Énergie : « La France et l'Allemagne ne sont pas condamnées à l'opposition »

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Énergie : « La France et l'Allemagne ne sont pas condamnées à l'opposition » (Michel Derdevet, Sciences-Po) Dépêche n° 16244 Aline Brachet Paris, jeudi 14 mars 2013, 17:05:11 Ligne directe : 01 53 10 41 02 « Le paysage énergétique européen ne peut pas uniquement se réduire à un débat 'nucléaire contre renouvelables', car 80 % de l'énergie consommée en Europe relèvent du gaz, du pétrole et du charbon, donc des énergies fossiles. Par ailleurs, il ne peut pas se réduire à des choix nationaux. La différence entre la France et l'Allemagne se joue essentiellement dans le choix de la vision, mais les deux pays ne sont pas condamnés à l'opposition, ils doivent au contraire développer des réflexes de solidarité », explique Michel Derdevet, dans un entretien accordé à AEF Développement durable, le 21 février 2013. Michel Derdevet est maître de conférence à Sciences Po et au Collège européen de Bruges (1). Son dernier ouvrage, paru en janvier 2013, s'intitule « L'énergie de l'avenir » (éditions Paris-Berlin). AEF : Dans votre ouvrage « L'énergie de demain », vous affirmez que la question de l'énergie doit être un moteur de l'Europe. Quel est le rôle de la France et de l'Allemagne ? Michel Derdevet : La France et l'Allemagne sont deux pays majeurs au sein de l'Union européenne, en matière géographique, économique et historique. On ne peut pas penser une politique européenne de l'énergie si l'Allemagne et le France ne s'entendent pas. AEF : Vous appelez à une « stratégie commune ». Mais la France et l'Allemagne semblent prendre des chemins opposés en matière d'énergie… Michel Derdevet : Il est vrai que depuis mars 2011, les deux pays donnent le sentiment d'avoir des divergences, l'Allemagne confirmant l'orientation prise en 2001 sur le passage aux énergies renouvelables, la France confirmant sa stratégie autour d'un nucléaire compétitif, sûr et contrôlé. Le paysage énergétique européen ne peut pas uniquement se réduire à un débat 'nucléaire contre renouvelables', car 80 % de l'énergie consommée en Europe relèvent du gaz, du pétrole et du charbon, donc des énergies fossiles. Par ailleurs, il ne peut pas se réduire à des choix nationaux. La différence entre la France et l'Allemagne se joue essentiellement dans le choix de la vision, mais les deux pays ne sont pas condamnés à l'opposition, ils doivent au contraire développer des réflexes de solidarité. AEF : Quels sont ces réflexes de solidarité ? Michel Derdevet : L'Europe a changé depuis les années 1950 et les réseaux à haute tension. Il faut maintenant s'atteler à créer une grande maille européenne solidaire qui va permettre aux choix nationaux de se diversifier, mais aussi de se combiner entre eux. C'est quelque chose de très compliqué à expliquer à l'opinion publique, car le système n'est pas articulé au niveau national, mais européen. AEF : On entend souvent dire que l'Allemagne va avoir recours au charbon et au nucléaire français pour satisfaire sa demande. Ces affirmations sont-elles justifiées ?


Michel Derdevet : En 2012, les émissions de CO2 par habitant en Allemagne ont recommencé à augmenter : il faut donc gratter la pellicule du modèle allemand vertueux, c'est plus complexe que cela. L'Allemagne a besoin de satisfaire une demande et il y a donc un laps de temps pendant lequel elle aura recours aux énergies fossiles. On voit bien que le développement des gaz de schiste aux États-Unis a un impact sur l'augmentation de la consommation de charbon en Europe et en Allemagne. Quant au nucléaire français exporté vers l'Allemagne, il faut bien se rendre compte que cela dépend de la météo, des prix de l'énergie, de la disponibilité… Il n'y a donc pas une règle et une seule qui explique les choix d'approvisionnement des grandes entreprises. L'Europe a créé cet espace économique intégré. AEF : Le réseau européen en l'état est-il optimal ? Michel Derdevet : Le réseau n'a pas été conçu pour l'acheminement d'énergies renouvelables, par définition aléatoires et intermittentes. Or le système de demain devra pouvoir répondre aux lieux de production diversifiés dans le temps et dans l'espace et aux consommations variables. La révolution va se faire en construisant des infrastructures plus robustes et plus intelligentes, pour cela il faut plus d'échanges de données. Je mets en garde contre cette utopie de la multiplication de systèmes locaux, où l'on pourrait se priver de réseaux et de pilotage. Il faut absolument des chefs d'orchestre pour gérer le transport et la distribution de l'énergie ; il faut donc envisager des stratégies communes et créer ces outils industriels communs. Pour cela, il faut créer de la confiance entre les industriels et cela se joue au niveau politique. AEF : En matière de pilotage, on assiste à deux stratégies différentes entre un État centralisé, la France, et un État fédéral, l'Allemagne. Michel Derdevet : Le modèle français d'entreprises publiques et de péréquation présente des avantages, que la Cour des comptes a encore rappelés. On ne peut pas envisager de multiplier les systèmes locaux de production d'énergie de « Stadtwerke », comme c'est le cas en Allemagne, mais il faut naturellement impliquer les élus dans le débat. En Allemagne, l'État fédéral doit surtout jouer le rôle de synthèse et de garant du calendrier. AEF : Que pensez-vous de la décision de l'Allemagne d'ouvrir le débat sur le gaz de schiste ? Michel Derdevet : Je pense qu'il s'agit d'une approche pragmatique et réaliste. Il ne faut pas se priver de la capacité de savoir s'il y a des ressources dans le sous-sol, car l'existence de la ressource change considérablement la nature du dialogue avec les fournisseurs de gaz. Si l'Europe se prive de la possibilité de savoir, ce n'est pas un bon signal, il ne faut pas fermer le débat. Ensuite, c'est un autre sujet de savoir si on exploite ou pas. AEF : Quel est votre regard sur le débat français ? Michel Derdevet : J'invite à regarder ce qui s'est passé en Allemagne : tout se passe comme si, une fois la position du gouvernement arrêtée, elle engageait tout le pays. Le retour en arrière ne semble pas vraiment possible. Pour la France, il faut espérer que les orientations qui sortiront du débat donnent une nouvelle dynamique et fassent sens.

AEF Développement Durable


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