Reportage au tribunal pour enfants de Bobigny (Seine-Saint-Denis) - juillet 2007

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ROYAUME-UNI

FRANCE

INTERVIEW TÉLÉ

Daniel Radcliffe est l’ado anglais le plus riche p. 5

Un lycéen de 18 ans a obtenu 20,23/20 au bac p. 7

Denis Brogniart anime la saison 7 de Koh-Lanta p. 8

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no 2 339

ISSN 1288 - 6939

jeudi 5 juillet 2007

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UNE JOURNÉE AU TRIBUNAL POUR ENFANTS

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tous les jours sauf dimanche et lundi

Un projet de loi est débattu au Sénat à partir d’aujourd’hui. Il concerne la récidive, des mineurs notamment. Reportage avec un juge des enfants. p. 2-3

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● Les débats sur le projet de loi de lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs doivent débuter aujourd’hui au Sénat. Le texte est présenté par la ministre Rachida Dati.

CONTEXTE

● Il prévoit de juger les récidivistes de 16-18 ans comme des majeurs, de lever l’excuse de minorité pour les infractions les plus graves (viols…) et d’instaurer des peines minimales dès 13 ans.

Une journée au tribunal pour mineurs de Bobigny

« Ma mission : faire cesser un danger » « F

aites attention à vous. Aujourd’hui, vous êtes majeur, et si vous êtes de nouveau mêlé à une affaire de recel ou de vol, on ne va pas se poser de questions… » Le juge des enfants Thierry Baranger est ferme. Face à lui, David*, 18 ans, ne bronche pas. Il a été convoqué ce jour-là pour un vol à la portière (carjacking) remontant à 2006. À l’époque des faits, il était mineur. Et ce n’était pas sa première infraction. Dès l’âge de 13 ans, il avait eu affaire à la justice pour un vol en réunion, puis à 16 ans pour des violences sur personne dépositaire de l’autorité publique (forces de l’ordre), enfin à 17 ans à nouveau pour un vol en réunion.

« Il vous demande de l’aide, monsieur le juge » Depuis un an, le jeune homme n’a pas commis de nouvelle infraction. Le juge l’interroge sur ses projets professionnels. David vient de terminer un CAP de menuiserie et envisage une formation en pâtisserie. Comme tous les jeunes entendus par le juge des enfants, il est défendu par un avocat. « Il y a eu une réelle prise de conscience. C’est un garçon qui a mûri, il a choisi sa voie. Il a décidé de travailler. Pour les vacances, il va être chauffeur-livreur. Il demande une protection jeune majeur [ndlr : un suivi par un éducateur]. Il vous demande de l’aide, monsieur le juge », plaide l’avocate. Le juge suit sa requête et prononce une mesure éducative d’un an. « Avec le nouveau projet de loi, il

serait considéré comme multirécidiviste et risquerait deux ans de prison minimum pour recel, comme s’il était majeur. C’est aberrant et inadapté à ce cas précis », explique Thierry Baranger, ancien président de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. Même son de cloche pour la levée de l’excuse de minorité des mineurs multirécidivistes. « Je n’admets pas que l’on devienne un adulte par un acte de délinquance. Avec la levée de l’excuse de minorité, on réduit le mineur à son acte et on ne s’occupe plus de la personnalité. Cela va à l’encontre du principe de la justice en France : on ne juge pas la faute mais la personne qui a effectué une faute. »

Le juge s’occupe aussi de la protection des enfants Toute la journée, Thierry Baranger reçoit une dizaine de mineurs accusés de délit. C’est l’une des deux facettes de son travail. Le magistrat a aussi une mission d’assistance éducative. Il s’occupe ainsi d’enfants maltraités, de cas de fort absentéisme scolaire… « C’est la première mesure de prévention de la délinquance, souligne Thierry Baranger. La mission essentielle du juge des enfants est de faire cesser un danger, pour la personne et pour la société. Souvent, les enfants que je vois en audience pénale, je les suis aussi dans le cadre de l’assistance éducative. » Pour chaque audience pénale, il prononce en priorité une mesure éducative : remise aux parents, liberté surveillée (le jeune est suivi et contrôlé par un éduca-

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CHIFFRES-CLÉS DE L’ÉVÉNEMENT ●

209 930

mineurs en danger ont été suivis en 2005 par un juge des enfants. ●

73 161 mineurs

ont été jugés en 2005 : 54 % dans le cabinet d’un juge, 46 % au tribunal pour enfants.

48 % des mineurs

délinquants présentés devant un juge en 2005 avaient 15 ou 16 ans. Uniquement par abonnement

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LE SAVIEZ-VOUS ? Garde des Sceaux. Le poste est occupé par Rachida Dati.

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Quel est l’autre nom du ministre de la Justice en France ?

● Si la loi est votée, le juge pourra rétablir l’excuse de minorité en motivant sa décision. Actuellement, c’est l’inverse : les mineurs bénéficient de l’excuse de minorité sauf décision contraire du juge.

● C’est l’ordonnance de 1945 qui définit les principes de la justice des mineurs. L’actu a suivi pendant une journée les audiences dans le cabinet d’un juge des enfants et dans la salle d’un tribunal pour enfants.

MOTS-CLÉS DE L’ÉVÉNEMENT Réprimande sévère, avertissement solennel.

Instruction Phase de la procédure pénale pendant laquelle le juge d’instruction réunit tous les éléments nécessaires (auditions, confrontations…) pour que le tribunal puisse juger en connaissance de cause.

Ordonnance de 1945 Ce texte, qui a valeur de loi, impose une procédure pénale distincte pour les mineurs. L’ordonnance, adoptée en 1945 et plusieurs fois modifiée, vise à privilégier les mesures

éducatives. Les sanctions pénales ne peuvent être prononcées qu’à l’encontre d’un jeune de plus de 13 ans, selon sa personnalité et la gravité des faits. En vertu de l’excuse de minorité, les peines ne peuvent excéder la moitié des peines prévues pour les adultes. Ce principe peut être levé dès 16 ans.

Personne victime d’une infraction qui demande réparation du préjudice subi.

Procureur Ici, magistrat qui décide des poursuites pénales ou des mesures de protection éducative. Lors d’un procès, il demande l’application de la loi (réquisitions).

donc être difficile », lance le juge. La victime de la deuxième agression est là. « Il s’est mis devant ma voiture. J’ai entendu une explosion : une pierre a été lancée et une main a attrapé mon sac. Ce sont des agressions sauvages sur de petites gens, comme lui, qui habitent la même ville. Je voudrais qu’il sache que c’est mal. » Djibril reste tête baissée.

« Une agression sauvage sur de petites gens »

Réponse de Djibril : « Mon frère me ressemble »

Un peu plus loin, une sonnerie retentit. Vêtu de sa toge noire, Jean-Pierre Rosenczveig, juge des enfants, entre dans la salle. Il préside ce jour-là le tribunal pour enfants. Il est accompagné de deux assesseurs, c’est-à-dire deux personnes non professionnelles de la justice. Face à lui, à sa gauche, les avocats de la défense. À sa droite, le procureur et les avocats de la partie civile. Au centre, Djibril*, 17 ans. Il est accusé de trois agressions et vols en réunion sur des automobilistes en mai. Les trois victimes l’ont identifié. De son côté, Djibril nie en bloc. « Il y a du mensonge ou des erreurs dans l’air », annonce le juge. Le jeune comparaît en présentation immédiate. « Il n’y a pas eu d’instruction, l’exercice va

Le juge passe à la dernière affaire. La victime a aussi reconnu Djibril comme l’un des agresseurs. « Qu’as-tu à dire à ça ? », interroge le juge. « C’est pas moi. » « Tout le monde se trompe, alors ! Attention, tu risques gros. En foot, on dirait que l’accusation mène 1 à 0. Quand tu as été arrêté, tu as esquissé une explication… » « Mon frère me ressemble. » Le jeune homme a déjà été confondu avec son frère lors de deux affaires précédentes. Le juge examine le parcours de l’accusé. Depuis cinq ans, il a déjà fait l’objet d’une quinzaine de mesures judiciaires. En septembre, il a fait son premier séjour en prison : quatre mois pour une bagarre. De plus, Djibril est actuellement sous contrôle judiciaire chez sa

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Fait de conserver un objet volé.

Partie civile

teur), placement éducatif… Il peut aussi décider d‘une admonestation, d’un contrôle judiciaire ou encore d’une mesure de réparation. Quand l’infraction est plus grave, le juge peut renvoyer l’affaire devant le tribunal pour enfants, seul habilité à prononcer des peines de prison. « L’audience est beaucoup plus impressionnante », précise-t-il.

Pour vous abonner : 0825 093 393 (0,15 € TTC/min)

Recel

Récidive Ici, fait de commettre une nouvelle infraction de la même catégorie dans un délai de moins de cinq ans.

Le tribunal pour enfants se trouve dans le palais de justice de Bobigny (Seine-Saint-Denis).

Sipa/Isabelle Simon

Admonestation

sœur et a commencé une formation de magasinier. « N’importe qui n’y comprendrait rien. Les uns et les autres s’occupent de toi depuis tes 13 ans. Où on va ? » « C’était avant la prison. C’est l’influence des copains. » Sa sœur est appelée à la barre. « Depuis qu’il est à la maison, il s’est calmé. Je me suis sacrifiée pour lui, alors il m’écoute. » Le procureur requiert une peine de huit mois de prison dont quatre mois

ferme, une mise à l’épreuve, le suivi d’une formation et l’éloignement de la ville où se sont déroulées les agressions. L’avocat de la défense plaide la relaxe au bénéfice du doute. L’affaire est mise en délibéré au 12 juillet. « Tu n’as pas intérêt à être mêlé à aucune autre affaire d’ici là : c’est le moindre conseil que je puisse te donner », conclut le juge.

Sandra Laboucarie *Les prénoms ont été modifiés. www.playbacpresse.fr - Jeudi 5 juillet 2007 - l’actu ● 3

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