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Volume XXII, n˚ 06 Montréal, 15 mars 2015

www.itineraire.ca

Les allers-retours

de Jean Leloup Dossier immigration Je t'aime… moi non plus

ZOOM Marc M.

La petite histoire des Sœurs Grises de Montréal


L’austérité n’a pas sa place en éducation.

Cocktails • Événements corporatifs ou privés • Repas pour écoles et CPE • Service de comptoir alimentaire • Pâtisseries pour cafés, restaurants, cafétérias ou pour vos occasions personnelles • Service aux tables • Location de salle.

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Marc M. Camelot No : 1307 | Âge : 38 ans Point de vente: angle Berri/Mont-Royal

A

près une enfance et une adolescence difficile en centre d'accueil, Marc vivait le parfait bonheur. Il avait fondé sa petite famille avec son amour du secondaire. Il était le fier papa d'un garçon de trois ans. Rien n'aurait pu prévoir la tragédie qui s'est produite le 16 août 2001. C'était un jour comme les autres : il allait chercher son fils à la garderie. Mais sur le chemin du retour, un chauffard les heurte de plein fouet. Marc s'en sort après six mois d'hospitalisation. Son fils n'a cependant pas eu la même chance. Profondément affecté par la mort de son fils et blâmé par sa belle-famille pour sa mort, Marc perd tous ses repères. «En sortant de l'hôpital, j'ai reçu de l'argent des assurances, de la SAAQ et je suis parti sur une dérape…une dérape qui a duré six ans.», se souvient-il avec regret. Il sombre dans la consommation folle d'héroïne et de crack, commet des délits et des vols. À 24 ans, il se retrouve en prison. Ce séjour de quatre ans n'a rien fait pour réparer ses blessures. «Quand les criminels sont tous mis ensemble au même endroit, penses-tu qu'ils vont danser et parler de pluie et de beau temps?» À sa sortie, il tente tant bien que mal de se remettre sur le droit chemin pour ne plus retourner en prison. Mais après quelques années où il refait sa vie avec une autre femme, il se retrouve à la rue et retombe dans la consommation. Le souvenir de son fils le bouleverse encore. «Chaque jour est un combat intérieur où je dois contrôler ma colère. Je vois mon gars écrasé dans le char et j'essaie de continuer ma route… Mais comment arriver à penser à l'avenir?», dit-il avec une rage dans la voix. Camelot à L'Itinéraire depuis juin dernier, Marc commence à remonter la pente. Bien qu'il reste poursuivi par ses vieux démons, il vit maintenant en appartement et se dit prêt à affronter les épreuves de l'avenir. PAR CHARLES-ÉRIC LAVERY PHOTO  : GOPESA PAQUETTE

15 mars 2015 | ITINERAIRE.CA

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NOS PARTENAIRES ESSENTIELS DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

Le Groupe L'Itinéraire a pour mission de réaliser des projets d'économie sociale et des programmes d'insertion socioprofessionnelle, destinés au mieux-être des personnes vulnérables, soit des hommes et des femmes, jeunes ou âgés, à faible revenu et sans emploi, vivant notamment en situation d'itinérance, d'isolement social, de maladie mentale ou de dépendance. L'organisme propose des services de soutien communautaire et un milieu de vie à quelque 200 personnes afin de favoriser le développement social et l'autonomie fonctionnelle des personnes qui participent à ses programmes. Sans nos partenaires principaux qui contribuent de façon importante à la mission ou nos partenaires de réalisation engagés dans nos programmes, nous ne pourrions aider autant de personnes. L'Itinéraire c'est aussi plus de 2000 donateurs individuels et corporatifs qui aident nos camelots à s'en sortir. Merci à tous ! La direction de L'Itinéraire tient à rappeler qu'elle n'est pas responsable des gestes des vendeurs dans la rue. Si ces derniers vous proposent tout autre produit que le journal ou sollicitent des dons, ils ne le font pas pour L'Itinéraire. Si vous avez des commentaires sur les propos tenus par les vendeurs ou sur leur comportement, communiquez sans hésiter avec Shawn Bourdages, chef du développement social par courriel à shawn.bourdages@itineraire.ca ou par téléphone au 514 597-0238 poste 222.

PARTENAIRES MAJEURS

Nous reconnaissons l'appui financier du gouvernement du Canada par l'entremise du Fonds du Canada pour les périodiques, qui relève de Patrimoine canadien. Les opinions exprimées dans cette publication (ou sur ce site Web) ne reflètent pas forcément celles du ministère du Patrimoine canadien.

PRINCIPAUX PARTENAIRES DE PROJETS ISSN-1481-3572 n˚ de charité : 13648 4219 RR0001

DU MONT-ROYAL

Desjardins

L'ITINÉRAIRE EST MEMBRE DE

RÉDACTION ET ADMINISTRATION 2103, Sainte-Catherine Est Montréal (Qc) H2K 2H9 LE CAFÉ L'ITINÉRAIRE 2101, rue Sainte-Catherine Est TÉLÉPHONE : 514 597-0238 TÉLÉCOPIEUR : 514 597-1544 SITE : WWW.ITINERAIRE.CA RÉDACTION Rédacteur en chef : Claude Leclerc Chef de pupitre, Actualités : Nafi Alibert Chef de pupitre, Société : Gopesa Paquette et Alexandra Guellil Responsable à la production écrite des camelots : Charles-Éric Lavery Infographe : Louis-Philippe Pouliot Collaborateurs : Martine B. Côté, Isaac Gauthier et Ianik Marcil Adjoints à la rédaction : Sarah Laurendeau, Hélène Mai, Carolyn Cutler, Marie Brion Photo de la une : Gopesa Paquette Révision des épreuves : Paul Arsenault, Lucie Laporte, Michèle Deteix

Le magazine L'Itinéraire a été créé en 1992 par Pierrette Desrosiers, Denise English, François Thivierge et Michèle Wilson. À cette époque, il était destiné aux gens en difficulté et offert gratuitement dans les services d'aide et les maisons de chambres. Depuis mai 1994, L'Itinéraire est vendu régulièrement dans la rue. Cette publication est produite et rédigée par des journalistes professionnels et une cinquantaine de personnes vivant ou ayant connu l'itinérance, dans le but de leur venir en aide et de permettre leur réinsertion sociale et professionnelle. Convention de la poste publication No 40910015, No d'enregistrement 10764. Retourner toute correspondance ne pouvant être livrée au Canada, au Groupe communautaire L'Itinéraire 2103, Sainte-Catherine Est, Montréal (Québec) H2K 2H9

Québecor est fière de soutenir l'action sociale de L'Itinéraire en contribuant à la production du magazine et en lui procurant des services de télécommunications.

Directrice générale : Christine Richard ADMINISTRATION Chef des opérations et des ressources humaines : Duffay Romano Responsable de la comptabilité : Philippe Boisvert Adjointe administrative : Nancy Trépannier Responsable du financement : Gessi Vanessa Sérant

ÉQUIPE DE SOUTIEN AUX CAMELOTS Chef du Développement social : Shawn Bourdages Agent d'accueil et de formation : Pierre Tougas Agente de soutien communautaire : Geneviève Labelle Agente de soutien en milieu de vie : Marianne Bousquet Agent de développement : Yvon Massicotte

GESTION DE L'IMPRESSION TVA ACCÈS INC. | 514 848-7000 DIRECTEUR GÉNÉRAL : Robert Renaud CHEF DES COMMUNICATIONS GRAPHIQUES : Diane Gignac COORDONNATRICE DE PRODUCTION : Édith Surprenant IMPRIMEUR : Transcontinental

CONSEIL D'ADMINISTRATION Président : Philippe Allard Administrateur : Jean-Marie Tison Guy Larivière Julien Landry-Martineau, Stephan Morency Geneviève Bois-Lapointe, Jean-Paul Lebel Pierre Saint-Amour

VENTES PUBLICITAIRES 514 597-0238

CONSEILLÈRES : Renée Larivière 450-541-1294 renee.lariviere18@gmail.com Ann-Marie Morissette 514-404-6166 am.mori7@itineraire.ca


15 mars 2015 Volume XXII, n˚ 06

ACTUALITÉS

CARREFOUR

CULTURE

ÉDITORIAL

26 La maison des oubliés

CULTURE 38 BNLMTL 2014

7 Je croyais connaître L'Itinéraire…

par Claude Leclerc

8 ROND-POINT 10 ROND-POINT INTERNATIONAL

par Isaac Gauthier

LE BILLET

27 Et pourquoi pas une étoile ÉPOPÉE NORD brune tatouée sur le front ? 39 Un conte à saveur de folie sociale! par Jean-Marie Tison

COMPTES À RENDRE

11 En ville, les pauvres

par Ianik Marcil

JEAN LELOUP

Par Nafi Alibert

DOSSIER IMMIGRATION

› À quand la télé en couleur? › Vers un nouveau paysage médiatique ? › Contrer les stéréotypes › D'une culture à l'autre › De Tunis à Montréal

12 LES PÉRÉGRINATIONS D'UN ICONOCLASTE

17 Je t'aime, moi non plus ?

ACTUALITÉ

24 Le petit guide du loyer abordable

Par Isaac Gauthier

par Josée Cardinal

par Luc Deschênes

HORS PISTE

par Jean-Marc Boiteau

30 Le dénombrement des itinérants

DANS LA TÊTE DES CAMELOTS

44 LE JOSÉE FLÉCHÉ 45 DÉTENTE

Mots de camelots

46 À PROPOS DE... L'ÉTRANGER

CHEMIN FAISANT

par Tuan Trieu-Hoang

29 Armement et pauvreté

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MANON FORTIER JACQUES ÉLYSÉ MAXIME VALCOURT HAMED BAMBA CÉLINE MARCHAND SYLVAIN PÉPIN-GIRARD GUY BOYER GISÈLE NADEAU

41 PANORAMA 42 CLIN D'ŒUIL DU PASSÉ 43 LIVRES

33 La vie souterraine 35 INFO-RAPSIM 37 CARREFOUR

50 % DU PRIX DE VENTE DU LES CAMELOTS SONT DES MAGAZINE LEUR REVIENT TRAVAILLEURS AUTONOMES Bonjour, Je voulais vous écrire depuis longtemps pour vous remercier. Je suis une lectrice fidèle de L'Itinéraire; je l'achète toujours de mon camelot, la belle Marie-Andrée qui le vend au métro Préfontaine. Des fois, je finis ma journée avec une humeur affectée par des niaiseries sans importance… Et quand je lis L'Itinéraire, assise dans le métro, j'oublie tout ce qui s'est passé dans la journée car je suis sincèrement tou-

chée par les histoires de réels combats, qui croisent parfois la mort, des combats qui mérite d'être lus et racontés : des victoires sur la dépression, la pauvreté, le préjugé, le désespoir.... Les témoignages et les articles de L'Itinéraire m'apprennent à me contenter de ce que je suis, de ce qui m'entoure et même de ce qui m'est arrivé. Merci à L'Itinéraire. Anna

ÉCRIVEZ-NOUS ! à COURRIER@ITINERAIRE.CA Des lettres courtes et signées, svp! La Rédaction se réserve le droit d'écourter certains commentaires.


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Je croyais connaître L'Itinéraire…

ÉDITORIAL

Je travaille dans le domaine de l'édition depuis maintenant 31 ans ! J'ai été successivement rédacteur, directeur de publication, éditeur et directeur général au sein d'une des plus grandes maisons d'édition du Québec. Une longue carrière, bien remplie et enrichissante, diront certains ! CLAUDE LECLERC | Rédacteur en chef

L

e 17 février dernier, lorsque j'ai annoncé à mes amis et collègues ma décision d'accepter le poste de rédacteur en chef à L'Itinéraire, je dois vous avouer que j'ai eu droit à toutes sortes de réactions. Certains m'ont félicité poliment, croyant que je blaguais ! D'autres m'ont regardé d'un air intrigué… Et d'autres, enfin, m'ont demandé très franchement : « Mais qu'est ce que tu vas faire là ? » Voici ma réponse. Lorsque j'ai appris que L'Itinéraire recherchait un nouveau rédacteur en chef, j'ai tout de suite voulu en savoir davantage. Simple curiosité ? Je ne pense pas. Après toutes ces années passées dans le milieu de l'édition, je croyais bien connaître cet organisme qui vient en aide aux personnes vulnérables, hommes et femmes en situation précaire, en leur offrant la chance de devenir camelot et ainsi de « gagner » dignement leur vie. En fait, et sans trop savoir pourquoi, j'étais extrêmement enthousiaste à l'idée d'être choisi pour ce poste. Je voulais absolument me lancer dans cette belle aventure et contribuer, à ma façon, à une cause qui me tient vraiment à cœur. Je tenais à m'y investir avec tout mon bagage professionnel et humain. Moi aussi je tenais à faire une petite différence, à laisser mon humble contribution, comme on dit. J'avais ainsi l'impression de pouvoir enfin redonner au suivant. Mais après seulement trois semaines en poste, je me rends compte que je ne connaissais pas grand-chose de

la réalité à L'Itinéraire… Avant d'arriver au bureau pour débuter ma première journée de travail, j'étais même nerveux. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre. À quel type d'accueil aurais-je droit ? Serais-je à la hauteur ? Encore pire, y serais-je vraiment à ma place ? Autant de questions légitimes lorsqu'on traîne ce Merci aux camelots sentiment d'imposteur… Mais ce questionnement inqui m'ont accueilli si confortable fut de très courte durée. Dès mon entrée au chaleureusement le café, où étaient attablés une 17 février dernier. dizaine de camelots, j'ai entendu des mots de bienvenue De toute ma carrière, qui m'ont réellement touché et ému : « Welcome à L'Itinéce fût ma plus raire ». « On t'attendait ». « On belle première t'espérait ». « Tu vas être heureux à L'Itinéraire ». « Tu vas être utile journée de travail. ici ». Les camelots étaient souriants et allumés. En fait, j'ai été accueilli à L'Itinéraire avec plus de chaleur humaine et de sincérité que je ne l'avais été auparavant. Alors, j'ai vraiment compris « ce que je venais faire là… » Eh oui, j'y suis à ma place. J'y suis bien. J'y suis utile… et heureux !

15 mars 2015 | ITINERAIRE.CA

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ROND-POINT

Montréal, déjà blanche à cause des nombreuses précipitations de neige, risque de l'être encore plus : la ville a décidé qu'elle soufflerait d'avantage la neige sur les terrains, au lieu de la retirer. En attendant l'arrivée d'une politique uniforme de déneigement, reportée en avril, la métropole a annoncé cette nouvelle mesure de réduction des coûts. La ville paie cher le déneigement : 17 800 $ le kilomètre, alors qu'il en coûte moins de 11 000 $ à Québec. Le soufflement serait en partie la cause de cette différence. Pour l'instant, ce ne sont qu'environ 10 % des rues qui sont sujettes au soufflement de la neige, un pourcentage qui pourrait grandir significativement dès l'hiver prochain. (IG)

Réduisez les plastiques! Une étude récente estime qu'environ huit millions de tonnes de déchets de plastique s'accumulent dans nos océans chaque année. Selon le rapport publié dans le journal Science, ce nombre devrait doubler d'ici 2025, à moins que les différentes nations du monde modifient significativement leurs méthodes d'enfouissement et de recyclage. Les chercheurs américains et australiens qui ont participé à cette étude jugent que le problème est plus qu'esthétique : exposé au soleil et au sel de mer, le plastique se déchire en des millions de petites particules toxiques. Celles-ci se retrouvent inévitablement dans la chaine alimentaire, du poisson jusqu'à l'homme. (IG)

Des enfants en prison? Le plus important État carcéral de la planète emprisonne aussi des centaines de familles. Les États-Unis, inondés par un flux incessant de réfugiés fuyant la persécution en Amérique du Sud, ont ouvert deux centres de détention pour femmes et enfants, en attendant de statuer sur leur sort. Selon les derniers chiffres, plusieurs dizaines de milliers de familles seraient incarcérées, en plus d'environ 51 000 enfants non accompagnés. Les prisons, sous l'autorité du Service de l'immigration et le Service des douanes américaines, sont reconnues pour leurs conditions insalubres et irrespectueuses de la dignité humaine. Le président Obama a promis en 2009 qu'il abolirait ces pratiques. Pourtant, au plus chaud de l'été 2014, les centres ont été rouverts vu le nombre de réfugiés. (IG)

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ITINERAIRE.CA | 15 mars 2015

PHOTO : 123RF.COM/CHRISTIAN MARTINEZ KEMPIN, ARUN ROISRI, PHOTOSIBER, DEYAN GEORGIEV

Montréal la blanche

PAR ISAAC GAUTHIER


Peindre pour ne jamais oublier Doit-on se remémorer une tragédie ou vaut-il mieux faire son deuil ? Selon le peintre mexicain Edgar Flores, mieux connu sous son nom d'artiste Saner, il faut faire face à ses démons, aussi horribles soient-ils. C'est ce qu'il tente avec sa dernière exposition mondiale, Primitivo, une commémoration du massacre et de la disparition de 43 étudiants mexicains lors d'une manifestation pacifique le 26 septembre 2014. Les toiles et dessins aux couleurs franches sont un puissant rappel de la perpétuelle lutte du peuple mexicain contre l'impunité et la corruption des puissants. À ce jour, aucune personne n'a été reconnue coupable des meurtres, malgré la découverte d'une fosse commune contenant plusieurs des victimes. (IG)

Le tabac contre la mémoire Fumer serait non seulement nocif pour la santé, mais l'acte pourrait aussi avoir des conséquences sur la cognition. Une étude phare de l'Universités McGill de Montréal et de l'Université d'Édinburgh (Écosse), a établi que l'usage à long terme du tabac accélérerait fortement l'amincissement du cortex cérébral, une région du cerveau responsable de la mémoire, du langage et de la perception. L'étude est particulièrement révélatrice puisqu'elle a impliqué un grand nombre de participants sur plusieurs décennies. Il y a tout de même de l'espoir : les scientifiques ont remarqué que cet endroit du cerveau peut récupérer sa forme originale, des années après l'abandon du tabac. (IG)

Le mercure monte au Québec Le printemps sera chaud au Québec. Les principaux porte-paroles des grands mouvements syndicaux, étudiants et sociaux s'engagent à forcer le gouvernement Couillard à abandonner l'austérité. Parmi les actions de «perturbations économiques», ils promettent plusieurs manifestations et grèves, et ce, dès les prochaines semaines. (IG)

Le patrimoine à la dérive L'expertise environnementale du Québec n'a pas le vent dans les voiles : le gouvernement Couillard a récemment annoncé d'importantes compressions au ministère de la Faune. C'est une centaine de postes qui seront éliminés. Dont ceux d'une vingtaine de biologistes. L'étude des espèces en péril se verra donc sérieusement menacée dans les prochaines années, alors que la station de recherche des Îles Mingan (MICS), experte de la faune marine du Saint-Laurent, se voit elle aussi au bord du gouffre financier. Le centre de recherche privé n'arrive pas à combler son maigre budget de 250 000 dollars par année, faute d'investissement de Québec ou d'Ottawa. (IG)

15 mars 2015 | ITINERAIRE.CA

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ROND-POINT INTERNATIONAL

PHOTO : WINFRIED BAUMANN

ALLEMAGNE | Design de rue

Depuis 2011, l'artiste allemand Winfried Baumann mélange art, architecture, design et implication sociale en construisant des objets pour les itinérants et autres nomades urbains. Son travail comprend une gamme de mini-maisons mobiles conçues pour assurer un abri pour une personne. Installé à Nuremberg, l'artiste a consulté des itinérants pour ces designs et a même dessiné une série de chariots destinés aux camelots des journaux de rue leur permettant de transporter leurs publications lorsqu'ils vendent sur la rue. Si ses œuvres ont essuyé des critiques, Baumann affirme que plusieurs itinérants « sont fiers que ce soit fait spécifiquement pour eux ». (Surprise)

Un trio d'acteurs a envahi les hôpitaux d'Athènes en présentant gratuitement leurs pièces de théâtre thérapeutique aux patients. Ils offrent un répertoire de six textes classiques explorant les thèmes de l'amour, la patience, la mémoire, le pouvoir de l'âme humaine, le rêve et les relations de couple. Pour leur projet, « Heures de visite  », les acteurs endossent des habits de clown, une manière de dédramatiser les circonstances de l'hospitalisation. Selon un des acteurs, Ilias Kounelas, «dans la tradition clownesque, le clown vit l'échec et adore l'échec. Il peut porter le poids de la vie avec beaucoup d'amour. Il change la manière dont l'esprit perçoit certaines choses. » (Shedia)

PHOTO: NTOSI IORDANIDOU

GRÈCE | Clowns de service

PHOTO: JEFFREY MOYO/IPS

AFRIQUE | Tumeur croissante

Les cancers sont en voie de supplanter le VIH et le sida en tant que principale maladie dans plusieurs pays africains. Alors que de nombreux cancers sont liés à de mauvaises habitudes de vie, une grande part – particulièrement en Afrique – découle d'infections comme les hépatites B ou C et le virus du papillome humain. Les organisations internationales de santé publique craignent que les pays africains, en manque de spécialistes du cancer et moins familiers avec le problème, soient mal préparés à cette nouvelle crise qui s'annonce. La directrice du Zimbabwe Cancer Alliance explique : « Peu de gens, le gouvernement inclus, croient que le cancer est une véritable menace pour la santé. » (IPS)

Les femmes d'une petite localité de l'État de Telangana font campagne pour lutter contre l'exploitation des enfants et les infanticides, un phénomène qui coûte la vie à près de 3 millions de fillettes indiennes chaque année. Dans un pays où 50 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, ce combat semblait pourtant perdu d'avance. Mais, à force de sensibilisation et de persévérance, ces femmes ont pris conscience que l'éducation était la clé qui ouvrirait la porte d'un avenir plus radieux pour leurs enfants. Une éducation rendue accessible, même dans les zones rurales, grâce à l'octroi de bourses aux familles en difficulté qui scolarisent leurs enfants au lieu de les faire travailler. (IPS)

L'Itinéraire est membre du International Network of Street Papers (Réseau International des Journaux de Rue - INSP). Le réseau apporte son soutien à plus de 120 journaux de rue dans 40 pays sur six continents. Plus de 200  000 sans-abri ont vu leur vie changer grâce à la vente de journaux de rue. Le contenu de ces pages nous a été relayé par nos collègues à travers le monde. Pour en savoir plus, visitez www.street-papers.org.

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ITINERAIRE.CA | 15 mars 2015

PHOTO : STELLA PAUL/IPS

INDE | Stop au trafic d'enfants


En ville, les pauvres

COMPTES À RENDRE

Tant qu'à avoir des pauvres dans les régions rurales aux prises avec des difficultés économiques énormes, aussi bien les déménager en ville où il y a de l'emploi et une forte activité économique, non ? On dirait, en tout cas, que c'est ce que souhaite le gouvernement Couillard avec ses multiples coupes sauvages dans plusieurs programmes touchant les régions du Québec. IANIK MARCIL | Économiste indépendant

L

e président du Conseil du patronat pense la même chose, d'ailleurs. Même s'il s'est rétracté, il a affirmé que les familles vivant dans les régions « dévitalisées » devraient être payées pour déménager dans les centres urbains, afin de mieux s'en sortir. Il faut être culotté pour ne serait-ce que penser une pareille ânerie. Et il faut surtout n'avoir aucune connaissance de la réalité des régions du Québec. L'histoire se répète. Le pouvoir politique centralisé à Québec et le pouvoir économique concentré à Mont­ réal ne regardent que leur propre nombril et jettent un regard hautain sur le reste du territoire. Ce n'est pas pour rien qu'on les nomme « régions-ressources » depuis des années : elles ne sont considérées comme rien de plus qu'utiles à fournir les denrées alimentaires, le poisson ou le bois nécessaires aux grandes villes, ou bien à n'être qu'exploitées pour leurs richesses naturelles qu'on vendra à l'étranger. La vision provincialiste de Duplessis n'est définitivement pas chose appartenant au passé. Nous sommes descendants de colonisateurs et j'ai l'impression que la vision colonialiste est profondément ancrée dans l'ADN de notre culture nationale. La différence avec le temps de la Nouvelle-France réside simplement dans le fait que nous n'envoyons plus nos fourrures de l'autre côté de l'Atlantique mais que nous vendons nos richesses partout sur la planète au seul bénéfice de l'élite économique du Québec. Depuis 30 ou 40 ans, nous avons déployé sur l'ensemble du territoire des institutions qui, bien qu'imparfaites, ont réalisé des miracles avec peu de moyens afin de vitaliser les régions et de solidifier leur tissu social et

économique. Les Conférences régionales des élus (CRÉ) et les Centres locaux de développement (CLD) en sont de bons exemples. Pourtant, le gouvernement Couillard a décidé de les abolir, en tout ou en partie. Et c'est une catastrophe pour ces communautés. Ces organismes n'étaient pas que des structures administratives qu'on peut éliminer pour économiser quelques millions de dollars. En pelletant dans la Elles étaient des institutions cour des municipalités centrales pour la vie des communautés en région. Les les responsabilités personnes qui y travaillaient avaient réussi, au fil des ans, des CRÉ et des CLD, le à tisser des réseaux de soligouvernement Couillard darité et de développement efficaces et précieux, sans ne fait qu'éparpiller les compter qu'elles étaient, pour la grande majorité, iménergies sur de grands pliquées bénévolement dans nombre d'organismes com- territoires et aggravera la munautaires. Qui plus est, précarité de nombreuses elles occupaient des emplois régions déjà fragiles. de qualité et contribuaient ainsi directement à la vie économique de leur région. En augmentant ainsi le risque d'exode des jeunes vers les centres urbains, le gouvernement de M. Couillard aura, alors, toutes les raisons du monde de vouloir déménager les pauvres en ville.

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JEAN LELOUP

Les pérégrinations d'un iconoclaste À peine arrivé à L'Itinéraire, Jean Leloup enlève son chapeau noir, pose sa guitare au comptoir, prend un café et s'assoit au milieu des camelots qui l'attendaient. Une rencontre teintée d'anecdotes, de souvenirs d'enfance et de son expérience de l'ailleurs qui s'est terminée en chanson ! Incursion dans l'univers de cet « original pas normal ». PAR NAFI ALIBERT PHOTOS : GOPESA PAQUETTE

Ta carrière est ponctuée d'allers-retours au cours desquels tu te fais oublier pour mieux revenir. Que cherches-tu dans tes voyages?

J'essaie de bien me désintoxiquer des structures modernes, car je ne pense pas qu'on soit sur la bonne voie ici. J'ai grandi à l'étranger. Sans trop m'en rendre compte, quand je suis venu m'installer véritablement au Québec avec ma famille, j'ai essayé de comprendre comment on fonctionnait ici. C'est comme ça qu'un jour j'ai pris ma guitare, puis j'ai décidé de chanter, en suivant la voie d'artiste comme Jimmy Hendrix.

Comment t'a-t-il inspiré ?

Il évoluait dans la société moderne, tout en restant un vrai humain. C'était un gars qui ne voulait rien savoir, mais il avait une guitare, puis il aimait s'habiller en rose. Il faisait ce qui lui plaisait sans essayer de plaire à tout le monde, et il a réussi à gagner sa vie comme ça. Il m'a montré qu'on pouvait réussir en étant soi-même sans chercher à devenir autre chose.

Tu parles de vrais humains, en quoi dans ce que tu appelles les sociétés modernes, les gens sont de faux humains ?

Tout le monde sait qu'il y a trop de pollution, qu'il faut arrêter ça. Les vrais humains quand ils veulent arrêter de polluer, ils arrêtent de polluer. Des robots, quand ils veulent quelque chose, ils ne le feront pas à moins qu'on les ait programmés comme ça. Dans le fond, je n'ai juste pas embarqué dans le système d'ici. C'est un virus qui s'attrape jeune et je l'ai pas pogné.

De quel virus parles-tu ?

Celui qui te fait croire que tu vas devenir quelqu'un… Mais tu es déjà quelqu'un. On a deux bras, deux jambes, on mange, on chie, on pisse, ce n'est pas compliqué. Mais ici, il faut une étiquette qui colle à tout le monde, comme si on était réduit à son métier ou son statut social. Je pense que je n'ai pas attrapé ce virus peut-être parce que j'ai grandi ailleurs.

C'est vrai que tu as passé une partie de ton enfance et de ton adolescence en Afrique, quels souvenirs en gardes-tu ?

J'ai passé beaucoup de temps au Togo. On était dans un village minuscule à la frontière du Ghana. Il n'y avait pas d'électricité, on avait une pompe pour l'eau et on éclairait à la lampe-tempête. C'était un autre monde où on vivait d'une autre façon.

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ITINERAIRE.CA | 15 mars 2015

Que veux-tu dire ?

Par exemple, à l'époque, les notions de frontières et de territoires n'étaient pas ce qu'elles sont aujourd'hui. Je me souviens qu'il y avait des terrains qui ne servaient à rien autour de l'école, sur lesquels les familles les plus pauvres cultivaient pour ramener de la nourriture à la maison. C'était normal de faire des choses ensemble pour manger et de s'entraider. Moi, c'est ça que j'ai vu et quand j'étais petit.

Comment as-tu vécu cette expérience d'immigrant où l'autre c'était toi ?

Je me suis senti complètement accepté. Moi puis mon frère, on était les seuls blancs à des milles à la ronde. On a vite compris une affaire : se chicaner pour rien, c'est pour les bébés gâtés. Il fallait qu'on reste cool ensemble.

Tu n'as donc pas eu de mal à t'intégrer?

Non ! À vrai dire, moi je ne me sentais même plus blanc. Et c'est en partie grâce à la musique. On vivait dans un centre vaudou, donc la nuit il y avait souvent des tamtams. Ça bougeait ! Je dansais aussi. On a tout appris làbas. Mais quand je suis arrivé ici, j'ai découvert qu'on n'avait plus le droit de danser comme ça.

Mais pourquoi ?

Un jour à l'école on nous a demandé de faire un show, je dansais et mon frère jouait des percussions. On a donc fait un show devant la classe, et là tout le monde est resté bouche bée. La prof était rouge. Ils étaient choqués ! Ils ont même interdit aux enfants d'être avec nous parce que pour eux, c'était trop explosif. Pourtant les hanches c'est fait pour bouger, non ?


RENCONTRE

« Je vis d'une autre façon, je fais de la musique puis je sors des disques. C'est étrange comment les gens trouvent ça étrange. »

Tu as parlé publiquement de ta maladie. Comment arrives-tu à gérer ta bipolarité ?

Il faut prendre conscience de ces hauts et de ces bas, c'est-à-dire savoir qui on est. Quand on a tendance à avoir des émotions trop fortes tout le temps, il faut faire attention et se ménager. La dope et l'alcool, ce n'est pas pour moi! Il faut rester super calme et ne pas faire trop de choses qui peuvent nous énerver. Je suis par exemple incapable de conduire une auto dans le trafic, au bout de dix minutes je suis obligé de m'arrêter parce que ça devient vite la panique. CINDY TREMBLAY Camelot, métro Champ-de-Mars et angle Beaubien/29e Avenue.

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Au Brésil, au Costa-Rica ou en Asie, dans ton tour du monde, tu as dû voir la pauvreté sous tous ses angles. Que t'inspires ce que tu vois ici à L'Itinéraire ? Comment s'est passé ton retour au Québec ?

On est revenu quand j'avais 8 ans, avant de repartir pour l'Algérie. J'étais terrorisé. Quand je suis arrivé ici, je n'ai pas compris. Je n'ai jamais rien compris. Un truc que j'avais appris là-bas c'est que personne n'est mieux qu'un autre. Là où j'étais, personne n'avait d'argent, ce qui fait qu'il y avait une autre façon de regarder la vie. On ne fonctionnait pas en meilleurs ou moins bons. Au pire on était différent, c'est tout. Puis à l'école, il n'y avait pas de « on va rire de lui » ou « lui c'est un loser ». Et quand je suis arrivé ici et que j'ai découvert tout ça, je me suis dit « mais qu'ils sont bizarres ».

T'es-tu senti quelque part étranger dans ton propre pays ?

Ah oui totalement ! Quand j'ai commencé l'école ici, tout me semblait trop parfait, tout était à sa place : il n'y avait pas de chèvres dans la cour, il n'y avait rien. Ici (montre le café L'Itinéraire) c'est un palace par rapport à mon ancienne école. Un de mes premiers jours de classe, j'ai eu envie de pisser. Mais, je pensais que les blancs ne pissaient pas, parce que j'avais jamais entendu quelqu'un dire « j'ai envie de pisser ». Fait que j'ai pissé dans mes culottes... Puis quand je l'ai dit à ma voisine, elle m'a répondu : « pourquoi tu n'as pas demandé pour y aller ? ». « Ben comment on fait ? », que je lui ai dit. Elle m'a répondu « on fait ça» en levant son doigt en l'air. Là j'ai compris où je venais d'arriver. Puis je n'ai jamais eu envie d'être vraiment comme ça. Moi je voulais m'en aller. Dès que j'ai pu, je suis parti. Je passe d'ailleurs mon temps à partir.

Alors quelle a été ta première destination ?

Le Brésil ! J'avais 26-27 ans la première fois que j'ai pu foutre le camp. Menteur a été un des derniers vinyles pressés au Québec et aussi mon premier chèque. L'argent en poche, je suis parti pour ce pays où je suis resté dans une cabane au bord de la mer. Là je ne savais pas pourquoi, mais je me sentais bien. Et c'est là que je me suis dit : «Ok Jean, en fait ce qui va pas c'est que tu n'as pas accroché sur le système moderne des pays industrialisés».

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J'avais cru remarquer que quand tu étais dans la marde, ça ne se bousculait pas beaucoup pour t'aider ici. Tous les jours on marche dans la rue et on croise des gens qui n'ont rien. Si un riche qui dort sur ses milliards est capable de se dire « ce n'est pas grave parce que je suis un winner », c'est spécial. Et c'est parce que les gens ont probablement été programmés de façon à ce que s'ils réussissent, ils se promènent avec leur bulle parce qu'ils croient être rendus quelqu'un. Mais un gars qui a 46 milliards $, quand il chie, ça sent-tu pareil que quelqu'un qui n'a rien? Je n'en ai aucune idée. (Éclat de rire)

Il y a quelques années tu as écrit : « on souffre ici aussi, pas seulement du réchauffement de la planète, ni de l'absence d'un " pays " ! », comme pour dénoncer le fait que les politiciens ne s'attaquent pas aux problèmes de fonds…

Le principe c'est que tout le monde veut que ça change, mais ça ne change jamais. Alors qu'au village là-bas, si les gars disaient qu'ils voulaient améliorer l'école, tout le monde se levait et allait améliorer l'école. Ici, il y a beaucoup de comités. Des comités. Des comités. Des comités. Ça ne changera pas. Je ne comprends pas vraiment le délire, mais un jour je vais finir par comprendre.

Siou a écouté À Paradis City

C'est un disque aux textes touchants que j'aurais pu écrire moi-même si j'en avais été capable, car moi aussi « il y a quelqu'un qui rit dans mon cerveau en panne ». Ces textes, je les ai d'abord lus à plusieurs reprises comme des poèmes avant même d'écouter l'album tellement ils sont poignants au bout. Feuille au vent est la chanson qui me ressemble le plus. Comme une feuille au vent, je connais cette impression d'être ballotté, comme dans un rêve éveillé, incapable de prendre ma vie en main, « je ne me rappelle plus quand ni depuis combien de temps j'erre au gré des éléments ». Bien que la mort et l'errance résonnent en trame de fond de l'album, À Paradis City ouvre une fenêtre au travers de laquelle il est encore possible de s'évader comme sur le dos des flamants roses ou d'un autre de ces oiseaux qui reviennent dans plusieurs morceaux. Comme Jean Leloup le dit dans sa chanson Retour à la maison : « on m'assure qu'il y a encore espoir, je veux tellement y croire, je veux tellement y croire ».


MANON FORTIER Camelot, Village Champlain et métro Honoré-Beaugrand

RENCONTRE

As-tu déjà pensé à ce que tu aurais fait si tu n'étais pas devenu chanteur ?

J'ai déjà été plongeur dans un restaurant, j'ai vendu des dessins dans la rue où je faisais des portraits, j'ai gagné ma vie comme ça un bout, j'ai cueilli des champignons et des têtes de violons, j'ai réparé des mobylettes. La débrouille quoi. Mais, vu que je n'étais pas très adapté socialement, je n'aurais pas pu faire grand-chose d'autre. Honnêtement c'était ça ou la rue. Je ne pense même pas que j'aurais été capable de devenir camelot parce que ce n'est pas évident avec le relationnel. Même aujourd'hui je ne me sens pas capable de travailler avec des grosses équipes. J'étouffe. Heureusement, j'ai eu de la chance de pouvoir vivre de ma musique.

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IMMIGRATION

DOSSIER

Je t'aime, moi non plus ? Montréal est, dit-on, une ville multiethnique. Les différences culturelles entre les quartiers y sont visibles lors d'une simple promenade. Pourtant, le paysage médiatique québécois est, selon de nombreux organismes, loin de mettre la diversité culturelle en avant, en tout cas sans stéréotypes. Pour mieux comprendre le phénomène, nous avons réuni différentes personnalités, professionnels des médias, chercheurs, intervenants sociaux et artistes. Certains ont tenté, en vain, de bousculer les codes actuels et d'autres en le faisant pas à pas… Ce pas, l'immigrant le fait en optant pour l'exil. De la paperasse administrative aux démarches dites d'intégration, il emporte souvent avec lui des petits bouts de son histoire... Comme certains camelots qui ont vécu cette expérience et qui ont accepté de vous confier leur parcours. PHOTOS : GOPESA PAQUETTE

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À quand la télé en couleur? « Il y a un problème de représentation des minorités dans le paysage médiatique québécois ». Un phénomène pointé du doigt par Nikowe G. Amoni, président du Conseil Interculturel de Montréal (CIM), un organisme consultatif de la Ville qui œuvre à faire reconnaître que « l'immigration n'est pas un problème, mais une richesse ». PAR NAFI ALIBERT

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es migrants ne se reconnaissent pas dans l'image que les médias projettent d'eux », ajoute Paul Eid, professeur de sociologie à l'UQÀM, membre du Centre de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté (CRIEC), qui a effectué des enquêtes auprès des jeunes issus des communautés arabo-musulmanes de Montréal.

Une mise en scène médiatique

D'après les conclusions du Portrait médiatique de l'intégration économique des immigrants dans la métropole récemment publié par le CIM, l'immigration est souvent construite comme un problème social quand elle fait la manchette. « Non seulement les médias ne traitent pas assez des sujets en lien avec l'immigration au Québec, mais lorsqu'ils le font, ils n'évoquent que les thèmes controversés qui tendent à dresser un portrait peu flatteur des immigrants », observe M. Amoni. Le président du CIM déplore la quasi-absence de messages « positifs » appuyant l'intérêt de l'immigration pour le Québec ; province qui considère pourtant l'apport des immigrants comme vital pour son développement. En outre, dans le traitement de la nouvelle se rapportant aux minorités racisées, Paul Eid constate, comme de nombreux autres observateurs, une tendance à la surreprésentation des faits divers en lien avec la criminalité, qui laisse penser qu'on fait face à un problème généralisé alors qu'il est souvent marginal. « On a toujours l'impression que c'est la culture du criminel qui s'exprime au travers de son geste comme s'il était le bras armé de sa culture, souligne le chercheur au CRIEC, du coup tous les membres de la communauté sont coupables jusqu'à preuve du contraire de pouvoir passer à l'acte aussi puisqu'ils ont baigné dans la même culture soi-disant de criminalité. »

« Lorsque j'allumais la télévision, je ne voyais que des peaux pâles »

Ces propos prononcés par Lupita Nyong'o, après avoir remporté l'Oscar de la meilleure actrice de soutien l'an dernier, font écho à la grisaille du paysage médiatique québécois. Plusieurs études font également état de la sous-représentation des minorités dans les rôles au cinéma, au théâtre ou à la télé, mais aussi dans les équipes de production.

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Comme l'indique M. Amoni, «on n'y voit pas beaucoup de personnes issues de la population racisée, dite typée, comme les Noirs ou les Arabes » … À moins que leur différence ne soit au cœur de l'histoire et qu'ils soient recrutés pour jouer leur propre rôle. Résultat : les médias d'information et de divertissement tendent à projeter un reflet déformé de la diversité culturelle qui nuirait tant à l'intégration des migrants qu'aux perceptions de la société d'accueil.

Une anomalie statistique

Dans un article intitulé Minorités invisibles, La Presse avait déjà remarqué en début d'année que « moins de 5 % des rôles principaux des émissions de fiction québécoises les plus populaires de l'automne dernier étaient tenus par des comédiens de minorités visibles ». Or, selon les dernières données disponibles, les minorités visibles représentent pourtant jusqu'à 30 % de la population dans un centre urbain comme Montréal. Certains observateurs considèrent même que le Québec est à la traîne par rapport au Canada anglais quant à la représentation des minorités dans les productions médiatiques. « Ce n'est pas normal ! », s'insurge M. Eid, qui nuance ce constat en précisant qu'il existe des mécanismes discriminatoires systémiques expliquant cette sous-représentation des minorités. « Ce n'est pas forcément malintentionné, mais il y a une reproduction naturelle du profil franco-québécois majoritaire parce que les mécanismes de recrutement se font souvent de bouche à oreille ou via des réseaux qui sont déjà établis et homogènes. »


UNE CONSTRUCTION SOCIALE

MINORITÉS RACISÉES :

Paul Eid explique que le terme « racisé » traduit un processus d'assignation en vertu duquel les minorités sont réduites à leur couleur de peau ou à une culture « qui est plus imaginée que réelle ». Cette assignation à une différence les enferme dans une catégorie « qui prétend expliquer les comportements et valeurs de tous les individus catégorisés comme s'ils étaient condamnés à être tous produits selon le même moule ». Comme dans toute communauté, des différences d'âge, de classe ou de statut social existent pourtant entre les individus. « C'est une violence symbolique, ça broie toutes les individualités et la diversité dans le groupe ».

DOSSIER

Vers un nouveau paysage médiatique ? « Si le Festival de Jazz était une série télévisuelle, tout le monde serait blanc », lance Fabienne Colas, un brin provocante. Pour elle, la solution repose dans l'adoption de quotas, à l'image des quotas de contenu francophone à la radio ou de productions locales à la télévision. PAR GOPESA PAQUETTE

L'

actrice et fondatrice de la Fondation Fabienne Colas, travaille à promouvoir la diversité culturelle par l'art. Elle rappelle l'époque de la fondation de TQS, lorsque Guy Fournier et Réal Barnabé avaient convaincu leurs patrons d'adopter un tel quota. Puisque 33 % des Montréalais n'étaient pas des francophones « pure laine », 33 % des gens devant et derrière la caméra allaient être de même. C'était il y a 30 ans, au milieu des années 1980, et Mme Colas affirme que c'est grâce à une telle ouverture que des gens comme Dany Laferrière, Michaëlle Jean, Lakshmi Nguon (journaliste et réalisatrice), Chantal Albert (Chef de pupitre au Téléjournal de Radio-Canada) et Nadia Jawhar (directrice des contenus à 98,5 FM) ont pu se faire une place dans les médias. « Quelqu'un leur a donné leur chance », souligne-t-elle en précisant que ce n'est pas simplement par souci de justice sociale. « La diversité à l'écran, ce n'est pas une question de charité, c'est une question d'affaires. » Selon l'Enquête nationale sur les ménages, menée en 2011 par Statistique Canada, près de 40 % des habitants de Montréal ont un parent qui est né à l'étranger ou le sont euxmêmes. « C'est une part de marché qu'ils n'ont pas, des gens qui ne regardent pas la télé québécoise », ajoute-elle. Les chaînes de télévision espagnoles, arabes ou filipino accessibles par Internet et les fournisseurs satellites font une féroce compétition Fabienne Colas de la aux chaînes locales. Fondation Fabienne Colas C'est précisément ce marché que vise ICI Télévision, le projet de télévision multiculturelle mené par Sam Norouzi. Avec une équipe d'une dizaine de personnes, la chaîne tente depuis deux ans un nouveau modèle d'affaires. « Nous travaillons avec des producteurs indépendants qui achètent du temps d'antenne et s'occupent de vendre de la publicité auprès de leurs communautés respectives », explique le vice-président et directeur général. ICI Télévision diffuse des émissions dans une dizaine de langues et se veut à la fois une vitrine pour les communautés culturelles de Montréal et un pont entre elles. « Nous avons même des Québécois de souche qui nous disent qu'ils écoutent nos émissions pour pratiquer la langue », ajoute-t-il.

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Contrer les stéréotypes De nombreuses initiatives montréalaises favorisent le partage et l'échange culturel. Au-delà de celles intégrées à des évènements précis, comme le mois de l'histoire des Noirs ou le mois du créole, certains artistes, chorégraphes ou intervenants sociaux réalisent un travail quotidien, essentiellement avec la jeunesse, afin de bousculer les stigmates. PAR ALEXANDRA GUELLIL

T

eintés d'origines qui ne cadrent pas avec l'image du « Québécois de souche », certains jeunes ont un rapport complexe avec leur identité. C'est le constat de Christine Black, directrice du centre de jeunes l'Escale, situé à Montréal-Nord. Avant d'arriver au centre, explique-t-elle, «certains d'entre eux vivent entre deux univers, la maison puis l'extérieur. À la maison, tout est souvent en lien avec le pays d'origine et à l'extérieur, c'est comme un autre monde. Ils se retrouvent entre les deux sans savoir comment se positionner. » Cette réalité pousse l'équipe du centre à privilégier

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le dialogue par des activités qui favorisent « cette richesse culturelle. » Christine Black revient sur l'importance du travail de sensibilisation à effectuer auprès des jeunes qui pensent ne pas avoir de projet de vie ou de rêves parce qu'ils sont des communautés culturelles ou parce qu'ils vivent à Montréal-Nord. Parmi leurs actions, les projets pédagogiques, la réalisation de vidéoclips ou même la création d'un Gala des bravos célébrant leurs accomplissements. Ayant fait un constat similaire lorsqu'elle travaillait dans une maison de jeunes à Côtes-des-Neiges, BerekYah Yergeau a souhaité mettre en valeur l'importance de connaître ses origines et de les partager. En 2012, elle crée la fondation FRO, un organisme à but non lucratif qui propose un espace d'échanges entre les cultures par des rencontres artistiques ou pédagogiques.

« Beaucoup de jeunes que je côtoyais ne trouvaient pas de raisons d'être fiers de leurs origines et je n'en comprenais pas les raisons. C'est aussi ça FRO, montrer que chaque communauté, chaque origine, chaque culture apporte un plus à l'humanité en favorisant l'échange et le partage. En priver les autres, c'est un peu comme en priver tout le monde», partage-t-elle.


DOSSIER

Une identité figée ?

Pour Jenny Salgado, connue avec le groupe hip-hop Muzion, les jeunes d'aujourd'hui ont évolué dans leur rapport à leur identité. « Grâce au virtuel, ils ont accès à tout et à tout le monde, ce qui rend leur identité beaucoup plus universelle. Il y a quelque chose de génial là-dedans, mais d'un autre côté, le noyau identitaire a tendance à se perdre » explique-t-elle. Née au Québec, l'artiste a vécu les cinq premières années de sa vie en Haïti avant de revenir à Montréal. Engagée, celle qui chante à la fois en joual, anglais et créole a toujours du mal à comprendre l'insistance de l'industrie culturelle québécoise à vouloir la classer parmi les musiques du monde. « Au Québec, beaucoup veulent que l'on reste dans une identité figée. Je suis née ici, la musique, le parler, le discours que j'amène sont profondément québécois. Si j'avais grandi en Haïti, ce serait différent » insiste-t-elle en précisant qu'une des réalités de l'industrie est que « le Québec a de la difficulté à se vendre ailleurs à cause de cette définition trop figée de ce que l'on a à offrir. »

Même constat pour la chorégraphe Rhodnie Désir qui s'implique dans différents projets pédagogiques liés à la quête identitaire et le mouvement qu'elle engendre. Plusieurs artistes issus de la diversité culturelle ou faisant quelque chose de différent vivent ce problème. « Ma danse s'inspire de la tradition dans un langage contemporain. Et les artistes comme moi se retrouvent un peu face à un mur. C'est dur parce qu'on fait fasse à des stéréotypes qui nous appauvrissent  » explique-t-elle.

Ou une éducation perpétuelle ?

BerekYah sent que la diversité culturelle montréalaise n'est pas souvent mise en valeur. « Dans les médias ou l'industrie culturelle, c'est souvent les mêmes personnalités qui sont mises en avant, sans faire de place aux autres. » La jeune femme, originaire d'Haïti et adoptée par une famille québécoise, explique que cette absence contribue à ce que « beaucoup de personnes qui sont nées au Québec, qui ont grandi au Québec et qui sont Québécoises » ne s'y retrouvent pas.

Jenny Salgado estime pour sa part qu'il  y a encore cette lacune au niveau de l'approche utilitaire de l'éducation québécoise. « On les forme à servir le marché économique d'aujourd'hui et demain sans aller profondément dans ce qu'ils sont, dans leurs talents, dans leur historique » conclut-elle. Rhodnie Désir travaille actuellement avec deux classes d'accueil de nouveaux arrivants à l'école secondaire Émile Legault. Elle leur a demandé de questionner leurs parents sur leurs origines. À l'aide des réponses, elle a créé une chorégraphie représentant sous différentes formes la migration, choisie ou subie. « Je voulais rendre hommage à ses migrants, connaître ce qui se passe d'un point de vue psychique dans le corps quand on est forcé de partir ou quand on choisit de le faire », raconte-t-elle. Dans la classe, les jeunes s'applaudissent et se regardent curieusement. Ils tentent de comprendre leurs démarches en donnant une signification à leurs mouvements. Certains écoutent la trame sonore, réalisée sous fond de bruitages inspirant le voyage et de discours de leurs parents quand d'autres restent pensifs, intimidés sans doute, mais plus que jamais intéressés par leur parcours identitaire.

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TUAN, CAMELOT À L'ITINÉRAIRE

D'une culture à l'autre Camelot pour L'Itinéraire depuis cinq ans, Tuan Trieu Hoang, 62 ans, a quitté le Vietnam en 1971. Après avoir vécu presqu'un an aux États-Unis grâce à un partenariat entre les deux pays, il arrive à Montréal en quête d'un travail. PAR ALEXANDRA GUELLIL PHOTO : GOPESA PAQUETTE

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e retour au Vietnam compromis par la guerre, Tuan, alors âgé de 19 ans, reçoit une lettre de sa mère lui demandant de ne plus revenir au pays à cause de la gravité du conflit: « il n'y avait pas à discuter, il ne fallait pas retourner au Vietnam », insiste-il. Tuan se rend alors à la frontière de Plattsburgh avec une dizaine de ses amis et entre ainsi au Canada. « Curieusement, à deux heures du matin, on nous a laissé entrer sans nous poser de questions. On nous a demandé d'aller dès le lendemain au bureau de l'immigration à Montréal. »

Pas le choix de s'adapter

Chose qui facilite sa demande de papiers, Tuan était accueilli par une famille. « À l'époque, qu'il s'agisse d'entrer au pays ou d'obtenir la nationalité, c'était bien plus simple qu'aujourd'hui, précise-t-il. Surtout dans mon cas, puisque c'est la guerre du Vietnam qui m'a amené ici. » Même s'il n'y avait pas la guerre dans ce nouveau pays qu'il découvrait, Tuan a eu de nombreuses surprises. « Nous autres, les Vietnamiens, on ignorait qu'ici, on pouvait tout te montrer sans forcément t'accompagner dans tes démarches. C'est-à-dire que c'est à toi de te débrouiller », explique-t-il. Avec le temps, Tuan a compris le fonctionnement du système. « Honnêtement, je pensais que ma famille d'accueil pouvait me supporter financièrement. J'ai eu du mal à comprendre que non. »

Des solutions temporaires

Au Québec, Tuan apprend la signification d'une mise à pied. « Cette histoire qu'il n'y a pas assez de travail pour tout le monde, c'était nouveau », se souvient-il. « Pour moi ça n'avait pas de sens, on ne peut pas être content de ton travail et ne pas te garder. » Tuan travaille les six premiers mois dans une chaîne de production de système stéréo. « J'ai fait toutes sortes de choses et c'est vrai que j'ai toujours trouvé des solutions, mais elles ont toujours été temporaires. » Le camelot se souvient de ses questionnements quant au salaire, payé à l'heure, mais versé aux deux semaines ou des montants prélevés sur le salaire brut pour les charges. « Pour un immigrant qui arrive ici dans les années 70, il faut comprendre que c'est vraiment différent. C'est comme le principe de puncher sa carte. Et le pire, c'est que je suis vraiment allé voir le contremaître réclamer mes retenues sur salaire… je pensais que c'était une erreur de la compagnie », rit-il.

« Je ne suis pas au Vietnam ici »

Tuan a connu son pays d'origine à l'époque de l'Indochine française, c'est d'ailleurs comme cela qu'il a su maîtriser le français. « Ce n'était pas facile dans les années 70 de comprendre les accents et toutes les expressions employées ou de savoir pourquoi des jurons étaient utilisés! » L'homme de 62 ans souligne que la communauté vietnamienne est nombreuse à Montréal. « Même si on se rassemble entre Vietnamiens la fin de semaine, le lundi matin, on affronte les mêmes difficultés. Et ça, c'est important! » Tuan confie que même après toutes ces années, il ne se sent pas Québécois. Même s'il dit ne pas avoir vécu le « Vietnam du changement », il avoue que s'il y rentre un jour, il sentira le besoin d'avoir un guide.

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DOSSIER

TAREK, CAMELOT À L'ITINÉRAIRE .

De Tunis à Montréal Tarek.A a quitté la Tunisie en 1986. Arrivé avec un visa touriste, il décide de s'installer à Montréal principalement pour des raisons professionnelles. PAR ALEXANDRA GUELLIL PHOTO GOPESA PAQUETTE

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es principales difficultés que Tarek a rencontrées en arrivant à Montréal concernaient ses recherches d'emploi. « J'avais du mal avec la demande que certains employeurs avaient concernant l'expérience québécoise. Je venais d'arriver, de l'expérience j'en avais, mais pas ici », explique-t-il. Formé en électromécanique, le camelot avait le choix entre l'Australie et le Canada. Après avoir vécu une courte expérience en France, c'est finalement le Québec qu'il choisit, principalement pour la langue française.

Printemps 1986

Tarek a eu du mal à faire valoir ses compétences professionnelles acquises à l'étranger. Qu'il s'agisse des diplômes, de cartes de compétence ou de son permis de conduire, le camelot a dû se plier aux normes et recommencer à zéro. « Et encore là il n'y a personne qui veut me donner la chance de commencer. » Tarek se souvient lors de son arrivée à Montréal d'avoir été sur la rue Sainte-Catherine lors des séries élimina-

toires de la Coupe Stanley. « Jusqu'à maintenant, j'ai vécu deux Coupes Stanley ici, 1986 et 1993, et c'est d'ailleurs pour cela que je suis devenu fan de hockey. Je n'oublierai jamais cela… comme la première tempête de neige de 50 centimètres », s'amuse-t-il.

Des racines en Tunisie

Aidé par sa belle-sœur et son frère pour comprendre toutes les subtilités du parler québécois, Tarek n'a pas senti de jugement quant à son origine. « Même si ça se voit que je suis étranger, sur mon visage, dans mon accent… » Il finit par trouver un emploi quelques mois après son arrivée, payé au salaire minimum. En 1998, il obtient sa citoyenneté canadienne. « Je me sens quand même un peu plus Canadien que Tunisien, ça fait 29 ans que je suis ici et je ne suis rentré en Tunisie que deux fois. Puis ça ne me tente pas non plus d'y retourner. J'aime toujours mon pays, mes racines et ma famille sont là-bas, mais je ne peux pas y vivre. Je ne reconnais plus le quartier où je suis né et personne ne me reconnaît non plus. »

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Le petit guide du loyer abordable En cette période de renouvellement des baux, c'est plus de 500 000 Montréalais qui signeront une entente avec un propriétaire sur un besoin des plus fondamentaux : le logement. Pourtant, bon nombre de locataires se font systématiquement bafouer dans leurs droits. Entrevue sur le sujet avec Maude Bégin Gaudette, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ). PAR ISAAC GAUTHIER

Q : Selon votre regroupement, neuf locataires sur dix ont reçu une hausse de loyer abusive en 2014. Est-ce une nouvelle tendance ?

R: Année après année, c'est la grande majorité des locataires qui reçoivent une hausse qui ne respecte pas la loi. Il est important de nuancer : les propriétaires ont le droit de monter chaque année le prix du loyer. Cependant, ils doivent le justifier. Selon les indices de la Régie du logement, une hausse correcte se situe entre 0,6 % et 1,1 %. Or, la moyenne des augmentations recueillies par les comités logement se chiffre plutôt autour de 3,7 %. C'est environ 200 $ qui sont escroqués aux locataires chaque année, une somme considérable pour un ménage à petit revenu.

Q : Plus précisément, comment différencier une hausse légitime d'une hausse abusive ?

R : Il faut évaluer le montant selon les indicateurs de la Régie : la valeur de l'augmentation des taxes foncières et scolaires, le coût des travaux majeurs et le type de chauffage. Si l'on juge que la hausse n'est pas conforme, on se doit de la refuser. Un locataire n'est pas obligé de déménager s'il décline une augmentation de loyer. Il entre par contre en négociation avec le propriétaire qui se résout soit à l'amiable, soit en fixation de loyer. Advenant ce cas, le propriétaire doit alors prouver à la Régie la validité de sa hausse, facture à l'appui.

1 300 000 logements en location au Québec

(RCLALQ)

40,5% des ménages locataires consacrent plus de 30% de leur revenu aux coûts d'habitation (Stats Can)

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ACTUALITÉ

Ratio locataire vs propriétaire à Montréal

(Stats Can)

Q : Ça semble difficile d'estimer la légitimité d'une augmentation... Avez-vous quelques trucs simples à offrir aux locataires ?

R : La conformité d'une hausse n'est pas facile à juger, puisque la négociation ne se fait pas d'égal à égal. Un locataire a néanmoins des outils pour l'aider dans sa décision. D'abord, il faut consulter son comité logement qui peut aider à évaluer une hausse selon les indices de la Régie. Ensuite, on peut trouver en ligne et au téléphone le montant des taxes foncières et scolaires. Finalement, il faut être attentif aux évènements chez soi. Est-ce que le propriétaire a fait des travaux majeurs en dehors de l'entretien usuel ? Ces données sont indispensables à l'émission d'un constat par le comité logement.

Nombre de pièces des logement privés de Montréal 1 à 4 pièces : 52% 5 pièces : 20% 6 pièces : 09%

Q : À long terme, existe-t-il une solution pour contrer les hausses abusives ?

R: Le RCLALQ demande depuis 10 ans le contrôle obligatoire des loyers par la Régie du logement. Selon nous, un registre empêcherait les augmentations exagérées tout en offrant des indicateurs simples aux propriétaires. Après tout, c'est une question d'équilibre entre deux droits irréconciliables mais nécessaires : le droit à la propriété privée et le droit au logement.

Prix moyen d'un loyer 635$ - Au Québec en 2014 (RCLALQ) 746$ - À Montréal en 2011

(Stats Can)

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ACTUALITÉ

La maison des oubliés PAR ISAAC GAUTHIER

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i tu es capable de te trouver autre chose, fais-le », lance sans hésiter Serge Savard, faisant référence à la maison de chambres qu'il habite. Selon le chambreur vétéran et camelot au magazine L'Itinéraire, les gens « équilibrés » ne se retrouvent pas dans ses endroits. « C'est un endroit de premier et de dernier recours », explique-t-il, qui devient, malgré les multiples problèmes, un luxe précieux à ceux qui n'ont rien d'autre. La ville de Montréal définit la maison de chambres comme « un immeuble résidentiel, de quatre unités ou plus, incluant des services sanitaires de base, dont un ou plusieurs sont situés à l'extérieur des chambres ». Il en existe principalement deux types : le bâtiment tenu par un propriétaire privé qui loue ses chambres à la pièce et l'OBNL subventionné qui offre des chambres aux plus démunis. À Montréal, le deux tiers de ceux-ci se situent dans les quartiers Ville-Marie, Plateau-Mont-Royal et Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. En matière de prix, ils varient en moyenne autour de 350 à 600 dollars, dépendant de la qualité et des services offerts. Au dernier recensement en 2006, la ville comptait 4252 chambres. Parmi elles, près de 3000 font partie d'un immeuble privé : un modèle en perte de popularité. Quoique critique des maisons de chambres, qu'il décrit comme « juste quatre murs », Serge Savard ne peut s'imaginer vivre autrement. Présentement en attente d'un nouveau logement, il est visiblement impatient et nerveux. Il est le portrait type du client d'une maison de chambre : un homme dans la cinquantaine, socio-économiquement vulnérable, à risque d'itinérance ou en transition entre la rue et un domicile. En soi, des gens aux prises avec une panoplie de défis qui ne s'arrêtent pas à la porte d'un logement.

Difficultés

Tout n'est pas rose en ces lieux. Insalubrité, vermine, cohabitation difficile, délabrement de l'immeuble : la liste des défauts est longue. Tellement que la plupart des clients de ce genre d'établissement sont temporaires. « Je ne suis jamais resté plus longtemps que deux ou trois mois en chambre », relate M. Savard, la mine basse, « je n'arrivais pas à endurer mes voisins ». La ville de Montréal, alertée en 2012 des problèmes liés aux maisons de chambres, a d'ailleurs inscrit dans son Plan d'action montréalais en itinérance de 2014-2017 des mesures pour améliorer la situation. Elle envisage entre autres de bonifier l'offre des chambres existantes par la rénovation et la construction de 1000 chambres, d'exiger le respect des normes de salubrité et de sécurité par les propriétaires privés, en plus de maintenir la concertation sur l'accès au logement avec les différents paliers gouvernementaux. Mais ces mesures sont encore insuffisantes, estime le Réseau d'Aide aux Personnes Seules et Itinérantes de Montréal (RAPSIM). L'organisme demande d'en retirer le contrôle aux propriétaires privés et de le remplacer par une « socialisation » complète du parc des maisons de chambres. L'idée, pour l'instant écartée par la ville, permettrait une gestion plus sévère de l'offre, en plus de faciliter la coordination avec les autres services offerts aux personnes démunies. En attendant de voir l'effet du plan montréalais, on peut s'attendre à ce que ce sujet fasse couler encore beaucoup d'encre…

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« Aujourd'hui, j'ai besoin d'un endroit pour avoir la paix et décompresser »


LE BILLET

ET POURQUOI PAS UNE ÉTOILE BRUNE TATOUÉE SUR LE FRONT ? S'il est difficile pour le commun des mortels de reconnaître au premier coup d'œil l'être humain caché dans le mendiant, M. Couillard, transfiguré par sa crise d'hystéri-té, l'honore d'emblée du titre de citoyen en lui rappelant le devoir de faire sa juste part. Mais il ne dit rien des privilèges permettant à certains citoyens nantis de détourner annuellement 170 milliards de dollars dans des paradis fiscaux !1 JEAN-MARIE TISON | Chroniqueur de rue

ILLUSTRATION : LOUIS-PHILIPPE POULIOT

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4 décembre l99?. Arrimé à des lambeaux de vie enfermés dans une valise, je traîne ma colère rue St-Denis. De temps à autre, je lève la tête et risque un coup d'œil en jaugeant mes chances : « S'cusez ! J'suis un peu mal pris, z'auriez pas un peu d'change svp ? », dis-je en banalisant d'un sourire ma... misère ? Depuis plusieurs heures, je tente d'amasser assez d'argent pour une chambre d'hôtel. La Maison du Père ? C'est pour les zitinérants ! Je crèche pourtant dans des entrées d'immeubles depuis plus de 3 semaines ! Au détour d'un restaurant, une femme, un peu éméchée, se rue dans mes bras : « N'oublies jamais que tu es un être humain ! » Et tandis qu'une grosse larme roule sur sa joue alors que je m'englue dans le silence, elle me remet son p'tit change en souriant. Puis, reprenant dignement son équilibre, elle poursuit en titubant sa route, encore émue de sa propre humanité. Aujourd'hui je me dis que j'aurais dû l'écouter ! 29 décembre 2014. À la une des journaux : « Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale réclame 25 000 $ à une mendiante ». La mendiante est coupable de ne pas avoir déclaré les gains de ses années de misère ! En s'exerçant précisément dans le temps des fêtes, l'excès de zèle du fonctionnaire n'aura causé tout au plus qu'une petite gêne en gâchant un beau tableau. Désormais, en sortant de la messe de minuit, on y réfléchira deux fois avant de verser une obole à un quelconque yéti-errant : il sera sans doute propriétaire d'une grosse maison et dissimulant une fortune dans des comptes offshore en Arabie Saoudite ! Faut-il dépêcher à la Maison du Père des fonctionnaires chargés d'enseigner à ses trop nombreux pensionnaires les rudiments d'une saine comptabilité de leurs gains faramineux ? Après l'Éducation et la Santé, Québec veut maintenant « récupérer 16,5 millions » en resserrant les critères d'accessibilité à l'aide sociale. Le ministre François Blais précise qu'il veut éliminer des «incohérences» qui nuisent à « l'image du système ». L'incohérence fondamentale ne réside-t-elle pas dans le fait que la Cour Suprême du Canada ait reconnu au début des années ‘90 le droit à quiconque de tendre la

main2 afin d'assurer sa subsistance ? La reconnaissance d'un tel droit dans un pays « riche » comme le Canada n'est-elle pas un aveu d'échec du système ? Au Québec, ce n'est pas la première fois qu'un gouvernement s'attaque courageusement aux plus mal-pris en alimentant les préjugés habituels à leur endroit. Là encore, si l'appauvrissement et l'exclusion d'une partie de ses citoyens constituent le juste prix à payer afin d'assurer la rentabilité d'une société, ne doit-on pas mesurer à une échelle humaine toute l'étroitesse donnée à cette valeur (!) plutôt que de stigmatiser davantage des personnes déjà piégées dans l'espace où on les a confinées ? Un système en vase clos qui vous oblige à être celui qui donne ou celui qui reçoit. Entre les deux... rien ! Le B.S....c'est de la charité sociale en cinquante nuances de brun ! Les coûts sociaux des mesures prévues envers des bénéficiaires étampés à vie, qui dépendent de cette aide de dernier recours et tentent de s'aménager un trou décent afin de pouvoir respirer sans honte, dépasseront largement les 16 M $ que le ministre estime économiser. D'autant plus que le ministre s'apprête à réduire les programmes d'employabilité, programmes qui ne suffisent déjà pas à la demande. En gommant la détresse et les efforts de ces personnes malmunies, ces mesures révèlent le mépris de nos dirigeants envers eux ! Finalement, ne serait-il pas plus économique de parquer toute cette engeance sur une île au milieu du Fleuve qu'on ravitaillerait de beurre d'arachides et de pain blanc une fois par mois ? Afin de suivre leurs déplacements et ne pas les confondre avec une quelconque espèce insulaire, on pourrait les affubler d'un collier électronique ou, mieux, leur tatouer une étoile brune sur le front. Ce serait moins cher ! M. Couillard, pourquoi pensez-vous qu'une patente comme L'ITINÉRAIRE existe depuis plus de 20 ans ?

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selon David Hewlett de Canadiens pour une Fiscalité Équitable (CFE) mais la sollicitation demeure interdite

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Au lieu d’accumuler inutilement des points pour un malaxeur, vous pourriez assurer la sécurité d’un défenseur des droits humains. La carte VISA Desjardins Amnistie internationale. La seule carte qui sert de vrais intérêts.

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CHEMIN FAISANT

Armement et pauvreté Le gouvernement fédéral invite les entreprises canadiennes à profiter de la mondialisation pour accaparer une plus grande part du marché international. JEAN-MARC BOITEAU | Chroniqueur

D

ans la foulée, il autorise la vente d'armes et de technologies militaires à des régimes qui écrasent violemment toute dissidence et continuent à nier les droits fondamentaux de leurs citoyens. Le journal web progressiste Ricochet publiait en juin dernier un article rappelant que plus de 1000 véhicules blindés avaient été vendus au royaume wahhabite par le Canada. Destinés au corps d'élite d'un régime parmi les plus oppressifs du monde arabe, il est fort probable que ces véhicules servent - ou ont déjà servi - à perpétrer de graves violations des droits de la personne.

La pauvreté prospère en Amérique du Nord...

En effet, les gouvernements des pays dits développés investissent des sommes colossales dans les grandes entreprises et institutions financières qui bénéficient déjà d'avantages fiscaux substantiels. Au Canada, le fédéral encourage les entreprises fabriquant du matériel ou de la technologie militaire à profiter au maximum de la mondialisation. Ottawa obtient ainsi des millions en redevances diverses provenant de la vente de ses instruments de mort. Cependant, de concert avec ses homologues provinciaux, le fédéral prétend ne plus avoir d'argent pour investir dans les services à la communauté... Mais où prennent-ils les millions pour financer de grandes entreprises comme Bombardier, Pratt & Whitney, Bell Hélicoptère ? Que font-ils pour contrer l'évasion fiscale ? Pendant ce temps, les citoyens de la classe moyenne et pauvre d'Amérique du Nord se battent pour survivre aux mesures d'austérité qui leur sont imposées. Merci à Wall Street et à toutes les îles Caïmans du monde !

La richesse sans l'éthique

Surtaxant sans relâche les classes moyennes et pauvres – maintenant ainsi leur revenu réel à son plus bas –, ces politiques prétendument de rigueur contribuent à la prolifération de la pauvreté. Bien sûr, ces mêmes irresponsables ferment les yeux sur l'évasion fiscale, « normale » dans certains milieux économiques. De l'aveu même du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI), une Messieurs grande partie des revenus émanant de la vente d'armes et de matériel militaire les politiciens canadien à d'autres pays sont placés et les dans des paradis fiscaux... Trois ans avant la transaction des marchands 1 000 véhicules blindés conclue avec le royaume wahhabite, les exportad'armes, tions d'armes et de matériel militaire vous n'avez canadien vers l'Arabie saoudite explosaient déjà, passant de 6 224 742 $ à pas honte ? 64 975 753 $ entre 2010 et 2011, selon le Rapport sur les exportations de marchandises militaires du Canada publié par le MAECI. Selon Kaven Page, Directeur parlementaire du budget fédéral, les coûts reliés à la présence des militaires canadiens en Afghanistan s'échelonnent, de 2001 à 2011, entre 13 et 16 milliards $ (entre 13 000 et 16 000 millions de beaux dollars du Dominion), payés par les contribuables canadiens. Et dire que depuis la crise économique, des centaines de milliers d'honnêtes citoyens sont, comme moi, obligés de vivre quotidiennement une austérité dont les tenants de la rigueur budgétaire n'ont aucune idée…

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DANS LA TÊTE DES CAMELOTS

es d t n e m e r b ? e v i t Le dénom a i t i n i e l el b e n u , s t n fois a itinér ra la première se e C . ts n ra phénomène nt des itiné

sur le reme u le dénomb it statistique e ra li t, les rt ra o u p a n u rs a it a e directemen ress h d c Le 24 m u n to l'o s e u le i q u s q e 15 an n sujet depuis plus d omme c'est u C itiative. l. a é tr n o M eà primer sur l'in x e s' é it a h u de l'itinéranc t so L'Itinéraire on camelots de

Agissons au lieu de dénombrer!

Des chiffres pour mieux comprendre

effectuant un « Au lieu de faire de la paperasse en ion : construire l'act à er pass rait dev dénombrement, on s les services aux des logements sociaux, investir dan ent dresser des lem plus démunis. Dénombrer, c'est seu de concret.» is, préc de rien statistiques, ça ne mène à eaux/Gauthier

Serge Savard | Camelot angle Bord

De la poudre aux yeux

Pour moi, cette histoire de dénomb rement est une autre promesse politique qui n'au ra pas vraiment de résultats concrets. Comme d'ha bitude, une fois comptées, les personnes en situatio n d'itinérance seront probablement très vite oub liées. Rhéo Gallant | Camelot métro Cadi

llac

Parler davantage de l'itinérance dans

les médias « Je crois que ça va fonctionner. Cela permettrait à la ville de s'ajuster et apporter de l'entraide à des endroits précis afin de subvenir aux besoins des personnes dans le besoin! Mais audelà du dénombrement, il est importa nt de parler davantage du phénomène dans les médias afin que les gens comprennent mieux la réalité de ceux qui vivent dans la misère. Il doit y avoir une plus grande sensibilisatio n au problème.» Michel Houle | Camelot angle Champlain/Sain

te-Catherine

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Le dénombrement permettra de donner aux dirigeants une meilleure idée du nombre de gens livrés à eux-mêmes qui se retrouvent à quêter, mais aussi qui crèvent de faim dans nos rues. Ils se rendront compte que les itinérants sont de plus en plus nombreux à cause de leurs propres erreurs, car l'augmentation des cas d'itinérance est d'abord la faute des gouvernements qui ne prennent pas toujours les bonnes décisions pour éradiquer ce problème! Michel Dumont | Camelot métro Joliette

Sortir de l'ombre

que C'est une bonne idée. Il est important n qu'o nce scie con ne tout le monde pren out Surt …. noir le s dan é gard est existe car on qui sées érali gén ures coup de ps tem en ces de pierre risquent de nous faire revenir à l'âge rants des igno plus en où on deviendra de plus on vit. elle laqu s dan été soci la réalités de Jean-Pierre B. | Camelot métro Pie

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De la paperasse

Demeurer méfiant face aux dirigea

nts « Si le dénombrement servira vraim ent à venir en aide aux personnes itinérantes, alors je suis favorable. Malheureusement, on ne sait jamais où va le gouverneme nt. Souvent, il nous dit quelque chose alors qu'il fait tota lement le contraire. Je crois donc que l'initiative n'ira pas plus loin que le dénombrement. Mon propos représente bien la méf iance de plus en plus de gens face aux dirigeants de notre société.» Siou | Camelot métro Guy-Concordi

a

« Je doute fortement que ce dénombrement serve. Il se retrouvera sur les tablettes sans jamais en sortir, comme une majorité d'initiatives de la sorte. Je pense entre autres à la loi contre la pauvreté et l'exclusion, qui a été adoptée en 2010 mais dont on attend encore aujourd'hui les résultats. Pourtant, des gens attendent depuis des années pour un HLM. Pourquoi effectuer un dénombrement alors que l'on sait déjà qu'il faut mettre en place davantage de services pour permettre aux gens de se sortir de l'itinérance?» Alexandre Péloquin | Camelot métro Berri

Mettre à jour les statistiques

« Dans ma tête, je ne crois pas à ça. Quand on fait une étude de marché, c'est pour un ou deux ans plus tard. Mais le portrait de l'itinérance aura changé dans un an. La pauvreté change à chaque mois. Si des programmes, des mesures, sont mis en place dans les mois suivant le dénombrement, ce sera une très belle initiative. Sinon, il n'aura servi à rien car les statistiques auront changé.» Jean-Pierre Ménard | Camelot angle Saint-André/ Saint-Zotique et métro de l'Église

ance, l'itinér e d à l Au-de précarité bien la uche à

o carité t que les « La pré de personnes es qui sonn age davant Parmi les per plusieurs . le, ts itinéran de l'aide socia n précaire t n tio qui reçoive ans une situa d es amis ire t d n z e e iv h v c a t f n t e n r eu me et dem ement. Com nnes-là? g o s lo r o n t u n m b re r c e s p e e q u e t u o n a rc é p d s r a u p ne po n'est e c , t que tu s n e lu m e g De p s d'un lo vreté.» dispose as dans la pau melot a p |C vis hartier C on Benoît Radiss métro

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MOT DE CAMELOT

L'image cachée de la société

L'amour sincère La première fois qu'on rencontre une personne, on ne peut pas dire qu'on l'aime, on ne la connait pas. Avec le temps, on peut tomber en amour. L'amitié peut devenir de l'amour. Je suis une personne authentique. Je peux avoir beaucoup d'amis, hommes ou femmes. Je ne cherche pas, ils viennent à moi. Quand je parle avec des hommes, je n'ai pas d'arrière-pensées. Parfois on pense qu'une personne est un ami et ce n'est pas un ami véritable. Celui qui fait de la violence psychologique, il faut le dénoncer. Pour moi, un ami c'est quelqu'un qui a une bonne communication, qui me parle comme il faut. C'est quelqu'un dont j'aime la façon d'être, la façon de penser, le comportement. Il faut savoir faire la différence entre une connaissance et un ami. Avec un ami on se sent bien. La douceur, la tendresse, des affinités, des intérêts communs, de la lucidité, c'est ce que j'aime chez un homme. Je peux avoir un coup de foudre : c'est mon cœur qui réagit. Avec mes qualités d'observation, ma tête prend le dessus. Je vous souhaite de l'amour pur.

MANON FORTIER Camelot Village Champlain

La Vie en poésie L'Humour

L'humour quand tout va bien L'humour, j'aimerais ça toujours Parce que cela continue toujours L'humour vient en parlant avec les gens Cela te permet de rester permanent Si la conversation est bonne On te la donne L'humour t'emmène dans de beaux parcours

L'âme

Conserve ton âme Si tu ne veux pas tomber dans l'ombre Conserve ton âme Pour avoir un meilleur réveil Pour que les matins soient pareils

Pensée

On n'écrit pas souvent On écrit pour que cela dure longtemps

Pensée de demain

C'est parmi les pauvres, que l'on se comprend C'est parmi les pauvres, que l'on s'entend L'amour on le trouve des fois dans le milieu itinérant

JACQUES ÉLYSÉ Camelot Théâtre du Rideau Vert

La rue, c'est comme une petite école. On y apprend beaucoup, on peut y voir des choses qui échappent même aux grands journalistes. Il y a quelques années, alors que mes clients pouvaient penser que je n'étais qu'un camelot qui vendait des journaux, j'ai voulu leur montrer que j'étais aussi capable d'avoir un certain regard artistique. J'ai commencé à écrire pour raconter ce que je ressentais, à prendre des photos pour montrer ce que je voyais. J'observais beaucoup et je voulais apporter un autre regard sur Montréal. Il y avait par exemple ces maisons abandonnées entre Saint-Laurent et SainteCatherine où les gens allaient se réchauffer. De l'extérieur, on ne pouvait pas voir les junkies ni les filles de joie qui occupaient les sous-sols. L'écriture et la photo me permettaient de montrer tout ce que les autres ne peuvent pas voir. Raconter avec mes mots, décrire la souffrance des gens, c'était un besoin pour moi. Au départ, je pensais que ça allait être très dur. J'ai rencontré des obstacles, comme cette policière violente, bien connue des itinérants, qui n'admettait pas que les gens veuillent s'en sortir. Mais quand on fonce, rien n'est impossible. Je ne me suis jamais découragé et j'ai réussi à surmonter les difficultés. Aujourd'hui, je suis heureux de revenir à L'Itinéraire. Le travail nous permet de nous former et nous aide à avancer. L'équipe, les camelots et les clients, des hommes politiques, des artistes, des personnes âgées qui ont besoin de discuter, sont comme une famille pour nous. L'Itinéraire nous fait comprendre que nous faisons tous partie de la même société. (Simon)

MAXIME VALCOURT Camelot Jean-Coutu angle Fleury/Avenue Christophe-Colomb

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CHEMIN FAISANT

La vie souterraine C'est fou le nombre d'années que j'ai déjà accumulées à cette bouche de métro. C'est fou aussi, le nombre de gens que j'ai rencontrés, que j'ai découverts, que j'ai aimés et que je ne vois plus. Qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il grêle, qu'il neige, chaque matin votre camelot affronte les intempéries pour vous ! Si tout se passe bien, aujourd'hui je pourrai vendre au moins une dizaine de copies. Sinon, je serai peut-être obligé de sortir des phrases classiques comme : « Veuillez encourager votre camelot pour combattre la pauvreté ! ». TUAN TRIEU-HOANG | Camelot métro Henri-Bourassa

ILLUSTRATION : 123RF.COM/SYNTIKA82

M

algré tant de gens qui ont disparu et que je ne revois plus, d'autres leur succèdent pour cause de mouvance, de déménagement. Il arrive parfois que durant mon quart de travail, un de ceux-là me reluque, s'approche de moi pour me parler. Celui-ci est un peu en effiloche, le bord du pantalon blanchi par le sel de la rue. Il me regarde sans fixer mes yeux et me dit : « Ça fait des heures que tu n'as rien vendu. Si je t'achète un journal, est-ce que tu peux me laisser franchir le tourniquet avec ta carte Opus ? ». Un service pour un autre service ? Non ! Je dois refuser de poser des actes illégaux, même à des clients de longue date. De plus, si je me fais prendre en flagrant délit avec un tel geste, je risque de payer une amende. Il m'arrive aussi de rencontrer des gens qui me demandent si je peux leur faire crédit  : acheter maintenant et payer plus tard. À ces personnes je réponds poliment que je n'ai pas les mêmes moyens que Bell ou Hydro-Québec pour aller réclamer à des clients qui ne me paient pas. « Mais voyons donc, Tuan, ça fait des années qu'on se connaît, tu ne me fais pas confiance ? » Désolé, mais les bons comptes font les bons amis. Alors que cela fait bientôt 6 ans que je suis simple camelot, des gens pensent pour une raison incompréhensible que je suis également Témoin de Jéhovah. À une madame qui m'a dit qu'elle achèterait mon journal régulièrement seulement si j'allais à des «Rencontres Bibliques» dans son église, j'ai poliment décliné l'invitation en ajoutant que si elle voulait vraiment m'encourager, elle

savait où me retrouver. Encore une autre qui essayait de sauver mon âme ! Eh oui ! Je croyais avoir tout vu. Mais non! La semaine dernière, j'ai vu un bonhomme qui faisait ses besoins dans les escaliers roulants quelque instants avant que les inspecteurs arrivent. Malgré tout, je continue d'afficher un sourire qui m'a valu le titre flatteur de « camelot étoile d'Henri-Bourassa » et d'adopter une attitude positive avec la ferme conviction de pouvoir passer une bonne journée. Cela a attiré l'attention d'un monsieur. M'ayant observé depuis quelques jours, il s'est finalement approché de moi pour me dire que j'avais un beau visage, que les asiatiques sont « cutes », « beaux » et « sexy »… Il s'est même donné le droit de poser sur moi des gestes inappropriés ! À ce monsieur, qui n'avait certainement pas de mauvaises intentions, j'ai répondu fermement que je n'étais nullement intéressé par ses propositions déplacées. Cela m'a laissé un goût amer. Les seules choses que j'accepte sont les encouragements, les sourires et les pourboires. Si tu veux mettre fin à notre amitié, achète mon journal avec un faux billet de vingt dollars.

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MOT DE CAMELOT Trop de sérieux tue L'Heureux J'ai fait un rêve hier soir, un beau rêve, dans lequel je me questionnais sur la civilisation. Dans mon rêve, tous les humains étaient réunis et ne formaient qu'un. Ils se concentraient sur la paix et la solidarité, en harmonie, tel un océan de lumière dorée dans le ciel. Tout le monde se disait « Bonjour » dans le métro. Les gens avaient retrouvé leur dignité et leur honneur. Le racisme, la xénophobie et le terrorisme avaient disparu. Les droits fondamentaux de tous les humains étaient respectés. Les gens s'empressaient de suivre le Programme d'éducation pour la paix, gratuit et ouvert à tous ! Dans la réalité, la paix est possible à condition que l'on focalise toutes nos énergies sur elle. Malheureusement, ce n'est pas le cas dans notre monde. Toutes les distractions contribuent à notre perte d'identité et à l'absence de paix. Nous devenons certes plus intelligents, mais seulement parce que nous créons plus de problèmes qui nécessitent plus de solutions ! L'intelligence, contrairement à la sagesse, ne favorise pas la paix. Alors que les technologies inventent, innovent, elles créent aussi des problèmes. Nous créons encore plus de technologies pour solutionner les problèmes créés par ces mêmes technologies. D'autant plus que le téléphone cellulaire, Facebook et j'en passe nous éloignent jour après jour de notre humanité. De plus en plus confus et ignorants, notre inclinaison vers le mal ne diminue point : nous polluons la planète à un rythme effréné, et à cette allure je ne serais pas surpris si l'eau potable et même l'oxygène que l'on respire étaient facturés un jour. Où sont passées les vraies valeurs humaines ? Mes rêves se réalisent et j'improvise même si c'est l'ambition que je vise ; je ne vous prends pas à l'improviste mais je suis idéaliste.

HAMED BAMBA Camelot métro Parc

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ITINERAIRE.CA | 15 mars 2015

La vraie issue J'ai connu la rue, les désespoirs et l'espoir aussi. J'ai survécu. À l'époque, j'étais à la fin d'une relation avec un ami. Il était recherché par l'immigration ; c'est pour cela qu'il dormait dans la rue. Il avait trouvé un couloir pour dormir, à côté d'une usine désaffectée. Je n'oublierai jamais cet endroit où j'ai failli mourir d'hypothermie. Il n'y avait aucune lumière. Souffrant d'anxiété, c'était un vrai cauchemar pour moi. Je me sentais comme dans un tombeau. J'ai supporté ça sans drogue, sans alcool. J'ai dormi là pendant une semaine. Un soir j'ai vraiment paniqué et j'ai prié, c'était le seul espoir qui me restait. J'ai dit au ciel : « Je ne veux pas mourir comme ça, c'est une mort atroce ! » J'adressai ma prière à Dieu : « Sauvez-moi, faites quelque chose ! » J'ai senti une chaleur qui partait d'en bas alors que j'étais gelée. La chaleur m'a envahie, une chaleur forte, intense, comme un feu de bois. J'ai pleuré, j'ai senti monter des larmes dans mes yeux. J'ai dit merci et je me suis endormie. Je n'oublierai jamais cette nuitlà, parce que pour moi c'est une grâce. Cette nuit-là m'a appris qu'il ne faut jamais se décourager, même dans une situation de désespoir. Il ne faut jamais abandonner. Il existe toujours une lumière qui vient, des signes qu'il faut savoir reconnaître. L'homme que j'aimais a malheureusement été retrouvé par les agents de l'immigration. Mais j'aimerais aujourd'hui être porteuse d'espoir et vous dire qu'une situation désespérée, ça n'existe pas. Il y a toujours quelque chose qui est là, qui veille sur nous ; on ne sait pas trop ce que c'est, mais c'est là.

CÉLINE MARCHAND Camelot angle St-Denis/Ontario


« JE COMPTE MTL »

Un instantané limité de l'itinérance Le 25 mars, il se tiendra un exercice de dénombrement de la population sans-abri de Montréal. L'opération Je compte Mtl, piloté par l'Institut Douglas, vise ainsi à compter les personnes qui seront dans les refuges et dans la rue. Projet cher au maire Coderre qui l'a financé, ce countdown est inspiré de ce qui se fait dans des villes canadiennes et américaines pour mesurer le phénomène et son évolution.

INFO RAPSIM

PIERRE GAUDREAU | Coordonnateur du RAPSIM

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nfin un chiffre fiable diront plusieurs, mais quel sera ce chiffre, comment reflètera-t-il les différentes réalités de l'itinérance ? C'est un enjeu majeur, surtout que pour les promoteurs du dénombrement, l'obtention d'un chiffre vise ouvertement à aligner les ressources financières vers les populations recensées.

Un portrait incomplet

La démarche du dénombrement montréalais vise à ratisser large, dans les refuges et autres hébergements, mais aussi dans les rues du centre-ville et les arrondissements où l'itinérance est nommée comme réalité, Hochelaga et le Plateau mais aussi le sud-ouest et l'ouest de l'île. Avec tous les moyens qui seront déployés, ce polaroïd dressera donc un bon portrait de la réalité de l'itinérance qui pourra être constatée à ce moment. À ce moment cependant, de nombreuses personnes en situation d'itinérance ne seront pas dénombrées, bien des personnes qui l'étaient plus tôt cet hiver ou le seront plus tard ce printemps ne seront pas plus comptées, occultant ainsi une partie importante de la réalité. Car ce 25 mars comme tous les jours de l'année, ils seront nombreux à se retrouver sur le plancher, le divan ou dans le lit d'une connaissance, sans avoir l'assurance que ce toit d'un soir soit sécuritaire, particulièrement pour les femmes, qui souvent utilisent différentes stratégies pour éviter la rue, le travail du sexe, le retour chez des ex ou des dealers.

Ils seront nombreux les jeunes à se retrouver à 5, 10 ou 12 dans une piaule, non pas comme colocataires, mais dans un statut précaire et parfois dangereux. Elles seront nombreuses les immigrantes et migrantes sans-logis à se retrouver sur le divan de logements déjà surpeuplés, acceptées par leurs familles et amies pour leur éviter la rue. Pour certaines personnes l'itinérance est une réalité à longueur d'année, c'est l'itinérance chronique. C'est pour elles que le dénombrement du 25 mars sera utile. Et pour d'autres, beaucoup plus nombreuses, le dénombrement n'en tiendra pas compte.

Au-delà d'un jour

Pour illustrer l'ampleur de l'itinérance au-delà de celle qu'on constate un jour, les données des différents organismes sont très parlantes. Ainsi, le Refuge des jeunes accueille quotidiennement une trentaine de jeunes hommes, mais soutiennent annuellement de 600 à 650 hommes différents. À l'Auberge Madeleine, les 26 places d'hébergement pour femmes en difficulté sont occupées tous les jours et l'organisme doit quotidiennement effectuer une dizaine de refus faute de places. Avec plus de 4 000 refus l'an dernier, il s'agit d'une situation vécue sans arrêt par les autres ressources d'hébergement pour femmes en difficulté. Le dénombrement n'en tiendra pas compte. Les chiffres sont importants : ils démontrent une réalité. Ainsi, à Montréal pour une 6e année consécutive, les refuges pour hommes ont accueilli davantage d'hommes cet hiver et les femmes ont eu davantage de refus faute de place. Le 18 février dans son suivi hebdomadaire des hébergements d'urgence, la Ville de Montréal constatait un taux d'occupation de 99 % chez les hommes et de 116 % chez les femmes. Cela démontre clairement la nécessité d'agir à tous les niveaux pour prévenir et réduire l'itinérance. En espérant que le chiffre issu du dénombrement ne serve pas à contrer le message.

15 mars 2015 | ITINERAIRE.CA

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MOT DE CAMELOT Où est ma Juliette? Vous arrive-t-il de vous sentir tellement stressé que vous avez l'impression de perdre le nord? Y a-t-il des endroits où ça risque de vous arriver plus qu'ailleurs, comme dans le métro, par exemple? D'après moi, le stress est une réaction à une pression externe. L'anxiété peut venir des autres, mais le plus souvent, on la crée soi-même. Si vous voyez quelqu'un qui vous intéresse, laissezvous aller et parlez-lui. Ça lui fera probablement plaisir et ça vous fera du bien. Vous est-il déjà arrivé de vous sentir incapable de gérer votre stress? Vous rappelez-vous avoir réussi à très bien le contrôler ? Le stress peut m'envahir lorsque je suis dans le métro et que je vois une fille avec qui j'aimerais parler. Je sens alors mon cœur battre plus vite. Que voulez-vous, ce n'est pas habituel d'adresser la parole à quelqu'un qu'on ne connaît pas! Ce stress, je le vis de façon positive parce qu'il ne suffit que d'une première fois où l'on se lance, où l'on se dit «il arrivera ce qu'il arrivera», pour nous montrer que, quoiqu'il arrive, tout ira bien! Je dois vous avouer qu'avant cette fameuse première fois où j'ai réussi à me lancer, j'ai figé de nombreuses fois, j'ai vécu un stress tellement puissant que je ne pouvais même pas parler. Après avoir réussi tant bien que mal à dire «Salut, ça va?» à une très jolie fille qui se trouvait à mes côtés, j'ai fini par trouver petit à petit la confiance pour créer moi-même les circonstances. Il m'arrive de me lever et marcher une bonne distance pour aller à la rencontre d'une fille que j'ai aperçue et qui m'a attiré. Je m'avance toujours sans me créer d'attentes, sans la juger avant de lui parler. En faisant le chemin qui me sépare d'elle, les émotions surgissent, je contourne les gens. Comme dans un jeu vidéo, j'ai l'impression de passer d'une étape à l'autre. Un jour, grâce à ces rencontres, je trouverai ma Juliette!

Se prendre en mains Pour moi, l'hiver 2014-2015 prend des airs de fin du monde. J'exagère, mais je n'aime pas l'hiver. Au moins, mon loyer modique inclut le chauffage et tout. Et quand je pense au mendiant que j'ai côtoyé hier à mon point de vente de L'Itinéraire, je me désole. Particulièrement intoxiqué grâce aux oboles qu'il reçoit, il est peut être mort de froid la nuit dernière. Par les temps qui courent, le mercure oscille autour de -20C. Mes hivers n'ont pas toujours été aussi pénibles. Je me souviens de mon enfance dans la Petite Patrie, à Montréal, où on se faisait un plaisir de gratter la patinoire extérieure de l'école SaintÉtienne. C'est sur cette patinoire que j'ai appris la mort de JFK en 1963. J'avais douze ans. Même si mon père était propriétaire de notre multiplex, nous étions pauvres mais heureux et l'hiver était une occasion de s'endurcir au froid et de se réjouir des bordées de neige abondantes. C'est à cette époque, ironiquement, que j'avais le plus de contrôle sur ma vie, sur mon destin. La vie et ses aléas me forçaient, veut, veut pas, à me prendre en mains. Puisque je n'étais pas très doué pour les travaux manuels ou pour les arts, il allait me manquer cruellement un outil indispensable pour faire mon chemin : l'éducation supérieure. Celle que l'on acquiert au début de la vingtaine et qui devient essentielle pour approfondir la littérature, l'histoire, la philosophie, les sciences et ultimement obtenir des diplômes et des emplois conséquents. Ce n'est pas une garantie de bonheur, mais c'est déjà ça. C'est ainsi que, au fil des années, j'ai perdu cette capacité de me prendre en mains ; j'étais désabusé, cynique, découragé, dépendant et compulsif, au bord de la déchéance ! Mais ce n'est pas une tragédie. Je ne mourrai pas de faim ni de froid et L'Itinéraire m'offre l'unique opportunité, par l'écriture, de me reprendre en mains. Je suis sur la bonne voie.

GUY BOYER Camelot angle Saint-Denis/Duluth SYLVAIN PÉPIN-GIRARD Préposé à l'entretien ménager

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CARREFOUR La Biennale de Montréal 2014

Un grand ménage J'allais faire le grand ménage chez une dame très âgée. Elle demeurait ici, dans le Plateau Mont-Royal. En même temps, elle était comme une bonne compagne de travail pour moi. La journée passait très vite, et je n'avais pas l'impression de travailler. Moi, comme j'étais beaucoup plus jeune qu'elle, puisque j'étais mûre dans la jeune trentaine, je lavais les plafonds et le haut des murs alors que la dame lavait la moitié des murs en allant vers le bas. Elle aimait beaucoup travailler avec moi, et moi aussi d'ailleurs. Nous échangions donc ensemble souvent durant nos pauses-café et nos heures de dîner. C'étaient des conversations très agréables, sur les enfants, sur l'enfance à la campagne.

PHOTO : BIENNALE DE MONTRÉAL

Le 4 février dernier, des participants de L'Itinéraire ont visité la Biennale de Montréal 2014, au Musée d'art contemporain de Montréal. Guidés par la directrice générale et artistique de la Biennale, Sylvie Fortin, ils ont pu y explorer les œuvres d'une vingtaine d'artistes et collectifs, œuvres démontrant la diversité des points de vue sur l'avenir. Profondément interpellés, les participants tenaient à remercier la Biennale pour la merveilleuse expérience et à leur dire « À l'année prochaine ! ». De gauche à droite : Sylvie Fortin, directrice générale et artistique de la Biennale de Montréal ; Vanessa Serant, responsable du financement à L'Itinéraire, et Marianne Thibaudeau, orthopédagogue du Centre de ressources éducatives et pédagogiques à L'Itinéraire.

Je n'aurais jamais cru qu'elle avait plus de quatre-vingt ans ! Je pensais qu'elle avait entre soixante-cinq et soixante-dix ans environ. Elle travaillait très fort malgré son âge.

GISÈLE NADEAU Camelot métros Iberville et Jarry

CRÉDIT PHOTO : VANESSA SERANT

Elle était très sociable, active, débrouillarde et remarquablement humaine. C'était une femme qui était habituée à travailler et très expérimentée. J'ai toujours gardé un excellent souvenir de cette personne.

Le camelot Yannick Larouche en train de vendre des tuques !

La campagne des Tuques de L'Itinéraire Vous étiez nombreux à nous supporter mardi dernier lors de la campagne 2015 des tuques. Nous tenons à vous dire merci et nous remercions aussi la dynamique équipe d'Intact Assurance du bureau du centre-ville. On vous dit à l'année prochaine !

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CULTURE

BNLMTL 2014

JOSÉE CARDINAL | Préposée à la distribution

Éternité (2014) de Nicolas Baïer Fatigues (2014) d'Abbas Akhavan

Black on White (2014) de John Massey

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i vous ne comprenez rien à ce salmigondis de descriptions d'œuvres, c'est peut-être que vous n'avez pas visité la Biennale 2014 du Musée d'art contemporain de Montréal (MAC). Dès que j'ai su que L'Itinéraire avait gracieusement été convié à cette exposition, j'ai décidé d'en profiter. Je fréquente peu l'art contemporain, qui m'effraie ; la perspective d'arpenter un lieu lui étant consacré me plaisait donc. Mes camarades de L'Itinéraire et moi avons eu le privilège d'explorer la Biennale avec sa directrice, Sylvie Fortin, grâce à qui j'ai vite saisi que les artistes de l'événement, dont le travail sondait le futur, affichaient une lucidité plus ou moins pessimiste, mais toujours éclairante. Les constats de ces créateurs me bousculaient, leurs prédictions m'incitaient à revoir mes actions et mes omissions quotidiennes, ce que j'appréciais grandement. En définitive, Mme Fortin m'a permis de littéralement me lover dans les ouvrages aux arcanes desquels elle nous initiait. En plus de me pousser à réfléchir aux enjeux sociaux qu'elle auscultait, la Biennale m'a fait éprouver de puissantes émotions. Mon corps entier a savouré la rudesse, la pureté, la splendeur de ce qu'il captait. J'ai aussi été impressionnée par la complexité logistique d'une entreprise de cette envergure, par les difficultés de conception et de présentation posées par l'art. Le MAC, que je remercie de son accueil, n'en était pas à sa première collaboration avec L'Itinéraire. Pas plus qu'à sa dernière, j'espère.

PHOTOS : GUY L'HEUREUX/LA BIENNALE DE MONTRÉAL

Qu'est-ce que l'avenir ? Un mandala graffité ; un gratte-ciel soufflé ; des corps déchiquetés ; une lutte musicale ; une sphère spatiale ; une frondaison mortifère ; une éternité mouvante ; une piste interplanétaire ; un paradis empaillé ; une révélation gérontologique ; une enfance amnésique ; une utopie artistique ; une épave inondée; des aveuglements aléatoires ; des éclats fuligineux ; un bestiaire cosmogonique.


ÉPOPÉE NORD

PHOTO : JOSÉE LECOMPTE

Un conte à saveur de folie sociale! Le 28 janvier dernier, j'ai eu la chance d'assister à la pièce de théâtre Épopée Nord au Théâtre d'Aujourd'hui. Une pièce définitivement pas comme les autres! PAR LUC DESCHÊNES | Préposé à l'entretien ménager

PHOTO : HUGO B. LEFORT

PHOTO : PHILIPPE GAGNON

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éjà, l'entrée dans la salle laisse présager la suite des choses. C'est une salle minuscule qui ne peut accueillir que seulement 75 personnes. Le spectateur y est accueilli par les comédiens qui lui suggèrent même un endroit où s'assoir! L'ambiance y est folle et folklorique : vêtements multicolores, chemises carreautées et musique traditionnelle québécoise. Pour moi qui suis un habitué des pièces plus traditionnelles, j'ai tout de suite su que la soirée n'allait pas être banale. Et elle n'a pas été banale! Déjà, quand je me suis informé sur la pièce avant d'y assister, le synopsis indiquait que l'histoire se déroulait au Québec, en 2035! À cette époque, on retrouve sept Fred Pellerin (oui, sept!), des villes écologiques et hypertechnologiques et des villages délaissés. Jean Leloup appuie la révolte des peuples autochtones. Les personnages sont plus bizarres que nature. On fait par exemple la rencontre de l'homme-pénis, qui est interviewé par nul autre que Denis Lévesque. On devine donc que l'histoire est un peu tirée par les cheveux. Le texte a des allures de poésie humoristique folklorique, tout en faisant des références à des personnalités québécoises telles que Sylvain Cossette, Gaétan Barrette et Marie-Soleil Tougas. Ce mélange est particulièrement intéressant et plusieurs blagues ont déclenché des rires sentis dans la salle. Un exemple : «Leurs corps étaient tellement cut et huilés qu'on aurait dit le cover du magazine Fugues!» Par contre, certaines blagues s'enchainent à un tel rythme que j'ai l'impression d'assister à un spectacle d'humour. Je dois avouer que les comédiens sont très talentueux. Ils doivent chacun jouer divers personnages, à la façon d'un conte, ce qui nécessite une transformation corporelle et verbale impressionnante. De plus, la pièce s'apparente énormément à une comédie musicale, où les comédiens ont également pu démontrer l'étendue de leur talent musical. La comédienne Virginie Morin m'a particulièrement impressionné par son talent et son charme hors du commun. Elle vole littéralement la vedette. En conclusion, la pièce Épopée Nord m'a bien diverti même si je dois avouer que je préfère une pièce de théâtre plus structurée. Toute l'absurdité de l'histoire nuit à sa cohérence. Je salue tout de même le travail des artistes : ils démontrent qu'au Québec, nous sommes créatifs!

La réponse des scénaristes Guillaume Tremblay (texte et interprétation) sur l'humour omniprésent:

On dit souvent dans le milieu du théâtre qu'il faut seulement être un peu drôle. Sinon, on devient des humoristes. Mais c'est faux! À travers la pièce Épopée Nord, on veut affirmer que la blague appartient à tout le monde! Elle n'est pas seulement assignée aux humoristes! Une pièce n'est jamais trop drôle. Par contre, si elles sont trop nombreuses, les blagues peuvent nuire à l'histoire. Nous devons donc préserver l'essence de la pièce. Ce n'est pas facile.

Olivier Morin (mise en scène, texte et interprétation) sur le choix du conte :

Tout est évoqué dans le conte : le regard, la parole et la gestuelle. Et surtout, on s'adresse directement au public. Au théâtre, il y a ce qu'on appelle le quatrième mur. C'est une espèce de mur invisible à travers lequel le public regarde la pièce. C'est une convention nonécrite entre le public et les comédiens : les comédiens font comme si le public n'était pas là. Ils parlent fort… mais le public écoute! Dans le conte, c'est complètement l'inverse : on s'adresse directement aux gens.

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Dignité Pauvreté

Plus de six millions de personnes à travers le monde votent pour la dignité en achetant un journal de rue. En agissant ainsi, ils participent à changer la vie de 27000 camelots dans 40 pays, représentant plus de 120 journaux de rue différents. En retour, les lecteurs profitent d’un journalisme indépendant de qualité, tout en sachant qu’ils ont fait une différence.

Votez pour la dignité.


PANORAMA « Juste. Pour tous. » Le printemps approche et avec lui, le temps des impôts. Le soleil et les fleurs semblent mieux faire passer la pilule amère qu'est devenu pour beaucoup de contribuables l'impôt gouvernemental. Une amertume qui fait écho à l'iniquité en matière d'imposition, favorisée par l'essor des paradis fiscaux, que dénonce le documentariste Harold Crooks dans Le prix à payer. PAR GOPESA PAQUETTE PHOTOS : FILMOPTION INTERNATIONAL

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ans un vaste tour du monde de la fiscalité, le film démontre comment les centres du capitalisme financier ont élaboré un réseau déterritorialisé qui permet aux grandes fortunes d'échapper à l'imposition gouvernementale. L'impôt reste un des principaux outils de redistribution de la richesse. La fiscaliste canadienne, Brigitte Alepin, parle même d'une ségrégation fiscale au Canada. D'un côté, les multinationales ne paient pratiquement pas d'impôt alors que l'État n'hésite pas à sortir les grands moyens pour enquêter sur les autres contribuables afin de s'assurer qu'ils paient leur « juste part ». C'est environ 21 000 000 000 000 dollars US qui échappent à toute forme d'imposition ! De la richesse créée dans les pays où se concentrent les consommateurs (Europe de l'Ouest et Amérique du Nord). Les montants exacts sont difficiles à établir, les principales organisations internationales concernées, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, n'ont rien publié sur la question. On estime tout de même que 75 % des profits des multinationales sont déclarés dans quatre paradis fiscaux : Suisse, Singapour, Bermudes et Îles Caïman.

Au cœur de ce réseau, la City de Londres. Depuis le 11e siècle, époque du roi Édouard le Confesseur, ce quartier d'affaires européen bénéficierait du privilège de ne pas être soumis à l'impôt. S'y ajoute un archipel transnational, composé en grande part d'anciennes colonies britanniques, où les institutions financières abriteraient entre 10 et 15 % de la richesse mondiale. Au-delà du constat quelque peu décourageant d'un vaste système qui accentue les inégalités sociales, le cinéaste propose une solution : la fameuse taxe Robin des bois. Aussi connu sous le nom de taxe Tobin, cet impôt de 0.05 % sur les transactions financières permettrait de freiner les opérations financières à haut débit effectuées à l'aide de super ordinateurs, tout en assurant une certaine redistribution de la richesse. Un pompier de Chicago, interpellé dans le film, y voit une solution à la fonte des caisses des régimes de pension des employés du secteur public qui crée aussi des remous au Québec. Pour ceux qui doutent de la faisabilité d'un tel prélèvement, le cinéaste rappelle qu'il est déjà appliqué sous une forme ou une autre en Corée du Sud, à Taïwan et à Singapour.

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Série sur l'Histoire de la pauvreté au Québec

CLIN D'ŒIL DU PASSÉ

La pauvreté est une réalité qui ne date pas d'hier, et les ressources pour la combattre non plus. À travers une série de dix textes, L'Itinéraire dresse un portrait historique de l'aide offerte aux personnes vulnérables et en situation d'itinérance au Québec depuis la colonisation.

Les Sœurs Grises, premières travailleuses sociales de l'histoire du Québec C'est par le serment secret de quatre femmes, en 1737, que sont nées les Soeurs Grises, une communauté qui a mis sur pied 68 établissements d'entraide au Québec et à travers le monde. La fondatrice de cet ordre, Marguerite d'Youville, la « femme forte du Canada », a dû se battre toute sa vie contre vents et marées. Presque 278 ans plus tard, l'oeuvre des Soeurs Grises est encore visible. PAR MARTINE B. CÔTÉ

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Elles sont dévouées aux pauvres, aux malades de la variole, aux immigrants irlandais et aux filles-mères, qu'on appelle alors les « filles tombées ».

De vraies entrepreneures

En 1747, la gestion de l'Hôpital Général de Montréal, dans un état de délabrement extrême depuis la mort de son fondateur, est confiée à Marguerite d'Youville et ses consœurs. Elles ont pour mandat de s'occuper des infirmes, des vieillards, des centaines d'enfants abandonnés annuellement, des soldats français et des prisonniers anglais pendant la guerre de la Conquête. Devant trouver elles-mêmes l'argent pour faire fonctionner ce lieu d'entraide, les Sœurs Grises dirigent de véritables petites industries. Elles apprêtent le tabac, revendent des matériaux comme de la pierre à bâtir, de la chaux ou du sable, etc. De plus, elles fabriquent des hosties, des bougies, des chandelles pour les églises, confectionnent des voiles de bateau, des habits militaires, etc. Toute la colonie se passe le mot, les Soeurs Grises savent tout faire et ne refusent rien ni personne ! Marguerite d'Youville meurt en 1771, mais les Soeurs Grises ne perdent pas une once de vigueur. Les femmes qui lui succèdent agrandissent le réseau de solidarité et ouvrent des centres d'aide dans l'ouest du Canada et aux États-Unis. En 1912, on comptait 68 établissements instaurés par cette communauté. Les Sœurs Grises sont aujourd'hui moins de 200 au Québec, mais leur œuvre est encore bien visible. L'indispensable Accueil Bonneau, l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont et la Maison Marguerite doivent leur fondation au travail de quatre jeunes femmes, dont celle qu'on appelle aujourd'hui la « Mère de la charité universelle », Marguerite Dufrostd'Youville.

PHOTO : COMMONS.WIKIMEDIA.ORG

M

arguerite Dufrost nait à Varennes en 1701. D'origine noble, elle vit tout de même dans la pauvreté, propre au début de la colonie de Ville-Marie. Elle n'a que six ans quand elle commence une pratique qui la suivra toute sa vie: la demande d'aumône, de porte en porte. À l'âge de 21 ans, elle épouse François d'Youville, un marchand-voyageur, toujours absent, qui n'assiste pas à la naissance ni au baptême de ses enfants. Il meurt huit ans après leur mariage, laissant à Marguerite des dettes, de tristes souvenirs, deux enfants. Enceinte, elle perd l'enfant qu'elle porte. Le veuvage pousse Madame d'Youville au zèle. Elle consacre toutes ses journées aux malades et aux pauvres. Elle mendie encore, mais cette fois, c'est par choix. Les journées sont chargées ; elle a en plus deux garçons en bas âge: la réalité des mères monoparentales débordées ne date pas d'hier… En 1737, Marguerite et trois de ses amies font le voeu de fonder une communauté dédiée à l'aide aux plus démunis. Le pacte se fait en secret, car l'approbation de Louis XV est nécessaire pour la mise en place d'une congrégation. En effet, à cette époque, la Cour craignait de devoir soutenir financièrement de telles associations. Les quatre femmes accueillent les premiers démunis chez Madame d'Youville, puis dans la maison Le Verrier, située sur la rue Notre-Dame. C'est une année difficile pour ces femmes dévouées, qui subissent les railleries des montréalais. Vivre aux côtés des pauvres est mal vu et ne sied pas au rang de Marguerite. Les soeurs sont alors accusées de tous les maux, même de consommer de l'eau-de-vie, d'où le sobriquet soeurs « grises », c'est-à-dire, soeurs « ivres »... Indifférentes face aux calomnies, elles adoptent officiellement le nom Soeurs Grises ainsi qu'un costume gris, plutôt que le noir usuel.


PAR CATHERINE GIROUARD, GOPESA PAQUETTE, LOUIS-PHILIPPE POULIOT

LIVRES

Patauger dans la fosse sceptique Entre chagrin et tendresse Il n'y a pas mieux placé pour parler de suicide que Miriam Toews. Elle en est une victime collatérale, ayant vécu ceux de son père et de sa sœur. Dans Pauvres petits chagrins, elle nous raconte l'histoire de deux sœurs, Elf et Yoli. L'une est une pianiste célèbre, bien mariée. L'autre est mère de deux enfants, divorcée, cassée. C'est pourtant la première qui souffre d'un profond mal de vivre, et la deuxième fait tout pour lui redonner la soif de vivre. À travers des allers-retours entre leur enfance et leur vie d'adulte, l'auteure nous fait adroitement réfléchir sur les sujets délicats de la maladie mentale et du suicide. Et sur l'amour et la compassion, surtout. Comme dans tous ses livres, un judicieux équilibre entre tendresse, humour et tristesse rend le tout pas moins troublant, certes, mais très digeste. Pauvre petits chagrins est assurément un incontournable. (CG)

Bon, tout le monde a vu le film. Mais pour ne pas faire mentir l'adage: « le livre était bien meilleur ». Même pour le graphiste de gauche que je suis, lire cette critique de la publicité m'a déstabilisé. Je me suis questionné sur la futilité de mon emploi, de mon rôle dans l'abrutissement coordonné de la société, de l'universalité de la démagogie à travers la pub et les médias de masse. Bref, j'ai hésité entre me flinguer ou changer de carrière. Heureusement, à force de tourner les pages de l'horreur, j'ai fini par me désensibiliser et comme le milliard d'abrutis qui se délectent de scandales politiques, j'ai même fini par en rire ! (LPP)

99 Francs.

Frédéric Beigbeder, Éditions Gallimard, 304 pages.

Pauvres petits chagrins.

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Prochaine sortie

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Miriam Toews, Éditions Boréal, 384 pages.

Voici un répertoire d'initiatives explorant les pistes de transition vers une économie stationnaire, une alternative à l'économie de croissance exponentielle qui a montré ces limites. L'ouvrage présente plus d'une vingtaine d'études de cas qui proposent une sortie de la crise écologique et sociale du capitalisme actuel. Les auteurs suivent cinq grands axes : la résilience, la reconquête des communs, la réinvention de la démocratie, l'économie de solidarité sociale et l'intégration des coûts externalisés dans les prix des produits. Ils offrent un véritable guide de transition soulignant les facteurs de réussite de chacun des projets présentés. Un livre de référence pour tous ceux qui travaillent sur les solutions aux grands problèmes de l'heure. (GP)

Impératif transition. Construire une économie solidaire. Michael Lewis et Pat Conaty, Éditions Écosociété, 420 pages.

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mêlées de caramel absorber mondain caractère latin

ivres

olivettes fruit

couvent

celer

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divise ragoût

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LE JOSÉE FLÉCHÉ

parfait

décentes

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« Je m'appelle Josée, je travaille à la distribution et voici mon petit fléché »

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1 MARS Réponses duSOLUTION 1 MARS DU 2015 Réponses du 15 MARS 2015 mêlées de ivres parfait olivettes

fondiez

largeurs olé

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Solution dans le prochain numéro

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JOSÉE CARDINAL | Distributrice


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DÉTENTE

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1 2 3 HORIZONTALEMENT 1. Araignées. 4 2. Image religieuse. -­‐ Rongeur d'Amérique du Sud. 3. Poème. -­‐ À nous. -­‐ Nota bene. 5 4. Iridium. -­‐ Tutélaires. 5. Remorque. -­‐ Qu'il souhaitât. 6 6. Qui ne produit pas de fruits. -­‐ Cale. 7. Cérémonies. -­‐ Pareilles. 7 8. Poisson. -­‐ Âge. 9. Adeptes de la doctrine selon laquelle les connaissances proviennent 8 des sensations. 2 10. Opposée à hivernale. -­‐ Médicament. 9 VERTICALEMENT 1. Pourvoit d'une force guerrière 6 10 2. Pesticides.

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HORIZONTALEMENT 1. Qui se fait à la maison. 2. Composé chimique. - Porté. 3. Us. - Religieuse indienne d'origine albanaise. 4. Plante. - Filet. 5. Cérémonies. - Terre. 6. Enzyme. - Semailles. - Mesure chinoise. 7. Étain. - Vraies. 8. Règle. - Irlande. - Nid. 9. Erbium. - Renaissance. 10. Formé par alluvionnement. - Strontium. VERTICALEMENT 1. Qui annulent. 2. Oubliées. - Âge. 3. Divisions des cellules. 4. Pensées, - Saint Philippe _ _ _ _ , fondateur de l'Oratoire d'Italie. 5. Gantelets. - Dose de radiation. 6. Alcaloïde. 7. Qui touche le filet. - Bouc. 8. Résistance. - Do. 9. Amer. - Russe. 10. Hameaux. - Dépôt. 11. Doreras. 12. École d'administration. - Lecteur.

3. Règle. -­‐ Manquent. 4. Manganèse. -­‐ Papa. -­‐ Note. Solution dans le prochain numéro 5. Victoire de Napoléon. -­‐ Post scriptum. -­‐ Ultraviolets. 6. Enlevée. -­‐ Coulée de lave. 7. Nez. -­‐ Colline artificielle. Grand Lac.| joseecardinala1@yahoo.ca Jeu8. Argent. -­‐ réalisé Révérend Père. -­‐ par Josée Cardinal 9. Pavillons couverts de verdure. 10. Garnir de tubes. -­‐ À toi. 11. Puis. -­‐ Nettoierez. er NIVEAU DE DIFFICULTÉ: FACILE Solutions 12. Sommes. -­‐ Saint. du 1 mars 2015

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HORIZONTALEMENT 1. Qui se fait à la maison. 2. Composé chimique. -­‐ Porté. 4 3. Us. -­‐ R1eligieuse indienne d'origine albanaise. Placez un chiffre de 1 à 9 Plante. -­‐ Filet. 5 4. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 dans chaque case vide. 3 8 9 Chaque ligne, chaque 1 M A L M I G N A T T E S 5. Cérémonies. A-­‐ TGerre. colonne et chaque boîte 2 I C O N E O U T I 3x3 délimitée par un trait 8 2 3 L A I N O S N B E plus épais doivent contenir 6. E nzyme. -­‐ S emailles. -­‐ M esure c hinoise. tous les chiffres de 1 à 9. 4 I R P A T E R N E L S chiffre apparaît 65 7. T ÉI tain. R E -­‐ Vraies. E S P E R A T 6 4 7 8 Chaque donc une seule fois dans 6 A C A R P E L V E une ligne, dans une colonne et dans une boîte 3x3. 7 8. R RI ègle. T E -­‐ SIrlande. T E -­‐ N L id. L E S 6 4 8 I D E E R E R 9 9. S EE rbium. N S U-­‐ RAenaissance. L I S T E S NOTRE LOGICIEL 2 8 10 E S T I V A L E A Z T DE SUDOKUS EST MAINTENANT 10. Formé par alluvionnement. -­‐ Strontium. 9 DISPONIBLE. 1 3 6 10 000 sudokus inédits de 4 3 9 6 5 1 2 8 VERTICALEMENT niveaux par notre expert, 5 1 2 8 9 4 3 6 7 9 5 4Fabien Savary. En vente exclusivement sur 8 2 1 3 9 5 4 1. Qui 6annulent. notre site. 9 1 4 2 5 8 3 6 1 5 3 www.les-mordus.com 2. O6ubliées. -­‐ Â ge. 4 3 8 1 2 9 5 2 5 9 3 6 4 7 8 2 9 3. D83ivisions des cellules.1 8 1 6 9 5 4 2 Solution dans le prochain numéro 1 5 6 3-­‐ S 4 aint 2 Philippe 8 9 4. Pensées, _ _ _ _ , fondateur de l'Oratoire d'Italie. 2 9 4 5 8 6 1 3 5. Gantelets. -­‐ Dose de radiation. Jeu réalisé par Ludipresse | info@les-mordus.com 6. Alcaloïde. 1 4 3 8 5 7 9 6 2 8 7 2 1 6 9 5 3 4 7. Qui touche le filet. -­‐ Bouc. 15 mars 2015 | ITINERAIRE.CA 45 5 9 6 2 3 4 1 7 8 6 5 1 4 7 8 2 9 3 8. Résistance. -­‐ Do. 4 3 7 9 2 6 8 5 1


A PROPOS DE...

L'ÉTRANGER Il y a autant de mystère à s'approcher d'un être qu'à s'en éloigner. DANY LAFERIÈRE

ROBERT LOUIS STEVENSON

MARC LÉVY

SIMONE WEIL

Tout étranger est devenu un ennemi, quelqu'un qui vient vous prendre ce que vous possédez. La défiance puis la haine ont remplacé la confiance et l'amour.

Un étranger nous voit tels que nous sommes et non tels qu'il veut croire que nous sommes. CARLOS RUIZ ZAFÓN

VALERI AFANASSIEV

Lorsqu'on emploie trop de temps à voyager, on devient enfin étranger en son pays. RENÉ DESCARTES

Être étranger, c'est constater que l'Autre est une aventure, que tout cri n'est pas hostile. TANIA DE MONTAIGNE

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ITINERAIRE.CA | 15 mars 2015

Nous sommes tous étrangers à nousmêmes, et si nous avons le moindre sens de qui nous sommes, c'est seulement parce que nous vivons à l'intérieur du regard d'autrui. PAUL AUSTER

PHOTO : 123RF.COM/SEBASTIEN DECORET

Aimer un étranger comme soi-même implique comme contrepartie de s'aimer soi-même comme un étranger.

Alors je me souviens que le mot Étranger est une des plus belles promesses du monde, une promesse de couleurs, belles comme la Liberté.

Je suis moi, vous êtes vous, et les autres sont les étrangers.



Chez Tim Hortons, si nous ne pouvons servir notre café de première qualité dans les vingt minutes suivant sa préparation, nous ne le servons tout simplement pas. C’est pour cette raison qu’à chaque nouvelle carafe que nous préparons, nous y inscrivons l’heure. De cette façon, vous êtes assurés que nous vous servons un café toujours savoureux.


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