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LES FEMMES ET LA MUSIQUE

S.E.R. | Études 2008/10 - Tome 409 pages 369 à 378

ISSN 0014-1941

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article : « Les femmes et la musique », Études, 2008/10 Tome 409, p. 369-378.

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LES FEMMES ET LA MUSIQUE

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C’est un fait : tous les pupitres d’orchestre, tous les conservatoires dédiés à la musique classique comprennent de plus en plus de femmes. Dans la vie courante cependant, pas mal d’idées préconçues traînent dans les esprits : pas de chef prestigieux ; pas de grand chef-d’œuvre ; peu de compositrices, en somme* ... Il est bon que le sujet soit repris, ne fût-ce que pour combattre ces quelques préjugés tenaces. Néanmoins, ne vous attendez pas à trouver ici la liste habituelle des grandes musiciennes, l’exemple remarquable de la carrière de Mme N. qui prouverait une fois pour toutes que les femmes sont égales ou meilleures. La différence peut-elle d’ailleurs se mesurer de cette façon ?

Vincent Decleire *. F. Escal et J. Rousseau-Dujardin, Musique et différence des sexes, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 1999.

La voix de l’éternel féminin Emmanuelle Giuliani

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a « nouvelle » a fait l’objet de plusieurs dépêches de l’Agence FrancePresse, au même titre (ou presque) que les derniers rebondissements dans la famille Brad Pitt-Angelina Jolie ou les frasques peu glorieuses de Britney Spears…

La soprano russe Anna Netrebko, nouvelle coqueluche du monde lyrique, s’est accordé, depuis la fin juin, six mois de congé loin des scènes, pour cause de maternité prochaine. Parmi ses dernières apparitions – à guichet fermé –, Les Capulets et les Montaigus de Bellini à l’Opéra Bastille.

La belle cantatrice y chantait Juliette (avec beaucoup de finesse, quoiqu’un

Études – 14, rue d’Assas – 75006 Paris – Octobre 2008 – n° 4094

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Figures Libres

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peu de placidité) devant un public acquis d’avance qui, en France, la découvrait pour la première fois dans une production d’opéra, après l’avoir ovationnée dans un récital en compagnie du très médiatique ténor Rolando Villazon.

Pendant ce temps, une autre diva moderne, Natalie Dessay, achevait de conquérir les mélomanes new-yorkais, mettant le Met à ses pieds, grâce à ses interprétations superlatives de La Fille du Régiment ou de Lucia de Lammermoor de Donizetti. « Il faut garder la tête froide en voyant son portrait affiché en format géant dans les rues ! expliquait la cantatrice avec cet humour malicieux qui fait son charme. C’est une chance que cela me soit arrivé aujourd’hui plutôt que lorsque j’avais vingt ans… » Veillant sur ses jeunes consœurs depuis l’Olympe de l’art lyrique où elle règne sans conteste, Maria Callas faisait aussi récemment l’objet d’un culte renouvelé, à l’occasion des trente ans de sa disparition (le 16 septembre 1977). Rééditions discographiques, documentaires et autres soirées d’hommage ont ranimé l’art et la vie d’un monstre sacré, autant adulé pour sa voix reconnaissable entre toutes, sa technique prodigieuse et son génie dramatique, que plainte pour les chagrins d’une existence romanesque que résume la magnifique formule de Germaine de Staël : « la gloire, deuil éclatant du bonheur ».

Voix aiguës et agiles, se jouant avec maestria des vocalises et ornements les plus virtuoses, prédilection pour le répertoire romantique (Natalie Dessay, par exemple, délaisse actuellement les rôles mozartiens, où elle excelle, pour se consacrer principalement aux héroïnes du bel canto italien), physique piquant ou altier… ces divas provoquent des torrents d’émotion que le public leur retourne sous forme d’applaudissements frénétiques et de standing ovations délirantes.

La fascination qu’elles exercent tient autant à leurs performances d’actrices qu’à la musique elle-même ; mais, surtout, à cette prise de risque permanente, cette mise en danger qui excite leur auditoire. La salle d’opéra n’est pas si éloignée de l’arène, et les habits de lumière resplendissent à la Scala comme sur le sable de Séville ! Avec un sadisme latent – contenu tant que domine l’admiration, mais prompt à se réveiller à la moindre déception –, l’aficionado guette presque malgré lui l’imperfection soudaine, l’aigu qui craque, le contre-ut défaillant. Dans un univers où l’image et le son enregistrés donnent l’illusion de la qualité permanente et du faux-pas impossible, la fragilité du spectacle vivant et de celles qui osent s’y frotter suscite des réactions extrêmes, passionnées, déraisonnables, dans l’éloge comme dans le désamour. Ces femmes qui, par l’artifice conjugué de la musique, des costumes, des maquillages, des projecteurs… deviennent des déesses plus que des êtres de chair et de sang, n’ont plus droit à l’erreur humaine.

Quand elle ressuscite avec sa ferveur coutumière le répertoire de Maria Malibran, Cecilia Bartoli fait à la fois œuvre esthétique, musicologi-

Rien n’est bon que d’aimer, n’est vrai que de souffrir.

Chaque soir dans tes chants tu te sentais pâlir.

Tu connaissais le monde, et la foule, et l’envie, Et, dans ce corps brisé concentrant ton génie, Tu regardais aussi la Malibran mourir.

. Decca a publié également un album dans lequel Cecilia Bartoli interprète un florilège d’airs, rares ou plus connus, appartenant au répertoire de la Malibran. . Alfred de Musset, « A la Malibran », Stance XXVI, dans Poésies nouvelles, 1836.

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que et « sociologique ». Comme elle l’a répété au cours de la tournée – triomphale comme toujours – et de l’exposition qu’elle a l’une et l’autre consacrées à l’étoile lyrique du début du xixe siècle , la mezzo-soprano italienne raconte autant la trajectoire d’un mythe que la carrière d’une artiste. Celle qu’elle compare volontiers à la première « superstar » de l’histoire de l’interprétation musicale cristallise la figure de la diva, brillante et tragique, célébrée dans le monde entier (à la suite de son père, le ténor et compositeur Manuel Garcia, Maria Malibran a commencé sa carrière par des succès américains), objet d’admiration et de convoitise, scrutée à la ville comme à la scène par ses admirateurs, encensée par les compositeurs de son temps : « Une merveille », écrit Chopin ; « Un tempérament fulgurant dont on ne saurait se faire la moindre idée ! », s’enthousiasme Rossini. Sa mort prématurée (à l’âge de 28 ans, des suites d’un accident de cheval) parachève le portrait d’une héroïne romantique parfaite, forte et libre malgré un physique fragile, indépendante en un temps peu favorable aux femmes déterminées, cultivant le « glamour » et le brillant dans les salons mondains, mais déployant une sensibilité exacerbée dès qu’elle entrait en scène.

Ce magnétisme exercé sur le public par la Maria d’hier comme par la Cecilia d’aujourd’hui prend corps à travers une voix à la tessiture étendue, qui caracole dans l’aigu sans perdre les rondeurs ambrées de son timbre de mezzo, qui se colore à l’envi, ici infiniment mélancolique, là débordant d’élan vital et de soleil. Comme un ciel marin, l’art de la diva s’impose dans ses fluctuations imprévues, dans ce talent à passer du rire aux larmes – avec une certaine prédilection, toutefois, pour ces dernières… –, de la nostalgie à la fureur, de la langueur à la vaillance. Et quel instrument, mieux que la voix humaine – immédiate, incarnée, vivante image de celle qui en fait généreusement don –, pour rendre justice à ces états d’âme infinis qui agitent les Violetta et les Lucia, les Amina et les Desdemona, les Norma et les Elvira ?

Toutes partagent cette familiarité inquiétante et captivante avec la mort, se brûlent aux feux de l’amour et de la trahison, pour renaître de leurs cendres à chaque nouveau lever de rideau. Symbole d’un éternel féminin opprimé, mais ardemment porté aux nues.

Ecce mulier !

Brice Leboucq

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our les générations successives de compositeurs (des hommes…) ayant abordé l’opéra, la figure féminine est souvent restée énigmatique ou simpliste, entravée par les conventions de l’époque, aplatie par les coutumes d’un ordre social inamovible et confite dans un héroïsme pompeux ou romantique tout aussi réducteur. L’opéra du xixe siècle nous a certes légué des portraits bouleversants de femmes, telle la courtisane catarrheuse Violetta de Giuseppe Verdi, la fatale princesse Isolde de Richard Wagner ou la Wally, tragique tyrolienne d’Alfredo Catalani , qui ont pesé de tout leur poids d’imaginaire sur la définition romantique de l’héroïne, et qui parcourent toute l’histoire du cinéma jusqu’aux émois convenus des violons langoureux. Elles nous sont aujourd’hui familières jusqu’à la caricature, revêtues de cette sorte de chasuble uniforme des librettistes du temps qui leur conférèrent un destin aussi émouvant qu’une psychologie sommaire, confinée entre l’amour, la peur, la joie et le deuil. La musique alors ne s’en portait pas plus mal, tout affairée à approfondir le patrimoine harmonique et formel reçu des classiques, davantage qu’à fouiller les tréfonds de l’âme féminine.

Mais, lorsque les compositeurs envisagèrent avec probité, au début du xxe siècle, les termes radicaux de la liquidation de cet héritage musical, ils mirent au jour une expressivité inouïe, apte à parler le langage de la complexité, de l’ambiguïté, de l’étrangeté ou de l’angoisse : de nouveaux outils d’expression musicale pour une représentation moins factice des méandres de la personnalité. Et l’inexprimable « éternel féminin » s’estompa lorsqu’un continent sauvage et méconnu de l’humanité apparut… Ecce mulier !

L’écriture virtuose de Richard Strauss, par exemple , maillage thématique dense, polyphonie serrée, aux limites de la tonalité, exploitant les contrastes de timbre et d’intensité comme personne avant lui : toute la matière sonore d’un orchestre violent pour représenter l’abominable détestation d’une jeune femme, Electre, envers sa mère criminelle, Clytemnestre – qui avait assassiné son mari Agamemnon, et qui ne jure que de la faire tuer par son propre frère… La tragédie légendaire des Atrides impose une figure féminine inconnue dans l’imaginaire bourgeois judéo-chrétien, qui échappe aux lois morales de la bonne conscience. Car, comment celle-ci pourrait-elle entendre la prophétie générique d’Agamemnon sur son épouse : « Cette femme, pleine d’affreuses pensées, couvrira de sa honte toutes les autres femmes futures, et même celles qui auront la sagesse en partage » ? La noirceur pourrait-elle ainsi être féminine ? Dans cet opéra . Héroïnes respectivement de La Traviata (1853), Tristan et Isolde (1866) et La Wally (1892). . Elektra, opéra en un acte de Richard Strauss, créé le 25 janvier 1909.

. Homère, L’Odyssée, chant XI.

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P

. Erwartung (L’Attente), opéra d’Arnold Schönberg, écrit en 1909 et créé le 6 juin 1924.

. Ainsi que le dit Schönberg : « Je me suis proposé de représenter à loisir ce qui peut se produire dans une unique seconde de la plus intense émotion, et mon œuvre s’étend sur une demi-heure. » . Créé le 14 décembre 1925.

. « Il y avait une fois un pauvre enfant, et il n’avait pas de père et pas de mère – tout était mort et personne sur la terre, et il avait faim et pleurait jour et nuit. Et comme il n’y avait plus personne sur la terre… » Le Franz n’est pas venu, hier pas, aujourd’hui pas… Et comment est-ce écrit sur la Madeleine ? Et elle s’agenouilla à ses pieds et pleura et baisa ses pieds et elle les mouilla de ses larmes et elle les oignit de son baume… » (traduction Pierre Jean Jouve).

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de cris et de fureurs qui engloutit les personnages dans sa pâte orchestrale, un sommet d’émotion et de tendresse, porté par le mol balancement des cordes, émerge de la brume fuligineuse de la vengeance, les retrouvailles d’Electre avec son frère Oreste, rescapé des sicaires de leur mère : « Il en est ainsi, je dois maintenant mourir et tu t’es montré et venu me chercher : alors je meurs bienheureuse, plus que je n’ai vécu. » Mais il revient au Viennois Arnold Schönberg d’avoir le premier perçu le potentiel radical de la représentation féminine sur la scène d’opéra .

Erwartung est une œuvre courte – un « monodrame » d’une demi-heure – présentant une femme seule perdue dans les bois, et dont l’écriture rigoureusement atonale, telle un sismographe de l’inconscient , exprime angoisses, doutes et jalousie envers un amant absent – qu’elle retrouve mort sous les arbres… C’est à Vienne que le continent de l’Inconscient émergeait alors, à partir de travaux menés sur l’hystérie féminine – les analyses d’un Freud ou les romans d’un Schnitzler en portent témoignage ; seule donc une femme pouvait au mieux en incarner l’émergence. Son monologue fragmenté en parlé-chanté tient davantage d’un divan de psychanalyste que des émois d’une amante esseulée, et s’accorde telle une psychose à un décor de cauchemar : « Mon amour, le jour se lève… Que vais-je faire seule ici ? Dans cette vie sans fin… Dans ce rêve immense et incolore… » C’est au moment où le cinéma va représenter pour le grand public les nouvelles images de la société que Alban Berg compose son opéra Wozzeck , d’après la pièce Woyzeck de Georg Büchner (1813-1837). Cette œuvre rassemble les techniques d’écriture les plus contemporaines – l’atonalité est de rigueur – et invente sur scène la puissance expressive du montage cut du cinéma, tout en déployant ses trois actes, de cinq scènes chacun, selon les formes de la tradition classique. Si le personnage du soldat Wozzeck, énigmatique et lamentable, nous entraîne dans une accablante spirale du désastre, son épouse, Marie, incarne bien plus humainement la figure emblématique d’une modernité complexe, tout à la fois femme sensuelle au destin tragique et mère aimante et passionnée. Elle trompe ainsi Wozzeck avec le Tambour Major (acte I, scène 5), mais récite la Bible à son enfant (acte III, scène 1) dans l’unique séquence tonale chantée de l’opéra, admirable d’amour et de compassion .

La projection cinématographique a balayé la distance scénique, le grosplan de la star a effacé la silhouette de la diva, la Femme a renversé sa figurine : il n’y a plus de scandale, l’opéra a accompli son œuvre et peut mourir.

Femme de musicien Elizabeth Giuliani

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epuis Anna-Magdalena Bach, dont on a inventé une chronique, les épouses des grands compositeurs constituent une galerie de portraits.

Deux extrêmes dans cette collection. Une femme soi-disant annihilée par les exigences du génie de son mari, Cosima Liszt, qui, de 1869 à 1883, consigna quotidiennement les faits et gestes, jusqu’aux rêves, de Richard Wagner. Une femme libre, Alma Schindler, qui ne supporta pas de sacrifier son propre talent au profit de celui, exclusif, de Gustav Mahler. Deux autres figures, à plus d’un siècle de distance, semblent montrer une même sereine et lucide « abdication » conjugale. Giuseppina Strepponi, qui s’unit à Giuseppe Verdi quand s’achevait une brillante carrière de cantatrice et ne sembla jamais regretter sa gloire personnelle en soutenant désormais celle, grandissante, du héros de l’opéra comme du sentiment national italiens.

Madeleine Milhaud, épousant son cousin, qui poursuivit maintes activités propres, quand elle était également cette « Muse ménagère » célébrée par Darius. Enfin, deux femmes paraissent mener une vie indépendante de celle de leur mari : Constanze Weber, qui, trop futile, n’aurait jamais ni compris ni soutenu l’art de Wolfgang Amadeus Mozart ; ou, à l’inverse, trop célèbre, Clara Wieck, qui n’abandonna pas sa carrière de concertiste, faisant vivre la nombreuse famille qu’elle fonda avec Robert Schumann en 1840.

Toutes ces femmes étaient elles-mêmes des musiciennes ou des artistes, des professionnelles même, et ont laissé dans des écrits, à ou sur leur époux, des témoignages qui dépassent la simple anecdote domestique, mais portent un véritable jugement sur l’art d’être compositeur. Voyons donc des musiciens à travers le prisme de leur femme, et abandonnons quelques préjugés sur les uns ou les autres.

Après la mort inattendue de Wolfgang Amadeus, Constanze Mozart, dans sa correspondance avec de potentiels éditeurs (André ou Breitkopf), se révèle ainsi une exploitante non seulement intéressée mais avisée des « harmonies célestes » (Vienne, 1er mai 1795, annonce de la publication

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Je laisse cette décision à ton discernement et ne te la déconseille certes pas.

Souviens-toi seulement de mes conseils si affectueux : les fils de Mozart ne doivent en aucun cas être médiocres.

Mère de huit enfants, Clara Schumann sert l’œuvre de son mari, recopiant, complétant les manuscrits, et l’exécutant partout en Europe – car elle a dû reprendre son activité internationale de pianiste. Trop souvent absente du foyer, elle s’inquiète très fidèlement des humeurs le plus souvent moroses de Robert et lui rend un compte détaillé de ses concerts.

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d’une réduction pour piano d’Idoménée) dont résonnent les œuvres de son mari. Son engagement dépasse la seule nécessité financière et, à leur fils Carl Thomas qui voulait s’essayer à son tour à la composition, elle écrira, le 5 mars 1806 :

Dans le couple, longtemps illégitime mais plus traditionnel, qu’elle forme avec Verdi, restant à la maison tandis qu’il voyage pour son travail, Giuseppina Strepponi s’emploie également fort souvent à le pacifier.

Finis vite tes répétitions et rentre dans ta tanière. Notre jeunesse est passée, pourtant nous sommes toujours tout l’un pour l’autre, et c’est avec compassion que nous regardons d’en haut toutes les marionnettes humaines qui s’affairent, courent, grimpent, rampent, qui se battent… afin de se présenter… sur la première marche de la mascarade sociale (Sant’Agata, 23 février 1853).

Avec Cosima, Richard Wagner, lui, a plus qu’une compagne, il semble posséder un véritable garde-du-corps et de l’âme.

Comme l’impression faite par la lettre d’hier a été des plus mauvaises, j’ai donné l’ordre de me remettre, à moi d’abord, toutes les lettres qui arriveront de Munich.

Je suis très heureuse d’avoir pris cette mesure… Je réponds du mieux que je le peux et je dis que j’évite de communiquer au Maître les nouvelles, quelles qu’elles soient. R. a beaucoup travaillé hier et se remet au travail aujourd’hui (Journal, 25 juin 1870).

Deux pages du Journal d’Alma Mahler résument les vicissitudes de sa relation avec un homme dont elle s’est éprise en grande partie pour ces défauts mêmes qui lui seront bientôt insupportables et la porteront à le quitter. En décembre 1901 :

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Mon cher, cher Robert, ne sois pas toujours en colère contre moi, je t’en prie. Je ne veux pas te provoquer. En tant qu’homme, tu dois être tolérant si parfois je suis étourdie. Tu n’es plus en colère contre moi, n’est-ce pas ? Je vais t’envoyer de très bons cigares. Du coup, tu m’imposes une tâche difficile ; lesquels choisir ?… Je m’arrête maintenant. Je dois travailler la Sonate en fa mineur que je suis supposée jouer ici demain… On m’a également demandé de donner l’une de tes Novelettes… Adieu Robert chéri… tu dois garder en tête que je ne peux t’écrire qu’en vitesse (Brême, 19 février 1840).

Nous sommes aussi mal assortis que le feu et l’eau, intérieurement et extérieurement ! Oui, sans aucun doute ! Doit-on donc se soumettre ? Est-ce que, avec l’aide de l’amour, deux conceptions différentes ne peuvent s’unir dans la beauté ? Je sais tout : il est malade, mon pauvre Gustav, il pèse soixante-trois kilos, c’est bien trop peu, je veux le protéger comme un enfant.

Au cours de l’été 1910 : J’étais très malade et je n’en pouvais littéralement plus, car j’étais complètement usée par cette activité fébrile et permanente qu’exigeait ce moteur énorme qu’était l’esprit de Mahler.

Tout à l’inverse, dans un entretien filmé en 1994, Madeleine Milhaud exprime avec malice une soumission libre et heureuse : Nous avons vécu plus de cinquante ans ensemble sans nous disputer… J’étais une esclave, une esclave consentante, et j’espérais le rester le plus longtemps possible.

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J’avais décidé de faire à fond tout ce que ce métier comportait… Mais tous les livrets que j’ai écrits pour Milhaud, c’est absolument parce que j’y étais obligée…

Ne trouvant pas de librettiste pour Médée, il m’a dit : « Tu vas le faire » ; je l’ai fait sans gaîté de cœur et, connaissant bien la musique de Milhaud, j’ai essayé de faire un livret pour lui plaire.

Jeune compositrice coréenne Hyang-Sook Song

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Hyang-Sook Song est née en 1978. Elle a fait partie d’une série de jeunes compositrices coréennes qui se sont succédé pendant sept ans à la classe préparatoire d’analyse musicale de Sevran, et est entrée fin 2005 au Conservatoire national supérieur de Lyon. En 2008, elle a été sélectionnée au 5e Forum international des jeunes compositeurs de l’ensemble Aleph*.

’est grâce à une femme, Shin-Uh Lee, que je me suis vraiment posé la question de savoir si je voulais vivre avec la musique et être compositrice.

Durant mes études au département de musique de l’Université nationale *. Deux de ses œuvres sont interprétées à Paris en octobre 2008 : au début du mois, au concert de l’ACME (Atelier créatif de musique électroacoustique) ; le 25 octobre, Four-In-‘a’, par l’ensemble Aleph au théâtre Dunois.

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Ce qui ne l’empêcha pas, à titre personnel, de défendre et illustrer la poésie française : récitante, professeur, auteur.

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Elle nous invitait aussi à nous interroger nous-mêmes : « Ai-je essayé le maximum ? » Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire, et chaque cours était très dur pour moi ; jusqu’au moment où j’ai voulu, à mon tour, absolument savoir, passant un très long temps à travailler, parfaire et peaufiner, avec le plus d’honnêteté possible, une courte phrase musicale.

Lorsque, à la séance suivante, je lui ai montré l’aboutissement de mon travail, nous étions toutes les deux très émues. Et c’est depuis cette expérience que j’ai trouvé la joie dans la composition.

Madame Lee était une personnalité passionnée par la musique, et je ressens une force certaine dans ses œuvres, même si ce ne sont pas celles que je préfère. Elle nous a marqués, parce qu’elle donnait à chacun l’impression d’être une personne libre, affranchie des conventions de la société.

La place de la femme dans la société coréenne est en pleine évolution et fait l’objet de nombreuses discussions. La philosophie confucianiste distribue les rôles : la femme est « la personne à l’intérieur » et l’homme « la personne à l’extérieur », tandis que la société moderne prône l’égalité des deux sexes : nous sommes à mi-chemin entre ces deux conceptions. Se marier, en Corée, ce n’est pas seulement fonder un couple, c’est unir deux familles : à la femme de s’occuper de ses beaux-parents, presque plus que de ses parents – sans compter le ménage, la cuisine, la lessive, le soin des petits, etc. ! Dans ces conditions, considérer sa carrière musicale comme plus importante que son rôle familial est difficilement pensable.

Paradoxalement, de nombreuses petites filles sont encouragées à pratiquer la musique, mais c’est surtout parce qu’il s’agit d’une activité assez tranquille. L’idéal de la femme jouant d’un instrument au foyer pour ses loisirs existe, mais, pour le réaliser, mieux vaut épouser un homme riche !

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Madame Lee insistait particulièrement sur la sincérité : « Dois-je absolument composer ? Préférerais-je mourir plutôt que de ne pas composer, ou ne pas composer cela ? » Elle s’était elle-même posé ces questions, choisissant de s’orienter vers une musique plus consonante. A son premier concert de retour à Séoul, sa Pièce pour violoncelle et orchestre à cordes, très mélodique et touchante, nous a tous déconcertés.

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de Séoul, j’ai suivi ses cours pendant deux ans. Elle rentrait de Londres et, alors que nous étions tournés jusque-là vers l’Allemagne et l’avant-garde des années 60 et 70, elle nous a fait découvrir nombre de compositeurs récents de France, d’Angleterre ou d’Italie : c’était une vision toute nouvelle de la musique contemporaine, qui m’a donné l’envie de venir en Europe. Je retiens surtout deux points de son enseignement.

Malgré toutes ces difficultés, le nombre de compositrices et de compositeurs en activité au pays du Matin calme doit être sensiblement égal, et l’Orchestre philharmonique de Séoul, dirigé actuellement par MyungWhun Chung, comprend plus de femmes que d’hommes. Mais, chez mes amies musiciennes, cela implique une grande organisation et une extraordinaire diligence.

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En essayant de m’exprimer sur ce sujet des femmes et de la musique, je me rends compte de difficultés insoupçonnées. En coréen, il est exceptionnel de commencer une phrase par « je » : le plus souvent, on parle sans définir le sujet, surtout pour la première et la deuxième personnes du singulier. Je suis aussi à cheval entre deux cultures : jamais je ne suis ni ne serai complètement une femme occidentale ou une femme asiatique. Je n’ai pas encore l’expérience du mariage et de la maternité. Cependant, je suis sûre d’une chose : vivre comme compositeur, c’est la vie que je désire.

Propos recueillis par Vincent Decleire

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Je ne pense pas que la musique écrite par une femme soit plus douce qu’une musique composée par un homme. Personnellement, j’aime bien les œuvres qui dégagent une certaine énergie et exploitent cette force potentielle, et j’espère que cette énergie venue de l’intérieur et du plus profond de soi est aussi perceptible dans ma musique. Je connais des hommes bien plus doux que certaines femmes. La composition d’aujourd’hui utilise davantage les techniques informatiques, mais je ne vois pas de différence entre hommes et femmes en ce domaine. On dit que quelqu’un est très féminin ou très masculin par rapport à des idées préconçues : en fait, chacun a son caractère et son style.