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Rencontre des Continents, l’alimentation et l’éducation permanente au cœur des luttes
Lors d’une belle après-midi ensoleillée, j’ai pu m’entretenir avec Baptiste, responsable des « volonterres » et formateur à Rencontre des Continents, une ASBL qui éduque aux enjeux sociaux, politiques et écologiques à travers le thème de l’alimentation. Il nous parle de la mission de cette association présente à la Maison de la Paix1, mais aussi de son parcours en son sein et de l’importance de l’alimentation pour lutter contre les inégalités.
Peux-tu nous expliquer la mission de RDC ?
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Bonjour Baptiste, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Baptiste, j’ai 34 ans et ça fait 2 ans que je travaille chez Rencontre des Continents, où j’étais volontaire depuis 2014-2015. J’ai été administrateur, je suis maintenant membre du Cercle Cœur 2 et je travaille comme formateur et responsable des « volonterres ».
1 Maison de plusieurs associations qui travaillent pour la non-violence, la solidarité et le respect de l'environnement, dont le SCI
2 Le Cercle Cœur est le conseil d’administration élargi de Rencontre des Continents, où se réunissent des envoyé·es de plus petits groupes de travail, appelés « cercles » (cercle Volonterre, cercle gouvernance…)
C’est une mission de sensibilisation, et même d’éducation au sens large, c’est-à-dire qu’on ne parle pas d’une éducation formelle, institutionnelle. Notre but, à partir des enjeux d’alimentation, est de toucher une série d’enjeux de société et de pouvoir éduquer et s’éduquer ensemble par le biais de l’alimentation. On fait beaucoup de formations et d’animations, toujours participatives. On fait aussi du travail de mise en réseau et d’organisation d’évènements. On participe à l’organisation de débats au Festival des Libertés, on organise des arpentages, des discussions-débats après des projections de films, souvent en partenariat avec d’autres ASBL, jamais tout seuls. On accompagne aussi des structures qui veulent former leur public ou leurs travailleur·euses et qui veulent se saisir du thème de l’alimentation ou monter un pôle d’éducation permanente chez elles.
Nous sommes subsidié·es en éducation permanente2, donc quand je dis « éducation », on s’inspire pas mal des principes de l’éducation permanente, mais aussi de l’éducation populaire et d’autres formes d’éducation, toujours dans une optique participative, inclusive, active, vivante, qui donne place à des savoirs chauds. Toustes les participant·es ont des savoirs, des choses à dire et il faut les valoriser, pour créer un savoir collectif dans les dynamiques des groupes qu’on accompagne.
Comment as-tu découvert Rencontre des Continents ?
Je commençais une thèse de doctorat, je voulais comprendre les moteurs de l’engagement et les techniques de mobilisation qu’il y avait sur le thème de l’alimentation à Bruxelles, et puis je suis tombé sur RDC et sa philosophie d’éducation populaire. Ça m’a vraiment tapé dans l’œil parce que c’est une approche de la sensibilisation qui me parle. Souvent, la « sensibilisation » est pensée de manière descendante ou juste informative ou linéaire. Ici, c’est le contraire. L’alimentation durable n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour révéler des enjeux, pour s’éduquer ensemble, pour être plus sensibles à des choses. C’est bien de la sensibilisation, mais d’une manière active, participative et non descendante.
Je me posais des questions : « Comment convaincre, comment procéder de manière éthique, sans écraser les autres, sans leur dire ce qu’ils et elles doivent faire ? Comment estce qu’on peut pousser les gens à se changer soi ? » Et c’est chez RDC que j’ai trouvé les réponses les plus convaincantes. Je me suis dit : « mais c’est génial ! », et je suis devenu bénévole, bénévole-chercheur, et puis petit à petit travailleur.
2 « L'éducation permanente met au centre de sa démarche le développement d’une citoyenneté active et critique. Elle concerne tous les citoyens, mais une attention particulière est consacrée au public défavorisé sur le plan socioculturel » (https://www.febisp.be/fr/secteurs/educationpermanente)
A plein d’égards. On sait qu’aujourd’hui on est face à une crise alimentaire : il y a entre 800 millions et 1 milliard de personnes qui sont sous-nutries et 2 milliards qui sont malnutries. Il y a vraiment un enjeu global au niveau de la faim dans le monde et de la répartition de nos denrées, du gaspillage, et ce sont des enjeux d’’industrialisation, de mondialisation, de productivisme. On produit trop, on gâche 30% de notre alimentation et 800 millions de personnes souffrent de la faim. C’est révélateur d’un système qui gaspille, qui produit à outrance, qui exploite aussi. Il y a aussi des enjeux plus sociaux, quand on parle par exemple d’alimentation éthique et équitable, de juste rémunération des producteur·ices, de valorisation du métier de paysan·ne, mais aussi de faim en Belgique. C’est révélateur de l’inégalité de répartition des richesses. Et ça cause aussi des problèmes de santé, parce qu’on sait que les populations les plus vulnérables économiquement et culturellement sont celles qui se nourrissent le moins bien parce qu’elles n’en ont pas les moyens. Et je pourrais continuer.
Une autre manière de s’alimenter, de produire notre nourriture, de la distribuer et de la transformer peut amener à un plus grand respect du Vivant dans son ensemble et un plus grand respect des personnes qui la produisent ou qui la préparent. Ça peut réduire les inégalités d’accès à une alimentation de qualité.
Dans « durable », je ne mets pas que des enjeux écologiques. Je dirais plutôt « soutenable », d’un point de vue social et écologique. Et de manière générale, j’évite de parler d’alimentation durable car je trouve que c’est un peu connoté « développement durable » et que ça manque de potentiel de rupture. On est toustes d’accord qu’il nous faut une alimentation plus durable, mais il nous faut aussi une alimentation meilleure du point de vue des inégalités, de la solidarité et du respect du vivant. Ce n’est pas seulement le protéger, mais être dans une autre forme de sensibilité et de cohabitation avec tous les êtres vivants.
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Comment le thème de l’alimentation permet l’engagement citoyen ?
Je ne pense pas que ça permet en soi l’engagement citoyen, c’est toujours un travail de sensibilisation et de mobilisation qu’il faut faire pour amener les gens à s’engager làdedans, quel que soit le thème. Mais c’est vrai que l’alimentation est un thème assez porteur. Pourquoi est-ce que l’alimentation est porteuse d’engagement depuis 10-15 ans ? Je n’ai pas de réponse toute faite à cette question. Mais je pense que la manière de s’alimenter touche directement à quelque chose de primaire, à notre corps, au plaisir de manger avec d’autres. C’est quelque chose qu’on fait 3 fois par jour. Et il y a un écho politique là-derrière, que les institutions mettent au-devant de la scène.
C’est aussi un secteur qui foisonne d’expérimentations, d’alternatives qui sont plus ou moins durables. Et ça, ce sont des possibilités pour s’engager. Il y a plein de projets d’agriculture urbaine, périurbaine, des formations… C’est quelque chose qui vit assez bien, ça donne des opportunités pour découvrir des alternatives et ça peut assouvir une quête de sens.
Peux-tu
?
Nous organisons deux cycles de cuisine écologique et politique, qui recommencent à la rentrée : un en dix journées et un autre en six soirées . Ce sont deux formules différentes pour approfondir, de manière plus ou moins longue, la cuisine écologique et politique. On parle de cuisine écologique et politique parce qu’on veut mettre le pouvoir et la domination au centre. Ce n’est pas juste verdir et rendre nos pratiques plus écologique, c’est aussi changer un système alimentaire où certain·es dominent et d’autres sont dominé·es. Il y a un système agroalimentaire de plus en plus dominant, et on veut essayer de le nourrir le moins possible et de proposer d’autres systèmes.
Ces ateliers cuisine comprennent à chaque fois une partie théorique et une partie pratique. Le but, c’est de cuisiner ensemble, de manger ensemble autour de principes de cuisine qui ont été choisi·es par le formateur ou la formatrice et d’enjeux qui sont le thème de la soirée. Par exemple, une soirée sera sur l’agriculture paysanne : on va travailler des principes en cuisine pour mettre en avant les céréales ou les légumineuses et le/la formateur·trice et les bénévoles qui coaniment la soirée vont proposer un module théorique et un module pratique autour de cette thématique. On a un repère théorique qui est notre étoile des 7 critères de l’assiette écologique et politique. A chaque fois, les cycles de cuisine font le tour de cette étoile et explorent un des sept critères : bio, local, sobre, éthique/équitable, paysanne/artisanale, brute/naturelle, de saison/frais. C’est comme une boussole pour s’orienter.