignité auxquelles ils ont droit et qui, trop souvent, ne sont pas respectées, et ce, dès la conception de ces structures d’accueil ? Toutes ces questions interrogent la responsabilité sociale de l’architecte. L’architecte, en tant qu’acteur oeuvrant pour le public et le bien commun, se doit d’être vigilant en concevant des espaces ne participant pas à accroître la vulnérabilité de ces utilisateurs fragiles et des lieux permettant la préservation de l’intimité de chacun : c’est aussi cela, le devoir de l’architecte.
C’est, de mon point de vue, grâce à notre analyse des espaces, à l’écoute des usagers et à notre savoir-faire que nous parviendrons à recréer un environnement recomposant les strates plus publiques
BOUDIN Bill et MECHKAT Cyrus, Quelle architecture pour une société fragrilisée par son vieillissement ? La spatialité des personnes âgées entre l’établissement médico-social et l’habitat pour tous, Gérontologie et société, 2006/4 (vol. 29 / n° 119), p. 39-73 27 Ibid. 26
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Observer, transcrire et adapter les seuils présents dans la ville au sein des établissements médico-sociaux
PRIVE / INTIME SEMI-PRIVE / CONVIVIAL PUBLIC / SOCIAL
Rue PUBLIC / SOCIAL
Jardin
Logement
SEMI-PRIVE / CONVIVIAL
PRIVE / INTIME
SdE Chambre Espaces communs
Circ. SdE Chambre
jusqu’aux sphères les plus confidentielles au sein d’un lieu d’accueil parfois confiné et sécurisé. La juste conception des seuils permettant de passer du social au convivial jusqu’à l’intime va permettre de conférer à ces équipements une dimension domestique permettant aux usagers de s’approprier les lieux, de pouvoir y naviguer de manière plus autonome, ceci permettant de ralentir, d’autre part, la dégénérescence des capacités physiques, psychiques et cognitives et plus généralement la dégradation de l’état de santé des occupants. On voit bien ici que l’engagement de l’architecte, ses décisions, ses méthodes de conception peuvent avoir un réel impact sur la société qu’il est nécessaire de s’approprier lors du port du titre. Être architecte ce n’est pas uniquement concevoir et réaliser une œuvre, mais bien construire pour le bien commun et façonner d’une certaine manière, les manières d’habiter des usagers.
Adapter le projet aux usagers tout en permettant la mutabilité de l’ouvrage : Au-delà de la dimension sociale abordée dans un premier temps, c’est la dimension durable que revêt la conception centrée sur les utilisateurs que je souhaite succinctement évoquer pour la fin de ce mémoire. Dans le domaine de l’architecture, la dimension environnementale peut revêtir bien des apparences. Les processus durables sont multiples et touchent divers secteurs plus ou moins techniques tels que les problématiques thermiques, de provenance des matériaux ou encore d’empreinte carbone par exemple. Ces enjeux vont, à mon sens, de pair avec la notion de pérennité d’un ouvrage dont les usages sont adaptés aux utilisateurs et anticipent une certaine évolution de leur mode de vie. En cela, la prise en compte des usagers en amont du projet peut être un processus considéré comme engagé dans une démarche environnementale et cela doit pouvoir être un argument à offrir aux MOA souhaitant s’engager dans une politique plus « verte ». En ce sens, prendre le temps d’organiser une conception ouverte à ses futurs utilisateurs permet de lutter contre une certaine obsolescence programmée de l’ouvrage. Afin de s’inscrire dans une démarche durable en assurant une certaine pérennité du bâtiment, il est alors essentiel de se projeter dans sa muabilité, soumise à l’évolution constante des habitudes, des modes de vies des générations qui viendront habiter ces lieux a posteriori.
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Il est ainsi aisé d’envisager que les coutumes des personnes âgées qui résident actuellement en établissement (nées un peu avant la Seconde Guerre mondiale) sont extrêmement différentes de celles de la génération à venir (plus connus récemment sous le fameux nom de « Boomer ») qui ont grandi pendant les Trente-Glorieuses, ont suivi les avancées technologiques et vivent avec internet au quotidien – ce que ne font pas mes grands-parents par exemple-. C’est parfois un sujet aussi simple que celui-là qui est à prendre en compte dans l’élaboration d’un projet si l’on souhaite qu’il soit durable. Au sujet de l’accès à internet et des pratiques liés à cet outil, on pourrait, par exemple, alors se poser la question de l’utilité de multiplier les grandes salles communes dans les EHPAD ou foyers d’hébergement actuels, par exemple, lorsqu’on observe le peu de temps passé à les utiliser aujourd’hui et lorsqu’on envisage les futurs usagers à venir dont les habitudes sont peut-être plus individuelles. On pourrait alors redonner ces surfaces, qui ont un coût certain, à l’unité de vie plus intime des habitants leur permettant d’avoir des logements plus spacieux, dans lesquels on pourrait distinguer des espaces de séjour et de repas (pour les petits-déjeuners et collations pris en chambre), du coin nuit plus confidentiel. Si ceci est un exemple pris au pied levé, il nous permet rapidement de comprendre les enjeux que pose la conception centrée utilisateurs qui doit pouvoir aussi aller au-delà des besoins présents et anticiper ceux à venir pour pouvoir être pérenne. Il s’agit alors de trouver un juste milieu dans l’effort de conception en créant un lieu à la fois «sur-mesure» 28
Ibid.
; adapté aux problématiques posées par un public particulier et répondant à des besoins spécifiques, sans produire un « bâtiment unique » qui n’aurait de raison d’exister que dans une situation particulière et pour une génération d’usagers trop circonscrite, et dont on ne saurait que faire lorsque les utilisateurs viennent à évoluer. Pour éviter ce genre d’écueil, qui mène inexorablement à la dégradation d’un établissement, à son abandon voire à sa destruction, c’est à l’architecte de trouver les solutions constructives qui vont permettre au bâtiment d’acquérir une certaine souplesse afin de pouvoir muter pour s’adapter à de nouvelles pratiques. “ La mise en œuvre de dispositions architecturales flexibles (structures, enveloppe et ouvertures, partitions, équipements et réseaux) libère une large aptitude des bâtiments aux transformations et assure leur adaptabilité aux variations de fonctions comme à l’évolution de la demande sous la pression du rapide vieillissement de la population, des changements de modes de vie, ainsi que de l’évolution des soins et des savoirs scientifiques. ” 28
Sans faire pour autant du « 100% modulaire », ni du «tout flexible» ou encore de «la structure capable» (sorte de coque vacante attendant d’être remplie librement par les utilisateurs) ce qui ne semble pas être une réponse adaptée aux équipements dont il est question ici, on peut, par l’anticipation et la concertation avec les acteurs de la MUS et avec l’équipe de MOE constituée d’intervenants ayant
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une certaine aptitude prospective, fabriquer des lieux dont certains espaces préalablement repérés seraient ajustables ou réversibles à moindre coût, ou plus simplement construire en ayant à l’esprit de choisir un type de structure favorisant la muabilité du lieu. Ainsi, dans ce sens, on peut imaginer proposer au MOA des variantes dans le plan, permettant de démontrer le caractère évolutif de certains espaces. « En voulant bien faire pour l’immédiat, on grève à moyen terme l’adaptabilité du cadre bâti à l’évolution des besoins, exactement comme on l’a fait il y a trente ou quarante ans en concevant des bâtiments devenus aujourd’hui inadaptables, alors que le phénomène de vieillissement de la population était connu. Pour espérer absorber les changements en cours, et face aux inconnues du programme, les architectes devront conférer à leurs bâtiments, dans l’immédiat ou pour le court terme, la souplesse nécessaire au développement d’éléments variables et, à moyen terme, l’adaptabilité nécessaire de leur bâtiment à l’évolution socio-culturelle, économique et thérapeutique en cours. À ce propos il est utile de rappeler ici que la souplesse d’utilisation d’un bâtiment et son adaptation à l’évolution des besoins s’obtiennent grâce à un léger surdimensionnement de ses surfaces et à une structure porteuse sur poteaux. ” 29
À mon sens, la conception d’établissements d’hébergement et de soins adaptés aux besoins des usagers et portant en eux la capacité à évoluer pour acquérir une certaine pérennité, nécessite la mise à l’écart de l’ego si souvent stéréotypé de l’architecte. En somme, une architecture faite pour et avec les usagers, dans une démarche durable peut n’être qu’une architecture tendrement ordinaire, de bon sens, aux traits modestes, à la structure simple et à la matérialité 29
Ibid.
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pérenne. C’est vers cette architecture faite de tradition, de banalité et qui pourtant semble intemporelle que je souhaite tendre car je suis intimement persuadée que c’est ce genre d’édifices qui demeurent quand les autres, parfois plus tape-à-l’oeil et complexes, ne résistent pas à l’épreuve du temps.
CONCLUSION Le devoir social de l’architecte :
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Au travers de ce mémoire, j’ai d’abord évoqué certaines situations vécues ou observées qui m’ont amenée à me questionner sur les notions de participation et de co-conception avec une catégorie particulière d’usagers ; les résidents d’EHPAD, de foyer d’accueil et d’hébergement pour polyhandicapés. Ces personnes constituent un public fragile peu écouté et écarté de la société civile, comme caché, reclus dans des établissements souvent situés en dehors des centre-ville et des lieux d’activités. Cette population vulnérable avec laquelle il est parfois difficile d’entrer en relation et en communication, à cause de troubles physiques, psychiques voire cognitifs, est finalement rarement incluse dans le processus de conception et de réalisation de leur lieu de vie. Il en va de même pour le personnel soignant ou de service dont la mission principale est de soigner et de s’occuper de ces habitants dans un cadre à la fois fonctionnel et digne, respectant la sécurité et l’intimité des résidents.
“ Le terme de destination (…) désigne ainsi une utilisation envisagée, qui fait souvent l’objet de prescriptions règlementaires et débouche sur une normalisation de l’espace architectural. (…) Le concept de fonction assume parfaitement le sens de cette rationalité : la métaphore mécanique ou biologique traduit bien le fonctionnement ou le « métabolisme » de l’architecture : machine composée de pièces ayant chacun sa place (…) composé d’organe ayant chacun son rôle. (…) L’usage encore plus que l’utilisation, suppose (…) un acteur non pas l’individu passif auquel on destine l’espace, ni l’élément humain auquel l’édifice ou le lieu désigne un fonction, mais un producteur d’actes répétés et complexes qui mettent l’espace dans une situation d’accord ou de conflit avec celui qui le pratique. L’usage suggère le terme de l’usure, mais il appelle d’autre significations », en particulier celle qui, par le pluriel désigne des pratiques sanctionnées par le temps et la conformité sociale : les usages (…) pour parler des conventions et des pratiques sociales devenue « coutumes » d’une société. “ 30
Dans ce cadre, la question de l’usage du bâtiment à concevoir me semble primordiale, dépassant les notions de destination et de fonction qui lui sont souvent assimilées et c’est pour cette raison que j’ai souhaité explorer cette problématique à l’occasion de cette ultime étape de la formation d’Habilitation à exercer la Maîtrise d’Oeuvre en son Nom Propre.
Pour comprendre comment mettre en œuvre des démarches de participation des utilisateurs, j’ai choisi de m’appuyer sur des exemples concrets de concertation et de co-conception assez répandus dans les domaines du logement et de l’urbanisme. Ces cas d’étude nous permettent alors de questionner les démarches, d’en appréhender les avantages et les limites et de comprendre le cadre à mettre en place
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PINSON Daniel, Usage et architecture, Editions L’Harmattan, 1993, p.88
pour mener à bien cette mission. En effet, pour qu’il soit fructueux, ce processus nécessite une fine organisation au préalable et une adaptation des méthodes au public, à la maîtrise d’ouvrage, au contexte en somme, pour réellement permettre à l’équipe de maîtrise d’œuvre de faire le projet « avec » les usagers, par opposition à leur « faire face » en leur présentant des projets déjà ficelés pour tout ou partie. En ce sens, cette dimension inclusive prend le relais de la programmation -que j’ai pu présenter au troisième chapitre- qui constitue une mission que l’architecte doit pouvoir interroger et se réapproprier. L’objectif de ces démarches de travail avec les usagers est avant tout de donner les moyens à l’équipe de maîtrise d’œuvre -dirigée par l’architectede construire des « lieux de vie » à proprement parler, dépassant alors le concept « d’établissement d’accueil ». Nommer différemment ces institutions, leur donner le nom d’habitation, de foyer, c’est déjà insuffler l’essence de leur usage principal : «l’habitat», car il est nécessaire de comprendre que ces bâtiments ne constituent pas uniquement des lieux de passage pour les résidents qui y habitent. Si, au regard de la maîtrise d’ouvrage et des gestionnaires, ces établissement voient passer entre leurs murs une multitude de résidents se succédant les uns aux autres, bien souvent, pour les habitants, ils constituent une ultime résidence qu’ils doivent pouvoir s’approprier et dont les caractéristiques doivent pouvoir répondre à leurs modes de vie et leurs conditions physiques et mentales.
Pour répondre à ce dernier point, l’architecte doit pouvoir reconnaître avec humilité qu’il ne possède pas les connaissances spécifiques aux problématiques de la vieillesse, du handicap et permettant d’entrevoir l’ensemble des enjeux posés par les troubles physiques et cognitifs accompagnant ces états. Ainsi, et c’est ce que j’ai souhaité évoquer à la fin de cet écrit, l’architecte doit pouvoir faire intervenir des spécialistes pour constituer une réponse la plus complète possible aux défis posés par la construction de ce type d’habitat. C’est aussi cela que j’ai souhaité aborder au travers de ce mémoire : le devoir social de l’architecte, une question dont on a peu fait état pendant la formation mais qui me semble tout aussi importante et légitime que les questions de responsabilités juridiques, de préoccupations économiques, de devoirs moraux envers nos confrères, de devoirs de conseil envers nos maîtres d’ouvrage et qui, de surcroît, à mon sens va de pair avec la dimension environnementale dont nous devons également nous saisir. Ce mémoire, qui pourrait paraître assez idéaliste, traduit en fait mon engagement profond, mes convictions forcément liées à une histoire singulière, des expériences vécues remarquables, des rencontres particulières qui participent à forger mon regard sur l’exercice de la profession. Ainsi, je souhaite m’engager à traduire cette sollicitude pour l’humain qui me caractérise, cette envie de créer du lien social et d’insuffler cet idéal prometteur dans notre art.
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Conclusion
Perspectives :
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J’arrive à l’aboutissement de la formation d’Habilitation à exercer la Maîtrise d’Oeuvre en son Nom Propre, et c’est l’occasion de formuler un bilan sur cette année professionnelle particulière. En effet, la formation a été un réel tremplin dans le rôle que j’occupe dans mon agence d’accueil puisqu’elle m’a permis de m’engager plus intensément dans mon travail, de mieux comprendre les rouages du métier me permettant de prendre plus d’autonomie, de m’affirmer toujours plus au quotidien. Je sens qu’à l’issue de cette année, j’ai accumulé les connaissances et ai pris l’expérience suffisante qui me permettrait de porter le titre d’architecte maître d’œuvre et d’assumer les responsabilités qui lui incombent. Certes, mon expérience du métier d’architecte est encore mince et je suis pleinement consciente qu’il me reste encore beaucoup à apprendre au gré des situations que je serai amenée à rencontrer dans le cadre de l’exercice de notre discipline complète et complexe. Le devoir de formation continue convoqué par le titre d’architecte inscrit à l’Ordre semble aller dans le sens d’un apprentissage perpétuel de notre profession changeante, suivant les évolutions technologiques, politiques, environnementales et plus largement sociétales et cette dimension me permettra en outre de continuer à acquérir les aptitudes nécessaires à une pratique toujours plus riche. Si, à l’heure actuelle, je n’ai pas dans l’idée de fonder immédiatement ma propre agence,
Conclusion
l’obtention de la HMONP permettrait de m’ouvrir toutes les portes et m’offrirait une liberté dans le choix de l’exercice de la profession, qu’il soit en indépendant ou en collectif, dans un futur proche ou à long terme, à Paris ou en région. Au terme de cette formation, je me suis décidée à continuer d’exercer en tant que salariée au sein de l’agence AUP-Architectes car j’apprécie la structure de cette entreprise dans laquelle j’évolue au sein d’une équipe soudée, bienveillante et toujours en quête d’amélioration. Les projets que nous réalisons sont en adéquation avec mes préoccupations sociales et je souhaite continuer à m’imprégner du travail que nous réalisons ensemble avant de me lancer dans «le grand bain». Cependant, j’aime l’idée d’envisager une association à moyen terme au sein de cette agence si ce souhait est partagé par les gérants actuels et je n’imagine pas m’associer sans porter le titre d’architecte maître d’œuvre me permettant de porter pleinement les responsabilités, mon engagement et mes convictions. A l’opposé de ce premier tableau qui serait en continuité avec ma pratique professionnelle actuelle, la formation HMONP m’a également permis d’ouvrir les yeux sur un marché peu abordé pendant mon cursus parisien, et assez peu répandu à Paris intra-muros ; celui des particuliers. Avant la formation, je dois admettre que j’avais beaucoup d’a priori sur ce marché que je ne connaissais en réalité que peu ou proue. A l’issue de la formation, à mon grand étonnement, je me suis surprise à envisager
d’aborder ce marché, proche des gens où l’architecte peut s’engager à créer du lien social de manière plus directe et où la relation avec les usagers se construit au quotidien. Là, l’architecte peut avoir un réel impact sur cette question des usages puisque son maître d’ouvrage est bien souvent, aussi, l’utilisateur. Le dialogue entre le savoir-faire du professionnel et l’expérience vécue de l’habitant est franc et sans détours et je crois que cet aspect, conjugué avec le souhait de quitter la région parisienne dans quelques années, pourrait véritablement me faire considérer ce type d’exercice à l’avenir. Si les contours de ma future pratique demeurent aujourd’hui encore flous et qu’il serait prématuré pour moi d’envisager de fonder ma propre structure au lendemain de la formation HMONP, le souhait de me donner l’opportunité de porter le titre d’architecte maître d’œuvre et de porter haut et fort mes convictions, est, lui, bien défini.
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Mémoire de HMONP - Mai 2020 Etudiante: Ryane de CHOISEUL MSP : AUP-Architectes Tuteur : François DIGARD Directrice d’étude : Nadège BAGARD ENSA Nancy