Site archéolologique de A Guaita (Morsiglia, Cap Corse)

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SSHNC, « Collection Corse d’hier et de demain », nouvelle série N° 3 (2011) Tribune des chercheurs. Actes du colloque de Bastia, 24 juin 2010. ARCHéologie pRéHisToRique – univeRsiTé de CoRse.

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LE SITE NÉOLITHIQUE DE «A GUAITA » (COMMUNE DE MORSIGLIA) DANS LE CAP CORSE FRAnçoise loRenzi Maître de conférences honoraire de l’Université de Corse

Résumé. le site de A guaita, qui se trouve sur une colline littorale de la commune de Morsiglia, au nord-ouest du Cap Corse, a fait l’objet depuis 2004 de plusieurs campagnes de sondages et de fouilles programmées. Bien que le couvert végétal rende les fouilles délicates, notamment en raison de très nombreuses racines, plusieurs niveaux d’occupation – néolithiques uniquement – ont pu être mis en évidence. le plus ancien est attribuable sans conteste au néolithique ancien dans sa phase finale (seconde moitié du vie millénaire avant notre ère). Toutefois, une première originalité est à signaler à travers la présence de céramique linéaire – inédite en Corse – qui laisse supposer des liens culturels (qui restent encore à définir et préciser) avec des groupes néolithiques toscans. une seconde originalité de ce site est due à la mise au jour d’une structure d’habitat quadrangulaire attribuable au néolithique évolué à récent (ive millénaire avant notre ère), qui couvre une superficie de 40 m2 environ matérialisée par de très gros blocs alignés et parfois doublés sur le côté intérieur. des rapprochements significatifs peuvent être faits avec des sites de Balagne tels que A petra (l’Île-Rousse) pour le néolithique ancien ou A Fuata (lumio) pour la structure d’habitat ainsi que le Monte Revincu (nebbiu). nous présentons dans l’article les principaux résultats obtenus (vestiges et structures). le site est toujours en cours de fouille.

Ce site a déjà fait l’objet de deux publications : l’une, parue dans les Actes du programme interreg iii (2007), présentait les résultats des premières campagnes archéologiques, la deuxième, centrée sur la première occupation humaine (fin du néolithique ancien), devrait paraître dans les Actes des 8es Rencontres méridionales de préhistoire récente qui ont eu lieu en octobre 2008 à Marseille (sous presse). un autre article, consacré à la deuxième occupation humaine (néolithique récent), est en préparation. INTRODUCTION. le site de A guaita occupe la partie sommitale d’une colline littorale à l’extrémité ouest du Cap Corse ; il a fait l’objet depuis 2004 de sondages-diagnostics puis de fouilles programmées (fig. 1). des occupations remontant à des phases différentes du néolithique ont ainsi été mises en évidence sur deux des nombreuses terrasses. la plus ancienne concerne le néolithique ancien dans sa phase finale ainsi qu’en témoignent des armatures tranchantes et des éléments céramiques décorés à l’aide de la coquille de cardium, puis des occupations successives couvrent la période du néolithique évolué à récent, plus richement documentées, pour les couches supérieures. en raison de la présence d’un couvert végétal très abondant, notamment de nombreuses racines qui ont quelque peu perturbé les différents niveaux, nous avons choisi, depuis 2005, de ne poursuivre la fouille que sur la terrasse supérieure : ainsi ont été dégagées des structures vraisemblablement domestiques, pour l’instant encore inédites dans la préhistoire du Cap Corse. les vestiges mis au jour, notamment dans la phase la © Société des Sciences historiques et naturelles de la Corse


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plus ancienne, mettent en évidence de possibles influences avec d’autres sites de notre île, mais aussi des établissements toscans.

Fig. 1 Vue de « A Guaita » depuis Centuri. (Cl. F. Lorenzi)

sur le plan géologique, le gisement se trouve dans la zone dite des «gneiss de Centuri» et se compose d’une série de plissements de schistes gris vert, bien visibles sur le versant ouest qui fait face aux Agriate. le côté est, offre en revanche une succession de terrasses aménagées par l’homme où ont été pratiquées des cultures sèches (il n’y a pas de source) et, dans une période plus récente, des coupes de bois, ainsi qu’en témoignent les repousses des chênes yeuses et une petite terrasse transformée en charbonnière. seule la partie sommitale qui compte plusieurs terrasses et abris a été occupée, semble-t-il, par les préhistoriques. nous insisterons sur le fait que les fouilles sont un peu délicates, dans la mesure où le remplissage est assez faible (80 cm à un mètre d’épaisseur jusqu’à la roche en place) et le sédiment quasiment identique sur toute cette épaisseur. de plus, un très important couvert végétal a entraîné, par la présence de très nombreuses racines, des perturbations des niveaux archéologiques et contaminé par la même occasion le sédiment : il est, en effet, très difficile de prélever des charbons de bois pour effectuer des datations au carbone 14. de ce fait, c’est l’ensemble des vestiges qui permet de proposer des attributions chronoculturelles. Trois couches correspondant aux deux phases d’occupation reconnues ont été individualisées : les couches 2a et 2b témoignent d’une occupation allant du néolithique évolué au néolithique récent, tandis que la couche 3 correspond au premier établissement du néolithique ancien. en fait, on a l’impression d’une occupation continue de cette terrasse par les préhistoriques, dès la seconde moitié du vie millénaire avant notre ère. on notera cependant que des vestiges céramiques et lithiques du néolithique ancien ont été recueillis à peu près dans tous les niveaux en raison des perturbations occasionnées précisément par les racines. Mais il ne faut pas non plus perdre de vue que les occupations ultérieures ont dû également perturber les toutes premières installations.

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LE CONTEXTE ARCHÉOLOGIQUE NÉOLITHIQUE DANS LE CAP CORSE. depuis quelques dizaines d’années, le Cap Corse a livré plusieurs implantations néolithiques (fig. 2). nous rappellerons ici brièvement, et par ordre chronologique, les fouilles réalisées dans cette microrégion qui offrent par ailleurs des points de comparaison avec les gisements que nous avons inventoriés. Citons tout d’abord, à la base du Cap Corse, les opérations menées sous la direction de J. Magdeleine et J.-C. ottaviani à strette, commune de Barbaghju (site qui a également révélé une occupation mésolithique) dans les années 1980 : il s’agit de deux abris situés dans les parois calcaires qui bordent la strutta près de saint-Florent (MAgdeleine et oTTAviAni, 1986). ils ont livré de très nombreux vestiges d’une occupation au néolithique ancien notamment, dont une riche collection de poteries décorées au cardium attribuables à la phase dite du Cardial tyrrhénien (cf. infra). nous mentionnerons ensuite les fouilles menées à Torre d’Aquila, commune de petracurbara (MAgdeleine, 1995), où fut dégagée une succession de plusieurs niveaux allant du Mésolithique au néolithique moyen, avec une nouvelle occupation de ce petit abri à l’âge du Bronze ; nous y reviendrons. l’extrémité nord du Cap Corse a également été occupée par les premiers néolithiques. à lumaca, commune de Centuri, nous avons pu mettre en évidence, sur un site de plein air au niveau d’un col, deux occupations néolithiques dont l’une remonte au néolithique ancien : ce sont, en effet, des vestiges céramiques décorés au cardium, qui témoignent de cette présence humaine au vie millénaire avant notre ère (loRenzi, 2000). Malheureusement le gisement a été perturbé par les fréquentations successives dues à la présence d’une petite bergerie.

Fig. 2 Carte des sites du Néolithique ancien du nord de la Corse. (DAO L. Franceschini)

L’OCCUPATION DE A GUAITA AU NÉOLITHIQUE ANCIEN. Jusqu’à présent, aucune structure correspondant à cette première phase d’occupation n’a encore été mise au jour. en revanche, le matériel lithique et céramique recueilli est tout à fait caractéristique de la fin de cette période qui voit l’implantation du nord au sud de l’île, de petits groupes d’éleveurs et agriculteurs.

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le matériel lithique, assez riche et diversifié, révèle un approvisionnement en matière première majoritairement extérieure au Cap Corse : — la rhyolite, dont les plus proches gisements sont en Balagne, est présente dans plusieurs variétés. — Mais ce sont surtout l’obsidienne (Monte Arci), le silex et le jaspe, roches toutes exogènes à la Corse, qui attestent de choix culturels ou de liens avec l’extérieur. l’obsidienne, dont certaines pièces ont été analysées par le laboratoire de g. poupeau et son équipe à Bordeaux, provient de plusieurs gîtes du Monte Arci (région d’oristano, sardaigne). en ce qui concerne le silex et le jaspe, on peut supposer une provenance de sardaigne ou de Toscane. un projet Collectif de Recherche (pCR) est en cours, sous la direction de C. Bressy-leandri et F.-X. le Bourdonnec ; il concerne la détermination des origines de toutes les roches taillées recueillies dans les gisements de Corse. parmi les vestiges les plus caractéristiques de cette phase, nous mentionnerons des armatures à tranchant transversal en rhyolite (fig. 3 et 4), en obsidienne (fig. 5 et 6), mais aussi des microlithes et des armatures à tranchant transversal en silex (fig. 7 et 8) qui suggèrent des pièces « importées » de l’extérieur de l’île, car aucun déchet de taille dans cette variété de roche n’a été découvert au cours des fouilles. quelques pièces en jaspe sont également attestées, peut-être venues de la proche Toscane. on notera la présence de nombreux éléments de broyage dont une molette de petites dimensions : cet élément en granit qui tient aisément dans la main, a été utilisé sur les 2 faces, mais surtout sur la face inférieure. Cette dernière est polie et porte des traces d’oxydation. la pièce a pu servir soit comme percuteur, soit comme enclume, ainsi qu’en témoignent des étoilures concentrées au centre de la face inférieure. d’après l’étude de p. neuville (neuville, 1988), il s’agirait d’un type de petite molette utilisé au néolithique ancien. en ce qui concerne la céramique, les pâtes, souvent épaisses et présentant une tonalité brun rouge particulière, ainsi que les décors, correspondent aux implantations caractéristiques de cette première phase du néolithique dans notre île. Ces vestiges sont assez nombreux (fig. 9 à 11). les décors, réalisés à la coquille de cardium (d’où le terme de cardial qui caractérise cette phase culturelle), se déclinent en motifs géométriques – rubans ou chevrons ouverts – le plus souvent en bordure du récipient ou sur la panse, mais l’on trouve également des cordons imprimés ou incisés (fig. 12, nos 1 à 3). Aucune forme n’a pu être reconstituée, cependant des préhensions à perforation verticale, fréquentes dans cette phase néolithique et appelées anses a maniglia, sont attestées à A guaita (cf. infra). en 2006, un élément tout à fait nouveau et unique pour l’instant dans le néolithique ancien de la Corse (et a fortiori dans le Cap Corse) a été découvert dans la couche 3, niveau sus-jacent à la roche en place : deux fragments de céramique portant un décor incisé caractéristique du courant bien connu en italie et en Toscane sous le nom de céramique linéaire (ou a linee incise) : (fig. 12, nos 7 et 8 et fig. 13). une étude plus minutieuse des vestiges de cette phase a révélé la présence d’autres fragments confectionnés vraisemblablement dans des pâtes volcaniques très peu connues dans notre île : ainsi une partie supérieure de récipient (fig. 12, no 5) et une deuxième anse a maniglia (fig. 12, no 6), de forme plus géométrique que la première, plus classique (fig. 12, no 4). un troisième exemplaire, plus petit, a été dégagé en 2009 (fig. 19, no 9). les déterminations des pâtes sont en cours de réalisation à l’université de pise (M. gABRiele et g. BosCHiAn).

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Fig. 3 Armature à tranchant en rhyolite. (Cl. N. Mattei)

Fig. 4 Armature à tranchant en rhyolite. (Cl. F. Lorenzi)

Fig. 5 Armature à tranchant transversal en obsidienne. (Cl. N. Mattei)

Fig. 6 Armature à tranchant transversal en obsidienne. (Cl. N. Mattei)

Fig. 7 Microlithe en silex. (Cl. N. Mattei)

Fig. 8 Armature à tranchant transversal en silex. (Cl. F. Lorenzi)

Fig. 9 Décor au cardium. (Cl. N. Mattei)

Fig. 10 Décor au cardium. (Cl. N. Mattei)

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Fig. 11 Céramique cardiale. (Dessins F. Lorenzi)

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Fig. 12 Céramique. (Dessins F. Lorenzi)

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Fig. 13 Céramique linéaire. (Cl. N. Mattei)

LES RAPPROCHEMENTS CULTURELS. Cette occupation du néolithique ancien dans cette partie nord du Cap Corse n’est pas nouvelle en soi puisque nous avions déjà fouillé le gisement de lumaca sur la commune voisine de Centuri ; ce site de plein air a livré des éléments caractéristiques (céramique cardiale et armatures à tranchant transversal) avec des décors inédits (fig. 14) ; il est d’ailleurs tout à fait possible que les deux sites aient été en relation car nous avons découvert en 2006 à A guaita un petit tesson portant le même motif de décor en ruban (fig. 11, no 9). d’autres rapprochements peuvent être faits soit avec le site de Torre d’Aquila, de strette et surtout de A petra ; ce dernier site nous est plus familier, car nous avons participé à quelques campagnes : de nombreux tessons présentent des caractères communs au niveau des textures et des couleurs des pâtes, mais aussi des motifs décoratifs (bords de récipients et cordons par exemple). non moins intéressants sont les rapprochements avec la Toscane occidentale : non seulement au niveau des décors ou de rares formes, mais aussi par le fait que de nombreux sites de cette région ont révélé les deux courants cardial et linéaire. nous mentionnerons plus particulièrement l’îlot de pianosa, où se sont déroulées de 1998 à 2006 les fouilles du site de Cala giovanna piano (interreg ii et iii, sous la direction de C. Tozzi). dès la première année, furent mis au jour des tessons de ces deux courants, faisant de pianosa le poste le plus occidental de la zone tyrrhénienne, et peut-être une étape de la pénétration de ces courants culturels vers la Corse. il ne s’agit pour l’instant que d’une hypothèse de recherche, mais il est vrai que l’on retrouve à pianosa des pâtes volcaniques et métamorphiques tout à fait étrangères au substrat géologique calcaire de l’île, et plusieurs tessons de A guaita et de Cala giovanna piano montrent certaines similitudes, comme par exemple le fragment décoré au cardium mis au jour en 2009, (fig. 19, no 4). d’autres rapprochements avec la Toscane sont possibles à travers des formes particulières telles que l’anse a maniglia géométrique dont la pâte évoque la céramique de la grotta dell’orso (sarteano), ainsi que le fragment de format plus réduit (inédit en Corse à notre connaissance) découvert en 2009 (fig. 19, no 9) et qui rappelle certains éléments de la grotte delle settecannelle dans le sud de la Toscane.

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Fig. 14 Vestiges de Lumaca. (Dessins F. Lorenzi)

L’OCCUPATION DU NÉOLITHIQUE ÉVOLUÉ À RÉCENT. Cette longue période qui succède au néolithique ancien a livré à A guaita des vestiges céramiques et lithiques assez pertinents, mais la difficulté vient du fait qu’il n’y a pas de césure nette dans la superposition des couches. Les vestiges mobiliers. on constate cependant une évolution dans le matériel lithique avec l’apparition de flèches perçantes en silex et en rhyolite de belle facture : le plus souvent à crans symétriques (fig. 15) ; l’une d’elles, de grande taille (49 mm), témoigne d’une retouche de grande qualité (fig. 16). de belles lames en rhyolite (fig. 17) ou en obsidienne ainsi que des perçoirs (fig. 18) révèlent également le savoir-faire des occupants du site. © Société des Sciences historiques et naturelles de la Corse


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quant à la production céramique, elle se compose de récipients fins et souvent polis, à bords évasés et panses carénées ou portant des décors incisés et curvilignes, peu fréquents cependant ; les anses peuvent être biforées (fig. 19). un élément nouveau est apporté par la découverte d’objets de parure en pierre polie : un fragment d’anneau (haut. : 8 mm) et un fragment de bracelet (6 cm de diamètre intérieur, haut. : 10 mm) tous deux en pierre verte ont été mis au jour en 2006 ; en 2009, un autre fragment de bracelet a été dégagé, mais la cassure a été régularisée et il semble avoir été perforé de façon à être porté en pendentif. notons que ce fragment, de couleur beige foncé, provient d’une pièce de 10 cm de diamètre ; de section subtrapézoïdale, il est décoré de petites ponctuations (fig. 20 et 27, no 3).

Fig. 15 Flèche perçante en rhyolite. (Cl. N. Mattei)

Fig. 16 Flèche perçante en rhyolite. (Cl. F. Lorenzi)

Fig. 17 Lame en rhyolite. (Cl. N. Mattei)

Fig. 18 Perçoir en obsidienne. (Cl. N. Mattei)

Fig 20. Fragment de bracelet. (Cl. F. Lorenzi)

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Fig. 19. Céramique 2009. (Dessins F. Lorenzi)

Les structures. la dernière occupation, au néolithique récent (ive millénaire avant notre ère), a livré des structures tout à fait inédites dans la microrégion : — en effet, des blocs régularisés de grande taille, alignés et qui apparaissaient en surface, se sont avérés être les limites d’un habitat de plan quadrangulaire, implanté en biais, et qui occupe quasiment toute la surface de la terrasse (fig. 21). le grand côté mesure plus de 10 m de long, et les petits côtés (qui ne sont pas complets) ont été dégagés sur 3 à 4 m de longueur, ce qui donne une surface totale d’environ 38 à 40 m2. lors du dégagement du grand côté (fig. 22) et de l’angle sud-ouest (fig. 23), qui s’est fait au cours de plusieurs campagnes, on a pu constater le long des blocs sur l’intérieur une sorte de doublage constitué par d’autres blocs de taille plus réduite. la présence de nombreux nodules de torchis ou de pisé à proximité immédiate de ces agencements peut faire penser à une sorte de cloison maintenue à l’intérieur du périmètre. © Société des Sciences historiques et naturelles de la Corse


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— dans la partie opposée, au nord-est, un grand chêne a perturbé l’angle mais dans ce secteur ont été dégagées deux structures : en 2006, une sorte de plan de travail composé de dalles de schiste feuilleté gris (fig. 24) et, en 2008, une structure de chauffe, sorte de foyer plat qui n’a pas livré de charbons, mais des fragments très altérés de céramique brûlée et de lithique répartis en deux secteurs, interprétés comme des vidanges (fig. 25).

Fig. 21. Plan de la structure d’habitat. (DAO L. Franceschini)

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Fig. 22 Grand côté de la structure. (Cl. F. Lorenzi)

Fig. 23 Vue de l’angle sud-ouest. (Cl. F. Lorenzi)

Fig. 24 Le plan de travail. (Cl. F. Lorenzi)

Fig. 25 Le foyer. (Cl. F. Lorenzi)

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Les éléments lithiques non taillés. si les deux niveaux d’occupation sont assez bien marqués, notamment grâce aux structures du niveau supérieur et aux différents marqueurs culturels des productions céramiques et lithiques, il est plus difficile d’attribuer, à de rares exceptions près, une position chronologique précise à de très nombreux éléments non taillés tels que molettes, galets-lissoirs, galets-enclumes et percuteurs, ou polis tels que haches ou ébauches de hache ou herminette. nous tenterons, dans une étude ultérieure, amorcée avec B. zamagni et g. Boschian de l’université de pise, de préciser à quel usage et à quelle phase du néolithique ces artefacts non taillés ont pu être utilisés. nous présentons ici, quelques éléments, ainsi que des galets-lissoirs, voire des objets indéterminés. les fragments de hache, peu nombreux, ont été étudiés par A. Colonna dans son travail de doctorat (ColonnA, 2006). les éléments trouvés en stratigraphie sont très abîmés, ce qui rend leur étude parfois délicate ; ainsi certains semblent être des ébauches, d’autres ne sont peut-être pas des haches mais plutôt des percuteurs. Tous semblent © Société des Sciences historiques et naturelles de la Corse


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néanmoins avoir été réalisés dans des roches vertes locales, mais seule une étude systématique apportera des réponses. les percuteurs sont des outils en pierre bouchardée et/ou polie recueillis en plusieurs endroits de la surface d’habitat. l’un d’eux semble être entier : outil inédit jusqu’à présent, il s’agit d’un parallélépipède dont une extrémité, bombée et lisse, a été bouchardée et présente une sorte de fil, tandis que le reste de l’outil a été grossièrement équarri de façon à ce qu’on le tienne bien en main. la roche verte est très dense, il peut s’agir d’éclogite, dans ce cas, la roche ne serait pas originaire du Cap Corse (fig. 26). l’utilisation de ces outils est encore problématique : la fonction de percuteur laisse supposer un travail de bouchardage sur roches dures, mais ils ont pu aussi être utilisés pour la mise en forme de haches à partir d’un bloc, ou même comme outil de débitage de nucléus en rhyolite ou obsidienne. Mais il ne s’agit là que d’hypothèses qui devront être vérifiées par l’expérimentation.

Fig. 26 Percuteur. (Cl. F. Lorenzi)

les galets-lissoirs en revanche sont extrêmement nombreux sur le site de A guaita. ils sont de forme, de poids et de matière première diversifiés. leur particularité est de présenter de une à quatre faces lustrées par les frictions répétées dues à leur utilisation. parfois l’usage a entraîné une déformation du galet qui présente alors sur l’une ou l’autre face une légère concavité. des stries sont plus rarement visibles sur les faces, tandis que les talons peuvent aussi avoir été utilisés et présentent alors des petites surfaces lustrées généralement circulaires. Toutes les roches dures, locales le plus souvent et majoritairement à grains fins ainsi que le quartz, ont servi de support à ces petits outils, dont l’usage ne saurait être seulement limité au façonnage des poteries. Comme les molettes, certaines pièces ont pu servir à broyer l’ocre ou d’autre minéraux, assouplir peaux et cuirs, etc. seules des expérimentations associées à des enquêtes ethnographiques pourront apporter quelques lueurs ; il est toutefois indéniable que ces galets ont été très largement utilisés (fig. 27, nos 1 et 2). LES RAPPROCHEMENTS CULTURELS AU NÉOLITHIQUE RÉCENT. en ce qui concerne la céramique, de nombreuses affinités sont visibles avec des sites balanins tels que Carcu, fouillé par M. C. Weiss, notamment les petits récipients fins et carénés ainsi que les anses à double perforation (de lAnFRAnCHi et Weiss, 1997, p. 155). on peut citer encore d’autres décors incisés et certaines céramiques du site du Monte lazzu, plus au sud de l’île et fouillé également par M. C. Weiss (de lAnFRAnCHi et Weiss, 1997, 216). les éléments de parure en pierre verte sont à rapprocher du site cap-corsin de Torre d’Aquila, fouillé par J. Magdeleine (MAgdeleine, 1995) : ces vestiges sont relativement rares © Société des Sciences historiques et naturelles de la Corse


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pour les niveaux antérieurs à la fin du néolithique en Corse. il est donc particulièrement intéressant de les retrouver au nord de l’île. enfin la grande structure rectangulaire, malgré son caractère inédit dans le Cap Corse, évoque les structures de la terrasse v du site balanin de A Fuata, fouillé par p. neuville. si la surface de la cabane la plus récente de ce site, datée de la fin du ive millénaire, est quasiment identique à la nôtre (neuville, 2007), on note quelques différences cependant : la structure cap-corsine présente des blocs de doublage attestés sur deux des côtés et le quatrième côté n’a pas encore été dégagé. de plus, les témoins d’activité domestique (plan de travail et foyer), sont localisés dans la partie nord-est de l’habitat, le reste de la surface n’ayant encore livré à ce jour aucune autre structure particulière. d’autres structures quadrangulaires ont été mises au jour en plus grand nombre sur le gisement du Monte Revincu, dans les Agriate (nebbio), fouillé dans les années 1990 par F. leandri (leAndRi et al., 2007). il semblerait donc que ce type de structure soit bien implanté dans le nord de la Corse, sans qu’il soit possible en l’état actuel des connaissances d’aller plus loin dans les affinités ou les influences. parmi les éléments non taillés, certains percuteurs et galets-lissoirs évoquent des artefacts mis au jour lors des fouilles de Cala giovanna piano, sur l’île de pianosa déjà évoquée plus haut. Toutefois, la question de la provenance de ces éléments non taillés reste posée : Corse, Île d’elbe, Capraia, zone alpine (zAMAgni, 2007) ?

Fig. 27 A Guaita 2009 : matériel lithique non taillé. (Dessins F. Lorenzi)

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SSHNC, « Collection Corse d’hier et de demain », nouvelle série N° 3 (2012) Tribune des chercheurs. Actes du colloque de Bastia, 24 juin 2010. ARCHéologie pRéHisToRique – univeRsiTé de CoRse.

EN GUISE DE CONCLUSION. Bien que ce site ait apporté de nouveaux éléments concernant la néolithisation du Cap Corse et nous ait livré des structures d’habitat encore inédites dans la microrégion, bon nombre de questions restent encore sans réponse : —nous ne savons pas où se sont implantés les tout premiers occupants du site (dont l’arrivée est supposée dans la seconde moitié du vie millénaire), même si le secteur de l’angle nord-est paraît plus probable, compte tenu de la répartition des vestiges attribuables au néolithique ancien, fréquents dans toute cette zone. —les éléments de comparaison sont absents pour la grande structure quadrangulaire du néolithique récent, dans le Cap Corse notamment, mais également sur la colline ellemême puisque seule cette terrasse sommitale a fait l’objet de fouilles approfondies. —par ailleurs la fonction de la structure n’est pas forcément évidente : s’il semble bien s’agir d’un habitat, était-il destiné à une famille monocellulaire ou élargie? il faut donc souhaiter que des opérations archéologiques de plus grande envergure puissent être menées sur la totalité du site, qui recèle encore, nous le supposons au hasard des ramassages de surface, beaucoup de structures et de vestiges remarquables pour la préhistoire du Cap Corse, mais aussi de la Corse en général. Bibliographie ColonnA A. (2006) – Les haches polies de la Corse : inventaire, typologie, comparaison avec la Toscane et expérimentation, thèse de doctorat, université de Corse, 2 vol., 680 p. gABRiele M. (2007) – Studi di provenienza delle ceramiche neolitiche del sito di Pianosa-Cala Giovanna Piano (Livorno), Tesi di laurea, università di pisa, 258 p. leAndRi F., deMouCHe F., JoRdA C., BeRAud A., TRAMoni p., CosTA l.-J. (2007) – le site mégalithique du Monte Revincu (santo-pietro-di-Tenda, Haute-Corse) : contribution à la connaissance du néolithique moyen de la Corse, in d’AnnA A., CesARi J., ogel l. et vAqueR J. (dir.), Corse et Sardaigne préhistoriques – Relations et échanges dans le contexte méditerranéen, paris, CTHs, documents préhistoriques no 22, Actes du 128e Congrès des sociétés savantes, Bastia, 2003, p. 165-183. loRenzi F. (2000) – lumaca : un exemple de néolithisation au nord du Cap Corse, in Tozzi C., Weiss M. C. (dir.), Les premiers peuplements holocènes de l’aire corso-toscane / Il primo popolamento olocenico dell’area corso-toscana, unione europea, interreg ii Toscana – Corsica 1997-1999, Asse 4.2 – Cultura uomo società, pisa, eTs, p. 133-138. loRenzi F. (2004, 2005, 2006, 2008 et 2009) – Rapports d’opérations archéologiques réalisées sur le site de « A Guaita » (Morsiglia, Haute-Corse), consultables au sRA, à Ajaccio. MAgdeleine J. eT oTTAviAni J.-C. (1986) – l’abri préhistorique de strette, Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse, fasc. 650, p. 61-90. MAgdeleine J. (1995) – préhistoire du Cap Corse : les abris de Torre d’Aquila, pietracorbara (HauteCorse), Bulletin de la Société préhistorique française, t. 92, no 3, p. 363-377. neuville p. (1988) – Les éléments de broyage de la Préhistoire et de la Protohistoire de la Corse dans le contexte méditerranéen, thèse de 3e Cycle, université de Corse, 5 vol., 1020 p. neuville p. (2007) – la terrasse v du site néolithique de A Fuata (lumio, Haute-Corse), in Tozzi C., Weiss M. C. (dir.), Préhistoire et protohistoire de l’aire tyrrhénienne / Preistoria e protostoria dell’area tirrenica, unione europea, interreg iii A Francia – italia ‘isole’ Toscana, Corsica, sardegna, Asse iii – scambi transfrontalieri, Misura 3.1, pisa, Felici, p. 43-55. uCelli-gnesuTTA p. (2002) – grotta di settecannelle, in FugAzzolA delpino M.-A., pessinA A., Tinè v. (dir.), Le ceramiche impresse nel Neolitico antico – Italia e Mediterraneo, istituto poligrafico e zecca dello stato, Roma, p. 341-349. Weiss M. C. (2000) – Armatures tranchantes et microlithes : étude des pièces géométriques de petites dimensions et à bords abattus du néolithique ancien de A petra, in : Tozzi C., Weiss M. C. (dir.), Les premiers peuplements holocènes de l’aire corso-toscane / Il primo popolamento olocenico dell’area corso-toscana, unione europea, interreg ii Toscana – Corsica 1997-1999, Asse 4.2 – Cultura uomo società, pisa, eTs, p. 201-223. zAMAgni B. (2007) – Reperti in pietra non scheggiata, in Tozzi C., Weiss M. C. (dir.), Préhistoire et protohistoire de l’aire tyrrhénienne / Preistoria e protostoria dell’area tirrenica, unione europea, interreg iii A Francia – italia ‘isole’ Toscana, Corsica, sardegna, Asse iii – scambi transfrontalieri, Misura 3.1, pisa, Felici, p. 127-132 et Tavola Xii.

© Société des Sciences historiques et naturelles de la Corse


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