Après les devoirs - Grandir dans les rues pavillonnaires

Page 1

Après les devoirs

Grandir dans les rues pavillonnaires

Samy Brillaud - Juin 2018 Habitat(s) - Olivier Chadoin

APRÈS LES DEVOIRS

1



« Je me ‘‘ bats ’’ pour imposer une approche de la péri-urbanité comme monde vécu, à hauteurs des personnes qui y vivent. Les adolescents vivant dans ces zones déploient par exemple un sens créatif très poussé puisque les espaces sont moins institutionnalisés et plus sauvages, indécis. » Éric Chauvier.

Couverture : Fig.1 : Malartic : Scène pavillonnaire 1 (source propre : 2004).


4

Introduction


Samy Brillaud - Juin 2018 Habitat(s) - Olivier Chadoin

Grandir dans les rues pavillonnaires Après les devoirs

APRÈS LES DEVOIRS

5


6 Introduction Fig.2 : Miguel Delibes, El camino, Destino, 1982.


Depuis son lit, la veille de son départ pour la ville et l’internat, Daniel, « el Mochuelo », se souvient, il a 11 ans. Il nous plonge dans une enfance vécue au grand air, accompagné de ses amis Germán « el Tiñoso » et Roque « el Moñigo ». Il dessine petit à petit les traits d’un village espagnol, blotti dans la vallée. Dans ce village tout le monde a un surnom, il y a des histoires, et des héros.

Après les devoirs

En 1959, Miguel Delibes écrit El Camino (« Le Chemin »), dans un style volontairement naïf.

7


AVANT-PROPOS

3

INTRODUCTION

10

VU D’EN HAUT, ÉMERGENCE D’ESPACES « LIQUIDES »

17

A - Lecture urbano-centrée

20

B - Lecture historique : fabrique d’espaces publics

30

C - Lecture géographique : espaces liquides en négatif

44

1 - Contexte métropolitain 2 - Gradignan : « une ville verte, dynamique, culturelle, paisible et aérée » 3 - « Découvrir la ville de Canéjan » 1 - Un contexte politique et social favorable 2 - Malartic : la logique ex-nihilo 3 - Le Bourg : une urbanisation ramifiée

8 Introduction

1 - Malartic : archipel isolé 2 - Le Bourg : mangrove et son rivage 3 - Microcosmes : du chez-soi à la rue

VU D’EN BAS, ESPACES DU QUOTIDIEN

61

A - Regard pavillonnaire

63

B - Jeunesse : personnage principal du décor pavillonnaire

90

1 - Photographie et culture pavillonnaire 2 - Retour « critico-affectif » 3 - Ce qu’il reste, tentative d’épuisement 1 - Pavillon environnement familial 2 - Grandir, jouer, se socialiser dans les rues pavillonnaires 3 - Metteurs en scène : exotisme et détournement


105

A - La méthode des itinéraires

107

B - Des parcours types

114

C - Vers un territoire habitable

144

1 - Marche et « itinéraires commentés », infiltration in-situ 2 - Les jeunes au centre de la démarche 1 - Tia et Juliette, le terrain d’aventure 2 - Yoni, au gré des amitiés 3 - Guilhem, les chemins des écoles 1 - Habiter la rue, coûte que coûte 2 - Trajectoires pavillonnaires 3 - Le projet comme « infrastructure publique »

Après les devoirs

LES JEUNES, ACTEURS DANS LEUR TERRITOIRE

9

CONCLUSION

159

BIBLIOGRAPHIE

163

ICONOGRAPHIE

165

REMERCIEMENTS

167


INTRODUCTION

10 Introduction

À 18 ans, je partais de la maison pour le centre ville, et des études d’architecture. Aujourd’hui, avec le recul, je me souviens et je me questionne. Je cherche à mieux comprendre les territoires de mon enfance. Après une expérience express de la capitale (de 0 à 3 ans) je déménageais pour Bordeaux. En fait pas tout à fait. Mes parents, ma sœur et moi sommes arrivés à Gradignan, dans une maison en périphérie bordelaise. Plus précisément à Malartic, un des nombreux lotissement que compte la commune. Puis mes parents se sont séparés, j’avais 6 ans. À 8 ans, mon père s’est installé dans une autre maison, à Canéjan, une commune voisine et tout aussi périphérique, dans un quartier tout aussi pavillonnaire. Jusqu’à mes 16 ans, j’étais alternativement une semaine chez mon père et une semaine chez ma mère. À ce moment j’ai décidé d’aller vivre à Canéjan et de n’aller à Gradignan qu’un weekend sur deux. Ces allez-retours ont marqué mon enfance et m’ont disposé dans un regard comparatif entre les deux situations. Elles sont à première vue très similaires, deux quartiers pavillonnaires parmi tant d’autres pourrait-on dire, et finalement assez divergentes à y regarder de plus près.


Le pavillonnaire, et donc le pavillon, se définit communément comme une construction individuelle avec un recul par rapport à la voirie, un jardin à l’avant du bâtiment, la présence d’un terrain à l’arrière et l’absence de contraintes de mitoyenneté. Le lotissement lui s’entend comme « la division en propriété ou en jouissance d’une unité foncière ou de plusieurs unités foncières contiguës ayant pour objet de créer un ou plusieurs lots destinés à être bâtis » 1. Par pavillonnaire, ou quartier pavillonnaire, je me référerai à l’idée d’un lotissement, au sens commun, où l’on trouve une majorité de maisons individuelles, et par là les quartiers ou j’ai grandi.

Mais alors, quelle définition pour ces espaces ? Quel regard adopter face à ceux-ci pour ne pas tomber dans les évidences et rester fidèle à leur réalité, à leur singularité ? En effet il y a pauvreté d’espace. Les mécanismes de l’étalement urbain ne vont pas dans le sens d’une recherche de qualité d’espace public. À ce sujet David Mangin explique dans son livre comment la voiture et ses logiques installent « la piste et les règles du Monopoly des périphéries » 2. Il montre ensuite comment s’y greffe le lotissement, conçu par les géomètres qui ne sont pas particulièrement préparés à la tâche. De cette façon, l’espace public est envisagé comme une infrastructure automobile, dans un souci de rentabilité et d’efficacité. Mais certaines voix évoquent les rues mortes, les espaces dés-urbanisés, la « France moche » 3 en référence au pavillonnaire. Cela revient à faire un trait sur environ 70 % 4 de la population française. Effectivement le centre ville a la densité, la culture, la diversité, l’histoire, les festivités. Pour cette raison je pense que ce constat de la rue pavillonnaire en comparaison à celle du centre ville est une erreur de principe. « Méthode : Il faudrait, ou bien renoncer à parler de la ville, à parler sur la ville, ou bien s’obliger à en parler le plus simplement du monde, à en parler évidemment, familièrement. Chasser toute idée préconçue. Cesser de penser en termes tout préparés, oublier ce qu’ont dis les urbanistes et les sociologues ».5 1 Code de l’urbanisme, Article L442-1. 2 David Mangin, La ville franchisée, formes et structures de la ville contemporaine, Les Éditions de la Villette, 2004. 3 Xavier de Jarcy et Vincent Remy, « Comment la France est devenue moche » dans Télérama, n° 3135 : « Halte à la France moche », 2010. 4 Donnée INSEE : en 2016, 68,4 % de la population française vit dans une maison. 5 Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, réed. 2000, 1974.

Après les devoirs

Étrangement, mes souvenirs y sont encore assez frais. J’ai connu beaucoup d’interdiction petit, puis au contraire beaucoup de liberté, beaucoup d’espace, et enfin de l’ennui, le sentiment d’en avoir fait le tour, de vouloir plus grand. Cette sensation je l’ai souvent connue, sans forcément en être toujours conscient. C’est celle de l’ennui mêlé à des instants de grande liberté face à mon territoire. Celui que je trouvais juste autour de la maison et du jardin, et chaque fois un peu plus loin. C’est vrai que je ne peux pas dire que les rues autour de chez moi ont été les plus vivaces, mais de là à affirmer que l’espace public des quartiers pavillonnaire est mort...

11


La notion d’espace public est bien difficile à définir, d’autant plus que je vais en parler en zone pavillonnaire. Pour tenir un discours capable de rendre compte d’une réalité, adopter un regard attentif, à la façon dont Georges Perec se plaît à décrire les reliefs du quotidien, je m’éloignerai aussitôt d’une définition urbano-centrée de cette notion. L’idée d’espace disponible, continu, et aussi celles de vide ou de liquidité me seront plus familiers. Comparer l’espace public de ces situations à celui de la ville historique n’est pas mon but ici. Je m’appuierai sur la double redéfinition de Xavier Desjardins et Antoine Fleury à ce sujet : « En premier lieu, nous nous détachons d’une lecture « péri-urbaine » de ces territoires que nous nommons « territoires de densités intermédiaires ». « Nous ne partirons pas d’une définition sociologique de l’espace public, mais d’une lecture géographique de la variété des espaces ouverts au public pour en comprendre le sens, les logiques de conception et les usages ».6 Ce changement de focale me semble essentiel au début de l’enquête.

12

De la vie il y en a, je m’en souviens. Enfant, j’ai passé beaucoup de temps dans la rue. Mes amis vivaient dans le quartier. Après les devoirs, on se rejoignait souvent dehors, avec mes sœurs et mon frère aussi, quand le jardin ne suffisait plus. On avait besoin d’explorer un terrain plus grand, d’épier le monde des adultes. On se racontait des histoires, sans le savoir on reconfigurait la géographie du quartier. Certains endroits avaient un nom, avec une majuscule : la Forêt, la Cabane, la Déchet’, l’Usine, la Tour Cancé.

Introduction

Mes souvenirs m’amènent à penser que dans un quartier pavillonnaire, les enfants et les adolescents sont l’âme des espaces publics. Ils font avec ce qu’ils trouvent. N’ayant que leurs jambes et parfois le vélo, leur rayon d’action est souvent réduit à leur quartier. Par leurs pratiques spontanées, informelles et décomplexées, par leurs jeux et leurs histoires, ils agitent les courants et jonglent avec les limites du monde « adulte ». Ils sont capables à travers leurs « jumelles » de trouver un monde à chaque coin de rue. « Les espaces du jeu sont, classiquement, séparés des espace de la vie. Il n’y a que les enfants qui jouent dans les espaces de la vie même. Ils le transforment fictivement ou le détournent en inventant des règles arbitraires ».7 La rue le leur rend bien, elle est pour eux un espace de socialisation, et d’apprentissage. Elle est comme une extension, plus libre encore, de la cour de récréation dans le monde réel. C’est l’école buissonnière. Jane Jacobs rappelle : « Ils ont également besoin d’un espace non spécialisé, hors de la maison, où jouer, traîner et construire leur image du monde. En pratique, c’est seulement par le 6 Xavier Desjardins and Antoine Fleury, « Les espaces publics dans les territoires de densités intermédiaires : conceptions, usages et potentialités », Revue Géographique de l’Est, Association des géographes de l’Est 2014. 7 Raphaël Zarka, La conjonction interdite, B 42, rééd. 2011, 2003.


Après les devoirs 13

Fig.3 : Malartic : Scène pavillonnaire 2 (source propre : 2008).


contact avec les adultes, régulièrement rencontrés sur les trottoirs de la cité, que les enfants découvrent les principes fondamentaux de la vie urbaine ».8 Enfin, les jeunes sont au centre de nombreuses sociabilités adultes dans ces quartiers. On se croise en allant chercher les enfants à l’école, on sort le dimanche dans la rue avec eux, il y a aussi les aller-retours incessants pour les activités du mercredi après-midi. Le pavillonnaire est un milieu très familial. Les jeunes y ont un rôle central. Je parle d’enfants et d’adolescents mais finalement la notion générale qui traversera l’enquête sera celle de la jeunesse. Le terme s’entend comme la « période qui va de la fin de l’enfance à l’adolescence ou qui suit l’adolescence »9. Ainsi, enfance et adolescence permettent de distinguer les étapes qui la constituent. Il est cependant difficile de leur attribuer un âge. Une de mes ambitions sera celle de définir ces moments. Mon hypothèse est que ces étapes sont fortement liées à la scolarité, c’est pourquoi je parlerai de jeunesse comme définit en amont, et j’affinerai cette notion au fil de l’écriture. La question qui noue alors ces lacets et qui traversera mon enquête est formulée de la manière suivante : dans quelle mesure la jeunesse propose-t-elle de nouvelles façons d’habiter l’espace public en milieu pavillonnaire ?

14 Introduction

Ainsi, je m’écarterai d’une longue tradition d’un regard relativement critique sur ces territoires. Depuis leur apparition, ils sont en effet largement commentés, souvent avec la même froideur. Certains ouvrages font tout de même référence : le triptyque Haumont-Raymond 10, le travail de Pierre Bourdieu 11 et plus récemment celui de Anne Lambert 12. Elles me serviront parfois d’appuis, mais mon enquête aborde le sujet sur un angle plus empathique et plus personnel. Je préférerai d’autres références qui offrent des méthodes et des outils d’observation et de compréhension du terrain par sa pratique. Dans ce mémoire j’essaierai de transmettre une réalité de l’espace public pavillonnaire à travers le regard et les pratiques de la jeunesse, et de celui que j’étais. Je souhaite effectivement exprimer l’aspect personnel de mon travail et d’en tirer profit. Je tâcherai par là même de garder la distance nécessaire pour ne pas fausser mon regard. Pour donner corps à mes questionnements, je les mettrai à l’épreuve de deux cas d’études choisis arbitrairement. Il s’agit d’une version augmentée de Malartic à Gradignan, chez ma mère, et d’une version diminuée du Bourg de Canéjan, chez mon père. Les cas d’études présentent des aspects suffisamment proches et divergents pour 8 Jane Jacobs, Déclin et survie des grandes villes américaines, Parenthèse, 2012 (version originale : The Death and life of great american cities, Random House, 1961). 9 Définition du CNRTL. 10 Henri Raymond, Nicole Haumont, Marie-Geneviève Raymond, Antoine Haumont, Henri Lefebvre, L’habitat pavillonnaire, puis Les pavillonnaires. Etude psycho-sociologique d’un mode d’habitat, et enfin La politique pavillonnaire, Centre de Recherche d’Urbanisme et Institut de Sociologie urbaine, 1966. 11 Pierre Bourdieu (dir.), « L’économie de la maison », Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 81-82, mars 1990. 12 Anne Lambert, «Tous propriétaires !», l’envers du décor pavillonnaire, Éditions du Seuil, 2015.


que la comparaison soit riche. Un des axes de mon travail veillera à donner à voir ces territoires au travers de différents outils. Je me questionnerai à chaque fois sur la pertinence de chacun face aux cas étudiés.

Pour cela, l’enquête commencera autour des cas d’études. Je m’efforcerai de les rendre lisibles au lecteur, donc vous, qui a priori ne les connaissez pas. Ce sera une première manière d’adopter cette attitude descendante ; il me semble important de comprendre avant tout de quoi il s’agit. Je tournerai autour des aspects métropolitains, historiques et géographiques de ces quartiers, cherchant à révéler la nature de leurs espaces publics. Pour cette approche d’en haut je m’approprierai l’outil cartographique afin de proposer un point de vu à la fois juste et personnel. Une fois familiarisés avec les territoires, je nous plongerai dans la quotidienneté de leurs rues. La photographie m’aidera à parcourir ces terrains, à en capter les singularités, et à les donner à voir. Encore une fois je reviendrai sur la cohérence de cet outil et son intérêt ici. Ce retour sera l’occasion de montrer l’existence d’une « culture pavillonnaire » puis de l’incarner. Cette vue d’en bas me permettra de placer au centre de ces espaces la notion de jeunesse. J’argumenterai autour de l’intérêt de focaliser mon travail sur une telle catégorie. Dans la dernière partie, je nous soumettrai aux jeunes habitants de ces deux territoires. Par la méthode des « itinéraires commentés », ils nous immergeront directement dans leur quotidien, leurs souvenirs et leurs fantasmes face à leur territoire pavillonnaire. Le but sera de parvenir à définir les espaces publics par les pratiques qu’ils portent. Ce sera aussi le moment de confronter cette expérience à mon vécu et mon statut d’étudiant en architecture.

*

*

*

Bonne lecture !

Après les devoirs

Je vais chercher à ce que chaque étape de ma démarche soit un pas de plus vers ces territoires. La dynamique doit être descendante ; la structure même du mémoire doit refléter ma volonté de prendre à revers la critique quasi systématique dont ces quartiers sont victimes. De la même façon, il faut voir à travers chaque pas et chaque outil convoqué une aide pour comprendre la lecture que la jeunesse fait quotidiennement de ces espaces extérieurs. D’en haut, je veux descendre jusqu’en bas, projeté dans les yeux de cette jeunesse.

15


16 Introduction

Dans ma banlieue pavillonnaire Quand j’étais môme Tout y était si extraordinaire Dans ma banlieue pavillonnaire Quand j’étais môme Y avait toujours des trucs de dingues à faire On squattait pas les bancs nous C’était l’équipe des 400 coups Et de ces bon vieux BMX, c’étaient partis pour les Goonies On jouait au foot comme Waddle dans l’allée des Gatiner On se faisait payer des crumbles par les daronnes pour le goûter On changeait les vieux squats en bêtes de maisons hantées On inventait une histoire pour chaque coin du quartier On a construit 1000 cabanes dans la forêt d’à côté À coté de nous Mc Giver savait à peine bricoler On a commencé nos conneries dès nos premières tombolas Dès nos premières colonies, on était déjà ingérables Dès nos premières parties on truquait nos Banga Accrocs à “Madame est servie” Amoureux de Samantha On servait à la Chang Bariolés comme les polos d’Aggassi Tellement agaçant à se prendre pour des grands Ouais, alors qu’on était tout p’tit !

Fig.4 : Paroles : Enhancer, Banlieue Pavillonnaire (Album : Désobéir, 2008).


Après les devoirs

PREMIÈRE PARTIE

Vu d’en haut, émergence d’espaces « liquides »

A - Lecture urbano-centrée

1 - Contexte métropolitain 2 - Gradignan : « une ville verte, dynamique, culturelle, paisible et aérée » 3 - « Découvrir la ville de Canéjan »

B - Lecture historique : fabrique d’espaces publics

1 - Un contexte politique et social favorable 2 - Malartic : la logique ex-nihilo 3 - Le Bourg : une urbanisation ramifiée

C - Lecture géographique : espaces liquides en négatif

1 - Malartic : archipel isolé 2 - Le Bourg : mangrove et son rivage 3 - Microcosmes : du chez-soi à la rue

17

21 26 28 31 34 40 46 47 52


PREMIÈRE PARTIE

Vu d’en haut, émergence d’espaces « liquides »

18 I. Première partie

« Le Moyen Age a eu ses villes fortifiées et ses cathédrales, le XIXe siècle ses boulevards et ses lycées. Nous avons nos hangars commerciaux et nos lotissements. Les parebrise de nos voitures sont des écrans de télévision, et nos villes ressemblent à une soirée sur TF1 : un long tunnel de publicité (la zone commerciale et ses pancartes) suivi d’une émission guimauve (le centre muséifié) ».1 Les espaces et quartiers pavillonnaires ont bien souvent été regardés à distance, de haut. Les ouvrages de références sur ce sujet aussi ont cette froideur, cette tendance critique. Pendant mes études d’architecture j’ai entendu parler de « péri-urbain », « suburbs » façon états-unienne, mais aucune de ces définitions n’a jamais su correspondre avec ce que je connaissais quotidiennement de ces quartiers. Pire, je me sentais mal à l’aise, et quelque part coupable de ce « cauchemar pavillonnaire ».2 Depuis le centre, les quartiers pavillonnaires sont régulièrement perçus comme une maladie, un cancer impossible à stopper et qu’il serait urgent d’extraire du paysage urbain. Ces espaces sont trop souvent définis dans leur dépendance au centre-ville historique et pas assez dans leur histoire et surtout dans leur géographie propre. De cette façon, les arguments esthétiques, politiques ou idéologiques reviennent très souvent et brouillent la compréhension de ces situations urbaines actuelles. 1 Xavier de Jarcy et Vincent Remy, « Comment la France est devenue moche » dans Télérama, n° 3135 : « Halte à la France moche », 2010. 2 Jean-Luc Debry, Cauchemar pavillonnaire, l’Échapée, 2012.


Dans son article, Susanna Magri questionne cette longue tradition politique ou intellectuelle voulant faire le procès de la typologie pavillonnaire et ses habitants. « I- La modernité : un objectif consensuel» ; « II- Grands ensembles, habitat pavillonnaire : l’homologie des figures de l’embourgeoisement» ; « III- Le ‘‘ pavillonnaire ’’, archétype du petit-bourgeois individualiste » ; « De l’application de cette grille de lecture résulta une triple stigmatisation du pavillon, devenu symbole à la fois de l’anti-modernité, de l’individualisme et d’un petit embourgeoisement ». 3

« En fait, les diffus ne fréquentaient pas seulement les maisons, les autoroutes, les réseaux informatiques et les auto-grills, ils fréquentaient aussi ces vides, qui n’étaient pas encore intégrés dans le système. Les espaces vides tournent effectivement le dos à la ville pour organiser une vie autonome et parallèle, mais ils sont habités. C’est là que les diffus vont cultiver leurs jardins clandestins, promènent leurs chiens, pique-niquent, font l’amour, cherchent des raccourcis pour passer d’une structure urbaine à l’autre. C’est là que leurs enfants vont chercher des espaces de liberté et de socialisation ».4 Ici, Francesco Careri se réfère à l’idée de « ville diffuse »5 et à ses habitants les « diffus ». L’auteur, membre du collectif Stalker, observatoire nomade, propose de voir la ville comme un système combiné de parcours sédentaires et nomades. Dans son ouvrage Careri argumente le fait que l’urbain et l’architecture, en tout cas les tous premiers signes, proviennent des tracés erratiques de l’Homme paléolithique. Ces errances auraient ensuite donné, en se complexifiant, les modes urbains sédentaires (agriculture, élevage) et nomades (transhumance). Ce qui m’intéresse dans cette vision c’est la richesse et la potentialité donnée à l’espace public (compris comme espace vide, commun) et à ceux qui l’habitent. La marche et surtout l’itinéraire y sont pointés comme outils capables d’organiser et donner sens à un territoire « chaotique ». Cette posture pousse donc à regarder ces espaces de l’intérieur pour les comprendre et pouvoir les appréhender. 3 Susanna Magri, « Le pavillon stigmatisé » dans Marie Charvet (dir.), L’Année sociologique, n°58 : «La ville, catégorie de l’action», 2008. 4 Francesco Careri, Walkscapes, el andar como practica estética, Gustavo Gili, 2002 (version francaise : Walkscapes, la marche comme pratique esthétique, Actes Sud, 2013). 5 Francesco Indovina, La Città Diffusa, IUAV, 1990.

Après les devoirs

L’auteure revient notamment sur les ouvrages de référence à ce sujet et montre comment les sociologues par exemple ont participé à donner cet habit d’individualisme qui colle à la peau du pavillonnaire. Ou aussi comment le parti communiste, lié à la politique des grands ensembles, et tournant le dos à la maison individuelle, a pu participer à la stigmatisation de cet habitat. Elle tient ainsi à remettre à le sujet en débat et se fait voix de celle qui n’a jamais percé : l’empathie. J’y vois une fenêtre légitime pour convoquer des références qui ne sont pas directement liées au thème, mais dont la vision se rapproche plus de mon vécu, de mes intuitions et du travail que je souhaite mener sur ces territoires. Ils font pour moi figure d’outil.

19


Si, donc, historiquement, « l’itinéraire est le premier degré de la cartographie »6, alors j’en ferai le chemin inverse dans ce mémoire. Je commencerai à observer mes cas d’études d’un point haut grâce aux outils cartographiques. Il faut voir, à travers le titre « vu d’en haut », une référence à cette lecture urbano-centrée que je souhaite transcender. Je suivrai une lecture verticale à travers les strates historiques et géographiques. « La carte fait le deuil de certaines informations et invite à redécouvrir le monde ».7 Cette « archéologie aérienne » me permettra de comprendre comment les quartiers pavillonnaires, et les formes urbaines récentes qui l’accompagnent, prennent place dans le territoire et ainsi le définir sans jugement de valeur. D’en haut je verrai apparaître des vides entre les pleins, des espaces dit publics, desquels je tâcherai de révéler les contours. Dans un premier temps je planterai brièvement le contexte urbain et statistique dans lequel s’inscrivent Gradignan et Canéjan, puis plus précisément Malartic et le Bourg. Je laisserai chaque commune se définir à travers les mots choisis par leur mairies respectives.

20

Ensuite, j’adopterai une lecture historique, verticale, à travers les couches récentes des territoires choisis. Remis dans un contexte national et dans leurs processus de fabrications, je montrerai l’apparition d’espaces publics, soumis aux règles du lotissement. Ce sera aussi l’occasion de mettre en évidence quelques nuances d’un cas à l’autre.

I. Première partie

Enfin, je terminerai cette partie autour d’une lecture géographique de ces espaces publics que nous auront vu naître. Cette nouvelle approche révélera des espaces vides, à lire en négatif de ce qui est privé et individuel. La cartographie me permettra ici de tracer les contours de ce vide, en observer le contenu.

A - Lecture urbano-centrée « Alors, il n’y aurait pas d’autre modèle de vie que celui qui consiste à prendre sa voiture tous les matins pour faire des kilomètres jusqu’à son travail, par des routes saturées et des ronds-points engorgés, pour revenir le soir dans sa maison après être allé faire le plein chez Carrefour ? ».8 En Europe et dans le reste du monde, la France tient une position bien singulière face à ses pavillons et ses maisons individuelles. Malgré ces propos très critiques sur l’état des paysages de nos villes et campagnes proches, la maison individuelle continu de 6 Centre de création industrielle et al., Cartes et figures de la Terre, Centre Georges Pompidou,1980. 7 Christian Jacob, L’Empire des cartes, Albin Michel, 1992. 8 Xavier de Jarcy et Vincent Remy, « Comment la France est devenue moche » dans Télérama, n° 3135 : « Halte à la France moche », 2010.


gonfler démographiquement les campagnes à un rythme plus élevé que celui des villes. Ainsi, « de 1999 à 2009, la croissance démographique dans les espaces ruraux est deux fois plus importante que dans les espaces urbains (11,6% contre 4,9%), avec une part notable de construction en diffus (40%) ».9 « Le goût des français pour la maison individuelle et l’importance de cette production justifient de revenir sur son histoire, en se fondant sur l’exemple de quelques départements de l’ouest de la France qui s’avèrent représentatifs pour l’essentiel de la production de la maison individuelle depuis la seconde reconstruction ».10

Encore une fois mon ambition n’est pas de retracer une histoire du logement pavillonnaire en France et dans le monde, ni de revenir sur la question de l’habitat en soi, mais bien de questionner deux cas sur leur espaces publics et tenter de les définir autour des pratiques qu’ils portent. Néanmoins, il me semble important de montrer en quoi mes cas d’étude sont représentatifs du phénomène pavillonnaire et de l’étalement urbain des années 1950 à aujourd’hui. Le titre « lecture urbano-centrée » est le point de départ de mon raisonnement, mais je m’attacherai à désorienter ce point de vue tout au long du mémoire. Dans un premier temps je situerai statistiquement et cartographiquement mes cas par rapport à Bordeaux qui est le centre de la Métropole. Donnant ainsi un premier contact avec les deux situations choisies et la légitimité de ce choix dans mon étude. Ensuite, je laisserai les mairies faire la présentation de leurs territoires à travers une sélection de leur site internet. On pourra y lire un langage publicitaire autour des atouts « verts » revendiqués de ces communes, d’ailleurs dues à leur ruralité proche. Je les mettrai en parallèle de statistiques sur Malartic et le Bourg, et leur disposition au sein de chaque commune.

1 - Contexte métropolitain Gradignan et Canéjan sont deux communes de la périphérie de Bordeaux. Au regard de la carte Gradignan et Canéjan sur le territoire métropolitain (Fig.5 sur la double page suivante) on note déjà quelques distinctions. En effet, Gradignan est en contact 9 Chantal Callais, Thierry Jeanmonod, Une maison pour chacun, une ville pour tous, La Geste, 2017. 10 Idem.

Après les devoirs

Dans leur livre, Chantal Callais et Thierry Jeanmonod reviennent sur cette typologie dans son histoire et ses procédures. Ils s’appuient sur des cas Aquitains pour donner à voir un évènement national. Les auteurs montrent notamment à ce sujet la dualité des opinions. La maison représente simultanément le « logement idéal » un modèle « d’incohérence et de laideur » « stérilisant la terre ». L’opinion et les intellectuels ont cette tendance à critiquer le modèle, et en face, c’est celui qui est le plus désiré, et d’ailleurs le plus produit dans les périphéries.

21


Roc ade

9

10

11a 11

12

13

14

22 I. Première partie

15

26b 25

25

3

A6

1500

26

16


24

Bordeaux

Population : 253 812 habitants Superficie : 4 936 km2 Densité : 5 142 hab/km2 Données INSEE en 2015.

23

Après les devoirs

22

21

20

18b

Gradignan Population : 25 719 habitants Superficie : 1 577 km2 Densité : 1 631 hab/km2

17 18

23

19

Données INSEE en 2015.

Canéjan Population : 5 477 habitants Superficie : 1 200 km2 Densité : 456 hab/km2 2 A6

N

Données INSEE en 2015.

Fig.5 : Gradignan et Canéjan sur le territoire métropolitain. Élaboration propre d’après photo aérienne Google Map. Fig.6 : Gradignan et Canéjan sur le territoire français. Élaboration propre d’après photo aérienne Géoportail.


direct avec la Rocade, la seule liaison rapide de Canéjan à Bordeaux est l’autoroute. D’ailleurs la première compte parmi les communes de la métropole, tandis que la seconde non. La suite du mémoire, reflétera par moments l’importance de cette nuance, il me semble important d’en donner ici les bases. Par son isolement, Canéjan connait une urbanisation plus tardive que Gradignan, qui, très tôt, est inclus dans les logiques d’étalement de la centralité. L’urbanisation du territoire métropolitain de Bordeaux s’est urbanisé en onde depuis le centre. Elle est en cela représentative d’une tendance nationale, voir internationale, celle d’une époque. Si l’urbanisation est une vague, donc, et que son origine est ici Bordeaux, alors, la carte montre d’emblée que cette vague touche d’abords Gradignan, Canéjan ensuite. Les chiffres sur la population en témoignent : 25 719 habitants à Gradignan contre à 5 477 Canéjan, pour des superficies similaires. La seconde, plus que la première, porte cette identité rural.

24 I. Première partie

Autre détail : à Gradignan la part de maisons individuelles représente 48,4 % contre 71,5 % à Canéjan en 2014 11. J’y vois tout de suite l’expression de cette tardiveté de développement et l’isolement de la seconde face à la première. En effet lorsque Gradignan connaît dans les années 1960 l’arrivée des grands ensembles et des logements collectifs, Canéjan reste à l’écart. La première porte ainsi un patrimoine collectif plus important, exprimant aussi son lien et sa soumission à Bordeaux. Si les villes étaient installées sur un tapis molletonné et que le poids de chacune des communes était capable de s’exprimer en termes de puissance et influence en creusant ce tissu, on verrait très rapidement Gradignan glisser dans la pente du trou creusé par Bordeaux, centre historique du territoire. Canéjan y glisserait plus tard, avec les lotissements pavillonnaires des années 1970. Ces chiffres sur la maison individuelle montrent aussi l’importance de cette typologie dans ces deux communes : elle représente au moins la moitié du parc immobilier, dans un cas comme dans l’autre. À titre de comparaison, la même statistique pour Bordeaux donne seulement 23,5 % de maisons individuelles, cela montre combien cette typologie est caractéristique dans ces communes de l’aire de Bordeaux. Cela confirme aussi l’intérêt de ces communes comme cas d’étude pour les questionnements sur le logement pavillonnaire qui sont les miens dans ce mémoire.

*

*

*

Gradignan et Canéjan sont emblématiques des phénomènes d’étalement urbain des cinquante dernières années. Les prendre comme cas d’étude c’est aussi entrer en résonance avec bon nombre de situations similaires. S’imposer de les observer avec empathie, et par là trouver des outils adaptés, c’est remettre en question leur « identité » périurbaine et trouver une définition propre, singulière. À ce propos, Éric Charmes se demandais : « Si l’urbain est partout, pourquoi utiliser le préfixe 11 Chiffres de l’INSEE.


Après les devoirs

‘‘ péri- ’’ ? ».12 Pour échapper à une définition réductrice et castratrice de Malartic et du Bourg, je vais les observer dans leur histoire récente, et leur géographie propre, questionnant la pertinence des outils à convoquer. Les deux cas, par la singularité d’une commune par rapport à l’autre, présentent déjà des différences. Le but n’est pas d’en faire la liste. Par contre certaines spécialités marquent l’espace public dans chacun des cas, dans sa fabrique ou sa morphologie. Dans un souci de compréhension de ces espaces, je reviendrai sur les particularités fondatrices.

25

12 Éric Charmes, La ville émiettée, essai sur la clubbisation de la vie urbaine, P.U.F., 2011.


2 - Gradignan : « une ville verte, dynamique, culturelle, paisible et aérée »

26 I. Première partie

Malartic Population : 2 985 habitants Jeunes (0-17 ans) : 21,9% Nombre de ménages : 1 335 Familles avec enfant : 36,9% Maison individuelle : 50,5% Majorité mitoyen Données IRIS en 2012.

500

N Fig.7 : Malartic sur le territoire de Gradignan.


Après les devoirs 27

Fig.8 : Logo et capture d’écran, site web de la mairie de Gradignan.


3 - « Découvrir la ville de Canéjan »

28 I. Première partie

Le Bourg Population : 2 574 habitants Jeunes (0-17 ans) : 18,7% Nb de ménages : 1 125 Familles avec enfant : 49,0% Maison individuelle : 66,5% Majorité milieu de parcelle Données IRIS en 2012.

500

N Fig.9 : Le Bourg sur le territoire de Canéjan.


Après les devoirs 29

Fig.10 : Logo et capture d’écran, site web de la mairie de Canéjan.


30

B - Lecture historique : fabrique d’espaces publics

I. Première partie

« La nécessité d’inclure dans une image la dimension du temps en même temps que celle de l’espace est aux origines de la cartographie. Le temps vu comme histoire du passé [...] et le temps au futur : comme présence d’obstacles qu’on rencontrera au cours du voyage, et c’est ici que le temps atmosphérique se soude au temps chronologique [...]. La carte géographique, en somme, tout en étant statique, présuppose une idée de narration, elle est conçue en fonction d’un itinéraire, c’est une Odyssée ».1 Le premier réflexe quand on est perdu c’est de regarder le plan. Dans les rues sinueuses des quartiers pavillonnaires, on a vite fait de se perdre. Confronté au deux cas que j’ai choisi d’étudier, j’ai pris de la hauteur pour m’y retrouver. J’ai été surpris par cette vision que je connaissais mal. En fin de compte, ces territoires je les ai toujours connu d’en bas, depuis la rue, au plus depuis ma fenêtre ou du haut de la tour CANCÉ. Surpris donc, mais pas autant qu’au moment ou j’ai essayé de remonter le temps... Différents outils permettent de prendre de la hauteur. J’utilise souvent Géoportail (voir Fig.11 et 12 sur la double page suivante). Cet outil propose un ensemble de filtres qui offrent chacun une lecture singulière du territoire observé. Parmi eux on trouve 1 Italo Calvino, « Il viandante nella mappa », Collezione di sabbia, Garzanti, 1984 (version francaise : « Le voyageur dans la carte », Collection de sable, Gallimard, 2014).


évidemment les photographies aériennes les plus récentes, mais aussi les photographies d’une mission datant de 1950 à 1965. J’ai donc superposé ces deux calques, qui, en masquant et révélant alternativement l’un d’entre eux, laissent apparaître 60 ans d’urbanisation intense. Cette mécanique révèle quelques invariants ponctuels, mais surtout l’impressionnante invasion de la campagne par les formes d’un urbanisme nouveau, qui lui sont étrangères. Si la transformation provoquée par le simple clic de la souris au moment de masquer ou révéler un des calques était réel et instantané, pas même les scénarios de science fiction de l’époque auraient pu la prévoir. Pourtant 60 ans ce n’est rien. Deux générations auront eu raison d’un paysage qui n’avait alors quasiment jamais changé.

Mon apport est certainement dans l’utilisation de la cartographie pour une première approche des espaces publics de Malartic et du Bourg. L’ambition est de donner à voir, par cet outil, les transformations des territoires ruraux de la façon la plus instinctive possible. Je veux ainsi revenir sur les changements majeurs de ces soixante dernières années pour mieux appréhender un état actuel des espaces publics. Je me focaliserai particulièrement sur leur fabrique dans ce contexte pour comprendre d’où provient leur apparente pauvreté. Tout d’abord je reviendrai brièvement sur le contexte national qui a favorisé ces évènements. La création de nouveaux procédés qui ont facilité la propagation du désir et de la production pavillonnaire. Ensuite je me concentrerai sur les cas de Malartic et du Bourg. J’essaierai de montrer quels ont été les principes conducteurs de ces opérations. Ainsi je mettrai en évidence la logique de fabrication des espaces publics en négatif des espaces privés. Cette lecture historique me permettra d’y engager ensuite une lecture géographique.

1 - Un contexte politique et social favorable La loi Loucheur de 1928 (du nom du ministre du travail et de la prévoyance sociale Louis Loucheur) est la première réponse nationale à la crise du logement croissante. Elle prévoit la construction de 260 000 logements individuels sur 5 ans 2. Dans les années 1960, l’états-unien William J. Levitt importe le marché de la maison individuelle (maisons Lévitt). Dans les années 1970, l’état marque le coup avec la promotion du procédé de la Z.A.C. (Zone d’Aménagement Concerté) et ses « chalandonettes » (du nom du ministre de l’industrie et du logement Albin Chalandon). 2 Chantal Callais, Thierry Jeanmonod, Une maison pour chacun, une ville pour tous, La Geste, 2017.

Après les devoirs

Le but ici n’est pas de retracer l’histoire exhaustive de l’habitat pavillonnaire ou individuel, ni du lotissement. Un certain nombre d’auteurs excellents en la matière l’ont déjà fait et re-fait. Je n’ai rien de plus à apporter sur ce sujet. Je me contenterai de m’appuyer sur leurs études pour décrire au mieux mes cas et les situer dans leur contexte historique.

31


Fig.11 : Capture d’écran depuis Géoportail : vue aérienne du Bourg de Canéjan en 1950-65.

32 I. Première partie

« Le plus spectaculaire est probablement la politique de la maison individuelle, surnommée souvent ‘‘ chalandonnette ’’ par allusion au concours de la maison individuelle lancé dès mars 1969 par le Ministère et qui, en utilisant la procédure toute nouvelle de la Z.A.C. , avait pour but de réaliser de vastes villages de maisons individuelles à des prix très économiques, en mettant à la charge de l’opération les dépenses d’équipement des terrains ; la maison devenait un bien accessible à tous ; l’énorme succès rencontré par l’opération permettait de donner un net avantage à la maison individuelle par rapport au collectif (deux tiers de maison individuelle au plan national et plus de 50% en région parisienne) ».3 L’année 1972 à elle seule représente 546 000 logements construits en France. « Les zones d’aménagement concertées sont les zones à l’intérieur desquelles une collectivité publique ou un établissement public y ayant vocation décide d’intervenir pour réaliser ou faire réaliser l’aménagement et l’équipement des terrains, notamment de ceux que cette collectivité ou cet établissement a acquis ou acquerra en vue de les céder ou de les concéder ultérieurement à des utilisateurs publics ou privés ».4 3 Michel Carmona : « Georges Pompidou, le logement et l’urbanisme », dans Pascal Griset (dir.), Georges Pompidou et la modernité, les tensions de l’innovation 1962-1974, P.I.E. Peter Lang, 2006. 4 Code de l’urbanisme, 1er alinéa de l’article L. 311-1.


Après les devoirs

Fig.12 : Capture d’écran depuis Géoportail : vue aérienne du Bourg de Canéjan en 2018.

33

La politique du logement individuel est effectivement une promotion de l’État français. À la fin des années 60, il s’appuie sur l’échec des Z.U.P. (Zone à Urbaniser en Priorité), l’appauvrissement de la production du logement collectif, et donc du secteur locatif pour introduire le procédé des Z.A.C. Elle permet de faciliter la concertation entre les collectivités publiques et les promoteurs privés. La Z.A.C. est adaptée aux projets de grande échelle, souvent ex-nihilo. Albin Chalandon, ministre de 1968 à 1972, fait construire 60 000 «chalandonnettes» dans ce cadre. On lui doit aussi l’accélération de la production d’équipements autoroutiers : le pays passe de la construction de 50 km par an à 500 km. Le plan d’épargne logement est dynamisé, la production individuelle s’intensifie et devient modèle stable, accessible et désiré des citoyens. Les centres villes, chers, sales, bruyants, ne font pas le poids et la classe moyenne s’installe dans les périphéries. C’est l’ambiance villageoise qui est recherchée : grandir, vieillir ensemble, voir les enfants pousser en même temps que le jardin, l’espace, le calme. La fabrique de la ville périphérique, menée à un rythme effréné, est laissée aux mains des élus et des lotisseurs. David Mangin nous rappelle que les dessins de voirie et d’ « espace public » sont confiés à des géomètres-aménageurs dans 70 % des cas.


« L’étalement résidentiel de ces trente dernières années apparaît davantage comme une sorte d’implosion des cellules du grand ensemble, une caricature de villages sans rues, sans cours, sans commerces, où se juxtaposent des familles précautionneusement distancées, dans des maisons ‘‘ individuées ’’ plus qu’individuelles ».5 En Gironde, en février 1970, une réunion se tient à la Préfecture. On y décide les modalités de mise en œuvre d’une première tranche de 3200 logements sur les 7500 envisagés dans le département. Les communes choisies sont celles qui disposent encore de vastes espaces faciles à urbaniser, et proches de l’agglomération bordelaise : 800 maisons à Canéjan, 750 à Gradignan (Malartic), 600 à Cestas, 500 à Saint-Médarden-Jalles et 250 à Léognan. Au regard de ces chantiers et du rythme de production, je trouve important de questionner la fabrique des espaces publics, espaces du commun et d’en observer les évolutions. Car si les pavillonnés sont capables de s’accommoder de ce qui leur est proposé, il ne faut pas croire qu’ils ne désirent pas, et que ces espaces les désintéressent. La thèse du replis sur soi ne peut pas être une justification. « Oubliant au passage que l’entre-soi résidentiel n’est pas le propre des espaces périphériques et que le carré haussmannien avec son digicode et son interphone n’a pas grand-chose à envier, en matière de délimitation d’une sphère privée, au lotissement pavillonnaire ».6 34

2 - Malartic : la logique ex-nihilo

I. Première partie

Les documents Malartic : la logique ex-nihilo 1 et 2 (Fig.13 et 14 sur la double page suivante) se composent de deux doubles cartes. Ils sont à lire en parallèle de ce que je dis de la fabrique de Malartic. J’ai créé ces documents de façon à rendre instinctives les notions abordées par la suite. Ils sont la traduction de cet étonnement que j’ai eu en regardant les territoires de mon enfance d’une époque à l’autre sur Géoportail (voir Fig. 11 et 12 sur la double page précédente). Ils expriment la même instantanéité et me permettent de mettre en évidence les transformations et permanences du territoire rural originel. La double page de droite et celle de gauche sont autonomes et se complètent. En rabattant le premier transparent sur sa page de gauche on projette les masses bâties et les principales voiries de la situation actuelle sur une photographie aérienne de 1950-65. La page de droite et son transparent sont le mouvement strictement inverse. Il n’y a pas d’autre façon de lire ce document. L’urbanisation intensive de Gradignan date de 1950, les « Grands Travaux » démarrent avec le réseau d’eau potable, qui n’existait pas. La commune était tout juste dotée en électricité (installé à partir de 1909). Mais c’est les lotissements qui marquent le 5 David Mangin, La ville franchisée, formes et structures de la ville contemporaine, Les Éditions de la Villette, 2004. 6 Vincent Casanova et Joseph Confavreux, « Hisser les pavillons ? » dans Aude Lalande et Pierre Zaoui, Vacarme, n°42 : « La France pavillonnaire », 2008.


changement le plus rapide et significatif, la commune connait trois grandes périodes de travaux. La première, relativement précoce, à partir de 1920, les lotissements construits à ce moment sont les plus vieux et structurent la ville future. La deuxième date des années 1960, elle correspond aux années Chalandon. Jusqu’à la fin des années 1970, au moins sept nouveaux lotissements sont greffés à ce qu’il reste du village. La dernière démarre dans les années 1980. En fait, en 1986, Gradignan compte 47 lotissements.7

C’est le cas des châteaux Barthez 1 et Malartic 2, ainsi que leurs accès, qui constituent aujourd’hui les seules entrées automobiles au lotissement. Le lotissement répond effectivement à la logique de la ville franchisée dont parle David Mangin. Franchisée non dans son premier sens, celui des enseignes et de ces centres commerciaux « signes ostensibles des transformations urbaines contemporaines en périphérie », mais dans sa deuxième définition : « franchises territoriales » et « franchises domaniales ». Ainsi, le lotissement émerge comme une île au milieu de deux grands domaines autrefois viticoles. L’attaque du phylloxéra et la guerre de 1914 mettent progressivement fin à ces activités. Les deux propriétés, ayant appartenu à Pierre Barthez et Bernardin Malartic, « gros cultivateur et maire de Gradignan entre 1800 et 1806 » sont vendues à partir de 1965. Le château Malartic est aujourd’hui E.P.A.J.G. (Établissement Public pour l’Animation des Jeunes à Gradignan), investi par la municipalité et le château Barthez est resté propriété privée, avec une partie de son domaine. Finalement c’est 716 « chalandonettes » et 598 foyers collectifs qui sont élevés. Un boulevard périphérique 3 dessert les différentes rues de circulations douces qui composent le quartier. Les pavillons s’enroulent en « clos » autour de ces rues sinueuses, venelles et petites placettes. Airelles, Brunelles, Campanules, Capucines (chez moi), Floralies, Grand-Bois, Jasmins, Obiers, Stellaires, Volubilis, Chantemerle, les noms des rues prennent une couleur florale. D’un côté les pavillons, implantés de façon mitoyenne, autour de trois maisons individuelles types et leurs déclinaisons : Alicante (R+1, déclinaisons Bermudes et Baléares : entre 5 et 6 pièces, 335 dans le quartier), Castille (mixte, 4, 5 et 6 pièces, 254 dans le quartier), et Cérac (plein pied, 4, 5 et 6 pièces, 127 dans le quartier). De l’autre côté, sont implantés trois ensembles de logement collectif, la résidence Barthez 4, la résidence Chantemerle 5 et la résidence des Saules 6. Le quartier fonctionne aujourd’hui comme un « village ». Avec ses deux écoles : le Pin Franc 7 et Malartic 8, son collège : Alfred Mauguin 9, son école de musique, sa bibliothèque et sa ludothèque 10, son centre commercial Auchan 11, et de l’autre côté du bois de Mandavit, le théâtre des Quatre Saisons 12, la médiathèque Jean Vautrin 13, les terrains de sports du parc Mandavit 14 et le parc animalier du Moulineau 15. 7 Michel Bélanger, Le patrimoine de Gradignan, Éditions de l’Entre-Deux-Mer, 2015.

Après les devoirs

La construction de la Z.A.C. Barthez-Malartic correspond à la deuxième vague de chantier. Elle répond au programme de facilitation d’accesssion à la propriété lancé en 1969 par Chalandon. La superposition des calques (voir Fig.13 et 14 p.36 ; 37) montre la radicalité avec laquelle s’installe le lotissement dans le territoire rural. Néanmoins on peut observer quelques persistances très ponctuelles.

35


N

13 12

14

15

36

7

4

I. Première partie

1

6

11

8

2

9

5

10

3

200


N

13

14

12

15

37

Après les devoirs

7

4 1

6 8

2

11

3

5

10

9

200


N

13 12

14

15

36

7

4

I. Première partie

1

6

11

8

2

9

5

10

3

200


N

13

14

12

15

37

Après les devoirs

7

4 1

6 8

2

11

3

5

10

9

200


7

5

8

38

I. Première partie

6

4

200

N

3

2

1


Après les devoirs

7 5 8

39

6

4

2

200

3

1

N


7

5

8

38

I. Première partie

6

4

200

N

3

2

1


Après les devoirs

7 5 8

39

6

4

2

200

3

1

N


Le logement et les espaces collectifs sont produits à bas prix. Inévitablement, les conséquences se font sentir sur la qualité du résultat. Quand les premiers habitants arrivent, il n’y a pas de téléphone, pas de bus, pas de commerces, le lotissement est encore en chantier. Tout juste copropriétaires, ils se plaignent de problèmes d’infiltration d’eau (30 maisons sur 100 à la livraison), fissures en façade, et autres malfaçons. Les habitants finiront par s’unir pour réclamer réparation. Cela donnera lieu à plusieurs manifestations publiques, un procès contre le promoteur : le C.I.L.G. (Comité Interprofessionnel du Logement de Guyenne et de Gascogne), puis une pièce de théâtre 8 et deux courts métrages 9 qui font le récit de 15 ans de lutte. Finalement, le procédé de la Z.A.C. et la production ex-nihilo de ce complexe en a fait un « ghetto » dortoir. Malgré la dimension sociale du projet, le résultat ne vaut pas pour la qualité de ses espaces publics. Mis à part le parc Mandavit, qui donne un souffle vital à ce quartier, ceux-ci se réduisent à la voirie lancinante qui distribue l’ensemble des pavillons et aux chemins de traverses piétons. Malartic par ses deux seules entrées est à la fois connecté et surtout déconnecté du centre Bourg de Gradignan. La liane 8 du réseau T.B.M. (Transports Bordeaux Métropole) passe à un rythme soutenu et relie directement le lotissement au réseau de Tram. Les arrêts font figure de portail de téléportation. Pourtant, le cadre y est privilégié, presque 3 000 habitants y ont aujourd’hui trouvé logis.

40 I. Première partie

On le voit très bien dans les documents Malartic : la logique ex-nihilo 1 et 2. La manipulation des cartes met en évidence l’aspect « sur-naturel » de la forme Malartic. Son échelle est disproportionnées à celle du territoire existant, et son apparition est rapide. Le lotissement est son équipement semble suffisamment vaste et armé pour faire village à lui seul, mais l’absence de mixité et la pauvreté du dessin des espaces publics semble l’en empêcher. Malartic est une forme rigide, cohérente, autonome, il fait figure d’utopie.

3 - Le Bourg : une urbanisation ramifiée Les documents Le Bourg : une urbanisation ramifiée 1 et 2 (Fig.15 et 16 sur la double page précédente) se lisent exactement de la même manière que ceux de Malartic. Ils naissent du même étonnement et montrent leurs propres singularités. Jusqu’en 1968 (dernier recensement avant un changement radical), alors que les principales communes de la périphérie bordelaise ont connu une augmentation considérable de leur population (par exemple Pessac gagne 32 000 habitants entre 1954 et 1975), Canéjan ne compte que 644 habitants, dont 72 au Bourg.10 Ce rythme rural est alors à l’encontre des tendances contemporaines. Les villes évoquées ont connu les Z.U.P. et s’apprêtent à recevoir les Z.A.C. de Chalandon (exemple de Malartic, donc). 8 « GLIC sur Malarcity », réalisé par Jean-Claude Parent (Théâtre en Miette), juin 1982. 9 « Acteurs dans leur quartier » et rétrospectivement, « Racontes-moi ». 10 Bruno Gasteuil, Jacqueline Mercier, Roger Mercier et al., Canéjan, les cottages de La House ont 40 ans, Association Histoire et Mémoire de Canéjan, 2012.


Mais le « village » ne restera pas à l’abri de la pression urbaine.

À peu près au même moment, de l’autre côté de la commune, au Bourg cette fois, l’entreprise I.B.M. France installe ses locaux 1. C’est finalement une aubaine pour Canéjan qui à partir de 1976 touche les recettes professionnelles. Ce revenu constitue un fond très important pour la commune et sera la source financière de tous les grands travaux publics menés dans les années 1970-80 : la voirie, le centre culturel Simone Signoret 2, la nouvelle Mairie, le stade des Peyrères 3, les équipements du centre Bourg (Mairie, bureau de poste, ...) 4 et la médiathèque de la House par exemple.11 C’est aussi à cette époque qu’est construite, au nord de Canéjan, l’autoroute A63 5 (Bordeaux - Arcachon). Mais la commune ne pourra en profiter qu’à partir de 1980 grâce à la construction d’une bretelle, prise en charge par la commune. Malgré cela, le déséquilibre entre la House et le Bourg reste impressionnant depuis la livraison de la Z.A.C. des Cottages (2 700 habitants contre 200). Le Bourg, resté très rural, subit pour l’instant toute cette mouvance. Dans le cadre du S.D.A.U. (Schémas Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme) discuté pour 69 communes de la C.U.B. (Communauté Urbaine de Bordeaux, actuel Bordeaux Métropole), un P.O.S. (Plan d’Occupation des Sols) est élaboré à Canéjan autour de 4 axes : rééquilibrer les deux pôles de la commune, répartir l’équipement à proximité des zones urbanisées, respecter l’environnement forestier et agricole et les sites naturels, et enfin développer les zones économiques. À partir de ce moment, le Bourg de Canéjan commence petit à petit, mais à un rythme soutenu, à changer de visage. Les routes sont encore des chemins de terre avec des fossés de chaque côtés. La première grosse opération immobilière à voir le jour est le lotissement Barbicadge I et II 6, en face de l’église. Entre 1982 et 1985 sont construites une centaine de maison. La logique immobilière du Bourg n’est pas celle de Malartic ou des Cottages. Ici le propriétaire du foncier (la Caisse de Dépôt et Consignations pour la plupart) vend ses terrains à des lotisseurs qui se chargent de diviser les parcelles et d’en assurer la bonne déserte (voirie, électricité, eau potable, ...). Ils dessinent donc l’espace public, puis ils vendent les parcelles aux particuliers qui y construiront leur maison. De cette façon, de 1979 à 2001, c’est une quinzaine de lotissement et environ 700 maisons qui se construisent au Bourg. 11 Bruno Gasteuil, Jacqueline Mercier, Roger Mercier et al., Canéjan, d’une rive à l’autre, Association Histoire et Mémoire de Canéjan, 2004.

Après les devoirs

En 1964, le Bourg de Canéjan évite de peu l’offre d’implantation d’un lotissement faite par l’Office public d’H.L.M. du Conseil Général. La municipalité s’oppose au projet. Mais, entre 1964 et 1965, la Caisse de Dépôts et Consignations, qui s’intéresse à Canéjan, s’offre quelques 100 hectares de l’autre côté de la commune, à la House, et d’autres du côté du Bourg. Les terrains sont achetés à d’anciens forestiers et agriculteurs qui ne les exploitent plus. Le prix offert, pourtant bas, reste supérieur à celui de la qualité de terrain agricole. Conséquence des dynamiques nationales, préfectorales et municipales, le premier projet de logement individuel voit le jour à Canéjan. La machine se lance en 1970. La Z.A.C. des Cottages, et ses 710 pavillons, amorce une longue série d’opérations de logement individuel.

41


Depuis 2001, les terrains continuent de se vendre et se bâtir. Cette fois selon la loi S.R.U. (Solidarité Renouvellement Urbain) qui impose à Canéjan un taux de logements locatifs sociaux de 20 % depuis 2000, et de 25 % depuis 2013. Parallèlement, I.B.M. quitte ses locaux (en 1993), et la commune perd ses rentes. Une révision du P.O.S. en 1990 permet de répartir les nouvelles Z.I. (Zone Industrielle) et Z.A. (Zone d’Activité). De cette façon, I.B.M. vend ses locaux au sous-traitant étatsunien Solectron, dans la récente Z.I. du Courneau. À l’endroit de l’ancienne briqueterie, de l’autre côté de l’autoroute, est créée la Z.I. de la briqueterie 7. À la frontière avec Gradignan, sont créées les Z.A. Actipolis I (en 1990) et II (en 2009) 8, elles comptent aujourd’hui environ 200 entreprises. Au final Canéjan compte 5 Zones d’activités économiques, elles se situent toutes dans le bourg, en bord d’autoroute. La ville en a vite compris les atouts. Finalement, Canéjan a connu une urbanisation relativement douce, malgré la rapidité du phénomène. Le lien avec le Bourg semble être resté très fort. Les quartiers sont ouverts, certains moins que d’autres (sensation dortoir). L’ensemble parait composé d’univers distincts cohabitant les uns à côté des autres : les pavillons avec les opérations H.L.M. plus récentes, en lisière d’une Z.I. en bord d’autoroute. Là aussi la mécanique des lotissements (bien que différente) a généré des espaces publics liés à la voiture, et de nature assez pauvre. L’environnement est souvent brutal, mais cela donne de l’air à la commune, une impression d’espace. Toutefois, il faut noter que la population de Gradignan est trois fois plus élevée pour une superficie à peine plus grande. 42 I. Première partie

Le Bourg : urbanisation ramifiée 1 et 2 montrent à ce sujet la correspondance de la plupart des tracés anciens avec les tracés actuels. Cette urbanisation plus douce s’exprime par son dialogue avec l’existant ; il y a permanence. On voit en manipulant les transparents du document comment les formes nouvelles remplissent les « cases » laissées par la voirie existante. Les routes relient ainsi directement la majorité des nouveaux lotissements avec le centre Bourg. Ce profil semble correspondre avec le concept de « ville passante » 12 de David Mangin, en opposition à la ville fermée. Il en ressort une potentielle flexibilité du tissu urbain du Bourg.

*

*

*

« Dans La Misère du monde, Pierre Bourdieu a étudié les mécanismes qui produisent une concentration de la pauvreté dans certaines zones de la ville, y compris les dispositifs publics. L’un d’eux était le logement social. Inventé avec l’État providence, il est devenu une manière de concentrer les pauvres dans des zones déterminées ».13

12 David Mangin, La ville passante, Parenthèse, 2008. 13 Mario Togni cite Bernardo Secchi dans « La ‘‘ ville diffuse ’’, icône du XXIe siècle ? », Le courrier, 2011. (web : https://drupal.lecourrier.ch/la_ville_diffuse_icone_du_xxie_siecle)


D’un côté il y a effectivement la pauvreté des espaces publics. La lecture historique m’a permis d’accéder aux processus de transformation des territoires de mes cas d’études. J’ai vu qu’ils sont l’œuvre de techniciens et pensés en négatif de l’habitat. À cette époque, et encore aujourd’hui, les espaces publics, au sein d’opérations de lotissement, ne sont pas dessinés de façon promouvoir l’ « habiter ». C’est facile de pointer du doigt « l’entresoi » ou «individualisme» de ses habitants. Mais en approfondissant on voit bien que les espaces du commun, donc publics, sont ce qu’ils sont parce qu’ils sont fabriqués ainsi, par la chaîne d’acteurs plus ou moins compétents que j’ai mis en évidence. D’autre part, les documents cartographiques montrent clairement comment Malartic et le Bourg se différencient dans la souplesse de leur forme. L’un apparaissant comme un bloc figé, et l’autre comme un ensemble de branches en continue croissance.

Après les devoirs

On pressent déjà l’aspect indéfini des espaces publics et la nécessité de les observer de plus près, dans leur géographie. La lecture historique a cet intérêt de dévoiler les mécanismes ; l’avant face à l’actuel, mais il ne permet pas d’entrer complètement dans la morphologie et la matérialité des espaces vides qui composent ces territoires.

43


44 I. Première partie

C - Lecture géographique : espaces liquides en négatif La lecture à travers les récentes couches urbaines de ces deux territoires met en évidence un vide, en négatif du plein. Ce vide constitue la réelle nature de l’espace public de ces deux cas d’études. Ils sont en cela des exemples de phénomènes plus globaux. On comprend mieux les définitions de la ville et de la société post-moderne qui apparaissent à la fin du XXe siècle. Ici je me référerai, à titre d’exemple, à Eric Charmes, citant Bernardo Secchi, lui même dans la continuité du concept de « ville diffuse » amené par Francesco Indovina (cf. note de bas de page p.19) « La ville diffuse va de pair avec un mode de vie, celui de la maison unifamiliale avec petit jardin. Je pense que c’est un trait culturel du XXIe siècle. Cette « idéologie » est devenue très forte en Europe. Je le perçois quand des gens me disent, comme une évidence, qu’ils vont se marier, faire des enfants et donc partir s’installer à la campagne ».1 Parmis ces définitions on retiendra aussi : la « Vie liquide » de Zygmunt Bauman, le « Terrain Vague » de Solà Morales, les « Non-Lieux » de Marc Augé, le « Tiers Paysage » de Gilles Clément, ou encore la « Ville Émiettée » d’Éric Charmes. 1 Eric Charmes cite Bernardo Secchi dans « La ville diffuse », C.I.T.E.G.O., 2015 (web : http://www.citego. org/bdf_fiche-document-23_fr.html).


Toutes ont cette ambition commune de définir un état de la ville contemporaine et ses espaces « anti-héros ». Celle-ci change vite et ses définitions sont de plus en plus vagues. D’ailleurs elle ne pourrait être plus précise, car l’objet lui même se liquéfie. «Au delà du système de l’habitat, des axes, des routes et des maisons, il existe un grand nombre d’espaces vides qui forment l’arrière-plan sur lesquels la ville s’autodéfinit. Ils diffèrent de ces espaces vides traditionnellement compris comme espaces publics - les places, les avenues, les jardins, les parcs, ils forment une grande portion du territoire non construit, qui est utilisé et vécu d’une infinité de façons, et qui s’avère parfois absolument impénétrables. Les vides sont des parties fondamentales du système urbain. Ce sont des espaces qui habitent la ville de façon nomade».2

« Ils forment le négatif de la ville bâtie, les aires interstitielles et marginales, les espaces abandonnés ou en voie de transformation. Ils sont les lieux de la mémoire réprimée et du devenir inconscient des systèmes urbains, la face obscure de la ville, les espaces du conflit et de la contamination entre organique et inorganique, entre nature et artifice ».3 Dans cette ville contemporaine, mouvante, j’ai montré le peu d’intérêt porté à l’espace public dans le processus de fabrication du lotissement pavillonnaire. Cette carence me pousse à chercher une définition géographique de ces espaces. De quoi sont-ils fait ? Comment se connectent-ils ? Quelles sont leurs dimensions ? Je voudrai désormais observer de plus près la morphologie qui résulte de tels processus d’urbanisation, et pouvoir en observer les variantes, s’il en est, d’un cas à l’autre. Je vais les comparer sur certains critères de façon à pouvoir identifier ces espaces. En vue aérienne, si je sépare les pleins des vides, si je soustrait au territoire les zones privés, auxquelles je ne peux accéder, je peux me faire une idée de la réelle morphologie de ces espaces publics. En effet, la démarche révèle un réseau de forme liquide, composé d’espaces vides, continus, se glissant entre les propriétés. Je suis légitime dans cette façon de procéder puisque j’ai bien vu en remontant les couches historiques que le traitement de ces espaces est secondaire, et que la priorité est à la propriété : la maison, le jardin et la voiture. Il faut les lire en creux pour être sûr d’en avoir une vue globale (voir Fig. 17 et 18 p.48 ; 51). Je commencerai cette lecture géographique de chacun des cas autour des deux cartographies respectives. L’ambition de celles-ci est de montrer un état de l’espace public. La lecture historique m’a montré deux logiques d’urbanisation différentes qui amènent à deux figures géographiques propres. Je tisserai des métaphores exoticogéographiques, pour exprimer la nature liquide des espaces vides. 2 Francesco Careri, Walkscapes, el andar como practica estética, Gustavo Gili, 2002 (version francaise : Walkscapes, la marche comme pratique esthétique, Actes Sud, 2013). 3 Stalker, À travers les territoires actuels, Nouvelles Éditions Place, 2000.

Après les devoirs

Ainsi, le groupe Stalker, que j’ai déjà évoqué, parle de « territoires actuels » pour définir à son tour les espaces en creux de la ville bâties. Les notions d’espaces en « négatif » et celle d’«actualité» abordées dans cette définition m’intéressent.

45


Enfin, je reviendrai plus précisément sur certaines situations pour observer les singularités et variations de densités de ces espaces vides. Ici je me concentrerai sur le trio : maison, jardin et voiture.

1 - Malartic : archipel isolé Archipel (subst. masc.) : Ensemble d’îles disposées en groupe. Groupement irrégulier de choses (concrètes ou abstraites) identiques ou semblables. 4

46

Dans leur manifeste 5, Rem Koolhaas et Oswald Mathias Ungers, utilisent la figure de l’archipel pour évoquer l’état de dépeuplement de Berlin, à partir duquel ils feront projet. Dans ce schéma, seuls les éléments historiques suffisamment significatifs du centre sont gardés ; ils sont les « villes dans la ville ». Le reste est envisagé comme un océan souple de structures mutables, plus en accord avec la contemporanéité des modes de vie et des besoins. C’est la première fois que le concept d’archipel est introduit en urbanisme. Dans le cas de Malartic, la figure de l’archipel fait sens. Elle rappel d’une part la nature ex-nihilo de la fabrique de ce lotissement et d’autre part les petits mondes insulaires que sont les sphères privées de chacun des ménages. Par la lecture historique, j’ai montré comment ce procesus en a fait un élément isolé du reste de la ville. À la manière d’un archipel, Malartic est un objet autonome et éloigné. Ramifié de l’intérieur grâce à un réseau qui lui est propre, il est entouré par un océan de forêt et connecté au reste du monde par ses lignes de bus. L’île émerge généralement de l’eau en un bloc volcanique, qui est donc le matériau le plus ancien.

I. Première partie

La carte Malartic : archipel isolé (Fig.17 sur la double page suivante) permet de lire cette comparaison. J’y ai détaché ce qui est de l’ordre du privé ou du bâti (sur le transparent) de ce qui est l’espace public, vide, liquide. On peut y voir l’objet Malartic dans son environnement. La page de droite, celle des espaces publics, montre la hiérarchie des réseaux, des grands espaces aux petites venelles. Le transparent met en évidence les regroupements des îlots privés. La page de gauche, elle, montre l’espace public liquide comme une masse solidaire, elle permet de visualiser sa morphologie. La carte est triple et doit se lire ainsi. À première vue, la carte montre de grands atolls au sein desquels on trouve de plus petites îles. L’archipel Malartic est ainsi divisé en sous blocs eux même composés de lots dans lesquels on trouve les terrains : unités de maisons et jardins. Un grand bras de mer, le boulevard Malartic, trace les contours de l’archipel et se connecte aux multiples affluents aux nom de fleurs. Ceux-ci irriguent les blocs, les imprégnant au passage de leur nom, puis se redivisent pour accéder aux propriétés, souvent autour de bassins, ou placettes. 4 Définition du CNRTL. 5 Oswald Mathias Ungers, La ville dans la ville-Berlin : un archipel vert, Studio Verlag für Architektur, 1977, dans une réédition de Florian Hertwerk et Sébastien Marot, La ville dans la ville, Berlin : un archipel vert, Lars Müller Publishers, Zürich, 2013.


En son centre se trouvent les « volcans ». Ils sont la géologie ancienne à l’origine de l’archipel. Les châteaux Barthez et Malartic. Le premier 1 est actif, privé, inaccessible. Il est au centre du lotissement, et apparait en négatif de l’espace public, telle une présence inconsciente, quasi invisible malgré ses dimensions. Le second 2, à l’Est du premier, au contraire s’est ouvert aux habitants. Il abrite les associations culturelles du quartier. Autour de lui gravitent un ensemble culturel : crèche, ludothèque, bibliothèque et école de musique.

Le bois de Mandavit 9 encercle l’archipel. Comme une mer, il est à la fois ce qui l’isole et le relie avec le reste du territoire. C’est un monde de piraterie, sa souplesse permet ici tout type de détournements. Il est possible d’y naviguer librement. On y trouve une faune endémique : le complexe sportif de Mandavit 10 et le parc animal du Moulineau 11. Au loin, au Nord Est, que l’on ne parvient pas à voir sur la carte 6, se situe le centre Bourg de Gradignan. Il semble tourner le dos à l’archipel, ne jamais l’avoir reconnu. Il ne noue avec lui aucune liaison particulière, il appartient à un autre archipel. Autour, règne l’océan, le réseau de parcs dont Gradignan est si fier.

2 - Le Bourg : mangrove et son rivage Mangrove (subst. fém.) : Formation arborescente ou arbustive se développant sur les littoraux vaseux et lagunaires de la zone tropicale, dont l’espèce dominante est le palétuvier.7 Dans son livre Mangroves Urbaines8, David Mangin fait le parallèle de cette figure géographique avec le système ramifié du métro, ses plateformes et ses lieux de destinations dans une ville. Ce n’est pas de cette façon que je souhaite utiliser la définition. Je retiendrai les mots en gras « arborescence » et « lagunaire » pour exprimer l’état géographique du Bourg et sa formation. En effet le territoire du Bourg, contrairement à celui de Malartic, s’est développé en petits rameaux consécutifs, sur fond de ruralité, que l’on peut toujours observer dans les interstices en attente d’affectation. Aujourd’hui le territoire a cette souplesse qui lui permet de continuer de s’urbaniser. Ainsi, il évolue au rythme des réformes et des avancées technologiques, sociétales ou culturelles. La mangrove, écosystème en constante adaptation, soumis 6 Pourtant de la même échelle que la carte Le Bourg : mangrove et son rivage. 7 Définition du CNRTL. 8 David Mangin, Mangroves Urbaines, Édition de la découverte, 2016.

Après les devoirs

Des minis ensembles d’îles aux formes très angulaires 3 ; 4 ; 5 apparaissent comme des satellites de l’archipel. Ils correspondent aux résidences de grands ensembles, qui baignent dans leur espace « vert ». L’archipel semble hermétique à ces formes singulières. Ils sont pourtant desservis par le même boulevard. Les équipements scolaires 6 ; 7 ; 8 eux se fondent dans la masse Malartic, on ne peut les différencier.

47


N

48

I. Première partie

150


N

5

8

2

7

4

1

eitrap erèimerP .I

9

3

49 84

Après les devoirs

6

1

11

7

150

01

5


N

5

10

7

11

1

6

3

48

9

I. Première partie

1

4

7

2

8

5

150


N

49

Après les devoirs

150


50

I. Première partie

N


eitrap erèimerP .I

8 Après les devoirs

2 11

1

5 4 3

6

7 51 05

21

9

01

150


2 11 1

5

3

4

8 50

6

I. Première partie

12

9 10 N

7


51

150 Après les devoirs


aux marées, semble correspondre à la géographie du Bourg. Sa ruralité est encore très présente 1, les îlots construits semblent y baigner, et ceux qui naissent creusent leurs racines dans cet état vaseux. La métaphore me permet ici aussi de révéler la liquidité des espaces publics, qui se glissent entre les massifs privés. La carte Le Bourg : mangrove et son rivage (Fig.18 sur la double page précédente) est une lecture géographique, elle met en évidence plusieurs éléments. Elle est faite sur la même base que Malartic : archipel isolé, il faut la lire de la même façon. Le transparent permet de révéler la réelle nature des espaces publics du Bourg. Sur la page de gauche on peut y lire leur liquidité, et sur celle de droite leur géographie et matérialité. De haut en bas on croise : l’autoroute, la zone industrielle, les lotissements, le centre Bourg et la forêt de Canéjan.

52 I. Première partie

Les massifs bâtis et privés semblent peu à peu émerger de cette matière liquide, jusqu’à peut être la saturer. En tout cas pour l’instant, les espaces vides sont encore nombreux et peu définis. Si les opérations de lotissements ont eu tendance à contenir ce vide autour de « canaux » et « lagons », la partie industrielle, au nord, proche du passage du fleuve A63 2 est, elle, très souple et « marécageuse ». Effectivement, le territoire présente différentes vitesses de cette liquidité. Suivant que l’étendu soit pincée, ou dilatée, la figure est torrentielle ou stagnante. Tel l’eau qui passe entre les branchages des palétuviers en accélérant, ici les éléments privés, voiture comprises, remplissent ce rôle. La carte montre que les espaces vides les plus souples sont : les terrains vagues aux abords de l’autoroute 3 et de la zone industrielle 4, la déchetterie 5, les forêts 6 ; 7, les vignes du château Seguin 8, les terrains de sports 9, les parcs 10, ou encore le lac de la briqueterie au Nord 11. Les espaces les plus denses sont : l’autoroute, les rues et allées desservant les lotissements, et finalement la plupart des surfaces bétonnées (en gris sur la carte). L’A63 concentre le plus grand flux de voitures, le torrent est rapide, les mouvements sont constants et intenses. Rien ne pousse complètement autour de l’autoroute, tout y semble provisoire, attendant la prochaine grande crue qui laisserait les carcasses métalliques des entreprises à la dérive. Le territoire s’est protégé de ce torrent avec une butte anti-bruit, permettant au lotissement de pousser plus calmement au Sud. Plus au Sud encore, protégé, encerclé par le pavillonnaire, les commerces et les équipements publics, on trouve le lagon originel : le centre Bourg 12 qui semble encore polariser les alentours. Il a su garder une proximité avec les nouveaux lotissements pavillonnaires et la voirie, qui est quasiment la même depuis toujours et continue de relier le centre et les environs.

3 - Microcosmes : du chez-soi à la rue Dans les deux cas, on remarque des degrés de densité des espaces publics. Ceux en lien direct avec la maison sont comprimés entre les propriétés et les voitures, en stationnement ou de passage. Ils sont de matérialité dure : béton, gravier et de couleur


Pour regarder d’encore plus près ces espaces hybrides, il faut s’intéresser à l’échelle des unités privées : maison, jardin et voiture. Ils forment le trio des espaces du chez-soi pavillonnaire. Les cartes Microcosme 1 et 2 (Fig.19 et 20 sur les doubles page suivante) sont issues de photos aériennes avec rotation à 45°. Elles cadrent une portion plus réduite encore de mes cas d’études que les cartes précédentes. J’ai choisi mes cadrages de façon à pouvoir montrer l’essence de mes cas d’études, ces cartes sont à lire dans la continuité des autres. J’y ai isolé sur la page opposée des morceaux de paysages qui me semblent significatifs. Certaines catégories sont génériques, la parcelle ou la rue par exemple, ce qui me permet de comparer mes cas sur des points précis. J’y met en évidence les différentes dispositions, d’un cas à l’autre, de ces trois axiomes du chezsoi, et en observe les conséquences sur l’espace public proche. Pour le cas de Malartic, on voit sur la carte Microcosme 1 (Fig.19) que les trois maisons types sont mitoyennes (Alicante, Castille et Cérac). Toutes présentent un petit jardin en façade, et quelques unes possèdent un plus grand jardin à l’arrière. Dans tous les cas, la densité de bâti est très forte à Malartic, ce qui fait que la voiture n’a pas de place dans le garage ou sur le terrain. On les retrouve donc dans la rue, devant la maison, ou autour des nombreuses placettes. Dans cette situation, le piéton partage l’espace public avec la voiture en mouvement, et en stationnement. Le thème du stationnement marque fortement les rues de Malartic, spatialement, visuellement, mais aussi en terme d’usage. « L’occupation du parking n’est pas sans évoquer un temps où la vie se déroulait dans l’espace du dehors. Le parking, espace de statut privé, fait en somme office d’espace public, par les usages qu’il autorise et les sociabilités qui s’y déroulent ».9

Ainsi, et je l’ai déjà pointé précédemment, la voirie de Malartic s’organise de façon hiérarchique, du plus grand au plus petit. On retrouve le boulevard, puis les rues qui traversent les clos, puis les boucles, ou venelles, qui aboutissent généralement en impasse avec placette. Ça c’est pour les espaces mixtes ; piéton et automobile, même si la plus grande partie semble réservée à la voiture, le piéton se contente du maigre trottoir. En plus de cette voirie goudronnée, il y a des cheminements parallèles, exclusivement piétons. Ces derniers ont une vie autonome et traversent un paysage totalement liquide, à l’arrière des maisons et jardin, dans des interstices laissés en négatifs. Ils sont la partie inconsciente de Malartic, et se relient d’ailleurs directement à la forêt. 9 Dominique Lefrançois, Le parking dans les grands ensembles, Les Éditions de la Villette, 2014.

Après les devoirs

sombre. Principalement, on y trouve la route et le trottoir. Mais les cartes montrent de grandes tâches, beaucoup moins dessinées, correspondants à des espaces souples. La matérialité ici est principalement végétale : forêt, bois, champ, vignes, pelouse, parc, terrain de sport mais aussi parking, grands ensembles, centre commercial. Lorsqu’il ne sont pas goudronnés, ces espaces sont totalement piétons. On peut donc attribuer cette variation de densité à la voiture qui compresse, par les infrastructures qui permettent son fonctionnement. Et comme les routes permettent l’accès à la maison, on comprend vite que le piéton doit partager son espace avec la voiture au sortir de la maison. La limite entre espace public et infrastructure semble sensible.

53


Désert vert Délaissé, tondu quand même

Impasse - placette Voiture Espace public Infrastructure

Maisons mitoyennes Type Cérac (R+1) Petit jardin sur rue Jardin privé derrière

Continuité piétonne Interstices

I. Première partie

Chemins de traverses

54

Boulevard Bus Vitesse

Château Barthez Privé

Château Malartic Public


55

Après les devoirs


Vers la zone d’actvité

Terrain vague Continuité végétale Entre accessible et clôturé

Lotissement HLM récent

Zone d’activité La tour Cancé Voitures et camions dans l’enceinte Chemin de Daulet Trottoirs libres Circulation rapide et régulière 56 I. Première partie

Pavillons Maisons en milieu de parcelle Voiture dans la propriété

A63 Niveau sonore élevé Butte anti-bruit

Vers le Bourg

La ferme Les chevaux Restes de rural


57

Après les devoirs


La carte Microcosme 2 (Fig.20) montre que le cas du Bourg est en cela différent. En effet, les maisons sont implantées en milieu de parcelles sur de grands terrains. J’ai montré que le Bourg ne répond pas exactement à la logique ex-nihilo de Malartic, il n’y a pas non plus de principe de maison type. Ici, chacun fait construire sa maison sur la parcelle, souvent plus généreuse. La voiture trouve donc naturellement sa place sur le terrain, capable de l’accueillir. Ainsi, on trouve beaucoup moins de voitures stationnées dans les rues du Bourg de Canéjan. De la même façon, j’ai montré comment pour le cas du Bourg la majorité de la voirie est héritée de l’époque rurale. Ici, contrairement à Malartic, la voirie n’a pas été dessinée dans une quelconque cohérence ou hiérarchie. Bien qu’il ne partagent pas les trottoirs, les territoires de la voiture et celle du piéton sont les mêmes, à quelques exceptions près. D’autre part, le document rend évident la présence du rural en toile de fond. Il a été bétonné par-ci, bâti par-là, mais resurgi ici, entre l’autoroute et la Z.A., entre les pavillons et les entrepôts. Cette perspective sur le territoire laisse encore possible d’imaginer un temps ou tout était rural, les chemins en terre, cette ferme là haut entourée de pâtures. Le territoire se montre indécis, vu comme ça, difficile de dire s’il se peuple ou se dépeuple, s’il s’habille ou se dénude.

58 I. Première partie

Enfin, en regardant la page de droite dans son ensemble, on se rend compte de l’existence de deux mondes bien distincts. En terme de couleurs, de densité, de proportions. Les pavillons face aux entrepôts. Ces derniers sont vastes, organisés en équipes, reliés entre eux par une continuité bitumineuse où les voitures et les utilitaires se reposent. Ils donnent à voir une certaine souplesse, le milieu semble poreux. En fait, le cadrage ne permet pas de les identifier, mais il y a des barrières, des grilles qui n’ouvrent leurs portes qu’aux véhicules chargés de la bonne marchandise. De l’autre côté des grilles, derrière ces corps métalliques, les maisons, et les habitants, installés derrière leur haie. Les plus chanceux ont une piscine, les autres un bout de jardin. La dominante est au vert. Seuls les toits rouges-bruns des maisons viennent ciseler de leurs angles droits, la moquette végétale. Le matin le premier monde se rempli de travailleurs, le soir il se vide. L’autre univers fonctionne absolument à l’opposé, le matin il se vide de ses habitants pour les retrouver le soir. Le week-end, personne d’un côté, tout le monde de l’autre. Les deux monde ne se voient pas, ne se connaissent pas.

*

*

*

La lecture géographique a cet intérêt d’être impartiale. En l’occurrence, elle permet d’emblée de montrer une réalité du territoire, dans ses liens avec le reste. L’image est fixe, mais les éléments prennent vie pour celui qui regarde attentivement la carte. Avec les métaphores géologiques de Malartic et du Bourg, je n’ai pas cherché à m’éloigner de mes cas, non plus à créer une abstraction d’eux même. Je pense au contraire qu’elles ont permis de se concentrer sur la réalité de l’espace public. Lui même étant le négatif du bâti, ces figures sur la liquidité renseignent, le rendent familier. C’est une façon de


le décrire, et donc de tenter une définition. Les métaphores convoquées permettent une mise en exergue des caractéristiques de ces espaces. Ils sont ambigus, l’eau aussi, et à force de tirer le fil de la comparaison, on arrive à une figure puissante, capable de révéler des enjeux. Les pavillons et la Z.A. au Bourg, l’importance de la forêt pour Malartic, son réseau de cheminements piétons, et la dualité entre espace public et infrastructure pour les deux.

Après les devoirs

Toutes ces ambiguïtés entrent dans la définition d’espace public que je souhaite défendre, celle d’un espace ouvert, accessible. Ils ont été laissé vide à un moment de la transformation du territoire d’origine. Ils sont porteurs du souvenir d’un avant rural, et en même temps, ils sont déjà inscrits dans les logiques pavillonnaires et urbaines nouvelles, souvent même, en sont leur conséquence. Enfin, ils portent un futur possible, pour être la seule surface non bâtie. En tous cas ils sont les espaces des habitants, qu’ils investissent quotidiennement, d’une façon ou d’une autre. Un atterrissage s’impose.

59


60 I. Première partie Fig.21 : Claptures d’écran : Bouli Lanners, Les Géants, Versus Production, 2011.


Après les devoirs

DEUXIÈME PARTIE Vu d’en bas, espaces du quotidien

A - Regard pavillonnaire

1 - Photographie et culture pavillonnaire 2 - Retour « critico-affectif » 3 - Ce qu’il reste, tentative d’épuisement

B - Jeunesse : personnage principal du décor pavillonnaire

1 - Pavillon environnement familial 2 - Grandir, jouer, se socialiser dans les rues pavillonnaires 3 - Metteurs en scène : exotisme et détournement

61

64 70 82 92 94 98


DEUXIÈME PARTIE Vu d’en bas, l’espace du quotidien

62 II. Deuxième partie

« La rue : essayer de décrire la rue, de quoi c’est fait, à quoi ça sert. Les gens dans les rues. Les voitures.[...] Ne pas dire, ne pas écrire «etc.». Se forcer à épuiser le sujet, même si ça à l’air grotesque, ou futile, ou stupide. On n’a encore rien regardé, on n’a fait que repérer ce que l’on avait depuis longtemps repéré. S’obliger à voir plus platement ».1 « Voir plus platement »... Platement, c’est horizontalement. Je dois donc descendre de la hauteur que j’occupais et me plaquer au contact du sol. Horizontalement, c’est debout, c’est tous les sens, les détails, les habitudes, les indices, horizontalement c’est le quotidien, tout entier. Le quotidien, c’est «ce qui appartient à la vie de tous les jours; réalité de tous les jours»2. C’est ce qui est, ce que je peux constater sur place, mon regard doit être attentif pour y accéder. Georges Perec par exemple en est un fin observateur. C’est cette posture que je vais chercher. L’approche de la ville au travers du quotidien et des habitants et se développe en France autour des écrits de Henri Lefebvre, Roland Barthes, Walter Benjamin3 ou 1 Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, réed. 2000, 1974. 2 Définition du CNRTL. 3 Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle : Le Livre des passages, Les Éditions du Cerf, 1989.


encore Michel de Certeau4. Les théories de Freud et Lacan sur l’inconscient marquent aussi un changement de paradigme. La posture se développe aussi dans le champ des arts, à commencer par Dada qui privilégie la rue aux galeries. Viendront ensuite les surréalistes et les lettristes, puis les situationnistes dans le prolongement de ces travaux jusque dans les années 1980. La constante est l’importance de l’exploration du quotidien ou de la banalité par le parcours. L’œuvre est un «ready made» 5.

Ces outils me semblent encore utiles face aux espaces publics des lotissements pavillonnaires. Ces espaces répondent à un urbanisme de zone, ils trouvent leur complexité et leurs enjeux au travers des habitants. C’est bien par l’exploration fine de leur quotidien et des pratiques qui y ont lieu que l’on peut approcher la réalité de ces espaces. C’est l’ambition de cette partie. Dans un premier temps, je vanterai les mérites de la photographie comme méthode d’exploration et forme de représentation des espaces du quotidien pavillonnaire. Je m’appuierai sur les travaux de photographes issus des milieux pavillonnaires, puis sur mes propres photographies. Pour poursuivre l’exploration des espaces publics pavillonnaires, je prendrai comme étendard la jeunesse et montrerai l’intérêt de se concentrer sur cette catégorie autour de trois arguments.

A - Regard pavillonnaire « La photographie n’est plus empreinte mais outil, elle n’est plus seulement la trace de l’expérience mais sa condition de possibilité ».6 Le photographe est à la fois celui qui explore et celui qui expose, celui qui observe, qui écris, et celui qui utilise l’outil. La photographie a cette particularité d’être si située et si visuelle. Elle apparait en effet, parallèlement à l’émergence de cette vision post-moderne des territoires et de la ville, comme un moyen d’immersion et de communication très puissant. En effet, là où Dada, les surréalistes et les situationnistes peinent à 4 Michel de Certeau, L’invention du quotidien, Union générale d’éditions, 1980. 5 Marcel Duchamps, Roue de bicyclette, 1913. 6 Raphaële Bertho et Héloïse Conésa, « Nous verrons un autre monde », Paysage français, une aventure photographique 1984-2017, Bibliothèque Nationale De France, 2017.

Après les devoirs

En architecture, ce changement de focale s’exprime autour du Team 10, d’Archigram, de la « New Babylon » de Constant, du mouvement métaboliste ou un peu plus tard en Italie avec l’architecture radicale et les collectifs Archizoom et Superstudio. Ces nouvelles visions avancent en parallèle des tentatives de définitions de la ville postmoderne que j’ai évoquées. L’apport de ces acteurs est notamment l’importance accordée aux pratiques, usages et représentations, et donc aux habitants de la ville. Là aussi le quotidien porte les nouveaux enjeux de la ville contemporaine.

63


retranscrire plastiquement leurs « dérives »7, la photographie fait force. Si bien qu’à partir des années 1930, on commence déjà à parler de photographie documentaire. « Dire et commenter ce qui est essentiel afin que le plus grand nombre le lise ».8 La photographie a de cette façon la capacité de dire et commenter l’état des choses. Après guerre, la banlieue devient un de ses terrains de prédilection, la photographie participe de sa définition, et rend visible ses territoires. La mission photographique de la D.A.T.A.R. (Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale) de 1985 cristallise ce regard sur le quotidien. La D.A.T.A.R. commande en effet à douze photographes d’explorer et de poser leur regard d’artistes sur la France dans sa modernité. Trente ans et quelques missions plus tard, le collectif France(s) Territoire Liquide tente une approche similaire 9, de son plein gré. Ils montrent que la photographie n’a en rien perdu sa force d’exploration et de restitution de nos contemporanéités. C’est cette démarche exploratoire et horizontale qui va me guider ici. Tout d’abord, je vais revenir sur l’importance de la photographie dans l’émergence d’une culture pavillonnaire. Je vais m’intéresser aux travaux d’habitants de ces quartiers. Le regard du photographe, lorsqu’il vient de l’intérieur m’intéresse, dans sa capacité à décentraliser le regard sur les territoires pavillonnaires, l’observer platement.

64 II. Deuxième partie

Imprégné de ces références, je me prêterai moi même à l’exercice de l’exploration photographique de mes deux cas d’études. Le but ici est de compléter la lecture verticale des espaces publics de Malartic et du Bourg. Je choisirai l’errance pour me frotter à la liquidité de ces espaces que je connais. Je transcenderai cette familiarité en y travaillant un regard documentaire. Cette partie sera donc la restitution de la sélection de mes photographies. Enfin, le dernier volet s’attachera à montrer ce qu’il reste dans ces vides. Regarder l’espace public encore une fois en négatif du privé, les pieds au sol. Qu’est-ce qui le rempli ? De quoi est-il fait ? Que peut on y voir ? En m’inspirant des exercices de Perec, je tenterai d’épuiser quelques lieux choisis de l’espace public.

1 - Photographie et culture pavillonnaire Les rues pavillonnaires ont des airs de décor de cinéma. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’un certain nombre de réalisateurs ont décidé d’y installer leurs caméras : Tim Burton pour Edward Scissorhands, Sofia Copolla pour Virgin Suicides, Benoît Delépine 7 « Formulaire pour un urbanisme nouveau », Ivan Chtcheglov, Allia, rééd. 2006, 1953. Première définition du concept de la dérive lettriste puis situationniste. 8 Marc Partouche, « Le brigand bien élevé », dans Jacques Deschamps et Marc Partouche, Une vie de banlieue, Éditions Hazan, 1995. À propos de la photographie documentaire. 9 Bernard Comment (dir.), W.A.F. (We Are French) et Jean-Christophe Bailly, France(s) territoire liquide, Éditions du Seuil, 2014.


et Gustave Kervern pour Mammuth, les frères Dardenne pour Deux jours, une nuit, Terrence Malick pour Tree of life, Clint Eastwood pour Gran Torino, entre autres. À chaque fois le «décor pavillonnaire» dialogue avec les personnages et les évènements dans la mise en scène du scénario. Dans la vraie vie c’est pareil, sauf qu’il n’y a pas de réalisateur et le scénario c’est le quotidien, reste alors les personnages et leurs histoires dans ce décor.

« Un journal hebdomadaire de la capitale a consacré un article qui se référait explicitement au monde périurbain de ce pays en relevant sa mocheté [...] Qui sontils, ces journalistes centralisés pour décréter la laideur de notre périurbanité ? ». Pour continuer, je vais commenter, par ordre chronologique, trois travaux photographiques qui adoptent cette horizontalité. Alain Leloup dans les années 1990, et plus récemment, pour une autre génération, Frédéric Ramade et Vanessa Kuzay. Le point commun est que les trois artistes ont grandi dans ces quartiers pavillonnaires. Je vais surtout me concentrer sur la notion d’espace public approchée dans ces regards. « Les banlieues, par les questions brûlantes qu’elles posaient sur la vie dans les grands ensembles, et le malaise d’y exister, étaient à la une de l’actualité. Les pavillons, eux restaient dans l’ombre des HLM ».12 Dans le travail d’Alain Leloup, il y a une justesse presque scientifique. Pendant quatre ans, de 1989 à 1993, il arpente, à la chambre photographique, la zone géographique de la Seine-Saint-Denis. Il y questionne l’habitat pavillonnaire et son environnement immédiat. Il restitue son travail photographique en trois temps : « façades », « intérieurs » et « autour ». L’intention est claire, et le résultat est limpide. À la fois personnel : Alain Leloup a habité à Aulnay-sous-Bois de ses dix-huit ans à ses vingt-cinq ans, et il est impossible de ne pas sentir une certaine tendresse dans son travail, qui est, il est important de le rappeler, une auto-commande. Mais aussi engagé, au moins dans son ambition de mettre en lumière un univers souvent rabaissé, peu débattu, vite jugé qu’est l’habitat pavillonnaire, et aussi dans son regard critique, capable de soulever en quelques photographies les enjeux cachés de ce territoire. Et surtout complet, en effet son travail 10 Xavier de Jarcy et Vincent Remy, « Comment la France est devenue moche » dans Télérama, n° 3135 : « Halte à la France moche ! », 2010. 11 Éric Chauvier, Contre Télérama, Allia, 2011. 12 Jacques Deschamps et Marc Partouche, Une vie de banlieue, 1995.

Après les devoirs

Parmi les personnages, les habitants, certains sont nés et ont grandi dans des lotissements pavillonnaires et ses rues. Depuis peu ils sont en âge de devenir eux même réalisateurs et de donner leur propre vision, leur propre mise en scène de ces espaces. Ce regard m’intéresse car il ne peut être urbano-centré, urbano-influencé, il est horizontal, plat, il est lucide et « critique » au bon sens du terme. À titre d’exemple, Éric Chauvier répond à l’article de Télérama 10, que j’ai déjà évoqué, dans son livre Contre Télérama 11, donnant sa propre version du pavillonnaire et adopte cette lecture horizontale, caractéristique de ceux qui y vivent.

65


Fig.22 : « Façades », photographies de Alain Leloup dans : Jacques Deschamps et Marc Partouche, Une vie de banlieue, 1995.

66 II. Deuxième partie Fig.23 : « Intérieurs », photographies de Alain Leloup dans : Jacques Deschamps et Marc Partouche, Une vie de banlieue, 1995.


Après les devoirs 67

Fig.24 : « Autour », photographies de Alain Leloup dans : Jacques Deschamps et Marc Partouche, Une vie de banlieue, 1995.


Fig.25 : Frédéric Ramade, Ode pavillonnaire, Filigranes, 2007.

68 II. Deuxième partie Fig.26 : Vanessa Kuzay, Territoires oubliés, 2016.


englobe toutes les dimensions du pavillonnaire jusqu’à l’aspect extérieur de la rue, c’est aussi un travail sur la photographie, la repositionnant comme outil sociologique et anthropologique dirigé par une grille d’observation et d’analyse. En fin de compte, le travail d’Alain Leloup me semble être une référence anticipée pour tous les autres travaux qui ont pu se faire en photographie sur ce type d’habitat, cela grâce à l’horizontalité de son regard et la volonté de montrer ce qui est.

Le travail vidéo et photographique de Frédéric Ramade est le résultat de cette série de constat. Il ne peut pas regarder ces quartiers pavillonnaires de haut ou avec suffisance quand ses parents y vivent encore, son regard est horizontal, nuancé, et donc m’intéresse. Plus que la photographie, il fait le choix de la vidéo. Le résultat est un court métrage dans lequel il met en scène sa famille : son père, sa mère et sa sœur, dans le pavillon et le quartier de son enfance. Le court métrage est accompagné d’un essai compilant photographies, références, mais surtout l’explication de sa démarche. Pour donner voix à sa famille, Frédéric Ramade leur soumet une série de questions type : « la rue, l’espace social dans l’univers pavillonnaire ? Le lotissement est-il un continuité de la maison ? C’est quoi le privé, le public ? Où ça s’arrête, où ça commence ? ». De cette façon, l’auteur remet sa famille face à ses choix de vie et ses pratiques quotidiennes. Face caméra, ce sont les réponses à ces questions que, tour à tour, donnent chacun des membres, les voisins, les proches et les moins proches, et tous se réapproprient leurs personnages, mis en scène dans leur environnement quotidien. Le court métrage se termine sur une « révolution » pavillonnaire. Le temps d’une soirée à laquelle sont invités, dans le jardin, voisins et amateurs d’art, le pavillon familial est détourné en œuvre d’art, un Readymade. Cela « incitera peut-être quelques pavillonnaires à imaginer leur habitat différemment » conclut l’auteur. « C’est une série d’images qui présente une jeune fille – ma nièce – dans des territoires très typiques de l’adolescence : des terrains de foot, des abribus, le lycée… Il s’agit d’une compilation des moments de vie d’une adolescente. Ces lieux paraissent quelconques à nos yeux d’adultes mais pour un ou une ado, ils forment leur univers tout entier. J’ai réalisé ce travail dans les lieux que je fréquentais moi-même à cet âge là ».14 13 Frédéric Ramade, Ode pavillonnaire, Filigranes, 2007 (https://www.fisheyemagazine.fr/en-ce-moment/ actu/les-territoires-oublies-de-vanessa-kuzay/). 14 « Les territoires oubliés de Vanessa Kuzay », Fisheye, 2016.

Après les devoirs

« Au départ, un constat, presque une évidence pour beaucoup : les pavillons, c’est moche. [...] Avide de modernité épurée et de théorie architecturale, j’étais toujours prêt à pester contre la laideur et les dysfonctionnements de la vie pavillonnaire, tout en me heurtant à un problème de taille : c’était précisément d’un pavillon que je venais. [...] Le pavillon que j’étais le premier à critiquer m’avait donc ‘‘ formé ’’. [...] En un sens, en poussant le raisonnement un peu plus loin, si j’étais capable de formuler des critiques à l’égard du pavillon, c’était aussi grâce à lui. [...] N’ayant aucune envie de finir en bas de mon arbre, je reprenais le chemin du pavillon familial en espérant que la caméra me permettrait de trouver une issue ‘‘ critico-affective ’’ ».13

69


À son tour, Vanessa Kuzay 15 met en scène sa famille dans les espaces de son enfance. Elle explique sa démarche lors d’une interview pour le magazine Fisheye. Elle explore en photographie les thèmes de l’errance, de l’adolescence et ses espaces, de l’ennui aussi. Sa nièce et le décor pavillonnaire entrent dans un dialogue à la fois mélancolique et familier, l’un y étant quelque part, au moins momentanément, l’extension de l’autre. « Elles ont été prises à Orange, dans le Vaucluse. Ce sont les lieux où j’ai grandi et où j’ai beaucoup traîné étant ado. J’éprouve une forme de tendresse et d’attachement à ces endroits mais en même temps, je voulais les fuir absolument à l’époque, parce que rien ne s’y passait ! Aujourd’hui je m’interroge : comment grandir et se construire dans une ville moyenne ? C’est ce que mes images racontent ». Elle aussi évoque une relation complexe avec les rues de son quartier. Sa lecture en est d’autant plus riche et profonde. Ici aussi l’artiste semble opérer une réconciliation, rendre un hommage critique à ces rues. Il n’y est pas question de bien ou de mal, de beau ou de laid. Le regard de ces trois artistes, pris à titre d’exemple, montrent quelque-chose de plus des rues pavillonnaires. Quelque-chose qui tient du vécu, de la quotidienneté. Les démarches sont personnelles et d’ailleurs spontanées, répondant à un besoin de donner sa version. J’y vois une culture pavillonnaire dans laquelle je souhaite m’inscrire. 70

2 - Retour « critico-affectif »

II. Deuxième partie

Ici je voudrai rendre visible et donner ma vision des territoires de mon enfance qui sont ceux que j’ai choisi d’étudier dans ce mémoire. Je le ferai par l’exercice de la photographie, avec les références que j’ai évoqué précédemment. Il faut les lire dans la continuité de ce qui a été dit jusqu’à maintenant, dans la construction de mon propos. J’utiliserai la photographie comme outil, et comme moyen d’exploration, donc. De cette façon, j’ai fait trois reportages dans les espaces publics de Malartic et du Bourg, que j’ai d’ailleurs précédemment décris dans leur liquidité. La sélection de mes photographies (voir Fig.27 p.72 ; 81) questionne l’identité de ces espaces, leur corpulence, mais aussi les traces et les indices de pratiques et de quotidienneté qu’ils portent. Les deux premiers reportages [...] sillonnent le Bourg de Canéjan, on y voit la proximité entre infrastructure, industrie, rural et pavillonnaire, ainsi que la facilité de passer de l’un à l’autre. Le premier, numéroté de [1] à [16] (10/04/18 ; durée : 1h00) est un parcours piéton, l’échelle de mon déplacement lui correspond. L’espace exploré est continu, chaque photographie est directement liée à la suivante. Le second indiqué de [A] à [X] (11/04/18 ; durée : 2h00) est une combinaison de déplacements à mobylette et de marche à pied. J’y arpente donc alternativement des espaces séparés 15 Vanessa Kuzay, Territoires oubliés, 2016.


les uns des autres. Le dernier [...] (13/04/18 ; durée : 2h00) donne à voir Malartic. Le parcours est piéton, le trajet relativement aléatoire. Les photographies sont numérotées de [1] à [30]. J’y montre la logique du lotissement, ses rues, ses « raccourcis » exclusivement piétons, et son centre commercial. J’y montre aussi le bois de Mandavit ; espace de libertés. On

Après les devoirs

Finalement dans cette série, tout semble appartenir à une même continuité. Dans les pages qui suivent, j’ai décidé de ne pas ranger les photographie par site, l’un après l’autre. Au contraire, j’ai préféré les mélanger. Les photographies apparaissent dans le désordre, les nomenclatures permettent de faire les correspondances avec chacun des reportages. Les photographies faites à Malartic et au Bourg se lisent en parallèle. Il faut y voir une volonté d’accentuer cette sensation de continuité. En effet, on pourrait presque croire qu’il s’agit d’un seul et même tissu. C’est peu être le cas...

71


[2] Bricolage.

[6] Checkpoint, aurée du bois.

[16] Tour Cancé, Z.A. Actipolis.

[7] Forêt de pins avant l’océan, Mandavit.

72 II. Deuxième partie [15] Faune locale, parc du Moulineau.

[10] Checkpoint, fausse route ancienne.

[M] Haras de l’Alezan.


[27] Garage ouvert sur rue.

[5] Jardin arrière.

Après les devoirs

[3] Garages fermés sur rue.

73

[5] Paking, jardin sur rue.

[3] Terrain vague, clotures.

[7] Jardin arrière.

[31] Parking, place des repas de quartier.


[E] Checkpoint, route ancienne.

[D] Lac de la briqueterie.

[10] Terrain de foot, Mandavit. 74 II. Deuxième partie [B] Parking, vous n’avez pas la priorité.

[29] Checkpoint, boulevard Malartic.

[21] Arrière boutique, centre commercial Auchan.

[16] Garages, résidences Barthez.


[9] Ponctuation sportive, forêt de Mandavit.

[G] Checkpoint, A63.

[H] Sortie Canéjan-Granet, A63.

Après les devoirs

[8] Jogging, forêt de Mandavit.

75

[26] Délaissé, tondu quand même.

[6] Lac, Z.A. Actipolis.

[F] Terrain vague, A63.


[J] Pavillons depuis la butte anti-bruit.

[1] Allée de la Gaubertie.

[V] Parking, lotissement H.L.M.

[U] Lotissement H.L.M.

[Q] Parking.

[2] Parking.

[R] Chemin d’Ornon.

[24] Sortie du chien, boulevard Malartic.

76 II. Deuxième partie


[X] Lotissement H.L.M et butte anti-bruit.

[25] Passage du facteur.

Après les devoirs

[28] Tunning.

77

[4] Chemin de traverse.

[30] Arrêt de bus : cabine de téléportation.

[T] Checkpoint, chemin de Daulet.

[S] Arrêt de bus, collège, lycée.


[8] Checkpoint, butte de séparation.

[K] Sortie Canéjan-Granet, A63.

[L] Accès ancien, château Rouillac. 78 II. Deuxième partie [I] Checkpoint, butte anti-bruit.

[N] Château Rouillac.

[11] Décheterie, trésor caché.

[O] Accès ancien, château Rouillac.


[A] Lac de la briqueterie.

[13] Traces de roues, parc Mandavit.

[14] Sortie du chien, parc Mandavit.

Après les devoirs

[C] Lac de la briqueterie.

79

[4] Jardin sur Raccourci.

[12] Déchetterie, trésor caché.

[1] Déchetterie, Z.A. Actipolis.


[20] Superjet lavage 24/24h, 7/7j.

[17] Parking et garages, résidence Barthez.

[W] Parking, lotissement H.L.M.

[18] Parking, résidence Barthez.

80 II. Deuxième partie [12] Sortie du chien, parc Madavit.

[11] Parking, théâtre des QuatreSaisons.

[19] Parking, centre commercial Auchan.


[14] Motard, Z.A. Actipolis.

[9] Z.A. Actipolis.

Après les devoirs

[15] Utilitaire, Z.A. Actipolis.

81

[13] Poids lourd et motard, Z.A. Actipolis.

[23] Place du village, centre commercial Auchan.

[22] Place du village, centre commercial Auchan.

[P] Place du village, centre Bourg.


3 - Ce qu’il reste, tentative d’épuisement Je vais me poster devant chez moi, à Malartic et au Bourg. Les documents Ce qu’il reste 1 et 2 (Fig.28 et 29 p.85 et p.89) représentent ce que j’observe. En soulevant le transparent, le bâti disparaît, c’est le même geste que pour les Fig.17 et 18 (p.48 ; 51). La page de droite, restée seule, montre l’état réel de l’espace public. Pendant une demiheure, je vais essayer de décrire tout ce je peux. Malartic Vendredi 27 Avril 2018, 16:30.

Aujourd’hui il fait beau, je me suis posté face à la ruelle qui est en face de la maison, assis sur le muret. Le voisin démarre son scoot, il s’en va. La rue en face est sinueuse, pas très longue. _ « Voilà Lolo ! » Au bout il y a des maisons, beiges, toutes de la même couleur, les volets blancs, les portes sont différentes. 82

Une petite fille court dans la rue, elle disparaît.

II. Deuxième partie

Sur la droite, j’entends passer les voitures, elles sont plus nombreuses là-bas, sur le Boulevard. Quand il n’y a pas de voiture, on entend le vent dans les arbres, au fond à gauche. Les petites fleurs à côté de moi le long de la barrière qui sépare le jardin avant de la rue sentent fort, je ne peux pas discerner une autre odeur. Le bus est passé. Le 8. En direction de Pellegrin, proche du centreville. Il tourne autour de Malartic, dans les deux sens, régulièrement. Un homme passe en vélo, il me dit : _ « Bonjour ! » Gillet jaune, casque et lunettes de soleil. On dirait qu’il rentre de loin. Peut-être du boulot ? Les feuilles poussées par le vent résonnent sur le bitume devant moi. Entre temps, quatre voitures sont passées. La première est celle du voisin, qui me fait bonjour de la main. Il se sert du croisement entre ma rue et la ruelle d’en face pour faire demi tour. Puis une autre


voiture passe. Sur les quatre, les trois dernières partaient en direction des boulevards. Depuis, rien... On dirait qu’elles passent par vagues. Les feuilles sur la route, encore. Le vent. Et l’avion qui passe très haut. Au fond, derrière les maisons, on voit la forêt. Les arbres se balancent. Une autre voiture, les boulevards. Quelqu’un sort dans la ruelle en face : l’allée de la Gaubertie. Avec une poussette, vide et des lunettes de soleil. Il me fait bonjour de la tête et disparaît, vers les boulevards lui aussi.

C’est plus ça qu’on entend tout du long : le vent. Quelques oiseaux. De plus en plus maintenant que j’y fais attention. Une voiture, depuis les boulevards cette fois. Elle rompt le silence. Une bourrasque. Puis les feuilles, les arbres, les oiseaux. C’est comme une eau qu’on remue, il faut un moment avant qu’elle trouve son calme et que le fond sonore retrouve sa place. À chaque voiture. Deux autres maintenant, depuis les boulevards. Depuis mon poste je vois le jardin de la maison de gauche. Un bus, vers Pellegrin, le centre donc, suivi d’une voiture, une vague passe. Quelqu’un descend d’une autre, avec son chien, il aboie, un autre lui répond plus loin, depuis son jardin sûrement. Un couple arrive de la droite, ils discutent. Ne me saluent pas. Ils doivent avoir soixante-cinq, soixante-dix ans. Bras dessus, bras dessous. Ils marchent au milieu de la route. Une voiture sort de la ruelle, les boulevards. Le petit chien de la dame est parti, sa maîtresse avec. Un autre aboie au loin, un troisième, au fond à droite. Un bus. Dans l’autre sens, vers le terminus, dans quatre arrêts. Le 8 met environ vingt-cinq minutes pour arriver au Tram B à Arts

Après les devoirs

Les voitures passent vite, la dernière, une Chevrolet hybride 4x4 citadine, environ trente kilomètre heure. Boulevards. La vitesse paraît plus grande dans cette petite rue. Elle brise le calme.

83


et Métiers, on peut alors le prendre et rejoindre le centre en vingt minutes. Quarante-cinq minutes depuis la maison donc. Quelqu’un sort de la ruelle à pied. Une jeune fille. Elle regarde son téléphone, me salue timidement et disparaît sur la droite. Quinze, seize ans. Le chien du fond continu. Une voiture qui vient de la gauche. Un vélo qui vient de la droite, un homme. Et le chien au fond. Derrière moi, chez moi, des bruits de vaisselle. Un petit garçon passe de droite à gauche, il est métisse, des lunettes et un sac à dos. Il est tout seul. Dix ans. L’autre chien, à gauche, celui du début, s’y remet. À intervalle, ils aboient. 84 II. Deuxième partie

En face, un garçon sort de la ruelle, dix ans. Gros sac à dos, semble très rempli. Il est en vélo, lent. Il disparaît dans l’allée au fond à droite, en face, de là d’où viennent les aboiements réguliers. Il y a une place au bout, puis les bois. Deux vagues de voitures sont passées, se croisant les deux fois presque devant moi. Quelqu’un sort de l’allée au fond à droite, puis disparaît. Une voiture entre dans la ruelle en face, des rires. Ma sœur m’amène un gâteau, la voisine arrive, il est 17h. Le bus passe, direction terminus. En face, au sortir en riant de la voiture, entrent chez eux en jetant quelque-chose dans leur poubelle au passage. Il est caractéristique ce son du couvercle de la poubelle. Une autre voiture a fait demi-tour mais pas dans la ruelle cette fois, au fond à droite, là ou ma rue se croise avec l’impasse du fond à droite. Ma sœur me propose un foot, je lui dit dans la ruelle en face. _ « C’est bon ! ».


85

Après les devoirs


et Métiers, on peut alors le prendre et rejoindre le centre en vingt minutes. Quarante-cinq minutes depuis la maison donc. Quelqu’un sort de la ruelle à pied. Une jeune fille. Elle regarde son téléphone, me salue timidement et disparaît sur la droite. Quinze, seize ans. Le chien du fond continu. Une voiture qui vient de la gauche. Un vélo qui vient de la droite, un homme. Et le chien au fond. Derrière moi, chez moi, des bruits de vaisselle.

srioved sel sèrpA 5848

Un petit garçon passe de droite à gauche, il est métisse, des lunettes et un sac à dos. Il est tout seul. Dix ans. L’autre chien, à gauche, celui du début, s’y remet. À intervalle, ils aboient.

II. Deuxième partie

En face, un garçon sort de la ruelle, dix ans. Gros sac à dos, semble très rempli. Il est en vélo, lent. Il disparaît dans l’allée au fond à droite, en face, de là d’où viennent les aboiements réguliers. Il y a une place au bout, puis les bois. Deux vagues de voitures sont passées, se croisant les deux fois presque devant moi. Quelqu’un sort de l’allée au fond à droite, puis disparaît. Une voiture entre dans la ruelle en face, des rires. Ma sœur m’amène un gâteau, la voisine arrive, il est 17h. Le bus passe, direction terminus. En face, au sortir en riant de la voiture, entrent chez eux en jetant quelque-chose dans leur poubelle au passage. Il est caractéristique ce son du couvercle de la poubelle. Une autre voiture a fait demi-tour mais pas dans la ruelle cette fois, au fond à droite, là ou ma rue se croise avec l’impasse du fond à droite. Ma sœur me propose un foot, je lui dit dans la ruelle en face. _ « C’est bon ! ».


85

Après les devoirs


Le Bourg Dimanche 03 Juin 2018 - 11:00.

Un homme habillé en blanc ouvre le portail de droite, sa voiture sort. Il referme le portail rouillé. « BOYE » dit le muret. Il s’en va en direction de la Z.A. Le silence s’installe, j’entends une tondeuse au loin derrière. Les oiseaux autour. Et l’autoroute devant, malgré la butte. Ce matin je suis parti de Bordeaux, les gens disaient qu’il va pleuvoir. Sur le trajet jusqu’ici, j’y pensais, mais pour l’instant il fait beau et chaud. Je suis posté à une croisement, au STOP, à l’angle de a maison. Les voitures arrivent dans mon dos, ou de gauche à droite comme la dernière cabriolet, ou encore de droite à gauche. Celles qui arrivent dans mon dos marquent le stop.

86

Un couple en bicyclette passe de gauche à droite depuis la Z.A. Elle devant avec son vélo électrique. Lui derrière, à la traîne.

II. Deuxième partie

Une voiture marque le stop, c’est la troisième toute noire. Je me suis assis sur ma voiture, je l’ai prise pour venir ici depuis mon appartement à Bordeaux. Il faut prendre le Tram jusqu’à Peixotto où je laisse ma voiture, puis rouler jusqu’à la Rocade, puis l’autoroute pour la sortie 26 b. La tondeuse toujours, et des légers bruits de machine au loin. Je vois le cheval au pied de la butte. Et un cycliste qui en vient et me passe devant, de gauche à droite. Un utilitaire dans l’autre sens. Parfois la tondeuse s’arrête. Alors les oiseaux prennent toute la place. Je ne saurais ps les reconnaître, mais il y en a beaucoup de différents. C’est le chemin de Daulet qui passe devant. À gauche il mène à la Z.A. Actipolis, et à droite au centre Bourg.


Une voiture avec une femme seule au volant, de gauche à derrière moi, dans ce sens on ne marque pas le stop. Elle est passée très vite. Les voitures roulent vite ici ! En face, le terrain inoccupé, je me demande jusqu’à quand... Les herbes sont hautes, très hautes, et les brises font remuer et claqueter les tiges. C’est des herbes sauvages, pas un ne se ressemble. Je ne vois plus le cheval au fond. Il est surement allé brouter dans une autre partie du près.

Une voiture de droite à gauche, puis une autre depuis la gauche, jusqu’à derrière moi.

Après les devoirs

Plus loin, derrière le terrain et cette maison au toit bien spécial (dont celui de la maison se raccorde à celui du Barbecue, créant une terrasse au milieu) j’aperçois les entrepôts et la tour « Cancé ».

Il a mis son clignotant, l’autre non.

87

Celle là je l’ai escaladée, on voit tout d’en haut !

Un cycliste, vélo de course, vers la Z.A. S’il continu, il arrivera à Gradignan, au bout de la Z.A. Il y a des supermarchés là-bas, et encore des entrepôts. C’est la deuxième fois que j’entends passer un avion de ligne. Il doit y avoir un couloir aérien. L’aéroport n’est pas si loin. Dans mon dos, quelqu’un revient de son Jogging. En rouge fluo avec lunettes de pro. Il rentre chez lui dans le lotissement H.L.M. qu’ils ont construit il y a pas longtemps. Il siffle pour son chien en arrivant. Il commence à faire très chaud. Le jogger trouve son chien : un grand labrador noir qui halète. Sa femme est là maintenant. Le bruit du rotofil se réveille au fond, et une voiture marque le stop et choisi timidement la gauche.


Le bruit qui vient de l’autoroute n’est pas constant. Au bout d’un moment, je peux distinguer si un camion passe, ou une moto, plus rare... Une autre voiture au stop, plus décidée, pour la droite. Les oiseaux reprennent la place. Des fourmis me grimpent sur les pieds. D’ailleurs, le trottoir est en gravier. Le voisin en face ouvre le coffre de sa voiture. C’est mon voisin. J’étais très amis avec son fils, sa femme est la marraine de mon petit frère. On ne se voit plus beaucoup. Un autre couple en vélo arrive de la Z.A., souriant, au même rythme. Il passent dans mon dos. 70 ans. Mon voisin sort en voiture, il ne m’a pas vu, ou pas reconnu. 88

En même temps c’est pas banal de voir un habitant posté au stop à écrire ce qu’il reste.

II. Deuxième partie

*

*

*

L’émergence d’une « culture pavillonnaire » est le signal d’une revendication, j’y vois l’ambition de se définir par soi même, peut-être face à un discours univoque trop longtemps confisqué. En tout cas je m’y inscrit volontiers. Dans ce contexte, la photographie est pour moi, comme pour les exemples convoqués, un moyen de transmettre ma lecture, en couleur. De plus, la photographie a cette capacité de ne pas tout dire de ne pas enfermer le sujet et permettre à chacun de prolonger le récit. La description par l’écriture montre deux climats, et par son automatisme elle permet de situer sans contraindre. On peut au moins y lire deux espaces bien en vie...


89

Après les devoirs


Le bruit qui vient de l’autoroute n’est pas constant. Au bout d’un moment, je peux distinguer si un camion passe, ou une moto, plus rare... Une autre voiture au stop, plus décidée, pour la droite. Les oiseaux reprennent la place. Des fourmis me grimpent sur les pieds. D’ailleurs, le trottoir est en gravier. Le voisin en face ouvre le coffre de sa voiture. C’est mon voisin. J’étais très amis avec son fils, sa femme est la marraine de mon petit frère. On ne se voit plus beaucoup.

srioved sel sèrpA 9888

Un autre couple en vélo arrive de la Z.A., souriant, au même rythme. Il passent dans mon dos. 70 ans. Mon voisin sort en voiture, il ne m’a pas vu, ou pas reconnu. En même temps c’est pas banal de voir un habitant posté au stop à écrire ce qu’il reste.

II. Deuxième partie

*

*

*

L’émergence d’une « culture pavillonnaire » est le signal d’une revendication, j’y vois l’ambition de se définir par soi même, peut-être face à un discours univoque trop longtemps confisqué. En tout cas je m’y inscrit volontiers. Dans ce contexte, la photographie est pour moi, comme pour les exemples convoqués, un moyen de transmettre ma lecture, en couleur. De plus, la photographie a cette capacité de ne pas tout dire de ne pas enfermer le sujet et permettre à chacun de prolonger le récit. La description par l’écriture montre deux climats, et par son automatisme elle permet de situer sans contraindre. On peut au moins y lire deux espaces bien en vie...


89

Après les devoirs


90 II. Deuxième partie

B - Jeunesse : personnage principal du décor pavillonnaire « Le jeu, le jeu des enfants, est un élément important pour Team 10, mais c’est aussi un élément qui, en y regardant de plus près, révèle quelque chose des conflits et des contradictions auxquels Team 10 faisait face ».1 « Privilégier les images d’enfants jouant sur le pas de la porte est une façon d’annoncer aux personnes concernées que vous faites la promotion de l’humain dans toute sa singularité ». « L’impulsion initiale de concentrer leur attention sur le concret 2 du quotidien - sur les banalités ordinaires du ‘‘ pas de la porte ’’ et l’extraordinaire quotidienneté que l’on pouvait y trouver (en la figure des enfants jouant, par exemple), semble avoir eu pour effet de privilégier le détail. Cette attention aux détails et aux qualités particulières des matériaux appropriés était en partie un moyen d’échapper aux généralisations globales du style architectural, et une manière d’affirmer la spécificité, où la celle-ci signifiait l’attention portée à la localité et aux formes de sociabilité qui s’y trouvaient ». 1 Traduction propre : Ben Highmore : « Rescuing optimism from oblivion », Team10 1953-81, in search of a Utopia of the present, NAI Publishers, 2005. 2 Note de traduction : « concrete » peut se traduire par « béton » ou « concret » choisi ici, la version originale englobe ces deux dimensions qui, se perdent une fois traduite.


En 1953, Alison et Peter Smithson présentent leur «Urban Re-Identification Grid» (que l’on peut traduire : grille de ré-identification urbaine). Elle montre la figure de l’enfant au centre de différentes situations de la rue à la maison. C’est une façon pour eux de formuler la critique de l’urbanisme moderne et d’attirer l’attention sur les pratiques quotidiennes comme élément de richesse et base de requalification des urbanités post-seconde guerre mondiale. Cette démarche et ces outils d’enquête me semblent aujourd’hui encore cohérents et applicables face à la situation pavillonnaire. D’autant plus que la jeunesse est un personnage central dans la saga pavillonnaire.

En effet, le pavillon incarne encore aujourd’hui la stabilité, la sécurité et la tranquillité. C’est le nid, l’endroit rêvé où élever ses enfants et les voir grandir. Mais alors, qu’en est-il de la jeunesse face à son territoire ? Effectivement, au vu de ces éléments, il me semble déjà inévitable de questionner les relations entre cette jeunesse et ces espaces publics dont j’ai montré les contours et les singularités. Ce n’est pas la seule raison qui me pousse vers cette catégorie. Je pense que la jeunesse, en plus d’être statistiquement très représentée dans les zones pavillonnaires, est omniprésente dans ses espaces publics, et forge avec eux des liens plus fort qu’aucune autre catégorie. Une des ambitions qui traverse ce mémoire est de montrer que les espaces publics des quartiers pavillonnaires ne sont pas morts, mais au contraire supports d’usages, de représentations et sociabilités fortes. Dans cette partie, je souhaite montrer dans quelles mesures la jeunesse est une référence pertinente dans ma recherche de définition de ces espaces. J’organiserai ici mon propos autour de trois arguments. Le premier tient à révéler, d’abord statistiquement, puis au niveau des relations l’importance de la présence de la jeunesse dans les quartiers pavillonnaire et leur tissu social. Le deuxième défendra l’aspect « école buisonnière » des espaces publics dans lesquels grandit la jeunesse. Je vais ici montrer le territoire en question comme un ring dans lequel l’enfant se confronte au monde adulte et peu à peu se socialise et se familiarise avec celui-ci. Enfin, le dernier argument approchera l’idée du récit et la capacité de la jeunesse, et surtout des enfants, à superposer un imaginaire puissant à la réalité de leur territoire. C’est ici la capacité de la jeunesse au détournement que je vais pointer et tenter de représenter. Il sera question de détournement comme forme d’un exotisme capable d’augmenter la réalité de ces espaces. 3 Bénabar, Quatre mur et un toit, Sony Music Entertainment, 2005.

Après les devoirs

« Un terrain vague, de vagues clôtures, un couple divague sur la maison future On s’endette pour trente ans, ce pavillon sera le nôtre, et celui de nos enfants corrige la femme enceinte ».3

91


1 - Pavillon environnement familial Avant toutes choses, la jeunesse est pour moi un état, une tranche d’âge liée à la dépendance au foyer familial, et c’est d’ailleurs le seul cas de la jeunesse présente dans le foyer qui m’intéresse dans ce mémoire. Olivier Galland 4 montre que les jeunes eux même situent la fin de la jeunesse au premier C.D.D. comme premier signe et au premier enfant comme fondamental, qui est finalement la création de son propre foyer. Il différencie aussi jeunesse et enfance. J’en ferait un tout, sous l’idée de jeunesse, au sein duquel on pourra retrouver des sous catégories : enfance, adolescence, adulescence, ... De cette façon, l’idée de jeunesse qui me sert dans ce mémoire se borne au moment où le jeune quitte le foyer. Elle démarre à la naissance, même si ici la jeunesse commence à m’intéresser à partir des premiers liens avec la rue, l’espace public.

92 II. Deuxième partie

En ce sens, le pavillon ou la maison font figure de référence au moment du choix du où constituer son propre foyer, et donc dans la préparation de l’arrivée des enfants. À ce sujet, Anne Lambert 5 revient à trois reprises, par trois entrées distinctes sur le thème de la jeunesse et sa centralité dans les lotissements pavillonnaires. Tout d’abord, elle montre comment l’arrivée du premier enfant est à l’origine de l’installation en lotissement, et l’accès à la propriété, à travers deux situations. Le cas du passage de la cité au lotissement et à la propriété. Elle montre comment pour ces familles « il s’agit de garantir un meilleur avenir que celui que les parents et les proches ont connu ». Le lotissement et son environnement porte alors l’espoir d’une ascension sociale et d’un héritage. Ensuite elle prend la situation des jeunes couples de professions intermédiaires pour qui le schéma pavillonnaire est considéré comme un tremplin, et un cadre de qualité pour voir grandir leurs enfants. Dans un cas comme dans l’autre, même si l’argument financier tient un rôle majeur lui aussi, on voit bien que l’idée de fonder une famille, et donc donner un cadre à la croissance des enfants est central. Pour appuyer cet argument, je vais me référer à mes cas d’études dans leurs statistiques. I.R.I.S. donne en 2012 la part des jeunes de 0 à 17 ans à 18,7 % de la population du Bourg et 21,9 % (voir p.26 ; 29) de la population de Malartic. Cela correspond à un peu moins du tiers de la population pour ces deux cas. Sachant qu’il faut au moins deux parents pour un enfant, soit un enfant représente un tiers du foyer, on peut penser que la majorité des foyers sont des familles avec enfant. Ce n’est pas si simple, mais il en est pas moins vrai que la part des jeunes dans les zones pavillonnaires est significativement élevée. À Malartic : 36,9 % des foyers ont au moins un enfant, on ne compte pas ici les foyers dont l’enfant ne vit plus à la maison. Idem pour Canéjan avec ses 49,0 %, soit quasiment la moitié. De par sa proportion, l’enfant est donc déjà un élément incontournable du décor pavillonnaire.

4 Claire Ané, « La jeunesse débute plus tôt et se termine plus tard qu’avant », Le Monde, 2017 (https:// www.lemonde.fr/campus/article/2017/10/27/la-jeunesse-debute-plus-tot-et-se-termine-plus-tard-quavant_5206969_4401467.html). 5 Anne Lambert, «Tous propriétaires !», l’envers du décor pavillonnaire, Éditions du Seuil, 2015.


Après les devoirs 93

Fig.30 : Malartic : Scène pavillonnaire 3 (source propre : 2018).


En plus d’être très représenté en milieu pavillonnaire, et un élément fort dans le choix résidentiel, l’enfant, une fois dans le contexte pavillonnaire, tient un rôle de catalyseur. Il est l’électron libre des lotissements. Dans un troisième volet, Anne Lambert évoque la question de la jeunesse sous l’intitulé : « les enfants et le commérage ». Elle y montre comment l’enfant, par son aspect transgressif, déclenche et révèle les conflits entre adultes. Ce point de vue m’intéresse, même si j’en écarte aussitôt la dimension conflictuelle, pour ne garder que l’idée selon laquelle l’enfant est bien souvent au centre et à l’origine de sociabilités adultes, quelles qu’elles soient, dans les lotissements. Pour pousser l’argument un peu plus loin, la jeunesse permet un mélange et des rencontres entre adultes, improbables et parfois marquantes, qui lui sont propres. En effet, il n’y a qu’à regarder la sortie des écoles. Sachant que la plupart des jeunes du quartier sont scolarisés dans les même écoles et lycées, il est courant pour un parent de croiser ou rencontrer ses propres voisins en allant chercher ses enfants. De plus, les enfants s’invitent les uns chez les autres avec facilité, jouent ensemble dans la rue. Je n’ai pas parlé non plus des activités extra-scolaires qui permettent des sociabilités dont l’éventail est plus large encore. Anne Lambert montre comment « ces allées et venues en font ainsi des observateurs privilégiés ».6

94 II. Deuxième partie

Enfin, il me semble important, pour en finir, de recentrer le sujet sur les espaces publics. Là aussi la question de la jeunesse est centrale. En effet, les jeunes sont omniprésents dans les rues pavillonnaires. Après les devoirs, ils sortent, plus que les autres, et, je le montrerai ensuite, plus intensément. Les jeunes sont plus disponibles, ils ont moins de responsabilités que les adultes. Ils trouvent aussi plus de raisons d’être dehors. Quand les adultes sortent, ils ont bien souvent quelque chose de précis à faire : sortir le chien, les poubelles, chercher le pain, le courrier, entretenir la voiture, courir ou faire du sport de façon plus générale. Le reste se recentre sur le trio maison, jardin et voiture. C’est schématique bien-sûr, mais je souhaite montrer par là l’importance de la jeunesse pour la rue. D’ailleurs, quand les adultes sortent, c’est bien souvent lié aux enfants : jouer avec eux, les récupérer à l’école, pic-niquer, ou simplement se promener. Seuls ou accompagnés de leur parents, les enfants vont dehors. Déterminante dans les choix de résidence, statistiquement très représentée, réel catalyseur des sociabilités adultes, et omniprésente dans les rues des lotissements, j’ai montré comment la jeunesse est un élément privilégié pour l’étude des espaces publics des zones pavillonnaires. Ces dernières sont un jardin pour enfants, surveillés du coin de l’œil par les parents postés derrière la fenêtre de leur pavillon, soucieux de leur donner toutes les chances de bien grandir et s’accomplir dans ce monde qu’il ne connaissent pas encore.

2 - Grandir, jouer, se socialiser dans les rues pavillonnaires J’ai montré l’importance de l’enfant dans le lotissement et dans la rue, je vais maintenant voir l’inverse. La rue est essentielle pour que l’enfant grandisse, dans les quartiers pavillonnaires, elle est son territoire, son jardin, son terrain d’aventure. Dans son 6 Idem.


L’enfant grandi donc, et son rapport au territoire change, se pacifie, ou au contraire se tend, parfois devient intime, parfois étranger. À travers l’idée de jeunesse, j’ai fondu trois grandes périodes, pour lesquelles la rue trouve chaque fois sa place, dans la continuité d’un apprentissage des choses de la vie. L’enfance, puis l’adolescence et enfin l’âge de jeune adulte ou adulescence. Il n’y a pas d’âge à proprement parlé d’une étape à l’autre, mais un rapport nouveau au territoire. Plus le jeune avance dans ces périodes, plus la maitrise de son territoire est grande, et plus son rayon d’action est vaste lui aussi. Le jeune commence par l’expérience de son jardin, puis la rue devant la maison, et puis chaque fois un peu plus loin, jusqu’à ne plus dépendre du nid, de la maison. Au travers cet apprentissage, un des moyens pour le jeune de se mettre en relation avec le territoire est le jeu, dans toutes ces formes. Le jardin de la maison est donc certainement le premier contact de l’enfant avec l’extérieur, il y aura fait ses premiers pas et surement donné ses premiers coups de ballon. Mais à l’image des aires de jeu, génériques, où l’on laisse les enfants jouer dehors, le jardin n’offre pas à l’enfant la complétude du monde extérieur, de la société adulte. Le jardin comme l’aire de jeu et ses toboggans sont des simulations, des petits mondes sécurisés, que les parents peuvent surveiller, séparés du monde réel par une barrière. « Le jeu, c’est très sérieux. Les gens qui conçoivent les squares l’ont beaucoup dévalorisé avec ces espaces stéréotypés ».7 Ces « squares » dont parle l’auteure, sont des cages, au mobilier répressif, plus qu’un réel terrain. Leur dessin est standardisé et ils fonctionnent hors du schéma de la ville. Il en existe heureusement des versions plus souples et perméables. Les plus intéressants sont les terrains d’aventures apparus dans le Nord de l’Europe avant la seconde guerre, ou les terrains de jeu d’Aldo Van Eyck à Amsterdam. En 1943, apparaît le premier terrain d’aventure, au Danemark. Un terrain d’aventure, c’est un terrain vague institutionnalisé. Généralement fermé lui aussi, et encadré par quelques animateurs, il offre aux jeunes de 4 à 16 ans un monde de possibilités où ils peuvent donner libre cours à leurs envies. Ils y trouvent par exemple les outils pour 7 Citation de Penny Wilson dans : Julie Pêcheur, « Des aires de jeux permissives pour des enfants plus libres », Le Monde, 2015 (https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2015/02/13/jeux-d-angesheureux_4574960_4500055.html).

Après les devoirs

roman, Miguel Delibes nous livre un territoire raconté par un enfant pris de nostalgie, au moment de quitter la maison familiale et le village. Ce sont les souvenirs d’une relation très intime avec le territoire. Pour chaque lieu dont il se souvient, correspond une rencontre nouvelle, un apprentissage. Il y a la montagne, la forêt, la vallée, la grange, et les rues du village, le clocher, le monde des adultes. La rue c’est ça, c’est le lieu où l’enfant peut épier le monde des adultes et en apprendre les codes, par confrontations successives. Le jeune est en conflit avec son territoire, il le teste, le met à l’épreuve, cherche ses limites, passe les frontières. Il faut y voir le comportement d’un être qui apprend en essayant, accumule les erreurs, qui de façon empirique cherche sa place, à se reconnaitre dans ce monde.

95


fabriquer des cabanes ou tout ce qu’il peuvent imaginer. Ces terrains d’aventure se sont développé dans les périphéries, profitant d’espaces laissés libres. Les pays du Nord, puis l’Angleterre ont beaucoup développé ce format. Entre 1947 et 1978, Aldo Van Eyck construit plus de 700 terrains de jeu à Amsterdam. Membre du Team 10, ses travaux ont une parenté proche avec les idées lancées par les Smithsons au CIAM de 1953. Ainsi, ses terrains de jeu n’ont pas de barrières, il ne sont pas séparés de la rue ou de la place, il en sont l’extension, la continuité. De plus la plasticité convoquée est permissive plus que répressive, les formes invitent, suggèrent, c’est un éveil pour l’enfant, et un premier contact avec la rue. Ses projets profitent et donnent perspective à la présence des enfants dans la rue à cette époque. « C’est en jouant, et seulement en jouant, que l’individu, enfant ou adulte, est capable d’être créatif et d’utiliser sa personnalité tout entière. C’est seulement en étant créatif que l’individu découvre le soi ».8

96 II. Deuxième partie

Le psychiatre et psychanalyste Donald Winnicott montre comment l’être se découvre lui, et son environnement, au travers du jeu. Il résume la situation en deux concepts le « game » et le « play ». Le premier, englobe les jeux organisés, avec des règles. Pour moi, il correspond aux jardins des pavillons et aux aires de jeux dont les règles sont fixées par les barrières et le mobilier. L’auteur dit au sujet de ces jeux qu’ils sont « une tentative de tenir à distance l’aspect effrayant du jeu (playing) ». Pour moi, ce deuxième aspect correspond à la complétude de la rue et de la société, dont la dimension « effrayante » est dûe à la réalité des risques et dangers qu’elle porte. Les terrains d’aventure puis les terrains de jeu de Van Eyck offrent une version adoucie de ce que peut être la rue, et en cela, un premier contact avec le « play ». Ce dernier correspond au jeu spontané, permettant de s’ouvrir à la vie sociale. « Un enfant joue, donc il est. Livré à lui-même, où qu’il soit dans le monde, il court, se cache, trafique avec la nature, imite les adultes ».9 Que ce soit les terrains d’aventure ou les terrains de jeu urbain, j’ai montré qu’ils sont intéressants dans leur volonté de ne pas aseptiser les espaces du jeu et en cela se rapprocher de ce qu’est le monde réel, de l’adulte. La rue et l’espace public dans les zones pavillonnaires présentent elles aussi ce statut hybride. Plus que les centres des grandes villes le décor pavillonnaire se prête à porter l’enfant avec cette réalité et sécurité. Les rues pavillonnaires sont à la fois le reflet du monde adulte et cadre sécurisé dans lequel les jeunes peuvent s’épanouir. Les parents, qui savent cette sécurité puisqu’elle est un facteur dans leur choix résidentiel, sont rassurés et permettent assez tôt à leurs enfants de sortir faire l’expérience du dehors. Une enquête nationale, sur les villes de plus de 100 000 habitants, montre que 61,6 %10 des parents considèrent les 12 ans comme étant l’âge à partir duquel un enfant peut sortir seul en journée aller chez 8 Donald Winnicott, Jeu et réalité : espace potentiel, Gallimard, 1975. 9 Julie Pêcheur, « Des aires de jeux permissives pour des enfants plus libres », Le Monde, 2015 (https://www. lemonde.fr/m-le-mag/article/2015/02/13/jeux-d-anges-heureux_4574960_4500055.html). 10 François de Singly pour l’Institut pour la ville en mouvement, « Les jeunes et leurs modes de déplacement en ville », 2001.


Après les devoirs

Fig.31 : Enfant jouant à Zaanhof playground, Amsterdam, de Aldo Van Eyck. Source : Scan du livre Team10 1953-81, in search of a Utopia of the present (p.274).

97

Fig.32 : « Lost Identity Grid » (grille analytique), Aldo Van Eyck, CIAM X, Dubrovnik, 1956. Source : Scan du livre Team10 1953-81, in search of a Utopia of the present (p.56-57).


un ami. Il serait intéressant d’avoir des chiffres pour les quartiers pavillonnaires, mon hypothèse est que l’âge serait inférieur. Ainsi, dans les quartiers pavillonnaires, la rue elle même remplie assez tôt le rôle éducateur et socialisateur des terrains de jeu. Elle remplace vite le jardin. D’abord pour jouer devant la maison sur la placette ou la ruelle, avec les frères et sœurs et les voisins. Ils y forgent leurs premières amitiés. Ensuite vient l’autonomie dans le trajet jusqu’à l’école et le collège. Enfin, l’indépendance diurne puis nocturne de mobilité. À chacune de nouveaux souvenirs, expériences et rencontres. Dans une enquête qui s’intéresse à la jeunesse dans les pavillons 11, Marie Cartier, et ses collègues, tiennent à montrer l’existence d’une sociabilité juvénile forte et liée à l’espace public proche. L’auteure polarise une partie de l’enquête autour d’un « groupe de jeunes nés dans les années 1980, résidant autour d’une même placette, le Clos des Chevreuils ». Elle montre comment cette placette devient dès l’enfance le lieu où « se sont noués les liens entre ces ‘‘ vieux potes ’’ à travers des activités comme le football et le vélo ». La placette permet aux parents de mutualiser les surveillances, et aux enfants d’anticiper leurs premières expériences du monde extérieur. Elle conclue l’article en revenant sur l’aspect « tranquille » et « sécurisant » des rues pavillonnaires qui permet la construction de l’image d’un « refuge » jusqu’à l’âge adulte.

3 - Metteurs en scène : exotisme et détournement 98 II. Deuxième partie

Éric Chauvier, que nous avons déjà convoqué précédemment pour son combat contre la stigmatisation des banlieues et le discours hautin dont elles sont victimes, glisse dans une interview au webzine Pop-up urbain (voir l’épigraphe12) Avec cette idée, j’entre dans le cœur du sujet. Éric Chauvier rassemble en une phrase toutes les branches que je souhaite réunir. En effet il parle des espaces publics «indécis», pour lesquels j’ai choisi le qualificatif « liquide ». La nature même du lotissement font de ces espaces des lieux potentiels, hybrides, où se frottent l’intime et le partagé, le privé et le public. J’ai ensuite abaissé le regard à « hauteur » d’habitant, puis à hauteur de la jeunesse, dont j’ai montré la pertinence. Je partage totalement la déclaration de l’auteur sur ce point de la créativité des jeunes dans les espaces publics des quartiers pavillonnaires, et c’est le sujet ici. C’est même pour moi la catégorie qui utilise et invente au maximum le potentiel de ces rues. De la même façon qu’un metteur en scène embelli son décor, le jeune sublime les rues pavillonnaires. Le geste est plus ou moins conscient, selon l’âge, il n’en est pas moins impressionnant. Pour qualifier les pratiques de la jeunesse dans l’espace publique, je prendrais le mot « exotique ». Je m’explique : les jeunes ont un pratique exotique 11 Marie Cartier et al., « Jeunes des pavillons », La France des « petits-moyens », enquête sur la banlieue pavillonnaire, La Découverte, 2008. 12 Philippe Gargov, « Banlieue molle, banlieue LOL ? Cinq questions à Eric Chauvier, anthropologue », Pop-up urbain, 2011 (https://www.pop-up-urbain.com/banlieue-molle-cinq-questions-a-eric-chauvieranthropologue/).


C’est dans cette volonté que j’utilise aussi la figure du metteur en scène. D’ailleurs chaque jeune possède déjà une culture propre, par la télé et le cinéma notamment, les lectures aussi. Le cas du cinéma me semble le plus puissant, et de la figure du metteur en scène la plus valable pour illustrer le propos. Les enfants sont baignés dans une culture cinématographique, ils ont accès aux images très facilement. Ensuite ils reproduisent, ils copient, ils adaptent ce qu’ils ont vu aux espaces de la ville. Tous les Walt Disney et les premiers films d’aventure y passent. Les enfants se mettent dans la peau de leur personnages préférés et rejouent les scènes. Le décor pavillonnaire y prend toute son importance, chaque forme est détournée et réutilisé dans le but de servir à la scène, de rester fidèle à l’imaginaire convoqué. L’enfant n’hésite pas à modifier son décor, le travestir : il peut y installer ses jouets, changer certains éléments de la rue de place. L’opération est un magnifique métissage, exotique, de la rue pavillonnaire et l’imaginaire du jeune. D’autre part, nombreux films ou dessins animés montrent la figure de l’enfant laissé à lui même, dans un monde d’adulte dans lequel il doit se débrouiller. Cette figure, lignée d’une longue tradition, concentre aussi les points abordés précédemment. C’est Le chemin de Delibes donc, Les aventures de Pinocchio de Carlo Collodi ou à travers le personnage Peter Pan de J. M. Barie repris plus tard par Disney, Les 400 coups de François Truffaut, Les Géants de Bouli Lanners, Mud, sur les rives du Mississippi de Jeff Nichols, Alice au pays des Merveilles des Studios Disney, Mon voisin Totoro de Hayao Miyazaki, et bien d’autres. Les jeunes connaissent ces personnages, ils apparaissent souvent au long de leur croissance, ils les accompagnent et les poussent à faire de même. C’est pour incarner et rendre palpable ces idées que j’ai réalisé les documents : Alice au pays des Merveilles : Malartic (Fig.33 sur la double page suivante) et Mon voisin Totoro : Le Bourg (Fig.34 sur la double page suivante). Les deux documents fonctionnent de façon identique. Sur le fond, j’ai imprimé deux des photos de mes reportages dans les rues pavillonnaires, j’ai choisi de réutiliser celles que j’ai exploité dans Ce qu’il reste 1 et 2 (voir Fig.28 et 29 p. 85 et 89) . À ce moment là j’avais séparé le public du privé, que l’on voyait apparaître en négatif. Pour ces exercices d’« exotisme », j’ai repris le même 13 Ugo La Pietra, Abitare la cittá, Ricerche, interventi, progetti nello spazio urbano dal 1962 al 1982, Alinéa, 1983, repris dans Ugo la Pietra, habiter la ville, HYX, 2009.

Après les devoirs

de la rue pavillonnaire. À la manière du skateur, capable de déceler un potentiel dynamique dans les formes de la ville et d’y projeter ses références, l’enfant convoque à tout instant un imaginaire propre et lui trouve une place dans les interstices des rues pavillonnaires. Le concept d’exotisme me semble contenir l’idée d’un ailleurs, propre à chacun, un chez-soi idéalisé, un univers fantasmé impossible. Cet exotisme est très marqué chez les jeunes, et ils sont capables, en le confrontant aux rues pavillonnaires, de les sublimer. Ils y extériorisent un monde qui leur est propre et intime. À ce sujet, Ugo La Pietra disait : « Habiter c’est être partout chez-soi ».13 De la même façon que l’architecte radical italien détourne le mobilier urbain afin de générer ponctuellement des situations correspondant à des chez-soit possibles (installer une table sur un plot, tendre un hamac entre deux poteaux, ou encore y mettre un porte manteau), les enfants « augmentent » la rue, spontanément, le temps du jeu.

99


100

II. Deuxième partie


101

Après les devoirs


100

II. Deuxième partie


101

Après les devoirs


détourage de l’espace public et y ai ajouté celui du ciel. En effet, dans le lotissement pavillonnaire, les surfaces « mole » au sens « indécises » d’Éric Chauvier, sont la rue et le ciel. Le reste est dur, privé ou bâti. Ces supports mous sont idéals à la projection exotique de l’imaginaire des jeunes. J’ai donc appliqué le détourage de la rue et du ciel à deux captures d’écran de film de référence. Imprimé sur du rhodoïd, on peut les mettre en action sur le support photographique. J’ai voulu montrer par l’action d’ajouter ce calque transparent le pouvoir de la jeunesse sur la rue, et par là sa capacité à y trouver du merveilleux et en tirer le meilleur. C’est cette figure de l’enfant metteur en scène que donne à lire les documents, à travers cet imaginaire cinématographique. La jeunesse ajoute une « couche » de lecture, chargée de référence surpuissante. Les films que j’ai choisi font partie de ceux qui exploitent la figure de l’enfant libre, explorant son territoire en le réinventant là aussi. Par là j’ai voulu accentuer, et mettre en abyme ce procédé.

*

102

*

*

II. Deuxième partie

Dans les lotissements pavillonnaires, l’enfant est un personnage clef. Son rapport avec l’espace public est puissant. Il est central aussi bien statistiquement que dans son rôle de catalyseur des relations adultes. En retour, la rue pavillonnaire lui offre, à l’image des terrains d’aventure et de jeu des années 1940-70, un cadre à la fois sécure et souple. Ces caractéristiques de la rue permettent à la jeunesse d’y faire précocement école du monde adulte et d’y nouer des relations et sociabilités fortes. Enfin, l’un et l’autre se retrouvent dans la figure exotique du metteur en scène face à son décor où la liquidité des espaces vides du tissu pavillonnaire reçoivent par projection l’imaginaire de la jeunesse. Les jeunes des pavillons semblent porter ce regard d’en bas, horizontal sur leur territoire, ce qui en fait des observateurs de premier choix. Pour ces raisons, il me semble maintenant pertinent et urgent de les interroger dans ma recherche de définition des espaces publics par les pratiques qu’ils portent. La partie qui suit fera part de cette expérience de terrain.


103

Après les devoirs


104 II. Deuxième partie Fig.35 : Jean-Yves Petiteau, « Danny Rose-itinéraires » dans 303 : arts, recherches et créations, n° 32 : « Patrimoine fluvial et maritime », 1992.


Après les devoirs

TROISIÈME PARTIE

Les jeunes, acteurs dans leur territoire

A - La méthode des itinéraires

1 - Marche et « itinéraires commentés », infiltration in-situ 2 - Les jeunes au centre de la démarche

B - Des parcours types

1 - Tia et Juliette, le terrain d’aventure 2 - Yoni, au gré des amitiés 3 - Guilhem, les chemins des écoles

C - Vers un territoire habitable

1 - Habiter la rue, coûte que coûte 2 - Trajectoires pavillonnaires 3 - Le projet comme « infrastructure publique »

105

108 111 116 126 136 146 149 155


TROISIÈME PARTIE

Les jeunes, acteurs dans leur territoire

106 III. Troisième partie

« Écouter l’autre consiste non seulement à accepter d’entendre une autre rhétorique, d’autres références culturelles, mais aussi accepter d’être déplacé sur un territoire inconnu. Demander à celui qui nous parle de nous emmener sur un territoire qu’il parcourt, c’est lui donner, par le corps, par la marche, le pouvoir d’être seul guide du rapport d’hospitalité par lequel il nous accepte comme étranger dans son ‘‘monde’’».1 Tout comme le collectif Stalker, Jean-Yves Petiteau, chercheur à la croisée des disciplines (sociologie, psychologies sociale, linguistique, ou encore psychiatrie), préconise la marche pour l’approche et la compréhension d’un territoire. La notion de « territoire inconnu » me rappelle celle des « territoires actuels » définis par Stalker. Pour ces derniers, la marche est le seul moyen d’accéder à la continuité et la réalité de ces espaces. Avec Petiteau, cette notion semble aussi se référer à un territoire mental, culturel, quotidien. Sa méthode ajoute à celle du collectif l’expérience de l’habitant, de l’« autre », comme porte d’entrée à ces territoires, comme moyen d’accès privilégié et référent. La marche, plus qu’un moyen et un geste esthétique, est pris comme outil, comme catalyseur de la démarche de transmission des connaissances.

1 Maïlys Toussaint, Jean-Yves Petiteau et l’expérience des itinéraires : Itinéraires de dockers à Nantes, entre récits personnels et ambiance partagée, mémoire : sciences de l’Homme et société, 2014 : recomposition d’écrits récupérés de notes de Jean-Yves Petiteau pour la préparation de ses conférences.


Dans une première partie, j’ai montré la nature liquide, indéfinie des espaces publics de mes cas d’étude. Cette comparaison montre des espaces inconscients à l’histoire et la géographie, existants en négatif des pleins et du privé. Des territoires inconnus donc, dont il s’agit de sentir la substance, le quotidien. C’est le regard que j’ai adopté en deuxième partie, horizontal, cherchant les traces de vécu capables d’apporter une définition un sens à ces espaces dits « morts » ou « moches ». J’ai vu en la figure de la jeunesse un acteur « typique » des territoires pavillonnaires.

La démarche de Petiteau ; « un travail inscrit dans la reconnaissance de la valeur de la vie quotidienne »3, par les notions abordées et son horizontalité, fait totalement échos à la volonté avec laquelle j’ai approché et questionné les territoires de mon enfance. Je m’approprierai sa méthode dans cette partie pour approfondir et affiner ma lecture de ces territoires et leur vécu. Je prendrai comme référence la jeunesse et tenterai là aussi d’en préciser ma vision. Dans un premier temps, je reviendrai sur les intérêts de la méthode des « itinéraires commentés », développée par Jean-Yves Petiteau. Le but ici est de la comprendre et en retenir l’essentiel et la pertinence face à mes cas d’étude. De cette façon, je montrerai la singularité de ma stratégie pour l’approche du terrain par le biais de la jeunesse. Ensuite, je me ferai ignorant dans les territoires de mon enfance, et donnerai l’affiche aux jeunes de Malartic et du Bourg à travers une sélection de trois parcours types. C’est une façon de rendre hommage au quotidien de ces quartiers pavillonnaires et ses habitants. Enfin, je reviendrai sur les enjeux et tendances soulevés par les entretiens. Je les croiserai avec mes arguments. Ce sera le moment du retour critique à la fois sur les mots des jeunes interrogés, et sur mes hypothèses exprimées jusqu’ici. Je tenterai par là de compléter ma lecture, et de la plonger dans le bain de l’actualité.

A - La méthode des itinéraires Le premier itinéraire, celui de Dany Rose, est l’un des plus réussis effectivement. Peut-être le meilleur, cela tient à Dany Rose. Il y avait quelque chose que je trouvais hyper séduisant sur la méthode : la marche est ponctuée de réflexion sur le paysage, qualifie le paysage par rapport à des événements émotionnels, des événements de la 2 Maïlys Toussaint : Michèle Grosjean, Jean-Pierre Thibaud, L’espace urbain en méthodes, Parenthèse, 2001. 3 Maïlys Toussaint : Jean-Yves Petiteau dans : Entretien de Jean-Yves Petiteau et de Bernard Renoux, réalisé par Nicolas Tixier et Didier Tallagrand, 2013.

Après les devoirs

En se transposant sur le terrain de l’habitant, le chercheur est amené à se questionner sur ses propres catégories d’analyses. Les variations émotionnelles qui transparaissent au cours du récit révèlent comment un site se dote d’une histoire et d’une expérience singulière qui échappent au simple visiteur occasionnel.2

107


vie. J’ai plongé à bras le corps là dedans parce que je trouvais qu’il y avait quelque chose de très humain, en phase avec le temps, qui se raccroche au souvenir, et qui est toujours dans la perspective de qu’est ce qui va se passer demain.4 La méthode des itinéraires commentés de Jean-Yves Petiteau consiste à suivre un individu choisi, à travers un parcours que lui même aura défini. L’expérience est retranscrite sous la forme d’un roman photo (voir Fig.35 p.104) où le récit de l’habitant se mêle aux instantanés. Cette démarche, que nous avons pris en référence n’est pas totalement singulière, elle hérite d’une certaine tradition à ce sujet. Dada, dont j’ai déjà parlé, décide en 1921 de fuir les galeries d’art pour trouver l’œuvre dans le « readymade urbain » lors de leur première « Visite dadaïste ». Il s’agit d’un rendez-vous face à l’église Saint-Julien-le-Pauvre à Paris. Ils marquent ainsi le début d’une série ; la « Grande Saison Dada », d’opérations esthétiques dans les lieux banaux de la ville.5 Il faut y voir les prémices de cette démarche d’exploration du quotidien des espaces de l’urbain avec laquelle celle de Petiteau fait, d’une certaine façon, continuité. La photographie, à laquelle je me suis intéressé dans sa dimension documentaire en deuxième partie, porte de façon intrinsèque l’utilité de la marche. Je vais revenir plus précisément sur cet outil et ses références de manière à la mettre moi même en pratique sur les territoires définis de Malartic et du Bourg. Je convoquerai à nouveau l’outil photographique comme entendu précédemment.

108 III. Troisième partie

Ici je m’attacherai donc à expliquer ma démarche d’enquête de terrain, puis la mettre en œuvre. Ce retour sur la tradition autour de l’outil de la marche m’intéresse en tant qu’étudiant en architecture, et me permet de légitimer mon travail autour de la jeunesse.

1 - Marche et « itinéraires commentés », infiltration in-situ Avec ses « visites dadaïstes », Dada ouvre la porte à une longue série d’explorations urbaines par la marche. Francesco Careri dans son livre auquel j’ai déjà fait référence, retrace l’histoire de ces expérimentations. Il montre comment le procédé est d’abord utilisé du côté des artistes littéraires, puis comment peu à peu elle s’étend dans les champs de la géographie, la sculpture, et enfin dans l’architecture où il place les travaux effectués par Stalker dont il fait parti. Il montre comment chaque discipline et chaque mouvement s’approprie la démarche et la marque dans une évolution ramifiée. Cela en apportant à chaque fois des notions sur l’espace urbain lui même, des variantes sur les conditions de la marche, lui faisant découvrir d’autres terrains, en explorant de nouveaux supports pour retranscrire les expériences. Ainsi, par exemple, les déambulations surréalistes amènent l’idée d’inconscient derrière les espaces urbains, les dérives situationnistes se lisent sur cartographie psycho-géographique, apportant 4 Maïlys Toussaint : Bernard Renoux, (le photographe de l’itinéraire avec Dany Rose) dans : Entretien de Jean-Yves Petiteau et de Bernard Renoux, réalisé par Nicolas Tixier et DidierTallagrand, 2013. 5 Francesco Careri, Walkscapes, el andar como practica estética, Gustavo Gili, 2002 (version francaise : Walkscapes, la marche comme pratique esthétique, Actes Sud, 2013).


des métaphores liquides et continentales des fragments de la ville, les artistes Land Art explorent les territoires naturels et expérimentent la sculpture6.

Celui qui nous invite à le suivre, choisit comme un metteur en scène, le paysage où il situe sa parole et construit son récit. Il confronte au présent, des fragments de sa mémoire qui interrogent in-situ le paysage comme le contexte de son histoire. La marche joue alors avec la parole un rapport indissociable.10 Pour comprendre de façon plus complète encore le travail de Petiteau, il faut aller voir du côté de celui de l’animateur socio-culturel Fernand Deligny que le sociologue a connu. Lui aussi utilise la marche dans ce double statut, et s’inscrit dans la continuité de sa tradition. Pour le sociologue, l’apport de l’animateur est dans la question de la reconstitution et réception de l’expérience. Deligny mène alors des études avec les enfants autistes, il est réfractaire à la prise en charge asilaire de ces enfants et travaille dans le sens opposé. Il pratique avec eux des exercices de parcours à travers le territoire, sous la forme d’errances dont ils sont libres. À la fin de chaque expérience, il demande aux enfants de retranscrire leurs déplacements grâce au dessin. Les enfants tracent alors, tout aussi librement, leur représentation des parcours effectués, sur lesquels on voit apparaître des repères chronologiques, ou des commentaires : ce sont les « lignes d’erre » de Fernand Deligny. La carte produite est alors le reflet d’un territoire physique et vécu. C’est au prisme de cette stratégie qu’il faut lire les « romans photos » produits après les itinéraires de Petiteau. C’est aussi avec cette intention que je souhaite travailler mes entretiens. « Il ne s’agit pas de savoir comment aller d’un lieu à un autre, par où passer, mais de voir comment se dessine un territoire dans la réitération des trajets coutumiers. La 6 Richard Long, A line made by walking, 1967. 7 Donald Winnicott, Jeu et réalité : espace potentiel, Gallimard, 1975. 8 Maïlys Toussaint : Petiteau Jean-Yves, Pasquier Elisabeth, « La méthode des itinéraires : récits et parcours », Michèle Grosjean, Jean-Pierre Thibaud, L’espace urbain en méthodes, Parenthèses, 2001. 9 Maïlys Toussaint : Jean-Yves Petiteau dans : Entretien de Jean-Yves Petiteau et de Bernard Renoux, réalisé par Nicolas Tixier et DidierTallagrand, 2013. 10 Maïlys Toussaint : recomposition d’écrits récupérés de notes de Jean-Yves Petiteau pour la préparation de ses conférences.

Après les devoirs

Dans les itinéraires de Petiteau on retrouve cette épaisseur dans l’utilisation de la marche. Mais effectivement, le sociologue ne se base pas sur un parcours personnel réalisé dans tel ou tel territoire. L’originalité de sa méthode réside dans la dimension « psychanalytique » engagée. De cette façon, Donald Winnicott, dont j’ai déjà parlé confère à l’espace du jeu un statut psychanalitique dont le but est de mettre en confiance le patient, le laissant libre de ses expériences. Le jeu est ici un outil et un environnement nécessaire : l’ « espace potentiel »7. Cet environnement on le retrouve chez Petiteau à travers le concept d’itinéraire, qui devient alors à la fois l’outil par la marche et par le cadre, dans lequel le territoire est le « lieu de mise en scène privilégié où le chercheur va convoquer l’autre »8. Dans les deux cas, le schéma maître/élève est inversé voir brisé. L’itinéraire est un espace d’échange où l’enjeu pour le sociologue est de « faire apparaître ce que le non dit, le non vu, dissimule ».9

109


carte transcrit le territoire partagé avec les enfants autistes, dans l’exacte mesure où l’image comme trace enregistrée est la source et la fin d’agir... Et cette boucle est l’image du territoire ».11 Avec le choix de la photographie comme moyen de retranscription, le sociologue accepte la présence d’un personne tierce. Celle-ci, le photographe, doit se faire la plus discrète possible, afin de ne pas rompre le fil du récit de l’interviewé. Une photographie est prise à chaque changement d’émotion, lieu ou ambiance. La mise en relation du texte et de la photographie dans le document final confère à l’un et à l’autre une dimension nouvelle, augmentée. La photographie, de nature documentaire, sort de son cadre grâce aux mots sélectionnés de l’interviewé, et le récit trouve un décor avec lequel il est familier. Les mots de l’interviewé doivent en cela rester authentiques, le sociologue ne s’avise surtout pas d’y modifier quoi que ce soit, on doit sentir le phrasé. L’édition, orchestrée par le sociologue, donne à lire la part d’inconscient et la libre association des idées rebondissant sur le territoire traversé et connu de l’interviewé. Le lecteur peut ainsi accéder au territoire tel qu’il est vécu et habité.

110 III. Troisième partie

Fig.36 : « Les dockers sont un peu obligés de travailler avec les routiers, on n’a jamais pu se blairer, nous dockers et routiers, non jamais ! C’est des mange-merde les routiers. Ils sont à genoux devant leurs tôliers ».12

11 Maïlys Toussaint : Jean-Yves Petiteau cite : Jean-François Chevrier, Fernand Deligny, Œuvres, L’Arachnéen, 2007. 12 Jean-Yves Petiteau, « Danny Rose-itinéraires » dans 303 : arts, recherches et créations, n° 32 : « Patrimoine fluvial et maritime », 1992.


2 - Les jeunes au centre de la démarche Pour mon enquête sur les terrains de Malartic et du Bourg, je me suis donc approprié la méthode des « itinéraires commentés » de Petiteau. Le but de cette démarche est d’affiner, par le terrain, le témoignage, le récit des habitants, ma vision et ma définition de ces espace publics. L’ambition aussi est d’aller confirmer ou infirmer, en tout cas donner de la perspective aux hypothèses formulées dans les deux premières parties de ce mémoire.

Centrer cette enquête sur la jeunesse donc. Oui mais laquelle ? Pour le choix des jeunes interviewés, je me suis basé sur la définition de la jeunesse précédemment définie. Donc un jeune de la naissance à l’indépendance du foyer parental. Mais évidemment, un enfant en très bas âge ne m’intéresse pas, car c’est justement les pratiques de l’espace public que je souhaite questionner. J’ai donc dû choisir un âge limite à partir duquel les pratiques deviennent intéressantes, un âge charnière où l’enfant commence à pouvoir sortir seul, même juste à côté de la maison. Un âge des premières expériences de la rue. Au final, j’ai travaillé avec un éventail de six à dix-huit ans. Six ans pour Solène c’est un peu jeune, mais la présence des grandes sœurs permettait déjà de pouvoir jouer dehors. Dix-huit pour Claire c’est un peu tard, elle ne vit plus chez ses parents, mais y retourne de temps en temps, et son recul était très riche. Je veux montrer par là que je ne me suis pas non plus imposé de limite d’âge stricte. Il a fallu au contraire essayer et ajuster au fur et à mesure. Pour trouver les jeunes, je me suis aidé de mes connaissances, et de celles mon frère Yoni et de ma sœur Lilou. En effet, je connais ces deux quartiers pour y avoir grandi, mais les visages ont bien changé depuis. Yoni et Lilou, un de chaque côté, sont devenus experts. J’ai donc commencé avec eux, pour ajuster le format et les stratégies. Je leur ai ensuite demandé de faire passer le mot à quelques uns de leurs amis. J’ai aussi frappé à quelques portes, et à chaque itinéraires, j’ai demandé de l’aide à l’interviewé. La conséquence est que tous les interrogés vivent dans la même partie de chacun des cas, ils sont tous voisins relativement proches. Une fois la sélection faite, j’ai expliqué la démarche à chacun des jeunes. J’ai vite pu leur montrer l’expérience faite avec Yoni et Lilou, que j’ai pu imprimer. Ils ont très vite compris l’exercice et ont généralement montré un engouement à l’idée de le faire. La « rencontre » s’est faite chez eux la plupart du temps, en compagnie de leurs parents. Eux aussi se sont montrés intéressés par la démarche : « Mais si, tu fais pleins de truc ! Tu vas voir ». De cette façon, je leur ai demandé de choisir un parcours qui soit significatif pour eux : « qui veut dire quelque-chose pour toi ». Je leur ai précisé à chaque fois qu’il

Après les devoirs

Afin de me donner le plus de chances de tomber juste, j’imposerai aux itinéraires qu’ils soient effectués par des jeunes, qui eux-même détermineront leur parcours au sein des espaces publics du quartier, avec un départ depuis leur maison. Le reste est laissé libre, et je me donnerai tous les moyens pour en extraire l’essence. De cette façon, j’ai réalisé 9 entretiens de 12 jeunes, dont 10 sont détaillés dans les Fig.37 et Fig.38 (double page suivante).

111


1

Solène

Lilou

Inès

Guilhem

Claire

2

Fille

Fille

Fille

Garçon

Fille

3

6 ans

8 ans et demi

16 ans

17 ans

18 ans

4

Mtrnelle : Pin franc (Gradignan)

CE2 : Pin franc (Gradignan)

5

Non

Non

Oui (bus)

Oui (bus, marche)

Oui

6

Oui

Oui

Oui

Oui

Non (pention)

6.1

Ingénieur électronique

Dessinateur industriel (Thales)

Ingénieur électronique

Agent de police

6.2

A.T.S.E.M.

Infirmière du travail (Thales)

A.T.S.E.M.

Infirmière à domicile

7

2007

1997

2007

2de : Lycée V. Havel 1e : Lycée des Graves (Villenave d’Ornon) (Gradignan)

Prépa

Hautesse de l’air 2011

Fig.37 : Malartic : grille d’analyse pour les entretiens réalisés. 1 : Prénom ; 2 : Genre ; 3 : Âge ; 4 : Scolarité ; 5 : Chemin de l’école seul ? ; 6 : Vie avec les parents ? ; 6.1 : Profession du père ; 6.2 : Profession de la mère ; 7 : Installés depuis quand ?

112 III. Troisième partie

faut me raconter, une fois sur place, les particularités de ce trajet : « ce à quoi ça te fais penser », « pourquoi tu as choisi ce trajet ». Je leur ai dit qu’ils vont être filmés tout au long de l’expérience et que tout ça va me servir pour le mettre dans un livre. Malheureusement, je n’ai pas travaillé avec un « photographe ». Les délais du mémoire et la rapidité avec laquelle se déclenchent certains rendez-vous m’ont forcé à travailler seul. De toute façon, je pense qu’il faut trouver un très bon photographe pour s’assurer de sa discrétion et de sa capacité à capturer l’instant. De plus j’ai eu peur du rapport deux contre un avec un jeune, qui aurait pu s’impressionner. J’ai décidé de ne pas prendre de photographies moi même, de peur de perdre le fil et de couper l’interviewé dans son récit. J’ai besoin d’un flux continu et spontané. J’ai donc préféré la vidéo, et donc la GoPro. En effet, avec la GoPro dans la main, jái pu choisir quoi montrer sans me préoccuper du cadrage. L’idée n’est pas non plus de faire de la « belle » photographie, mais plutôt qu’elle soit parlante, expressive. De plus, l’objet est vite oublié par sa petite taille, et le naturel s’installe vite. Le fil continu de la vidéo a cet avantage de pouvoir en extraire l’instantané, par capture d’écran, à n’importe quel moment avec une qualité 4k. Le support final est donc le « roman photo » de l’itinéraire, suivant les codes de la méthode Petiteau. On peut y lire le récit des jeunes en parallèle de chaque photographie. Chacune tente de montrer la dynamique ou l’émotion du jeune, le territoire. Il m’a semblé important de pouvoir montrer leur visage, à plusieurs reprises. Cela permet de transmettre l’empathie : par leur sourires et leurs grimaces, les jeunes incarnent


Tia

Juliette

Yoni

Léo

Lena

1

Fille

Fille

Garçon

Garçon

Fille

2

9 ans et demi

10 ans

13 ans

13 ans

16 ans

3

CM1 : Cassiot (Gradignan)

CM1 : J. Brel (Gradignan)

Non

Non

Oui (bus scolaire)

Oui (bus scolaire)

Oui (bus scolaire)

5

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

6

Cadre en bâtiment

Électricien

Graphiste (bureau à la maison)

Cadre en bâtiment

Menuisier

6.1

Vendeuse Burdigalat enchères

Assistante Sociale

2015

2011

Assistante de Vendeuse Burdigalat Employée cosmétique formations (Bagatelle) enchères bio 2002

2015

1998

Fig.38 : Le Bourg : grille d’analyse pour les entretiens réalisés. 1 : Prénom ; 2 : Genre ; 3 : Âge ; 4 : Scolarité ; 5 : Chemin de l’école seul ? ; 6 : Vie avec les parents ? ; 6.1 : Profession du père ; 6.2 : Profession de la mère ; 7 : Installés depuis quand ?

leur territoire. Je suis resté fidèle à leurs mots, sélectionnant les moments les plus intéressants. J’ai gardé le ton, qui permet de se rendre compte de la différence d’âge et qui participe de cette empathie cherchée. Finalement, j’ai choisi trois itinéraires « types », un à Malartic et deux au Bourg. Je n’ai pas pu tout montrer, et le résultat me semble plus direct en montrant les itinéraires qui ont le mieux marché et qui sont les plus représentatifs. Chez les autres, il y a des similarités et des redites, mais aussi des singularités. Je croiserai ces trois itinéraires avec des extraits d’entretien en fin de mémoire pour compléter et appuyer certains propos.

*

*

*

Par ces itinéraires, je souhaite explorer des méthodes peu utilisées en architecture et les questionner. Mais surtout, je veux rendre hommage à la jeunesse qui peuple gaiement les rues pavillonnaires. Je souhaite donner à voir leur travail quotidien de mise en beauté des espaces publics. C’est aussi l’occasion d’une réflexion sur l’outil de la marche et sa tradition, au sein de laquelle j’aimerais inscrire mon travail.

4

6.2 7

Après les devoirs

5e : Collège A. 5e : Collège A. 1e : Lycée des Graves Mauguin (Gradignan) Mauguin (Gradignan) (Gradignan)

113


114

B - Des parcours types

III. Troisième partie

« La mémoire volontaire va d’un actuel présent à un présent qui ‘‘ a été ’’, c’està-dire à quelque chose qui fût présent et qui ne l’est plus. Le passé de la mémoire volontaire est donc doublement relatif : relatif au présent qu’il a été, mais aussi relatif au présent par rapport auquel il est maintenant passé. Autant dire que cette mémoire ne saisit pas directement le passé : elle le recompose avec des présents… La mémoire involontaire semble d’abord reposer sur la ressemblance entre deux sensations, entre deux moments. Mais plus profond que tout passé qui a été, que tout présent qui fut. Un peu de temps à l’état pur ».1 Accéder à la mémoire involontaire, aux souvenirs et à l’actualité des pratiques au quotidien. Intuitivement, je me suis dit que plus les interviewés sont âgés, mûrs, plus leur recul et leurs souvenirs sont grands. Et peut-être au contraire plus ils sont jeunes, plus l’actualité de leurs pratiques est intense. De cette façon et pour me faire une idée complète du panel « jeunesse », j’ai choisi un itinéraire propre à chaque cycle, classe élémentaire, collège et lycée, car je pense que les différences sont plus forte d’un établissement à l’autre que d’un âge à l’autre. Ce sont les délimitations les plus claires et les plus intéressantes avec lesquelles j’ai pu faire le choix des itinéraires. Ils donnent aussi à voir chacun des deux cas. 1 Maïlys Toussaint : Jean-Yves Petiteau cite dans ses conférences : Gilles Deleuze, Proust et les signes, P.U.F., 1964.




3 Euuh... Donc on va dans cet endroit pour se réfugier, quand on est pas contente... On joue là-bas. Que quand vous êtes pas contente ? 4 Ah oui c’est inondé ici ! Youhou ! Ah non on a l’habitude.

Après les devoirs

Non pas obligé, des fois non. Oh des moules !

7 Ici là, au bord du ruisseau ? Voila ! Et tu viens toute seule ? Oui, des fois avec Tia, quand je vais sonner chez elle et que, voilà on s’en fout... Et des fois sinon je viens avec mes grands-parents.

119

8 Notre endroit normalement c’est par là. Euuuh… Le portail il est fermé Tia ! Quoi ? Ah ouais

11 Vous vouliez aller à la déchetterie ? Beh en fait on va voler des choses là-bas. Ahahihihah ! On est des voleuses… 12 Vous êtes toujours toutes seules ? Toujours. Et là on passe là. On s’amuse on va jusque là-bas. Et puis là on fait des allers-retours comme ça avec Tia.



3 Euuh... Donc on va dans cet endroit pour se réfugier, quand on est pas contente... On joue là-bas. Que quand vous êtes pas contente ? 4 Ah oui c’est inondé ici ! Youhou ! Ah non on a l’habitude.

Après les devoirs

Non pas obligé, des fois non. Oh des moules !

7 Ici là, au bord du ruisseau ? Voila ! Et tu viens toute seule ? Oui, des fois avec Tia, quand je vais sonner chez elle et que, voilà on s’en fout... Et des fois sinon je viens avec mes grands-parents.

119

8 Notre endroit normalement c’est par là. Euuuh… Le portail il est fermé Tia ! Quoi ? Ah ouais

11 Vous vouliez aller à la déchetterie ? Beh en fait on va voler des choses là-bas. Ahahihihah ! On est des voleuses… 12 Vous êtes toujours toutes seules ? Toujours. Et là on passe là. On s’amuse on va jusque là-bas. Et puis là on fait des allers-retours comme ça avec Tia.


13 Là l’eau elle est beaucoup plus jolie que là-bas. Voilà, et là on saute !

14 Ehehahah … Allez on y va ? Elle a peur Tia, moi j’ai pas peur ! Et y a toujours de l’eau ?

120 III. Troisième partie

17 Euh sinon tu veux sauter ou passer par là. Moi je vais plutôt sauter !

18 Tiens y a un jouet de mon chien, je vais le remettre.

Beh je vais vous suivre hein je vais sauter aussi.

Et hop à la maison. Et Juliette comment t’as découvert cet endroit ?

21 oui t’as la maison qui donne justeuuh…

22 Et vous vous faites jamais embêter par les gens qui travaillent ici ?

Ouais c’est ma maison mais voilà euhh … et la c’est mon père il a construit un pont, là bas.

Non.


16 Oui des fois on la tond mais… Vous la tondez ? Ouais des fois. Mais comment vous faites ? 15 Ah toujours ! Hihihi ! J’ai pas fait exprès. Attends on va dans les hautes herbes là.

Beh avec une tondeuse hihihaha ! Ouais on vient en tondeuse et … Nos parents ils viennent.

Ah oui les ortiiiies.

Après les devoirs

19 Beh déjà petite on faisait une cabane là-bas. Où ça, là où y a le bois là-bas ? Ouais tout au fond voilà ! Parce que avec des amis on faisait des cabanes en bambou. Et encore plus loin on a des bambous donc on est prêts et voilà ! Et c’est ta sœur qui t’a montré ou… ? Ah non c’est mes parents.

121

20 Euuh non. Ils savent juste que je vais chercher du bambou là-bas avec ma sœur. Attention hein Tia !

23 Y vous disent jamais rien ? Non rien du tout. Beh en fait on vole mais y nous voyent pas. Parceque c’est que le week-end, et y travaillent pas. Voilà mais y faut pas le dire ça ahah. Euh oui, par exemple tout à l’heure on est y’allé et y avait des personnes, on est vite parti et euh en fait là souvent les jours d’école on va pas là bas, on va toujours ici voilà. Et donc là c’est le pont là, mais il est très vieux !

24 Et y s’en sert pour quoi ton père ? Beh pour passer ! C’est pour nous, c’est pour la cabane !


26 Mais c’est resté votre campement quand même ou... ?

25 L’autre jour y a eu une tempette donc euh la cabane elle était toute cassée. [...] Ouais, en fait euuh y a un arbre qui s’est enlevé, donc euh y a tout qu’est tombé.

Euh non on en avait un autre mais... Sauf que en fait le vent l’a emporté dans un autre endroit.

122 III. Troisième partie

29 Voilà, tout est cassé !

30 Et ça c’est vous qui l’avez fait ?

Et ça non plus c’est pas votre campement ?

Oui euuh ça c’est à mes parents donc euh... [...] Beh il avait des plaquettes donc il les a coupées et après on les a pris mais voilà ça c’est à mes parents.

Avant c’était là mais maintenant non.

33 Et tout ça c’est ton jardin ? Euh non c’est la propriété mais on a le droit d’y rentrer.

34 Là on a fait une cabane cet été ! Mais là c’est la Mairie qu’y mettent tout là. Et oui c’est ça, ça appartient à la ville.


27 Là on arrive à un moment où on a des bouts de bois, comme ça on peut pas tomber dans l’eau.

28 Là donc c’est notre endroit où on a tous les bambous de fleur. Et y a une trottinette électrique aussi !

Après les devoirs

31 Et ta sœur elle venait ici aussi ? Ouais, avant elle venait mais maintenant elle vient plus. Après on peut aller à la forêt de bambou.

123

Elle est où la forêt de bambou ? Elle est par là ! Tu veux sauter ou tu veux passer par le pont ?

32 On pourrait peut être prendre le pont cette fois ? Ahah. Ok ! Beh il est là beh on va y aller. Là si c’est possible euh une personne par une personne, il est vieux.

35 Et y a beaucoup de gens qui rentrent ici ? Beh non parce que sinon y a un portail là bas. Et les gens de l’entreprise là vous les voyez des fois ? Beh non parce qu’en fait il travaillent pas dehors euuh juste pour prendre les camions mais...

36

Et vous vous rentrez pas dans l’entreprise ? Ah non là non.


37 C’est le même ruisseau que celui qui est là bas !

38 Alors cette forêt de bambou où est-cequ’elle est ?

Oui en fait c’est euh ça alimente Bordeaux le ruisseau. [...] y a un panneau jaune.

Alors, on va passer par là !

41 L’entrée c’est là ! Ca c’est notre endroit ou... Vas-y passe !

42 Il est où Gilbert ? Gilbert ?

124 III. Troisième partie

Wouh ! Y a des insectes là.

Moi c’est Gilbert mon préféré ! Alors Jean-Claude il est où ?

45 Ouais on va en ramener un, même deux !

46 En fait avant y avait des pandas ici ahaha ! En fait c’était un zoo avant.

Ça dépend, quand y sont jeunes c’est facile, quand y sont plus vieux c’est difficile !

Boooeh avant c’était un zoo ici eh ahah.




7 Et l’allée qui est là c’est là où habitaient Tony et Julien, donc des potes à moi, des potes d’enfance qui ont déménagé. Beh on... soit ils sonnaient chez moi soit je sonnais chez eux. Des fois, quand on devait rentrer, ils restaient dans leur allée et moi dans mon jardin et on se passait le ballon par dessus l’allée. C’était drôle !

11 Voilà ! Alors jamais on s’assoit sur le banc. Il est pas propre, y a des gens qui pissent dessus ou des trucs comme ça, ils font les cons.

Après les devoirs

3 Oui, là on est à Granet. Alors là, c’est les chevaux en face [...] quand j’étais petit je venais tout le temps, avec des potes à moi.

4 On leur amenait du pain, c’était drôle. On les caressait et on jouait avec des fois, enfin on courrait dans tous les sens et ils nous suivaient. C’était drôle. Là on va pouvoir faire demi-tour.

129

8 Là bas, c’est là où est-ce-qu’il y a un chien, qu’à chaque fois je me souviens quand on passait il nous faisait tout le temps hyper peur parce-que genre tu le voyais pas et il aboyait d’un coup.

12 Donc nous on est là. Sinon y a Gabriel, Léo, Maxime et moi. Non Gabriel il est au lycée mais... Mais on le connaissait quand il était au collège donc euh...



7 Et l’allée qui est là c’est là où habitaient Tony et Julien, donc des potes à moi, des potes d’enfance qui ont déménagé. Beh on... soit ils sonnaient chez moi soit je sonnais chez eux. Des fois, quand on devait rentrer, ils restaient dans leur allée et moi dans mon jardin et on se passait le ballon par dessus l’allée. C’était drôle !

11 Voilà ! Alors jamais on s’assoit sur le banc. Il est pas propre, y a des gens qui pissent dessus ou des trucs comme ça, ils font les cons.

Après les devoirs

3 Oui, là on est à Granet. Alors là, c’est les chevaux en face [...] quand j’étais petit je venais tout le temps, avec des potes à moi.

4 On leur amenait du pain, c’était drôle. On les caressait et on jouait avec des fois, enfin on courrait dans tous les sens et ils nous suivaient. C’était drôle. Là on va pouvoir faire demi-tour.

129

8 Là bas, c’est là où est-ce-qu’il y a un chien, qu’à chaque fois je me souviens quand on passait il nous faisait tout le temps hyper peur parce-que genre tu le voyais pas et il aboyait d’un coup.

12 Donc nous on est là. Sinon y a Gabriel, Léo, Maxime et moi. Non Gabriel il est au lycée mais... Mais on le connaissait quand il était au collège donc euh...


13 Là ils ont fini une sorte de résidence, une ptite résidence [...] ils ont coupé les arbres et y ont mis ça.

130 III. Troisième partie

17 Et puis sinon par l’autre (chemin) on peut pas passer par la Boulangerie, par le Tabac et tout, c’est plus simple de passer par lui. L’autre est plus court, mais... Je m’en fiche un peu. Enfin c’est un chemin que je prend habituellement [...] J’peux l’dicter à quelqu’un les yeux fermés.

Alors là ya l’église, 21 Alors là ya l’église,donc doncsouvent souventon on se retrouve là avec mes potes on se met sur les bancs, euuh...

14 Et puis là y a, là y a la forêt. On y va, enfin on y allait de temps en temps. On y allait souvent avant.

18 Donc là y a le vétérinaire là à droite, donc notre vétérinaire, de mon chat. Euuh là y a la pharmacie à gauche, pas là, pas là, là bas.

22 Ah j’avais jamais remarqué ! Ils ont mis des grillages, à côté du toit, pour pas monter dessus. Beh parce-qu’avant on montais dessus. [...]c’était drôle ! On y restait pas longtemps.


16 Oui, là on est à Granet. Alors là, c’est les chevaux en face [...] quand j’étais petit je venais tout le temps, avec des potes à moi.

Après les devoirs

15 J’sais pas ça nous faisait rire. On faisait des trucs qui faisait peur et tout on s’disait que c’était... c’était flippant j’sais pas quoi. Ouais mais parce qu’en fait des fois on entendait des bruits, on voyait des trucs. Des petits animaux... Ouais des ptits sangliers y en avait.

131

19 et récemment ils ont fait cette euhh [...] ils ont mis l’épicerie euuh le fleuriste [...] j’y suis allé plus d’une fois pour acheter des … pour la fête des mères, la fête des grands-mères .

20 Alors, là y a le Tabac, donc j’crois que c’est l’endroit où je suis quasiment le plus allé, quand j’étais petit pour acheter des bonbons pour euh... des trucs comme ça.

24 Alors du coup toi c’est plutôt là que tu viens te rejoindre avec tes amis ?

23 Léo au tout début il habitait dans cette résidence. Ouais et un autre autrement Maxime, là, dans la même résidence. Les deux ils habitaient en face. Et du coup j’allais souvent les voir.

Ouais, et puis c’est au milieu de où estce que tout le monde habite aussi. C’est plus simple genre moi j’habite pas très loin, Léo il habite pas très loin, Sarah elle habite vers là bas, euh... Beh on s’appelle d’abord, on se dit t’es disponible euh... et on y va.


25 Là y a la Mairie et là y a les Bosses. Alors là on les voit pas.

26 On se pose sur les Bosses. Avant on faisait de la trott’ on démarrait de la haut et on descendait la pente comme ça.

29 Par là par mon école primaire. On est des thug nous, quand c’est rouge on passe ! Ah y a quelqu’un qui m’appelle. Attends deux secondes.

30 Et souvent on montait, mais bon ils ont coupé les... on montait tout en haut de l’arbre là, le Grand Sapin, lui là ouais, non celui derrière.

132 III. Troisième partie

33 Ouais. Là y a une forêt, dont je ne vais pas citer le nom... Si si comment elle s’appelle ? La Forêt des PD ahah ! Beh parce qu’une fois y avait deux mecs, enfin c’est pas nous qui l’avions vu, on m’avait raconté, y avait deux mecs qui s’embrassaient ici, dans la Forêt des PD. [...] ils l’ont quasiment rasée.

34 Donc y faut passer par la droite ! Un petit chemin un peu plus court. Donc quand on veut aller au Spot on passe souvent par là en vélo.


28 Pas grand monde y avait euh des lycéens qui étaient ici avec leur scoot. Mais c’est tout quoi, il y avait personne d’autre. Oh on s’en fout, ils sont sympas enfin ils nous parlent pas quoi et on leur parle pas. Enfin voilà on a déjà marché un peu mais on va devoir marcher beaucoup. En fait je veux aller au Spot.

Après les devoirs

27 Ah oui et ici aussi on faisait souvent des cache-caches. [...] la meilleure cachette qui a été trouvée je crois c’est là dedans. Ouais c’était Liam qui c’était mis là dedans.

133

31 Là c’est le centre Simone Signoret, donc en ce moment je fais mes répétitions de théâtre ici. [...] il y a des films, presque tous les jours, et on peut aller les voir ici.

35 Et avec le Spot, y a moins d’un an, pendant les vacances, [...] on a fait un cache-cache la nuit, donc de 22h à 00h. C’était trop bien ! Et donc en gros les gens du Spot y se déguisaient, [...] les équipes euh devaient trouver des foulards, [...] c’était euh le truc pour enlever euh la malédiction euh de Canéjan.

32 Et on va bientôt pouvoir apercevoir le parc, on y allait souvent aussi parceque c’était drôle il y avait les tourniquets, y avait des trucs comme ça là là-bas. On faisait des touche-touches !

36 Mais juste là, on passe par la forêt et [...] y a l’Eau Bourdes qui passe ici et qui passe par Gradignan aussi. En fait elle passe juste à côté du collège même.


37 Du coup tu m’as parlé de cet endroit le Spot, qu’est-ce que c’est exactement ? Alors le Spot c’est un endroit pour les jeunes où tu te retrouves et où y a des activités, alors chaque jour y a un truc différent, [...] C’est pas mal. Enfin avant c’était un peu chiant mais depuis qu’y a des nouveaux animateurs et qu’y a des nouveaux trucs et tout, c’est beaucoup mieux.

38 La forêt qui a été rasée. Et aussi euh parce qu’ils organisaient des sorties comme euh là, en février ils organisent des sorties au ski.

134 III. Troisième partie

41 Enfin j’sais pas en fait c’est bizarre qu’y ait un château Seguin ici ! Parce-que c’est hyper connu château Seguin ! Et puis c’est à Canéjan, enfin ça doit pas être le même ! Si ?

42 Oh attends j’me pose ! On a quand même marché une demi-heure Samy ! Eh j’suis fatigué, ça fait mal aux jambes...

45 Et donc toi tu te rejoins moins souvent avec tes amis ici ? [...] beaucoup moins souvent, mais euh enfin en ce moment euh j’vais plus trop dehors avec mes potes, en fait c’est surtout l’été que je vais dehors avec eux, parce-que en hiver et tout dehors c’est pas très intéressant. En ce moment j’invitais... quasiment tous les week-end y avait un pote qui dormait ou moi je dormais chez quelqu’un.

46 Il est là le skate parc ! Il est pas ouf mais il est pas mal ! Et là y a le Spot !




3 Après là on arrive sur une place avec Le chêne qui m’a marqué pas mal. J’avais oublié mes clefs, et je m’étais retrouvé bloqué à l’extérieur et donc du coup j’ai dû passer trois heures ici.

4 Voila, et même Le chêne, je venais jouer quand j’étais petit et ça m’a marqué.

Et ça arrive souvent les repas de quartier ? Euh une fois par an. C’est toujours au tout début de l’été.

11 Le quartier en fait est toujours en évolution, même si bon quand on voit les maisons comme ça qui sont toutes les mêmes on pourrait croire que non.

Après les devoirs

7 Bon voilà sur cette place y a les repas de quartier, chaque fin d’année scolaire, c’est l’occasion de retrouver des amis que je voyais pas au lycée ou que je voyais pas forcément au collège, ici je peux les retrouver et on passe la soirée ensemble alors que d’habitude on se voit jamais.

139

8 Et puis à chaque fois, en 5e on se retrouvait là euh avant d’entrer dans le collège. Avant y avait des murets sur lesquels on pouvait s’asseoir, maintenant ils y sont plus parce qu’ils ont mis que des grillages.

12 En fait les euh espaces publics, la MJC ou même le parc là, ça évolue en permanence, et ça parait tout petit comme ça mais ça change pas mal de choses.



3 Après là on arrive sur une place avec Le chêne qui m’a marqué pas mal. J’avais oublié mes clefs, et je m’étais retrouvé bloqué à l’extérieur et donc du coup j’ai dû passer trois heures ici.

4 Voila, et même Le chêne, je venais jouer quand j’étais petit et ça m’a marqué.

Et ça arrive souvent les repas de quartier ? Euh une fois par an. C’est toujours au tout début de l’été.

11 Le quartier en fait est toujours en évolution, même si bon quand on voit les maisons comme ça qui sont toutes les mêmes on pourrait croire que non.

Après les devoirs

7 Bon voilà sur cette place y a les repas de quartier, chaque fin d’année scolaire, c’est l’occasion de retrouver des amis que je voyais pas au lycée ou que je voyais pas forcément au collège, ici je peux les retrouver et on passe la soirée ensemble alors que d’habitude on se voit jamais.

139

8 Et puis à chaque fois, en 5e on se retrouvait là euh avant d’entrer dans le collège. Avant y avait des murets sur lesquels on pouvait s’asseoir, maintenant ils y sont plus parce qu’ils ont mis que des grillages.

12 En fait les euh espaces publics, la MJC ou même le parc là, ça évolue en permanence, et ça parait tout petit comme ça mais ça change pas mal de choses.


13 Tu m’as parlé du rendez-vous des voisins, du vide grenier, y en a souvent des fêtes de quartier ? Euh ouais plusieurs fois par an, après le vide grenier ça fait longtemps qu’y en a pas eu mais j’pense que ça va revenir. Au printemps y va y en avoir pas mal.

14 En fait euh les quelques parcs qu’y a, la forêt, la MJC, ils les utilisent pour organiser des trucs avec les enfants globalement, ou alors justement des fêtes de quartiers, voilà.

140 III. Troisième partie

17 Y a aussi pas mal le coté, je dirai pas que tout le monde connaît tout le monde, mais beaucoup de monde se connaît beaucoup de monde échange, discute dans la rue.

18 En été quand y a mon ami libanais qui arrive, on va un peu partout dans le quartier taper aux portes de nos amis. Parfois ça nous arrive, c’est assez rare, mais d’aller a Bordeaux quand il est là !

21 Y faut vraiment faire attention à tous les détails. À l’intérieur dans les petites rues, on voit pas forcément et maintenant quand on est sur les boulevards, on voit les différences.

22 L’arrêt de bus, c’est celui là alors maintenant ? Voila c’est celui où je vais et on se retrouve avec trois amis tous les matins.


16 Souvent, vu que j’ai pas mal d’amis qui vivent pas du tout dans le coin, qui connaissent absolument pas, je leur fais des visites des endroits.

19 En fait au départ c’est toutes les mêmes maisons ou presque, y avait trois modèles différents, et puis en fait tout le monde a réaménagé à sa manière.

20 Barrières plus basses ou plus hautes, planter une haie, des grillages, créer une véranda, faire des agrandissements, voilà. Tout le monde a modifié aussi un peu, et ça créée un ambiance particulière. Tout est pareil, mais tout est différent.

23 L’autre jour j’ai recroisé justement un ami du collège qui est dans un autre lycée maintenant, je l’ai croisé à l’arrêt de bus un peu par hasard comme ça. Et ouais les arrêts de bus c’est aussi des endroits de convergence, on s’y attend pas vraiment mais on se retrouve. Ou alors justement on s’y retrouve, quand on fait des sorties on se dit rendez-vous à telle heure à l’arrêt.

24 Au final t’y retrouves un peu tout ceux de ton âge qui sont dans le quartier. Ouais on se parle pas forcément mais au moins on se reconnaît.

Après les devoirs

15 Voilà, là par contre, c’est le genre de rue où je passe mon temps à faire des cache-caches.

Ou alors vu qu’ils connaissent pas, je m’amuse à les perdre, à leur faire prendre des détours, vu qu’ils connaissent pas du tout le quartier.

141


26 Et là c’est un des raccourcis dont tu me parlais au début ?

25 Ça m’arrive parfois de descendre avec mes amis ici, ça me prend beaucoup plus de temps de traverser et de rentrer chez moi, mais en même temps voilà, on est ensemble, on prend le temps.

Ouais c’est ça, en plus celui là je l’aime beaucoup parce que justement ça fait un mini parc à l’intérieur euh entre les maisons, y a des maisons partout autour, et puis y a des arbres des plantes un peu partout.

142 III. Troisième partie

29 Et puis aussi j’adorais me mettre euh, là le truc au pied du poteau, je passais à l’intérieur et je me cachais derrière le poteau.

30 Les plantes tout le monde les voit « ouais c’est des plantes », et puis moi je me cachais derrière.

33 Et tu penses que tout le monde fait ça ? Euh beh ouais je vois pas mal de jeunes qui jouent, au ballon euh au badminton, juste dans la rue comme ça, ou qui font du roller qui font euh ... Ouais les gens se réunissent pas mal, vu que les rues sont pas très passantes. Et c’est des points de réunion pour les gens de mon âge ou même les plus jeunes.

34 Et juste pour finir là, je vois qu’on arrive bientôt, le bois tu m’en a pas parlé. Ah oui euh la forêt beh en fait c’est l’endroit où je passe le plus souvent actuellement.


28 Là bas souvent quand j’étais petit je m’amusais à, passer soit en dessous, soit au dessus, ou entre, parce qu’y a des barrières, faut slalomer.

Après les devoirs

27 Et puis je sais pas pourquoi c’est un endroit que j’aime beaucoup. Y a pas beaucoup de monde qui y passe, mais j’adore.

143

31 Là c’est juste un chemin pour aller dans la forêt et moi je trouve un moyen de me cacher derrière tel arbre, je passe entre les différents arbres.

32 Ça c’est des petits poteaux beh on s’assoit dessus on discute. Tout est utilisé de différentes manières, c’est aussi un autre moyen de donner de la vie au quartier en fait.

35 Pour aller au lycée ou pour rentrer je suis obligé d’y passer, c’est le moyen pour moi le plus rapide d’y aller, sauf quand y a le bus bien-sûr. Mais c’est un endroit, où j’ai des souvenirs beh non seulement de parties de cachescaches avec des amis, euh de faire des cabanes avec des amis dans la forêt à plusieurs endroits, aussi euh quand on avait mon chien voilà je me sentais grand avec mon chien à coté.

36 La forêt ouais c’est un endroit particulier, y a beaucoup de chemins dans tous les sens, c’est très grand et ça fait beaucoup d’espace ou on peut se retrouver, on peut jouer, on peut...


144

C - Vers un territoire habitable

III. Troisième partie

« L’enquête menée sur les franges nord de la métropole parisienne confirme tout d’abord le rôle majeur des espaces ouverts dans l’habiter périurbain. Ce sont en effet des espaces intensément pratiqués qui sont aussi emblématiques d’un mode de vie au contact de la ‘‘ nature ’’ et participent de l’ancrage des habitants dans ces territoires ».1 Je fais le même constat de l’importance des espaces ouverts et de leurs pratiques après mon expérience de terrain. Dans son enquête, Antoine Fleury inclut par exemple aux espaces ouverts les galeries marchandes et les centres commerciaux que je n’ai pas eu l’occasion d’aborder dans mon travail. Au delà de cette variante, la notion employée d’espace ouvert par le géographe et celle que j’essaie de défendre ici sont similaires. La variante en question n’est d’ailleurs aucunement incompatible avec celle que je tente de dessiner, au contraire. Il n’y a qu’au terme d’une enquête sur place et horizontale que l’on peut aboutir à ce genre de constat. J’en profite pour rappeler que les enfants ont été pris dans cette étude comme catégorie privilégiée, mais elle n’est pas la seule, on imagine donc la variété supplémentaire de pratiques dans ces espaces là. Plus que n’importe qui, ils s’approprient la rue et ses formes. Ils la réveillent au prisme de pratiques exotiques. 1 Antoine Fleury, « Quels espaces publics pour repenser le periurbain ? » dans Laurence Costes, Territoires du periurbain : quelles nouvelles formes d’appropriation ?, L’Harmattan, 2016.


Aux yeux de la richesse des pratiques de la jeunesse dans les rues de Malartic et du Bourg, le manque de préoccupation dans la fabrication des espaces publics et leur état actuel peut surprendre. À juste titre, le géographe Luc Gwiazdzinski se questionne sur la production d’une urbanité liée à ces pratiques dans les villes. La question est la même pour les quartiers pavillonnaires. C’est aussi l’occasion de remettre l’architecte au centre de ces problématiques, d’ailleurs sur un terrain qui lui a longtemps tourné le dos (le pavillonnaire). Les géographes sont capables avec leurs outils de s’approprier ces thèmes, j’ai montré que les outils de l’architecte se prêtent eux aussi à ce terrain. Il me semble d’ailleurs vital pour la profession comme pour les espaces futurs d’avoir l’architecte au centre de ces problématiques urbaines. Comment faire projet avec de tels outils, sur des terrains où les habitants semblent fabriquer leurs minis mondes au quotidien ? Les enfants mettent en valeur l’espace public, comment en retour celui-ci peut-il promouvoir leurs pratiques ? Les itinéraires réalisés peuvent se lire à travers le roman photo et la carte. C’est par ces deux entrées que je vais reprendre et problématiser l’information recueillie. Dans un premier temps, je vais revenir sur les modes d’habiter et d’appropriation que les jeunes opèrent dans leur rue à partir du roman photo. Il s’agit des « ruses » et « détournements » de Michel de Certeau 3 auxquels fait allusion Gwiazdzinski. Il me semble intéressant, après avoir adopté une lecture « au sol » et en avoir recueilli les fruits, de pouvoir élever à nouveau le regard jusqu’à en trouver les outils et méthodes du projet. Ensuite, la carte me permettra de revenir sur les trajets choisis par les jeunes : se croisent-ils ? où ? y a t-il des récurrences ? lesquelles ? des repères ? La cartographie issue des itinéraires est un outil capable de révéler un circuit de mobilités quotidiennes complexe. Elle devient un document précieux pour l’architecte au moment de faire projet. Enfin, en tant qu’étudiant en architecture, il me semble justement inévitable de revenir sur les outils projectuels de l’architecte, surtout au moment du mémoire. Quels seraient les enjeux de projets dans une telle situation. Comment donner forme à la richesse d’information recueillie ? Il ne s’agit pas ici de trouver une réponse, mais de poser la question. Comment, d’ailleurs, ne pas être paralysé par la richesse de ces pratiques au moment du projet ? 2 Luc Gwiazdzinski, « Éloge de la ruse dans les espaces publics » dans Aglaëe Degros et Michiel De Cleene, Bruxelles à la (re) conquête de ses espaces, Ministère de la Région Bruxelles Capitale, 2014. 3 Michel de Certeau, L’invention du quotidien, Gallimard, 1980.

Après les devoirs

« Que dire des rues, des places ou des parcs, espaces en creux par rapport au bâti, à la matérialité urbaine ? [...] A côté de leur usage licite et des tentatives d’adaptation des professionnels de l’urbanisme se développent des ‘‘ ruses ’’ et des ‘‘ détournements ’’ quotidiens qui dérangent les habitudes et les normes d’usage communément reconnues mais contribuent à penser la figure de ‘‘ la ville malléable ’’ et la production d’un ‘‘ alter-urbanisme ’’ ».2

145


1 - Habiter la rue, coûte que coûte Plus que n’importe qui, les jeunes habitent l’espace public. Les entretiens ont largement confirmé mon hypothèse. Tour à tour, à Malartic comme au Bourg, ils témoignent, plus ou moins consciemment, de leur façon d’habiter, de détourner les éléments. À travers le document Petits détournements (Fig.45 page ci-contre), j’ai souhaité extraire des entretiens les éléments qui me semblaient les plus marquants à ce sujet. Les bribes écrites proviennent de la totalité des itinéraires effectués tandis que les morceaux de rue sont ceux issus des trois parcours types. Le document montre des similitudes (en bleu Malartic, en rouge le Bourg), certaines citations se rejoignent, se complètent. Comme dans la rue, les jeunes donnent du sens, ici par leurs mots, à certains éléments de leur territoire. D’ailleurs sortis de leur contexte, et entourés des nuages de mots, le territoire devient autre. Faute de mieux, les buissons deviennent des cachettes, les routes des terrains de foot, les fossés deviennent des rivières, des fleuves. Les jeunes, par leur façon d’habiter, montrent la richesse de la dite banalité, ils révèlent à chaque seconde un monde caché où presque tout est possible. Ils ne se satisfont pas de ce qu’il y a, ils s’en servent, ils le complètent, l’animent, puis l’habitent. La figure de la cabane revient plusieurs fois. Il semble que les enfants aient besoin d’habiter, en réinventant les règles, le monde réel à leur manière. Inconsciemment ils le mettent ainsi à l’épreuve, et posent des questions que les plus vieux ont parfois commencé à oublier de se poser, c’est encore plus évident dans les rues pavillonnaires. 146 III. Troisième partie

Plus particulièrement, Guilhem, qui fait preuve de beaucoup de recul à son âge, pointe à la fin de son itinéraire la problématique de l’infrastructure. Il montre comment les jeunes, mais aussi le reste des habitants, ont su mettre en place, spontanément, ce que la fabrique de la ville n’a pas su voir, ni envisager, ni encourager. Ici, les pratiques libres des enfants sont clairement à l’origine d’une tendance : les piétons et les automobilistes partagent le même espace. « Traffic space = public space »4. « Euh beh ouais je vois pas mal de jeunes qui jouent, au ballon euh au badminton, juste dans la rue comme ça, où qui font du roller qui font euh ... Ouais les gens se réunissent pas mal, vu que les rues sont pas très passantes. Et c’est des points de réunion pour les gens de mon âge ou même les plus jeunes ». Guilhem On peut corréler ces pratiques de partage à la variété des mobilités évoquée dans les entretiens. Ce monde pavillonnaire que l’on dit pour la voiture, est aussi celui d’autres modes d’habiter la route. Là dessus les exemples d’Inès et Léo sont intéressants (voir Fig.45 ci-contre). Pour son itinéraire à Malartic, Inès m’a emmené sur les circuits qu’elle à l’habitude de faire en skate avec une copine. Je me rends vite compte que le choix des rues correspond à des critères propres aux caractéristiques dynamiques du skate. Une route, lisse, en pente, qui ne soit pas trop passante. On peut donc imaginer un monde en négatif du réel, dans lequel l’espace ne se compose que de cette façon. À force de le 4 « Espace routier = espace public » : Artgineering, « Bycle infrastructure », conférence à l’Université Nationale de Colombie, Bogota, 2016.


« La meilleure cachette qui a été trouvée je crois c’est là dedans. Ouais c’était Liam qui s’était mis là dedans. » Yoni.

« Les plantes tout le monde les voient ‘‘ ouais c’est des plantes ’’, et puis moi je me cachais derrière. » Guilhem. « On venait super tôt et on venait prendre notre thé ici là, avec des gâteaux. » Claire.

« Alors bien-sur on avait l’idée de mettre des canapés, des trucs comme ça ...» Claire.

« Cet endroit s’appelle euuh la forêt de Juliette et Tia ! » Tia.

« L’autre jour y a eu une tempette donc euh la cabane elle était toute cassée. » Juliette.

« Ça c’est des petits poteaux beh on s’assoit dessus on discute. Tout est utilisé de différentes manières, c’est aussi un autre moyen de donner de la vie au quartier en fait. » Guilhem.

« Je pari qu’il y a une sorcière dedans ! [...] on dirait une maison hantée... Des fantômes, des sorcières, des chats noirs qui portent malheur... » Lilou.

« Alors du coup souvent on se retrouvait sur la place, on se posait là au lieu d’aller chez les gens. On discutait, on se mettait sur le banc et on restait ensemble. » Léna.

« Ça s’appelle même pas les Bosses en fait mais c’est comme ça qu’on les appelle nous. Beh c’est trois bosses, pour faire de la trott’ ou du vélo dessus, ou du skate. Ouais on s’pose dessus on parle, on fait des trucs comme ça. » Yoni.

« À chaque fois que je sors, je sors en vélo, même pour aller à côté de chez moi » Léo. « La forêt ouais c’est un endroit particulier, [...] ça fait beaucoup d’espace où on peut se retrouver, on peut jouer, on peut... » Guilhem.

Après les devoirs

« Beh nous on passait par là en fait parce que la route est en pente et ça va plus vite en skate » Inès. « Ici là c’est trop bien l’été, quand tu regardes en l’air, en général y a un peu de vent : on dirait une forêt juste avant l’océan. » Claire.

« Bon donc moi c’est là où je viens me réfugier souvent quand je me fâche avec ma mère. » Juliette.

« L’autre jour j’ai recroisé justement un ami du collège qui est dans un autre lycée maintenant, je l’ai croisé à l’arrêt de bus un peu par hasard comme ça. » Guilhem.

147


chercher, Inès l’a trouvé, elle l’a révélé. De même pour le vélo de Léo. Encore une fois les jeunes sont les plus disposés à ces modes d’habiter. D’autre part, à travers les entretiens transparaît une autre dimension de l’habiter de la jeunesse. Ils ont tendance, comme j’en faisais l’hypothèse, à brouiller les limites du public et du privé, et même jouer avec. Ils projettent leurs mondes et leurs jouets à l’extérieur, autant qu’ils importent la rues et les jeux avec les copains à l’intérieur de la sphère privée. Ils entrent et sortent d’une maison à la rue puis à une autre. Au cours de l’itinéraire, Yoni me raconte comment, après que chacun soit rentré chez soi, ils continuent à jouer au ballon, de jardin à allée par dessus la clôture de la maison de Yoni. J’y vois l’illustration par excellence de cette transgression. Il m’explique plus tard comment selon la saison et la météo ils se rejoignent tantôt dehors dans la rue, tantôt les uns chez les autres.

148 III. Troisième partie

Parfois, le jeune âge et la méconnaissance des limites, et le goût du risque aussi, amènent à explorer des terrains privés. J’ai à ce titre les itinéraires de Tia et Juliette et celui de Lilou. On peut voir que pour Tia et Juliette les limites de la propriété de la déchetterie s’effacent le temps du jeu (il y a cependant une continuité entre le jardin de Juliette et la déchetterie, que les filles révèlent par leurs aventures). Lilou quant à elle a tenu à me faire entrer dans le jardin de la maison « hantée », vieille bâtisse à l’entrée de Malartic. Elle ne s’est pas posée deux fois la question de la légalité de notre passage lorsqu’elle a cherché une brèche à travers la clôture. Cette innocence et cette naïveté viennent renforcer leurs transgression du public au privé, pour enrichir et l’un, et l’autre. Ils questionnent par là la pertinence de certaines frontières ou imperméabilités, physiques ou culturelles d’ailleurs. Celle du pavillonnaire et de l’industriel au Bourg par exemple. Évidemment, plus l’âge est élevé, plus le recul est grand et plus l’interviewé est lucide face à ses modes d’habiter. Ainsi, Guilhem est capable de dire : « c’est aussi un autre moyen de donner de la vie au quartier en fait », quand de l’autre côté, Tia et Juliette montrent au premier degré et spontanément de quelle façon elles pratiquent ces détournements. L’intensité de la confrontation avec le territoire dans une quête de l’habiter peut sembler se calmer avec l’âge. En tout cas, les itinéraires montrent dans leur globalité cette accalmie. Il semble que plus on a d’espace plus la puissance se dilue. Peut être aussi une question de responsabilité et de lucidité justement. Toujours estil que lorsque je retrouve des souvenirs des yeux « critiques » chez les collégiens et lycéens, je perçois du mouvement et de l’inconscient chez les plus jeunes. Les formes d’appropriation changent aussi. Les enfant jouent, les adolescent « traînent », ils se retrouvent, les affrontements avec le territoire semblent se raréfier pour laisser place à des lieux de rendez-vous. Je n’ai pas de jugement de valeur de l’un par rapport à l’autre, je ne fais que constater la tendance. Les deux restent des formes intéressantes d’investir l’espace public des quartiers pavillonnaires. La jeunesse habite la rue, coûte que coûte, et sans le vouloir donne à voir dans le contexte pavillonnaire, l’image d’un monde meilleur, ensemble.


2 - Trajectoires pavillonnaires

La carte Lignes d’aire 1 (Fig.46 sur la double page suivante) fait échos à la métaphore archipelique et à sa nature ex-nihilo, néo-village. On y voit, pour résumer, des trajets recroquevillés dans l’enceinte du boulevard, dont le seul échappatoire est la forêt de Mandavit. Il n’y a qu’à lire à ce sujet de quelle façon les jeunes parlent de la forêt (voir Fig.45 p.147) : « forêt avant l’océan » ou encore « endroit particulier [...] beaucoup d’espace ». Le reste des pratiques et des trajets est donc négocié avec les espaces de la voiture. Le document montre ici deux univers : le boulevard, et l’intérieur. À part pour Lilou, les venelles intérieures sont quasiment constamment privilégiées. D’ailleurs, le choix du boulevard de Lilou s’explique par sa méconnaissance des chemins de traverses qui tissent les entrailles du corps Malartic. Plus habituée au trajet en voiture avec ses parents, elle m’a emmené sur les boulevards qui lui sont plus coutumiers. D’ailleurs, la « maison hantée » qui est le final de notre itinéraire, est une maison qu’elle a l’habitude de voir depuis la fenêtre de la voiture, et par laquelle elle a fini par être très intriguée. À la lumière de cette information, le document révèle un monde de la voiture et un autre mixte, partagé. En effet, les rues « peu passantes » et les « raccourcis » sont la plateforme des pratiques des jeunes, et plus largement des habitants. Ce sont les espaces directement au contact de la maison. Les vas-et-vient de jeunes se font avec les rues. Les itinéraires choisis par les jeunes expriment la familiarité qu’ils ont avec les rues du monde intérieur, entre les îles. Le château Malartic apparaît au centre de la carte comme une polarité forte. En effet, quasiment tous les itinéraires y sont passés. Guilhem précise d’ailleurs que la majorité des événements de quartiers s’y déroulent. C’est en quelque sorte la « place du village » Malartic, même si dans le quotidien des habitants, le centre commercial plus au Nord semble aussi remplir cette fonction. Le château Malartic a la dimension culturelle et de voisinage en plus, c’est un lieu de rendez-vous, où les voisins se retrouvent parfois sans le vouloir, un croisement, un nœud.

Après les devoirs

Après avoir fait l’effort de descendre jusqu’au niveau de la rue pour en capter les pratiques, il redevient intéressant et enrichissant de prendre de la hauteur. Les cartes Lignes d’aire 1 et 2 (Fig.46 et 47 sur les deux doubles pages suivantes) rassemblent pour chaque cas la totalité des itinéraires. La mise en commun permet de mettre en évidence certaines tendances et correspondances, des croisements aussi. Les documents ont été faits par détourage élargis des trajets choisis par les interviewés. Je me suis volontairement inspiré du mode de représentation des « Lignes d’erres » de Deligny. Ensemble, elles donnent un état du territoire vécu. Les lignes et les zones épaisses correspondent ainsi (par simple jeu de détourage, ma subjectivité n’entre pas en compte ici) à des carrefours, des lieux communs aux différents itinéraires. Sur la page de gauche on ne distingue pas la provenance de tel ou tel trajet. On y voit la toile parcourue. La page de droite renseigne au contraire sur l’identité de chaque parcours. Sur le transparent, j’ai représenté les territoires auxquels j’ai soustrait la toile parcourue. D’un cas à l’autre, les cartes révèlent des logiques de mobilité singulières.

149


N

Médiathèque

Forêt de Mandavit

150

Centre commercial

Château Malartic

III. Troisième partie

Boulevard

150


N

draveluoB

Guilhem

eitrap emèisiorT .III

uaetâhC Inès + Solène citralaM

ertneC laicremmoc Lilou

0151 51

Après les devoirs

ed têroF tivadnaM 150

euqèhtaidéM Claire


N

Médiathèque

Forêt de Mandavit

150

Centre commercial

Château Malartic

III. Troisième partie

Boulevard

150


N

Guilhem

Lilou

Inès + Solène

151

Après les devoirs

Claire

150


Zone Actipolis

Arrêt de bus

152 III. Troisième partie

Centre Bourg

N

Vers la House


eitrap emèisiorT .III

Après les devoirs

Tia + Juliette

Léo 2153 51

Léna

Yoni

150


Zone Actipolis

Arrêt de bus

152 III. Troisième partie

Centre Bourg

N

Vers la House


Après les devoirs

Tia + Juliette

153

Léo

Léna

Yoni 150


Bien que seul l’itinéraire avec Claire explore le territoire de la forêt de Mandavit, c’est un élément très présent dans le quotidien de Malartic. L’imaginaire qui lui est lié est fort. L’importante concentration de trajet dans le Sud de Malartic témoigne d’espaces « tampons » entre le quartier et la forêt. Malartic et la forêt sont deux univers différents et en même temps se complètent, se prolongent. La forêt entre dans le quartier par ces espaces tampons et le quartier dans la forêt par les pratiques quotidiennes des habitants. Les jeunes évoquent d’ailleurs le fait que la forêt est un passage obligatoire pour rejoindre le lycée ou le parc Mandavit, autre haut lieu de sociabilité. Le trajet de Claire est le plus révélateur effectivement. Il montre le chemin qu’elle prend pour aller de chez elle à la Médiathèque. Il est le même depuis qu’elle est installée à Malartic (en 2011, voir Fig.37 p.112) et s’est chargé au fil des années de couches de souvenirs. Aujourd’hui, et au moment de l’itinéraire, elle a pu cueillir dans l’épaisseur concentrée le long de ce trajet, quelques moments très personnels. Aujourd’hui elle se dit en paix avec cette route et ces souvenirs. Certaines routes, lorsqu’elles sont exclusives au fil des années, finissent par nous définir, autant que nous les avons marquées.

154 III. Troisième partie

Les grands absents de ce document sont les résidences et le château Barthez. La page de gauche révèle ainsi l’autonomie du quartier avec ces deux univers, pour lesquels d’ailleurs rien n’indique qu’ils fonctionnent ensemble par ailleurs. D’instinct je mettrais la logique du château d’un côté, celle des résidences de l’autre. Le château, point originel du quartier, je l’ai montré, est aujourd’hui hermétique. Sa présence discrète appuie le contour des trajectoires quotidiennes et celles choisies par les jeunes. Les résidences quant à elle semble étrangères aux pratiques des jeunes du pavillonnaire. L’enquête de Marie Cartier et son équipe menée à Gonesse dans la banlieue Nord de Paris5 donne un éclairage sur ce point. Elle évoque l’ « ambivalence » des relations entre jeunes des pavillons et des cités. Ils se croisent à l’école et au collège, mais « les jeux dans la rue [sont] circonscrits aux rues pavillonnaires ». L’auteure relaie des témoignages de « crainte » et de « peur » face à l’image du jeune de cité. Le propos est par ailleurs relativisé par d’autres témoignages plus souples, et aussi une fascination culturelle pour le rap ou la mode par exemple. Toujours est-il que la carte montre une indépendance de l’un et de l’autre. La carte Lignes d’aire 2 (Fig.47 double page précédente) montre une figure beaucoup plus filaire du Bourg. Ce document et le constat qui l’accompagne entrent en résonance avec ce que j’ai montré des processus d’urbanisation du Bourg, le long d’axes ancestraux, ruraux. Ces axes relient des points éloignés entre eux et ne portent pas la morphologie recroquevillée des venelles de Malartic. La carte confirme le rapprochement avec un système de ville « passante ». Elle met en évidence un axe principal qui relie la House du Bourg et vient mourir à l’endroit de l’autoroute, qui coupe en ce point l’ancienne route romaine. Elle révèle des trajectoires annexes, liées à la construction des lotissements, mais surtout un nœud : le centre Bourg. Quasiment tous les itinéraires y passent, ou s’y attarde, validant ainsi mon analyse quant à la polarité du centre Bourg sur les lotissements alentours. Et en cela une situation en tous points opposée à l’archipel Malartic solitaire et déconnecté. La figure arborescente de la mangrove se reflète à travers les itinéraires des interviewés. 5 Marie Cartier et al., « Jeunes des pavillons », La France des « petits-moyens », enquête sur la banlieue pavillonnaire, La Découverte, 2008.


Par sa nature « filaire », le Bourg se montre au travers de la carte, comme un territoire sur lequel les distances parcourues semblent plus grandes, plus lointaines. À partir d’un âge où les jeunes commencent à sortir seuls de chez eux, ils utilisent très vite et intensément le vélo. En effet, les grandes distances à parcourir pour rejoindre tel ou tel ami, ou pour se rendre dans des lieux particuliers, le « Spot » par exemple, les poussent tôt à l’utilisation de ce véhicule. De plus, Canéjan étant hors Métropole, il n’y a pas de passage de bus. Yoni et Léo témoignent aussi de cette utilisation régulière du vélo. Enfin, la carte du Bourg et les itinéraires montrent l’importance du changement du rayon d’action avec l’âge, plus qu’à Malartic. Sur les entretiens réalisés, je distingue trois tranches d’âge. De l’une à l’autre, les documents témoignent de la prise de distance croissante avec l’espace public proche. Plus ils grandissent, plus leur « domaine » s’étend. Ainsi, Tia et Juliette jouent seules sur les terrains directement derrière la maison sur 150 mètres de circonférence. Léo et Yoni se rendent seuls jusqu’au centre Bourg, et même parfois jusqu’à la House, le vélo leur permettant cette émancipation. Enfin, Léna, elle, se rend régulièrement seule à Bordeaux. Elle est obligée de marcher jusqu’à Gradignan pour trouver un bus, ou le prendre depuis le lycée. On voit bien comment petit à petit, les jeunes s’éloignent du cœur de leur territoire. Ce qui est peut être moins visible à Malartic, car le lien au centre est facilité par la présence sur place d’un bus. De toute façon, dans un cas comme dans l’autre, les lycéens interrogés témoignent de leur volonté d’étudier et vivre dans une grande ville, proche du centre. Inès pour Lyon qu’elle connaît par sa grande sœur, Léna pour Bordeaux. Pour autant, ils ne renient pas leur territoire et gardent pour celui-ci une nostalgie forte, et se disent chanceux d’avoir pu grandir dans un tel cadre.

3 - Le projet comme « infrastructure publique » Le projet est une autre façon intéressante de prendre de la hauteur lorsqu’il se nourrit de l’intelligence du lieu. Précédemment, j’ai pris l’exemple de photographes et d’artistes issus du pavillonnaire. J’ai essayé de montrer la force de leur regard et de leur production par ce qu’elles ont de critique, mais aussi de bienveillance. Je les ai opposés à cette lecture urbano-centrée dont sont victimes les zones pavillonnaires. C’est cette

Après les devoirs

Le centre Bourg semble donc polariser les pratiques des jeunes, et sûrement des habitants. Les interviewés témoignent, suivant l’âge, du rapport central qu’a ou a pu avoir le centre Bourg pour eux. Il est un point de rendez-vous, surtout pour les collégiens. En effet, Léo et Yoni évoquent les après midi passés à se rejoindre sur les « Bosses », pour dériver ensuite, ou pas. Ils racontent aussi comment la boulangerie et le bureau de tabac, par les bonbons qu’ils peuvent y acheter, sont des points attractifs pour eux. Ils savent le centre comme étant un lieu où l’on croise les autres canéjanais et se disent attirés par cette « ébullition ». Au contraire, Léna, lycéenne, raconte au passé cette époque où le centre Bourg est un point de chute, pour elle et ses amis. Il semble que le centre Bourg soit voué à être le réceptacle des réunions des générations de collégiens.

155


posture de projet que j’aimerai commenter au travers d’exemples, construits ou non. Parfois le site impose de ne pas construire en dur. J’ai montré que la France des années 1960-70, marquée par le dépeuplement des centrevilles, la crise du logement, et le désir d’un chez-soi à la campagne, a trouvé en la maison individuelle et le lotissement une solution radicale et quasi systématique. L’architecte n’a pas su suivre ce marché. Aujourd’hui, en tant qu’habitant du pavillonnaire, et étudiant en architecture, je sens un vide de la part des architectes dans ces territoires. Je pense qu’un retour bienveillant de l’architecte sur ce terrain est souhaitable, faisant force de cette « culture pavillonnaire ». Les exemples que je vais convoquer ne sont pas forcément liés à la situation pavillonnaire, mais leurs outils sont ceux qui permettent cette horizontalité dans le projet que je souhaite commenter ici. Parmi les exemples, plus ou moins récents, la démarche du collectif Stalker m’attire. Leur volonté d’explorer les franges oubliées de la ville pour mettre en lumière, par la marche, les singularités du lieu est déjà une posture de projet. Ils se sont d’ailleurs rassemblés autour de cette méthode dans leur manifeste, et dans leurs écrits. De cette façon ils s’inscrivent dans cette tradition du ready-made urbain et de la marche comme moyen de révéler le territoire. Mais il ne faut pas chercher chez eux la volonté d’aborder le terrain par le projet architectural au sens classique, d’ailleurs tous ne sont pas architectes. D’ailleurs, le groupe éclate, plus ou moins, au moment de la réalisation d’une maison communautaire pour un camp de roms, qui eux-même émettaient l’idée de se sédentariser. Certains étaient pour, d’autres absolument pas. 156 III. Troisième partie

Construire ? Ne pas construire ? En 2006, la jeune agence néerlandaise Artgineering est invitée à la série « Jeunes Architectes » du Centre International pour la ville, l’Architecture et le Paysage (C.I.V.A.). Leur posture de projet me semble exemplaire pour aborder un territoire comme l’espace public en zone pavillonnaire. Ils se définissent dans cette édition autour de 7 thèmes : publicité, banalité, informalité, voisinage, réinterprétation, bottum-up et identification. Ces clefs d’entrée, qui à aucun moment n’ont été fixées comme un dogme, leur permettent une appréhension fine et un mode d’action subtil, par le bas. Ils sont emblématiques de cette lecture et action horizontale que j’ai essayé de défendre dans ce mémoire. Ils sont à la recherche des cultures locales, celles du quotidien et ils sont prêts à s’en inspirer. Leur projet Filekit est un bon exemple de leur posture de projet : « Le Filekit révèle la beauté contradictoire de la plus intense et ennuyeuse expérience de mobilité contemporaine : l’embouteillage. [...] Le Filekit joue du mélange d’humeurs que cette condition génère [...] pour les positiver au moyen des objets qu’il contient : un préservatif, un pistolet à eau, une Bible...».6 On ne peut pas dire que cette intervention soit de l’ordre du projet architectural en dur tel qu’on l’entend. Mais cette capacité à réinventer le champ du projet par ce que le lieu impose leur permet de s’infiltrer dans les situations les plus quotidiennes. D’ailleurs, lorsque Frédéric Ramade (Fig.25 p.68) et Vanessa Kuzay (Fig.27 p.68) évoquent le 6 Artgineering, territoires équivoques, CIVA / A16, 2006.


contexte pavillonnaire, ils évoquent ce « mélange d’humeurs ». C’est la posture « criticoaffective » qu’évoque Frédérique Ramade. Par ailleurs, Artgineering travaille sur des projets d’espace public au sens plus commun. Alors ce souci accordé au lieu et ses ambiguïtés transparaît, inévitablement. Les projets construits et les interventions plus légères se nourrissent les uns les autres. La constante pour cette agence est l’ambition de reconquête des espaces publics, même dans leur « infrastructuralité » : route nationale, autoroute, embouteillage, panneau publicitaire, parking, voiture et tout autre espace du commun. C’est ce qu’il faut entendre derrière l’appellation « territoires équivoques ».

*

*

*

L’expérience des itinéraires m’a permis d’accéder à une intelligence locale. En laissant à la jeunesse le pouvoir de me guider au fil de leur parcours, je me suis rendu témoin d’un certain nombre de pratiques in-situ. J’ai pu remarquer leur lien sophistiqué avec les rues pavillonnaires et leur importance dans leur quotidien. Elles sont une plateforme pour leurs rendez-vous, leurs jeux, mais aussi leur apprentissage. Ils sont presque architectes sur leur territoire, et toute approche projectuelle qui se passerait de ce savoir-faire perdrait un élément essentiel.

1 TOMATO Architectes, Paris, La Ville du Périphérique, Le Moniteur, 2003.

Après les devoirs

D’autres architectes partagent cette posture, il semble qu’une partie de la jeune génération, cherchant son propre terrain et les défis de sa contemporanéité, se soit dotée de ces nouveaux outils. Je crois qu’il faut trouver les origines de cette marche chez le Team 10 et son sillon, qui a ouvert la porte et adapté à l’architecture, à leur époque, des outils encore pertinents aujourd’hui. Parmi les autres acteurs je pense à TVK par exemple, dont les recherches sur le périphérique de Paris 1, et sur les infrastructures en générale, font école.

157


CONCLUSION

158 Conclusion

Au terme de ce travail, je souhaite revenir sur la dimension personnelle de ma posture. L’exercice du mémoire est pour moi un outil, une occasion de se questionner sur ses propres pratiques, sur son passé aussi. À travers un thème, il s’agit de trouver quelquechose d’essentiel, d’inhérent. Le mémoire est une opportunité pour le chercher, le problématiser et le mettre au centre des préoccupations. Je vois l’exercice comme une prise d’élan pour les années de pratiques à venir. Quels sont les thèmes qui m’animent ? Avec quels outils je les embrasse ? Comment je décide d’y répondre ? Il faut trouver l’intérêt dans mon travail, si il en est, dans la volonté de définir des méthodes d’observation, d’analyse et de mise en problème sur un thème particulier. J’ai cherché tout au long de cet exercice les outils les plus adaptés pour rendre compte de la réalité du thème choisi. Je n’ai pas essayé coûte que coûte de contraindre le sujet aux outils et leur format. Au fil de mon enquête, j’ai convoqué la cartographie, la photographie, les entretiens, le roman-photo, la marche ou encore l’édition. À chaque fois, j’ai essayé de les comprendre dans leur « traditions », d’en extraire l’intérêt face à mon sujet et le mettre à son service. Je ne suis donc pas parti, de fait, avec les outils dit de l’architecte. Je ne me suis pas satisfait d’une lecture lointaine et abstraite des territoires choisis, j’ai même mis au centre l’envie de porter une lecture située, par le bas. J’ai témoigné de la constance et du relatif pessimisme avec lequel mon sujet a traditionnellement été abordé, et j’en ai pris le contre-pied. En effet, j’ai tenté de retrouver de l’humain, du quotidien, et par là finalement de la complexité, de la nuance ou encore de l’ambiguïté. J’ai voulu être réceptif et attentif pour capter les pratiques dans les espaces vides des


Justement, cette réalité. Il est trop facile de la résumer à sa laideur, sa pauvreté ou sa nature « spatiophage ». Ces qualificatifs sont sûrement vrais d’ailleurs, mais pas suffisants. Dans mon travail, j’ai eu envi de me focaliser sur la richesse de l’habité face aux jugements sur le manque de qualité de l’espace. Les habitants sont trop souvent donnés responsables de cette situation. J’ai au contraire cherché à donner à voir l’espace public en zone pavillonnaire au prisme des pratiques singulières qu’il porte. Sa définition en découle. L’espace public dans ce milieu, pour moi, c’est un assemblage d’espaces et de pratiques. C’est en tout cas par ces entrées que je l’ai approché. L’enquête m’a montré des espaces « indécis », « liquides », vaguement denses et des pratiques créatrices et intenses. La qualité de l’un nécessitant celle de l’autre. Entre les deux, la jeunesse, profitant de l’une, faisant preuve de l’autre. L’ambiguïté est présente à plus d’un titre. Il y a la variété du tissu d’abord : du trottoir au terrain vague, de la forêt au centre bourg, de la placette à l’arrêt de bus. Entre Malartic et le Bourg les différences sont visibles, de même au seins de chaque cas. Pourtant, leur continuité, dans une urbanité intermédiaire, semble en faire un élément unique, liquide. Il y a ensuite la limite parfois trouble entre le public et le privé, pourtant ici extrêmes dans leur genre. Le trio maison - jardin - voiture, que l’on pourrait croire totalement hermétique trouve par les pratiques quotidienne sa porosité. Dans l’autre sens, les rues et les espaces vides qui devraient être publics, ne sont pas dessinés de sorte à l’encourager. Justement, il y a enfin l’ambivalence entre l’espace public et l’infrastructure. Effectivement, beaucoup d’espaces vides des zones pavillonnaires sont conçus en négatif du bâti, et bien souvent pour la voiture. C’est finalement cette apparence qui leur vaut la réputation d’être laid, inertes, voir dociles. Toutefois, cette ambiguïté, la jeunesse l’exploite à fond. La rue et les espaces publics des quartiers pavillonnaires sont pour elle un cadre à la fois sûr et permissif. Les jeunes parents voient en la maison individuelle et son contexte un lieu idéal où voir grandir leurs enfants. Ces derniers se sont montrés être les acteurs principaux des espaces extérieurs des zones pavillonnaires, à la fois par la fréquence de leur présence et par sa qualité. Ils se jouent des limites communément et culturellement admises et mettent en valeur la banalité par leurs pratiques de l’espace. Ils habitent et se réapproprient les routes, les interstices, ou les impasses au fil de leurs jeux. Ils grandissent avec la rue, autour des maisons, d’abord près de chez eux, puis de plus en plus loin. En retour, celle-ci se voit augmentée, sublimée par leur pratiques, et douée d’une responsabilité plus grande. Celle de donner un cadre fertile à leur apprentissage.

Après les devoirs

zones pavillonnaires ; encore aujourd’hui un choix de résidence privilégié. J’ai souhaité y voir des formes d’intelligence, trouver le merveilleux là où on le dit absent, me faire ma propre lecture. Par ce travail, je pense avoir rétabli un équilibre entre mon statut d’étudiant en architecture et d’habitant du territoire pavillonnaire. Entre une part de mon présent et de mon passé. Je me suis rendu compte qu’ils se nourrissent l’un et l’autre. C’est aussi une façon de poser la question des outils de l’architecte : quels sontils ? Dans quelle position je me reconnais ? En architecture, on apprend à ne plus voir ces typologies, finalement qu’est-ce que l’on peut en faire ? À quelle réalité je fais face ?

159


Cette relation fructueuse entre la jeunesse et les espaces publics des zones pavillonnaires fait apparaître, à celui qui adopte une lecture attentive, des enjeux alors invisibles. À Malartic et au Bourg, et sûrement pour d’autres situations dont ils se font exemplaires, les modes d’habiter des jeunes montrent le potentiel inexploité de la rue. Ils ont en effet très bien compris son rythme, et quand il n’y a pas de voiture, c’est à dire la plupart du temps dans la majorité des rues pavillonnaires, elle devient une surface disponible. À Malartic plus particulièrement, ils questionnent le mobilier, ils qualifient les placettes et montrent par là leur contradiction avec un usage piéton ou joué. Au Bourg, ils transgressent la limite entre pavillon et Z.A., l’ayant transformé en terrain d’aventure idéal à deux pas de la maison. Ils posent là encore une question cruciale. Ces prises d’assaut est à leur échelle une manière de transformer leur territoire, d’en prendre le pouvoir. Il serait intéressant d’adopter le même regard pour d’autres catégories d’habitants et en différentes situations pavillonnaires. Par exemples, focaliser l’enquête sur les personnes âgées, qui sont aussi très présentes dans les espaces publics. Ou encore certains trajets types de ces espaces : la promenade du chien, le ramassage des enfants à la sortie de l’école ou encore la sortie de la poubelle. On pourrait s’intéresser au cas de la voiture, qui elle aussi regorge de possibles par son indispensabilité dans ces milieux, ses infrastructures, sa nature mobile ou encore la flexibilité de son statut public/ privé. On aurait aussi pu convoquer l’approche politique, et chercher à comprendre comment sont envisagés ces espaces : si la lecture est effectivement lointaine et « urbano-centrée », ou si une approche « bottom-up » est appliquée. 160 Conclusion

Les limites du mémoire sont aussi celles-ci, et en cela intéressantes qu’elles permettent d’approfondir une question précise. Ici la relation quotidienne et exceptionnelle entre la jeunesse et les espaces publics des zones pavillonnaires.


Après les devoirs 161

Fig.48 : Le Bourg : Scène pavillonnaire 4 (source propre : 2018).


BIBLIOGRAPHIE

162

PAVILLONNAIRES

Conclusion

Michel Bélanger, Le patrimoine de Gradignan, Éditions de l’Entre-DeuxMers, collection La campagne à la ville, Saint-Quentin-de-Baron, 2015. Éric Chauvier, Contre Télerama, Allia, Paris, 2011. Caroline Bougourd, «La caricature pavillonnaire», Strabic.fr, 2012 : h t t p : / / w w w. s t r a b i c . f r / L a caricature-pavillonnaire Jacques Deschamps et Marc Partouche, photographies : Alain Leloup, Une vie de banlieue, Éditions Hazan, Vanves, 1995. Bruno Gasteuil, Jacqueline Mercier, Roger Mercier et al., Canéjan, les cottages

de La House ont 40 ans, Association Histoire et Mémoire de Canéjan, 2012. Bruno Gasteuil, Jacqueline Mercier, Roger Mercier et al., Canéjan, d’une rive à l’autre, Association Histoire et Mémoire de Canéjan, 2004. Philippe Gargov, «Banlieue molle, banlieue LOL ? Cinq questions à Eric Chauvier, anthropologue», Pop-upurbain.com, 2011 : https://www.pop-up-urbain.com/ banlieue-molle-cinq-questions-aeric-chauvier-anthropologue/ Xavier de Jarcy et Vincent Remy, «Comment la France est devenue moche» dans Télérama, n° 3135 : «Halte à la France moche !», Paris, février 2010.


Aude Lalande et Pierre Zaoui (dir.), Vacarme, n° 42 : «La France pavillonnaire», Éditions Amsterdam, hiver 2008.

Michel de Certeau, L’invention du quotidien, Tome 1 : Arts de faire, Union générale d’éditions, collection 10/18, Paris, 1980.

Anne Lambert, «Tous propriétaires !», l’envers du décor pavillonnaire, Éditions du Seuil, collection Liber, Paris, 2015.

Éric Charmes, La ville émiettée, essai sur la clubbisation de la vie urbaine, P.U.F., collection La ville en débat, Paris, 2011.

Susanna Magri, «Le pavillon stigmatisé» dans Marie Charvet (dir.), L’année sociologique, n°58 : «La ville, catégorie de l’action», 2008.

Éric Chauvier, La rocade bordelaise, une exploration anthropologique, Le bord de l’eau, Lormont, 2016.

Frédéric Ramade, Ode pavillonnaire, Filigranes, DVD Atopic, Paris, 2007. Marie-Geneviève Raymond, La politique pavillonnaire, Centre de recherche d’urbanisme, Paris, 1966. ESPACES PUBLICS Jean-Didier Bergilez, Vincent Brunetta et Véronique Patteeuw, Artgineering, territoires équivoques, CIVA / A16, collection Jeunes architectures, Bruxelles, 2006. Francesco Careri, Walkscapes, el andar como practica estética, Gustavo Gili, rééd. 2015, 2002 (version francaise : Walkscapes, la marche comme pratique esthétique, Actes Sud, 2013). Dominique Carré (dir.), Claude Eveno, Bernard Latarjet, photographies : Atelier Robert Doisneau, Robert Doisneau, La banlieue en couleur, Éditions la Découverte, collection Dominique Carré, Paris, 2017.

Xavier Desjardins et Antoine Fleury, «Les espaces publics dans les territoires de densités intermédiaires : conceptions, usages et potentialités», Revue Géographique de l’Est, vol. 54, n° 3-4, Association des géographes de l’Est, Nancy, 2014. Francine Fort (dir.), Arc en rêve centre d’architecture, Itinérances autour de Bordeaux, carnet métropolitain, Les Éditions Sud Ouest, Bordeaux, 2011. Florian Hertwerk et Sébastien Marot, La ville dans la ville, Berlin : un archipel vert, Lars Müller Publishers, Zürich, 2013. Dominique Lefrançois, Le parking dans les grands ensembles, Les Éditions de la Villette, Paris, 2014. Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, collection l’Espace critique, Paris, rééd. 2000, 1974. Jean-Yves Petiteau, «Danny Roseitinéraires» dans 303 : arts, recherches et créations, n° 32 : «Patrimoine fluvial et

Après les devoirs

David Mangin, La ville franchisée, formes et structures de la ville contemporaine, Les Éditions de la Vilette, Paris, 2004.

Bernard Comment (dir.), W.A.F. (We Are French) et Jean-Christophe Bailly, France(s) territoire liquide, Éditions du Seuil, collection Fiction et cie, Paris, 2014.

163


maritime», Nantes, 1992. Marie-Ange Brayer et al., Ugo la Pietra, habiter la ville, HYX, collection Frac centre, Orléan, 2009. Stalker, À travers les territoires actuels, Nouvelles Éditions Place, Collection particulère, 2000. Maïlys Toussaint, Jean-Yves Petiteau et l’expérience des itinéraires : Itinéraires de dockers à Nantes, entre récits personnels et ambiance partagée, mémoire : sciences de l’Homme et société, Université Pierre Mendès France, Institut d’Urbanisme de Grenoble, 2014. Antoine Vialle, Saclay, Panorama. Paysages superposés, Kaiserin-éditions, Paris, 2014. Raphaël Zarka, La conjonction interdite, B 42, Paris, rééd. 2011, 2003. 164

ENFANCES

Conclusion

Claire Ané, «La jeunesse débute plus tôt et se termine plus tard qu’avant», Le Monde.fr, 2017 : h t t p : / / w w w. l e m o n d e . f r / campus/article/2017/10/27/ l a - j e u ne ss e - d ebute - plus - tot e t - s e - t e r m i n e - p lu s - t a rd - q u avant_5206969_4401467.html Jean-Marie Apostolidès et Borris Donné, Ivan Chtcheglov, écrits retrouvés, Allia, Paris, 2006. Marie Cartier, Isabelle Coutant, Yasmine Siblot et al., «Jeunes des pavillons», La France des «petits-moyens», enquête sur la banlieue pavillonnaire, La Découverte, Paris, 2008.

Miguel Delibes, El camino, Destino, collection «Destinolibro», Barcelone, 1982. Vanessa Kuzay, Territoires oubliés, 2016 : http://www.vanessakuzay.com/ territoires-oublies/ Adeline Lecocq et Augustin Descamps, Culture du jeu, mémoire : architecture, ENSAPBx, Bordeaux, 2016. Max Risselada et Dirk van den Heuvel (dir.), Team10 1953-81, in search of a Utopia of the present, NAI Publishers, Rotterdam, 2005. Francois de Singly, «La liberté de circulation de la jeunesse, Commentaire des résultats d’un sondage - ‘‘Les jeunes et leurs modes de déplacement en ville’’ - passé auprès d’un échantillon représentatif de 820 jeunes urbains de 11 à 13 ans», Institut pour la ville en mouvement, 2001. TRAVAUX PROPRES Rapport de stage de formation pratique : ¡ Voy yendo !, ENSAPBx, Bordeaux, 2017. Mémoire de license, (thème du skate en milieu urbain) : Exotisme, Skater la ville, ENSAPBx, Bordeaux, 2015. Installation plastique (basée sur l’appropriation spontanée des espaces de l’ENSAP) : L’Homme sauvage, ENSAPBx, Bordeaux, 2014. Projet de S9, Une gare automobile, Architecture située, ENSAPBx, Bordeaux, 2017-2018.


Après les devoirs

ICONOGRAPHIE

p.36 - Fig.13 : Malartic : la logique exnihilo 1, élaboration propre à partir de photographies aériennes de Malartic en 1950 - 1965, issues de Géoportail.

p.48 ; 49 - Fig.17 : Malartic : archipel isolé, élaboration propre à partir de photographies aériennes de Malartic en 2018, issues de Géoportail.

p.37 - Fig.14 : Malartic : la logique exnihilo 2, élaboration propre à partir de photographies aériennes de Malartic en 2018, issues de Géoportail.

p.50 ; 51 - Fig.18 : Le Bourg : mangrove et son rivage, élaboration propre à partir de photographies aériennes du Bourg en 2018, issues de Géoportail.

p.38 - Fig.15 : Le Bourg : une urbanisation ramifiée 1, élaboration propre à partir de photographies aériennes du Bourg en 1950 - 1965, issues de Géoportail.

p.54 ; 55 - Fig.19 : Microcosme 1, élaboration propre à partir de photographies aériennes de Malartic, issues de Google Map.

p.39 - Fig.16 : Le Bourg : une urbanisation ramifiée 2, élaboration propre à partir de photographies aériennes du Bourg en 2018, issues de Géoportail.

p.56 ; 57 - Fig.20 : Microcosme 2, élaboration propre à partir de photographies aériennes du Bourg, issues de Google Map. p.72 ; 81 - Fig.27 : Reportages 1, 2 et 3, source propre. Reportages réalisés les

165


10, 11 et 13/04/18 à Malartic et au Bourg. Matériel : Nikon D5000.

l’itinéraire réalisé le 17/03/18. Matériel : Craphy V3 2.0’’ 4K Ultra HD.

p.85 - Fig.28 : Ce qu’il reste 1, source propre. Photographie de l’allée Gaubertie depuis le muret de ma maison, issue du Reportage 3.

p.136 ; 137 - Fig.43 : Guilhem, ligne d’aire, élaboration propre à partir de photographies aériennes de Malartic en 2018, issues de Géoportail.

p.89 - Fig.29 : Ce qu’il reste 2, source propre. Photographie de chemin de Daulet depuis l’angle de ma maison, issue du Reportage 2.

p.138 ; 143 - Fig.44 : Guilhem, les chemins des écoles, source propre. Photographies issues de captures d’écran de la vidéo de l’itinéraire réalisé le 08/04/18. Matériel : Craphy V3 2.0’’ 4K Ultra HD.

p.100 - Fig.33 : Alice au pays des Merveilles : Malartic, élaboration propre à partir de Ce qu’il reste 2 et d’une capture d’écran du film Alice au pays des Merveilles, Clyde Geronimi, Wilfred Jackson, Hamilton Luske, Walt Disney Pictures, Burbank, 1951.

166 Conclusion

p.101 - Fig.34 : Mon voisin Totoro : Le Bourg, élaboration propre à partir de Ce qu’il reste 2 et d’une capture d’écran du film Mon voisin Totoro, Hayao Miyazaki, Studio Ghibli, Koganei, 1988. p.116 ; 117 - Fig.39 : Tia et Juliette, ligne d’aire, élaboration propre à partir de photographies aériennes du Bourg en 2018, issues de Géoportail. p.118 ; 125 - Fig.40 : Tia et Juliette, le terrain d’aventure, source propre. Photographies issues de captures d’écran de la vidéo de l’itinéraire réalisé le 11/04/18. Matériel : Craphy V3 2.0’’ 4K Ultra HD. p.126 ; 127 - Fig.41 : Yoni, ligne d’aire, élaboration propre à partir de photographies aériennes du Bourg en 2018, issues de Géoportail. p.128 ; 135 - Fig.42 : Yoni, au gré des amitiés, source propre. Photographies issues de captures d’écran de la vidéo de

p.147 - Fig.45 : Petits détournements, source propre. Assemblage de citations des interviewés et de détourages de photographies issues des Fig.38, 40 et 42. p.150 ; 151 - Fig.46 : Lignes d’aire 1, élaboration propre à partir de photographies aériennes de Malartic en 2018, issues de Géoportail. p.152 ; 153 - Fig.47 : Lignes d’aire 2, élaboration propre à partir de photographies aériennes du Bourg en 2018, issues de Géoportail.


Merci à Lilou et Yoni, pour avoir voulu essayer et m’avoir montré que ça valait le coup de continuer.

Merci aux autres : à Claire, Marie et son copain, à Lena, Solène et Inès, à Léo, que j’aurais voulu pouvoir publier aussi. Merci à Gabriel et Margaux, même si finalement on a pas réussi à se retrouver. Merci à leur parents d’avoir accepter l’expérience à chaque fois, vous m’avez facilité la tâche. Merci aux rues de Malartic et du Bourg pour avoir supporter ma jeunesse, je vous dédie ce travail. Merci à Olivier Chadoin pour l’efficacité de ses interventions. Merci à ma mère et Louise pour la correction, ma famille pour votre appuis, mes amis pour leur curiosité, à Mia pour prêter sa bouille à la couverture ;) Merci à toi, je t’aime <3

Après les devoirs

Merci à Tia et Juliette, à Guilhem, pour apparaître dans le livre et avoir si bien joué le jeu.

167


168

Conclusion



Conclusion

E N S A P Bordeaux

170

Trottoir Raccourcis Cabane Forêt Bambou Route Déchetterie Parc Arrêt de bus Arbre Cachette Bosses Bancs Allée Voisins Autoroute Entrepôts Boulevards Trottinette Place Fossé Courses Descente Pont Amis Souvenirs Tour Herbes hautes Chemin Ballon Courir Sauter Traverser Jouer Traîner Rester Attendre Construire Imaginer Espionner Marcher Tia Juliette Yoni Guilhem Lilou Claire Inès Solène Léna Léo

Après les devoirs, les jeunes des quartiers pavillonnaires réinventent tous les jours leur cadre par leur besoin d’habiter la rue. Le jardin de la maison est vite trop petit. Dans la rue, ils peuvent faire comme les grands ou comme dans les dessins animés. D’un âge à l’autre, leurs jeux changent et se calment. Ils cherchent toujours un peu plus loin de nouveaux terrains. En les habitant, ils montrent qu’elles ne sont pas si moches que ça ces rues. J’ai suivi les jeunes de Gradignan Malartic et du Bourg de Canéjan dans leur monde.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.