SĂŠverine VIALON
Marre des adultes
Sevylivres
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Avant-propos Ce roman est en fait celui que j'ai écrit en premier. Je l'ai commencé, j'avais 17 ans, je l'ai terminé… Je ne sais plus. Je m'étais alors imposée une contrainte d'écriture. J'ai décidé de le remettre en page, de le corriger, mais je n'ai touché qu'à l'orthographe et aux répétitions (ou mal dit comme disaient les profs de français !). Avec mes yeux de femme de 40 ans, certains passages me paraissent difficiles et plus trop à la page, mais je les garde pour rester fidèle à ce que je pouvais penser lorsque j'avais 17 ans ou un peu plus.
À mes parents
Quand tu attends dans la nuit Que de toi sorte l’ennui Le froid glacial perce tes vêtements Atteignant ton corps brûlant Qui bout de colère et de tristesse Depuis que tu as changé d’adresse. Malgré la beauté de la nuit Qui rappelle à toi tous tes amis Tu marches, tu bouges, tu pleures Tu recherches partout la chaleur Que tu n’as pas retrouvée Depuis que tu les as quittés. Lorsque le soleil se lèvera lorsque de nouveau le jour pointera Peut-être te réveilleras-tu enfin De ce cauchemar sans fin Dans lequel tu t’es entraînée Depuis que ton rêve s’est terminé.
Marre des adultes
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Le groupe est arrivé. Tous les jeunes sont regroupés, assis sur le macadam, leurs bagages entassés les uns sur les autres. Ils sont tous là, les yeux rivés sur le sol, ils ne parlent pratiquement pas. La fatigue se lit sur leur visage, ils sont épuisés par le voyage qui les a amenés jusque-là. Ils attendent. Comme souvent dans ce genre de voyage, il faut attendre des heures. Un car se gare devant eux. Un homme, un de leurs accompagnateurs, leur fait signe de se lever. Ils prennent leurs bagages, les rangent dans la soute, et un à un, se dirigent vers l'avant du car, montent et avancent jusqu'au fond pour trouver une place. Comme les autres, elle monte et s'assoit, s'installe contre la vitre et y colle sa tête. Elle regarde ceux qui ne sont pas encore montés. Une fille vient s'asseoir à côté d'elle, elles se sont rencontrées au cours du voyage, comme les deux filles qui se sont assises derrière elles. Le car démarre et s'enfile entre les voitures. Bientôt il quitte le centre-ville et s'engage dans des petites routes désertes. Le paysage défile sous ses yeux, mais elle n'y attache pas
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beaucoup d'importance. Elle est trop fatiguée. Ses yeux fixent un point à l'horizon, puis lentement se ferment… Tout le car parait endormi. Seuls les accompagnateurs, installés à l'avant, discutent doucement. Une voix retentit. Elle se réveille en sursaut. Le directeur parle dans le micro. Ils sont enfin arrivés. Elle regarde par la vitre. Les familles sont là pour les accueillir. La porte du car s'ouvre. Le directeur descend et demande aux personnes de s'approcher. Il remonte et appelle un à un les jeunes dont les familles d'accueil sont présentes. Elle finit par être appelée, et présentée à la famille chez qui elle logera, et prendra ses repas, lorsqu'ils resteront en ville. Une jeune femme lui serre la main. Elle est grande et belle. De longs cheveux blonds tombent sur son corsage blanc. Elle est accompagnée de deux petites filles, toutes les deux habillées de la même façon : une petite robe rouge avec de la dentelle dans le bas et aux poignets. Seule leur différence de taille permet d'affirmer qu'elles ne sont pas jumelles. Elles ont des cheveux bruns très lisses qui s'arrêtent au niveau des épaules. Elle est emmenée en voiture jusqu'à un petit pavillon de plainpied identique aux autres maisons de la rue. Sur le devant, un petit muret délimite la propriété de laquelle sort le reste de la famille : deux petits garçons de quatre et cinq ans ; les deux petites filles ont trois et six ans. Le plus grand a les cheveux blonds, assez foncés, coiffés avec une raie sur le côté. Le plus petit a encore les cheveux clairs, ils sont très courts et coiffés vers le devant. Son mari est resté à la maison pour l'accueillir. Il a, lui aussi, les cheveux bruns, courts et porte des lunettes. Il est élégant et elle lui trouve un certain charme. On la conduit à sa chambre où, laissée seule, elle défait ses bagages et se change : elle a eu si chaud pendant le voyage. Quelqu'un frappe à la porte. Une des petites filles entre, et lui
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demande de se joindre à eux pour le repas. Elle pose les affaires qu'elle a en main, et suit cette petite fille qui a déjà commencé à la séduire. Le repas est très agité, les enfants veulent tout savoir d'elle : si elle a des frères et sœurs, si elle habite dans une grande maison, si elle a un grand jardin avec des balançoires, si elle a des animaux… Les parents n'ont pas le temps de parler. Ils n'ont que le droit d'écouter. Mais ils finissent quand même par intervenir pour qu'elle puisse manger. Elle commence à se sentir à l'aise au milieu de tous ces inconnus. Le repas se termine et elle n'a plus envie d'aller se coucher. Malgré la fatigue qui pèse sur elle, elle veut, à son tour faire connaissance avec la famille, en leur posant quelques questions. Les enfants, ravis, s'assoient autour d'elle pour mieux écouter. Seule la mère répond à ses questions. Elle lui parle d'abord de ses enfants. L'aînée va à l'école et elle travaille très bien. Son frère va, lui aussi, à l'école, mais il est trop indiscipliné. Le plus petit n'y va que l'après-midi et il y fait des dessins, des découpages… Il est sage mais pas assez vivant. Quant à la petite dernière, elle reste à la maison, toujours dans les jupes de sa mère qui est soulagée quand la grande rentre de l'école et emmène sa sœur jouer. Elle, elle est mère au foyer et fait du repassage pour les voisines. Son mari travaille sur ordinateur dans une société. Après une heure de conversation elle décide tout de même d'aller se coucher. Les enfants, conduits par leur mère, se résignent à la quitter pour, eux aussi, gagner leur lit respectif. Le lendemain, elle se lève de bonne heure, elle sait qu'elle ne verra pas les enfants avant de partir, ils dorment encore. Pourtant, elle aimerait les voir, passer un petit moment avec eux, ils sont si mignons et si gentils avec elle. Ils comblent le vide qui est en elle : ils aiment l'écouter, ils lui parlent, et veulent être avec elle. Bien sûr, elle ne les a vus qu'hier soir,
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mais elle les sent déjà très proches d'elle. Elle déjeune, prépare son sac, et quitte la maison pour aller prendre le bus qui l'emmène au lieu de rassemblement du groupe : une grande salle polyvalente prêtée par la ville. Elle retrouve ses copines qui sont moins emballées qu'elle par leur famille d'accueil. Elle occupe toute la conversation en contant sa soirée de la veille. Mais elle n'arrive pas à convaincre les autres de son enthousiasme : les petits, ce n'est pas leur fort. Le directeur arrive, et les entraîne vers l'intérieur de la salle où tout le monde s'assoit, tout en restant en petits groupes. Le bavardage remplit vite la salle, et le directeur n'arrive plus à se faire entendre. Il finit par crier et la salle devient aussi calme que s'il n'y avait personne. Enfin, il peut s'adresser à eux. À la fin de cet entretien, le directeur leur annonce qu'ils ont quartier libre pour la journée : cela peut ainsi leur permettre d'acheter des cartes à envoyer à leur famille… Il leur conseille aussi de passer le reste de l'après-midi au sein de leur famille d'accueil pour mieux faire connaissance et pourquoi pas, s'habituer un peu à leur langue. À peine a-t-il fini que le brouhaha remplit à nouveau la salle. Elle écoute un peu autour d'elle : personne ne parle de rentrer dans sa famille. Elle va devoir faire un choix : suivre les autres en ville toute la journée, ou n'y passer qu'un petit moment, le temps d'acheter ses cartes, puis rentrer retrouver les enfants qui ont déjà conquis son cœur… Elle commence donc par suivre les autres, ils achètent leurs cartes, vont boire un verre, puis font un tour, retournent au bar… Elle n'en peut plus, elle a envie de rentrer. Enfin, elle se décide : – Je rentre – Pourquoi ?
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Je suis fatiguée…
Une fois arrivée devant la porte de la famille, elle hésite : a-telle bien fait de laisser ses copines de cette façon, vont-elles lui en vouloir ? Tant pis, le mal est fait, elle verra bien demain… Elle sonne. La dame lui ouvre la porte et s'étonne de son retour. Elle lui explique qu'ils sont libres pour la journée, qu'elle a donc acheté des cartes pour sa famille avant de rentrer. Une des petites filles s'approche, et la voyant, lui saute dans les bras. Ses doutes quittent son esprit devant la joie qu'elle fait à l'enfant. La fillette l’entraîne vers sa chambre où elle retrouve sa petite sœur. Elles tiennent absolument à lui montrer tous leurs jouets : des poupées, des ours en peluche, de la dînette… Il y en a partout dans la chambre, le sol est jonché de jouets au milieu desquels sont assis les enfants et une jeune fille qui retrouve avec joie les plaisirs de l'enfance qui ne sont pourtant pas si loin derrière elle, mais qu'elle regrette déjà. Elles passent tout le reste de la journée à s'amuser, à discuter, mais seulement entre filles, les garçons ayant été gentiment priés de rester dans leur coin. Les deux filles ne la veulent que pour elles, il n'est pas question de partager leur nouvelle amie avec leurs deux frères… La dame entre dans la chambre et, sans essayer d’aller trop loin, les prévient qu'il va être l'heure de manger. Mais avant, il faut bien sûr ranger. Les filles ne sont pas d'accord, elles tiennent à continuer après le dîner. Devant l'entêtement des deux petites face à leur mère, elle décide d'intervenir en leur expliquant qu'il lui faudrait se lever tôt le lendemain, et qu'elle irait donc se coucher dès la fin du repas, après une brève toilette. Les petites, un peu déçues, mais raisonnables, se décident finalement à obéir, et toutes trois, elles se mettent à
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ranger. Le repas terminé, elle disparaît dans la salle de bain. Pendant ce temps, la dame s'occupe des petits et les met au lit. Elle est épuisée mais heureuse de sa journée, elle n'a pas eu le temps d'écrire ses cartes, tant pis elle les fera demain pendant le repas de midi puisqu'elle mangera avec le groupe. Avant de se coucher, elle veut absolument aller voir les petites. Doucement, elle sort de sa chambre, et se dirige vers celle des filles. Elle entrouvre la porte, la plus petite, en la voyant, lui tend les bras. Elle entre, et s'assoit sur le bord de son lit, l'embrasse, lui remonte le drap sur ses épaules, et se dirige vers le lit de la plus grande qui veut une histoire avant de s'endormir. Une autre fois peut-être. Elle quitte la chambre, dit bonsoir au reste de la famille et se dirige vers sa chambre où elle ne tarde pas à éteindre sa lumière. Cependant, le sommeil tarde à venir. Elle pense à sa famille… L'entente n'y règne pas beaucoup : des camps se sont créés depuis plusieurs années, et depuis ils s'éclatent, se reforment de façons différentes et cela constamment. Certains dépriment : on se téléphone pour comploter contre les autres, pour les insulter, pour soulager sa colère… Quelle affaire ! Elle, elle se sent loin de tout ça, elle veut se réconcilier avec l'un, mais elle est sans cesse découragée par les autres… Alors cela devient son secret, qu'elle alimente en se racontant des histoires, en écrivant, non pas en secret, mais en disant qu'elle écrit pour les mettre à l'épreuve. Mais cela lui fait du mal : elle pense aux autres familles qui ne se déchirent pas, aux familles qui restent toujours unies, solidaires entre elles… Des secrets, elle en a d'autres, ils la font vivre… Elle s'endort tout en continuant à penser. Mais toutes ses pensées commencent à se mélanger dans sa tête, elle s'énerve, ouvre les yeux, se retourne, et s'endort.
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Ils commencent par une visite : comment ne pas être fasciné par une telle ville, avec ses monuments historiques, sa charge d’histoire qui transpire dans chaque rue, chaque recoin ? Cette ville dans laquelle ils vont passer trois semaines, trois semaines seulement, insuffisant pour réussir à absorber toute l'histoire qui hante ce lieu. Mais ils devront profiter de ce peu de temps pour s’en imprégner le plus possible. Une fois libre, elle décide de rentrer directement dans sa famille : elle est fatiguée, elle n’en peut plus. Ils n’ont fait que marcher toute la journée. Elle prend le bus jusqu’à une petite rue perpendiculaire à la sienne. Lorsqu’elle en descend, il ne lui reste plus que quelques pas à faire avant d’arriver chez elle. Elle sonne. La dame vient lui ouvrir, elle est bien étonnée de la voir déjà. Les jeunes qu'elle avait les années précédentes étaient plus souvent en retard qu'en avance. Elle était toujours obligée de leur servir leur repas après tout le monde. Elle se dirige vers sa chambre où elle pose ses affaires. Épuisée par sa journée, elle s'affale sur son lit et reste là sans rien faire. D'un seul coup, elle entend le bruit d'une porte qui claque, des
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bruits de pas qui courent, des bruits de voix… Ce sont les petits, elle n'y pensait plus, elle ne s'est même pas demandée où ils étaient. La plus âgée des fillettes entre dans sa chambre sans même frapper, et saute sur son lit, la sortant de ses pensées. Elle se lève et suit la petite vers sa chambre où comme la veille tous les jouets sont sortis. Les trois filles restent ensemble jusqu'à l'heure du repas. Encore une fois, elle doit insister pour ranger avant de manger. Elle leur explique la journée qu'elle a passée pour réussir à les convaincre de sa fatigue. Après le repas, elle prend une douche rapidement, et se prépare à aller se coucher. Mais la fille aînée la tire de son lit et lui demande de venir lui raconter une histoire comme elle l'avait promis. Elle se lève et retourne dans la chambre des petites. Elle s'assoit sur le bord du lit de la plus grande et se met à conter l'histoire d'une princesse qui s'est perdue dans la forêt et qui, après des heures de marche, tombe de fatigue. Elle est recueillie par une famille d'ours qui s'occupe d'elle jusqu'à son réveil. Puis, deux jours plus tard, ils l'aident à retrouver son chemin jusqu'à son château où on fait une fête pour son retour. En remerciement, les ours sont assurés de vivre en sécurité, sans crainte d'être victimes de la chasse… Elle se tait, elles se sont endormies. Doucement, elle se lève et sort de la chambre. Elle peut maintenant aller se coucher. Elle s'allonge sur son lit, sans même se couvrir et s'endort rapidement. Peut-être est-ce l'effet de la petite histoire ! ! ! Ce matin, en arrivant au rendez-vous, le directeur leur annonce que la visite prévue pour la journée est annulée pour cause de fermeture. Il les emmène donc dans une piscine privée. À l'accueil, les filles sont dirigées d'un côté, les garçons de l'autre. Au bout du couloir qu'elles suivent, une rangée de cabines sont mises à leur disposition pour se changer. Une fois
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en maillot de bain, elle suit les autres vers l'extérieur. La piscine est devant, et elle a envie de s'y baigner. Ils ont eu si chaud pour venir jusqu'ici. Elle pose ses affaires avec les autres, et se dirige vers la piscine, suivie de quelques copines. Après un bon moment de nage, elle décide d'aller s'allonger un peu sur sa serviette. Elle s'endort… Lorsqu'elle se réveille, elle sent la chaleur qui pèse sur elle. Elle se relève un peu, ses genoux sont tous rouges, ses bras aussi. Ses épaules sont brûlantes. Elle se lève, un peu étourdie, et se dirige sous un arbuste pour être plus à l'ombre. Cet endroit lui parait très calme. Le ciel est bleu. Tout autour, les baigneurs se font bronzer, allongés sur l'herbe verte. Un éventail de couleurs se forme : ceux qui viennent d'arriver et qui, encore bien blancs, espèrent rentrer sans coups de soleil, ceux qui sont là depuis plusieurs jours déjà, et qui cherchent à devenir un peu plus bronzés, et enfin ceux qui, bien marrons, restent au soleil pour montrer leur belle teinte. N'oublions pas ceux qui, n'ayant pas pris assez de précautions, sont devenus bien rouges ! ! ! Au loin, les enfants jouent, crient, se poussent, s'arrosent… perturbant le calme qui règne. De temps en temps, un petit courant d'air transporte des odeurs bien agréables – celles du restaurant d'à côté – qu'on peut difficilement attribuer aux plats dont elles émanent. Mais il manque quand même quelque chose. Ce n'est pas un vrai coin de nature : des carrés d'herbe sont parfaitement découpés, de chaque côté des allées parsemées de graviers. Entre les allées et les carrés d'herbe, est élevée une frontière de fleurs qu'on ne peut traverser. Il faut se rendre à un passage prévu à cet effet pour pouvoir atteindre l'allée centrale qui mène à la piscine. C'est beau, c'est magnifique, tout est bien fait, bien entretenu, mais tout est fait de main d'homme. Pourquoi ? Elle, elle préfère la “vraie nature.”
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L’heure tourne. Elle range ses affaires et retourne aux cabines pour se changer. Une fois prête, elle s'engage sur le chemin du retour et dès qu'elle en a la possibilité, elle prend un bus pour être rentrée plus vite dans sa famille. Sa soirée se passe comme les deux dernières, elle joue avec les filles, et après le repas elle leur raconte une histoire, puis va se coucher. Toutefois, avant de dormir, elle s'occupe de ses cartes, celles qu'elle a achetées le premier jour, et qu'elle n'a toujours pas faites. Elle écrit pour dire que tout va bien, mais elle aimerait tout de même recevoir un coup de téléphone. Cela fait trois jours qu'elle est arrivée et, toujours rien. D'habitude, sa famille prend de ses nouvelles le soir même, ou le lendemain… Elle remue dans sa tête sa colère, des larmes coulent le long de ses joues. Depuis son départ, cela ne lui était pas arrivé. Une fois de plus, elle s'endort en pleurant… Le lendemain, ils partent en randonnée pour la journée. Le car les emmène jusqu'à un petit chemin de terre, à une dizaine de kilomètres de la ville. Ils s'engagent dans le sentier, et après dix minutes de marche, certaines filles commencent à râler : elles ont trop chaud, elles ont mal aux pieds… Elle décide de continuer seule, sans se soucier de ses copines. Devant, le directeur et quelques garçons du groupe avancent à grands pas, suivant le chemin qui tourne autour de collines, et qui longe un grand buisson. Elle suit toujours, une fille la rejoint. Elle ne la connaît pas vraiment, mais profite de cette rencontre pour discuter un peu. C'est une fille, un peu plus jeune que les autres, qui a du mal à s'intégrer au groupe, à cause de son âge. Elle a entendu dire du mal d'elle, mais maintenant, elle a envie de la connaître, d'avoir son opinion à propos de cette fille, ne plus s'en tenir à tout ce que disent les autres d'elle… Mais elle finit vite par se taire : la chaleur est telle, que le fait de parler l'essouffle
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rapidement. Bientôt, ils font une pause pour manger. Ses copines la rejoignent et elles mangent ensemble leur pique nique. Après une heure de pause, le départ est annoncé. Tout le monde reprend la marche. Elle se remet à scruter le paysage : l'herbe est jaunie par le soleil et la chaleur, les feuilles tombent des arbres. Devant, le chemin de terre, où la poussière se soulève à chaque pas, commence à se confondre avec les rochers qui se dessinent peu à peu. Le bruit de la rivière se rapproche et se fait de plus en plus agréable à écouter. La nature lui ouvre les bras. Au milieu des rochers, la rivière arrive, forme une piscine naturelle, et repart en zigzag entre les pierres. Cette rivière l'attire, mais l'envie de s'y baigner ne se fait pas ressentir, pourtant l'envie de s'en rapprocher, de la voir dans sa totalité, est bien là. À la pause, elle abandonne ses affaires parmi les autres, et elle repart seule pour la découvrir. Après une petite escalade, un petit sentier s'offre à elle, et sans refus, elle s'y engage. Après quelques pas au milieu des arbres, où la chaleur pèse moins, le petit passage l’entraîne vers d'autres rochers, puis au milieu des hautes herbes qui lui griffent les jambes. En bas, la rivière continue à couler, elle l'entend, mais ne la voit pas, les rochers l'en empêchent. Elle repart, escalade quelques petits rochers, et après plusieurs minutes de marche, le sentier commence à descendre, et elle finit par revoir la rivière qui coule toujours en murmurant l'histoire de sa vie. Les hautes herbes laissent place à des herbes plus basses et plus verdoyantes, les arbres réapparaissent, la chaleur s’apaise un peu. Elle est fascinée par cet endroit qu'elle ne pourrait décrire complètement, elle ne saurait pas faire entrer cette image dans l'esprit de quelqu'un. Elle a chaud, elle se rapproche, enlève ses chaussures et plonge ses pieds dans l'eau. Elle en prend un peu au creux de ses mains et y plonge son visage. Elle reste là un moment sans bouger, à écouter, à respirer l'humidité qui remonte de la rivière. Elle admire de nouveau ce paysage qui
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l'entoure, se lève et reprend le chemin en sens inverse. Elle doit retourner rejoindre les autres, elle risque d'être en retard et de les faire attendre. Dans le car, au retour, ils parlent tous de passer la soirée en ville, d'aller en discothèque. On lui demande son avis, elle ne sait pas, elle devrait rester dans sa famille avec les petites, mais suivre les autres, pour une fois, elle s'amuserait peut-être tout autant. Elle ne donne pas de réponse, elle dit qu'elle verrait. Dans le bus, elle y pense, puis se décide enfin : elle va y aller. Mais, que va-t-elle dire aux petites ? En rentrant, elle file immédiatement dans sa chambre où elle pose ses affaires. Les petites la rejoignent, mais elle les prend toutes deux par la main et les entraîne vers la cuisine où est affairée leur mère. Elle lui explique alors, devant les filles, qu'elle va sortir ce soir, mais qu'elle est obligée car c'est, en quelque sorte, une sortie avec le groupe. Les filles la regardent déçues. Elle leur explique qu'elle doit absolument y aller. La mère intervient, pour que les petites la laissent tranquille, et qu'elle puisse aller se préparer. De plus, elle pense qu'elle doit sortir un peu, qu'elle fasse connaissance avec des jeunes de son âge, rester à la maison avec ses filles, ne lui fera pas connaître les gens du pays. Mais qu'importe, ce soir elle sort, et les petites se passeront d'elle. D'ailleurs, elle ne restera pas toutes les vacances ici. Les petites ne doivent pas trop s'attacher à elle. Elle a mangé vite, elle a repris le bus, et s'est rendue au centreville au lieu de rendez-vous. Quelques copines sont déjà là. Les autres ne tardent pas à arriver. Elles se dirigent vers la discothèque : elle n'y est pas encore allée depuis quatre jours qu'elle est ici. Elles s'engagent dans une petite rue, descendent des escaliers et arrivent dans une grande allée : de chaque côté, sont alignés des bancs où tous les jeunes se retrouvent. À
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l'endroit de la discothèque, tous les autres jeunes sont attroupés en attendant l'ouverture. Les filles trouvent un banc libre, et s'assoient pour patienter, comme les autres, pour pouvoir aller danser. Elles se mettent à discuter, et finissent par en oublier la discothèque qui est ouverte depuis une dizaine de minutes. Quelques garçons se rapprochent d'elles, et entament la conversation. Pourtant elles ne les connaissent pas. Celles qui ont l'habitude de venir les ont déjà vus, mais ils ne se sont jamais approchés comme ce soir. Ils commencent à leur parler, en leur demandant comment elles s'appellent, et d'où elles viennent : ce qui leur parait impossible à comprendre, c'est qu'elles ne se connaissaient pas avant de venir, et qu'elles ont fait connaissance, ici, en arrivant. Comment ont-elles pu venir, puisque ce n'est pas par des échanges avec des jeunes de la ville ? Elles essaient de leur expliquer que c'est grâce à un organisme qui les rassemble pour le temps du séjour. Mais…
Œuvres du même auteur : – Entre Père et fils ©Sevylivres ISBN 979-10-94904-05-3 - 18 -