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N° 28 • Printemps 2010

>Spécial Russie QU’EST-CE QUE LA RUSSIE ? LES GRANDS ÉCRIVAINS RUSSES LA RUSSIE AFRICAINE

L’année Chopin LE GÉNIE QUE LE CIEL A ENVIÉ À LA TERRE

Voyage SALZBOURG LA ROME DU NORD

Marathon ROME AU CŒUR DE L’ANTIQUITÉ ROMAINE


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Sommaire

Éditorial

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Fièvre dans le Caucase . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 04 L’indiscipline latine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 06 Entretien avec Jean-Pierre Asvazadourian. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 08 Quels enjeux d’une croissance annoncée ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 10 Qu’est-ce que la Russie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 14 Cher pays de notre enfance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 18 Le Net n’est pas le Diable. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 20 Du bon usage de l’e-mail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 22 Le défi des entreprises sur la protection des données . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 24 Lettre d’information pour les Français de l’Étranger. . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 26 Le jardin de Jacky . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 30 Au Pays de Vania ou les fastes de la Cour Impériale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 34 Quand la Dame de pique avait du cœur… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 36 Les grands écrivains russes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 40 L’exemple du Jura . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 44 Le français, langue rare . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 46 L’anglais est un danger mortel pour la diversité des langues . . . . . . . . . . . P. 46 Qui va sauver le français ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 48 Remise du Grand Prix Littéraire Jean d’Ormesson au Lauréat 2009. . . . . . P. 50 Est-ce vraiment vrai ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 52 Le Duc de Richelieu. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 54 Ils agissent partout . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 58 Hommage à Philippe Séguin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 60 Tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau . . . . . . . . . . . . . . P. 64 Frédéric Chopin L’incomparable Génie que le ciel a envié à la Terre. . . . . . P. 70 Rome Au cœur de l’antiquité romaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 74 Salzbourg La Rome du Nord . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 82 Le climat en Crimée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 88 Les fêtes chrétiennes, base de l’art culinaire français . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 92 De la somme de toutes les coïncidences nécessaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 96

Expatria Cum Patria Association nationale des Français établis hors de France - Loi 1901 Président-Fondateur : Serge Cyril Vinet Vice-Président : Jean-Jacques Poutrieux Secrétaire Général : Marie-Thérèse Clausen

Éditeur, Directeur de la Publication, Rédacteur en chef Serge Cyril Vinet Rédacteur en chef Adjoint Didier Assandri Éditorialiste Thierry Oppikofer Directeur de la Communication Victor Nahum Directeur du Comité de Rédaction Bernard Daudier Edito : Thierry Oppikofer Politique internationale : Antoine Frasseto Comportement : Jacques Neirynck Entretien : Suzanne Thiais Conjoncture : Marie-Ange Andrieux J’aimerais vous dire, La Note Bleue : Serge Cyril Vinet Radioscopie : Joanna David-Mangin Toile, Langage : Philippe Bilger Carte Blanche : Jacques-Michel Tondre Piratage informatique : Didier Assandri Santé prévention : Jean-Jacques Descamps Le billet de Dany : Dany Vinet La Russie africaine : Samira Aguerguan Francophonie : Jean-Pierre Molliet Langage : Claude Hagège Chronique littéraire, Hommage : Dominique Ortiz Le tour du monde des marathons : Patrick Blaser Carnets de voyage : Kathereen Abhervé Écho du terroir de Crimée : Alain Barrière Gastronomie : Jean-Jacques Poutrieux Le mot de la fin : Corinne Braquet-Béjot Régie publicitaire Daedalus Publi FM Imprimerie Weber Color SA Conception graphique Raphis Tirage : 80.000 exemplaires vérifié par attestation notariale

a mondialisation, dont on nous rebat les oreilles depuis quelques années, n’est évidemment pas une fiction, même si M. Ben Laden s’est chargé de rappeler aux plus optimistes que le mode de vie occidental, tout particulièrement sous sa forme conquéThierry Oppikofer rante anglo-saxonne, ne faisait pas vraiment l’unanimité. Le corollaire de l’établissement plus ou moins aisé du fameux “village global” est le renforcement des identités locales et régionales, des attachements qui n’ont rien de cocardier mais ouvrent au contraire des perspectives de coopération nouvelles entre voisins, entre cousins. Plusieurs régions franco-suisses sont, cela va sans dire, concernées au premier chef par cette évolution qui ne surprend que quelques technocrates élevés hors sol. On a coutume de citer en exemple la Regio Basiliensis, confluent de trois pays. Du côté du Jura, ou de Genève, la réussite reste encore moins éclatante, et pourtant… Le passé, supposé nous éclairer, nous montre qu’avant la Première Guerre mondiale, la région transfrontalière constituait, ici comme ailleurs, une flagrante réalité. Comme le dit avec finesse l’anthropologue marseillais Yannick Jaffré, « le passé est un recours, mais ne doit pas être un retour ». Inspirons-nous donc de nos arrièregrands-parents pour bâtir des structures respectueuses de nos différences, mais porteuses de nos complémentarités. Le Projet d’agglomération franco-valdo-genevoise paraît, dans ce contexte, une avancée considérable. Ses effets concrets et véritablement nouveaux, qui ne portent à ce jour que sur des points mineurs, vont se déployer au cours de la décade qui s’amorce dans des domaines aussi cruciaux que l’économie et l’emploi, le logement et les transports, l’éducation et la santé. Bien entendu, dans tous ces secteurs, de belles réalisations préexistantes sont heureusement là pour faire office de fondations à l’édifice. Il y a eu des visionnaires, et il y en aura encore. Cela nous réjouit au moment où, à l’hystérie anti-frontalière de certains énergumènes microcéphales du côté genevois, répond, des hauts d’Evian, l’arrogance agressive d’un vague potentat de bourgade obnubilé par l’idée d’accueillir un sommet du G 20, quelles que puissent en être les conséquences de l’autre côté du cordon de CRS.

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Avenir transfrontalier


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Politique internationale

fratana@wanadoo.fr

Fièvre dansleCaucase Antoine Frasseto ANCIEN AMBASSADEUR DE FRANCE, ANCIEN CONSUL GÉNÉRAL DE FRANCE À GENÈVE

L'ANNÉE 2010 MARQUE-T-ELLE UNE REPRISE EN MAINS PAR MOSCOU DE I'INDOCILE RÉGION DU NORD CAUCASE ? C'EST CE QUE POURRAIT SUGGÉRER LA RÉCENTE NOMINATION D'UN ANCIEN OLIGARQUE DE 44 ANS À LA TÊTE D'UNE SUPER RÉGION REGROUPANT LES SIX RÉPUBLIQUES CAUCASIENNES : TCHÉTCHÉNIE, INGOUCHIE, DAGHESTAN, KABARDINO-BALKARIE, TCHERKESSIE ET OSSÉTIE DU NORD.

ncien patron d'entreprise, fort d'une expérience de gestionnaire, ce proconsul a été investi par le président Medvedev d'une mission difficile : pacifier une région minée par le chômage, la criminalité économique et la corruption, mais surtout en proie à une sédition islamiste qui n'a pas baissé les armes mais qui cherche plutôt à s’étendre, comme I'ont montré en novembre 2009 à quelques jours d'intervalle, le meurtre dans une église de Moscou d'un prêtre orthodoxe qui avait critiqué l'Islam, et de façon plus spectaculaire, l'attentat contre le Nevski Express reliant la capitale à SaintPetersbourg. Revendiqué par l'émir autoproclamé du Caucase, un ancien president indépendantiste de Tchétchénie qui a pris le maquis, cet attentat meurtrier a témoigné de la virulence et des capacités d'action d'un terrorisme islamique qui peut frapper partout en Russie. Ce “super-préfet” aura aussi reçu pour tâche de brider les élans du président tchétchène, le féroce Kadyrov, qui n'hésite pas à franchir ses frontières pour traquer l'ennemi dans les république voisines du Daghestan et de I'lngouchie. En effet, si la politique menée par le Kremlin, associant la carotte et le bâton, c'est-à-dire la répression armée et le généreux soutien aux dirigeants locaux, a permis d'éviter l'embrasement général du Nord Caucase et la “tchétchénisation” de la région toute entière ; la violence y demeure sporadique et elle fait désormais tache d'huile. En Tchétchénie, où Moscou a annoncé au printemps dernier la fin des opérations militaires ouvrant la voie à un retrait des troupes russes, les affrontements continuent entre l'armée et les rebelles, et les brutalités n'ont pas cessé contre les droits de l'homme et leurs défenseurs. En Ingouchie, c'est un ministre qui a été tué, tandis que le président échappait de peu l'été dernier à un attentat. Si le Nord du Caucase, le Caucase russe, reste la proie d'une fièvre où se mêlent de manière confuse des ferments religieux et nationalistes, ce sont d'autres fièvres qui ont saisi les anciennes républiques soviétiques situées au sud, devenues indépendantes à la chute de I'Union Soviétique en 1991 : Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan. Mais pour comprendre les turbu-

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lences qui affectent cette régipn du monde, il est nécessaire d'opérer un bref survol des hautes cimes et des vallées profondes dont elle est formée. Située entre le Mer Noire et la Mer Caspienne, bordée au sud par Ia Turquie et l’Iran, la région du Caucase qui formait naguère le glacis méridional de l'Union Soviétique, se présente comme un carrefour où se sont heurtés, au fil des siècles, conquérants et empires. Ces flux et reflux ont déposé comme des sédiments des populations multiples, qui ont composé une mosaique d'ethnies, de langues et de religions. Ce morcellement explique en partie le destin d'une terre qui a été de longue date une zone de conflits, terre d'invasions où les vicissitudes de I'Histoire ont laissé leurs cicatrices. Afin de s'assurer des débouchés vers les mers chaudes, l'Empire des tsars a cherché au XIXe siècle à y asseoir sa domination et, à cette fin, à en remodeler le peuplement. L'Union soviétique, sous l'impulsion de Staline, est restée dans cette même logique. Soucieux de diviser pour mieux régner, le pouvoir soviétique s'est ingénié pour sa part à créer des entités politiques et administratives largement artificielles et hétérogènes en termes de langue et de culture. Jusqu'en 1989, I'URSS a cher-

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Politique internationale ché à la fois à attiser et à contenir les conflits pour maintenir sous son contrôle les differentes communautés. Mais les tensions demeuraient vives sous ce calme apparent. C'est sur cette toile de fond tissée par I'Histoire qu'il faut observer les grands bouleversements qui ont affecté la région au cours des dernières décennies : au plan politique, la fracture du Caucase, dont le versant sud a échappé à l'emprise de Moscou lors de la dissolution de I'Union soviétique. Au plan économique, la montée en puissance d'une région qui joue désormais un rôle-clé sur la carte énergétique du monde, à la fois zone de production à partir des riches réserves en hydrocarbures de l'Azerbaïdjan, et artère vitale sur la route qui relie les gisements de I'Asie Centrale à l'Europe. Par l'effet de ces réalités nouvelles, la Transcaucasie se trouve aujourd'hui au centre d'un échiquier où se jouent de vastes conflits d'intérêts et où se dessine une nouvelle ligne de front entre les grandes puissances. La Russie, qui court derrière sa grandeur perdue cherche à conserver son influence dans son ancien glacis méridional et, si possible, à y reprendre le pouvoir. Les Etats-Unis,

Les États du Caucase du Sud en 2009.

attirés par l'odeur du pétrole et par la position stratégique du Sud Caucase, ont voulu remplir le vide créé par le retrait soviétique. Quant à l'Europe, soumise à une dépendance étroite et dangereuse vis-àvis de la Russie pour son approvisionnement en énergie, victime impuissante des démêlés russoukrainiens qui menacent de rebondir chaque hiver, elle voit dans la route caucasienne un itinéraire de détournement du pétrole et du gaz dont elle a un impérieux besoin. Le Sud Caucase est désormais le théâtre d'affrontements potentiels dans une version adoucie de la guerre froide. La preuve en a été donnée avec éclat durant l'été 2008 lors de la crise qui a secoué la Géorgie et qui contenait tous les ingrédients d'un conflit : ingérence de l'Occident dans l'ancien pré carré de la Russie avec la candidature de la Géorgie à l'Otan ; tensions séparatistes dans les provinces allogènes d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie où brûlait un feu que Moscou pouvait aisément attiser. L'intervention brutale du Kremlin, qui sonnait comme un rappel des méthodes du passé et comme un aver-

tissement, a atteint son but : tracer une ligne rouge dans cette partie de son ancien empire, qui doit demeurer son arrièrecour. Quant aux relations entre l'Azerbaidjan et l'Arménie voisine, elles demeurent empoisonnées par un autre contentieux territorial : celui du Haut-Karabakh, enclave peuplée d'Arméniens mais rattachée àl'Azerbaïdjan par le pouvoir soviétique. Après six ans d'une guerre meurtrière, qui a fait plus de 15 000 morts et 50 000 blessés entre 1988 et 1994, un cessez-le-feu a mis fin aux hostilités sans clore pour autant le contentieux, qui attend une médiation internationale toujours en suspens. Sur le terrain énergétique, la lutte d'influence est plus feutrée, mais elle n'est pas moins acharnée. Au déferlement des chars se substitue ici la “guerre des tuyaux “. Dans ce grand jeu, I'Azerbaïdjan est Ia pièce maîtresse. Sur les rives de la Caspienne, Bakou a vu monter la fièvre de I'or noir et de l'or gris, renouant avec un passé vieux d'un siècle, le temps où les frères Nobel venaient inaugurer le premier pipeline. Seul Etat caucasien producteur d'énergie, I'Azerbaïdjan est aussi le seul qui permette, par sa position géographique, d'acheminer vers I'Europe occidentale le pétrole et le gaz venus d'Asie Centrale (Kazakhstan et Turkménistan). C'est de Bakou que part le BTC, I'oléoduc reliant la Caspienne à la Méditerranée à travers la Géorgie et la Turquie. Inauguré en 2005, exploité par un consortium conduit par la British Petroleum, doublé ensuite d'un gazoduc (le BTE), ce tube qui peut se connecter avec l'Asie Centrale, symbolise les efforts de I'Europe pour s'affranchir de la dépendance de la Russie pour son approvisionnement en énergie. Longtemps hostile à ce projet, qui contrariait sa politique, Moscou s'évertue aujourd'hui, en s'appuyant sur le géant Gazprom, à conserver la main dans la maîtrise du marché de l'énergie dans cette partie du monde. Il le fait en lançant de nouveaux projets auxquels il s'emploie, non sans succès, à associer des partenaires européens qui avancent en ordre dispersé : projet Nordstream avec l'Allemagne (un gazoduc qui franchira la Mer Baltique), projet Southstream à travers la Mer Noire, qui desservira les pays balkaniques et I'Autriche, mais aussi I'Italie. Autant de traverses dans l'avancée d'un ambitieux projet européen, le projet Nabucco, porté par les instances de Bruxelles. Ce gazoduc, dont le tracé de plus de 3 000 km irait de Bakou jusqu'à Vienne à travers la Turquie et les pays d'Europe de l'Est, vise à offrir une altemative au gaz russe et aux aléas politiques qui pèsent sur ses livraisons. Mais il est mis en péril aujourd'hui par les flottements des partenaires européens, qui peinent sur le devis du projet (environ 8 milliards d'euros), laissant les Russes avancer méthodiquement leurs pions. Ainsi se dessine le destin du Caucase, région chamière entre les mondes russe, turc et iranien qui l'ont façonnée au cours du temps, aujourd'hui théâtre d'une âpre rivalité et de conflits d'intérêts entre les grandes puissances. Longtemps masqué par la domination soviétique, le destin de la région apparaît désormais en pleine lumière, avec ses chances de développement mais aussi les risques que lui font courir des enjeux géopolitiques qui la dépassent. N

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Comportement

LA SUISSE EST PARTAGÉE EN VINGT-SIX CANTONS ET DEMICANTONS, ALORS QUE LA FRANCE EST, SELON CERTAINS HUMORISTES, DIVISÉE EN CINQUANTE MILLIONS DE SUJETS, SANS COMPTER LES SUJETS DE MÉCONTENTEMENT. es cantons sont divers et variés, ce qui fait tout le charme de la Suisse, où l’on a le sentiment de changer de pays tous les cinquante kilomètres. Cependant, il existe un autre fossé qui sépare la Suisse alémanique des deux minorités latines, les Romands et les Tessinois, le célèbre Röstigraben. La France peuplée de plusieurs ethnies, Bretons, Corses, Alsaciens, Provençaux, Picards, Flamands et Auvergnats, fit son unité autour d’une langue née sur les bords de la Seine et de la Loire. La

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Suisse maintient sa cohésion en entretenant quatre langues. Ce ne serait qu’une remarque sociologique de peu de portée, si on ne découvrait pas en regardant de plus près que les langues recouvrent des comportements différents. On savait déjà par les statistiques que les Suisses alémaniques avaient un taux de chômage plus faible que les Latins, qu’ils pesaient moins sur l’assurance maladie, qu’ils votaient plus à droite. On prétendait aussi qu’ils avaient d’autres goûts en ma-

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jacques.neirynck@epfl.ch

Comportement

Jacques Neirynck CONSEILLER NATIONAL PROFESSEUR HONORAIRE À L’ECOLE POLYTECHNIQUE FÉDÉRALE

tière de cuisine. On ne s’attendait cependant pas à découvrir la différence en matière de conduite routière telle qu’elle ressort de l’étude publiée le 19 janvier par le Bureau de Prévention de Accidents. Le nombre de personnes gravement blessées ou tuées a diminué de 21% en Suisse alémanique entre 1997 et 2007. En Suisse romande et au Tessin, le recul n’a été que de respectivement 7% et 10%. Les campagnes de prévention routière ont agi en allemand mais ni en français, ni en italien. Cela vient peut-être de ce qu’elles ont été conçues à Zürich et maladroitement traduites. Les motards tessinois représentaient 51% des accidents graves sur les routes du canton en 2007. C’est une proportion deux fois

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plus élevée qu’en Suisse alémanique, et une fois et demie plus qu’en Suisse romande. 32% des morts et blessés graves tessinois ne portaient pas de ceinture de sécurité, alors que la proportion était de 22% en Suisse romande, et de 16% en Suisse alémanique. L’alcool cause deux fois plus d’accidents graves et de morts en Suisse latine qu’en Suisse alémanique. Toujours dans la partie romande, la vitesse est à l’origine de 34% des accidents, alors qu’elle est un facteur de risque bien moins important en Suisse alémanique (21%) et même au Tessin (8%) qui a pourtant la réputation d’abriter des Fangio en puissance. Ce n’est pas tout. Pour 100 millions de kilomètres parcourus, le nombre de femmes impliquées dans un accident grave est presque identique dans les trois principales parties du pays et trois fois plus faible que celui des hommes. Dès lors, l’étude pointe sur le sexe mâle dont le comportement est à l’origine des accidents : les hommes boivent plus que les femmes et en Suisse romande conduisent plus vite. C’est une question de culture, cela ne tient pas aux lois, à la nature des routes ou aux types de voiture qui sont similaires dans toute la Suisse et qui valent aussi bien pour les hommes que les femmes. En conclusion, il est inutile de renforcer la législation. Pas de loi supplémentaire tant que ne sont pas respectées les lois actuelles. Il faut changer les habitudes Ce rapport illustre un précepte juridique datant des Romains : Quid leges sine moribus. A quoi sert-il de promulguer des lois qui ne tiennent pas compte des mœurs ? Un conducteur de véhicule motorisé n’est pas seulement l’individu qui tient le volant mais aussi celui qui apporte toute sa personnalité, avec ses avantages et ses inconvénients. Il vit dans un réseau social, où réceptions, restaurants et cafés tiennent une certaine place. Il s’insère dans un flux de circulation locale, dont il n’a pas la maîtrise. Il ne faut donc pas tirer la conclusion sommaire que les Romands et les Tessinois seraient, à l’intérieur de la Suisse, moins sérieux que les Alémaniques du seul fait des langues que parlent les uns et les autres. La loi existante dépasse ce qui est naturellement applicable par le peuple latin. Pour eux, c’est un plafond que l’on peut atteindre en faisant beaucoup d’efforts. Pour les germaniques, la loi est un plancher en dessous duquel on ne peut descendre. N


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Entretien avec…

Jean-Pierre Asvazadourian LE NOUVEL AMBASSADEUR DE FRANCE EN ARGENTINE Jean-Pierre Asvazadourian : Je profite de cette occasion pour adresser tous mes vœux de bonheur pour 2010 à tous les Français d’Argentine et leur dire que je compte me déplacer le plus possible en province pour me rapprocher de ceux et de celles qui habitent loin de la Capitale. > La Cédille : Diplômé de l'Ecole supérieure des sciences économique et commerciale et de la chambre de commerce espagnole, vous avez eu une formation focalisée sur l'économie. Pourtant, vous avez commencé votre carrière en assumant des fonctions protocolaires à l'administration centrale. Quels ont été les moments marquants de votre carrière ? J.-P. A. : En effet, mon parcours est atypique étant donné ma formation. J’ai eu l’occasion de faire mon service militaire (1983-1984) dans une ambassade. A La Paz, en Bolivie, au service culturel. C’est à cette époque d’ailleurs que je suis venu – en touriste – pour la première fois en Argentine, en décembre 1983 très exactement, où s’effectuait le changement vers la démocratie, sujet qui m’a passionné. Cette expérience de vie à l’étranger, de prise de contact avec une autre culture a décidé mon avenir. > LC : Vous parlez 6 langues, l'anglais, le danois, l'espagnol, le russe et le tchèque. A vos yeux, qu'est-ce qui vous a facilité de les saisir ? J.-P. A. : Obstination et travail. Je ne pense pas avoir une aptitude certaine pour ap-

A LA VEILLE DE L’ANNÉE 2010, L’AMBASSADEUR DE FRANCE EN ARGENTINE, JEAN-PIERRE ASVAZADOURIAN, A EU LA GENTILLESSE D’ACCORDER SA TOUTE PREMIÈRE INTERVIEW DEPUIS SON ARRIVÉE EN ARGENTINE À LA CÉDILLE. AGÉ DE 49 ANS, C’EST LE PLUS JEUNE AMBASSADEUR QUE N’AIT JAMAIS EU LA FRANCE À BUENOS AIRES.

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prendre les langues étrangères. L’anglais et l’espagnol ont fait partie de ma scolarité. Puis l’orientation qu’ont prises mes études. L’Europe centrale et orientale attiraient toute mon attention. C’était l’époque de l’application de la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev. Je me suis mis au russe. Puis j’ai eu la chance d’être nommé à Prague où je me suis initié au tchèque pour mieux comprendre cette révolution de velours, les changements qui s’y effectuaient : passage à une économie ouverte, privatisations, séparation douce et progressive d’un mode de vie vers un autre… Surtout que j’avais à ma charge le suivi de la politique intérieure. Puis, Londres. L’Angleterre est un pays avec lequel la France est liée par l’histoire. Savoir la langue m’a permis d’apprécier le regard qui est porté sur la France. Et enfin le Danemark. Comme dans tous les pays nordiques, les habitants parlent plusieurs langues. Mais j’ai voulu apprendre le danois pour ne pas être isolé de la quotidienneté de mon pays d’accueil, de sa culture. > LC : Vous avez été en poste à Prague, à Londres et à Copenhague. Dans votre activité en tant que diplomate, qu'estce qui est, pour vous, essentiel ? J.-P. A. : Un seul mot : contact. Contact pour expliquer, informer sur le pays que vous représentez. Mais aussi également pour informer l’administration sur les politiques et les positions de votre pays d’accueil. Etablir des réseaux, des contacts, non seulement avec les fonctionnaires, mais encore avec la société civile, la culture.


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Entretien avec… C’est l’attrait du métier, l’ouverture vers l’autre, la connaissance de l’autre, chercher à comprendre position et intérêts. Là réside aussi l’importance de la connaissance de la langue. > LC : Quelle est votre motivation vitale aujourd'hui, après avoir été chef du protocole, introducteur des ambassadeurs à l'Elysée ? Une anecdote dont vous vous souvenez ?

pour la France, tels la prise de fonction présidentielles de Nicolas Sarkozy ou encore son investiture en tant que président de l’UE au second semestre 2008. La vocation première de ce poste est de servir le président dans les événement officiels et lors de ses déplacements. Mais aussi d’établir le contact avec tout le corps diplomatique qui séjourne en France. Soit quelque 40 000 personnes entre diplomates et représentants des organismes internationaux tels l’UNESCO ou l’OCDE. Cela demande aussi bien vigilance que souplesse au sein d’une diplomatie en action. > LC : Vous êtes Chevalier de la Légion d’Honneur et Officier de l’Ordre National du Mérite. Quels sont, à vos yeux, les principales actions que vous avez réussi à mener à bien afin de recevoir ces distinctions ? J.-P. A. : Je les dois certainement moins à mes mérites qu’à la bienveillance de ceux qui me les ont octroyées. Vous savez, j’aime mon métier. Mon engagement personnel est total. > LC : Qu'est-ce que vous considérez comme essentiel dans votre mission en tant que Ministre plénipotentiaire, Ambassadeur de France en Argentine?

J.-P. A. : Anecdotes ? Impossible ! Un des principes du Chef du protocole est d'être d'une discrétion absolue ! J’ai eu la grande chance de remplir ces fonctions pendant 5 années consécutives. Je garde, oui, de profonds souvenirs de moments importants

*Conicet : Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas CNEA : Comisión Nacional de Energía Atómica CNRS : Centre national de la recherche scientifique CEA : Commissariat à l’énergie atomique

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J.-P. A. : Faire le maximum pour établir un rapprochement entre les deux pays. Dans plusieurs domaines. Tout d’abord un dialogue politique avec le gouvernement. La France et l’Argentine sont tous deux membres du G 20. La prise en compte des dimensions sociales et environnementales est stratégique. Continuer de renforcer la coopération scientifique qui s’est densifiée ces dernières années aussi bien au niveau gouvernemental comme à celui des organisme tels les échanges CONICET - CNRS ou encore CNEA - CEA*. Et naturellement, les échanges universitaires si enrichissants d’un côté comme de l’autre.N

PROPOS RECUEILLIS PAR SUZANNE THIAIS POUR LACEDILLE.COM.AR, LE MARDI 29 DÉCEMBRE 2009


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Conjoncture suite INNOVATION DANS LES SERVICES

Quels

CET ARTICLE S’INTÈGRE DANS UNE SÉRIE DE PUBLICATIONS INITIÉE DANS FRANCE MAGAZINE N°27 “QUELS LEVIERS D’UNE CROISSANCE AUTRE ET DURABLE ?” 35 PROPOSITIONS DE LA COMMISSION INNOVATION & IMMATÉRIEL DU GROUPEMENT DES PROFESSIONS DE SERVICES. WWW.GPS.ASSO.FR. WWW.FRANCE-MAGAZINE.ORG

d’unecroissance annoncée ? vité, souvent à caractère non technologique, mais de façon croissante associé à des technologies, pour optimiser la chaîne de valeur (l’industrialisation des services). Ensuite, l’innovation par les services, enrichissant les produits des autres secteurs de l’économie notamment l’industrie (la “serviciarisation” de l’industrie). La complexité croissante et le caractère multidimensionnel de l’innovation est en train de transcender le clivage classique industries/services vers des business models entrepreneuriaux centrés sur les interrelations produits/services et le “networking” avec les parties prenantes. Dans cette approche, le “process” de l’innovation est autant créateur de valeur que le produit de l’innovation lui-même.

e secteur des services a désormais un rôle prééminent (deux tiers1 de l’emploi, du PIB et de la valeur ajoutée de l’UE 27) et paraît le levier majeur de croissance et d’embauche en Europe. Pour autant, en moyenne, seules 33,7%2 des entreprises de services innovent pour 37,4% dans l’industrie, bien que : > des disparités fortes soient observables entre pays (de 50% en Allemagne jusqu’à moins de 20% au Danemark), > le rythme d’innovation dans les services entre 1009 et 2003 (12%) ait été plus rapide que dans l’industrie (3%), L’innovation dans les services est donc un enjeu capital.

maandrieux@deloitte.fr

L

De quelle innovation s’agit-il ? D’abord, l’innovation dans les services, caractérisée par : > une contribution transversale en synergie avec les différents actifs immatériels identifiés comme constitutifs de la valeur des entreprises du secteur3 (capital humain, clients, parties prenantes, systèmes d’information, marques, notoriété, réputation), > un contenu lié au process et à la créati-

Marie-Ange Andrieux DIRECTEUR DES PARTENARIATS DELOITTE, CO PRÉSIDENT DE LA COMMISSION GPS INNOVATION ET IMMATÉRIEL

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Comment développer l’innovation dans les services ? Quelques propositions de la Commission GPS Innovation & Immatériel : a) Favoriser les bonnes pratiques des entreprises permettant de capter l’innovation et de la transformer en valeur : > insuffler une dynamique d’innovation interne et jouer la synergie innovation/capital humain ; • mettre l’innovation et la créativité au cœur des activités de l’entreprise (proposition 15) ; • développer les communautés professionnelles ou réseaux sociaux d’entreprise (Proposition 13) ; • favoriser l’initiative et la créativité pour une ingénierie de collaboration (Proposition 14) ; > intégrer l’innovation externe, qui se trouve chez les clients et les parties prenantes en favorisant un processus de cocréation des produits et des services : Piloter la relation avec les parties prenantes (Proposition 3). Les nouvelles technologies


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Conjoncture suite de communication seront un atout considérable, en permettant la création de communautés multiples, finement ciselées selon les territoires de goûts et les profils de consommateurs pour un capital clients fidélisé par une relation durable et une innovation dynamisée. b) Obtenir la “juste” valorisation et le financement de l’innovation à des conditions équitables : > pour gagner la confiance des marchés financiers (investisseurs, prêteurs, analystes…), enrichir la communication financière de critères extra-financiers permettant de rendre visible une innovation souvent invisible : Définir un référentiel reconnu par les pouvoirs publics (Proposition 16) ; > susciter la reconnaissance par les marchés d’une innovation comme un investissement générateur de valeur durable (et non comme un coût réduisant le résultat fi-

cherche dans l’enseignement supérieur (Proposition 17) ; > s’assurer que les instruments de mesure de la croissance prennent en compte l’impact de l’innovation dans toutes ses dimensions y compris les externalités positives (Proposition 35) ; > favoriser l’investissement des entreprises de services dans l’innovation, par l’élargissement de l’assiette du CIR aux dépenses d’innovation spécifiques aux services notamment non technologiques (Proposition 26) ; > consolider le patrimoine des entreprises de services en enrichissant le contenu de la propriété intellectuelle, le plus souvent liée aux technologies brevetables, aux innovations afférentes aux composantes du capital immatériel : leur étendre le taux réduit d’IS (Proposition 24), le report d’imposition des apports en société (Proposi-

nancier court terme). L’évolution des recommandations de gouvernance4 vont dans le sens d’une meilleure intégration des éléments extra financiers de long terme par les investisseurs. c) Dynamiser l’environnement économique, fiscal et juridique de l’innovation dans les services Des efforts remarquables pour une politique de l’innovation ont déjà été conduits tant au niveau européen que français (Pôle de compétitivité, Crédit d’Impôt Recherche, Jeune Entreprise Innovante…). Toutefois, l’innovation dans les services est restée relativement méconnue, les avancées technologiques essentiellement industrielles étant considérées prioritaires. Quelques approches proposées : > développer la connaissance de l’innovation dans les services (sources et mesure) et notamment ; > développer des programmes de formation et de re-

tion 25), la suppression de la retenue à la source sur les redevances lors des renégociations de conventions fiscales (Proposition 27), améliorer la valeur économique des droits d’auteur (Proposition 29). La croissance par l’innovation dans les services est une de nos meilleures chances de compétitivité. Soyons vigilants : investir davantage dans cette innovation ne suffira pas. Pour créer la différence, il nous faudra répondre à la question : quelle qualité d’innovation pour quelle nature de croissance ? N 1 Estimate taken from 2008 CIA World Factbook. 2 Eurostat Key Figures on Europe 2009 . 3 France Magazine n° 27 du même auteur. 4 « Etude sur le contrôle et les sanctions en matière de gouvernance d’entreprise dans les Etas-Membres de l’Union » Risk Metrics pour la Commission Européenne, Décembre 2009.

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FNACA Fédération Nationale des Anciens Combattants en Algérie, Maroc et Tunisie 37-39 rue des Gâtines - 75020 Paris • Tél. 01 44 62 86 62 • www.fnaca.org

10 ans de guerre (1952-1962)

3 millions de Combattants La FNACA exige > L’attribution de la Carte du Combattant aux Anciens d’Algérie, Maroc et Tunisie > L’égalité des Droits > La reconnaissance du 19 mars 1962 “cessez-le-feu” de la guerre d’Algérie, comme journée du Souvenir et du recueillement à la mémoire des 30 000 militaires tombés en Afrique du Nord et de toutes les victimes civiles.

La FNACA participe À la sauvegarde des acquis.

B U L L E T I N D ’A D H É S I O N À remplir et à envoyer à : FNACA - BP 438 - 1208 Genève Je soussigné souhaite adhérer à l'association la FNACA. NOM : ………………………………………………………… Prénom: …………………………………………………… Adresse : ………………………………………………………………………………………………………………………… Marceau KAUB Délégué Général de la FNACA pour la Suisse kaub@net2000.ch Tél.00.41.78.708.22.71

Tél: …………………………………………………… Courriel : ……………………………………………………………… Date et lieu de naissance : …………………………………………………………………………………………… Régiment : ………………………………………………………………………………………………………………………… Bon pour Accord (manuscrite) Lieu & Date

Signature

Victor NAHUM Délégué de la FNACA pour la Suisse Romande macnahum@bluewin.ch Tél. 00.41.79.789.00.00


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J’aimerais vous dire

Qu’est-cequela

Russie ? e n'est plus un Empire. Cela n'a jamais été une Nation. Géographiquement proche de l'Europe, par ses dimensions, elle en est chimériquement lointaine. Par son climat extrême et l'immensité de ses espaces aux contours sans cesse redessinés, rien ne la relie à l'Europe. Et pourtant, bien qu'elle soit un mélange de religions, de cultures et de langues, elle puise sa source européenne dans sa langue principale, dans son histoire et dans sa culture.

C

Sa Langue L'alphabet cyrillique vient de l'alphabet glagolitique, du vieux Slavon Glagol. Ces verbes sont crées à partir des lettres minuscules grecques, encore utilisés par les catholiques dalmates en lithurgie. A Reims, les Rois de France prêtaient serment sur un Evangile Glagolitique attribué à Saint Jérôme.

serge.c.vinet@bluewin.ch

Son Histoire Son histoire et son étendue (17 075 400 km2,

Serge Cyril Vinet CONSEILLER ÉLU À L’A.F.E. POUR LA SUISSE ET LE LIECHTENSTEIN

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soit 30,95 fois la France) en font un des acteurs politiques majeurs du continent européen. Ses soubresauts perpétuels et, notamment au cours du XXe siècle, ont considérablement influé, tant par les guerres et affrontements idéologiques. La naissance et la chute du régime soviétique font partie de l'histoire essentielle de l'histoire européenne. Sa Culture Mais c'est sa culture qui amarre la Russie à l'Europe. Au XIXe siècle, l'aristocratie russe parlait le français en famille. La langue russe, enrichie de mots étrangers, justifie ce métissage. La culture européenne s'est ouverte à la Russie avec Pouchkine, Tolstoï, Dostoïevski, Tourgueniev, Gogol & Pasternak. Même si on le voulait, il n'est pas possible d'oublier la place émotionnelle qu'ont prise des compositeurs comme Piotr Illitch Tchaïkovski, Prokofiev, Rackmaninov ou Chostakovitch. D'ailleurs, les échanges entre les deux continents perdurent... (voir encadré "Le Code Civil traduit en Russe"). Ces quelques points soulignés, j'aimerais vous dire... que la révolution aurait pu être évitée. Le 9 janvier 1905 est qualifié de "Dimanche Rouge" (calendrier Julien). A Saint Pétersbourg, devant le Palais d'hiver, lieu de résidence de Nicolas II, 100 000 grévistes manifestent silencieusement avec, pour toutes armes, des Icônes du Tsar. Sous la conduite du Pope Gapone, ils désirent transmettre leurs doléances au Souverain. Après une bévue dramatique du ministre de


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J’aimerais vous dire l'Intérieur, Piotr Nicolaïevitch Durnovo, l'armée tire sur la foule. Sous les fenêtres de l'ambassade britannique, des centaines de morts jonchent la place. « Il n'y a plus de Dieu ni de Tsar ! » s'écrie Gapone. Dans les capitales européennes, l'émotion est intense. Les étudiants et les ouvriers s'agitent dans les principales villes russes. Une grève gigantesque s'étend sur tout le pays comme une traînée de poudre. L'agitation est entretenue par la crise économique que traverse le pays et aggravée par la guerre perdue contre le Japon. Les déroutes navales et la défaite de la bataille de Tsou-Shima en mai 1905 n'arrangent rien. C'est le début de la révolution 1905. Il est un homme qui se fait remarquer dans ces moments troubles. Il attire l'attention du Tsar par la manière énergique et ferme dont il fait preuve pour maintenir l'ordre dans sa Province de Saratov. Ce Gouverneur devient ministre de l'Intérieur très rapidement puis, en quelques mois, Nicolas II le choisit comme Premier Ministre en remplacement de Goremykine. Piotr Arkadievitch Stolypine est né le 2 avril 1862 à Dresde en Allemagne. D'une famille noble provinciale, il naît lorsque son père, originaire de Grodno, aujourd'hui en Biélorussie, représentait la Russie auprès du Grand-Duc de Bade. De bonne éducation, il entra au service de l'Etat, suivant en cela une tradition familiale bien établie. Marié à Olga Borissovna Neidhardt, fiancée de son frère Mikhaïl mort en duel, qui lui fit jurer sur son lit de mort de s'occuper d'elle.

Elle devait lui donner cinq filles et un fils. Piotr Stolypine a la stature d'Homme d'Etat. Il est nommé à la tête du gouvernement à la veille de la réunion de la première Douma, le 10 mai 1906. La nation russe est en proie à de multiples convulsions intellectuelles. Cela sent la poudre... Le mécontentement général, grandissant dans la population, surgit un peu partout en Russie. Les organisations de gauche mènent campagne contre l'autocratie et débouchent sur des troubles révolutionnaires. Grand nombre de bureaucrates et de fonctionnaires de police sont purement et simplement assassinés. En août 1906, une bombe explose à Saint-Pétersbourg, juste devant la datcha de Stolypine. On relève 27 morts et de nombreux blessés. Parmi ceuxci, le fils et une des filles de Stolypine. La répression est terrible : tribunaux militaires Accusé et arrêté le matin, jugement sans défense, dans la plupart des cas : exécution le soir même. Des milliers de révolutionnaires russes perdirent ainsi la vie. Le gibet reçut le surnom de "Cravate de Stolypine". Parallèlement, pour étouffer la contestation, il s'implique à faire disparaître certaines causes de mécontentement de la paysannerie. C'est ainsi qu'il présente des réformes foncières importantes. Il essaie également d'améliorer la vie des ouvriers citadins et s'efforce d'accroître le pouvoir des Collectivités Locales. Sa tâche est immense. Pour qu'elle réussisse, il faudrait que toutes les forces de la Nation et internationales (déjà) soient animées d'un même objectif :

‘ ’

Je cherche un moyen libéral de lutter contre la révolution : je ne trouve que la force.

PIOTR STOLYPINE 1ER MINISTRE DU TSAR NICOLAS II

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J’aimerais vous dire >> Eviter le Chaos !

Les Doumas se succèdent, les Koulaks (classe paysanne riche mais modérée), les Zemstvos (assemblées régionales) demandent ardemment d'être associées au pouvoir tyrannique de la bureaucratie afin de rapprocher à nouveau le peuple de son Empereur. Pendant ce temps, la réforme agraire tente de sortir les Moujiks du Mir (paysans russes vivant en collectivité) datant de 1861. Ces réformes sont en passe de faire sortir la masse paysanne de son obscurantisme et de son mutisme séculaire. Près de 40% de paysans demandent de s'extraire du Mir. Les résultats sont édifiants et prometteurs. La production agricole double rapidement et la projection à court terme d'un triplement de la récolte de blé ne fait plus illusion. Le niveau de vie devient incontestablement supérieur à ce qu'il était jusqu'alors. La mise en route des réformes importantes entre 1907 et 1910 sont telles que les conflits s'éteignent d'eux-mêmes. Cet homme d'Etat combine la force en réprimant la révolution et la réforme en changeant la face d'un Empire. Au printemps 1911, Lénine prend conscience que Stolypine est en train de réussir ses challenges : augmenter la

Le code civil en russe

S

i la langue de Molière ne se développe pas forcément en Russie, le code civil vient d’y faire une belle entrée. Entamée depuis une dizaine d’années avec la Russie, la coopération juridique menée par le Notariat Français et, en particulier, la Chambre des notaires de Paris s’est poursuivie avec la remise aux autorités russes en juin dernier, du code civil traduit en russe. En 2004, lors des cérémonies commémoratives du bicentenaire de la rédaction du Code Napoléon) qui se sont déroulées dans de nombreux pays de par le monde, et en particulier en Russie, la Chambre des Notaires de Paris associée au Conseil Supérieur du Notariat français avait proposé de traduire ce “monument du droit”. Cette mission fut confiée à une équipe d’éminents juristes tant russes que français. La traduction, qui a bénéficié du concours de l’Ambassade de France à Moscou, est assortie de commentaires. Désormais, c’est un ouvrage de référence plus facilement utilisable par les professionnels du droit et les étudiants en science juridique de langue russe. Le texte a gagné en lisibilité et en accessibilité. « Dans le cadre d’un espace juridique mondialisé, la traduction de grands textes juridiques étrangers et le développement du droit comparé sont, de nos jours, devenus une nécessité vitale », estime-t-on à la Chambre des notaires de Paris. Faire circuler de tels ouvrages de référence s’avère indispensable pour promouvoir, défendre et diffuser le système juridique dit de “droit continental” ou “romano-germanique”, facteur d’une grande sécurité juridique. Une manière de damer le pion au droit anglo-saxon. MARTINE DENOUNE “LES ÉCHOS”

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production, augmenter le pouvoir d'achat et éloigner le spectre d'une violente révolution. Acharné sur tous les fronts, Lénine, avec ses amis, finit par l'emporter en contraignant Stolypine à la démission. « La Russie n'est pas assez civilisée pour passer directement au socialisme ! » s'écria Lénine. Beaucoup d'hommes politiques allemands craignent le succès de Stolypine et voient d'un très mauvais œil la réussite économique de la Russie, annihilant en une génération l'hégémonie allemande en Europe. D'aucuns n'hésitent pas à affirmer que les dirigeants allemands en 1914 souhaitent la guerre contre la Russie tsariste pour la vaincre avant qu'elle ne devienne trop puissante. Si l’on ajoute à cela que le soutien du Tsar envers son Premier Ministre n'est plus sans réserve... Nous sommes le 1er septembre 1911, Piotr Stolypine, invité par le Tsar et sa famille, assiste à un opéra à Kiev. Surgit un individu (on s'interroge sur la capacité des hommes de sécurité), devant le Tsar médusé, et abat froidement Stolypine. L'insurgé, un certain Dimitri Bogrov, radical de gauche de son état, est abattu. Stolypine rendra l'âme 4 jours plus tard. Piotr Stolypine est, hélas, mort trop tôt. Cet homme pouvait changer le destin tragique de la Russie. S'il eût survécu, des dizaines de millions de morts eussent été évités. Le monde, aujourd'hui, aurait peut-être un autre visage. Voyez comme l'histoire peut être facétieuse... Pour assassiner Stolypine, Dimitri Bogrov usa d'un pistolet de marque Browning. Cette marque, décidément très en vogue en ces périodes, aura finalement le triste privilège d'être responsable de millions de morts quelques années plus tard. Le pistolet qui sera utilisé par le Serbe Gravilo Princip pour abattre l'Archiduc François Ferdinand d'Autriche le 28 juin 1914 à Sarajevo, était de marque... Browning. On peut imaginer aisément que Stolypine n'ait pas pris le temps de compulser le manifeste d'Alexis de Tocqueville paru en 1850 "L'ancien régime & la révolution". Il aurait pu lire alors : « Le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d'ordinaire celui où il commence à se réformer. » N


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Radioscopie

Cherpays denotre enfance Nous te gardons dans nos cœurs

joanna.david.mangin@gmail.com

DE MOSCOU À LAUSANNE EN PASSANT PAR NEW YORK ET CANTON, FRANÇAIS, FRANCOPHONES ET FRANCOPHILES SE RETROUVENT RÉGULIÈREMENT. POUR LE PLUS GRAND BONHEUR DES PETITS ET DES GRANDS.

Moskva Accueil Membre de la Fédération Internationale des Accueils Français et Francophones à l’Etranger (FIAFE)

omment choisir le bon produit, trouver la bonne école, valider son permis de conduire? La vie d’expatrié n’est pas toujours aisée… La Fédération internationale des Accueils français et francophones à l’étranger (FIAFE) offre à tous

C Joanna David-Mangin

Quatre Accueils en Suisse Genève Accueil. 200 adhérents : www.geneve-accueil.org Lausanne Accueil. 250 adhérents : www.lausanne-accueil.org Berne Accueil. Adhérents : 165 familles. www.berneaccueil.ch Zurich Accueil. Adhérents : 190 familles. www.zurichaccueil.ch

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ceux qui se sentent un peu isolés un cadre chaleureux et amical. Composée de bénévoles, l’Institution, qui vient de fêter ses 26 printemps, accueille les familles francophones et les aide à s’intégrer à la vie locale par le biais d’activités et de rencontres. Avec un seul credo : que chacun se sente bien là où il arrive ! Plus de 160 Accueils répartis sur les 5 continents La FIAFE fédère à ce jour 160 Accueils dans le monde, répartis sur les cinq continents. La Fédération accompagne les courants d’expatriation et a ouvert notamment de


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Radioscopie Quatre questions à Claire de Butler, responsable du site internet de l’Accueil moscovite et Karine Holinier, présidente de Moskva Accueil. > Quand Moksva Accueil a-t-il été créé? Moksva Accueil est née en novembre 1997 sur l'initiative de françaises expatriées. Nous travaillons de concert avec le Consulat et l'Ambassade : nos permanences et la plupart de nos cafés mensuels se déroulent dans leurs locaux. Mme de Gliniasty, l'épouse de l'actuel ambassadeur de France en Russie, est d’ailleurs notre présidente d'honneur. > Qui sont les bénévoles de l’association? Le bureau est composé de 12 bénévoles, auxquelles s'ajoutent environ 58 autres (hôtesses de quartier, responsables d'activité, équipe des visites, etc.). Nous les recrutons par bouche à oreille ou appel à candidature via le bulletin ou par mail, l'essentiel étant l'image positive que nous veillons à donner de l'association pour susciter les bonnes volontés. Elles sont formées “sur le tas”, en assurant un travail un commun avec la personne qu'elles vont remplacer, et nous veillons à conserver une trace de nos actions (comptes-rendus de réunions, outils de gestion, etc.). > Pouvez-vous nous décrire en quelques mots votre action? Nous accueillons les familles francophones nouvellement arrivées ou résidant déjà à Moscou. Nous leur proposons des permanences (2 fois par semaine), des visites guidées en français (3 à 4 par semaine), des activités régulières culturelles ou sportives, un café-rencontre mensuel, un bulletin mensuel d'informations pratiques, un annuaire téléphonique de nos membres, un guide pratique de Moscou réédité tous les 2 ans, un fichier des nounous et chauffeurs, ainsi qu'un accueil par quartier comportant de nombreux rendez-vous et une aide au quotidien pour les aspects pratiques de la vie à Moscou (accueil personnalisé, visite de quartier, etc.). Nous avons également des contacts par mail avec les futurs expatriés, avides de réponses pratiques à toutes leurs questions, et nous assurons un accueil, plus réduit l'été. > Combien de familles adhèrent-elles à l’association? A fin juin 2009, 431 familles inscrites étaient membres de Moksva Accueil et nous sommes sur le même rythme cette année. Certaines familles se contentent d'adhérer pour avoir accès au fichier des nounous et chauffeurs ou au guide pratique, mais la plupart participent régulièrement aux activités. Par exemple, les cafés mensuels réunissent environ 200 personnes. Nous organisons chaque semaine une activité et/ou une visite. Nous nous retrouvons également ponctuellement pour des activités thématiques comme partager la galette des rois chez les adhérents qui ouvrent leur appartement ou une soirée de gala. Renseignements : http://www.site-moskva-accueil.org/pages/accueil.html.

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nombreux bureaux en Asie. Apolitique, non confessionnelle et sans but lucratif, l’association est, avec ses 52 000 membres, l’association de Français expatriés la plus importante du monde. Véritable pôle de diffusion de la culture francophone, les Accueils ont un rôle très pratique et quotidien à jouer dans le soutien à l’adaptation et à l’intégration. En lui permettant de rompre l’isolement de départ, de découvrir le pays et sa culture, de nouer des contacts et des amitiés, les Accueils aident les expatriés à positiver. Tous les Accueils sont animés par des bénévoles, essentiellement des femmes qui mettent tout en œuvre pour que les accueillis réussissent au mieux leur expatriation. La FIAFE est également présente en France. L’association organise en effet des journées “relais retour” afin que les anciens expatriés se retrouvent, se rencontrent et continuent d’échanger. Renseignements : www.fiafe.org Petit tour à Moscou, sujet de notre dossier spécial Moskva Accueil s'adresse à tous les francophones, qu’ils soient nouvellement arrivés ou déjà résidents. Partager une passion, découvrir la culture russe à travers une activité, rencontrer des francophones, échanger des “trucs et astuces”… Les bénévoles de Moskva Accueil ne sont jamais à court d’idées et propose une large palette d’activités allant du patchwork au streching en passant par le patinage, l’opéra et les jeux de société. Sans oublier le traditionnel café-rencontre mensuel, les dîners et les visites guidées en français. Comme tous les accueils, l’association moscovite est animée par des bénévoles et a pour objectif d'aider le nouvel arrivant et sa famille à s'adapter à un environnement différent, dans un esprit d'enrichissement mutuel. N

Cette rubrique est la vôtre Vous êtes expatrié et vous souhaitez partager votre expérience ? Envoyez nous vos témoignages et vous serez peut-être sélectionnés par notre équipe pour apparaître dans notre rubrique... Bienvenue chez vous ! Radioscopie.francemagazine@gmail.com


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Toile I n'est plus temps de s'émouvoir devant la surabondance des informations qui nous arrivent par toutes sortes de canaux, des médias traditionnels comme de la Toile. C'est un fait dont nous devons nous féliciter au lieu de ressembler à ces personnages repus qui se plaignent d'avoir trop à manger quand, à côté d'eux, on meurt de faim. Cette profusion de nouvelles, importantes ou dérisoires, graves ou anecdotiques, constitue à l'évidence une chance. Mieux vaut un monde saturé de cette manière démocratique qu'un univers atteint de faiblesse et de langueur à force de pureté éthique et de discrimination sévère. Convient-il de perpétuellement sonner le tocsin pour alerter journalistes et politiques sur les risques de délégitimation que les uns et les autres encourraient, à la suite de cette effervescence lançant une infinité de messages comme autant de "bouteilles" aux esprits et aux curiosités ? Je ne le crois pas sauf à aspirer à la dénaturation d'un bienfait indiscutable en une menace sans cesse évoquée et susceptible à la longue de corrompre le plaisir civique de la lecture, de l'écoute et de la vision, chacune apportant aux autres sa saveur singulière. Le Net n'est pas le diable et il serait illusoire de prétendre départager le bon grain de l'ivraie en donnant quitus à telle approche de l'actualité et en condamnant telle autre. Je suis persuadé que l'impérialisme bienfaisant de la Toile, ne se substituant pas aux médias classiques mais leur ajoutant une pincée de soufre, un zeste d'audace, une curiosité moins élitiste, une inquisition à la fois plus modeste et plus fouillée, une obsession d'aller débusquer les petits secrets dans les grandes affaires, les grands ressorts des petits arrangements, n'est pas plus discutable que le message pluriel, inégal et contrasté qu'elle épand avec générosité, sur un mode erratique ou réfléchi, au coeur de nos interrogations simples ou complexes. Le Net est indissociable de la fulgurance chaotique ou maîtrisée de ses élans, de ses avancées. Il serait absurde de rêver d'une régulation morale, à la supposer techniquement possible, comme si le cours d'un torrent appelait un regard d'affliction courroucée parce qu'il est trop puissant, intense, imprévisible. Le Net n'est pas le diable. Pas plus que le

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LE NET N'EST PAS LE DIABLE. PAS PLUS QUE DU “JOURNALISME POUBELLE", SELON DOMINIQUE WOLTON.

Le Net n’est pas le

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message. C'est notre capacité à analyser ce dernier, notre aptitude à le mêler à la somme d'informations qu'une journée transmet pour mieux le hiérarchiser, le décrypter, qui constitueront la meilleure méthode pour nous sauver demain non pas de la Toile ni de ce qu'elle dispense mais de la médiocrité d'une société incapable de s'en-

richir de ce formidable capital. Le désordre ne vient pas de la masse mais de l'infirmité ou de la paresse du regard. Ce qui nous est donné, offert ne doit pas être gâché. Citoyens, journalistes, blogueurs et politiques, forcément réunis dans cette vaste entreprise d'intégrité intellectuelle et d'exigence républicaine, n'ont pas besoin d'être dressés les uns contre les autres mais au contraire devraient épouser avec bonheur l'opportunité d'une contradiction acceptée et sans commune mesure avec les débats limités d'antan. Si le Net est parfois poussé sans contrôle à diffuser du poison, vers un débridement malsain, il trouve immédiatement son contre-poison, le remède dans les réactions nombreuses, les rectifications pointilleuses et pointues, les indignations ou les approbations que la moindre nouvelle, le message le plus lourd comme le plus anodin, politique ou de divertissement, suscitent chez les internautes. Il n'y a pas pires censeurs, heureusement, que ces sourcilleux de la vigilance et ces adeptes obsessionnels du mot, de l'idée, de la part qui manquent. N PHILIPPE BILGER


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Carte blanche

Dubonusagede

ertes, on peut regretter le beau temps de la lettre manuscrite que l'on avait plaisir à conserver. Mais ce temps est révolu depuis l'arrivée sur le marché de la machine à écrire, la première ayant été commercialisée par Remington en 1873. On peut regretter alors la lettre tapée à la machine mais signée de la main de son auteur et même accompagnée parfois de quelques mots manuscrits. L'internet et le traitement de texte en ont sonné le déclin. Un nouveau mot est entré dans notre vocabulaire, forgé par les Québécois, celui de “courriel”, bien plus élégant que celui de “mél.” proposé par la commission générale de terminologie et de néologie. Autant le Québec se fourvoie quand il nous fabrique des barbarismes comme “écrivaine” ou “professeure”, autant il est respectueux du génie de la langue française quand il invente des mots comme “courriel”. Sans compter que “courriel” rime agréablement avec “logiciel”, terme inventé en 1972 par une commission de terminologie qu'avait mise en place Georges Pompidou, et qui s'est substitué avec succès à l'anglais “soft-ware”. Mais il n'y a aucune raison pour qu'un courriel soit rédigé, comme c'est trop souvent le cas, avec une totale désinvolture, comme un torchon de papier griffonné sur un coin de table. On peut prendre autant de soin à écrire sur son ordinateur qu'on le faisait

C

avant la généralisation de l'usage de la machine à écrire et préserver ainsi le plaisir d'envoyer et de recevoir du courrier. Je déteste les démarcheurs qui s'adressent à moi par mon prénom. Après tout, nous n'avons pas gardé les cochons ensemble, que je sache ! Je déteste les messages qui commencent par « Bonjour », comme si on se croisait dans la rue. S'il s'agit de l'équivalent d'un télégramme, c'est tout simplement un mot de trop. S'il s'agit de l'équivalent d'une lettre, un « Cher ami » serait plus approprié. Sans compter qu'à l'heure où je m'installe devant mon ordinateur, c'est plutôt un « Bonsoir » qu'un « Bonjour » qui conviendrait ! Rien n'empêche de taper sur son ordinateur une véritable lettre, avec le nom de l'expéditeur, le nom du destinataire, la date, et une formule d'adresse : « Cher Monsieur, Chère Madame ». Rien n'empêche de faire des paragraphes, de se relire, d'utiliser la vérification orthographique, aussi insuffisante qu'elle soit. Rien n'empêche d'utiliser en fin de message une formule de politesse élégante. Rien n'oblige à cliquer sur la touche “Envoyer” avant de s'être assuré qu'on a bien pris en compte toutes les règles d'un courrier bien écrit. Ce qui suit n'a rien à voir mais m'a été inspiré par l'actualité, avec le souci constant de dénoncer sans relâche une dérive de la profession de journaliste à laquelle je suis tant attaché.

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michel.tondre@laposte.net

NOUS RECEVONS TOUS DE PLUS EN PLUS DE COURRIER ÉLECTRONIQUE, COURTS MESSAGE ÉCONOMES DE MOTS QUI, AVEC LE SMS ONT REMPLACÉ LE TÉLÉGRAMME, OPÉRATIONS DE DÉMARCHAGE COMMERCIAL PLUS OU MOINS HONNÊTES, LETTRES D'AMIS QUI SAVENT POUVOIR AINSI NOUS JOINDRE DE FAÇON QUASI IMMÉDIATE À N'IMPORTE QUELLE HEURE DU JOUR OU DE LA NUIT, SANS AVOIR À SE MUNIR D'UNE ENVELOPPE ET D'UN TIMBRE.

Jacques-Michel Tondre


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Carte blanche COPENHAGUE Les humoristes n'ont pas manqué d'observer qu'à peine pliée, la conférence de Copenhague sur le climat, une vague de froid, accompagnée de neige, s'était abattue sur l'Europe ! Et il est vrai que ce brutal refroidissement, même si c'est sur la durée qu'il faut mesurer les changements de température, incitait à s'interroger sur la réalité du réchauffement climatique. Il ne s'agit pas de nier qu'on ait connu ces dernières années une augmentation moyenne des températures. Mais il s'agit de savoir, d'une part, si on assiste à un phénomène induit par l'activité humaine et, d'autre part, si cette situation est appelée à s'aggraver. Ce n'est pas la première fois, en effet, que la planète connaît une période de réchauffement. Il s'en est produit à l'âge de bronze, à l'époque romaine et au moyen âge. D'ailleurs les climatologues sont tellement incertains de l'évolution des choses qu'ils préfèrent de plus en plus parler de “changement climatique” plutôt que de “réchauffement”. Dans Le Figaro Magazine du 28 novembre 2009, l'ancien ministre Claude Allègre s'insurge : « Dès lors qu'on est incapable de prédire le temps de façon sérieuse au-delà de quatre jours, anticiper le climat à un siècle de distance est une fumisterie. » Sans compter qu'à lui seul, le cheptel mondial produit plus de gaz à effet de serre, tenus pour responsables de la hausse des températures, en l'occurrence du méthane, que l'ensemble des moyens de transports émetteurs de CO2. Dans ce contexte, quel a été le résultat de la conférence de Copenhague ? Un échec, si l'on en croit la presse. Pourtant, avec le recul, tous les participants, y compris les écologistes, ont estimé qu'elle avait tout de même marqué un progrès, proposé des objectifs, enregistré des engagements. Mais il semble que prendre du recul ne fasse plus partie de la culture des journalistes. Jugement sévère ? sans doute, mais justement parce que je l'aime, je ne me lasserai jamais de châtier cette profession dans laquelle je suis entré il y a 42 ans. Copenhague n'a pas cédé aux réflexes millénaristes. Copenhague n'a pas inscrit dans le marbre l'idée que la planète Terre a connu son âge d'or avant l'apparition de l'homme. Les amateurs de sensationnel en sont restés sur leur faim. Nous sommes menacés, paraît-il, d'une extinction des espèces. Eh bien, ce ne serait jamais que la cinquième dans l'histoire de notre planète! Et en admettant que nous y puissions quelque chose, allons-nous choisir la préservation de la biodiversité ou la disparition de l'homme ? Trêve de questions caricaturales et volontairement provocatrices, il ne faudrait pas non plus jeter les écologistes avec l'eau du bain ! Ce sont les oies du capitole. On voit bien tous les jours que, par manque d'éducation, l'homme ne cesse de polluer la planète. Il faut évidemment réduire nos déchets, qu'il s'agisse des sacs fournis par les supermarchés, des emballages divers, des rejets dans l'atmosphère de gaz nocifs, et les écologistes sont là pour nous alerter quand notre attention faiblit, pourvu que le suffrage universel ne leur confie jamais les rênes du pouvoir.

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HAÏTI Je n'ai pas réussi à trouver où que ce soit un décompte du nombre de journalistes qui se sont rendus à Haïti pour couvrir le tremblement de terre du 12 janvier mais je n'ai guère trouvé d'organe d'information qui n'ait pas eu sur place son envoyé spécial, voire ses envoyés spéciaux. A l'heure où ces lignes seront publiées, la plupart d'entre eux seront rentrés chez eux, laissant les Haïtiens à leur drame pour des dizaines d'années. Un événement chasse l'autre dans les mass media. Il n'en reste pas moins qu'au pire de la situation dans le pays, on aura sans doute battu les records des Jeux olympiques et de la Coupe du monde de football, avec cette facilité supplémentaire que nul n'avait besoin d'une accréditation pour se rendre sur place. Des milliers de journalistes du monde entier se seront ainsi marché sur les pieds, se seront bousculés sur les sites où se démenaient les sauveteurs, se seront fait concurrence pour rapporter les événements les plus sensationnels, sans crainte de s'adresser aux éléments les plus marginaux de la population afin de recueillir les protestations les plus véhémentes et les plus injustifiées. C'est tellement plus facile d'arriver sur le lieu du sinistre avec son micro ou sa caméra, avant le convoi qui transporte l'hôpital de campagne. Entendons-nous bien, il ne s'agit pas de critiquer le travail des journalistes, qui prennent dans ces situations des risques personnels énormes, et dont le témoignage est indispensable pour faire comprendre au reste de la planète l'ampleur du désastre. Mais le logement de ces envoyés spéciaux, l'eau qu'ils ont bue, les rations qu'ils ont consommées, les fréquences qu'ils ont utilisées pour transmettre leurs images ou leurs papiers, sont autant de ressources dont les sinistrés auront été privés. Une réflexion s'impose à ce sujet, au niveau des Nations Unies. Il faut une coordination internationale des secours mais aussi de la couverture journalistique. L'ONU serait bien inspirée de mettre en place un état-major de crise prêt à prendre la direction des opérations en cas de catastrophe naturelle, y compris pour contrôler le flux de journalistes. Il y a des situations où la sacro-sainte liberté de la presse doit s'accommoder de certaines restrictions. N


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Piratage informatique L’ACTUALITÉ S’EST FAIT L’ÉCHO CES DERNIERS TEMPS DE PLUSIEURS AFFAIRES OÙ DES DONNÉES “SENSIBLES” ONT ÉTÉ SUBTILISÉES ET SE SONT RETROUVÉES EN DES MAINS AUXQUELLES ELLES N’ÉTAIENT PAS DESTINÉES.

Le

défi desentreprises surla protection desdonnées

es affaires sont intéressantes car elles forcent à se préoccuper de la sécurité des informations et de la protection des données (SIPD). Les entreprises sont, la plupart du temps, ignorantes sur les dangers encourus, au mieux démunies contre les risques potentiels et il faut souvent un sinistre conséquent, pouvant atteindre des sommes faramineuses, sans compter les dégâts d’image, pour que celles-ci réalisent leur vulnérabilité et mettent en place des solutions adéquates, car des solutions existent, au même titre que la sécurité physique. Mais quelles sont les raisons de ces pertes de données, qui occasionnent tant de dégâts ? Des cas connus, on peut en tirer quelques constats : • Une grande partie des pertes informatiques sont le fait d’employés désabusés ou indélicats, ou sont provoquées par inadvertance. • L’informatique reste pour beaucoup de dirigeants d’entreprises, de conseils d’administration et de managers un monde hermétique. • La surveillance et le contrôle des informaticiens est un élément important de la gestion des risques. • La quantité de données qui peuvent être stockées sur des clefs USB ou des ordinateurs portables est telle que les entreprises maîtrisent difficilement leurs flux de données. Curieusement, si l’on interroge les entre-

C

preneurs, ils se disent bien protégés et très souvent dépensent énormément d’argent pour se garantir d’attaques extérieures ; mais comme l’ont montré de récentes affaires, le danger vient de l’intérieur et ces risques-là sont nettement moins bien contrôlés. À cela, plusieurs raisons ; la première étant que l’on ne contrôle bien que ce que l’on connaît, et sur ce point, les chefs d’entreprises sont complètement dépen-

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Piratage informatique

dassandri@bluewin.ch

dants des rapports de leur responsable informatique. La deuxième étant que très souvent, ces mêmes dirigeants sont résignés : c’est normal qu’un administrateur système puisse accéder à toutes les données ! Or, rien de plus faux à cela. Un administrateur système est chargé de s’assurer du bon fonctionnement du système, non de la

Didier Assandri

vérification du contenu. Pour utiliser une métaphore plus parlante, votre garagiste n’a pas à ouvrir les valises que vous avez mises dans le coffre, pour réviser votre véhicule. Les solutions existent et se situent d’abord dans la gouvernance d’entreprise : gestion des rôles, gestion des identités et des accès aux données, chiffrement des données, séparation des pouvoirs (on ne peut donner un ordre et l’autoriser) ; ce sont des gardefous qui apportent une meilleure sécurité interne. À cela s’ajoute l’implication directe du

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conseil d’administration. Le rôle des administrateurs et de veiller entre autres à la bonne marche des affaires d’une entreprise et la propriété intellectuelle en fait partie intégrante. Mais là-aussi, comment contrôler ce que l’on ne maîtrise pas bien ? Combien d’informaticiens font partie d’un conseil d’administration ? Comment vérifier qu’un administrateur de bases de données ne soit pas aussi responsable de la sécurité informatique ? Quels moyens sont mis à disposition des chefs de département pour qu’ils puissent en temps réel vérifier qui a accès aux données du département ? Finalement, pour les domaines les plus sensibles tels que rapports financiers, services juridiques, recherche et développement ou liste des clients, quels moyens préventifs sont mis en place pour prévenir en temps réel d’une intrusion interne (l’attribution d’un accès auquel on n’a pas droit) ? Rares sont les entreprises qui peuvent y répondre par l’affirmative. Ce genre de gouvernance n’est pas une panacée mais il autorise une réduction des risques internes liés à l’informatique car il permet de séparer le législatif de l’exécutif, séparer ceux qui définissent les politiques de sécurité et ceux qui doivent les mettre en œuvre. L’enjeu économique est énorme car de nos jours, tout est numérisé et donc copiable, téléchargeable, appropriable en quelques secondes et les dommages en résultant peuvent aller de la simple “perte d’image”, à une baisse de la compétitivité, un lancement de produit raté voire la fermeture pure et simple de l’entreprise. Il est clair que la loyauté des employés reste le maillon faible de la sécurité des entreprises (personne ne pourra empêcher un employé de mémoriser cinq adresses de clients par jour et de les recopier chez soi le soir), mais il est du devoir de celles-ci de ne pas laisser les “portes” de leurs systèmes grandes ouvertes pour qu’un employé indélicat se serve. L’occasion fait le larron et si ces occasions sont rendues plus difficiles par la mise en place de solutions techniques effectives, les entreprises auront rempli leur devoir de diligence. N


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L’Assurance Retraite

Lettred’information pourlesFrançaisdel’Étranger LES CHIFFRES DE LA RETRAITE DU RÉGIME GÉNÉRAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE AU 1ER AVRIL 2009

a loi de financement de la Sécurité sociale détermine les conditions générales de l'équilibre financier de la Sécurité sociale. Parmi les mesures inscrites dans cette loi pour 2009, il faut souligner le changement de date, de janvier à avril, des revalorisations indexées sur l'évolution des prix à la consommation hors tabac*. A cette occasion, nous avons choisi de vous communiquer, dans cette lettre d'information, les nouveaux chiffres de la retraite au 1er avril 2009.

L

Salaires minimum et plafond > salaire minimum soumis à cotisations de Sécurité sociale pour valider un trimestre d'assurance : 1 742 euros. > salaire plafond mensuel soumis à cotisations de Sécurité sociale : 2 859 euros. Prélèvements sur la retraite > Cotisation d'assurance maladie Elle est de 3,2 % pour les retraités domiciliés fiscalement à l'étranger. Vous êtes exonéré de ce prélèvement : • si vous résidez ou travaillez dans l'un des États membres de la zone d'application des règlements communautaires** et si vous bénéficiez des prestations d'assurance maladie dans votre pays de rési-

dence ou d'activité ; • si vous résidez à Monaco ; • si vous êtes titulaire de l'allocation veuvage ou du complément de retraite (article L 814-2 du code de la Sécurité sociale). > Contribution sociale généralisée (CSG) Ce prélèvement ne concerne que les retraités domiciliés fiscalement en France. Le taux est de 6,6 % ou 3,8 % selon le montant de la cotisation d'impôt. Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) Ce prélèvement de 0,5 % concerne uniquement les retraités domiciliés fiscalement en France et assujettis à la CSG.

Changement de date de la revalorisation des retraités

L

a revalorisation annuelle des retraités intervient désormais au 1er avril de chaque année et non plus au 1er janvier. Cette nouvelle règle permet de mieux prendre en compte les évolutions de l’inflation (pour l’année précédente et pour l’année en cours) et d’aligner la date de revalorisation avec celle des régimes de retraite complémentaire Arrco-Agirc.

* Les revalorisations indexées sur l'évolution des salaires demeurent fixées au 1er janvier. ** Zone d'application des règlements communautaires : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Italie, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Malte, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse.

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L’Assurance Retraite Revalorisation au 1er avril 2009 Les retraites sont revalorisées de 1 % par l'application d'un coefficient égal à 1,01. Cette augmentation s'applique à votre mensualité de retraite d'avril payée en

mai. Nous vous communiquons également les minima, maxima et les montants de différentes prestations ainsi que les plafonds de ressources pour les obtenir.

Montants mensuels en € Minima Minimum contributif

590,33

Minimum contributif majoré

645,07

Retraite de réversion

266,15

Maxima Retraite personnelle

1 429,50*

Retraite de réversion

771,93*

Complément de retraite Majoration de la retraite de réversion par enfant à charge

90,31

Majoration pour conjoint à charge

50,81

Majoration pour tierce personne

Montants mensuels en € Allocation de veuvage 1ère année et 2e année

265,13

Plafonds de ressources pour obtenir : • La retraite de réversion : - personne seule - ménage

1 509,73** 2 415,57**

• La majoration pour conjoint à charge

641,62

• L'allocation de veuvage

706,41

1 029,10

* Ces montants, indexés sur l'évolution des salaires , ont été revalorisés au 1er janvier 2009. ** Les plafonds de ressources pour obtenir une retraite de réversion sont calculés en fonction du Smic au 1er janvier.

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L’Assurance Retraite >> La revalorisation de 1% s'applique également aux salaires servant

de base au calcul des retraites par l'intermédiaire de nouveaux coefficients d'actualisation. À titre indicatif, nous vous communiquons la revalorisation, au 1er avril 2009, des salaires plafonds soumis à cotisations depuis 1969. Les années en gras représentent les 25 meilleurs salaires plafonds pour un assuré né en 1949 et prenant sa retraite en 2009. Années

1969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Salaires plafonds 16 320,00 F 18 000,00 F 19 800,00 F 21 960,00 F 24 480,00 F 27 840,00 F 33 000,00 F 37 920,00 F 43 320,00 F 48 000,00 F 53 640,00 F 60 120,00 F 68 760,00 F 82 020,00 F 91 680,00 F 99 600,00 F 106 740,00 F 112 200,00 F 116 820,00 F 120 360,00 F 125 280,00 F 131 040,00 F 137 760,00 F 144 120,00 F 149 820,00 F 153 120,00 F 155 940,00 F 161 220,00 F 164 640,00 F 169 080,00 F 173 640,00 F 176 400,00 F 179 400,00 F 28 224,00 € 29 184,00 € 29 712,00 € 30 192,00 € 31 068,00 € 32 184,00 € 33 276,00 €

Coefficients de revalorisation

Salaires revalorisés

8,639 7,849 7,040 6,344 5,863 5,170 4,351 3,699 3,191 2,870 2,619 2,303 2,033 1,816 1,713 1,624 1,557 1,523 1,466 1,433 1,382 1,344 1,323 1,282 1,282 1,258 1,244 1,214 1,201 1,187 1,174 1,169 1,145 1,119 1,102 1,085 1,065 1,047 1,029 1,018

21 493,57 € 21 538,28 € 21 250,16 € 21 238,31 € 21 880,42 € 21 942,41 € 21 889,09 € 21 383,43 € 21 073,65 € 21 001,36 € 21 416,53 € 21 107,52 € 21 310,69 € 22 707,02 € 23 941,79 € 24 658,68 € 25 336,14 € 26 050,57 € 26 108,12 € 26 293,77 € 26 394,55 € 26 848,98 € 27 784,82 € 28 166,75 € 29 280,76 € 29 365,48 € 29 573,48 € 29 837,48 € 30 144,15 € 30 596,20 € 31 077,24 € 31 436,75 € 31 315,00 € 31 582,65 € 32 160,76 € 32 237,52 € 32 154,48 € 32 528,19 € 33 117,33 € 33 874,96 €

Tous les salaires sont exprimés en montant annuel brut (dans la limite du plafond de la Sécurité sociale).

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Plus d’informations www.lassuranceretraite.fr Guides (disponibles sur notre site) : • Francais de l'étranger. votre retraite de la Sécurité sociale ; • Carrière en France et à l'étranger, la retraite de la Sécurité sociale. Ce document est non contractuel.


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Santé prévention

Jacky

Lejardinde

POURQUOI UN JARDIN DE PLANTES MÉDICINALES BIOS ? DEPUIS PLUS DE TRENTE ANS, LES CENTRES DE CURES PAR LA PHYTOTHÉRAPIE N’UTILISENT QUE DES PLANTES ISSUES DE CULTURE BIOLOGIQUE DRASTIQUEMENT CONTRÔLÉE. ar si les recherches scientifiques n’ont pu que constater l’efficacité de cette médecine ancestrale, il est tout aussi évident que des plantes traitées à l’aide d’additifs chimiques, pesticides, insecticides, engrais, répulsifs et autres, peuvent devenir nocives et avoir des effets dangereux sur la santé de ceux qui les utilisent.

jjdescamps@thermalp.ch

C

Jean Jacques Descamps

Pourquoi le Maroc ? Pour éviter l’utilisation de plantes médicinales d’origine incertaine, il fallait trouver le meilleur endroit pour les faire pousser. Les recherches nous ont conduits dans ce pays et l’examen des sols a prouvé que c’était le meilleur endroit permettant d’obtenir des plantes d'une qualité incompara-

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ble, grâce à la conjonction d'une terre d'une composition unique, d'un ensoleillement exceptionnel et d'un environnement encore protégé de toutes les pollutions environnantes. Pourquoi préconiser l’utilisation de plantes en infusion ? Si cette forme de traitement peut paraître désuète, c’est encore et toujours la façon la plus efficace de récupérer les innombrables principes actifs contenus dans les plantes. Il est donc fortement déconseille d’utiliser des plantes qui ont été broyées pour un conditionnement en gélules ou en infusettes, car elles ont perdu 80 % de leurs principes actifs.


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Santé prévention

Pourquoi les plantes traitées sont-elles dangereuses ? « Les pesticides nous tuent » affirme JeanMarie Pelt, pharmacien, botaniste-écologiste français et le fondateur de l'Institut européen d’écologie. La diversité des plantes et les "mauvaises herbes" contribuent à abriter des insectes auxiliaires qui vont protéger naturellement les plantes des prédateurs. A titre d’exemple, il faut rappeler que lorsque les plantes sont élevées sans le respect du protocole d’usage de l’agriculture biologique, on a pu constater qu’en raison de l’ingestion de produits chimiques les colonies d’abeilles sont empoisonnées et disparaissent ; les conséquences de cet appauvrissement des colonies sont

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d’une gravité exceptionnelle, car l’histoire des hommes est liée à celle des abeilles : sans elles, pas de pollinisation, disparition de certaines espèces végétales, puis animales. Il faut savoir aussi que pour la fabrication de médicaments classiques ayant recours aux plantes, seules sont utilisées celles qui proviennent de cultures biologiques. Pourquoi des huiles essentielles ? Parallèlement à la culture de plantes bios, le jardin de Jacky se consacre également à la fabrication d'huile essentielle biologique. Ce sont des substances contenues dans les plantes ; elles sont odorantes, volatiles et de consistance huileuse. On en trouve dans

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Santé prévention >> les plantes aromatiques, dans certaines

fleurs, ainsi que dans l’écorce des agrumes et du bois, les graines et certaines racines. Longtemps méconnues du grand public, leur histoire est présente dans les grimoires de monastères et dans les écrits d’herboristerie et de botanique. Ce sont les botanistes qui ont établi leur classification rigoureuse. Etudiée au microscope, la plante présente de minuscules glandes contenant ces huiles qui ont été synthétisées par photosynthèse, grâce à l’énergie solaire. Cette substance aromatique est essentielle à la survie de la plante et à sa reproduction. Il suffit de frotter une plante entre ses mains pour que l’huile aromatique s’en dégage. Cette précieuse matière première extraite après la cueillette par distillation sèche ou par vapeur d’eau, peut alors être utilisée en phytothérapie. Pourquoi, entre autres plantes, le bigaradier sauvage et la sauge officinale ? Parce que se sont les meilleures armes naturelles pour lutter contre ce fléau qu’est le stress générateur, induisant dépression, insomnies, troubles muscla-squelettiques, obésité, et autres troubles du métabolisme. La première utilité du bigaradier cultivé au Maroc est de servir de protection contre le vent et les rayons du soleil sur les cultures. Si son fruit ressemble à une orange, en phytothérapie, on utilise ses feuilles, ses fleurs et surtout ses boutons qui sont les plus riches en principes actifs. Parmi ses innombrables bienfaits, l’infusion de boutons est recommandée pour tout ce qui

concerne les problèmes liés aux troubles émotionnels (stress, insomnies, angoisses, palpitations et autres angoisses). Autres avantages du bigaradier sauvage : pas d’effet secondaire, efficacité incontestable et coût dérisoire. « Qui a de la sauge dans son jardin n’a nul besoin de médecin. » La sagesse populaire ne se trompe pas. Depuis la nuit des temps, on lui reconnaît de précieuses propriétés ; elle est dépurative, antiseptique, antisudorale, antispasmodique, tonique, cicatrisante, antirhumatismale, et très efficace en cas de troubles circulatoires et de troubles liés à la ménopause.

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Santé prévention

Pourquoi l’huile d’argan ? L’arganier est un arbre endémique du Maroc dont les fruits contiennent une noix d’où les femmes extraient manuellement, et depuis des siècles, une huile utilisée dans la préparation des aliments mais aussi pour des préparations cosmétiques. Des études scientifiques ont prouvé ses multiples qualités et vertus dans bien des domaines. Mais le bois d’arganier étant aussi utilisé par les femmes pour cuisiner, il s’ensuit une grave déforestation contre laquelle il fallait trouver un moyen de lutter, en mettant en place un moyen de cuisiner écologiquement et économiquement.

Pourquoi des cuiseurs solaires ? Le premier cuiseur français solaire a été créé en 1949. Il fonctionne à l’aide d’une énergie gratuite, inépuisable, et sans émission de gaz à effet de serre et s’adapte parfaitement aux pays ensoleillés. Grâce à l’aide d’un scientifique, Denis Eudeline, il a été possible de mettre en place un centre de référence de cuiseurs solaires. Leur construction et leur utilisation facile permet de lutter contre la déforestation et la pollution, en économisant une quantité énorme de bois d’argan, et en favorisant la culture de cet arbre qui procure des revenus surs et équitables aux familles. Tout en s’assurant que ses patients seront traités avec les produits les plus sains, Jean-Jacques Descamps a mis en place au Jardin de Jacky, des innovations contribuant à l’amélioration des conditions de vie de nombreuses familles, en préservant leur qualité de vie, en sauvegardant l’intégrité de l’écosystème et en faisant de ce site une vitrine du potentiel marocain. N www.lejardindejacky.ch

Cadeaux !

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ous vous proposons d’offrir aux 20 (vingt) premières personnes qui téléphoneront au 021 626 04 41 : • soit un paquet de 50 grammes de boutons de Bigaradier Sauvage ; • soit un paquet de 50 grammes de Sauge Officinale Bio.

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Le billet de Dany

AuPaysdel’OncleVania oulesfastesdelaCourImpériale Robe de cour ayant probablement appartenu à l’impératrice Maria Feodorovna.

u milieu du XVIIIe à 1917, ils furent les témoins des violences de l'Histoire. Cette prestigieuse collection de costumes portés à la Cour de Russie a trouvé refuge au Musée de l'Hermitage à Saint-Pétersbourg. Depuis 1918, cette collection est déposée au département d'histoire des costumes du musée russe. Elle recèle des exemplaires de collections privées et des fonds des palais de la famille impériale et de l'aristocratie. A la même époque, l'Hermitage acquiert une série unique de vêtements masculins des débuts du XVIIIe connue sous le nom de

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Dany Vinet

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Habit d’apparat de l’empereur Pierrele-Grand. Berlin ? Vers 1720.

“Garde-Robe de Pierre le Grand” et comportant ainsi près de 300 vêtements portés par l'Empereur (1672-1725). Pierre le Grand exige que la cour adopte les tenues françaises et non plus les costumes russes, sous peine de terribles amendes pour les contrevenants. Costumes d'hiver ou d'été, tenues de jour et de soirée, de réception d'apparât à la cour et de promenades, de tous les jours ou de réception et de bal. C’est dans ces coûteux costumes de l'aristocratie que s'est manifestée, brillamment, l'habileté de nombreux créateurs de haute couture qu'ils soient tisseurs, tailleurs, brodeuses ou dentellières. Parmi ces maisons de couture se distingue avant tout l'atelier de Nadeja Pétrovna LAMANOVA (1861-1941), fondé en 1885 à Moscou. En peu de temps, la Maison N. LAMANOVA acquiert une immense popularité et obtient le droit de s'appeler “Fournisseur de la Cour”. On y retrouve également le couturier préféré de la dernière Impératrice russe Alexandra Feodorovna, August Lazarévich BRIZAK, propriétaire d'un superbe atelier à Saint Pétersbourg.


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Le billet de Dany

Le passé de la Russie fut merveilleux, son présent est magnifique. Quant à son futur, il échappe à l'emprise de l'imagination la plus hardie ; tel est le point de vue à partir duquel on doit écrire l'histoire de la Russie.

COMTE ALEXANDRE BENDENKORFF CHEF DE LA POLICE SECRÈTE EN 1830

Ce serait faire affront d'oublier de citer Madame Olga. Sa Maison, fondée au milieu du XIXe, exista jusqu'en 1917 (Olga Nikolaïevna BOULBENKOVA, 1835-1918). C'est précisément dans ces ateliers russes qu'étaient confectionnés les plus beaux costumes de l'aristocratie et de la cour de Russie. Ceux-ci mettaient aussi en exergue les fastes de la cour impériale, mais également en relief le superbe travail des couturiers occidentaux tel Charles Frédéric WORTH (1825-1895).

Mère Patrie de Pouckine, Mère Patrie de Lénine, Mère Patrie de mes enfants, Longue vie, long règne Au grand peuple souverain. Costume de cour : robe, corsage, jupe, traîne de velours bleu. SaintPetersbourg, Maison O. Boulbenkova, seconde moitié du XIXe siècle.

Pour comprendre le peuple russe dans sa démesure, il faut apprécier le mot “Rodina” (Patrie). Son pouvoir est intraduisible, il sonne un peu comme « Ô mon pays, je t'appartiens ! » Je me rappelle avoir été témoin, dans une salle de concert russe, de la salle entière, debout, émue aux larmes et applaudissant à tout rompre, avec émotion, le baryton au regard brumeux qui chantait avec ferveur le refrain (ci-dessus) patriotique d'EVTOUCHENKO. A tout âge, les Russes sont sentimentaux envers leur famille autant qu'à l'égard de leur Mère Patrie. N N.B.: Avec mes plus amicales pensées envers Halida JEMALETDINOVA de St Pétersbourg. Habit d’apparat ayant appartenu au grandduc Alexandre Pavlovitch, futur empereur Alexandre 1er. Fin du XVIIIe siècle.

Robe du soir ayant probablement appartenu à l’impératrice Maria Feodorovna. Saint-Pétersbourg, Maison A.L. Brizack, vers 1900.

Uniforme d’apparat orné d’aigles impériales et porté par le kamerfournier dont la dénomination est empruntée à l’allemand et qui avait pour charge de noter tout ce qui se passait au quotidien à la Cour. Saint-Pétersbourg; 1912-1913. Costume de cour. Robe, corsage, jupe et traîne, en soierie façonnée argent. Saint-Pétersbourg.

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La Russie africaine

Quandla Damedepique avaitdu cœur… EN PÉRIODE DE PAIN NOIR, CHACUN A SES VALEURS REFUGES. POUR MA PART, J'ÉTEINS MON ORDINATEUR ET SON FLUX INCESSANT D'INFORMATIONS NÉVROTIQUES, JE PARCOURS MA BIBLIOTHÈQUE AVEC SOIN ET ME PLONGE SANS TARDER DANS UN DE MES CHERS CLASSIQUES.

ouvent, je redécouvre par ce biais la grandeur d'un pays, l'âme d'un peuple ou, comme ce jour-là, l'idée d'un hiver à Saint-Pétersbourg. Celle de la lointaine Russie du XIXe siècle. Cet après-midi, en feuilletant les pages, la vie d'un homme, épique, surprenante, glorieuse prenait littéralement forme sous mes yeux. Si passionnante que la Valse des Flocons de Neige de Tchaïkovski semblait m'emporter loin de mon quotidien. Si loin qu'il me fallait faire un détour encore cent ans plus tôt, au siècle des Lumières, quelque part en Afrique pour arriver à bon port. Là, dans la principauté de Logone, dans le Bassin du Lac Tchad, soit l'actuel Cameroun, vivait le fils d'un prince. Un enfant nommé Abraham Hanibal.

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Abraham Hanibal voit sa sœur mourir près de lui La région subissait alors de nombreux conflits armés qui opposaient le peuple d'Abraham au Sultanat du Baguirmi. L'enfant et les siens furent faits prisonniers et déportés en Libye (tripolitaine), alors province ottomane, puis dans les villes de l'Empire. En raison de ce long voyage, Abraham, 7 ans, vit sa sœur mourir près de lui, l'arrachant définitivement aux siens. Son titre, ou peut-être sa bonne étoile, lui évita cependant un sort trop cruel. Conduit à Constantinople, il fut affecté au service du sultan Ahmed III en qualité de page, en raison de ses origines princières. Converti à l'islam, il passa ainsi une année entière auprès du Sultan. Il aurait pu vivre de la sorte encore longtemps si une autre puissance politique n'était pas intervenue dans l'histoire de ses jeunes années. En 1704, toujours à Constantinople, l'ambassadeur russe Savva Vladislavitch reçut une requête de son supérieur Piotr Andreïevitch Tolstoï, l'arrière-grand-père de Léon Tolstoï. L'ensemble de l'opération, ordonnée par Pierre le Grand lui-même était simple : l'ambassadeur Vladislavitch devait emmener des enfants noirs à la cour, le Tsar voulant prouver que ces enfants étaient aussi doués pour les arts et les sciences que leurs pairs russes et montrer qu'il fallait juger les gens davantage sur leurs capacités que sur la couleur de leur peau. Son prénom le destinant peut-être à être élu, presque bibliquement, Abraham fut choisi et conduit clandestinement en Russie. Destiné à vivre au sein de son rang quel que soit le pays, de sa petite Principauté à la grande capitale ottomane, ce petit garçon de 8 ans voyait encore son périple se poursuivre vers un autre Monde. La vie le plaçait à présent auprès de Pierre le Grand, Tsar de Russie.


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La Russie africaine Général en chef de l’Armée impériale russe L'histoire semble par la suite être étrangement réglée comme du papier à musique, tant les événements semblent s'enchaîner avec fluidité. Pris d'affection pour celui qui sera désormais son filleul, le Tsar officialisa son lien avec Abraham en le convertissant à la religion russe orthdoxe. Abraham Hanibal s'instruisit, grandit et fit preuve d'une vive intelligence. Il étudia en France, devint ingénieur militaire et acquit le titre faramineux de Général en chef de l’Armée impériale russe sous le règne de l'impératrice Elisabeth Petrovna. La seule mesure de la partition manquant à cette Valse des Flocons de Neige se situa à la mort de Pierre le Grand en 1725 lorsque Abraham fut exilé pendant 3 ans dans le goulag sibérien par le prince Menchikov avant d'être réhabilité par l'impératrice. Le "Chevalier noir dans la Russie des Tsars” dut faire preuve de talent, d'intelligence et de qualités humaines inimaginables pour accéder à des fonctions aussi importantes en Europe au XVIIIe siècle. L'histoire pourrait se terminer ainsi si la gloire ne cessait de frapper à la porte d'Abraham par-delà les générations. Décédé à 85 ans entouré de ses sept enfants issus de son mariage en secondes noces à Christine-Régine de Schoëberg, issue de la noblesse suédoise, l'un d'entre eux, Joseph, deviendra le grand-père d'un homme qui élèvera la littérature russe au statut qu'on lui connaît aujourd'hui. La Grandeur d'Abraham se poursuivra à travers les écrits de son arrière-petit-fils : Alexandre Pouchkine. En poursuivant cette histoire, le vent semble tourner, l'humeur changer. Une autre musique vient m'entêter. Tchaïkovski reste parmi nous car la Valse des Fleurs débutera cet acte. Plus légère, plus fougueuse, plus passionnée. Oisive à sa manière et pourtant pleine d'énergie, elle reflète le peuple russe du XIXe siècle. Elle reflète la naissance de la littérature russe. Elle reflète Alexandre Pouchkine, celui que l'on considère comme le premier grand auteur russe.

Alexandre Pouchkine.

Jeune et talentueux, Alexandre Pouchkine multiplie les conquêtes Si son aïeul eut une enfance faite de déchirements et de défis, par instinct de survie probablement, Abraham sut s'imposer une

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discipline par ses fonctions militaires, devenir le confident du Tsar et ainsi jouir d'une longue et glorieuse vie. Alexandre au teint olive et aux cheveux crépus, lui, semble de prime abord, être le fruit capricieux de l'aristocratie moscovite. Il est jeune, talentueux, plaît aux femmes et ne s'en gêne pas pour en tirer orgueil. « Toute parole hardie », écrivait Pouchkine, « toute œuvre révoltante m’est attribuée d’office ». Francophile, comme presque tous les artistes de cette époque, son génie vient du fait qu'il a su, à travers ses inspirations, donner une voix propre à la Russie tout en lui offrant une palette de styles impressionnante. A 20 ans, il avait déjà écrit plus de 200 poèmes. En écrivant "Boris Goudnov", il sut enrichir le théâtre russe jusque-là encore bien pauvre. Il se posa en tant qu'historien en publiant ses recherches dans "L'émeute de Pougatchev". Et voilà qu'il publie un

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La Russie africaine >> roman fantastique avec la "Dame de Pique"

à peine éclipsé par "La Fille du Capitaine" inaugurant le roman historique russe. Sa plume soulève gaiement le voile gris qui se pose dans l'imaginaire collectif lorsque l'on évoque la Russie. Elle trace avec légèreté l'espoir de sa génération, le flux intellectuel qui se glissait alors dans tout le sang de notre continent et qui se retransmettait bien plus enrichi encore. Si pressé d'écrire, d'aimer et de vivre dans l'insolence de sa jeunesse qu'il s'attire très rapidement l'inimitié de nombreuses personnes, des artistes bien sûr mais surtout de la Cour. Du gouverneur de la ville au Tsar en passant par ses concurrents amoureux, le jeune homme colérique et moqueur agace et fascine. Certes, pour l'amour d'une jeune fille, il n'hésite pas à provoquer un duel. Toutefois, les choses s'aggravent lorsque ses aspirations politiques prennent le pas face à l'autocratie et le servage.

Samira.Aguerguan@hotmail.com

Pouchkine écrira dans les campagnes russes ses plus belles œuvres La punition est aisée dans le paysage russe. Alexandre subira un exil de six ans dans le Caucase et en Crimée. Pour ce mondain, la solitude est pesante. Mais elle a le mérite de l'éloigner de l'action, ce qui l'oblige à l'introspection et à la contemplation. L'ennui est une hélice puissante à la créativité et Pouchkine écrira dans les campagnes russes ses plus belles œuvres. Ne vous faites pas d'illusions, sa vie sera aussi courte et belle que la Valse des Fleurs. Alexandre avait certainement conscience de son espérance de vie sur cette terre. Lucide peut-être aussi, en écrivant "Eugène Oniéguine", où il décrit un duel qui ressemble étrangement au combat singulier qui lui coûtera la vie. Le décor hivernal est le même. Son adversaire, tout comme dans son œuvre, est un dandy, un brillant officier français, Georges D'Anthès qui faisait une cour ouverte à la belle et coquette épouse de l'écrivain. Humilié et toujours passionné à 37 ans, Pouchkine provoque l'affrontement, mais l'on devine vite la tragique issue d'un duel où un écrivain combat un officier. Contribuant à la légende, son empreinte restera plus fraîche dans la mémoire de la

Le duel qui opposa Georges d’Anthès à Alexandre Pouchkine.

Samira Aguerguan

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littérature en ayant succombé en pleine gloire. Casse-Noisette est terminé depuis plusieurs minutes quand je ferme mon livre. Je reste dans le silence encore quelques instants pour me représenter la campagne enneigée, la cour et ses fastes, la verve d'Alexandre les soirs de fêtes, cette Russie étonnante dont l'histoire de ces derniers siècles fut si fortement imprégnée par son Chevalier Noir et ses descendants. De ces signes qui font sourire lorsque l'on comprend que l'arrière-grand-père de Tolstoï ordonna le transfert de l'arrière-grandpère de Pouchkine en Russie. Et finalement qu'Alexandre inspira toute la génération suivante de Gogol à Dostoïevsky en passant par Tolstoï lui-même. Il est maintenant temps de revenir dans mon siècle qui se résume par une touche universelle, celle d'allumer son ordinateur. En parcourant les informations, une icône sur la Russie m'interpelle en bas de page. Après mon voyage littéraire, je décide de poursuivre un peu le périple et clique sur le lien. Là, un article de quelques lignes apparaît dont le titre me transmet l'information nécessaire, sans fioritures : "Nouveau meurtre raciste, l'enfer des Camerounais en Russie". Et je me sentis tout à coup bien triste pour cet enfant nommé Abraham Hanibal. N


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Littérature

2010, ANNEE DE LA RUSSIE EN FRANCE

Les

LA RUSSIE EST VASTE, LIRE ET ÉCRIRE EST SYNONYME DE LIBERTÉ D’EXPRESSION EN FRANCE, EN RUSSIE, À L’ÉPOQUE, ELLE PERMET DE VÉHICULER LA PROPAGANDE AVEC UN MESSAGE POLITIQUE ACCEPTABLE.

omment était la Russie il y a 100 ans ? La littérature des 19e et 20e siècles nous en donne une idée. Les Alliances françaises de Russies se trouvent à Ekaterinbourg, Irkoutsk, Kazan, Nijni-Novgorod, Novossibirsk, Perm, Rostov-sur-le-Don, Samara, Saratov, Togliatti.

C

Brève revue d’histoire • 862 - 912 : Dynastie des Princes de Novgorod et de Kiev - Création de la Russie de Kiev, dont fait partie la Moscovie. • 1223 : Début Invasion mongole (Khanat de la Horde d'Or). Les Mongols sont appelés "Tatars" par les Russes.

grands écrivains russes

• 1237-1242 : Les Invasions tataro-mongoles, 50 % de la population russe périt, on détruit toutes les grandes villes russes, excepté Novgorod. • 1613 : Tous les États élisent tsar Mikhaïl Romanov. • 7 novembre 1917 : Révolution d'Octobre • 1961 : Premier vol de l’homme dans l’espace, Youri Gagarine. • 1988 : Gorbatchev engage la Glasnost (“transparence”) pour la liberté d’expression et d’information. • 2 janvier 1992 : Début de la mise en place des réformes menant à la "privatisation accélérée".

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Littérature Selon Nabokov « la littérature est une chose farouche, fantaisiste, et libre ». Selon Kroutchev, en 1957, « la littérature (…) doit être pénétrée de l’esprit du communisme et de la discipline collective. » Pouchkine

Doistoievki

Tchekov

Biély

des détails historiques sur l’agriculture en 1870 avec les zemstvo, où les paysans étaient encore des serfs. Tchekov était médecin. Il a participé à la création d’une bibliothèque, d’un théatre, d’un laboratoire de recherche biologique, d’un musée de beaux arts à Moscou et en Crimée. Ces récits de 1880-1890 donnent des détails historiques sur la Russie. Gorki : il a eu une enfance malheureuse et a commencé à travailler à 10 ans. Il fut clochard, boulanger, docker, et rédacteur d’un journal, révolutionnaire. Blok : botaniste, diplomé, aristorcrate. Il s’inspire de la révolution bolchévique. Selon lui, « on enlève aux artistes la paix et la liberté, et... la volonté de créer. » Biély : Il visite toute l’Europe. Il soutient la révolution russe en URSS où Léon Trotsky condamne avec mépris l'écrivain Biély dans son ouvrage “Littérature et Révolution”.

Les principaux écrivains russes Pouchkine était un génie subtil, imaginatif et personnel. Gogol avait pour Leitmotiv la rondeur, les contes drôlatiques, l’instabilité imaginaire, tel un peintre avec des métaphores et des envolées lyriques qui donnait vie aux personnages. Pour lui, un livre était un rêve fantastique peuplé d’un étrange charme. Tourgeniev réalisait des petits tableaux de personnage avec idéalisme et humanité. Il décrivait admirablement la nature. Ces “jeunes filles” sont toujours brillamment décrites dans leur douceur et leur force morale. Doistoievki était pauvre et epileptique. Ivan le Simple, le plus grand héros du floklore russe incarne la ruse qui triomphe des Grands. Ces personnages sont malades, fous, psychopathes ou hystériques. Tolstoi : il traitait le thème de la vie et de la mort. Ses personnages semblent tellement réels qu’ils ressemblent à nos amis. NB : Liovine et ses problèmes agraires donne

La végétation, inspiration des écrivains russes La toundra : 2 millions de km². Elle se développe principalement sur un relief de plaines et de bas plateaux et atteint son extension maximale en Sibérie Centrale entre les cours inférieurs de l’Ob et de la Léna. La taïga : c’est la forêt boréale. 4,5 millions

ÉCRIVAINS

ŒUVRE

STYLE

ÉVÉNEMENT

ANNÉE

Gogol

Les âmes mortes, L’inspecteur du gouvernement

Lyrique

Pauvre, voyage en Europe

Célèbre 1830-1840

Tourgueniev

Souvenirs d'un chasseur, Roudine, pères et fils

Prose

Riche, il a émancipé ses serfs. Ami de Mérimée et Flaubert

1818-1883

Doistoevski

Crimes et châtiment, Le double, L’idiot…

Roman noir et sentimental

Il a été déporté 8 ans de travaux forcés en Sibérie

1821-1881

Tolstoï

Anna Karénine

Romancier et nouvelliste

1877-1910

Tchekhov

Les 3 sœurs

Dramaturge

1860-1904

Gorki

Les bas-fonds

Naturel

Pouchkine

La fille du capitaine

Andrei Biely

Les Carnets d'un Toqué

Poète

Alexsandr Blok

L'Inconnue (Neznakomka)

Symboliste, impressioniste

Emprisonné 2 fois et relâché du fait de l’opinion publique

1868-1936

Il fut exilé

Célèbre 1820-1830

Son association de Philosophie indépendante du Marxisme est interdite en 1921

1880-1934

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1880-1921

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Littérature >>

La Russie en chiffres Superficie : 17 millions de km2 (1/8 des terres émergées) sur 11 fuseaux horaires (de GMT + 13 à + 3). Frontière de la Russie avec chaque pays : Azerbaïdjan (284 km), Biélorussie (959 km), Chine (3 645 km), Estonie (294 km), Finlande (1313 km), Géorgie (723 km), Kazakhstan (6 846 km), Lettonie (217 km), Mongolie (3 441 km), Corée du Nord (19 km), Norvège (167 km), Ukraine (1 576 km) Au sud, entre la mer Noire et la mer Caspienne, se dresse la barrière montagneuse du Caucase, montagne jeune, fortement sismique. Le Grand Caucase au nord forme la

de km² en Sibérie, pins noirs et mélèzes sont plus fréquemment rencontrés. Steppes : un sol noir très fin, colloïdal, le tchernoziem. La végétation y est basse et laisse parfois le sol à nu. Ces paysages marquent la majeure partie du territoire russe. Les montagnes et fleuves : à l’est, de l’Altaï au Kamtchatka, au sud le Caucase… L’Ob (3 700 km) ; le Ienisseï (3 500 km), la Léna (4 400 km), l’Amour (4 350 km) qui se jette dans la mer Caspienne. Les fleuves les plus longs sont : l’Amour (2 874 km), fleuve d’Extrême-Orient, servant de frontière entre la Russie (Sibérie) et la Chine du Nord-Est (Mandchourie). La Volga (3 700 km) est le fleuve le plus long d’Europe. Le plus grand lac intérieur est le lac Baïkal (31 500 km²), situé en Sibérie orientale.

frontière avec la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Il culmine à 5 642 m d’altitude au sommet du mont Elbrouz, volcan éteint et plus haute montagne d’Europe. Population : 142,5 millions d’habitants dont 82% de Russes et près de cent autres “nationalités” ou ethnies. Ressources naturelles : pétrole, gaz naturel, fer, or, platine, aluminium, nickel, etc. La Fédération de Russie couvre un huitième de la surface de la terre, depuis l’Est de l’Europe jusqu’au nord de l’Asie ; elle est la nation la plus étendue au monde en termes de territoire.

place en sens interdit mais est ramené dans le rang après 8 ans de travaux forcés en Sibérie sous un ciel bleu gris. Vassiliévitch mangeait des kokourkis et des krendels bruyamment tandis que Natalia Médvendenko dégustait des Rassolniks et écoutait son voisin ronfler. L'œil charmé par les forêts de l'Oural et du Caucase. les feuilles frémissent en écho aux tourbillons de vents glacés. La passion pure de Natalia pour Vassiliévitch se confond avec le mystère des steppes. Cette douce jeune fille de Tourgéniev libre émancipée s'est envolée. Ivan, l'idiot, la dépossédée de son cœur et

Les films à voir et à revoir de grands réalisateurs russes

Mes auteurs russes préférés : Tchekhov, Ludmila Oulits. Un de mes scénarii relatifs à la culture russe : Nouvelle : Istina Oubrazouietsia (ça va aller) Depuis 800 sous l'ère de Rurik, le pays avait peu changé : les hommes rêvaient leur idéal d'abnégation et leur élévation morale. 1. Semaine dans la vie des personnages multiples détails - évocation du son. a) A Nourmansk, il fait nuit durant 3 mois, les enfants dessinent des soleils. Pendant le reste de l'année, il fait jour 24 heures sur 24, les hommes se comportent comme des fleurs et fanent. La sensation de vert s'accentue le long des espaces traversés par le train. Le vent hurlait dans les arbres. les oiseaux chantaient. Vassiliévitch Pétrovitch, le terroriste se dé-

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• L’Arche Russe d’Alexandre Soukourov. Un oblomovisme est un état d’esprit russe dans la littérature et le cinéma qui présente un sentiment de culpabilité et de fatalisme. • Requiem pour un massacre de Elem Klimov • Les plus grands réalisateurs de A. Dovjenko : Poudovkine, Eisenstein, Khodataev, et Quelques jours dans la vie d’Oblomov.


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Littérature de ses idéaux, délaissé avec leur fils, lorsqu'ils s'est suicidé pour se venger de la société. Recueilli par Vassiliévitch, un Nihiliste du Kazakstan, Natalia se reproche d'être vivante. La lumiere est éclatante, la température glacée (ambiance chambre verte à la Truffaut). b) À Yalta, le voisin Illitch Pavlov riait, tandis que Macha Ivanovna lui chuchotait des soupirs amoureux. Elle nettoyait les samovars, casseroles dans un tintamare assourdissant.

2. Synchronisation de la vie des personnages - évocation du mouvement. Vassiliévitch avait passé 8 ans en Sibérie, il était dynamique. Macha et Illitch passaient leurs semaines à travailler et leur week end à s'aimer. Leurs gestes tendres et leurs regards qui se croisaient en disaient long sur leurs péripéties. Natalia ne dormait pas de la nuit depuis la mort d'Ivan et se tournait dans son lit tel un poisson volant dansant une mazurka. Illitch part en Europe. Il trouve les Européens amoureux de l'art et les Américains de l'argent, et se demande à lui-même (voix off : la conscience d'illitch parle aux spectateurs) : où sont passés les repères : la famille, le couple, Dieu, les nations et les gouvernement providence, les sociétés paternalistes ? tout est uniformisé. Natalia meurt de la tuberculose. 3. Triangulaire la vie des personnages évocation de couleur. Dans le village rempli de maisons vertes et blanches au bord de la Mer Noire, Vassiliévitch et Macha devinrent amant. Ils voyaient la vie en rose. Les nuages lilas et l'aurore naïve leur réchauffait le cœur. Illitch Pavlov réapparaît à l'auberge et voit rouge en les apercevant. Il mange une assiette de chtchis (chou) verts kakis, et chante d'une voix sombre : « Je suis allé jusqu'à l'Amour, le Caucase, la Crimée, et j'ai perdu ma fiancée... ». Il se suicide dans un bain de sang violet-noir qui envahit la rue. Épilogue : « La suite, vous pouvez aisément l'imaginer ».

La Russie via les médias

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es francophones expatriés et russophiles pourront retrouver la Russie Actuelle via les médias : • Radio “La Voix de la Russie” en langue française : http://www.ruvr.ru/index.php?lng=fre • Télévision “Russia Today” en langue anglaise : http://www.russiatoday.com/en

Conclusion La lecture d’un livre procure un plaisir malin et sain, ponctué de frissons et de bienfaits pour le cœur et le cerveau. Mais les cinéphiles peuvent également se divertir avec un grand choix de cinéastes sur www.burlak.by.ru. N

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Francophonie

L’exemple Jura

du

DANS “ALOUETTE”, LE BIMESTRIEL DE L'ASSOCIATION SUISSE DES JOURNALISTES DE LANGUE FRANÇAISE, JEAN-PIERRE MOLLIET ÉVOQUE LE PROJET DE LOI JURASSIEN POUR DÉFENDRE LA LANGUE FRANÇAISE.

’Etat du Jura a mis en consultation une loi promouvant l'usage de la langue française. En cas d'acceptation par le Parlement cantonal, il sera le premier canton doté d'un texte législatif pour défendre le français. Le groupe de travail qui a planché sur le sujet a su éviter les pièges inhérents à un domaine qui touche à la fois aux libertés individuelles et collectives. Il a réussi l'exercice qui consiste à édicter des recommandations - et non des mesures coercitives - sans verser dans un nationalisme étriqué de fermeture sur soi, d'exclusion. Le projet de loi jurassien, inspiré notamment de la loi 101 au Québec et de la loi Toubon en France, mentionne que « le français est la langue des autorités et que celles-ci sont tenues d'en faire un usage correct, compréhensible et de qualité ». L'Etat désire se donner les moyens non seulement de favoriser l'usage de la langue de Molière, mais également d'en promouvoir le rayonnement sur le territoire cantonal en visant au recours du français dans tous les domaines de la vie courante. Il édicte des recommandations, en particulier afin de

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« bannir les anglicismes inutiles et choquants ». En faisant office de pionnier, le Jura s'inscrit dans la mouvance de l'Unesco qui exhorte la diversité des expressions culturelles qui passe par la diversité linguistique. A ce sujet, le Gouvernement jurassien précise que la promotion de la langue française doit être en adéquation avec celle du plurilinguisme. Autre nouveauté : la création d'un Conseil de la langue française nommé par le Gouvernement pour la durée de la législature. Dans le lot des attributions de cet organisme : la coordination des actions avec les organismes de gestion de la langue française en Suisse et à l'étranger. On ose, dès lors, imaginer que le Jura sera le premier canton helvétique à adhérer à l'association internationale des Régions francophones. En conclusion, nous ne résistons pas au plaisir de vous dévoiler l'article 9 de cette loi : « L'Etat assure un enseignement qui permet la maîtrise et suscite L'AMOUR de la langue française. » N JEAN-PIERRE MOLLIET JOURNALISTE CP 725 - 2800 DELEMONT

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Langage

languerare ans un document intitulé « Le français, langue rare », le commissaire chargé du multilinguisme à la Commission européenne à Bruxelles, le Roumain Leonard Orban, s'inquiète de la disparition des interprètes francophones : « faute d'accroissement du nombre de diplômés qualifiés issus des écoles d'interprètes et des universités, les institutions de l'Union Européenne perdront près de la moitié de leurs interprètes de conférences francophones dans les dix années à venir du fait des départs à la retraite », ces fonctionnaires ayant été recrutés dans les années 70-80. Cette pénurie n'existe pas qu'au sein de l'UE, mais aussi dans toutes les institutions utilisant le français, comme

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les Nations Unies. La Commission rappelle que « les effectifs de l'unité française sont critiques pour le fonctionnement du service d'interprétation de la Commission et audelà, pour les institutions et organismes qu'il dessert », Les raisons de cette pénurie d'interprètes, selon le document, résident dans la domination de l'anglais : « l'usage croissant de l'anglais comme moyen de communication à l'échelle mondiale a véhiculé une croyance répandue selon laquelle la faculté de parler anglais suffit pour les contacts internationaux, à la fois pour le travail et pour la vie personnelle ou sociale ; par voie de conséquence, le nombre de jeunes gens apprenant les langues a sensiblement diminué ». Or, contrairement à cette croyance, tout le monde ne parle pas anglais et, surtout, rares sont ceux qui le parlent parfaitement. La Commission, qui estime ses besoins à 200 interprètes francophones au cours des dix prochaines années, note aussi que le nombre d'interprètes de langue anglaise, allemande, italienne et néerlandaise qui vont partir à la retraite est également important. N

L’anglaisestundangermortel Claude Hagège pourladiversité deslangues Professeur au Collège de France

ans Le Point, le linguiste Claude Hagège se révolte contre la toute-puissance de l’anglais. Si on accepte l’existence d’une langue de communication mondiale, à laquelle on prête naïvement un rôle purement utilitaire, on accepte à terme qu’une langue exerce son hégémonie. L’anglais est un danger mortel pour la diversité des langues. Bien sûr, les langues vivent d’emprunts. Seulement, au-delà d’un certain seuil, il ne s’agit plus d’emprunts, mais d’invasion, en particulier quand la langue pourvoyeuse est celle d’une grande puissance. L’américanisation du français est ridicule. Mais l’exemple du Québec montre qu’on peut résister. En 1975, quand le Parti québécois de René Lévesque a fait voter la loi 101 qui fait du français la seule langue officielle de la Belle Province, tout le monde s’en est gaussé. Mais ce fut un succès. Lacordaire disait, comme on sait : « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » Le recours à la loi est indispensable. Sinon, dans deux siècles, nous parlerons tous anglais. N

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Écologie

Écologie

La Fondation a pour buts dans ses articles de : Art. 4 - But : • Développer et promouvoir le “Lycée Français Maurice Druon - Genève”, en particulier dans les six cantons romands (Fribourg - Genève - Jura - Neuchâtel - Valais - Vaud) ; • De rassembler tous les Français de Romandie y compris les binationaux, dans un esprit oecuménique ; • De promouvoir la pensée, la culture et la langue française. • La Fondation peut effectuer toute opération se rapportant directement ou indirectement à son but. Art. 7 - Ressources : Les ressources de la fondation sont les revenus de ses avoirs et de ses activités, ainsi que tous les dons, legs, subventions et autres attributions, de quelque nature que ce soit, qu'elle recevra, mais que le conseil de fondation est libre de refuser. Les biens de la fondation doivent être placés conformément aux éventuelles dispositions légales en la matière.

Est-il besoin d'apporter les précisions suivantes : • Les comptes de la fondation sont controlés à chaque exercice annuel par un audit agréé & indépendant. • Chaque opération requiert la double signature. • Les comptes annuels de la fondation “Lycée français Maurice Druon - Genève” dûment audités paraîtront dans France Magazine tous les ans. Le Conseil de Fondation : Madame Sandra Coulibaly-Leroy, Madame Marie-Thérèse Clausen, Madame Danielle Vinet, Monsieur François Bellanger, Monsieur Jean-Pierre Capelli, Monsieur Nicolas de Ziegler, Monsieur Marceau Kaub, Monsieur Pierre Oliviéro & Monsieur Serge Cyril Vinet. Souhaiterait lancer un appel à Souscription à tous les citoyens français ou double-nationaux qui résident dans les six cantons romans, soucieux de se voir ériger le lycée français auquel ils aspirent depuis bien longtemps.

COMITE d'HONNEUR Favorable au projet du Lycée Monsieur Claude Hagège, professeur au Collège de France Madame Jacqueline de Romilly de l'Académie française Monsieur Christian Cabrol, membre de l'académie de médecine, professeur de médecine - Monsieur Dominique Paillé, ancien conseiller du Président de la République Madame Christine Arnothy, écrivain - Monsieur Philippe d'Estienne du Bourguet, industriel - Monsieur Robert Berghe, Directeur de lycée français à Lausanne - Monsieur Philippe Dubois, chef d'état-major de la police vaudoise Monsieur Michel Charasse, ancien ministre, sénateur du

Puy de Dôme - Monsieur Jean-Claude Casadesus, Chef de l'orchestre national de Lille - Madame Nicole Guedj, ancien ministre, Conseiller d'Etat - Monsieur Pierre Bergé, mécène - Monsieur Alain Larcan, ancien président de l'Académie de médecine, président de la fondation scientifique du Général de Gaulle - Monsieur David Khayat, membre de l'Académie de médecine, professeur de médecine Monsieur Christian Poncelet, ancien ministre, ancien président du sénat, sénateur & président du Conseil Général des Vosges - Monsieur Paul Lombard, Avocat.

Bon de Souscription

Je soussigné, m'engage à contribuer personnellement à l'édification du Lycée Français Maurice Druon - Genève par un versement annuel d'un montant de 500 chf (Cinq Cents Francs) pour une durée de Cinq années (5 ans) sur le compte bancaire de la fondation en constitution du même nom. La construction du lycée s'élevant à 35 Millions de Francs suisses (35.000.000 chf) ; si le projet ne démarrait pas, les souscripteurs se verraient intégralement remboursés de leurs dons. Faut-il préciser que les dons uniques sont les bienvenus. Nom : ......................................................................Prénoms : ........................................Date de naissance :……………………………… Profession :........................................................................................................................Nombre d'enfants scolarisés :……………… Adresse : ........................................................................................Code & Ville :..............................................Signature : Banque Cantonale de Genève - N° de prestation : 5017.95.54 Franc suisse - S. Vinet Rubrique LYCEE FRANCAIS MAURICE DRUON GENEVE - N° IBAN : CH6200788000050179554 N° BIC/SWIFT : BCGECHGGXXX - Clearing/CB : 788 - Uniquement par virement. À retouner dûment signé à Fondation Lycée français Maurice Druon - Genève 38A, Malagnou Park - CH 1208 Genève

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Langage

Quivasauver DEPUIS QUELQUES SEMAINES, LA FRANCE EST AGITÉE PAR L'UN DE CES GRANDS DÉBATS DONT ELLE RAFFOLE : BEAUCOUP D'EFFERVESCENCE, AUCUNE INCIDENCE SUR LE RÉEL. L'ORTHOGRAPHE EST DEVENUE, À LA SUITE NOTAMMENT DE LA SORTIE DU LIVRE DE FRANÇOIS DE CLOSETS, UNE PASSION NATIONALE ET ON FEINT DE S'APERCEVOIR AUJOURD'HUI DE L'EXISTENCE D'UNE CATASTROPHE QUI, AU FIL DES ANNÉES, N'A CESSÉ DE S'AMPLIFIER.

our ma part, si j'osais, j'y ajouterais volontiers le délitement préoccupant de l'expression orale et, si j'avais encore plus d'audace, je rêverais d'un enseignement qui permettrait à notre société de se "tenir droit", une sorte d'orthocivisme. Notre orthographe se délite au point que des directeurs d'IUT vont remettre la dictée à leur programme et qu'un certificat d'orthographe correcte pourra être joint maintenant à une demande d'emploi. On a longtemps refusé de considérer le mal en face. On l'a pris au contraire en patience soit en affirmant, singulièrement et collectivement, qu'on ne pouvait rien faire et que notre impuissance était en quelque sorte fatale, donc excusable soit, par un procédé plus subtil et pervers, en dévaluant ce dont on n’avait pu empêcher la dégradation. De même que certaines bonnes âmes s’habituent aux malfaisances que la délinquance cause aux autres en s'affichant sensibles et compréhensives à l'égard des transgressions - que faire contre elles sinon les constater, paraît-il ! -, de même l'orthographe a connu un somptueux naufrage qu'on affirme imposé par l'inéluctable pression du siècle. Aujourd'hui, il y a branle-bas de combat. “Le Parisien” relève "le top 10 des fautes" mais en a oublié une car mon expérience de la radio et de la télévision m'autorise à si-

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gnaler qu'une erreur grave et fréquente est commise au point qu'on se demande si la règle est encore connue. Il s'agit, avec l'auxiliaire avoir, de l'accord si le complément d'objet direct précède : combien de fois ai-je entendu « je crois que je l'ai pris » alors même que le complément antérieur était au féminin. Carence d'autant plus inadmissible à la télévision où le prompteur est lu, c'est donc la chaîne qui est déficiente ! Des hommes politiques, des ministres, des présentateurs de journaux télévisés s'abandonnent à cette impropriété et nous écorchent l'esprit, l'oreille. Je crois que pour restaurer une orthographe globalement acceptable, sans vouloir aborder le problème d'une culture générale qui en est le terreau nécessaire, il faut au moins considérer que l'écrit et l'oral ont part liée et qu'on ne saurait dissocier la bataille en faveur du premier en laissant le second aller à vau-l'eau. J'insiste sur les politiques et les médias parce que l'effort doit d'abord et principalement porter sur ces professions qui, exprimant et diffusant publiquement, se trouvent avoir une responsabilité particulière sur l'esprit du pays. Elles peuvent le dégrader davantage par leur exemple ou insensiblement lui redonner le goût de la qualité du langage. Je suis en effet persuadé que si des images discutables altèrent parfois les têtes à cause de

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Philippe Bilger AVOCAT GÉNÉRAL DU BAREAU DE PARIS


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Langage la publicité, une lumière en revanche peut être suscitée par des modèles que nous ne pouvons guère éviter médiatiquement. L'exemple doit venir de haut pour que tous au moins se sentent mobilisés par une telle entreprise. Au quotidien. La beauté de la France, la beauté de son Iangage : c'est un respect qui en vaut bien un autre. Cette volonté d'imaginer un moyen, une méthode pour remettre à niveau ceux qui parlent et écrivent le français en le dénatu-

rant, est d'autant plus urgente que la sphère médiatique en particulier ne se tait pas à hauteur de ses imperfections de langage. On n'a jamais connu au contraire tant d'oralité, puisque, comme l'a justement indiqué Serge July dans un livre récent (« Faut-il croire les journalistes », éditions Mordicus), de plus en plus le débat et sa prolixité remplacent l'information et sa densité factuelle. Le "bla-bla sportif”, lui aussi, est devenu insupportable et il tue littéralement, en l'étouffant, l'enseignement primordial qu'apportent les images. Le paradoxe est donc que dans le monde politique mais sur un autre registre et dans la

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bulle médiatique, moins on parle bien le français, plus on est appelé à le parler. Je propose que pour l'ensemble des représentants emblématiques de la parole publique - cette parole, nous étant adressée et transmise, nous concerne au premier chef - il y ait des cours d'oralité qui ne devraient pas négliger les bases pour les moins doués. Il n'y aurait là rien de choquant. Lancer dans l'espace public des paroles qui ne font pas honneur à la forme - je ne discute même pas du fond qui représente une tâche qui mérite qu'on l'apprenne et qu'on la maîtrise. La politique de civilisation, un temps évoquée par le président de la République puis apparemment remisée dans le placard des concepts inutiles, serait de fait utilement mise à contribution pour appuyer un volontarisme en faveur d'une culture pas seulement de strass et de paillettes : une culture de l'écrit "droit", de la parole "droite" et d'une société "droite". C'est un sillon qu'il conviendrait de creuser avec acharnement, tant le désastre a pris de l'avance. Qu'on ne s'y trompe pas : s'il y a une volupté du déclinisme, il y a surtout, de la part de ceux qui partagent mon point de vue, une indignation encore impuissante contre les massacreurs tranquilles, inconscients ou vulgairement destructeurs de la langue, de la France et de son renom au travers d'elle. Ils sont, eux, les véritables responsables d'un déclin qu'il serait déjà beau de pouvoir limiter. Cet affaiblissement plante son poison dans l'âme du pays et a évidemment des conséquences aussi sur son rayonnement et sa force d'attraction. Que quelques intellectuels parlent et écrivent parfaitement le français ne me console pas. Le citoyen serait-il voué à l'ordinaire ? Je refuse un français à double vitesse. Ou une orthographe de classe. N LA GAZETTE DE LA FRANCOPHONIE N°42


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Grand Prix Littéraire Jean d’Ormesson 2009

RemiseduGrandPrixau

Lauréat2009 Roger Cunéo, lauréat 2009, avec “Maman, je t’attendais”, éd. Favre.

'est le mardi 24 novembre à 12 h 30 que le Maître de Cérémonie Eric Benjamin reçoit son Excellence Monsieur l'Ambassadeur de la Francophonie auprès des Nations Unies de Genève, Monsieur Libère Bararunyeretse. L'ensemble du Comité de lecture était présent pour accueillir le Lauréat 2009 du Grand Prix Littéraire Jean d'Ormesson, Monsieur Roger Cunéo, accompagné de son Editeur Pierre Marcel Favre des éditions Favre et de son assistante, Madame Sophie Rossier. Après avoir fait les présentations d'usage, comme il se doit, Monsieur Eric Benjamin rappelle que Monsieur Libere Bararunyeretse fut auparavant ministre des Affaires étrangères et président du sénat au Burundi avant de prendre ses fonctions d'ambassadeur, représentant la francophonie auprès des Nations Unies à Genève depuis 2006. Son Excellence, soulignant le plaisir et l'honneur d'être parmi nous en cette occasion, nous indique qu'à ses yeux, une manifestation de cette importance ne pouvait se dérouler sans que la francophonie y soit présente. C'est non seulement un label mais c'est aussi un devoir. De préciser aussi la mission de la francophonie dans le monde, une mission de tous les instants, s'appliquant sans relâche à l'implantation de la langue et la culture française partout où cela est possible et notamment dans les lieux peu francophones. Eric Benjamin donne ensuite la parole à Serge Cyril Vinet, fondateur du Grand Prix Littéraire Jean d'Ormesson, pour la Présentation des membres du Comité de Lecture : • Marie-Claude Pissetaz : Multiculturelle à bon escient,

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de la peinture à la musique, de l’écriture au Théâtre, elle est le témoin culturel de tous les instants. • Sandra Coulibaly : C’est l’image même de la Francophonie. Jeune, vive, pluriculturelle, attachée à la langue de Molière autant qu’à ses racines. • Sophie Wallez : Outre ses talents de trait d’union entre les arts, au sens noble du mot, communicatrice émérite, elle ajoute à son violon toute l’émotion de la poésie. • Dany Vinet : Que je connais bien… ne passe pas une semaine sans avoir dévoré deux ouvrages. Véritable Française de l’Etranger et avocate inconditionnelle de la francophonie. • François Bellanger : Nous confirme chaque jour la preuve qu’une plaidoirie sur les maux de l’existence et de notre société ne peut se faire sans mots d’esprit. • Eric Benjamin : Véhicule la courtoisie et l’amabilité puisant à une tradition presque disparue, comme une image qui lui va si bien. • Nicolas de Ziegler : A très vite compris que le premier degré de la folie est de se croire sage, le second est de le proclamer. • Antoine Frasseto : Toute son expérience diplomatique lui confère un soupçon d’indulgence et de trouver dans toutes déraisons les raisons de suspendre son jugement. • Darius Rochebin : Comme les Japonaises


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qui pratiquent l’art de l’Origami, il privilégie la justesse du pli à l’éclat de l’habit. • Jean-Pierre Wallez : Représentant Claude Imbert (fondateur du Point), il nous fait l'amitié d'être parmi nous, délaissant ses partitions et son violon pour nous distiller quelques mots d'esprit dont il a le secret. • Serge Cyril Vinet : Solitaire de nature, réactionnaire d’esprit, anarchiste de cœur ; écolier et timide contrarié, je resterai, savourant les mots que l’on ne prononce pas comme des fleurs du silence. Ce dernier adresse ensuite, au nom du Comité de lecture les sincères Félicitations à Monsieur Pierre Marcel Favre et toute son équipe. Qui a osé remettre l’église au milieu du village, comme on dit ici, en prenant son métier d’éditeur à la lettre comme dans l’esprit. Car il faut bien souligner que le tournant dans l’histoire de l’Edition, c’est le moment où les gens qui savaient compter se sont mis à commander ceux qui savaient lire. Alors qu’avant, c’était l’inverse. Puis, s'adressant vers le lauréat par ces Quelques Mots : « Je ne peux pas séparer l’image de votre visage de votre ouvrage. Vous portez dans vos yeux la force de votre cœur ! Ayant reposé votre livre.

Ci-dessus : Le Lauréat entouré de Mesdames Marie-Claude Pissettaz et Dany Vinet lors de la remise du trophée. A droite : Monsieur l'Ambassadeur de la francophonie Libere Bararunyeretse pendant son allocution et ses félicitations à l'attention de Monsieur Roger Cunéo.

Chacun à sa manière se souvient de sa prime jeunesse et des moments douloureux qu’il a vécu. Immédiatement me sont apparus deux personnages célèbres par leur écriture, aussi dissemblables que complémentaires : Charles Baudelaire & Jean Cocteau. » « Je prends très souvent les faits pour des mensonges, Et que, les yeux au ciel, je tombe dans les trous. Mais si la voix me console et dit : » Garde tes songes ; Les sages n’en ont pas d’aussi beaux que les fous ! » Et de continuer Baudelaire à votre Mère « Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivie, Pauvre Mère, je vous aime autant que je vous plains, Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies, Et les urnes d’amour dont votre grand cœur est plein. » Gardons le mot de la fin pour Jean Cocteau qui nous invite à « Fermer les yeux des morts avec douceur. C’est aussi avec douceur qu’il faut ouvrir les yeux des vivants. » La Remise du Diplôme au lauréat par Monsieur l’Ambassadeur et les membres féminins du Comité de lecture s'effectue sous les applaudissements nourris de l'assistance. Un déjeûner sous l'égide de la Francophonie, s'en suivit. Le Restaurant “Le Sud”, situé dans l'hôtel Mandarin Oriental, nous avait réservé, comme à son habitude, un accueil de classe, alliant à la grande qualité gustative du déjeûner une merveilleuse convivialité. Il fallut toute l'autorité du maître de cérémonie pour donner la parole à Monsieur Pierre Marcel Favre* qui voulut tous nous remercier très chaleureusement de cette manifestation et nous donner rendez-vous lors d'une prochaine occasion. Monsieur Roger Cuneo, l'heureux récipiendaire, nous rappela combien il était sensible à cette marque de reconnaissance de la part du

Comité de lecture du Grand Prix Littéraire Jean d'Ormesson, et l'émotion bien visible qu'il a ressentie lors de sa remise de prix. L'occasion lui étant donnée, il ne se priva pas non plus d'adresser tous ses remerciements envers son éditeur. Nicolas de Ziegler, en clôturant cette séance, soulignait, à la satisfaction générale, que les grands esprits français de la littérature et de la politique, ceux de l'époque où la maîtrise de la langue française était une exigence de tous les instants, n'étaient pas loin... en souhaitant aux moins de 20 ans de connaître ces bons moments... N

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FLAM LE 4 JUILLET 2009: "POUR FLAM ET GRÂCE À FLAM"

Est-ce vraiment MONSIEUR JEAN-LUC FAURE-TOURNAIRE, CONSUL GÉNÉRAL DE FRANCE À ZURICH, A REMIS, LE 4 JUILLET 2009, LES INSIGNES DE CHEVALIER DANS L’ORDRE NATIONAL FRANÇAIS DES PALMES ACADÉMIQUES À MME SYLVIE BOUTARD CONOSCENTI, PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATION “COURS FLAM – FRANÇAIS LANGUE MATERNELLE”.

Mme Sylvie Boutard Conoscenti (à droite) en compagnie de Dany Vinet.

vrai ?

L’Ordre des Palmes Académiques a été créé par Napoléon qui le considérait comme la “Légion d’Honneur de l’Université”. L’Ordre récompense, en France comme à l’étranger, les valeurs défendues et les services rendus dans les domaines de l’éducation et de la formation. Mme Sylvie Boutard Conoscenti, nouvelle récipiendaire de Zurich a reçu cette distinction des mains du Consul Général de France, au nom du premier ministre de la République Française, pour l’excellence de sa contribution dans le domaine de l'éducation. Depuis de nombreuses années, Mme Sylvie Boutard Conoscenti a œuvré au développement de l’enseignement, ainsi qu’à la défense et à la promotion de la langue et de la culture française au sein de la commu-

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nauté zurichoise dans le cadre des cours FLAM – Français LAngue Maternelle : cours de français, dits cours FLAM, qui s’adressent aux enfants francophones, de toutes nationalités confondues, qui sont scolarisés dans le système scolaire zurichois (jardins d’enfants et écoles primaires du canton de Zurich). Ces cours sont organisés dans le cadre des cours LCO (Langue de Culture d’Origine) en allemand HSK (Kurse in Heimatlicher Sprache und Kultur) et sont reconnus par la Direction de l’Education du canton de Zurich depuis août 2001. La conséquence de cette reconnaissance est le report des notes des cours LCO de français dans le carnet scolaire des élèves de FLAM à partir de la 2e classe de primaire. Cette note est avant tout une reconnaissance de leur bilinguisme et de leurs efforts extrascolaires. Le but des cours FLAM est de permettre aux enfants de langue française d'acquérir la maîtrise de leur langue maternelle dans toutes ses formes d'expression et la connaissance de la culture dans laquelle elle s'inscrit. L’enseignement des cours FLAM est garanti sans but lucratif et neutre du point de vue politique et confessionnel. Grâce à une subvention de la réserve parlementaire du Sénat, les cours FLAM ont pu débuter à partir de la rentrée scolaire de 1999. Depuis, l'effectif des élèves qui s'élevait à 57, a progressivement augmenté et se stabilise depuis plusieurs années à 250 répartis sur 27 classes. L'équipe pédagogique est composée actuellement de 24 enseignantes qualifiées. A la fonction de présidente de Mme Sylvie


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FLAM

Le but des cours FLAM est de permettre aux enfants de langue française d'acquérir la maîtrise de leur langue maternelle dans toutes ses formes d'expression et la connaissance de la culture dans laquelle elle s'inscrit.

Boutard Conoscenti s'ajoute celle, essentielle et déterminante, de coordinatrice des cours FLAM qu'elle mène de front depuis dix ans : financement des cours, inscriptions des élèves, recherche de salles, recrutement et formation continue de l'équipe pédagogique, méthode pédagogique, collaboration avec les autorités locales de la Direction de l'Education de Zurich. En 2006, l'association Cours FLAM a élaboré son propre "guide pédagogique" pour le niveau du jardin d'enfants. Les cours de Français Langue Maternelle (FLAM) s’inscrivent dans le cadre du Plan d’études général des cours de langue et de culture d’origine (LCO) dont une traduction française a été publiée en juin 2003. Ce plan d’études s’applique à l’école publique et n’aborde que très sporadiquement le cas du jardin d’enfants, d'où la nécessité de créer ce guide. La grande majorité des communautés linguistiques LCO n’organisent leurs cours qu’à partir du primaire, en s’appuyant essentiellement sur l’écrit. A cet égard, les cours FLAM constituent donc un cas assez exceptionnel, puisque, dès leur création en 1999, des classes d’expression orale ont été proposées aux enfants francophones dès 4 ans et demi (âge correspondant à l’entrée au jardin d’enfants dans le canton de Zurich). L’un des principaux objectifs de ce guide pédagogique pour la maternelle est d’aider les enseignant(e)s à préparer leurs élèves à leur future scolarité FLAM, en éveillant leur intérêt pour la langue française et la culture francophone, en leur donnant le bagage d’expression orale nécessaire pour aborder l’expression écrite en toute sérénité, en leur faisant prendre conscience de leur bilinguisme et de la chance qu’il représente pour eux. Bref, en leur insufflant “l’esprit FLAM” ! Parallèlement, une campagne destinée à montrer l’importance des langues premières (ou langues maternelles) et à favoriser le développement de cet enseignement dans le système scolaire suisse a été lancée au début de l'année 2008 par le groupement d’intérêt “Langues premières”. Ce groupement rassemble des organisations, des associations et des personnes individuelles qui ont signé l’appel

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« Encourager les langues premières des enfants : un mandat central du système éducatif ». L’association Cours FLAM, qui s’est déjà beaucoup investie dans le projet, figure parmi les membres fondateurs du groupement. Depuis 2007, Sylvie Boutard Conoscenti, sollicite la collaboration d'une artiste peintre francophone, Antonella Ruetsch Dell’anna, artiste ClovAn, qui ouvre les portes de son atelier aux enfants des cours FLAM afin de leur permettre de développer leur sens artistiques mais surtout de les guider vers l'histoire de l'art. Cette ouverture donne la possibilité aux élèves FLAM, une fois par mois, de peindre un tableau à thème d'un peintre préalablement choisi et un vernissage annuel est ensuite organisé où les parents comme les enfants peuvent prendre conscience de cette nouvelle vision de la promotion de la langue et de la culture francophone. Cette nouvelle forme de promotion a été employée en 2009 dans le cadre des 10 ans d'existence des cours FLAM en 2009. Pour fêter ce 10e anniversaire, divers ateliers de peinture dirigés par l'artiste-peintre francophone, Antonella Ruetsch Dell’anna, ont été offerts aux élèves et les tableaux réalisés par les enfants ont été exposés lors d'un vernissage organisé sur chaque site d’enseignement : Horgen, Meilen, Wallisellen, Winterthur et Zurich. L'équipe pédagogique a présenté également des activités organisées avec les élèves et un apéritif convivial a permis à tous de vivre un évènement exceptionnel et inoubliable. De par cette action unique, l'association Cours FLAM a souhaité donner la possibilité à ses élèves de développer leurs connaissances culturelles, de s’éveiller à l’expression artistique dans toutes ses formes et de vivre, pour la plupart d’entre eux, l’expérience d’un premier vernissage ! Le 4 juillet dernier était donc "Pour FLAM et grâce à FLAM" : soit le dernier vernissage des 10 ans des cours FLAM à Zurich et, à cette occasion, le jour de la Remise de la médaille de Chevalier dans l’Ordre des Palmes Académiques de la République Française à Mme Sylvie Boutard Conoscenti. L'aventure FLAM continue et sous www.coursflam.ch vous pourrez retrouver toute son actualité ! N


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LeDucdeRichelieu EMMANUEL DE WARESQUIEL - EDITIONS PERRIN ALORS QUE LA FRANCE CÉLÈBRE EN 2010 L'ANNÉE DE LA RUSSIE, UN LIVRE D'EMMANUEL DE WARESQUIEL - DONT NOUS AVIONS DÉJÀ EU L'OCCASION DE VANTER LES QUALITÉS DE BIOGRAPHE POUR SON OUVRAGE SUR TALLEYRAND AINSI QUE SUR SES TRAVAUX ANTÉRIEURS SUR LA FRANCE DE LA RESTAURATION1 - UN LIVRE, DISIONS-NOUS, DEVRAIT RETENIR L'ATTENTION D'UN PUBLIC AMATEUR DE CES DESTINS FRANCO-RUSSE QUI NOURRISSENT LES SIÈCLES DEPUIS L'ORIGINE DES RELATIONS DE CES DEUX GRANDS PAYS.

l s'agit de la biographie écrite sur le Duc de Richelieu et son fabuleux parcours en tant que gouverneur d'Odessa que l'auteur fait ressortir avec maestria en nous restituant le quotidien d’un homme de qualité évoluant dans des contrées dignes d'un roman de Walter Scott. Issu d'une des plus brillantes familles de l'aristocratie française, auréolée du prestige du grand Armand du Plessis, le Cardinal de Richelieu, celui comme disait André Malraux dans les années soixante qui a pris la France quand elle était dans l'état de 1940 pour en faire en vingt ans l'équivalent des Etats-Unis d'Amérique du Président Eisenhower (c'està-dire l'incontestable première puissance mondiale), Armand-Emmanuel, le futur Duc de Richelieu reçoit dès sa naissance, en 1766, toute la gamme d'éducation qu'une grande naissance favorise. Influencé par un grand-père brillant, plus que par un père fatigué avant l'âge, il passe une enfance en plein cœur de Paris au pavillon de Hanovre que les Parisiens habitués du quartier de l'Opéra connaissent bien lorsqu’ils déambulent entre le boulevard des Italiens et la rue du 4 Septembre. Pourtant, les rapports que le Duc de Richelieu va entretenir avec sa terre natale vont, dès l'adolescence, commencer à s'espacer. Entre 15 et 18 ans, sa famille estimant, que définitivement, les voyages forment la jeunesse, Armand-Emmanuel entame un voyage formateur à travers l'Europe aristocratique (il rencontre à cette occasion Frédéric II en Prusse) et développe des talents d'esprit et des capacités intellectuelles qui sont réelles. Mais ces dispositions ne vont

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Littérature

Triple portrait de Richelieu (1639) exécuté par Philippe de Champaigne.

guère lui servir dans les salons parisiens car très vite, la France s'agite et le mécontentement gronde dans les provinces autant que dans la capitale. Le Pouvoir à Versailles vacille et la Révolution commence à ébranler l'édifice que la monarchie française avait pourtant cru si solide. Armand-Emmanuel quitte donc à nouveau la France en 1789 - il a 23 ans - et s'engage dans les combats opposants Russes et Turcs à Ismail dans cette grande partie stratégique et militaire que se livre La Porte et Catherine II pour le contrôle de la Mer Noire. Après s'être distingué à cette occasion et servi la Russie avec zèle et ferveur dans cette sorte de carrière militaire qui ne déplaît point à son caractère, il re-

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gagne brièvement la France pour en repartir en 1791 quelque temps après l'épisode de la fuite du Roi a Varennes. Au moment de ce deuxième départ véritable de France, le Duc de Richelieu est soulagé de s’en aller et de regagner la Russie de Potemkine que ses engagements militaires le font servir. A 25 ans, il ne sait pas encore qu'il quitte son pays pour longtemps et qu'il n'y reviendra vraiment que dans un quart de siècle dans des circonstances historiques qu'il ne peut pas imaginer une seconde. Car comment imaginer qu'il laisse une France qui, après avoir vécu les diverses phases d'une Révolution qui acceptera initialement de cohabiter avec son Roi pour ensuite l'envoyer à l'échafaud, verra ses factions se détruire l'une l'autre avant qu'un général de trente ans vienne, au bout de dix ans, un certain 18 Brumaire de 1799, rétablir l'ordre nécessaire aux affaires de la France et entamer une aventure légendaire à laquelle le cataclysme de la campagne de France de 1814 mettra un terme presque définitif. Il est loin de songer que ce pays qu'il quitte succombera un jour sous les coups de trois empereurs coalisés et que commencera alors une occupation du territoire traumatisante qu'il devra, lui, devenu le mandataire des ces puissances du Nord, gérer pendant les quelques années qui marqueront sa fin de vie. En 1791, le jeune homme qui s'expatrie, certes avec sa patrie au cœur, n'est cependant déjà plus tout à fait français. Le quart de siècle qui s'annonce ne fera qu'amplifier le phénomène et son goût pour le service du Tsar autant que pour ces contrées lointaines qu'il arpente avec la joie d'un Byron et la capacité gestionnaire d'un Louvois développeront fortement ce tropisme russe auquel il a cédé avec joie. En 1802 toutefois, il effectue un bref retour à Paris rue de Grenelle, mais se voyant imposer des conditions inacceptables pour que son nom soit radié de la liste des émigrés notamment la renonciation à son grade de Lieutenant Général en Russie - il en repart promptement. Ce n'est qu'à la fin de 1802, alors qu'il est rentré à St-Petersburg que son nom est enfin rayé de la liste et qu'on l'autorise officiellement à rester au service russe. Nommé Gouverneur d'Odessa, la grande aventure du Duc de Richelieu commence véritablement. Son génie va s'y déployer avec une ardeur et un désintéressement peu communs. Il y voit en outre le moyen de ser-

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Littérature >> vir la France, à un poste stratégique pour les

échanges commerciaux entre la Méditerranée et la Mer Noire - à l'image de ce négociant marseillais Anthoine qui, dans les années 1780, avait déjà établi un comptoir de commerce a Kherson. Le lien personnel de Richelieu avec la France se distend cependant aussi au vu de la complexité des problèmes issus de la succession et de la gestion de son patrimoine familial suite à la Révolution. Foncièrement honnête et soucieux de son nom, Richelieu a voulu honorer toutes ses dettes malgré les pertes énormes occasionnées par celle-ci. Sur les bords de la Mer Noire, Alexandre a besoin d'un administrateur efficace alliant hauteur de vue et pugnacité. Suivant les pas de la Grande Catherine, il ambitionne de dynamiser cette immense espace du Sud de la Russie encore vierge et souvent rebelle. La tâche cependant est immense car si le projet de cette Nouvelle Russie a déjà été bien entamé par Potemkine, tout reste à faire. En 1778, certes Kherson a été fondé afin de favoriser l'ouverture du Bosphore aux navires marchands russes et d'y disposer d'un port militaire et de commerce. Certes, en 1784, Catherine II fonde Ekaterinoslav pour en faire un grand centre administratif et industriel de la province d'Azov. Puis viennent Sébastopol en 1786 et Nikolaiev en 1789. Mais au-delà des apparences que cette succession de décisions concernant des villes dont les noms nous sont encore si familiers aujourd'hui et les ports si actifs dans le commerce moderne des grains et autres matières premières et marchandises depuis les bords de la Mer Noire, en 1803, comme le rappelle Emmanuel de Waresquiel, lorsque Richelieu est nommé, la Nouvelle Russie n'est encore qu'une vaste steppe désertique. Mais cette tâche immense qu'il a devant lui, Richelieu va la saisir à pleine main. En 1803, il devient donc Gouverneur civil et militaire

Autre toile de Richelieu signée par Philippe de Champaigne en 1639.

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d'Odessa puis, en mars 1805, il est Gouverneur Général de la Nouvelle Russie (a la tête des provinces de Kherson, d'Ekaterinoslav et de Tauride). Fort des ses pouvoirs, il transforme la ville et toute la région. Il en fait le tour et en développe une connaissance intime lors de tournées d'inspection au fil de milliers de kilomètres, traversant des territoires peuplés de colonies allemandes, russes, grecques. A ses yeux, le commerce maritime est vital, il visite Taganrog fondée en 1706 par Pierre le Grand, deuxième port de la Nouvelle Russie après Odessa pour le commerce du blé, et Nakhitchevan, fondé en 1780 par Catherine II et originellement destiné à recevoir les Arméniens de la Crimée. Puis Azov et le Kouban, patrie des Cosaques Zaporogues. Il parcourt la Circasie, la Crimée après avoir traversé le Détroit de Kerch et arpenté ses territoires peuplés de Juifs, d'Arméniens, de Grecs et de Turcs qui présentent un si large éventail de nationalités qu'on y parle alternativement Anglais, Français, Russe, Turc, Allemand. Polyglotte par obligation - mais aussi sans doute par goût - le Duc lui-même rédige aisément en Russe, Anglais et Allemand. Dans ses fonctions, Richelieu aime le travail et cette sensation de diriger pleinement un territoire géographiquement tangible. Il est financièrement désintéressé mais il a le goût du pouvoir et la perspective d'associer son nom à de grandes réalisations, pour la gloire de celui-ci qui le séduit puissamment. Il est courageux, visionnaire, tenace et travailleur mais se révèle parfois très fragile si la confiance d'Alexandre 1er lui est comptée ou s'il sent une baisse de considération à son égard. Il a besoin d'être aimé, voire admiré et se montre sans doute trop sensible à la louange ; faiblesse que les Russes sauront bien exploiter avec lui et qui contrastera avec son retour en France ou les jeux politiques


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Littérature font vibrer des cordes bien différentes. Cela dit, il est populaire et aime dans ces territoires où il a continué mais surtout innové, amplifié l'œuvre engagée par Potemkine. Ses manières de grand seigneur, avec sa politesse exquise, en imposent à son entourage, lequel ne peut guère que se modeler sur ses manières d’authentique aristocrate. En 1813, la peste éclate à Odessa et dans toute la région. Elle mobilise intensément Richelieu qui démontre alors des capacités d'organisateur hors pair et une clairvoyance salvatrice. Il prend en effet des mesures avant-gardistes pour contingenter et éteindre le fléau qui sera beaucoup moins dévastateur grâce à son action. Au terme de ces dix années passées à Odessa son œuvre est immense : la ville et la région ont été transformées. Son habileté à obtenir crédits et exemptions du Tsar ont dynamisé le commerce et le port. La ville est méconnaissable avec ses maisons en dur, ses vastes allées, ses arbres et nombreux lieux de société, de rencontres ou de détentes. Ses administrés le fêtent et regretteront son départ pour la France qui lui est imposé par les circonstances et le Tsar. En 1814 donc, Richelieu rentre en France mais il ne reconnaît plus son pays. Sans illusion sur les choses et les hommes dans une lettre à son ami Langeron, il confie, amer : « Il semble qu'on ne sache pas en France ce que c'est qu'administrer, mais qu'on se borne à exploiter le pays en hommes et en argent. » Dans cet état d’esprit, il est tout prêt à repartir pour la Russie quand Louis XVIII l'appelle au gouvernement pour remplacer Talleyrand en septembre 1815. Mais à ce poste, malgré ses qualités et son ardeur, il souffre de la faiblesse de sa position. Les vainqueurs exercent en effet une tutelle permanente et contraignante sur Louis XVIII et le gouvernement français. Car le gouvernement de la France n'est pas libre dans un pays occupé et que les puissances alliées veulent faire chèrement payer. Pendant trois ans de ministère, la conférence alliée sera “un organe de surveillance et de pression sur le gouvernement français”. Richelieu le vivra comme une constante humiliation et devra se battre bec et ongles pour ne pas sombrer ni céder sur des points aussi essentiels que la définition des frontières, l'abandon des places fortes et la charge budgétaire pour les indemnisations et autres frais d'entretiens des troupes

Richelieu est loin de songer que ce pays qu’il quitte succombera un jour sous les coups de trois empereurs coalisés et que commencera alors une occupation du territoire traumatisante qu'il devra, lui, devenu le mandataire des ces puissances du Nord, gérer pendant les quelques années qui marqueront sa fin de vie.

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d'occupation. En outre, à ce frein terrible de l'étranger qui entrave son action s'en ajoute un autre qui désespère Richelieu : les querelles franco-françaises, misérables et indignes en face de la situation globale. Pourtant, malgré l’adversité, Richelieu réussit à obtenir les concessions nécessaires lors du second traité de Paris et trois ans plus tard la libération anticipée du territoire. En 1818, les querelles politiques finissent par le lasser et il se retire en décembre. Finalement rappelé en 1820 après la chute de Decazes, il n’effectue qu’un bref retour car sa modération ne peut en aucun cas satisfaire les ultras et leur besoin souvent fanatique de retour à l'Ancien Régime. En 1821, il se retire définitivement de la vie politique et caresse le projet de retourner en Russie. La vie, malheureusement, ne lui en laissera pas le temps car en mai 1822, malade, ne pouvant guère se déplacer entre ses terres de province et Paris, il décline. De retour de Courteilles, il décède dans la nuit du 17 mai 1822, laissant un héritage bien modeste ; son désintéressement et son honnêteté l'ayant davantage honoré qu'enrichi, surtout selon les normes de l'époque. Il laisse cependant derrière lui une belle œuvre d'administrateur judicieux et visionnaire qui a su faire d'Odessa une ville de lumière, bien construite et culturelle, autant qu'un port actif et décisif sur les bords de la Mer Noire. Sa statue qui le célèbre et fait face à ce port, qui, aujourd'hui encore, fait la fierté d'une région, sourit toujours malicieusement quand les derniers rayons du soleil s'éteignent pour laisser place à la nuit. Et comme une bonne part des battements du cœur du commerce international, aujourd'hui comme hier, résonnent toujours fortement dans cette région qui, de la Mer Noire, achemine par les détroits leurs marchandises diverses, agricoles et sidérurgiques, chatoyantes et bariolées vers les nombreux pays du bassin méditerranéen, voire au-delà par Gibraltar et Suez, l'action civilisatrice du Duc de Richelieu n'a pas fini de déployer ses effets ni de faire rayonner mondialement le nom d'Odessa, même dans l'esprit de ceux qui ne connaîtraient pas son œuvre ni dans les yeux aujourd'hui éteints de celui qui confiait avoir tant aimé les voyages. N DOMINIQUE ORTIZ dominique.ortiz@bcv.ch

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Ilsagissentpartout La campagne mondiale “Notre monde? À vous d’agir” a inspiré plus de 100 sociétés nationales, qui ont commandé des chansons ou des vidéos, rassemblé des anciens combattants, offert des examens de la pression sanguine, organisé des expositions de photographies et des concours de rédaction, peint des passages pour piétons, organisé des pique-niques, rejoué la bataille de Solférino, défilé dans les rues et les parcs, organisé des débats, mis à jour des sites Web, levé des fonds, mis sur pied des rencontres de football et évacué des déchets. Cette campagne peut être adaptée pour appeler l’attention sur les questions humanitaires prioritaires des Sociétés nationales (leurs “Solférino”) dans leur propre pays. Elles ont choisi à ce jour de parler de la violence à l’égard des femmes, de la traite des êtres hu-

Suisse En 2009, des tramways circulant dans les rues de Genève ont été décorés de globes et d’emblèmes “Notre monde, À vous d’agir”, pour signaler aux passagers et aux passants qu’il était temps pour eux d’agir pour l’humanité.

Liban

Colombie La Coix-Rouge colombienne a lancé la campagne mondiale par une vidéo et une campagne de collecte de fonds. Voyez la vidéo à l’adresse www.youtube.com/dianalondono.

La Coix-Rouge libanaise a décoré un autobus avec le globe de la campagne et les Principes fondamentaux du Mouvement, accroché une exposition de photographies à l’intérieur et embarqué des brochures et publications pédagogiques. Du 8 mai jusqu’à la fin de 2009, l’autobus a circulé dans les campagnes pour faire mieux connaître le Mouvement à la population.

Afrique du Sud Pour recruter davantage de volontaires, la Croix-Rouge sud-africaine a mené la campagne “Notre monde, À vous d’agir” dans les communautés de Johannesbourg, ses volontaires sillonnant les rues pour faire des émules parmi la population. Un concert a aussi été organisé pour les volontaires, le personnel et des personnes invitées.


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outdanslemonde mains, du VIH et du sida, de la sécurité routière, de la formation aux premiers secours, de l’opprobre et de la discrimination, des changements climatiques et des conflits. Elles ont aussi mis à profit la campagne pour commémorer une série de dates marquantes pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge : les 150 ans de la bataille de Solférino, les 90 ans de la fondation de la Fédération internationale et les 60 ans des Conventions de Genève. Quelle que soit la manifestation, l’appel à l’action est la même. Le Mouvement souhaite persuader des personnes de tous les milieux de s’engager dans l’action humanitaire. C’est notre monde ; ensemble, nous pouvons le transformer. Croix-Rouge, CroissantRouge vous présente ici une sélection de ces actions dans le monde entier.

Croatie La Croix-Rouge croate a utilisé le globe “Notre monde, À vous d’agir” sur la page d’accueil de son site Web, www.hck.hr.

Fédération de Russie

Japon

La Société de la Croix-Rouge russe a utilisé Skype, le programme de communication par Internet, pour permettre à 13 anciens combattants de Moscou, Saint-Pétersbourg, Kaliningrad, Volgograd et Tiraspot, qui ne s’étaient pas revus depuis des décennies, de se parler le 8 mai.

La Société de la Croix-Rouge du Japon a utilisé la campagne “Notre monde, À vous d’agir” pour retenir l’attention des piétons et des personnes faisant leurs achats. Des volontaires ont aussi procédé à des démonstrations de premier secours dans des centres commerciaux. La Société nationale a encouragé l’action humanitaire avec le message « L’important, c’est d’agir. Même dans votre vie quotidienne, vous pouvez toujours faire quelque chose. »

Bulgarie Le champion du monde d’échecs, Veselin Topalov, a mené une campagne de la Croix-Rouge bulgare destinée à recruter des membres, à partager des expériences vécues et à récolter des fonds. Les jeunes qui réalisaient des actions positives ont reçu des ours en peluche en guise de récompense.

Thaïlande À Bangkok, la Croix-Rouge thaïlandaise a lancé la campagne mondiale par un défilé sur l’avenue Henry-Dunant et par l’ouverture d’une exposition spéciale dans l’un des plus grands centres commerciaux de la ville.

Ouganda Le 8 mai, la Croix-Rouge de l’Ouganda a appelé les communautés à faire un geste pour un monde meilleur en organisant des représentations théâtrales, une exposition de matériel pédagogique, des rencontres de football et de netball, ainsi qu’une opération de nettoyage de l’environnement.


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Hommage

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Hommageà PhilippeSéguin

DANS LA GUERRE COMME DANS LA PAIX, LE DERNIER MOT EST À CEUX QUI NE SE RENDENT JAMAIS. »

ette phrase de Clémenceau, Albert Camus l’avait reprise à son compte à la une de son journal Combat. Sans doute comme un instantané philosophique synthétisant son idéal d’homme libre autant que révolté. A cinquante ans de distance, c’est-à-dire depuis ce 4 janvier 1960 où Albert Camus trouvait la mort dans un accident d’automobile jusqu’à ce 7 janvier 2010 où Philippe Séguin, victime d’une crise cardiaque a son domicile parisien, nous a quittés, nul doute que le Premier Président de la Cour des Comptes avait lui aussi cette phrase autant que cette idée en tête. Comme un symbole de son destin personnel, de son parcours intellectuel, administratif et politique aussi sans doute. Arrivé à l’âge de 66 ans au terme d’un parcours fondamentalement atypique et finalement solitaire - que celui-ci avait raconté il y a cinq ans dans un livre au titre évocateur et dont nous avions eu le plaisir de rendre compte à l’époque dans les pages de ce magazine1 -, la République vient de rendre à Philippe Séguin l’hommage officiel qu’il méritait, au diapason d’une classe politique saluant presque unanimement, à droite comme à gauche, celui qui l’avait pourtant quittée si décisivement, mais sans doute aussi à regrets, pour se consacrer pleinement à la Cour des Comptes. Toutefois, malgré le concert d’éloges recueillis autour de sa mémoire, Philippe Séguin laisse aujourd’hui un héritage posthume contrasté et comme une empreinte que les jeux politiques actuels risquent de laisser s’effacer bien vite. Enfant de Tunisie ayant commencé son parcours intellectuel et politique à gauche, Philippe Séguin fut rapidement conquis par le Général de Gaulle pour devenir sous la Ve République un homme de droite à vocation sociale. Conseiller “Agriculture” dans l’Elysée du Président Pompidou à l’époque où Michel Jobert exer-

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Hommage çait une tutelle impériale, il rencontre le ministre en titre de l’époque, un certain Jacques Chirac. Jamais à court de paradoxe, encore jeune haut fonctionnaire, sa passion pour le football l’amène, au milieu des années soixante-dix, à participer à l’établissement d’un statut moderne pour le football professionnel en France. Engagé auprès de Jacques Chirac dans la nouvelle aventure du gaullisme que l’ancien Premier ministre de Valéry Giscard D’Estaing lance en décembre 1976, Philippe Séguin prend vite conscience que malgré une connivence forte avec Jacques Chirac (qu’il tutoie), il ne fait pas partie du sérail comme un Alain Juppé ou un Jacques Toubon, lesquels – apparences trompeuses - usent du vouvoiement, et le reçoivent en retour, dans leur rapport avec Chirac… Volontiers candidat à un poste dans la capitale que Chirac s’apprête à conquérir en attendant de plus grandes ambitions, Philippe Séguin se retrouve en fait dans les Vosges pour en devenir Député et Maire d’Epinal,

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Député et Maire d’Epinal, ville où son engagement et ses capacités gestionnaires lui permettront de réaliser d’importantes transformations et savourer d’agréables succès qui le feront aimer de ses habitants et, accessoirement, un peu oublier l’éloignement de la capitale. ville où son engagement et ses capacités gestionnaires lui permettront de réaliser d’importantes transformations et savourer d’agréables succès qui le feront aimer de ses habitants et accessoirement un peu oublier l’éloignement de la capitale et les difficultés d’y accéder lorsque les brouillards nombreux et fréquents empêchent tout décollage. Ministre des Affaires sociales durant la première cohabitation, Président de l’Assemblée Nationale en 1993, élément décisif dans la victoire de Jacques Chirac à l’élection présidentielle de 1995, Philippe Séguin n’aura pourtant jamais le grand poste que ses talents lui permettaient d’ambitionner. On a beaucoup parlé de son caractère ombrageux voire colérique, faisant dire (mais est-ce authentique ?) au Président Chirac qu’il ne pourrait le nommer Premier Ministre car sur une saute d’humeur ou autre contrariété,

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Philippe Séguin risquerait de ne plus le prendre au téléphone ou pourrait lui faire faux bond lors d’une visite d’Etat d’un hôte étranger. Même si ses amis et ses proches, sans nier son caractère entier, ont souvent tourné en dérision cette vision des choses de nombreuses anecdotes ou histoires plus ou moins apocryphes circulant à ce sujet, ont certainement nui à Philippe Séguin. Pourtant si un tel argument, alimenté et relayé par ses détracteurs, avait pu être mis en avant et in fine s’avérer disqualifiant, ce serait sans doute oublier que pour Philippe Séguin, comme pour tout homme de capacité et de conviction, si l’homme donne une plus ou moins forte dimension à sa fonction, c’est souvent la fonction qui fait l’homme, qui lui permet de se déployer, de se sur-dimensionner. Comme André Malraux, si véhément en 1965 contre François Mitterrand alors candidat contre le Général de Gaulle, aurait admis, s’il avait vécu, que l’ex-candidat des Républicains, devenu leader des socialistes français une fois au pouvoir, se révélerait devant l’Histoire un Président d’envergure. A cette aune-là, nul doute qu’un Philippe Séguin, en fonction exécutive de premier plan, aurait su donner toute sa dimension comme ultime démenti aux complaisantes caricatures. Mais le défaut de Philippe Séguin aura sans doute été sa fidélité à ses valeurs essentielles et à une certaine vision très ambitieuse de la France, de sa République – et donc à son respect du vote populaire – et de la place de son pays dans le monde. Le débat sur Maastricht l’aura parfaitement illustré dans son face-à-face avec le Président français en septembre 1992. Certaines des critiques que Philippe Séguin avait développées sur le rôle de la Banque centrale européenne et le problème de la démocratie, donc du vote des peuples, face à la construction européenne sur des sujets touchant de manière croissante à la souveraineté, se sont vues confirmées par la suite. François Mitterrand lui-même, après le terme de l’émission télévisée depuis la Sorbonne à Paris, aurait admis à son contradicteur que certains points développés dans ce débat faisaient en effet question mais l’habileté du Président français avait permis d’esquiver ses sujets de la campagne référendaire au motif que la mise en place de l’Euro était l’essentiel et certains détails une simple écume dont on saurait bien se débarrasser ou s’accommoder ensuite.

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Hommage Député des Vosges auprès de Jacques Chirac en 1995 ne lui fera récolter que des fruits amers. L’élection à la Présidence de l’Assemblée Nationale n’étant pas un grand ministère et encore moins Matignon - la dissolution de 1997 lui faisant même perdre le Perchoir - tandis que la conquête du RPR la même année, où il remit en selle un Nicolas Sarkozy toujours frappé d’ostracisme, en en faisant son adjoint au RPR se soldait par sa démission des fonctions de Président du parti deux ans plus tard à l’aube des élections européennes de juin 1999 qui marquerait le plus faible score jamais enregistré par le parti gaulliste à ce scrutin. La campagne pour la Mairie de Paris en 2001 sera pour lui un ultime calvaire en amenant Philippe Séguin dans un piège insensé qui se conclura par un échec cuisant tant les rivalités à droite se révéleront irréconciliables et où l’on vit sur tous les médias l’image d’un Philippe Séguin ostensiblement serein mais pourtant déjà battu dans sa tête alors que la campagne n’en était pas même à miparcours. Lassé sans doute de ces combats dérisoires et de son éloignement des enceintes où se jouaient les vrais enjeux. Déçu de ne pouvoir défendre ses valeurs et ses convictions, sinon au travers de brillants disciples qui, de Nicolas Baverez par l’écriture franche et critique de livres et articles non conformistes, en passant par Henri Guaino, plume de l’actuel Président français, font vivre une certaine dimension du legs de Philippe Séguin que François Fillon souhaite incarner à sa manière mais dans une gestion somme toute très classiquement réformiste et qui semble disposer de trop peu de marges de manœuvre, Philippe Séguin aura su redynamiser cette belle institution napoléonienne qu’est la Cour des Comptes et rendre un certain lustre aux fonctions de contrôle de la comptabilité nationale et de surveillance des comptes publics, à savoir un domaine où chaque progrès fera beaucoup pour l’honneur de la France, sa crédibilité et son image à l’international autant qu’à l’intérieur des frontières. Finalement, Philippe Séguin en avait bien conscience au plus profond de son être : cette position nec citra nec ultra 2 qu’il avait prise, cette habitude de dire non lorsque

l’essentiel lui paraissait être en jeu ne permet pas les grandes carrières. Elle peut favoriser les grands destins mais pour un Clémenceau, un Churchill ou un Mandela, il y a tant de Mirabeau, de Mendès-France et de Castellion. Français passionné, Philippe Séguin l’aura été durant toute sa vie, jusqu’à ce mois de janvier 2010 où son sourire moqueur et ses yeux pétillants sont partis visiter d’autres contrées plus définitives. Au bout du compte, comme le disait Bernanos « la France aura été capable à travers les siècles de produire des St-Just, des Clémenceau et des Bonaparte, elle en produira d’autres, à toutes les époques, c’est son affaire. Mais peut-être la grande affaire de notre époque est-elle moins de produire de tels individus que de

les conserver » ou tout au moins d’en conserver l’exemple, la marque et la trace. Comme le message que nous laisse aujourd’hui Philippe Séguin, dans ses dimensions multiples et parfois contradictoires avec ce souci d’exigence et ce nécessaire esprit critique qu’il ne faut jamais abdiquer face aux multiples messages prêt-àpenser dont le citoyen moderne est submergé. Ce message d’une certaine exigence envers soi-même et pour les autres que nous laisse à présent méditer, peut-être, cet enfant de notre chère République française au terme d’une vie à elle, passionnément consacrée. N

Philippe Séguin et son épouse.

dominique.ortiz@bcv.ch

>> Finalement, le formidable engagement du

Dominique Ortiz

1 RFE Magazine numéro 5 (page 15 – mars 2004) - "Itinéraire dans la France d'en haut, d'en bas et d'ailleurs" - Philippe Séguin 2 « Ni d’un côté ni de l’autre »

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“Portraits et postures rousseauistes”*

* “Portraits et postures rousseauistes” de Rémi Hildebrand FRANCEMAGAZINE N°28 64 PRINTEMPS 2010

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BULLETIN DE COMMANDE DE L'OUVRAGE DE RÉMY HILDEBRAND Nom : ……………………………………………… Adresse……………………………………………………………………………… Prix de l'ouvrage aux lecteurs de France Magazine des Français établis hors de France : 15.- Euros (Prix en librairie : 20.- Euros)

Veuillez me faire parvenir …… exemplaire(s). Signature :

Date : ………… / ………… / …………

Rémy Hildebrand Prière de retourner cette commande Aux Editions Transversales 9, rue Henry-Spiess -CH 1208 Genève - Courrier: rhildebrand@cejjr.ch

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La Note Bleue Portrait célèbre de Frédéric Chopin exécuté par Eugène Delacroix.

FrédéricChopin L'incomparable quelecielaenviéàlaTerre1

Génie

Comme cette terre m’étouffera, je vous conjure de faire ouvrir mon corps pour que je ne sois pas enterré vif. FRANCEMAGAZINE N°28 70 PRINTEMPS 2010


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La Note Bleue sa demande, le vœu de l'exilé sera exaucé, son cœur sera emmuré à l'église Sainte Croix de Varsovie, tout près du Palais Casimir. Invité par Jane Stirling, Frédéric Chopin, foule le sol londonien le 20 avril 1848. Des rencontres sans cesse renouvelées lui font connaître Charles Dickens, Ladi Byron, Berlioz qui dirige au théâtre de Dury Lane. Il croise Osbfne et Kalkbrenner. Il se produit devant la Reine Victoria. Avec Pauline Viardot, qu'il redécouvre, il donne un concert le 7 juillet à Saint James's Square chez Lord Falmouth. Les dîners, les concerts, les récitals au salon et les conversations en Anglais l'épuisent. Cet été londonien de 1848 est néfaste pour sa

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nent aussi bien moralement que financièrement. Eugène Delacroix, Marcelina, Anna Czartoryska, son élève Gutmann, Marie Kalergis, Marie de Rozières et Delphine Potcka ne le laissent jamais seul. Ses forces l'abandonnent, lui interdisant de composer. On ne sait par quel sursaut, verront le jour, malgré tout, deux mazurkas opus 67 & 68. Eugène Delacroix descend les Champs Élysées, l'accompagnant dans son cabriolet, par un bel après-midi d'avril 1849. Le peintre note avec un réel bonheur que les belles jounées et le soleil printanier influent remarquablement sur le moral retrouvé de Frédéric. Il envisage même de rédiger prochainement une méthode de piano.

santé. Le climat de la City lui est devenu insupportable. Qu'elle était loin la tranquillité de Nohant ! Cette paix vitale lui manque. Quand le bruit se répand laissant entendre qu'il va épouser Jane Stirling, il répond avec humour : « Elle finira par m'étouffer par sa gentillesse et moi, par gentillesse, je la laisserai faire. » Et, tout de suite s'empressant d'ajouter « Ils peuvent aussi bien me marier avec la mort. Je suis plus près du cercueil que d'un lit nuptial. » Il rentre à Paris le 24 novembre 1848. Inlassablement, il reprend les leçons de piano. Etendu sur le sofa aux côtés de l'instrument, il assiste ses élèves. Bien que sa situation financière soit catastrophique, ses amis, sans qu'il s'en apercoive, le soutien-

Le choléra fait rage à Paris. Kalkbrenner et Angelica Catalani (celle-là même qui lui offrit une montre à Varsovie) viennent de succomber à cette terrible épidémie. Ses amis décident d'éloigner Chopin et l'installe à Chaillot, en pleine campagne. Jenny Lind lui rend visite et participe à une petite soirée musicale. Elle y chante tour à tour avec Delphine Potocka. De la demeure de Chaillot, on y perçoit une vue époustouflante du tout Paris ; du Palais desTuileries vers la Chambre des Députés, en passant par Notre-Dame, le Panthéon, Saint-Sulpice et les Invalides. Le 9 août à Paris, arrive Ludwika, la sœur aînée de Frédéric. Son bonheur est tel qu'il envisage de rendre visite, séance tenante, à Nice, à Delphine Potocka. >>

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La Note Bleue >> Les médecins l'en dissuadent et lui conseil-

lent de revenir plus au chaud dans le centre de Paris. Ses amis l'emménagent dans le centre de la capitale au 12, place Vendôme. Le père Jelowicki, ami et prêtre polonais, lui rend visite. S'accrochant au fil de la vie, Chopin se confesse et reçoit les derniers sacrements. Prévenue, Delphine Potocka, accourt de Nice le 15 octobre. Chopin lui sourit. « C'est donc pour cela que Dieu tardait à m'appeler à lui, il voulait encore me laisser le plaisr de vous voir. » Il lui susurre de chanter pour lui... D'une voix voilée par les larmes, elle lui dédie les doux sons du cantabile bellinien ; se confondant ainsi avec les premiers accords des anges... dit la légende. « Souffrez-vous ? » lui demande son médecin. « Plus », lui répondit Chopin. Il est 2 heures du matin, nous sommes le 17 octobre 1849. Aux sons de sa célèbre marche funèbre, entonnée par les chœurs de la Madeleine, la Note Bleue entre dans l'éternité. L'office religieux fut témoin d'un Réquiem de Mozart, selon le vœu de Chopin, comme rarement inteprétation bellissime lui fut donnée. Cette brillante distribution était composée de Jeanne Castellan, d'Alexis Dupont de Pauline Viardot et de Luigi Lablache. C'est une foule immense qui l'accompagne en sa dernière demeure au Père-Lachaise. Là où sur sa tombe, ornée d'une petite stèle (œuvre de Clésinger), on y dépose la terre polonaise que ses amis polonais lui offrirent dans une coupe d'argent, le 2 novembre 1830 en quittant Varsovie. En quittant définitivement la Pologne. L'histoire facétieuse à souhait, nous souligne qu'un certain Nicolas Chopin, quitte la France et ses démons révolutionnaires, sans oublier le rude climat de son village natal de Marainville dans les Vosges. En novembre 1787, ce dernier débarque à Varsovie, retrouvant les anciens châtelains de Marainville, la famille PAC. Nicolas Chopin devient le témoin d'un des plus grands événements de l'histoire polonaise : la proclamation de la Constitution du 3 mai 1791. Marié à Justyna Krzyzanowska, le 2 juin 1806 à Zélazowa-Wola, en l'église de Bro-

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La Note Bleue chow. Nicolas, âgé de 35 ans, et Justyna de 11 ans sa cadette ; elle clavinologue, lui flûtiste et violoniste, devinrent précepteurs de grandes familles. En avril 1807, Ludwika vit le jour. Elle dut attendre le 22 février 1810, vers 18 heures, pour savourer la joie de découvrir son petit frère Frédéric. Fuyant avant l'heure la France et sa révolution de 1789, un Vosgien, Nicolas Chopin, exilé en Pologne, nous offre son fils, Frédé-

Exposition du bicentenaire de la naissance de Frédéric Chopin, 1810-2010 La Note Bleue Musée de la Vie Romantique - Hôtel Scheffer - Renan 16 rue Chaptal - 75009 Paris. Du 2 mars au 11 juillet 2010 • Tél. 00.33.155.319.567 Ouvert tous les jours, sauf les lundis & jours fériés. www.vie-romantique-paris.fr

ric Chopin, venu de Pologne, fuyant son pays natal, à l'orée de la Révolution de 1830 et les affres de l'autocrate du nord Nicolas 1er, tsar de toutes les Russies. « Dites à mon cher petit Chopin que les parties que j'aime, c'est la flânerie dans les allées en parlant de musique, et le soir, sur un canapé, à en entendre quand le Dieu descend sur ses doigts divins. »2 N SERGE C. VINET

1 & 2 : Eugène Delacroix à George Sand le 30 mai 1842.

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Le tour du monde des marathons

Rome Aucœurde

l’antiquitéromaine

A LA SUITE DE L'ARTICLE CONSACRÉ AU MARATHON D'ATHÈNES ET À L'ANTIQUITÉ GRECQUE (FRANCE MAGAZINE NO 27), NOTRE CHRONIQUEUR, PATRICK BLASER, A PLONGÉ AU CŒUR DE LA ROME ANTIQUE LORS DE SON MARATHON QUI EST TRADITIONNELLEMENT COURU EN MARS. A CETTE OCCASION, LES PARTICIPANTS ONT TOUT LOISIR D'APPRÉCIER TOUTE LA DIVERSITÉ ARCHITECTURALE DE LA VILLE ÉTERNELLE, HÉRITAGE DE DEUX MILLE ANS D'HISTOIRE, QUI DÉFILE SOUS LEURS YEUX DURANT 42 KM.

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Le tour du monde des marathons e marathon de Rome offre incontestablement l'un des parcours des plus variés qui soient en termes d'histoire de l'art et d'architecture. Ce marathon conduit en effet ses participants successivement dans une Rome antique, médiévale, baroque ou renaissance, avec un superbe crochet au coeur du Vatican. Ce feu d'artifice de monuments historiques fait du marathon de Rome un événement incontournable à ne manquer sous aucun prétexte.

L

Le Colisée : à la gloire de Rome Le départ, et l'arrivée, du marathon ont lieu au meilleur endroit qui soit : au pied du Colisée. Ce monument était la meilleure carte de visite de la Rome antique. Près de 2000 ans après, c'est encore le cas ! Dans l'attente du départ, les participants au marathon ont largement le temps d'apprécier l'architecture de ce monument colossal (colosseum en latin; voilà: le lien est fait !) et de méditer sur quelques pans de son histoire. D'une hauteur de 57 m, comprenant trois étages d'arcades, avec une circonférence de 527 m, incluant trois galeries circulaires, le Colisée constitue le plus grand amphithéâtre, pouvant accueillir 50.000 personnes assises, jamais construit par les Romains. Les arcades reposent sur d'imposants piliers à colonnes doriques à la base et ioniques ou corinthiennes aux étages. Manifestement le Colisée en impose. C'était, et c'est toujours, sa vocation ! On doit ce chef-d'œuvre monumental à l'empereur Vespasien qui l'a commencé en 72 après J.C. Il a été achevé sous le règne de Domitien (empereur de 81 à 96). Tout le monde a à l'esprit les combats de gladiateurs qui se déroulaient dans l'arène. Mais il s'y déroulait aussi d'autres spectacles plus culturels et parfaitement recommandables. C'est en 404 que les combats de gladiateurs ont été interdits par la bonté de l'empereur Honorius (qui porte bien son nom). Par la suite le Colisée ne résistera pas aux outrages du Moyen-Age qui en fait une carrière de pierres avant que, au XVIIIe siècle, un pape, Benoît XIV, ne vienne à son secours en interdisant le "sac" de ce monument qui fut restitué en son état d'origine (mais sans les gladiateurs !). Forum et Capitole: le temps des palabres Juste après le départ, le marathon longe le Forum avec sa multitude de colonnes encore visibles que domine la colline du Palatin. Toute l'histoire de Rome est passée par là. Les innombrables vestiges de temples, de basiliques, de portiques, d'arcs de triomphes, de statues et de rues permettent d'avoir des points d'ancrage avec cette his-

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Le tour du monde des marathons >> toire mouvementée qui a vu défiler tant

d'empereurs, de guerres civiles, d'assemblées populaires, d'envahisseurs vandales (dans tous les sens du terme), enfin, mais en plus pacifique, d'hordes de touristes. A quelques enjambées du Forum, le Capitole. C'est sur cette colline, la plus petite des sept qui surplombent Rome, que Rome trouve son origine et que s'y exerçait le pouvoir. Cette colline présente un ensemble tarabiscoté mais admirable de bâtiments de tout temps et de toute époque qui se sont succédés au rythme imperturbable des siècles. Pêle-mêle se côtoient sur cette colline le Palais du Sénat, dont on doit la façade actuelle à Michel-Ange, le Palais des Conservateurs (XVe siècle) et le Nouveau Palais, tous deux également dessinés par MichelAnge, le Théâtre Marcello qui a été construit à l'initiative de l'empereur César, ainsi que le temple d'Apollon dont subsistent trois élégantes colonnes cannelées à chapiteaux corinthiens. Bref, toute l'histoire de Rome s'est donnée rendez-vous sur cette colline.

De la pyramide de Cestius à la Basilique Saint Paul Après le Capitole, plein cap sur le sud de la ville. A la hauteur du mur d'enceinte de Rome que l'on doit à l'empereur Aurélien (qui, c'était prémonitoire, s'inquiétait déjà très sérieusement de la menace germanique), l'œil est immédiatement frappé par une incongruité architecturale. En effet, un simple lambda romain (tout de même magistrat, aisé, de son état) du 1er siècle av. J.C. n'a rien trouvé de mieux que de se faire édifier sous le ciel romain, en guise de tombeau, une monumentale pyramide égyptienne couverte de marbre blanc. La commission des monuments et des sites de l'époque semblait manifestement moins tatillonne sur le mélange des genres qu'actuellement. L'idée de la pyramide ne devait pas être mauvaise puisque le musée du Louvre l'a reprise ! Cela observé, le marathon de l'histoire romaine mène ensuite ses participants sur les traces de l'apôtre Saint-Paul, qui a son tombeau dans la Basilique Saint-Paul-hors-lesMurs. À l'origine cette somptueuse basilique avait été édifiée par l'empereur Constantin, lequel avait placé le christianisme en odeur de sainteté impériale et était rongé de remords suite à la décapitation de l'apôtre Paul par un de ses peu illustres prédécesseurs (peut-être Néron).

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Le tour du monde des marathons Le Château de Saint-Ange : un tombeau devenu forteresse Avant d'atteindre la cité du Vatican le marathon passe à côté du Château de SaintAnge. Cet édifice, caractérisé par sa masse trapue et son impressionnant bâtiment cylindrique de 20 m de haut, a tout de l'aspect d'une forteresse. C'est d'ailleurs bien l'usage qui en fut fait lorsque, au Moyen-âge, la papauté se disputait, armes à la main, avec quelques familles de nobles romains mais néanmoins voisins encombrants. De même au XVIe siècle lorsque le pape Clément VII s'y réfugia alors qu'il était en indélicatesse avec Charles Quint (mais qui ne l'était pas ?). Pourtant, à l'origine, ce bâtiment avait été uniquement conçu pour servir de tombeau à l'empereur Hadrien (dont la folie des grandeurs n'était pas la moindre des qualités). Ses successeurs, jusqu'à l'empereur Septime Sévère, y élirent aussi domicile post mortem (la place ne manquait pas !). Par la suite, l'empereur Aurélien, qui a fait édifier l'enceinte de Rome encore visible de nos jours, incorpora avec pragmatisme le Château Saint-Ange dans son mur d'enceinte en en faisant une forteresse, attribution qui colla aux murs de cet édifice pendant des siècles. Sa construction s'y prêtait d'ailleurs fort bien. Au sommet du château on distingue très bien la statue de Saint-Ange (armé !), à qui le pape Grégoire le Grand avait attribué, en 590, les mérites de la fin d'une peste qui avait déjà décimé une partie de la population. Cette statue, signe des temps, avait

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d'ailleurs remplacé celle (de lui-même !) que l'empereur Hadrien avait installée de son vivant. Place Saint Pierre : un instant de recueillement virtuel Point d'orgue de ce marathon (parmi d'autres !), la traversée de la place Saint Pierre. L'émotion est au rendez-vous; c'est somptueux et grandiose. C'est le génie baroque de Le Bernin qui a donné à cette place toute la dimension spirituelle et visuelle nécessaire pour que le pèlerin se rendant à la basilique Saint Pierre se sente transporté avant même de pénétrer dans le saint des saints. Et c'est réussi. Les deux bras protecteurs qui entourent en demi-cercle la place comprennent quatre rangées de colonnes en perspective qui donnent à la place toute la solennité qui sied aux lieux. Au centre de la place se situe le célèbre obélisque, monolithe de granit taillé en Egypte comme il se doit, qui a été "récupéré" par le pape Sixt Quint alors qu'il trônait sur une autre place de Rome. A l'origine c'est l'empereur Caligula (en 37 après I.C.) qui l'avait fait transporter de Héliopolis (où il avait été construit pour le préfet romain du coin) jusqu'à Rome. Au fond de la place, en point de mire, c'est toute la magnificence de la basilique Saint Pierre qui s'impose. Place Navona : rendez-vous galant avec le baroque Après un long périple au nord de Rome, qui présente malheureusement peu d'intérêt, le parcours replonge vers le centre de la Rome historique et rejoint la place Navona. Ici, autre temps, autres mœurs. A la place Navona, il ne reste plus aucun vestige de l'époque romaine. Ou presque. En effet, le fantôme (comprendre l'esprit) de ces temps antiques hante toujours les lieux puisque la place reprend, presque au mètre près, les dimensions et la forme de l'ancien stade qu'avait construit en ces lieux l'empereur Domitien. Depuis les architectes et les artistes de la Renaissance et du baroque (16e et 17e siècles) s'en sont donnés à coeur joie et avec faste. Cette place comprend en effet une véritable mosaïque de palais, d'églises et de fontaines où l'embellissement est de rigueur avec la bénédiction, et le financement, pa-

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Le tour du monde des marathons >> pale. Bref, la place Navona constitue l'une des plus belles places de Rome. L'animation y est de surcroît permanente. Trois fontaines se disputent les faveurs du public avec au centre de la place la fontaine des fleuves que l'on doit au pape du baroque italien, Le Bernin (par la grâce d'Innocent X, ce sculpteur est décidément partout). Le tout à l'ombre de l'église de Sainte Agnès dont la façade, toute en courbes, a été dessinée par Borromini. La place du peuple : pour impressionner l'étranger Le marathon remonte ensuite vers le nord en direction de la place du peuple en empruntant, en droite ligne, la via del Corso. Le saut dans le IIe siècle se fait sans transition. C'est la rue commerçante la plus courue de Rome (même, et surtout, hors marathon) ; véritable paradis du shopping (pour ceux qui aiment ça). Comme son nom l'indique (deI Corso), cette rue était utilisée pour les courses de... chevaux, selon une tradition que l'on doit au XVe siècle et au pape Paul II (comme quoi…). Et comme bon nombre d'autres rues principales à Rome, l'emplacement de cette rue

remonte à l'époque romaine. En bout de course, on atteint la place du peuple qui est l'une des plus vaste de Rome. Aménagée par Giuseppe Valadier, le "chouchou" des papes Pie VI et Pie VII, elle devait impressionner l'étranger qui entrait à Rome par la porte nord de l'enceinte élevée par l'empereur Aurélien. Au centre un incontournable obélisque égyptien ramené d'Héliopolis par l'empereur Auguste qui, initialement, ornait le Circus

Maximus. Par la suite cet obélisque a été déménagé à la place du peuple par volonté papale. Autour de cette place, on ne compte pas moins de trois églises dont celle de Sainte Marie du Peuple, de style renaissance qui abrite des œuvres de Caravage, légitime fierté de l'église et qui vaut le déplacement (mais ce sera pour plus tard !). Place d'Espagne et Fontaine de Trevi : coups de foudre baroque C'est ensuite le retour vers le centre de Rome par la via deI Babuino avec ses charmantes boutiques d'antiquaires. Au passage un coup d'œil, trop bref, sur la place d'Espagne, noire de monde, et l'église de

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Le tour du monde des marathons la Trinité des Monts qui surplombe cette place et l'escalier qui y mène. Cette place n'a rien d'espagnol, mais leur a appartenu un temps (pour le plus grand courroux de leurs voisins français, jaloux). Le "must" (le mot n'est pas usurpé vu le luxe des boutiques avoisinantes) de cette place est bien évidemment constitué par l'escalier qui mène à l'église de la Trinité des Monts. A cet endroit le style baroque y trouve sa meilleure expression en termes de perspectives et de répartition des surfaces, donnant à cet escalier une grandeur qu’en fait il n'a pas ! Au printemps, cet escalier croule sous les azalées. Coup de foudre garanti ! Conquis par cet escalier, les Français, qui venaient de conquérir Rome, imaginèrent de dresser en son faîte une statue équestre de Louis XIV. Heureusement l'idée fut définitivement abandonnée suite à la retraite (elle aussi définitive) des Français ! Nouveau rendez-vous avec une autre beauté baroque ; à quelques enjambées de là se situe l'icône de la dolce vita romaine. Il s'agit de la fontaine de Trevi dans laquelle il ne faut pas hésiter à jeter, de dos, une pièce de monnaie pour finir le marathon autrement que sur les rotules ! Piazza Venezia : la foule est au rendez-vous Les vœux monnayés à la fontaine de Trevi sont rapidement exaucés. En effet le marathon débouche sur la fameuse Piazza Venezia, noire de monde, qui annonce l'arrivée dans trois kilomètres. Cette place est dominée par le célèbre (cartes postales obligent) monument dédié à la mémoire du roi Victor-Emmanuel II. En fait, aussi célèbre que décrié. En effet ce gigantesque bâtiment d'inspiration romaine antique, construit entre 1885-1911, ne s'intègre pas, par le déséquilibre qu'il provoque, dans l'architecture des lieux. Trop grand et inélégant pour les uns, trop blanc et mal proportionné pour les

autres, ce bâtiment prétentieux a été affublé de nombreux sobriquets allant de "la machine à écrire" à "la pièce montée", en passant par "le dentier". Bref il fait l'unanimité contre lui. Pourtant sur cette place on ne voit que lui (et pour cause !). Qu'importe, il suffit de détourner le regard de l'autre côté de la place pour voir le Palazzo Venezia qui, lui, s'intègre parfaitement dans son cadre. On doit ce palais, dont la construction a commencé en 1455, au pape Paul II et à ses successeurs (notamment Sixt IV et Pie IV) qui n'eurent de cesse de l'embellir (avec goût !). Le cirque Massimo : ses heures de gloire Le marathon longe enfin le Circus Maximus. L'arrivée au Colisée n'est plus très loin. Ce cirque, le plus vaste de Rome, a connu ses heures de gloire à l'époque antique des courses de chars à deux, trois, voire quatre chevaux qui pouvaient attirer jusqu'à 300 000 spectateurs. Ces courses étaient si populaires que les empereurs ont rapidement compris l'intérêt, politique, qu'il y avait à embellir ces lieux avec ostentation. Par ailleurs le recours à la tricherie (pouvant aller jusqu'au meurtre), afin que ce soit l'écurie de l'empereur qui gagne, était une pratique courante. Aujourd'hui ce cirque a perdu de son lustre d'antan et les touristes ne s'y bousculent plus. Même l'obélisque égyptien qui y trônait a été déplacé. Encore quelques enjambées et c'est enfin l'arrivée au Colisée sous les vivats d'une foule dense et chaleureuse (on est en Italie !). Et déjà les souvenirs les plus mémorables de la course s'entrechoquent. Ce n'est en effet pas souvent qu'un marathon offre l'opportunité de traverser plus de 2000 ans d'histoire en... 42 km !! N

patrick.blaser@borel-barbey.ch

Déjà parus

Patrick Blaser

• Athènes : retour aux sources en 490 avant Jésus Christ, (France Magazine n° 27/2009) • Pékin : de la cité interdite à la cité olympique, (France Magazine n° 26/2009) • Les trois Suisses, Zermatt, Davos et Jungfrau, (France Magazine n° 25/2009) • Marrakech, entre orangers et palmiers, le charme mauresque, (France Magazine n° 24/2009) • Berlin, la Mecque européenne de l'architecture d'avant-garde (France Magazine n° 23/2008) • Boston, les charmes d'un marathon déjà centenaire (France Magazine n° 22/2008) • Chicago, le marathon de tous les contrastes (France Magazine n° 21/2008) • New York, un marathon mythique à ne pas manquer (France Magazine n° 20/2008)

AVOCAT, ETUDE BOREL & BARBEY, GENÈVE

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Salzbourg laRomeduNord AVEC SES 170 000 ÂMES, SALZBOURG, SITUÉ AU CARREFOUR DES ANCIENNES VOIX COMMERCIALES DE L'EUROPE, EST LA CAPITALE DE LA PROVINCE FÉDÉRALE DU MÊME NOM. VILLE D'ART ET DE CULTURE, BERCEAU DE TROIS DES PLUS GRANDS FESTIVALS EUROPÉENS DE MUSIQUE, SALZBOURG, « LA VILLE AUX CENT ÉGLISES » QUI, LE 27 JANVIER 1756 VIT NAÎTRE WOLFGANG AMADEUS MOZART, A SU CONSERVER LES CHARMES D'UNE CITÉ PAISIBLE ET ACCUEILLANTE.

Des salines à Salzbourg Longtemps avant que saint Rupert, un évêque venu du Nord, ne fonde la première église sur la colline boisée du Mönchsberg (le mont aux moines) dominant le cours capricieux de la rivière serpentant à ses pieds, les Celtes, puis les Romains, attirés par son sous-sol prometteur, avaient cédé aux charmes de l'endroit en y fondant une petite cité (Juvavum). Vers les années 700, l'évêque saint Rupert reçut les ruines de la ville et en fit un important centre religieux, spirituel et culturel. Un siècle plus tard, l'évêché devint archevêché. Les archevêques reçurent dès le XIIIe siècle la dignité de pinces du Saint-Empire romain germanique et s'enrichirent pendant plus de mille ans grâce à l'exploitation de l'argent et surtout du sel provenant des salines naturelles de Reichenhall. Le sel (salz) donna son

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2 1. Les clochers et le dôme de la Cathédrale Saint-Rupert. 2. Marché aux fleurs.

1 nom à la ville (Salzbourg signifiant château de sel), à la région et à la rivière Salzach. L'ancien château (Festung Hohensalzburg) qui couronne la colline de Mönchsberg et domine toujours la ville de son étrange et massive silhouette, symbolisait le pouvoir temporel des princes-archevêques qui l'embellirent durant cinq siècles et le transformèrent en une forteresse inexpugnable d'un luxe étonnant. L'une des salles d'apparat aux authentiques boiseries du XVe siècle, accueille aujourd'hui des concerts de musique de chambre (Salzburger Festungskonzerte). Depuis la terrasse de cette immense citadelle, s'offre un magnifique panorama sur Salzbourg et ses collines verdoyantes derrière lesquelles les sommets enneigés des Alpes, forment la toile de fond idéale à ce décor grandiose.

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La ville des princes-archevêques La ville que l'on découvre au pied du château, date en partie des XVIe et XVIIe siècles. Inscrite au patrimoine de l'UNESCO, elle fut dessinée par les goûts artistiques de princes-archevêques éclairés comme Wolf Dietrich von Raiteneau qui rêvait de fonder la « Rome du Nord ». En faisant appel à l'Italien Santino Solari pour la construction de la cathédrale Saint-Rupert (Salzburger Dom) qu'il souhaitait voir dépasser la magnificence de SaintPierre de Rome, ce prince romanesque donna le style à l'architecture baroque de Salzbourg qui se couvrit de places, d'églises et de fontaines, comme l'abreuvoir aux chevaux des écuries archiépiscopales. Avant de mourir prisonnier dans la forteresse qu'il avait faite embellir, ce prince fit ériger sur la rive droite de la Salzach, pour sa maîtresse Salomé Alt, mère de ses douze enfants, le château de Mirabell jadis appelé « Alteneau » (contraction de leurs deux noms) dont les magnifiques jardins ornés de fontaines, de statues et de tonnelles fleuries, sont un délicieux lieu de promenade invitant à la rêverie. Son successeur Marcus Sittikus von Hohenems poursuivit la construction de la cathédrale dont il réduisit les proportions, et fit édifier, à 5 kilomètres de Salzbourg, le château de plaisance de Hellbrunn renommé pour ses célèbres jeux d'eau. Le prince-archevêque suivant, Paris Graf von Lodron consacra la cathédrale et acheva la nouvelle résidence des princes (Residenz) d'un luxe inouï, édifiée dans le style baroque tardif et néo-classique sur une vaste place au centre de laquelle jaillit l'étrange fontaine dite Residenzbrunnen. Ce somptueux palais abrite la très belle collection de peintures des XVIIe et XVIIIe siècles (Rezidenzgalerie). Le règne millénaire des princes-archevêques s'acheva en 1803, avec le comte Hieronymus von Colloredo que Napoléon fit abdiquer.

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3. Vue panoramique de la vieille ville, la Salzach, la colline de Mönchsberg et sa forteresse. 4. Cimetière Saint-Pierre. 5. Scène du Manège des rochers. 6. La Grande salle du Mozarteum. 7. Maison natale de Mozart. 8. Vue sur la vieille ville, la colline de Mönchsberg et sa forteresse.

4 Sur les pas de Mozart Ce prince-archevêque employait Mozart qu'il traitait comme un domestique. Mozart finit par démissionner et quitta Salzbourg sans regret pour Vienne où il mourut dix ans plus tard. Le père de Don Giovanni, bien que natif de Salzbourg, n'aimait pas cette ville qu'il qualifiait de « provinciale ». Ses habitants lui rendaient son mépris en le traitant de fripon et de pouilleux. Depuis, les choses ont bien changé. Dès 1842, la ville lui érigea, au centre d'une vaste place qui porte son nom (Mozart-Platz), une statue de bronze qui arriva de Munich tirée par des chevaux. Située dans la très élégante rue pavoisée d'enseignes corporatives en fer forgé (Getreidegasse), sa maison natale (Mozarts Gedurtshaus) restaurée et transformée en musée, présente des souvenirs extrêmement émouvants tels que des instruments de

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musique lui ayant appartenu, des partitions et des objets personnels, comme une mèche de ses cheveux. La seconde maison des parents de Mozart (Mozart-Wohnhaus) se trouve de l'autre côté de la rivière Salzach, dans la partie de la ville bâtie au pied du Mont des Capucins (Kapuzinerberg). D'ici, les clochers à bulbe, les dômes de cuivre de la vieille ville se découpant sur la colline de Mönchberg couronnée de sa forteresse, offrent un panorama exceptionnel. Détruite en partie pendant la Seconde Guerre mondiale puis rebâtie selon les plans originaux en 1996, cette demeure, où Mozart créa quelque cent cinquante œuvres, est devenue un musée où sont exposés de nombreux instruments de musique, des livres, des tableaux ayant appartenu à la famille. Une immense carte murale retrace les dix-huit voyages à travers l'Europe que le compositeur a effectués en trois mille sept cent vingt jours à travers l'Europe, soit durant un tiers de sa vie. Le culte de Mozart Cette maison est située non loin du Mozarteum, célèbre salle de concerts bâtie avant la guerre de 14 grâce à la Fondation Internationale Mozarteum,

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dont la mission était d'encourager la musique et d'entretenir le culte de Mozart. On y trouve une école de musique ouverte aux étudiants du monde entier, une formidable bibliothèque rassemblant près de 20 000 titres et les Archives Mozart qui conservent des partitions autographes et des lettres de la famille Mozart. Deux salles de concerts complètent cet ensemble, l'une de 200 places, dite « salle de Vienne », et la « Grande salle » de 800 places à l'acoustique exceptionnelle. Durant les entractes, une promenade dans le petit jardin attenant, permet de découvrir la « maisonnette de la Flûte enchantée » jadis à Vienne, où Mozart aurait été enfermé par son librettiste Schikaneder, pour qu'il achève plus rapidement la composition de La Flûte enchantée. Cet opéra féérique est devenu l'une des productions les plus populaires des Marionnettes de Salzbourg dont le petit théâtre est construit à deux pas du Mozarteum. Depuis 1913, ces gracieuses poupées de bois, richement vêtues, ont réjoui des générations de spectateurs, en interprétant les plus grandes œuvres lyriques du répertoire. Non loin de là, le paisible et romantique cimetière de St-Sébastian, planté

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8 d'ifs séculaires, abrite les restes de Leopold, père de Mozart et de son épouse Constanze. Sa sœur Nannerl est, quant à elle, enterrée au pied de la colline de Mönchsberg, dans le ravissant cimetière St-Pierre qui, avec ses très anciennes pierres tombales, fleuries et surmontées de délicates croix de fer forgé, est considéré comme l'un des plus beaux et des plus anciens du monde. A Salzbourg, il n'est pas une église ou un palais qui ne rappelle la présence de Mozart, comme la cathédrale qui fut témoin de son baptême, puis résonna de la musique sacrée qu'il composa quand il était organiste du prince-archevêque Colloredo. C'est en l'église baroque St-Pierre qu'il dirigea son épouse Constanze pour la création, en 1783, de sa Messe en do-mineur, qui depuis est programmée chaque été pendant le

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Les carnets de voyage de Kathereen Abhervé >>

festival. Son Requiem inachevé y est également exécuté tous les ans, la veille de sa mort (5 décembre). Sur un petit air sucré Mozart, non content de combler notre cœur et notre esprit par la grâce et la perfection de ses compositions, enchante, et ce bien malgré lui, depuis plus d'un siècle nos papilles gourmandes, avec les célèbres « boules de Mozart » (Mozartkugeln) que l'on trouve partout en Autriche, mais dont Salzbourg a le monopole de fabrication. Ces petites gourmandises de massepain et de nougat enrobées de chocolat, toutes rondes et bien dodues, fondant entre langue et palais, furent créées un beau jour de l'an de grâce 1890, par un maître pâtissier salzbourgeois. A Salzbourg comme à Vienne, on est très gourmand et les cafés font partie du quotidien des habitants. Preuve en est la quarantaine d'établissements répertoriés dans la petite brochure distribuée par l'Office de Tourisme de Salzbourg (Salzburger Kaffeehaus-Führer). Les cafés, comparables à nos traditionnels salons de thé, sont des lieux conviviaux où l'on bavarde entre amis, discute affaires, et où l'on aime venir seul, lire le journal en dégustant l'une de ces impressionnantes pâtisseries surmontées d'une pyramide de crème chantilly. Même si vous n'êtes pas trop attirés par les douceurs, ne manquez pas d'aller chez Tomaselli, l'un des cafés les plus anciens de Salzbourg, qui vous servira la spécialité, un Salzburger Nockerln, délicieux soufflé crémeux. Salzbourg, terre de festivals Le premier festival de Salzbourg (Salzburger Festspiele) fut imaginé par des hommes qui, au sortir des longues et douloureuses années de la Guerre de 14-18, croyaient, comme Max Reinhardt, en « la paix par l'esprit » et rêvaient que « Salzbourg serve l'héritage classique du monde ». La représentation du mystère « de la mort de l'homme riche », Jedermann du poète Hugo von Hofmannsthal, donné en plein air et en plein jour, sur le parvis de la Cathédrale, le 22 août 1920, ouvrit l'ère des festivals. Vu l'ampleur du succès, il fallut trouver d'autres lieux pour accueillir les concerts et opéras des festivals suivants. Le Manège des Rochers (Felsenreitschule) que les princes-archevêques avaient jadis fait tailler dans la colline Mönchsberg, afin de permettre aux spectateurs du XVIIIe siècle d'assister aux exercices d'équitation, est réaménagé. Il sert aujourd'hui de décor aux opéras à ciel ouvert (ou protégés d'un velum), montés dans ce lieu prestigieux pouvant accueillir 1 500 mélomanes. D'autres salles sont créées comme le Grand Pa-

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10 lais des festivals (Grosses Festspielhaus) et la Maison Mozart (Haus für Mozart) qui forment le « quartier du Festival » (Festspielbezirk). Le Festival d'été consacré aux concerts classiques, à l'opéra et au théâtre, est rapidement devenu un événement musical de tout premier ordre où se rencontrent les plus grandes voix et des chefs d'orchestre de renommée internationale comme le Salzbourgeois Herbert von Karajan qui, en 1967, fonda « son » Festival de Pâques (Salzburger Osterfestspiele), puis, six ans plus tard, le Festival de Pentecôte (Salzburger Pfingstfestspiele) consacré à la musique baroque. Le Festival de Pâques Depuis les « années Karajan » durant lesquelles le maître dirigeait plusieurs grands concerts et un opéra de Wagner, à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Berlin, le Festival de Pâques a vu se succéder plusieurs grands chefs. En 2002, Sir

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9. Le Grand Palais des festivals, la colline de Mönchsberg et sa forteresse. 10. Façade de la Cathédrale Saint-Rupert. 11. Vue sur les toits de la vieille ville et ses "cent clochers". 12. L'abreuvoir aux chevaux des écuries archiépiscopales. 13. Façade de l'église baroque Saint-Pierre.


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tival d'Art lyrique d'Aix-en-Provence (été 2009), cette nouvelle production permettra d'entendre Ben Heppner (Siegfried) et Katarina Dalayman (Brünnhilde). Il n'y a plus un instant à perdre pour réserver vos places. Si d'aventure, des lecteurs étaient frustrés de ne pas avoir trouvé même l'ombre d'un strapontin, ils pourront toujours se « rabattre » sur le Festival de Pentecôte programmé du 21 au 24 mai prochain, qui leur permettra d'entendre, dans des écrins prévus à cet effet, des concerts dévolus au baroque napolitain. Sinon, il leur restera encore la pléthore d'événements musicaux et théâtraux du prochain Festival d'été (25 juillet au 30 août) ! N k.abherve@geneveopera.ch

Simon Rattle en est devenu l'intendant et s'est aussitôt employé à attirer de nouveaux publics en diversifiant les programmations. La prochaine édition du Festival, qui se déroulera du 27 mars au 5 avril 2010, commencera comme chaque année avec la première représentation d'un opéra, le samedi d'avant le dimanche des Rameaux et s'achèvera le lundi de Pâques, avec la seconde représentation. Entre ces deux temps forts, six soirées de trois concerts avec le Philharmonique de Berlin, un concert exécuté par un orchestre de jeunes dans une salle de plus de 6 000 places (Salzburgarena), et les « Kontrapunkte » regroupant des concerts de musique contemporaine. Sir Simon Rattle, quarante ans après le Ring fondateur de Karajan, dirigera Götterdämmerung (Le Crépuscule des dieux), les 27 mars et 5 avril (17 h) dans une mise en scène et des décors de Stéphane Braunschweig. Coproduite avec le Fes-

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Renseignements Office de Tourisme de Salzbourg : http:// www.salzburg.info/fr/ • Tél. : 0043662 88987-0 Festival de Pâques de Salzbourg : http://www.osterfestspiele-salzburg.at/ Réservations : karten@osterfestspiele-salzburg.at Tél. : 0043662 8045-361

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Kathereen Abhervé


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Echo du Terroir de Crimée

Leclimat

a.barriere@romandie.com

enCrimée

LE CLIMAT DE CRIMÉE PEUT ÊTRE DIVISÉ EN TROIS ZONES : LA ZONE STEPPIQUE, LA ZONE CÔTIÈRE MÉRIDIONALE ET LA ZONE MONTAGNEUSE ENTRE LES DEUX.

Alain Barrière

ans la zone steppique au nord et au centre de la Crimée, et jusqu’au pied des montagnes, on trouve un climat plutôt continental. Les températures moyennes en hiver sont en-dessous de 2°C, en été par contre, les températures peuvent monter très haut. Le total des précipitations tout au long de l’année est peu important. Sur la bande côtière au sud, le climat est méditerranéen et très ensoleillé. Il fait en moyenne 4°C l’hiver et 26°C l’été. Des précipitations sont à prévoir en général en hiver et au printemps. La température moyenne de l’eau pendant les mois d’été est de 24°C et se maintient à ce niveau jusqu’en octobre. Les meilleures périodes pour voyager en Crimée sont de début mai à fin juin, et de début septembre à début octobre. A ces périodes, les températures sont de plus de 20°C, donc très agréables, et vous éviterez ainsi les canicules de juillet-août, pendant lesquelles la température extérieure peut monter aude 40°C. Les dessus montagnes connaissent plus de précipitations en été. La tempé-

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rature moyenne y est à cette période de l’année de 18°C. Les origines du vin de Crimée C’est au 19e siècle que remonte la tradition vinicole de Crimée. A cette époque-là, le prince Mikhail Semionovitch Vorontsov, alors gouverneur général de la région de Novorossiïsk et grand amateur de vins, créa le premier domaine vinicole de la presqu’île en faisant planter des vignes dans sa propriété d'Aloupka. En 1928, il ordonna la création d'un établissement étatique expérimental à Magaratch (qui signifie source), dans les environs du jardin botanique de Nikita. A Magaratch devaient être étudiées différentes techniques d'amélioration des vignobles et de production du vin, afin de permettre la plantation massive des meilleurs cépages dans la région. Sur une surface de 6 desiatinki (soit environ 43 hectares) furent plantées 4 000 pieds de vigne de type pinot franc de bourgogne, petit verdot, gros verdot, malbec et merlot. L’un des premiers scientifiques à

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Echo du Terroir de Crimée s’installer à Magaratch à la demande de Vorontsov fut le français Franz Gasquet, ainsi que son assistant Anastase Serbulenko. Ils se donnèrent pour tâche de produire un vin de bonne qualité, vieillissant bien, sans forcément s’attarder sur le fait que son goût rappelle un vin produit autre part. Privilégiant la qualité, le prince Vorontsov ordonna de ne conserver que les meilleurs vins, les autres devant être vendus immédiatement après leur mise en bouteille. Trois ans après sa production, chaque sorte de vin conservée devait être à nouveau goûtée et analysée, afin de déterminer sa durée optimale de conservation, et seules quelques bouteilles des meilleurs crus devaient être entreposées dans la cave du domaine. C’est ainsi que fut créée la fabuleuse collection de vins de Magaratch, qui compte aujourd’hui 21 651 bouteilles de quelques 3 200 différentes sortes de vin, dont un muscat rose datant de 1836, enregistré dans le Guinness des records comme étant le vin le plus ancien produit en Russie et conservé jusqu’à nos jours. La terre ensoleillée de Crimée se révéla être optimale pour la production de vins liquoreux et aromatiques. Les muscats, entre autres, produits exclusivement les années particulièrement favorables, s’avérèrent être de très bonne qualité. Afin d’augmenter le taux de sucre dans les raisins, chaque grappe était relevée et les pieds de vignes taillés avec un ciseau spécial, selon une méthode utilisée en Grèce antique. Un laboratoire œnologique En 1871, un chimiste de renom, Alexandre Salomon, s’établit au domaine, ce qui fut le point de départ de la création d’un laboratoire œnologique. Les premiers élèves à être accueillis dans ce laboratoire furent dix garçons venant d’un orphelinat de guerre. Par la suite, seuls des étudiants lettrés furent admis dans cette sorte de pensionnat, où pour 50 roubles par an étaient révélés les secrets et le savoir-faire de la viticulture. Dans ce laboratoire furent formés de nombreux spécialistes, qui trouvèrent par la suite du travail dans des exploitations privées, ce qui permit d’améliorer les techniques de production de vin dans toute la Crimée. Les vins de Magaratch contribuèrent sans aucun doute à la renommée des vins de la presqu’île. En 1873, par exemple, lors de l’exposition Universelle de Vienne, les traminers, muscats et pinots gris de Magaratch furent récompensés par de nombreux prix. La deuxième et troisième génération de savants installés au laboratoire de Magaratch se penchèrent sur le développement de techniques de production rendant la qualité du vin moins dépen-

dante des conditions climatiques. Ils améliorèrent leurs techniques de vinification, ce qui aboutit à la production de muscats, madères, sherrys et portos caractéristiques, dont le processus de fabrication n'a quasiment pas changé jusqu'à nos jours. En 1940, après une grande consultation, les viticulteurs et les œnologues s'accordèrent sur le fait de n'exploiter principalement que huit sortes de raisins, le choix définitif du lieu où planter les cépages prenant en compte les caractéristiques climatiques et d'exposition des différentes parties de la presqu'île. Au temps de l'Union soviétique, des filiales du laboratoire de Maragatch furent créées en Russie, Moldavie Biélorussie et dans le reste de l'Ukraine. Aujourd'hui, de nombreux jeunes chercheurs viennent à Magaratch pour étudier les nombreux documents d'époques et études historiques conservés parmi les 104 400 tomes que contient la bibliothèque du domaine. Koktebel C’est également grâce à la volonté d’un passionné, Edouard Andreevitch Younguié que fut créé le domaine vinicole de Koktebel en 1879. Son fils, Alexandre Edouarovitch, voyagea en France, en Espagne, en Italie et en Allemagne pour étudier la viniculture, afin d’améliorer la production de vin du domaine familial. Le domaine de Koktebel est aujourd'hui réputé pour ses vins d'origine contrôlée de très bonne qualité et pour ses cognacs. Le “champagne” de Crimée La première cave à “champagne”, elle, fut créée en 1878 par le prince Léon Golitsyne, aujourd’hui appelé le “roi du vin russe”. Le prince parcourut tout l’Empire russe avant de jeter son dévolu sur la Crimée. Il donna le nom de “Novy Svet”, Nouveau Monde, au domaine, en référence à la découverte de l’Amérique. Cet amateur de mousseux tint à reproduire à Novy Svet la méthode classique d’élaboration du “champagne” inventée par le moine bénédictin Dom Pérignon au 17e siècle. La méthode classique de mise en bouteille du champagne mise en œuvre à Novy Svet était caractérisée par trois étapes. Le vin, disposé dans des bouteilles à champagne, était tout d’abord conservé un à trois ans à une température de 12 à 14°C. Ensuite, lors de l’étape dite du “remuage », les bouteilles étaient disposées pendant trois mois sur un pupitre, goulot vers le bas, afin d’en faire descendre les lies. Ces lies étaient dans un troisième temps

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éliminées. Cette méthode délicate nécessitait l’emploi de cépages de qualité exceptionnelle. A Novy Svet furent plantés des cépages de type pinot, aligoté, cabernet et riesling rhénan, ainsi que, dans un vallon particulièrement protégé, les vignes dites “du sacre”, desquelles fut produit le champagne destiné à la table de parade lors des festivités organisées Moscou en 1896 à l’occasion du sacre du tsar Nicolas II de Russie. Ce champagne à qui l'on donna le nom de “Paradisio” remporta le Grand Prix de la Coupe, le prix le plus prestigieux, lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1900. La Vallée du soleil Non loin de Soudak se trouve une vallée particulièrement bien protégée, où un climat particulièrement favorable permet la plantation de raisins délicat. Il s'agit de la Vallée du soleil, connue aujourd'hui pour ses vins liquoreux. C'est également au prince Golitsyne que l'on doit la création à cet endroit de la cave. Cette cave servit ensuite de modèle pour de nombreuses autres, comme pour celle de Massandra par exemple. La Vallée du Soleil est le seul endroit au monde où il est encore possible de trouver certaines vignes très anciennes, par exemple des vignes de type Ekim kara, desquelles sont produites le fameux vin "tchiornyï doktor", le docteur noir, Djevat kara, Kefessia et Kok pandas. Les caves impériales C’est en 1892 que le prince Golitsyne acquit des terres à proximité du village de Massandra, où dans le passé la femme du prince Vorontsov possédait également une propriété, afin de construire une immense cave à champagne, qui fut achevée en 1897. Il était possible de conserver dans cette cave 250 000 décalitres de vin en tonneaux ainsi que 1 000 000 bouteilles. Chaque année, en

août, fut organisée une immense foire aux vins. L’empereur Nicolas II visita Massandra deux ans après l’inauguration de la cave, en 1889, et depuis lors, le meilleur vin produit à Massandra fut réservé à la consommation de la cour du tsar. Les vins produits à Massandra restent jusqu’à aujourd’hui très réputés, notamment ses portos, sherrys et madères. A l'époque soviétique, de nombreux domaines furent transformés en kolkhozes ou sovkhozes. Si aujourd'hui la plupart des domaines sont spécialisés dans la production de cognacs, de vins forts et sucrés ou de vins de tables, chaque exploitation a pourtant su garder sa propre caractéristique. Massandra produit, depuis sa création en 1894, des vins de qualité supérieure qui ont reçu de nombreux prix. Ces vins sont présents dans de grandes expositions internationales et aussi dans des dégustations. 24 vins de marque Massandra ont été récompensés par 2 Grands Prix, 148 médailles d’or, d’argent et de bronze. Le sous-sol de Massandra contient environ un million de bouteilles de vins de différents types. Elle possède aussi une collection de vins très vieux, par exemple un “Jerez de la Frontera” récolté en 1775. La collection de Massandra avec la connaissance du passé nous aide à comprendre le présent et à prévoir l’avenir avec les variétés de raisin différentes localités et de différentes années ainsi que la technique de la vinification. Ce sont des documents historiques d’une valeur immense. Ces vins de collection ont été rassemblés suite à un travail acharné de nombreux professionnels talentueux. En 1897 un sous-sol, composé de 9 galeries dont l’une est appelée “le million”, a été construit pour l’entreposage du vin. Pendant la guerre civile les vins de Massandra ont échappé au pillage. Tous les escaliers menant au

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Echo du Terroir de Crimée Bon à savoir…

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ne adresse si vous voulez découvrir cette région de l’Ukraine et les caves du Pays aux 1 000 000 et 1 bouteilles avec des interlocuteurs francophones en Allemagne : Dreizackreisen Trident Voyage - Alexandre Jolivet, Marten Lange et Marie Kolly - Graunstraße 36 - 13355 Berlin - Tél.: +49 30 46 7771 46 - Fax: +49 30 46 7771 47 - Web: http://www.dreizackreisen.de

sous-sol ont été « murés » avec des grosses pierres, et du ciment. Après l’instauration du pouvoir soviétique en Crimée les collections de vins ont été nationalisées. En 1923 il y avait environ 200 000 bouteilles dans la collection de Massandra. En 1926 la question s’est posée de l’élimination totale de la collection. Des experts, Andryuschenko, Kramm, Shakhov, Polyakov, Mikhailov, ont effectué l’analyse des vins millésimés de la collection et ont démontré l’intérêt scientifique et industriel de ces vins. De 1923 à 1936 la collection de Massandra a été presque reconstituée. Parfaitement conscient de l’importance d’accroître la production de vins de qualité, de continuer à surveiller la qualité des vins lors de leur vieillissement, d’augmenter la production de vins millésimés, d’identifier de nouveaux domaines

de vin de qualité, le ministre de l’industrie alimentaire Mikoyan a signé deux décrets en février 1936. Dès ce moment commence la croissance quantitative de la collection des vins de Massandra. En 1941, la collection de Massandra est à nouveau en danger. Elle est alors évacuée à Tbilissi où elle restera enterrée jusqu’en 1945 avant de revenir à Massandra. Dans la fondation du musée 3 bouteilles de vins de chaque sorte sont gardées sur toutes les années de récolte afin de maintenir une constante. Advertising Research Foundation a été créée pour étudier les changements dans les vins pendant un stockage prolongé dans des bouteilles, familiariser les professionnels avec les processus de vieillissement de bouteille de vin, de participer à des salons, des ventes aux enchères, expositions à des fins publicitaires. A l’heure actuelle la collection de Massandra est d’environ 1 million de bouteilles de vin. Alliez plaisir et découverte, visite informative et dégustation et laissez-vous surprendre vous aussi par l'incroyable richesse des vins de Crimée en visitant les nombreux domaines, caves et salles de dégustations de la presqu'île, où vous pourrez trouver, parfois en exclusivité, des vins originaux et de caractère qui ne vous laisseront pas indifférents. N

Quelques impressions de dégustations Terroir, Gastronomie et Folklore Vin rouge : le Massandra Aluahta est un Cabernet Sauvignon. C’est un vin léger de belle intensité, il tire vers le rouge grenat. Son nez, agréable et élégant, annonce une belle plénitude au travers de ses notes épicées. L’intensité de sa robe est en relation avec sa puissance en bouche, qui reste ouverte et grasse. Tout en conservant des notes épicées. Vous pouvez le trouver pour CHF 18.90. D’autres vins : le Massandra Muscat Blanc, le Massandra Kagor South Coast Rouge qui est un vin doux et une anthologie le Massandra Bastardo Rouge 2003 à CHF 37.50. Une adresse en Suisse Romande pour tous les vins de l’Est Crimée, Georgie et Moldavie : Spirit of Wine Sàrl - Rte de la Versoix 6 - 1185 - Mont sur Rolle. Tél. Cave : 079 217 71 26 - Tél. Bureau : 021 826 11 75 - Email : danywinehouse@bluewin.ch

Fondue de girolles Mettez dans une casserole girolles, huile d’olive ; ajoutez des tomates noires de Crimée en morceaux ; faites suer ; allongez de 3 cuillères à soupe de crème à 18% et 25 grammes de beurre par portion ; intégrez le paprika à raison de 4 bonnes pincées par portion ; laissez mitonner, cuisson à consistance ; salez légèrement à la fin, réservez. Pour prendre un peu la température conviviale du pays, le Folklore de Crimée viendra presque à vous. La tournée des Chœurs de Crimée est venue une fois en Suisse, et, en 2010, ils viendront en France. Parmi les dates et endroits les plus proches en Rhône-Alpes, à Bron le 23 mars et à Voiron le 24 mars. Renseignements : Didier Badel - Tél. : +33 4 78 41 12 70. Email : dmbadel@club-internet.fr http://www.crimeanchoir.com

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Lesfêteschrétiennes basesdel’artculinairefrançais l m'est difficile de parler du plaisir de bien manger, de dégustation, de gastronomie quand les médias, depuis plus de deux semaines, étalent la misère endurée par les Haïtiens, qui n'ont même pas un verre d'eau à disposition. Les journalistes ont l'outrecuidance de nous montrer les scènes les plus choquantes, les plus dégradantes avec un cynisme répugnant. On voit ces pauvres gens se déplacer en meute et se battre comme des animaux pour de la nourriture, ou des choses insignifiantes… Ce que nous ferions, nous aussi, si nous étions à leur place. Nous avons beaucoup de peine à imaginer le dénuement dans lequel vivent ces êtres humains semblables à nous. Notre mémoire est très courte, il n'y a pas très longtemps, au moyen âge et lors de périodes encore plus proches, nos ancêtres ont connu le manque de nourriture, la famine. A cette époque la population était illettrée, seule une certaine élite avait accès au savoir. Il n'y avait pas de moyens de conservation élaborée, il n'y avait que la dessiccation et le sel… Pas de réfrigérateur, pas de congélateur, encore moins de sous-vide ou de lyophilisation, les conserves n'avaient encore pas été découvertes, si bien que même lors d'années normales, les hivers étaient difficiles à passer et les soudures entre les récoltes étaient compliquées. Il était très préoccupant d'assurer en tout temps la nourriture des habitants, la production était incertaine, le stockage aléatoire et l'utilisation difficilement contrôlable. C'est l'élite, dont les religieux en composaient la majeure partie, qui devait en assurer la gestion. Les moyens de communication étaient inexistants, les lois mal établies et difficile-

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ment respectées, seule la religion, très puissante, écoutée et respectée à l'époque, pouvait apporter une solution. Dans notre culture judéo-chrétienne, les fêtes religieuses étaient toujours agrémentées tant sur le plan du comportement que sur celui de la nourriture, d'obligations, de restrictions, d'interdictions, autant de moyens pour trouver des solutions aux problèmes du moment. Toutes ces fêtes influentes, par où passaient les messages, nous les retrouvons aujourd'hui, mais elles n'ont plus le même effet, seul le côté festif demeure. C'est en ce moment de l'année, durant les premiers mois, à la période charnière fin d'hiver- printemps que naturellement, il y en a le plus. La fête la plus importante dans notre calendrier est Pâques, et c'est cette Fête qui régit les dates de toutes ces fêtes que l'on dit mobiles. Sa date dépend du mouvement du soleil et des saisons, ce qui est logique, elle est, en fait, basée sur le calendrier lunaire, comme celui utilisé par les Juifs pour fixer notamment la date de la Pâque juive. Un problème, apparu plus tard, la différence des pratiques entre les églises occidentales et les églises orthodoxes. Les premières adoptent le calendrier Grégorien pour calculer la date de Pâques, alors que les dernières utilisent toujours le calendrier Julien originel. Le Conseil œcuménique des Églises proposa une réforme de la méthode de détermination de la date de Pâques lors d'un sommet à Alep (Syrie), en 1997. Cette réforme échoua, c'est pourquoi encore aujourd'hui, il y a des différences de dates entre églises occidentales et orientales.

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jjpoutrieux@bluewin.ch

L'agneau pascal étant un symbole marquant dans les religions juive et chrétienne, on le retrouve immanquablement dans la gastronomie de cette fête, en Alsace, on confectionne même un biscuit en forme d’agneau appelé « Osterlammele », ce biscuit riche en œufs permettait d’écouler le stock d’œufs accumulé pendant le Carême. Les dates des fêtes, dites mobiles, dépendent directement de la date de Pâques. Ainsi le Carême, un jeûne de quarante jours précédant Pâques interdisait de manger de la viande et des œufs, ce qui permettait au gibier de se reproduire et ainsi de ne pas venir à manquer, la viande provenant de la chasse et non de l'élevage encore rudimentaire à l'époque. L'Église ayant instauré au IVe siècle cette interdiction de manger des œufs pendant le Carême et les poules continuant à pondre, les œufs pondus depuis le début du Ca-

Jean-Jacques Poutrieux

rême, n'ayant pas été consommés, étaient alors décorés et offerts. De nos jours, le jeûne n'est plus observé aussi strictement mais la tradition d'offrir des œufs, est restée et aujourd'hui, ils sont souvent en chocolat. Mardi-gras est une fête qui marque, en apothéose, la fin de la « semaine des sept jours gras » autrefois appelés "jours charnels", qui précédaient le Carême. Mardi gras, populairement, est aussi le jour où l'on mange les fameux "beignets de carnaval". C'était le dernier jour où il était possible de manger de la viande, juste avant le Mercredi des Cendres, premier jour du Temps

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du Carême. Il est une Fête qui précède toutes ces Fêtes, c'est la Chandeleur. Le nom populaire de cette fête a une origine latine et païenne : la festa candelarum ou fête des chandelles. La date de la Chandeleur est fixe, elle ne dépend pas de Pâques. Elle a été fixée quarante jours après Noël, le deux février, pour fêter officiellement la Présentation du Christ au Temple, la chrétienté a eu beaucoup de peine à imposer cette fête comme fête religieuse, car depuis l'antiquité, l’ours faisait l’objet d’un culte très suivi. Il était coutume de fêter sa sortie d’hibernation vers la fin du mois de janvier ou le tout début du mois de février. Il s’agissait là de la simulation du moment où l’ours sortait de sa tanière pour voir si le temps était clément. Cette fête, très prisée, était caractérisée par des déguisements ou travestissements en ours, et des simulacres de viols ou d’enlèvements de jeunes filles. C'est le pape Gélase 1er qui institua au Ve siècle cette fête des chandelles, et, pour que la fête soit grande et appréciée, pour inciter tout le monde à y participer, il ordonna l'ouverture des greniers-réserves de grain et de farine afin que chacun puisse faire des galettes, des crêpes, cette coutume subsiste encore aujourd'hui. Cela montre bien l'importance de "l'estomac" dans l'acceptation et la pérennité des coutumes ! Néanmoins, jusqu'au XVIIIe siècle, la chandeleur fut appelée “chandelours” dans de nombreuses régions françaises où le souvenir du culte de l’ours était encore très présent. Pâques étant le pilier, on trouve l'Ascension quarante jours après, la Pentecôte cinquante jour après, et la Fête-Dieu soixante jours après, autant de fêtes qui apportent leur lot de spécialités culinaires en rapport avec la saison, la région, les produits, c'est une période faste : Primeurs, jeunes animaux, fruits, etc. Aujourd'hui l'élevage massif, en batterie, la culture intensive, sous serre, l'importation de pays lointains nous ont fait perdre nos reflexes naturelles et nous empêchent d'apprécier à sa juste valeur ce que nous est offert par les saisons. La cuisine pratiquée et appréciée par le Français fait partie du patrimoine de la France, ce qui précède le démontre. N


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Le mot de la fin SI ON Y RÉFLÉCHIT BIEN, TOUTE NOTRE VIE DÉPEND D’UNE DIZAINE DE DÉCISIONS PRISES AVANT D’AVOIR L’ÂGE D’EN MESURER VRAIMENT LES CONSÉQUENCES. CHOISIR C’EST RENONCER ET SE PRIVER DE TOUS LES FUTURS POSSIBLES POUR N’EN VIVRE Q’UN SEUL.

Delasommedetoutesles

coïncidences nécessaires e là, l’homme en général et le philosophe en particulier, se sont demandé si l’humain avait véritablement le pouvoir de choisir entre deux actions, deux directions contraires, sans être déterminé par aucune nécessité, spontanément et consciemment. Le libre arbitre existe-t-il ? Liberum arbitrium. Le concept, tel que le définit à l’origine Saint Augustin (Augustin d’Hippone), tend principalement à imputer à l’homme seul l’origine du mal et à en exonérer Dieu, pourtant créateur de toutes choses : « Dieu a conféré à sa créature le libre arbitre, c'est-à-dire la capacité de mal agir, et par là même, la responsabilité du péché. » Saint Thomas d’Aquin, en s’appuyant sur les textes d’Aristote qui définissent l’acte volontaire en ce qu’il est spontané (libre de toute contrainte) et intentionnel (en connaissance de cause), associe à la notion originelle, la volonté et la raison, rendant l’individu garant de ses actes, devant les lois morales, pénales et divines. « Vouloir, c’est choisir, c’est se déterminer, c’est donc être libre. » Mais l’homme est-il vraiment aussi libre de ses choix qu’il le croit ? De nombreuses cœrcitions s’opposent à l’idée de libre arbitre : juridique (la loi m’interdit certaines actions que j’aurais peut-

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Le mot de la fin être bien aimé choisir), sociale (j’évite de faire ce qui pourrait m’exclure du groupe). « L’enfant et l’ivrogne se croient libres » écrivait Spinoza, parce qu’ils n’ont pas conscience de la cause qui les fait agir. Le rôle des motifs et la prévalence de l’un d’entre eux dans la détermination du choix, limite l’idée de liberté. Si je choisis ce que je pense être le mieux pour moi, puis-je dire que mon acte est libre ? Si je choisis ce qui n’est pas bon pour moi dans le but de prouver ma liberté, ne suis-je pas encore guidée par un motif déterminant ? La psychanalyse considère que la plupart de nos actes dépendent plus de notre inconscient que de notre volonté consciente. De nos jours encore, la question du libre arbitre préoccupe les penseurs, de la physique cantique aux mathématiques, de Daniel Clément Dennett à David Deutsch, de l’hypothèse d’Everett (les univers multiples) au « théorème du libre arbitre » de J. Conway et S. Kochen qui ont démontré, à travers trois axiomes, l’extrapolation possible aux particules élémentaires. Oui mais, pour pouvoir choisir, librement ou non, encore faut-il avoir le choix ! Impossible de devenir héroïque ou lâche en l’absence de danger. Hors de toute tentation, comment savoir si l’on succombera ? Bref, pour devenir un chef de la Résistance, encore faut-il qu’il y ait la guerre. C’est parce que le concierge, ordinairement très ponctuel, souffrait d’une gueule de bois lamentable liée au départ de son épouse retournée chez sa mère – avait-il fêté cela ou bien avait-il bu pour oublier, on ne le saura jamais – que les poubelles se trouvaient encore dans la cour. C’est parce qu’il avait levé nez pour essayer de voir de quelle fenêtre de l’immeuble fusait un éclat de rire, incongru en cette heure matinale, qu’il buta dans les immondices et salit son pantalon – neuf et en lin crème, le soleil brillait ce matin là. Il dut donc remonter se changer, passa un jeans (le seul propre qui lui restait) et partit en retard. Ces douze minutes de décalage par rapport à son planning habituel, lui firent rater son bus. Il décida de se rendre à la station de métro la plus proche, ce qu’il ne faisait jamais. Il se trouva donc sur le pont – à un moment où il n’aurait pas du y être – juste à l’instant où elle enjambait la rambarde. Il ne réfléchit pas : il plongea (et bénit le ciel de n’avoir plus son pantalon en lin crème,

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c’est fragile le lin). Il parvint à la rattraper, à la saisir, nagea jusqu’au quai voisin et par un bel effort qui lui valut un lumbago fort désagréable le lendemain, la hissa hors du fleuve. Dupont Lariette, journaliste désœuvré, se rendait chez son coiffeur, un jour inhabituel en raison d’un rendez-vous qu’il avait le soir même avec la nouvelle standardiste du journal qui remplaçait la titulaire, victime d’une mauvaise chute de cheval. Il assista à la scène et s’empara du fait divers. L’actualité était calme. Dupont Lariette avait eu le réflexe – en vrai professionnel - de réaliser plusieurs clichés. L’un d’entre eux était particulièrement bon, Match en fit une double page. Le sauvetage fut largement médiatisé : la jeune fille était belle et le héros sexy, moulé dans un 501 qui avait rétréci au contact de l’eau. Le sauveteur en sortit très valorisé. Il demanda une augmentation à son patron, l’obtint, emmena sa femme en vacances, loin, et évita, sans le savoir, d’être cocu par le plombier d’à côté, connu à l’occasion d’une panne de machine à laver et auquel elle allait succomber par ennui. On ne trompe pas un chevalier des temps modernes, photogénique et promu. La suicidée fut secourue, réconfortée, écoutée et rencontra en allant chez son psy, un jeune homme charmant venu réparer l’ascenseur. A-t-il plongé d’instinct ? A-t-il choisi librement de plonger ? A-t-il plongé pour répondre aux dictats inconscients de son éducation judéo-chrétienne ? A-t-il voulu avoir une très bonne excuse pour être en retard au travail ? La question reste posée. Mais si sa vie a basculé, c’est aussi en raison de toutes ces petites coïncidences anodines mises bout à bout, ces faits divers du quotidien, simultanéités de nos vies, grâce auxquelles on se rencontre, on se retrouve, on se construit et on forge nos destins. N c.bb@orange.fr

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Corinne Braquet-Béjot


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