3 expositions présentées par SEXTANT ET PLUS, associée à IKSV et CULTURESFRANCE, du 12 janvier au 13 février 2010 dans le cadre de LA SAISON DE LA TURQUIE EN FRANCE, à la GALERIE DE LA FRICHE BELLE DE MAI, MARSEILLE.
COMMISSARIAT : Çelenk Bafra et Véronique Collard-Bovy CONTRIBUTIONS : Emmanuelle Lequeux (page 19) Leïla Quillacq (page 26) et Claire Moulène (page 58)
”Emploi saisonnier” est un projet proposé par Çelenk Bafra et Véronique Collard-Bovy, basé sur un ensemble de recherches et d’échanges initié en 2008 dans les villes d’Istanbul, Izmir, Antakya, Diyarbakir, Paris et Marseille. Le point de départ était de rendre compte de manière précise des questions urbaines, sociales et culturelles des villes du pourtour Méditerranéen, et plus particulièrement de Turquie. Ces recherches se sont concentrées sur les différentes problématiques socio-culturelles de ces cités et sur les modalités de production collectives comme autant de solutions pour les artistes d’exister ensemble en inventant des systèmes d’échanges et de solidarité. De ces recherches découle l’élaboration de trois propositions artistiques, trois expositions présentées à la Friche Belle de Mai, à Marseille. Il était crucial, concernant le programme de résidence, d’y intégrer des artistes de Turquie familliers avec la dimension collective, le vivre et travailler ensemble. Venus d’Izmir, une des grandes villes de Turquie et un des plus important port de la mer égée, quatre artistes, par ailleurs figures emblématiques d’une des plus importantes initiatives d’artistes contemporains à Izmir, nommée K2, ont mené leurs résidences à Marseille. Bien que leurs propositions artistiques se soient formalisées de manière individuelle, une approche commune et une filiation spirituelle existe par ce passé partagé. Le processus de leur résidence jusqu’à la production de leur travaux, traitant des questions du quotidien et des modes de vie, a contribué au contenu de l’exposition “Arrangements” au même titre que les oeuvres des autres artistes invités qui, par leurs positions et leurs approches des questions du quotidien, viennent la nourrir et l’enrichir. Autre versant du projet, la proposition des membres de Xurban_collective. En tant que collectif travaillant dans différentes parties du monde, ancré dans des questionnements autant politiques qu’idéologiques, et oeuvrant essentiellement autour des questions urbaines depuis l’année 2000, il nous semblait primordial de les inviter en résidence à Marseille, comme l’occasion de repenser leurs recherches à l’aune de ce territoire aux remaniements urbains inédits. Enfin, une proposition d’une grande force menée par l’artiste Sener Özmen, issu de la ville de Diyarbakir, vient compléter l’approche d’”Emploi saisonnier”. Située au Sud-Est de la Turquie, cette ville d’une grande dureté est secouée de conflits sociaux et politiques (notamment sur la question des minorités). Les vidéos et photographies réalisées à Diyarbakir par ces artistes, régulièrement impliqués dans l’élaboration de projets communs à l’occasion de multiples invitations, présentent une appréhension partagée de cette difficulté à trouver d’un côté une zone de compromis dans la Turquie d’aujourd’hui, et de l’autre des stratégies de résistance à cet état de fait, par tout les moyens possible incluant ceux du monde de l’art.
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‘Emploi Saisonnier’ is a project proposed by Véronique Collard Bovy and Çelenk Bafra based on researches and exchanges initiated in 2008 in the cities of Istanbul, Izmir, Antakya, Diyarbakir, Paris and Marseille. The starting point was to have a closer look on the urban, social and cultural issues in the Mediterranean cities, and more specifically Turkey. These researches focused on the multi-layered social and cultural problematics of these cities, and on the modalities of collective productions as means for the artists to exist together by inventing systems of exchanges and solidarity. This project resulted in three artistic proposals, three exhibitions presented in La Friche Belle de Mai, Marseille. Regarding the artist-in-residency program, it was crucial to invite artists from Turkey who are familiar with collective ways of living and working. Four artists from Izmir – one of the largest cities in Turkey and the most important seaport in the Aegean Sea – were invited to live and work in Marseille. These four artists are leading figures of a major artist-run-space in Izmir, named K2. Although their artistic proposals have individual features, a common approach and a spiritual affiliation exists, due to their shared background. The process of their residency and work contributed to the development of the exhibition ‘Arrangements’ that deals with the question of the everyday and lifestyle. The exhibition also includes other artists from Turkey, who contribute to the show with their own approaches on the topic. The proposal of the Xurban_collective constitutes another side of the project. As a collective of artists working worldwide, dealing with political and ideological issues and, since 2000, approaching mainly urban questions, it seemed essential to invite them for a residency in Marseille. In fact, it was a perfect opportunity for them to re-think their researches under the light of this territory shaped by important urban planning processes. Finally, a strong proposal by artist Sener Ozmen – who comes from the city of Diyarbakir – completes the ‘Emploi Saisonnier’ project. Located in the south-eastern region of Turkey, Diyarbakir is a harsh city shaked by political and social conflicts (mainly about the question of minorities). Video and photography works realised in Diyarbakir by artists involved in the development of common projects at the occasion of numerous invitations, present a shared apprehension of the difficulty of considering, on the one hand, Turkey as a zone of compromises, and on the other hand, in finding resistance strategies to this situation by all possible means, including those of the art world.
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Entre 2004 et 2009, trois artistes de Diyarbakır, Sener Özmen, Cengiz Tekin et Berat Isık, réalisent des travaux photographiques et vidéos inspirés du poème “Quelques-uns des mots qui, jusqu’ici, m’étaient mystérieusement interdits”, écrit en 1936 par Paul Eluard et dédié à l’artiste André Breton. Directement lié au positionnement surréaliste, ce poème marque un tournant chez Eluard dans son rapport au monde empreint dès lors d’une nouvelle lucidité face à la réalité bouleversée : Comment l’artiste peut-il agir alors que partout apparaissent des mots merveilleux qui ne mènent à rien ? Comment le poète arrive-t-il encore à écrire alors même qu’il éprouve le grand souci de tout dire ? Que veut nous dire Eluard, lorsqu’il juxtapose les mots, guéridon grimacenélastique, ou encore quand à déclic il associe un viol illuminé ? Ainsi, le trio d’artistes, prend à son propre compte le reste « supposé » de ces mots interdits. Amour, guerre, enfance, mariage, jusqu’à leurs relations au monde de l’art, sont traités de manière indécise. L’amitié d’Eluard avec le peintre Max Ernst, tous deux situés sur des fronts opposés, se retrouvait dans leur constat de la force dévastatrice de la guerre, dans leur croyance en la fraternité entre les êtres, dans l’universalité de la pensée et la puissance réconciliatrice de l’art. Une vision partagée par Sener Özmen, Cengiz Tekin et Berat Isık, dans une réalité du présent aussi dure, une réalité où tous les fronts se valent jusqu’à ne plus trouver un camp avec qui s’entendre. Commissariat : Sener Özmen
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> 1 BERAT ISIK « Stop! You Are Surrounded! », 2004 Vidéo, 04:09 > 2 CENGIZ TEKIN « Strategic Analysis Studies », 2008 Photographies contrecollées sur Aluminium, 130x180 cm. > 3 SENER ÖZMEN « The Work », 2005 Vidéo, 05:44 > 4 SENER ÖZMEN « Our Village », 2004 Vidéo, 07:09 > 5 BERAT ISIK « La Femme en Rouge », 2008 Vidéo, 03:00 > 6 SENER ÖZMEN with CENGIZ TEKIN «The Meeting » ou « Bonjour Monsieur Courbet », 2004 Vidéo, 03:16
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Traversée en son cœur par une faille sismique, Istanbul ne dort jamais : ses habitants craignent de ne pas se réveiller en cas de tremblement de terre, raconte une vieille légende. Elle rappelle une certaine vérité quant à la ville aux deux continents, et à sa scène artistique. Un fond d’angoisse, que vient apaiser une grande vivacité : voilà ce qui la caractérise. Un désespoir qui trouve comme principale échappatoire la poésie, dans son sens le plus politique. Plus que tout, les artistes turcs craignent de se voir réduit à leur nationalité, dans la grande valse du marché cherchant à ériger à tour de bras de nouvelles scènes émergeantes. Tout comme ils ont peur que leur capitale ne soit restreinte à ses clichés, quand elle est bien plus, au cœur du monde et de la mondialisation. Echaudés par certains commissaires qui les résument à l’idée d’une scène nationale, ils sont particulièrement sensibles à la question : leur carte d’identité ne les résume pas, comme le montre cette triple exposition réalisée par l’association Sextant et plus. Peur d’être réduit à un cliché orientaliste, à un exotisme de bazar. Ils le confient dans un anglais parfait, appris souvent dans les écoles d’art de New-York. Ce qu’ils veulent, c’est rappeler combien leur pays se construit tout en strates; dire sa complexité et non sa nostalgie. Se souvenir qu’ici, dans le domaine de l’art, tout a changé en dix ans. Pas moins de cinq espaces gérés par des artistes ont été créé à Istanbul, et de nombreux lieux d’art fleurissent, subventionnés par les banques locales et les grands collectionneurs. Pourtant, tout est loin d’être gagné. « Il y a deux manières de travailler sur l’art : créer une culture de supermarché, ou créer à partir de notre propre dynamisme, sans importer les choses. Ici, la culture de supermarché semble la plus puissante, mais nous essayons d’y résister en soutenant de jeunes artistes qui ne trouvent pas place dans des musées comme Istanbul Modern », analyse Pelin Dervis, directrice de la Garanti Galeri qui oeuvre pour l’art et l’architecture. Dans ce combat, les jeunes artistes turcs ont pour eux une immense chose : « quand la musique classique a toujours été un art officiel, qui vient d’en haut, les arts plastiques viennent d’en bas, d’où leur réussite aujourd’hui », analyse Görgün Taner, directeur d’Iksv, fondation privée qui organise festivals et biennales. « Istanbul est comme une micro-Turquie, où se vivent tous les clash sociaux du pays. Et les jeunes artistes sont très conscients de ces questions : immigration, changements politiques, transformation des classes moyennes qui abandonnent le kemalisme nationaliste pour le fondamentalisme, mais aussi gentrification de la ville, les communautés riches se rassemblant en ghettos fermés ». Jeune vidéaste proche du documentaire qui tente de dresser une cartographie de nos sociétés contemporaines, Ali Kazma ne se lasse pas d’expliquer combien « Istanbul est le monde. Copenhague ou Shanghai ne sont pas un condensé du monde, Istanbul si. Si le monde évolue positivement, nous évoluerons positivement. Si Obama devient un salaud, nous aussi irons vers le pire ». Même son de cloche chez Serkan Ozkaya, autre espoir de cette scène qui pourrait être né à Berlin ou Londres tant son oeuvre cherche à échapper à la stigmatisation nationale. « Ici tu n’appartiens ni à l’Est ni à l’Ouest, tu ne peux faire un plan sur l’avenir, tu ne sais jamais quand aura lieu le prochain coup d’état : c’est cette situation que j’évoque en créant des personnages en situation instable ».
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« Ici, tu peux physiquement voir tomber l’ordre global sur la rue, prolonge Ceren Oykut, artiste qui dessine de vastes panoramas de sa ville. Par exemple, Istiklal cadessi était auparavant une rue chaotique et populaire, avec beaucoup de voitures. Puis le tramway est arrivé, les artistes en ont fait un quartier underground. Aujourd’hui, c’est chic et touristique. Dans mes dessins, je témoigne de ces changements très rapides. Et d’un certain désespoir. En Turquie, c’est tragique de voir combien sont nombreux les gens qui ne font rien, mais se contentent d’attendre quelque chose de l’extérieur. Peu importe la dernière crise : nous avons toujours été en crise. Heureusement, nous avons des îlots de bonheur dans notre quotidien, et une vraie culture du vivre ensemble. Tu ne peux pas être un artiste non politique en Turquie, c’est impossible », conclut-elle. Reste à savoir comment. C’est ce qu’interroge la première des trois expositions de Sextant et plus, intitulée “Quelques-uns des mots qui, jusqu’ici, m’étaient mystérieusement interdits”. Elle reprend un poème d’Eluard écrit en 1932, en ce temps où les poètes espagnols commencent à se faire assassiner. Comme le surréaliste a su s’interroger sur la capacité de son mouvement à porter sa voix politique, les trois artistes rassemblés dans cette exposition, Berat Isik, Sener Özmen et Cengiz Tekin, se questionnent sur la possibilité d’inventer un art engagé contemporain. Tous trois viennent d’une région proche de la Syrie, en conflit permanent autour de la problématique des minorités comme les kurdes. Plutôt que de choisir leur camp, ils dressent un constat : tous les camps se valent, impossible pour l’artiste de dessiner une position juste. Un certain désespoir mâtiné d’un sens de la résistance règne dans leurs œuvres, notamment dans la vidéo de Sener Özmen : deux fillettes entonnent une ritournelle traditionnelle, qui narre l’histoire d’un berger. Mais peu à peu leur visage se tuméfie, leur regard se terrifie, jusqu’à ce qu’elles finissent la face en sang, la chanson poursuivant sur leur quotidien douloureux, leur fierté anxieuse de la terre natale. C’est ce même paradoxe qu’illustre Berat Isik à travers sa vidéo : un jeune homme asperge d’essence la ligne d’une frontière fictive, au coeur des montagnes. Soudain, il y met le feu, mètre par mètre. «L’histoire utopique d’un incendiaire qui croit qu’un jour toutes les frontières seront incendiées et que les forces hiérarchiques essayant d’encercler l’humanité seront elles-mêmes encerclées », explique-t-il. Métaphore de l’absurdité de ces frontières illusoires et constamment disputées, réponse aussi violente que vaine à la problématique de l’engagement. Si l’Occident sert parfois de repère à ces artistes, c’est de manière tout aussi vaine, comme dans les peintures d’histoire contemporaine de Cengiz Tekin. Reprenant les scènes de genre à la hollandaise, l’artiste les teinte d’absurde, réduit à néant leurs codes, leurs jeux de regard. Des hommes y discutent, mais leur parole reste enfermée dans l’image et son énigme. Idem dans l’autre vidéo de Sener Özmen, “Bonjour monsieur Courbet” : trois hommes se battent en évoquant la dialectique du réalisme cher au XIXe siècle. « Le réalisme et le terrorisme, c’est la même merde », clament les deux d’entre eux qui s’en prennent au troisième, figure de l’artiste. « Fuck your revolution ! Fuck the bourgeoisie », poursuivent-ils. Quand tous les repères sont brouillés, quel réalisme inventer pour la Turquie du XXIe siècle ? Comment évoquer à travers une simple oeuvre d’art la complexité de la situation politique et culturelle du pays ? Les artistes échouent à apporter réponse, contraints à mettre seulement en scène leurs doutes et tergiversations. Tout semble inutile, à l’instar de ces deux vieilles villageoises saisies par Berat Isik en train de faire claquer un papier à bulles, image de la modernité à l’occidentale réduite à néant : de l’air, et encore. Si les turcs se battent, c’est contre un mur, comme le met en scène Deniz Gül dans “Ottoman Cuff” : c’est ainsi, dit la légende, que les soldats ottomans apprenaient à gifler l’adversaire. La violence est ici retournée contre soi, réduite à sa propre vacance. Emmanuelle Lequeux
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Its core crossed by a seismic fault line, Istanbul never sleeps. According to an old legend, its inhabitants fear that if there is an earthquake they will not wake up again; which denotes a certain truth about this city that bestrides two continents, and its art scene. It is characterised by an undercurrent of anxiety eased by great vivacity; a despair whose main outlet is poetry, in its most political sense. More than anything else, Turkish artists fear being reduced to their nationality, in the maelstrom of a market whose overriding concern is the emergence of new movements. They do not want to see their capital reduced to cliches, when in fact it is much more than that, at the heart of the world, and of globalisation. Wary of curators who confine them to the concept of a national scene, they are particularly sensitive to the question. Their identity cards are not their sole identity, as can be seen in this triple exhibition organised by the association Sextant et plus. Uneasiness about being assimilated to an Orientalist stereotype, and the exoticism of the bazaar: they articulate this in perfect English, often learnt in the art schools of New York. What they want is to make it clear that their country is comprised of strata; to express complexity, not nostalgia; to remind us that over the last ten years, everything in the art world has changed. No less than five venues, run by artists themselves, have been created in Istanbul, along with others that are financed by local banks and collectors. But the struggle is far from over. “There are two ways of working on art: through supermarket culture, or through our own dynamism, without importing anything. Around here, supermarket culture seems like the most powerful force, but we try to hold out against it by supporting young artists who don’t have a place in museums like the Istanbul Modern”, says Pelin Dervis, the director of Garanti Galeri, which works for the cause of art and architecture. Young Turkish artists do have one major advantage. In the words of Görgün Taner, the director of Iksv, a private foundation that organises festivals and biennials: “Classical music, for example, has always been an official art form that is handed down from above, whereas the plastic arts come up from below, and this is the reason for their current success. Istanbul is like a micro-Turkey, with all the country’s social tensions. And the young artists are very conscious of issues such as immigration, political change and the transformation of the middle classes, who are abandoning nationalist Kemalism in favour of fundamentalism, but also the gentrification of the city, with rich communities clustering into gated communities.” As a young documentary video maker whose aim is to map contemporary society, Ali Kazma explains that “Istanbul is the world. Copenhagen or Shanghai are not cosmic condensates, as Istanbul is. If the world develops in a positive way, we too will develop positively. If Obama becomes a bastard, we too will turn bad”. And the same goes for Serkan Ozkaya, another rising talent, who could have been born in Berlin or London, in that his work seeks to evade the stigma of nationalism. “Here, you don’t belong either to East or West. You can’t plan for the future, because you never know when there’ll be another coup. This is the kind of situation I’m thinking about when I place characters in unstable situations.”
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“Here you can see the global order physically falling onto the street”, adds Ceren Oykut, an artist who creates huge panoramas of the city. “Istiklal Cadessi, for example, used to be a bustling, working-class street full of traffic. Then the tram arrived, and the artists turned it into an underground district. Now it’s chic and touristy. My drawings depict these rapid changes. And a certain despair. It’s tragic to see how many people in Turkey do nothing except wait for something to happen. The latest crisis isn’t significant – we’ve always been in crisis. Fortunately we also have some good times in our lives, and a real culture of co-existence. You can’t be an apolitical artist in Turkey. It’s impossible.” It remains to be seen how. And this problem is central to the first of the three exhibitions that Sextant et plus is putting on, ‘Quelques-uns des mots qui, jusqu’ici, m’étaient mystérieusement interdits’ (“Some of the words I couldn’t use, up to now”), which recalls a poem written by Paul Eluard in 1932, at a time when Spanish poets were being assassinated. Just as Eluard the Surrealist pondered on the movement’s ability to project a political voice, the three artists in this exhibition – Berat Isik, Sener Özmen and Cengiz Tekin – reflect on the possibility of commitment in contemporary art. They all come from a region close to Syria that is racked by unending conflict involving minorities such as the Kurds. They feel that all sides in these disputes are more or less the same, and that it is impossible for an artist to stake out a reasonable position. A certain despair, tinged with an urge to resist, dominates their work, and notably one of Sener Özmen’s videos, in which two little girls sing a traditional song about a shepherd. Their eyes register increasing terror, their faces swell up and turn bloody. The song narrates their painful daily life, their nervous pride in their country. And this same paradox illustrates Berat Isik’s video in which a young man pours petrol over a putative border in the mountains, then sets it on fire, metre by metre. “This is the utopian story of a fire-raiser who believes that one day all borders will be burnt down, and those hierarchical forces that would encircle humanity will themselves be encircled”, he explains. It is a metaphor of the absurdity of constant, illusory border disputes as a response – violent and vain – to the problematic of commitment. But if the West sometimes serves as a reference for Turkish artists, this too is vain. In Cengiz Tekin’s paintings of contemporary history, Dutchstyle genre scenes take on an absurdist hue, reducing their codes and perceptual games to non-existence. Men talk, but their words remain enclosed within the image and its enigma. And the same goes for Özmen’s second video, Bonjour Monsieur Courbet, in which three men fight. They evoke the dialectic of realism beloved by the 19th century. “Realism and terrorism are the same shit”, exclaim two of them, who are attacking the third – the artist. “Fuck your revolution! Fuck the bourgeoisie!” they continue. When all landmarks have disappeared, what kind of realism is appropriate to 21st-century Turkey? How is the complexity of the country’s political and cultural situation to be expressed in what is just a work of art? Artists cannot provide answers, limited as they are to manifestations of their doubts and tergiversations. Everything seems futile, as with the two old village women observed by Berat Isik popping bubble wrap – an image of Western-style modernity turned to nothingness. Air. Scarcely even that. If the Turks fight, it is against a wall, as Deniz Gül and ‘Ottoman Cuff’ demonstrate. And thus it was, according to legend, that Ottoman soldiers learnt to slap their opponents. Here, violence is turned back on oneself – reduced to a void.
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En 2002, le commissaire Vasif Kortun, accompagné par l’artiste Halil Altindere, dévoilait l’exposition « Under the Beach : The Pavement » jouant de résonances avec le slogan « sous les pavés, la plage », et qui, en plus d’offrir à une très jeune scène un éclairage institutionnel, de faire se côtoyer des projets issus autant de la diaspora que des multiples centralités de Turquie, posait un « statement » en rupture avec une certaine vision occidentale et forcément orientaliste. Les commissaires partaient ainsi d’un territoire volontairement élargi et d’Istanbul, mégapole multiple, de se positionner comme plate-forme irriguée par des artistes et des oeuvres venus autant des Balkans que du Moyen-Orient. De cette expérience fondatrice et première pour bon nombre d’artistes invités, se sont développées des pratiques et des stratégies singulières, en ruptures d’exotisme, et dont souvent formes et contenus étroitement liées, procèdent de petits arrangements du quotidien, des petits arrangements aussi avec l’histoire, vécue ou officielle, des petits arrangements enfin avec les sentiments d’appartenance. Ainsi, “Inventive Acts”, d’Ahmet Ögüt pose un regard aussi incisif qu’affectueux sur les pratiques ordinaires et d’apparence absurdes des rues d’Istanbul. Livreurs, serveurs ou simples passants sont capturés dans des postures insolites et précaires traduisant un sens aigu de la débrouille comme forme de survie dans l’espace public. Des bricoles, des rituels modernes archaïques, drôles et poétiques, qui en disent long sur certaines conditions de vie et impulsant par elles-mêmes l’invention de solutions en marge, de formes de résistances singulières relevant de systèmes D permanents. Une esthétique de la trouvaille, que l’on retrouve intégrée au coeur même du dispositif de “Ottoman Cuff”, qui prend la forme d’un carrousel diffusant une série d’images diapositives et qui décompose un geste là encore absurde qu’en apparence : un homme donnant des gifles au mur. Le bruit issu de l’objet scande les mouvements et rend l’idée sensible. Cette oeuvre de Deniz Gul touche là aussi au rituel, celui du passage d’un état de nature à un rôle social, de l’enfant au soldat, qui, selon une légende ottomane, s’accomplissait en temps de guerre par le biais de cet acte symbolique d’endurcissement. Nous pouvons retrouver cette manière de revoir, corriger et actualiser ce qui se donne comme tradition dans le film d’animation de CANAN : “Ibretnüma/Exemplary”, là aussi fait de trouvailles formelles low-tech. C’est la femme, ici, qui conduit la narration, un récit construit à la manière du conte des “Mille et une nuits”, qui pose à sa façon la question des luttes et combats quotidiens. Ironie du destin : les tentatives de résistances ne sont ici que les tremplins inconscients à un éternel recommencement. La dimension fictionnelle teintée d’onirisme permet d’éviter l’écueil d’un culturalisme clos. La fable est toujours ré-interprétable à son propre compte. Ainsi va l’oeuvre plurielle de Merve Sendil : un conte, un wall drawing et une création sonore mettent en scène les périples de l’artiste accompagnée de deux personnages fictifs inspirés des djins (esprits malins issus des légendes orientales) dans l’enceinte fortifiée de la Friche Belle de Mai où elle passa l’été en résidence. L’onirisme, le voyage immobile tissé de réminiscences personnelles et légendes communes construit enfin la proposition de Cevdet Erek qui se donne là encore à recevoir en fragments dont nous sommes invités à trouver les accords. SSS est un son, une méthode pour s’extraire et entrer dans le poétique : un espace de sauvegarde face à la terreur du réel. Le dispositif convoque là aussi nos facultés à contrer le quotidien douloureux, en nous donnant le mode d’emploi : caressez la moquette, vous entendrez la mer. Loin, très loin d’un art de l’entertainment, anti-spectaculaires, les propositions de ces artistes tirent leur force esthétique de ces arrangements entre le « tout un monde » et les « presque rien ». Des poésies bricolées au coin d’une table, des écarts au réel déterminé, des formes animées d’un everyday rituals qui, si elles s’ancrent dans des pratiques jouant de codes ciblés, font résonance à l’Universel. Des oeuvres qui extraient les concentrés d’une histoire ou d’un territoire propre, pour mettre en présence des manières partagées d’être au monde, à travers de petits arrangements. Texte : Leïla Quillacq / Commissariat : Çelenk Bafra et Véronique Collard-Bovy
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CEVDET EREK « SSS - Shore Scene Soundtrack », 2006 - 2009 Installation et vidéo « SSS - Shore Scene Soundtrack, Themes and Variations for Carpet », 2008 Livre d’artiste
> 2 GÖKÇE SÜVARI « Snack Bar », 2009 Installation sonore « Untitled », 2009 Huiles sur toile > 3 AHMET ÖGÜT « Mutual Issues, Inventive Acts : Motorcycle Act, Luggage Man, Simit Seller, Two Ladders Act, Tea Seller », 2008 Photographies contrecollées sur Aluminium, 150x100 cm > 4 ELMAS DENIZ « Blind to the Truth », 2009 Installation vidéo > 5 BORGA KANTÜRK « The Other Zidane : History of Djamel Zidane », 2009 Installation et vidéo > 6 DENIZ GÜL « Ottoman Cuff », 2004 Installation sonore > 7 MERVE SENDIL « Guide to Dreaming », 2009 Installation sonore > 8 CANAN « Ibretnuma (Exemplary) », 2009 Vidéo, 29:30
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CANAN Comme le soulignait un rapport du 11 janvier 2007 du Parlement européen, « le ralentissement du processus de réforme et la persistance des problèmes dans le domaine des droits de la femme » constitue l’un des points d’achoppement pour l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne. Dans son blog, sur le site d’information Rue 89, Marie Antide rappelle quelques chiffres édifiants : 18 femmes maires pour 4850 hommes, 30% de femmes illettrées, 40% victimes de violence domestiques. Pourtant derrière ce constat effrayant se cache aussi une autre réalité qu’il faut prendre en compte pour saisir la complexité du paysage politique turc. Rappeler d’abord que la Turquie a accordé le droit de vote aux femmes dès 1934, soit 10 ans avant la France. Le pays est alors dirigé par Mustafa Kemal, rebaptisé plus tard Atatürk, qui obtient l’indépendance de la Turquie, inscrit la laïcité dans la Constitution, remplace l’alphabet arabe par l’alphabet latin et engage son pays dans une révolution sociale sans précédent. A l’heure actuelle, le gouvernement turc compte une femme ministre (sur 23) et plus de 2000 femmes sont à la tête de confréries soufies. C’est dans ce contexte paradoxal, presque schizophrène, qu’évolue depuis quelques années l’artiste stanbouliote CANAN (née en 1970). Artiste féministe, elle développe depuis le début des années 2000 une oeuvre complexe et multiforme qui revendique un certain penchant pour une imagerie crue. Dans “Fountain” par exemple, au-delà du clin d’oeil évident au ready-made de Marcel Duchamp, elle met en scène son propre corps, quelques semaines seulement après avoir accouché de sa fille, avec une vidéo minimaliste, un plan fixe plus précisément sur une paire de seins généreux d’où perlent de minuscules gouttes de lait. La bande son de ce film de courte durée est rythmée par le flop régulier du lait qui coule à perte. Une façon sans détour, à travers cette proposition d’une grande violence qui use sans complexe des ressorts de la littéralité, d’interroger la condition aliénante de la femme. Avec “Fountain”, CANAN propose, en quelque sorte, d’inverser le « statement » duchampien qui faisait d’un objet sans vie une proposition artistique « parlante », détournée de son usage traditionnel, en proposant ici une « chosification » du corps de la femme. Avec “Pink Dreams” (2003), elle a recours aux figures sur-stéréotypées de Ken et Barbie pour illustrer les malentendus et les tensions sous-jacentes qui s’exercent au sein de l’instance familiale. En 2006, avec “Strange Creature”, elle revisite l’histoire de la genèse en supprimant tout simplement Adam de l’histoire. Au sujet de son travail, CANAN expliquait récemment : « je travaille sur la biopolitique. Je définis différents espaces de pouvoir comme la famille, la société, l’état, la religion et je montre comment ces zones de pouvoirs exercent un contrôle sur les corps. J’utilise la métaphore du panapticon ». En restant dans cet état d’alerte permanent, qui la rend attentive aux pressions inaudibles dont les femmes, et notamment les femmes turques, font régulièrement l’objet, CANAN exerce en quelque sorte le rôle de « super vigie », de contrôleur du contrôle au sens foucaldien du terme.
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Avec “Ibretnuma (Exemplary)”, présenté en 2009 au Festival Temps d’Image à Istanbul et qui constitue aujourd’hui l’une des pièces maîtresses de l’exposition “Emploi saisonnier”, CANAN semble avoir franchi un pas dans sa production. Il faut dire que l’entreprise est plutôt ambitieuse : conçue comme une fresque, ce film d’animation de 27 minutes fait preuve d’une sophistication esthétique qui rappelle les enluminures et les calligraphies ottomanes dentelées qui apparaissent dès le 14ème siècle. On pense invariablement aux “Mille et une Nuits”, une série de contes enchâssés d’abord transmis par voie orale avant de s’incarner dans des traductions plus ou moins approximatives. Comme dans les “Mille et une Nuits”, CANAN est partie d’une vieille légende turque dont l’origine reste indéterminée; comme dans les “Mille et une Nuits”, le personnage central de son histoire est une femme. Sauf que dans “Ibretnuma (Exemplary)”, contrairement à l’épopée persane où Shéhérazade, à force de ruses, aura raison du sultan, CANAN joue la partie à l’envers. Son héroïne, une jeune femme à la beauté fatale s’enfonce dans une destinée tragique, aggravant son cas au fur et à mesure qu’elle s’éloigne de l’antre familial. Partie d’une famille modeste du sud-est de la Turquie pour rejoindre les fastes de la ville auprès de son mari, cette tragique héroïne connaîtra au fil de cette saga aux couleurs chatoyantes et à la facture naïve tous les déboires de la vie moderne et les effets collatéraux de la recrudescence muette d’une certaine morale conservatrice. Ce que dénonce ici CANAN, dans cette fable complexe où les pièges ne sont jamais où on les attend, c’est l’institutionnalisation et l’assimilation tacite (forcément plus difficile à combattre) des conventions religieuses. En Turquie depuis une dizaine d’années, le féminisme laïque (dont de nombreuses artistes avant CANAN – Nil Yalter par exemple qui s’exila en France dans les années 60 pour mieux dénoncer la sexualisation à outrance de la société turque – se firent les porte parole) doit composer avec la concurrence plutôt embarrassante de ce qu’on pourrait appeler un « féminisme islamiste » à ne pas confondre avec le féminisme islamique. Des « militantes voilées » (qui rappellent évidemment les défenseurs du port du voile et de la burka, vaste sujet de polémique en France) qui semblent brouiller les cartes plutôt que de servir la cause des femmes. Claire Moulène
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CANAN As was pointed out in a report published by the European Parliament on 11 January 2007, “the slowing down of the reform process and the persistence of problems regarding women’s rights” are obstacles to Turkey’s entry into the European Union. Marie Antide’s blog at the Rue 89 news site supplies some telling figures about the country: 18 female mayors (4,850 male), 30% female illiteracy, 40% of women victims of domestic violence. Yet behind this unedifying picture lies another reality, which has to be taken into account if one wishes to understand the complexity of Turkey’s political landscape. As we may recall, this is a country that granted women the right to vote in 1934, i.e. 10 years before France. Its president at the time was Mustafa Kemal Atatürk, the father of Turkish independence, who gave the country a secular constitution, replaced Arabic script by the Roman alphabet, and inaugurated an unprecedented social revolution. At present, the Turkish government contains just one female minister (out of 23), whereas women are at the head of more than 2,000 Sufi groups. It is in this paradoxical, almost schizophrenic context that the Istanbul artist CANAN (b. 1970) has been working for some years. As a feminist artist, she has been developing a complex, multiform oeuvre since the start of the 2000s, with a certain penchant for crude imagery. In ‘Fountain’, 2000, for example, beyond the obvious allusion to Marcel Duchamp’s ready-made, she exhibited her own body, just a few weeks after giving birth to a daughter, in a minimalist video, or more precisely a long fixed shot in which drops of milk emerge from a pair of large dangling breasts, the soundtrack being provided by the drops as they fell. The violence of the proposition, with its uninhibited use of literality, directly interrogates the alienating condition of women. This “objectification” of the female body is in a sense a transposition of Duchamp’s “statement” that turned a lifeless object, diverted from its normal use, into an “expressive” artistic declaration. In ‘Pink Dreams’, 2003, CANAN used the over-stereotyped doll figures of Ken and Barbie to illustrate the misunderstandings and tensions that underlie the reality of families. In 2006, her retelling of the Genesis story in Strange Creature consisted, simply, of cutting out Adam. As she recently said: “I work on biopolitics. I define different power spaces such as the family, society, the state and religion to show how these zones of power exercise control over bodies. I use the metaphor of the panopticon.” She is in a permanent state of alert, as a sensor of the inaudible pressures to which women, and in particular Turkish women, are regularly subjected. In other words, she is something like a “supersentinel”, a controller of “control” (in Foucault’s sense of the term).
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With ‘Ibretnuma (Exemplary)’, which was presented in 2009 at the ‘Temps d’Image’ festival in Paris, and is also one of the major pieces in the ‘Emploi Saisonnier’ exhibition, CANAN seems to have taken a further step forward. It has to be said that the idea was ambitious: the aesthetic sophistication of this 27-minute animated film, which takes the form of a fresco, recalls the finely-worked Ottoman illuminations and calligraphy that appeared in the 14th century. One inevitably thinks of the 1001 Nights, a set of interlocking tales that were originally handed down orally, then turned into various (more or less faithful) translations. Like Scheherazade, CANAN is part of an ancient Turkish legend whose origins remain indeterminate, and whose central figure is a woman – except that in ‘Ibretnuma (Exemplary)’, CANAN takes the opposite line to that of the Persian epic, in which feminine wiles get the better of the Sultan. Her heroine is a young woman of fatal beauty and a tragic destiny, whose situation becomes worse the farther she strays from her family. As a poor girl from southeast Turkey, she accompanies her husband to the splendours of the city; and in the course of the saga, with its shimmering colours and ostensibly naive narration, she experiences all the vicissitudes of modern life, along with the collateral effects of a certain moral conservatism in mute recrudescence. What is being denounced by CANAN in this complex fable, whose pitfalls are never exactly where they might have been expected, is the institutionalisation, and the tacitly accepted assimilation (necessarily more difficult to combat), of religious convention. In Turkey, secular feminism had already been advocated by numerous female artists before CANAN. Nil Yalter, for example, went into exile in France in the 1960s in order to condemn the excessive sexualisation of Turkish society. But there is now the embarrassing phenomenon of what might be called “Islamist feminism”; which is not to be confused with Islamic feminism. The “veiled militants” who bring to mind the defenders of the burka (a burning issue in France) would seem to complicate matters rather than serving the cause of women.
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« Sur l’immense passé de la Méditerranée, le plus beau des témoignages est celui de la mer elle-même. Il faut le dire, le redire. Il faut la voir, la revoir. Bien sûr, elle n’explique pas tout, à elle seule, d’un passé compliqué, construit par les hommes avec plus ou moins de logique, de caprice ou d’aberrance. Mais elle resitue patiemment les expériences du passé, leur redonne les prémices de la vie, les place sous un ciel, dans un paysage que nous pouvons voir de nos propres yeux, analogues à ceux de jadis. Un moment d’attention ou d’illusion : tout semble revivre. » Fernand Braudel, “Les mémoires de la Méditerranée”, édition de Fallois, 1998, p. 21
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Xurban_collective à la Friche La Belle de Mai fait partie d’un projet qui aborde la problématique des mers sous l’angle de la globalisation économique et commerciale, et questionne la possibilté d’une justice distributive par les flux humains. Nous estimons que toute déclaration faite au sein de ce nouvel ordre mondial devrait représenter de façon adéquate la « quantité négligeable » d’acteurs qui oeuvrent à la création des richesses, comprenant la terre, la mer et l’ensemble du vivant. La “Ville Blanc” envisage la mer comme vecteur d’une histoire (ici la Méditerranée), d’une richesse, d’une culture, et comme source de richesses biologiques. Mais la mer a aussi son envers : la pollution pétrolière et chimique, la prolifération des méduses, la disparition des récifs coralliens. Les pétroliers et porte-conteneurs transportant des millions de tonnes de marchandises accumulent et font circuler des richesses colossales, à n’importe quel coût. Les bateaux de réfugiés qui sillonnent aussi la Méditerranée connaissent parfois des fins tragiques en mer ou à leur arrivée. Sur toutes les cartes répertoriant les eaux du monde, ces bateaux sont les plus invisibles. L’horizon marin, métaphore de liberté, d’espoir et de vie décente... Des villes portuaires comme Marseille, Athènes, Istanbul, New York, Shanghai, Buenos Aires ou Bangkok constituent à l’échelle nationale de vrais pôles névralgiques, connectés aux villes voisines par des réseaux d’autoroutes et de voies ferrées. Aux flux humains de diverse provenance géographique et culturelle, s’ajoute celui, incessant, des bateaux, camions, voitures et marchandises, témoins d’une activité dense et diversfiée. Les ports offrent aux nouveaux arrivants une multitude d’opportunités, et le flux de population étrangère dote ces villes d’un fort potentiel d’attractivité culturel et économique, antithèse directe au(x) provincialisme(s). Lorsque l’on flâne à travers ces villes portuaires, on peut y reconnaître une urbanisation commune, caractérisée par des développements à grande échelle de zones commerciales et résidentielles, pour la plupart toujours en chantier. Ports industriels, centre villes historiques, zones commerciales et urbaines sont restaurés, transformés et empaquetés pour faire face aux nouveaux enjeux de l’économie mondiale. Si d’un certain côté, ces villes situées en front de mer tentent d’établir ou de conserver une position dominante dans ce marché globalisé, leurs dirigeants, soutenus par des investisseurs et des promoteurs avisés, ont tendance à exclure de ce new deal une partie de leurs habitants, souvent pauvres, parfois immigrés, en tout cas peu raccord avec ce nouveau panorama. Directeurs d’entreprises, avocats, fonctionnaires territoriaux, architectes et policiers collaborent à cette gentrification méticuleuse, annoncée à grands coups de panneaux d’affichage.
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Nous avons extrait le titre de notre projet “La ville blanc”, d’un graffiti inscrit sur un de ces panneaux vantant un projet urbain et architectural en centre ville de Marseille. Ici, la faute de genre signale immédiatement une erreur qui n’est transposable ni en turc ni en anglais. « La ville », mot féminin, accompagnée d’un adjectif au masculin « blanc », semble a priori indiquer que l’auteur du graffiti n’est pas de langue française. Cependant, cette association de mots porte une critique précise et souligne les politiques patrimoniales et les processus d’embourgeoisement. Quand, marchant dans Marseille, nous sommes tombés sur ce panneau d’affichage et sa vision de projets futurs, nous l’avons rapidement connecté aux images similaires présentes dans d’autres villes du monde, et véhiculant la promotion d’un imaginaire « all-white » pour une vie exclusivement citadine, de New York, Istanbul, Izmir à La Nouvelle-Orléans. Notre propos n’est pas d’émettre ici de revendication ethnoraciale mais de voir comment s’appréhendent et s’articulent les questions de races et de genres dans le processus néolibéral de réinvention de nos villes. Cette réinvention conservatrice trouve sa principale articulation dans le design haut de gamme, qui fonctionne comme une sorte d’emballage néolibéral. En réalité, l’échec de facto de ces projets est déjà lisible au niveau des rendus architecturaux, qui ignorent et excluent une partie de la société. La stratégie de la nouvelle bourgeoisie apparaît plus « efficace » et violente que des affrontements ouvertement racistes, plus faciles à identifier et à combattre. En fait, combattre les néo-nazis est un acte politiquement correct pour le camp néo-conservateur, passé maître dans l’art d’excercer la coercition la plus extrême sans armes, de coloniser sans armée et d’exploiter sans usine. Les villes portuaires du pourtour méditerranéen partagent un destin commun à travers leur histoire, ce que l’historien Fernand Braudel explique clairement : à des temps de boom économique succèdent des périodes de déclin pour ensuite rebasculer dans une nouvelle phase de croissance des activités nécessitant l’expansion des infrastructures portuaires jusqu’à leur délocalisation hors des centres villes. Pour bon nombre de ports, incluant Istanbul, la désertion du front de mer est le prix à payer d’un développement de politiques néolibérales, d’investisseurs et d’urbanistes. Alors que des conteneurs remplis de marchandises, du pétrole brut, des stocks de thon et un flot de touristes naviguent sur les mers, les continents sont connectés via des puissances sous-marines faites de câblages communicationnels et de pipelines de toutes sortes. Dans ce flux intense d’échanges sur et sous la Mare Nostrum, les villes européennes continuent d’opposer une résistance aux migrations de populations indésirables, et les zones d’exclusion ne cessent de se multiplier en France, en Allemagne, en Italie et dans bien d’autres pays d’Europe. Ces aspirations à la création de richesses, impulsées par le nouvel ordre global d’une part et la formation d’une Europe élargie d’autre part, devraient exiger une prise en compte appropriée de ces acteurs en marge et jusque-là négligés. Jamais depuis les exemples de Carthage, de l’Andalousie et des Ottomans, la crainte de l’envahisseur étranger en Europe n’a été aussi prégnante. L’exploitation de la peur par l’Autre (comprendre les Musulmans, les Africains, les Asiatiques) fait le jeu de l’extrême-droite, comme celui des grands patrons et consorts chez les conservateurs. Toutes les époques de déclin économique au XXe siècle en Europe ont connu des manifestations de haine à l’encontre d’une « race suspecte ». Ce qui est nouveau, c’est la contradiction du discours démocratique et égalitaire de l’Europe moderne de l’après-guerre dès qu’il est question de l’égalité des droits pour tous les citoyens. Ce qui est grotesque dans une démocratie représentative, c’est que la majorité écrase les droits des non citoyens. Dans cet exemple, le courant dominant soutient ouvertement la « sensibilité » de la majorité (comme c’est le cas en Turquie à l’encontre de la population kurde) qui se considère comme le « véritable » propriétaire du pays. La perspective « de l’offense » (symbolique, que ce soit par les gestes, la tenue vestimentaire ou les us et coutumes) est objet de manipulation non seulement par la droite européenne mais par la plupart des acteurs politiques, qui l’utilisent comme levier politique. Dans le même temps, la réaction « défensive » des communautés islamiques en Europe, laissée aux mains de la droite fondamentalistes, aiguise un conflit qui s’emballe et échappe à tout contrôle.
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D’autre part, le processus d’unification de l’Europe a pour effet d’étendre ce conflit par-delà les frontières nationales, créant ansi des précédents. L’Europe voit ses frontières nationales disparaître et la xénophobie circuler librement. La question identitaire de l’Europe et des ses habitants, qui marque cette fin de décennie, est hantée par la vélléité d’implantation des minarets sur le vieux continent. Ce malaise communicatif devient une sorte de « formalisme symbolique », non seulement en apparence mais aussi dans le formalisme de « valeurs », ce vieux terme ressorti des limbes de l’histoire de la civilisation. Le flou qui entoure cette notion de « valeurs » ne dérange apparemment pas nos politiciens pour qui les valeurs européennes sont claires comme de l’eau de roche et, plus important que tout, incompatibles avec les autres cultures. Depuis Marx — le penseur de la vieille Europe — on pouvait croire que les pauvres et la classe ouvrière partageraient le même destin, les mêmes idéaux, et les mêmes valeurs, indépendamment de toute considération de religion, de race et de nationalité. Si une vraie « valeur » peut être inhérente à la civilisation occidentale, sa principale faille est d’avoir cessé de croire dans la fraternité universelle du prolétariat, et d’utiliser le dieu de la mondialisation à des fins ségrégationnaires. Nous voilà au tournant de la première décennie du XXIe siècle, face à une situation critique où l’on assiste à la distribution à l’échelle globale du capital, à l’exploitation sans vergogne de la classe ouvrière, et au maintien du peuple dans l’illusion consommatrice. L’état prétendument social se transforme rapidement en non acteur d’une répartition équitable des richesses — laissée aux mains de l’économie de marché —, et laisse l’arbitrage et la gestion des conflits (interconfessionnels par exemple) aux forces de l’ordre elles aussi quasi privatisées. Ce dispositif sécuritaire hybride, privé/public, est ce qui, à Istanbul, Paris, Londres et ailleurs, assure la tranquillité et la propreté des villes blanches, les protégeant de toute contamination. Les zones résidentielles des villes à travers le monde sont agencées de manière à maintenir à distance les confrontations ethniques et raciales et garantir l’homogénéité de leur population. Dans un sens, elles ne font que perpétuer l’enseignement privé dans la vie adulte, en se protégeant de tout métissage indésirable. Même l’architecture reproduit cette organisation, en offrant sur un même lieu des activités périscolaires au sein d’habitations sans cela très monotones. À regarder de plus près ces affiches vantant les projets architecturaux, on se rend compte que les visages, les corps, les fleurs, sont pour la plupart issus d’un réservoir d’images vendu sur l’Internet, après avoir été triées, nettoyées et identifiées. Elles représentent une typologie cosmopolite idéale conforme au nouvel ordre mondial, une adéquation parfaite avec la conception et la production standardisée de centres commerciaux, bureaux et centres d’affaires. En conclusion, le nouveau paysage social est en trop mauvais état pour qu’on le laisse aux mains des politiciens, des réformateurs sociaux, des technocrates et autres acteurs à tendance néolibérale (et conservatrice), qui ne proposent que des solutions conventionnelles, issues des modèles socioéconomiques existants. Les nouvelles formes de résistance montrent que les fissures ne sont pas seulement d’ordre ethnique mais qu’une frange de la jeunesse, culturellement non conformiste et sans considération raciale, a assez de colère en elle pour paralyser la ville. Cette frustration touche aussi les classes défavorisées et les citoyens non européens, comme on le voit à Paris, Athènes, Istanbul. C’est là que le geste artistique, chargé de vitalité et d’énergie, permet d’ouvrir une brèche, de suspendre nos habitudes, dans un temps où le business ne compte plus. Espérons que cette accumulation de contestation conduira à un changement de qualité dans l’ordre dialectique des choses. Pour l’heure, nous portons notre regard en direction de la mer, en sachant par expérience que son apparente sérénité est trompeuse et que sa colère dépasse l’imaginable. Xurban_collective, Marseille 2010
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La Ville Blanc | Die Weisser Stadt “The best witness to the Mediterranean’s age-old past is the sea itself. This has to be said and said again; and the sea has to be seen and seen again. Simply looking at the Mediterranean cannot of course explain everything about a complicated past created by human agents, with varying doses of calculation, caprice and misadventure. But this is a sea that patiently recreates for us scenes from the past, breathing new life into them, locating them under a sky and in a landscape that we can see with our own eyes, a landscape and sky like those of long ago. A moment’s concentration or daydreaming, and that past comes back to life.” From Memory and the Mediterranean by Fernand Braudel The Xurban_collective project at La Friche, Marseille constitutes a branch of ongoing research about seas as defined by various manifestations of the global trade and economy, and by the flow of bodies as a possibility for retributive justice. We believe that any statements made within the new global order should adequately represent the “negligibly small” actors in the creation of wealth, including the earth, the sea and all living things. In La Ville Blanc, we regard the sea as the transmitter of a history (i.e. Mediterranean) and of wealth and culture as well as the source of biological richness. It is also the bearer of scourge, of oil spills and chemicals and of invading jellyfish and the disappearing reef. On it, the oil tankers and container ships sail to the effect of millions of tons, accumulating and transferring immense wealth at all costs. Refugee boats also sail across it sometimes to catastrophic ends either while at sea or at their destination. On all the charted and monitored waters of the world, these boats are the most invisible. The sea’s horizon metaphorically represents freedom, hope, and a decent life. Port cities such as Marseille, Athens, Istanbul, New York, Shanghai, Buenos Aires, and Bangkok are the main hubs within their national territories, connected via highways and railway tracks to other smaller cities on their periphery. In addition to people from different localities and cultures, the constant flow of ships, trucks, cars and goods represent a heterogeneous set of activities. Ports offer a sea of opportunities for newcomers and a healthy flow of foreigners keeps their cities culturally and economically alive, relevant and interesting creating a direct anti-thesis of provincialism(s). The technical viability of these ports within the global economy is ensured via the standardization of shipping operations and through their carefully planned infrastructures but more importantly through a legislative framework, qualified human resources and support industries. In appearance, ports depict a rational cut in the landscape. The terrain where the land and sea meet is transformed into a free zone of commercial activity. It is a temporary transitional district where various flows are merged, organized and distributed. In between, thousands of containers are waiting for their turns to be filled, lifted, carried and shipped. The constant beeping sound of the surrounding machinery is an indicator of a high alert zone and immanent danger.
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When we look to the contemporary condition of these port cities, we may recognize an urban pattern characterized by large-scale commercial and residential developments currently under construction. Old and new commercial ports, city centers, shopping areas and old buildings are being rebuilt and packaged to cope with the transformation of the global economy. On the one hand, these cities — all situated next to the sea — try to establish their unique and important position within the global marketplace, and on the other, their governing bodies together with investors/developers tend to ignore the livelihood of their residents by specifically excluding the poor, immigrants and everyone else who cannot afford to be the part of the new panorama. Corporate managers, lawyers, city officials, architects, designers and the police collaborate in meticulous gentrification projects and announce these plans with architectural renderings. We took the title ‘La Ville Blanc’ from graffiti tagged on such an architectural rendering of a development project to be realized within the city center of Marseille. It seems that the term La Ville Blanc characterizes an imminent mistake, which is not directly translatable to Turkish or English. The gendered disposition of language underlines the patrimonial politics of development and gentrification. La ville, a feminine word is accompanied by a masculinized term, blanc (instead of blanche). This at first appears to be a mistake, a grammatical error clearly indicating that the owner of the graffiti is not language proficient. However, blanc, the masculine form of a city, located on a development plan for a new corporate trade center initiates a very precise critique. When walking in Marseille, we came upon this billboard as a vision of things to come and realized the similarities between other images in different cities of the world: an affluent “all-white” imagining of an exclusive urban life, from New York, Istanbul, Izmir to New Orleans. Here our aim is not to make an ethno-racial claim, yet it is important to identify the overlapping class dispositions on the racial, gendered articulation of bodies in the neo-liberal re-imagination of cities. This conservative re-imagination is mostly articulated by high-end design which functions as a form of neo-liberal packaging. In fact the de-facto failure of these projects lie just on the surface of these architectural renderings that simply ignore and exclude. It seems that the strategy of the new bourgeoisie is more ‘efficient’ and rather violent than direct antagonistic racist encounters — compared to fascist violence that constantly happens in various parts of Europe — which can be easily identified and fought against. In fact, condemning Nazis is a politically correct thing to do for a neo-conservative camp who has already perfected its ability to use extreme strength without weapons, to colonize without an army and to exploit without a factory.
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Mediterranean port cities share a common fate throughout history, best explained by historians like Fernand Braudel: there are times of economic boom and periods of decline, and then again a surge in activities which necessitates the expansion of the commercial port and its relocation further out of the city center. In most of them, including Istanbul, the evacuated waterfront property is the prize of the neo-liberal governments, opportunistic developers and investors. While the containers full of merchandise, the crude oil, the tuna stocks and other fish and tourism roam the sea, the continents are interconnected via underwater power and network cables and by various pipelines. Within this intense flow on, under and around the Mare Nostrum, European cities still resist an influx of unwanted races, and zones of exclusion are on the rise in France, Germany, Italy and other countries. Many of today’s global issues surface in Europe, and they are especially more significant when looking to Western Europe from Anatolia. Not since the specific instances of Carthage, Andalusia and the later Ottomans has the fear of the invading enemy been on the rise as today in Europe. The exploitation of the fear from the ‘other’ (read Muslims, Africans, Asians) plays into the hands of the far right, as well as of big business and its collaborators in the conservative political spectrum. Throughout 20th century Europe there has been repeated hatred directed and channeled towards the ‘suspect race’ during times of economic downturn. What is new is that the democratic-egalitarian discourse claimed by the modern European state since the Second World War openly contradicts itself when equal rights for all citizens are concerned. The farce of a representative democracy is that the majority crushes the rights of non-citizens. In this instance, mainstream politics openly endorse the ‘sensitivities’ of the majority (as it happens in Turkey against Kurdish population) who claim to be the ‘real’ owners of the country. The prospect of ‘being offended’ (from symbolic gestures, symbolic gear, traditions and lores) is manipulated not only by the European right wing, but by the majority of political actors in order to give political leverage. Meanwhile, the ‘defensive’ reflex of the European Islamic communities left to their fundamentalist wings sharpens a conflict that is spiraling out of control. On the other hand, the procedures of unified Europe distribute this conflict evenly across national borders, setting examples and precedents. While European national borders disappear, xenophobia roams free. The question at the end of the decade of the identity of Europe and its subjects is haunted by the minarets that try to spring up in the old continent. This propagated annoyance appears to be a kind of ‘symbolic formalism’, not only in a ppearance but also in the formalism of ‘values’, that old term brought out from the extreme depths of the history of civilization The vagueness of ‘values’ apparently is of no concern to policy makers, who consider European values to be crystal clear and, importantly, not compatible with other cultures.
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Meanwhile since Marx, the thinker of old Europe, we should assume that the poor and the working class share the same fate, conditions, ideals and ultimately values, regardless of their religion, race and nationality. If there is a real â&#x20AC;&#x2DC;valueâ&#x20AC;&#x2122; to Western civilization, it has suffered most from the abandoned belief in the universal brotherhood of the proletariat, whereas the monotheistic god of the globalized world is employed for segregation along the lines. This is where we are left at the turn of the first decade of the 21st century, at the tragic crossroads where capital is diffused globally, labor is still being exploited shamelessly, and the masses are complicit in a sedated delusion of consumption and its mirage on the horizon. The so called social state is fast becoming a non-actor in the just distribution of wealth, meanwhile losing its role in the arbitration of disputes (i.e. among different faith) and in handling dissent. The first is left to the free market economics, and the second to the almost equally privatized policing. The hybrid private/state security complex is what keeps the white cities in Istanbul, in Paris, London and elsewhere well-guarded, clean and uncontaminated. The gated communities and residential complexes in world cities today are designed to keep racial and ethnic confrontation out of the premises and to insure homogeneity among its inhabitants. In a sense, they are the extensions of private schooling into adult life, sealed from unwanted mixtures. Even the architectural layouts bear resemblances, offering a number of extracurricular activities to an otherwise monotonous dwelling in one place. Looking closely to these renderings once again, one can recognize the fact that the cut-up faces, bodies, flowers and cars are mostly gathered from stock images sold online. In order to sell these images, stock photography companies trim, clean, package and identify them with metadata. They represent ideal cosmopolitan types suited for the new global order, a perfect coupling with the standardized design and production of shopping malls, office spaces, and business centers. Finally, the new social-scape which is miserable enough not to be left in the hands of politicians, social reformers, technocrats and other actors directly bound to the neo-liberal (and conservative) mindset, offering solutions only from within the conformist order of socio-economic models. The new occurrences of resistance gives us indications that the fissures are not only along ethnic lines, but there is a nonconforming culture of youth regardless of race and with enough rage to paralyze the city. A similar frustration can be extended to include the underprivileged citizens and non-citizens of Europe, as seen in various cities such as Paris, Athens, Istanbul. Meanwhile the artistic gesture, as in this youthful energy, leads to an opening where habits are suspended, to a moment of reckoning when business is no more. One should hope that all the accumulated dissent will lead to a qualitative change in the dialectic order of things. For now we are looking out to the sea, knowing from experience that its serenity is suspect and its rage is beyond imagination. Xurban_collective, Marseille 2010
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Berat Isik > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > < Sener Özmen > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > < Cengiz Tekin > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > < > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > <
http://beratisik.blogspot.com http://sener-ozmen.blogspot.com http://cengiztekin.blogspot.com http://outlet-istanbul.blogspot.com
Elmas Deniz > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > < http://www.elmasdeniz.com Cevdet Erek > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > < http://cevdeterek.wordpress.com Deniz Gul > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > < http://www.denizgul.com Borga Kantürk > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > < http://borgakanturk.blogspot.com Ahmet Ögüt > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > < http://www.ahmetogut.com Merve Sendil > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > < http://mervesendil.blogspot.com CANAN > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > < http://www.cananxcanan.blogspot.com > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > < http://www.artxist.com Gokce Suvari > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > < http://gokcesuvari.blogspot.com
Xurban_collective > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > < http://www.xurban.net
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/ Exhibition
Exposition /
/ Curators
Commissariat /
Çelenk Bafra et Véronique Collard-Bovy / IKSV
Coordination à IKSV /
coordination
Çelenk Bafra (Director), Murat Alat (Production), F. Cihan Akkartal (Editorial assistant) et l’équipe de IKSV / pour Sextant et Plus /
/ and
the IKSV team
/ about
Sextant et plus
Véronique Collard-Bovy (Direction), Audrey Pelliccia (Production), Maud Chavaillon (Communication et éditions), Leïla Quillacq (Médiation et Publics), Fabien Paoli (Régie), Julie Garnier et Yasmine Mahdhaoui (stagiaires)
Catalogue /
/ Catalog / Texts
Textes /
Çelenk Bafra, Véronique Collard-Bovy, Emmanuelle Lequeux, Claire Moulène, Leïla Quillacq, Xurban_collective Traductions /
/ Translations
Kalem Ajans, Fabienne Clérin, John Doherty Conception graphique /
/ Graphic
design
Maud Chavaillon Photographies /
/ Photographs
Yasmine Mahdhaoui, Xurban_collective
/ Acknowledgments
Contributions et remerciements /
en Turquie
K2 Centre d’Art Contemporain
in Turkey
K2 Contemporary Art Center Institut Français d’Izmir (Jean Luc-Maeso)
Izmir French Institute (Jean-Luc Maeso) Centre d‘Art de Diyarbakir (Melike Çoskun)
Diyarbakir Art Center (Melike Çoskun) à Marseille
Texen Système Friche Théâtre
in Marseilles
ZINC Frac Provence-Alpes-Côte-d’Azur Consulat Général de Turquie
General Consulate of Turkey
et aux artistes /
/ and
artists !!
Sextant et plus bénéficie du soutien de /
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La Saison de la Turquie en France (juillet 2009 - mars 2010) était organisée : - pour la France : par le ministère des Affaires étrangères et européennes et le ministère de la Culture et de la Communication, et mise en oeuvre par Culturesfrance. Président du comité d’organisation : M. Henri de Castries, Président du Directoire du Groupe AXA Commissaire général : M. Stanislas Pierret, commissaire adjoint : M. Arnaud Littardi - pour la Turquie : par le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Culture et du Tourisme, et mise en oeuvre par IKSV (Fondation d’Istanbul pour la culture et les arts) Président du comité d’organisation : M. Necati Utkan Commissaire général : M. Görgün Taner La Saison de la Turquie en France a bénéficié du soutien d’un comité de mécènes présidé par Henri de Castries et constitué de :
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SEXTANT ET PLUS La Friche Belle de Mai 41 rue jobin 13003 Marseille tel +33 (0)4 95 04 95 94 www.sextantetplus.org