Cheb – Panorama
SOUVENIRS, SOUVENIRS......... CHRONIQUES D'UNE VILLE A LA FRONTIERE
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Par Salih Bozok (2017)
es villes à la frontière, où qu'elles se trouvent, ont des particularités communes qui les distinguent du reste du pays. La géopolitique joue un rôle souvent essentiel dans leur configuration, le comportement de leurs habitants et les règles non écrites qui en font des microcosmes. Elles constituent un terreau favorable au développement de nombre d'activités illicites ou, considérées immorales, et les « avantages comparatifs » qu'elles offrent au niveau des prix et de l'assortiment proposé en font des pôles d'attraction aussi bien pour les «voisins» de passage que pour certaines catégories « socioprofessionnelles » qui s'y installent définitivement. Les commerces de toutes sorte y connaissent un essor favorable, de même qu'un taux de criminalité de loin supérieur à la moyenne nationale. J'arrivai dans cette ville lors de mes vacances de Pâques 1992, un jour ensoleillé d'Avril, à la rencontre de celle qui devint mon épouse deux ans plus tard. Je l'avais rencontrée la veille dans une station thermale de renommée mondiale où résida Atatürk alors que j'étais à la recherche du sanatorium où il se faisait soigner les reins en été 1918. Elle me donna son adresse et nous fixâmes un rendez-vous pour le lendemain, à la sortie de son travail. Après avoir repéré les lieux de séjour de notre Ata, et lu avec un immense plaisir et un brin de fierté, ce qui était mentionné en langue locale sur la plaque commémorative sur le mur le l'immeuble (Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la République de Turquie, habita ici en Juillet 1918), je me rendis à la gare pour rentrer dans mon hôtel situé à la périphérie d'une autre ville thermale, qui accueillit, entre autres célébrités, le grand poète turc Nazim Hikmet, lors de son exil à Moscou. Dans un de ses poèmes, en turc, il mentionnait «
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l'hôtel des trois cigognes » (üç leylek) et je me rendrais compte plus tard de l'erreur d'impression dans l'édition bulgare en langue turque. Il s'agissait des « trois lilas » (üç leylak), soit « tri lilie » en langue originale, en gros caractères, sur la façade de l'hôtel. Je dirai au passage : caractéristiques d'un turc « presque parfait » inlassablement à la recherche des empreintes laissées par ses ancêtres...
Carsbad Plaza (anciennement Pension Florencie) Lieu de résidence de Mustafa Kemal Atatürk en Juillet 1918
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es premières impressions d'un lieu, comme d'une personne laissent souvent des marques indélébiles dans nos mémoires. Un lieu ou un profil inconnu. Nous sommes sur nos gardes. C'est, du moins que je puisse dire, mon cas à moi. Toute nouvelle rencontre peut comporter à la fois des risques et peut aussi ouvrir de nouvelles perspectives. Mon arrivée dans cette ville à la frontière me fit le même effet que le jour où je débarquai en solitaire, quatre années auparavant, à Tijuana.
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Tijuana (Mexico) – Vue générale
ouvenirs, souvenirs........Ce que je connais du Mexique se réduit à deux villes à la frontière. Pour notre premier séjour aux USA, en famille, en 1978, avec mon ex-épouse ardéchoise de naissance, et notre fille aînée âgée de quatre ans à l'époque (qui devait avoir à coup sûr l'impression d'être trimbalée partout comme un panier à provisions.... et qui n'arrêtait pas de rouspéter....Tout était trop loin et trop long pour elle...) nous nous envolions de Paris pour Luxembourg. Nous étions à peine arrivés d'Alger où j'enseignais l'économie à l'Institut National d'Agronomie au titre de la coopération. Nous trouvâmes un vol à prix réduit pour NY et 3 jours de forfait en Islande, pays des volcans éteints (???), geysers, moutons touffus et bons poissons. Et les noms finissant invariablement en « sson ».... Début juillet, les nuits étaient courtes, et les promenades extrêmement longues. Par la suite, atterrissage à Kennedy Airport, et séjour d'une semaine dans la « Grande Pomme », chez mes « relatives » (des gens de ma famille américaine) au cours duquel notre fille refusait de mettre les pieds dehors, et restait cantonnée devant la télé à chaînes multiples (en France, nous n'en avions que trois ou quatre en ces temps-là..). Nous réussîmes néanmoins à la sortir un jour et la hisser au dernier étage d'une des tours de ce qui fût « WTC » détruit dans l'attentat de « Nine-Eleven »....Une photo souvenir de l'époque en témoigne. Plus tard, quelques mois après l'attentat, je poserai devant les décombres du « Ground Zero » , bras dessous, bras dessus, avec les « cops » de New York Police Department.... Une autre photo souvenir en témoignera. Un vol d'Eastern Airlines nous acheminera, via Atlanta, à Houston, Texas, où nous séjournerons plusieurs semaines, avec des « sorties » aux alentours, avec une grosse voiture de location : San Antonio avec son « Fort Alamo », Huston Space Center, Louisiane, et enfin Laredo, où notre progéniture n'en pouvait plus du tout, la traversée du pont enjambant Rio Grande sous un soleil du plomb n'étant pas de son goût. En fait, je n'ai pas de souvenir gravé dans ma mémoire, de Nuevo Laredo, sur l'autre bord de la fameuse rivière, à part notre souci de préserver « notre petite » de la chaleur intense, achats de quelques objets en terre cuite, cartouches de cigarettes de tabac brun à bas prix nous
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rappelant des Gitanes que nous consommions à l'époque, des hommes à teint basané qui me rappelaient les films américains de mon enfance stambouliote, des « banditos » mexicains ou des indiens dans les mauvais rôles. Sur le chemin du retour, au milieu du pont se tenait un homme aux allures du « voleur de bétail et de chevaux » de ces film. Je crus reconnaître en lui Dario Moreno de mon adolescence, célèbre chanteur smirniote, né de père mexicain. Fine moustache et air jovial. Un grand panier posé à même le sol : « Posez les produits de votre contrebande ici ! ». Nous payâmes les taxes dues à l’État du Texas (Lone Star State) et retournâmes à Houston.
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ix années plus tard, je repris le chemin des States en solitaire pour quelques mois, en été 1988. Roissy en TGV au départ de Grenoble un matin, le vol de TWA, avec un forfait en prime, composé d'une dizaine de coupons pour des vols « open » aux USA sur la même compagnie aux dates de mon choix....le tout payé avec mes indemnités de licenciement obtenues à l'issue d'une longue et douloureuse procédure judiciaire. J'ajoutai autant de mes économies pour le reste. Je suis incapable de me souvenir de l'heure où j'arrivai en Californie, via Kennedy, à l'aéroport de San Diego, tellement j'étais épuisé. Des heures de train et de vol, d'attente à Roissy où je me fis « beau » en me rasant dans les toilettes, de formalités de douane et d'immigration à l'arrivée sur le sol américain, et puis, je prends le taxi pour un Holiday Inn proche de la frontière mexicaine, à la périphérie de la ville, et sitôt laissé mes valises dans la chambre, je mets mon maillot, je me jette à plat ventre sur le sable de la plage à proximité, je m'endors en plein soleil.
Tijuana – Frontière USA
Le lendemain, je ne sais à quelle heure, assommé par le décalage horaire toujours présent, et mes brûlures au soleil de la veille sur le dos, je pris le tram. Destination frontière. Une porte métallique portant l'inscription « MEXICO » en gros caractères. Avant de pousser la porte, je m'enquis des possibilités et d'éventuelles restrictions de mon visa US apposé sur mon « pass » auprès de l'immigration officer (équivalent de l'agent PAF en France) pour entrer et sortir du Mexique lors de mon séjour californien..... « No problem », dit-il, et « Good luck » (bonne chance). La porte ne s'ouvrait que dans un sens, sans formalité aucune.
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ne centaine de mètres d'une sorte de« no man's land » en terre et bordé de broussailles à traverser, et j'arrive à une sorte de carrefour avec quelques bâtiments avec des échoppes de fortune aménagées au rez-de-chaussée, de la poussière de partout, des personnes accroupies au bord du trottoir et d'autres, hommes, femmes, enfants, marchant d'un pas nonchalant, et un arrêt de transports publics. . Un bus datant vraisemblablement des années 50, avec son capot avant abritant le moteur, et des taxis jaunes gigantesques à l'image de ceux d'Istanbul des « sixties » de mon enfance. J'opte pour le bus pour aller au centre. Pas un peso en poche, mais un billet d'un dollar fait l'affaire auprès du conducteur. Sûrement trop, mais je ne m'encombre pas de ce genre de considération. Je suis « gratulé » d'un « gracias senior ». Pas de place assise. Des regards discrets étant tournés sur moi, avec mes allures de « gringo de service », je cherche à vaincre mon appréhension en prenant un air indifférent, et je feins une certaine assurance, tout en restant sur mes gardes. Un quart d'heure de course, et le décor est presque le même que les banlieues pauvres d'autres pays que je connais, Alger avec sa route qui mène d'El Harrach à l'aéroport, les environs d'Agadir, de Fès, et bien sûr, Istanbul. Une suite de bâtiments de deux ou trois étages au maximum des deux côtés de la route, avec des commerces de toutes sortes s'ouvrant au trottoir, du linge séchant sur les balcons et une foule se faisant de plus en plus dense à l'approche du centre, pour devenir grouillante à l'arrivée. En somme, du déjà vu !
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'étais au pays de Zorro et de Pancho Villa ! Le bus me déposa à un carrefour aussi poussiéreux que l'aire du départ, et je déclinai poliment l'invitation des chauffeurs de taxis jaunes.....Chevrolet, Desoto, Dodge, et autres Mercuries d'un autre âge, des années 50, et bien connues de tout stambouliote de ma génération. Je passai la journée à déambuler dans les rues de la ville qui ressemblaient curieusement les unes aux autres. Images de la ville : des mendiants et des mendiantes plutôt résignés, assis à même le sol, ou agenouillés, avec des enfants en bas âge, et s'animant un brin de plus à l'approche du « gringo », des prostituées de tous âges proposant leurs services, et s'en allant avec un haussement d'épaules dès que j'exprimais une fin de non recevoir, de même que des jeunes dealers de « cock », et enfin,quelques bars à tequila et des fast-foods (j'apprendrai plus tard qu'il conviendrait mieux d'utiliser le terme de « junk-food »!) Je m'attablai à la terrasse, sur le trottoir, d'une de ces bars qui ne payaient pas de mine et commandé des tacos, un tequila qu'on me servit avec un zest de citron vert et une poignée de sel, et une bière « Corona» pour me désaltérer avant de reprendre le chemin du retour, le tout pour quelques billets verts. Le barman me rendit la monnaie en pièces de pesos que j'utilisai pour acheter le journal local. Je connus à l'occasion la « vraie » frontière, avec ses barbelés, son mur quasi infranchissable aux « candidats à l'immigration clandestine », et les soins attentionnés des agents d'immigration US qui examinèrent minutieusement mon passeport et mon visa en me laissant rentrer avec un hochement de tête bienveillant. A ce moment là, je ne pensais plus à revenir à Tijuana jusqu'à ce que je fasse quelques jours plus tard la connaissance de Gérald.
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e logeai pendant plus d'un mois sur le campus de l'Université de San Diego, dans un appartement, style bungalow, que je partageai avec 3 autres « européens»: Amore, un italien taciturne qui ne fréquentait que ses compatriotes, Kurt, un autrichien de la région de Voralberg et Gérald, cadre dans une maison d'édition parisienne qui me proposa dès le premier jour de l'accompagner dans ses promenades aux alentours et ses « sorties » nocturnes. Il disposait dès son arrivée, d'une voiture de location, et il avait besoin d'un compagnon de route pour se sentir en sécurité. Il avait découvert dès son arrivée un bar sympa fréquenté par les militaires de la base aéronavale de l'US Navy à proximité où nous fîmes connaissance de Jimmy, réserviste texan qui était également serveur dans un restaurant. Devenant vite les clients assidus du bar et du restaurant, nous gagnâmes la confiance de Jimmy qui nous servit de guide pour la visite sans autorisation aucune de la base. Il suffisait qu'il dise aux plantons de service : « take it easy guy ! I'm with friends. Frenchies, my customers.. » Et nous entrions à l’œil. Je me trouvai un jour, en visite, sur le pont du capitaine d'un navire de guerre de la base et par un curieux concours de circonstances, l'ordinateur du poste de commandement simulait une intervention de la flotte sur...... « le Bosphore ». Me voyant surpris, et tout fier de montrer à un étranger les prouesses et capacités techniques de la Marine US, le commandant du bord m'expliqua : « Nous sommes prêts à intervenir n'importe où dans le monde ! ».
San Diego(USA) – Vue générale
Assez rapidement, nous dûmes prendre nos distances avec Jimmy suite à un incident qu'il provoqua dans le bar. La jeune étudiante française qui nous accompagnait se mit à discuter avec le voisin de table noir, et Jimmy donna libre cours à sa colère teintée de racisme.... Non, une fille qui était attablée avec nous n'avait pas le droit de bavarder avec les « blackies », c'était un affront. Le noir lui rendit la monnaie de la pièce en le traitant de « faggot » (pédé), et dans le soucis d'éviter une rixe, nous nous interposâmes et sortîmes aussitôt en emmenant la fille et Jimmy avec nous en voiture, mais le texan, loin de se calmer, se mit à tripoter l'étudiante qui ne devait être qu'une dépravée à ses yeux. Il a fallu que j'intervienne énergiquement contre Jimmy, que nous déposâmes illico presto chez lui. Le campus était un site agréable, en pleine nature, avec des arbres et de la verdure, et beaucoup d'espace entre les bâtiments. De jour comme de nuit, des écureuils s'amusaient à grimper
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aux arbres, des ratons laveurs cherchaient leur nourriture quotidienne dans les poubelles, et de petits lapins s'alignaient le soir en bordure des allées du parc, pour prendre du frais en se redressant sur leurs pattes arrière. Une nuit, à la rentrée d'une sortie nocturne, nous sursautâmes, avec Gérald, quand une silhouette sombre bondit subitement près de nous. Un raton laveur à la recherche de sa nourriture, et pris de panique à la vue d'autres silhouettes au clair de lune !
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a cantine de l'université offrait, avec ses menus « redondants » peu de possibilités : Des œufs au plat trop cuits des deux côtés, différentes variétés de « burgers » et des « hot dogs », saucisses etc, et interdiction de consommer de l'alcool sur le campus. Nous avons plusieurs fois dérogé à la règle, avec Gérald et Kurt, en introduisant de la bière dans notre bungalow, mais le coke ou différents soda aux repas étaient rébarbatifs. Dans la cafeteria, « Hotel California », célèbre tube des « Eagles » de la fin des sixties passait en boucle, et j'appris vite les paroles presque par cœur. Cet « hôtel » dont on ne sortira jamais « you can check out any time you want, but you'll never leave.. » est en fait un centre de cure de désintoxication pour les drogués, et notamment les héroïnomanes. Les paroles ne sont pas très explicites, et il faut lire entre les lignes. Si l'alcool était strictement « prohibé » sur le campus, y compris pour des « vétérans » quarantenaires comme nous (Kurt avait plus de 50 ans...et avait de la peine à comprendre les us et coutumes du pays....), nous recevions fréquemment, au bord de la piscine, la visite d'un « black » costaud, portant une chaîne en or au coup, et muni de sa mallette contenant un assortiment de camelotes en tous genres, allant du plus soft, du shit et de l'herbe, aux dérivés du pavot (brown sugar, héroïne), ainsi que cocaïne, et crack, ce dernier produit, nouveau à l'époque, étant une variété « fumable » de la précédente et faisant des ravages ici ou ailleurs. Pour avoir suivi en France un stage, une dizaine de jours, à l'université d'été organisée conjointement par l’Éducation Nationale et la Brigade « anti-stup » à l'école de formation de la Police Nationale à Clermont-Ferrand, je connaissais bien le contenu de cette mallette, presque à l'identique de celle appelée « pédagogique » utilisée par les agents « anti stups » dans les écoles, pour informer et mettre en garde les élèves contre les dangers de la toxicomanie.
San Diego – Base Navale
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N'ayant plus envie de fréquenter le bar des Marins et le resto de Jimmy, je suggérai à Gérald de prendre la voiture pour nous rendre à Tijuana où l'on pouvait consommer de l'alcool sans restriction, et nous sustenter à bon prix, avec plus de variétés à notre disposition. C'était un blond de petite taille, mince, toujours bien habillé, avec chemises et pantalons minutieusement repassés (il avait pris dans ses bagages un petit fer à repasser). « J'ai partout besoin de tous mes éléments » me disait-il. D'origine flamande, d'où un nom presque imprononçable, il s'était marié avec une portugaise de Paris, issue d'une famille de maquignons aisés, mais ils avaient vite divorcé pour « incompatibilité de cultures et de caractères ». Il avait eu du mal à supporter le rôle de femme soumise, et d'épouse au foyer docile, que s'assignait sa dulcinée, sitôt le mariage consommé. Il menait désormais une vie de couple à mi-temps avec une parisienne, chacun ayant un appartement sur le même palier, à la manière de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir, et menant leur vie à leur guise. Il avait une certaine appréhension à « déambuler » seul, pris souvent de vertiges. Ma présence était rassurante, et je m’accommodais très bien de sa compagnie. Les choses devinrent plus clair quand il m'avoua, au bord de la piscine du campus, pourquoi ne m'avait-il pas proposé le matin de venir avec lui, où je le vis habillé à quatre épingles, sur son 31 comme on dit, partir au volant de sa voiture, après un salut amical furtif. « J'ai eu » dit-il, « un rendez-vous galant qui ne serait pas de ton goût. Avec un gars, mais ça n'a pas marché. Je sais, tu ne t'intéresses qu'aux femmes. Je suis homo à mi-temps, et je suis là pour faire des choses que je ne peux faire à Paris. Ne t'offusques pas stp si, certains jours, je pars en ballade sans toi.. » Nous nous rendîmes le lendemain soir à Tijuana, garâmes le véhicule sur le parking d'un super marché près de la frontière et prîmes un de ces gros taxis jaunes qui attendaient de l'autre côté les « gringos » venant s'encanailler dans leur ville . Le début d'une routine. Le chauffeur nous renseigna, sans qu'on lui pose la question, sur les lieux à visiter et nous optâmes pour un bon restaurant, avec sa salle immense pouvant accueillir une centaine de convives, des « gringos » de préférence. Les premières impressions d'un lieu étant souvent les plus fortes, imprégnant notre esprit et suscitant une poussée d'adrénaline non négligeable, je me souviens de ce groupe de touristes français rouspétant sur la qualité du vin mexicain. Nous étions au début de notre « festin » : tapas, pour accompagner notre apéro de tequila, suivi de tacos, enquiladas et autres délices locaux..... alors qu'ils étaient à la fin du leur, s’apprêtant à quitter les lieux. Nous les « taxâmes » de leurs bouteilles de pinard à moitié entamées et bûmes et mangeâmes à satiété. Comme nous faisions ensemble dans les restos de San Diego, en ingurgitant à nous seuls deux « frenchies », un demi « gallon » de vin de Californie. Ici, à Tijuana, c'était au tiers du prix, dans un cadre plus exotique, et nous y primes nos habitudes.
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Disco – Tijuana (Mexico)
n soir, nous y amenâmes un groupe d'étudiants français venus à San Diego pour des cours d'été, mais ils étaient plus motivés par la vie nocturne de Tijuana que par un bon repas au restaurant. Nous avions beau les mettre en garde contre les risques qu'ils couraient dans des bars louches fréquentés par des dealers et des prostituées à quelques dollars, ils en faisaient à leur tête en nous considérant, moi et Gérald, comme de vieux moralisateurs. A une heure avancée, sur le parking du côté US, où la voiture était garée, ils nous rejoignirent avec près d'une heure de retard. Ils avaient perdu leur air jovial. L'un saignait du visage. Contrairement aux recommandations, ils avaient fait le chemin à pied, entre le centre et la frontière, et facilement repérables par des voyous, ils avaient reçu quelques coups avant d'être délestés des dollars qui leur restaient en poche après leur soirée de loisirs. Un samedi soir, nous suivîmes les conseils d'autres étudiants pour aller dans une célèbre disco située dans un quartier périphérique de Tijuana, en nous engouffrant à plusieurs, à aller comme au retour, dans un de ces fameux taxis immenses de couleur jaune, avec un long capot à l'avant et des ailerons des deux côtés, à l'arrière, leur donnant l'apparence d'un bolide des films de science-fiction. Les rumeurs savamment entretenues sur l'insécurité régnante dans les rues de la ville devaient faire une sacré publicité pour ces bolides et contribuer à la prospérité des sociétés de taxis... Je cherche en vain dans mes souvenirs de ce chemin de plusieurs « miles »et ne trouve rien d'autre qu'un long convoi de véhicules jaunes faisant la navette sur une route obscure, bordée de pâtés de bâtiments de petite taille dont on n'aperçoit que des silhouettes peu rassurantes en l'absence de toute lumière, et quelques ombres déambulant lentement dans la nuit, et tout change à l'arrivée d'un grand bâtiment moderne, avec ses enseignes lumineuses à l'entrée. Une file d'attente de quelques minutes, achat du ticket d'entrée à un prix modique, comparé à ses semblables en Europe, et pas de contrôle d'identité. Les mineurs y sont admis. Le tequila et les « coronas » y coulent à flot la nuit durant. L'établissement gagne sur la quantité. « Avantages comparatifs » et « économies d'échelle » en termes d'économiste que je suis, qui cède la place momentanément à l'apprenti philosophe à l'intérieur. J'avais lu, autour de mes vingt ans, à Istanbul, les essais sur une « dying culture » (culture à l'agonie) d'un philosophe communiste anglais, Christopher Caudwell qui participa à la Guerre d'Espagne dans les « Brigades internationales » et qui fût tué lors de la bataille de Terruel par les troupes franquistes. La piste
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de danse que j'observe de loin accoudé au bar avec mon verre de tequila à la main,, me fait un drôle d'effet, et je pense avec une curieuse association d'idées, aux écrits de Caudwell. La sono est à fond, et les réverbérations du laser-show sur les danseurs sur la piste leur impriment des mouvements saccadés, et les réduisent à des êtres sans âmes, avec des membres et gestes »décomposés », mouvant dans un quasi anonymat, et une uniformité presque sans faille, la tête un moment vidée de toute contingence. J'étais accoutumé de ce genre le lieu, mais en plus petites dimensions, lors de ma jeunesse stambouliote, dans les années 60. Nous avions le « Club 33 », et puis, à Bodrum, le fameux club « Halikarnas », dans un décor somptueux au bord de la mer, avec une terrasse s'ouvrant sur la forteresse. Passé le cap de mes quarante ans, j'ai perdu l'inspiration de ces lieux.
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ous nous apprêtions à rentrer que nous croisâmes Kurt. Grande surprise ! « Ah, vous êtes ici vous aussi ? » Nous le ramenâmes sur le campus. C'était ma dernière soirée à Tijuana, et mon avant-dernier jour en Californie. Je m'envolais pour Boston, via Los Angeles, Saint-Louis et New York, avant mon séjour d'un mois à Miami. Je ne reviendrai jamais à Tijuana qui figurera depuis les années 90, sur la liste des villes les plus dangereuses au monde, livrée à la guerre intestine des cartels de drogue et de la criminalité organisée. A mon retour en France, je n’eus jamais de nouvelles de Gérald. Il m'avait trop dit sur sa vie privée. Il ne répondit pas à mes lettres. Vertus publiques et vices cachés, comme on dit outre-Atlantique. Avec Kurt, qui partageait le même appartement que moi, nous n'avons pas réussi à avoir beaucoup de dialogue, à cause notamment de son anglais très rudimentaire qu'il prononçait à sa façon en germanisant les mots. « Gut morning ! » entendais-je tous les matins. Il était venu à San Diego pour « inspecter les lieux » avant d'y envoyer sa fille pour une année d'études. Cela lui changeait aussi les idées de son microcosme du Voralberg abritant une forte communauté juive. Il me l'a confié le dernier soir, à notre retour de Tijuana. Je lui avais raconté que mon père, dans les années 40, avait séjourné à Vienne, et avait transporté du courrier et quelques cadeaux aux amis juifs de notre famille, vivant en Autriche. « Votre père est quelqu'un de bien », m'avait-il répondu. Je le revis au début des années 2000 lors d'un voyage à Bregenz. Il était très diminué, mentalement et physiquement. Il devait souffrir d'Alzeimer. Il se souvenait de peu de chose de notre séjour en Californie et il avait retenu que j'étais américain. Impossible de rectifier. Sa femme l'avait quitté pour un autre homme. Son entreprise avait fait faillite. Par la suite, je n'eus aucun contact. Mes courriels restèrent sans réponse.
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Armoiries de la ville de Cheb
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a ville qui devint depuis 25 ans mon second « port d'attache » en quelque sorte, après ma rencontre avec celle deviendra mon épouse deux années plus tard, s'appelle Cheb. Selon l'expression du directeur de son « gymnasium » (lycée), cette bourgade de quelques 30.000 âmes, située sur la rivière « Ohre », Eger pour les allemands, à quelques km de la frontière, constituait, durant la période de la « démocratie populaire », la dernière station à l'Ouest du pays, avant de devenir, avec la chute du « Mur » en 1989, la fenêtre de la Tchéquie s'ouvrant à l'Occident. Le premier lieu que je rencontrai en y arrivant fut naturellement la station des chemins de fer, côtoyant la gare routière et le centre du tri postal. La première impression à l'arrivée n'est pas très engageante, et loin d'être rassurante. Deux années auparavant, j'étais passé en « transit » sans m'y arrêter, lors de mon voyage entre Stuttgart et Prague, et le contrôleur m'avait prévenu : « Faites attention à la mafia tchèque entre Cheb et Prague, soyez vigilant pour ne pas vous faire dévaliser! » m'a-t-il dit. Le bâtiment, rénové depuis, était vétuste. A la descente du train, on accède à l'immense hall d'entrée par un large passage souterrain avec des escaliers de chaque côté. Une fois à l'extérieur, je contemple le bâtiment de la gare qui porte sur le fronton,
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au dessus des portes d'entrée et de sortie, une masse métallique ayant forme d'ancre, ainsi qu' un drapeau du pays usé par le vent et la poussière. Quelques ivrognes cuvent leur bière devant la gare. Une allée bordée de quelques arbres, à côté des arrêts de bus, rejoint la rue qui descend vers le centre.
Cheb – Gare ferroviaire
Plusieurs commerces s'alignent sur le trottoir droit , dont une épicerie vietnamienne, un bar mal éclairé fréquenté par des « roms », un hôtel-restaurant délabré. Dans le centre, le décor change subitement en arrivant au joyau de la ville, la place historique du « Roi Georges de Podebrad » (Namesti Krale Jiriho z Podebrad) d'une forme géométrique difficile à définir, se rapprochant d'un trapèze incliné vers le bas, descendant en direction de la rivière Ohre (Eger), et cerné de bâtiments plusieurs fois centenaires, très colorés, de style baroque pour la plupart, certains portant sur leurs façades, des armures en relief. L'Hôtel de Ville est surmonté d'une tour d'horloge. Les restaurants les plus chics de la ville accueillant essentiellement une clientèle allemande en visite se trouvent ici, avec leurs terrasses hissées sur des tréteaux en bois. L'ensemble « Spalicek », pâté d'une douzaine de maisons anciennes, datant de l'époque médiévale, abrite le plus célèbre de ces établissements culinaires, portant le même nom, en face du Musée de la Ville qui servit de demeure en son temps au commandant en chef des armées impériales durant la Guerre des Trente Ans. Albert-Venceslas Eusèbe von Wallenstein ou Waldstein (en tchèque : Albrecht Václav Eusebius z Valdštejna), victime d'une cabale, y fut assassiné en 1634. L’événement est commémoré tous les deux ans par des festivités en sa mémoire sur la place de la ville.
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Cheb (1634) – Assassinat d’Albrecht Wallenstein (Valdstejn)
J'achetai une rose rouge chez la fleuriste du petit square, avant d'accéder à la place centrale, et me procurai un dictionnaire de poche tchéco-français dans la petite librairie d'en face, avant de me rendre à mon adresse. Mon « aventure chéboise » débuta ainsi.
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Cheb – Place du marché (Place Krale Jiriho)
ans l'Histoire écrite de la ville, les premiers peuplements remontent au 10e siècle. Au début des années 2000, juste après l'admission de la jeune République Tchèque au sein de l'Union Européenne, les principaux événements ayant marqué le passé de Cheb furent gravés sur les plaques métalliques posées sur les dalles de la rue piétonnière montant du centre vers la gare. Le visiteur qui arpente la rue a un rapide aperçu de ces dates importantes avec des explications brèves en trois langues : tchèque, allemand et anglais. Disputée entre les puissances voisines durant des siècles, Royaume de Bohème, États et empires germanophones, la ville connut des occupations diverses, y compris suédoises, après la disparition tragique de
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Wallenstein. Après la Grande Guerre de 14-18, elle fut incorporée avec toute la région (Les Sudètes) connue sous le nom d'Egerland, à la République Tchécoslovaque, en débit du fait que sa population était majoritairement germanophone. Au sein de cette population, se développa rapidement un fort courant en faveur du rattachement à l'Allemagne. Hitler, en personne, visita la ville en 1938, et peu après, Cheb et les Sudètes furent annexés par le Reich. Quand la ville fut libérée des allemands en 1945 par la 97e division des GI's, sur les 45 000 âmes qui y vivaient, les tchèques de « souche » ne constituaient qu'une minorité de 11%. Les troupes américaines firent leur jonction avec les soviétiques, à 110 km à l'Est, dans la ville de Plzen (mondialement connue pour sa bière...), mais la libération sera officiellement attribuée à l'armée soviétique après la prise de contrôle total du Parti Communiste sur le pays en 1948, et le monument érigé en 1945 à la gloire des GI's en centre ville de Cheb sera remplacé par celui en l'honneur de l'armée rouge... Entre temps, l'ensemble de la population germanophone, à savoir la majorité des habitants de la ville, furent dépossédés de leurs biens et expulsés vers l'Allemagne voisine, dans des conditions souvent tragiques. Il fallait désormais repeupler la ville et la région où la main d’œuvre nécessaire à la reconstruction d'après guerre faisait subitement et cruellement défaut.
Cheb - Cathedrale
Soit dit au passage, j'assistai depuis 1992, à plusieurs événements majeurs, sur place. Le 31 Décembre 1993, la nuit de Saint Sylvestre, la Slovaquie décréta son Indépendance, que les Tchèques acceptèrent à contre cœur. Les deux nations si proches, par langues et cultures, ainsi que leur passé commun, se séparèrent en paix. A minuit, la Radiotélévision Tchécoslovaque mit fin à ses émissions. L'hymne national commun fut exécuté une dernière fois pour les deux nations en « divorce » alors que leur drapeau à deux barres, blanches et rouges, avec un triangle bleu à droite flottait à l'écran. Ces deux symboles continuent désormais comme ceux de la Bohème et de la Moravie, réunis au sein de la république Tchèque (Tchéquie). De nouvelles frontières furent installées entre les deux États qui ne tardèrent pas à frapper de nouvelles monnaies, et à imprimer des billets et timbres à leur nom. La couronne slovaque de dévalua par
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rapport à la couronne tchèque, et les habitants des deux pays eurent un court délai pour échanger leurs billets contre les nouveaux mis en circulation, à l'issue d'une période où les billets circulèrent avec des timbres différents apposés par les deux banques centrales. Sur les trains et dans les gares, la lettre « S » sur les initiales des chemins de fer « tchécoslovaques » (CSD) fut rapidement barré à la peinture blanche. Les tchèques assistèrent calmement à ces changement, avec une part d'amertume et de résignation, et un certain ressentiment vis à vis des slovaques. Le Président Vaclav Havel avait préservé les deux nations, d'une guerre fratricide qui faisait rage au même moment à quelques centaines de km plus loin, sur le territoire de la Yougoslavie, en proie à la sécession de ses différentes nations fédérées et aux épurations ethniques sanglantes.
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Cheb – Monument à la Mémoire des soldats américains
rintemps 1995, la ville célébra somptueusement le 50e anniversaire de sa libération, en se parant de la bannière étoilée accrochée aux quatre coins de la cité. Nous assistâmes à la parade symbolique des GI's dans les véhicules de l'époque (Jeeps) avec à bord des vétérans de la 97e compagnie, ainsi qu'à des discours interminables sur l'amitié et la fraternité entre les nations tchèque et américaine, sous les ovations de la foule. A la place même du monument soviétique démonté après la « chute du mur » , une stèle fut érigée, comme en 1945, à la Mémoire de la IIIe Armée du général californien Patton et de sa 97e compagnie d'Infanterie. Je signale au passage que cette journée historique du 26 avril, coïncide curieusement à la date anniversaire de notre rencontre à Karlovy Vary (Karlsbad) avec mon épouse. Le long des années, j'appris à observer et comprendre la sympathie manifestée par les tchèques à l'encontre de leurs « amis » outreatlantique. Les assauts et occupations multiples subis le long des siècles, de la part des peuples voisins firent des tchèques, un peuple très méfiant, relativement renfermé sur soi et un brin xénophobe, féru de sa propre culture, même si cette culture est fortement influencée, sur le plan culinaire, musical, architectural etc. par celle des cousins germains de l'Ouest. Si le tchèque s'identifie à l'Occident, quelques us et coutumes se rapprochent de l'Orient. On se déchausse à l'entrée d'un domicile tchèque, de même qu'à l'école où les élèves et les enseignants portent des pantoufles. Ces « habitudes » très turques se perdent lentement de nos jours, dans mon « microcosme stambouliote », au grand dam de mon épouse qui reproche à certains de mes amis de « porter à l'intérieur » les saletés de la rue..... « Country Music » a beaucoup d'adeptes
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dans le pays. Il n'est pas rare de voir des jeunes se rassembler au bord d'une rivière et griller au feu des saucisses accrochées à des branches d'arbre découpées, alors que l'un d'entre eux joue de la guitare et chante de la « country » en tchèque. Malgré leur relatif renfermement sur euxmêmes, les tchèques aiment faire la fête, sans trop de débordement, à l'exception des rencontres de hockey sur glace, et notamment contre « l'ennemi héréditaire » russe. Les américains surent utiliser à merveille ces traits de caractère hérités du passé et les éléments historiques, pour faire du pays un allié solide, membre de l'OTAN.....
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part les journées Wallenstein déjà citées, la ville de Cheb est animée chaque printemps par le festival international des jeunes orchestres (FIJO). La Bohème et la Bavière voisine ( la ville mythique de Wagner, Bayreuth est à quelques dizaines de km à l'Ouest) sont des « pays » de musique et de culture. Karlovy Vary accueille chaque année un festival international de film, où j'assistai à plusieurs représentations, dont celle d'un film « ouzbek » en version originale, heureusement sous-titré en anglais. Je ne comprenais pas un sacré mot à cette langue en principe proche de ma langue maternelle.....KV (en abrégé) de même que les deux autres villes de SPA (thermales) de voisinage, Frantiskovy Lazne (Francesbad) et Marienske Lazne ( Marienbad) continuent d'être des principaux pôles d'attraction pour les touristes et curistes, avec leurs hôtels rénovés, maisons thermales et sources, casinos, restaurants et églises russes.....La nouvelle Tchéquie, membre à part entière de l'UE se réadapta très vite à l'Occident et se développa en utilisant à bon escient les crédits de l'Union....
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es « roms », largement sédentarisés sur l'ensemble du territoire de la nouvelle Tchécoslovaquie après l'avènement de la Démocratie Populaire, affluèrent massivement de l'Est (certains, de la Slovaquie, aux confins de l'Ukraine et de la Hongrie) vers l'Ouest du pays, et principalement dans les Sudètes vidés de leurs habitants, le long de la frontière. Leur contribution aux travaux de reconstruction demeura limitée, du fait des « antagonismes
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culturels» avec la population locale, de leur faible niveau de compétences et de scolarisation, et des discriminations subies en conséquence.
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u cours des deux décennies suivantes, beaucoup de Vietnamiens émigrèrent dans la région de Cheb à court de main d’œuvre dans l'industrie, le bâtiment et les travaux publics , au titre de « gastarbeiter » (travailleurs invités) comme en Allemagne où les turcs commencèrent à affluer au début des années 60. Peu de temps après, les familles vinrent les rejoindre et les asiatiques, considérés par la population autochtone comme de « bons travailleurs » et sans histoire, s'adaptèrent rapidement à la vie locale et constituèrent une communauté importante.
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Cheb – Scène de rue sur fond de prostitution
out visiteur qui débarque à Cheb est frappé par l'importance sociale et numérique de ces deux minorités dans la cité, visibles dès l'arrivée. Cheb subit de profondes mutations depuis la « chute du mur » que les habitants décrivent comme « le retour à la démocratie », et surtout depuis l'adhésion à l'UE. Des phénomènes nouveaux, presque inconnus de l'époque soviétique, tels que chômage (suite à l'abrogation de l'obligation de travailler et de l'introduction de la notion de rentabilité), hausse des prix, privatisations, insécurité à l'emploi, apparition de nouveaux secteurs d'activité, avec de nouveaux riches et de nouveaux pauvres, prostitution, jeux de hasard et casinos.... y firent leur apparition. Si les générations qui grandirent sous la « démocratie populaire » eurent de la peine à s'y adapter, les nouvelles générations, ainsi que les deux grandes minorités y trouvèrent rapidement leur compte et se convertirent sans trop de difficultés. L'ouverture des frontières favorisa le développement des « frontaliers » ( à la manière, par exemple, de habitants de la Haute-Savoie et de l'Ain travaillant en Suisse Romande, tout en restant domiciliés dans leurs départements français) ainsi que l'essor du tertiaire du côté tchèque, les prix relativement bas des produits de consommation attirant nombre d'allemands. Les principales industries de la ville disparurent. Les usines de bicyclettes, ESKA, ne supportèrent pas la concurrence chinoise. Le secteur de bière, dans ce pays réputé pour la
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qualité de ses produits et la quantité de ses consommations (en tête dans le paleton de tête dans la consommation par tête d'habitant), fut restructuré suite à l'acquisition de ses grandes marques par les multinationales, les grands groupes internationaux. Beaucoup de petites brasseries locales, dont celle de Cheb, durent mettre la clef sous la porte, alors que le commerce connaissait un essor sans précédent, suite aux règles des « avantages comparatifs ». La disparition du service militaire obligatoire céda la place à une armée de métier très réduite. Sur le terrain de la caserne de l'armée des frontières fut bâti le plus grand « bazar asiatique » du pays, le « marché des dragons », les vietnamiens s'avérant de redoutables commerçants qui firent parallèlement acquisition d'un grand nombre de petits commerces, épiceries, bureaux de tabac, boutiques de souvenirs, échoppes de textile à bas prix, et parfois des contre-façon, avec beaucoup de « made in china » , salons de coiffure et de manucure « american nails » avec des enseignes colorées, et même des « kebabs »......
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Cheb – Marché asiatique
a brasserie de Cheb (Pivovar), près de la gare, fut rasée. J'entendais, durant mes premiers séjours à Cheb, les sabots des chevaux résonner sur les pavés. Les tonneaux de bière étaient transportés dans une voiture à cheval et cela n'est que souvenir. Un grand centre commercial, avec son « moteur », l'hypermarché Kaufland, et des magasins de textile, de jouets, et d’électronique remplaça la « Pivovar ». D'autres enseignent internationales suivirent : Ahold, groupe hollandais, avec son enseigne Albert, Tesco, groupe britannique, les « super » allemands, Lidl, Norma, Penny Market, Kik pour le textile et articles de bazar etc.... Le seul groupe français, Intermarché, présent dans les lieux, céda rapidement son hyper à Ahold, de même que les magasins Carrefour, un moment présents dans les deux pays, tchèque et slovaques, fermaient leurs portes rapidement au profit de Tesco, qui demeure une enseigne chère par rapport aux autres mais bénéficie de l'avantage d'ouvrir 7 jours sur 7 et..24 heures sur 24....... Avec le temps,les « avantages » au niveau prix cessèrent d'être absolus. Les allemands sont actuellement moins nombreux à venir faire leurs courses à Cheb. Depuis l'adhésion à l'UE, certains produits sont au même prix des deux côtés de la frontière. Le textile bas de gamme, article de bazar, fruits et légumes gardent leurs « avantages ». Les week-ends et jours de fête, les restaurants sur et aux abords de la place du Roi-Georges continuent d'accueillir leur clientèle allemande. Le menu du
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jour, avec potage, plat de viande, de préférence goulache ou escalopes de porc panée (Schnitzel) et un petit dessert (Strudel...) coûte à peine plus cher qu'un « döner kebap » du côté allemand, dans un décor et environnement agréable. La bière pression, 50 cl, est payée autour d'un euro 50 centimes.....
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ongtemps négligé, le secteur du bâtiment se développa avec la restructuration du système de crédit. Les banques étrangères ouvrirent des filiales, parmi lesquelles, celles de Reiffeisen (allemande) et de la Société Générale sous le nom de Komercni Bank..... Les jeunes générations et les frontaliers ne veulent plus vivre entassés comme leurs parents dans des « logements sociaux » construits à la hâte pour faire face à la crise de logement d'après guerre, et optent, à la faveur des crédits à long ou à moyen terme, pour des villas à l'extérieur de la ville, de préférence, en bordure de forêt, proche de la frontière. Pavel Nedved, célèbre international de foot et natif de Cheb, possède également une maison à quelques km d'Allemagne. Trouvant peu de travailleurs qualifiés et non qualifiés dans le secteur en essor, les « bâtisseurs » (entreprises et particuliers) se tournèrent vers les ex-pays frères, et une nouvelle minorité ethnique émergea en la personne d'ouvriers ukrainiens désireux de quitter leur contrée déstabilisée depuis quelques années par les conflits avec la Russie, prenant place à côté d'autres « voisins » slaves, en l’occurrence des slovaques qui optèrent en 1993 pour la nationalité tchèque pour demeurer en Tchéquie qui ne reconnaît pas la « double nationalité ». Avec la nouvelle configuration du monde dans le cadre de la « globalisation », chaque pays, ou presque, a ses immigrés et ses émigrants !
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Le mot de la fin : Mon restaurant préféré à Cheb s’appelle « U Krale Jiriho » (Chez le Roi Georges)
On y mange bien dans un décor somptueux, et pour un prix très raisonnable
BON APPETIT Salih Bozok 2017
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