Un paysage inhibé

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Simone Quadri

Un paysage inhibé La condition territoriale et paysagère au canton du Tessin entre nostalgie et abandon

École Polytechnique Fédérale de Lausanne - 2015 -


Énoncé théorique de Master EPFL - ENAC - AR Sous la direction de Mme. Prof. Elena Cogato Lanza


Simone Quadri

Un paysage inhibé La condition territoriale et paysagère au canton du Tessin entre nostalgie et abandon

École Polytechnique Fédérale de Lausanne - 2015 -





«Insomma, nelle città e sul territorio le contraddizioni ti attanagliano. Un tempo le città e i paesi erano belli ma le condizioni di vita per di più erano tremende. Oggi stiamo bene, ma abbiamo città e territori in pessimo stato di salute. È difficile guardare queste cose con lucidità. Cerchiamo almeno di studiarne le contraddizioni, per trarne, in tutta umiltà, qualche utile indicazione pratica». Tita Carloni, 2001



Avant-propos

Le Canton du Tessin est le lieu où je suis né. Un lieu que peut-être je n’ai jamais aussi tant apprécié depuis que je l’ai quitté. «Un paese ci vuole, se non fosse che per il gusto di andarsene via» écrivait Cesare Pavese dans son oeuvre célèbre La luna e i falò1. Le protagoniste y fait retour après une vie passé en voyageant par le monde, appelé par la nostalgie et le besoin de retrouver sa propre identité. Il ressent l’attrait irrésistible de retourner dans des lieux familiers. La nostalgie est certes ennemie de toute approche objective dans une étude théorique, pourtant je sens le besoin de rendre ce service à mon territoire. Le Canton du Tessin est un lieux très complexe, découpé et hétérogène dans son contenu, qu’il soit matériel ou immatériel. Dans une longueur linéaire de à peu près 100 kilomètres l’on peut rencontrer des pics acuminés, des glaciers, des lacs alpins célestes, vallées recouvertes de fleurs et rochers, des cascades bruyantes, fleuves cristallins, montagnes arrondies qui plongent dans les lacs, douces collines, longues rangées de vignes, châteaux, couvents, plages de sable fine, palmiers, oliviers et fruitiers. On peut y rencontrer des pêcheurs, des viticulteurs, paysans, banquiers, touristes, villageois et citadins. Je ne crois pas illégitime de parler d’une Suisse en miniature, avec hybridations italiennes et de la méditerranée. La lecture du territoire 1

C. Pavese, La luna e i falò, Einaudi, Torino, 1968, p. 9

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difficilement se fait par synecdoque, le Tessin ne se prête pas à une analyse par échantillons et ceci est la raison inévitable de l’imperfection de ce travail. Avec cette prémisse, dans le cadre de l’énoncé théorique de master, étape fondamentale pour la production du projet, j’ai l’intention de me concentrer sur les caractéristiques qui font du Tessin le Tessin, afin de produire un projet architectural sain, capable de s’intégrer aussi bien dans le paysage que dans la dimension culturelle de mon territoire. Il est dès lors nécessaire d’entamer une étude sur les mécanismes qui l’ont jusqu’ici généré, avec une analyse de la structure géophysique, de la structure des établissements urbains, des maisons, du rapport entre homme et nature au fil de l’historie, et des différents cadres socio-culturels qui se sont produits dans le temps. La notion de paysage intervient dans ce discours avec toute sa valence et esthétique: il faut la considérer lorsqu’on opère dans une situation si particulière. Tout cela dans le but de fournir une analyse des transformations subies par le canton dans les dernières décennies comme conséquence d’une action territoriale découlant d’intérêts plus ou moins pertinents. L’étude d’un territoire, quoiqu’elle soit sa nature, est un exercice compliqué, les domaines de recherche, les approches théoriques et les données empiriques étant innombrables. La prise en compte des facteurs matériels et immatériels ne peut redonner qu’un cadre partiel, voir provisoire, de l’objet en question. L’exercice est de tant plus difficile quand le territoire en question est connu et vécu, quand ça touche au sentiments. La lecture d’un territoire se fait à l’envers, à partir d’un état des lieux, référent de la succession des transformations que les différentes sociétés ont opéré sur une même portion d’espace naturel au cours de l’histoire. Pour comprendre les mécanismes qui ont produit l’état actuel d’une chose il serait restrictif de se concentrer sur des données purement géo-morphologiques ou urbanistiques. Pour tenter de délinéer un cadre assez précis, à côté de l’étude sur la réalité matérielle, il est nécessaire de prendre en compte aussi des facteurs immatériels tels que le contexte historique, l’enjeux anthropologique, le domaine social, la politique, l’économie, la sémiologie, l’architecture, la littérature, etc. La dimension historique d’un lieux offre un regard sur les mécanismes qui transforment l’espace naturel 2


en territoire à travers les sous-dimensions qu’elle contient. L’histoire est génératrice du grand cadre contextuel dans lequel l’homme opère, en satisfaisant ses besoins et en laissant son empreinte dans le terrain sous forme des signes. C’est ainsi que l’on touche au domaine de la sémiotique, qui joue un rôle important dans la compréhension des lieux et leur processus de construction. Cet aspect touche, plus en général, à la dimension socio-culturelle dans toutes ses nouances, laquelle pourrait nous fournir des pages infinies. A côté des signes et significations présents physiquement dans l’espace et temoins de ces sociétés il y a des rapports invisibles aux domaines de la politique et l’économie. Ces deux facteurs sont en effet capables d’influencer, et même interférer, sensiblement les relations que l’homme entretient avec la nature en ayant sa trace dans le dessin du territoire. À côté de la recherche scientifique, j’ai l’intention de profiter d’autres disciplines qui ont contribué à raconter et restituer le portrait du territoire et du paysage tessinois. En particulier la littérature offre beaucoup de témoignages intéressants sur l’utilisation du territoire, les raisons du travail qui l’ont dessiné, le rapport entre homme et nature et le style de vie que le gens menaient au passé. Cette discipline constitue en effet un élément utile pour comprendre les dynamiques sociales et du travail aujourd’hui perdues, elle se présente comme outil fondamental pour la compréhension de la condition historique du lieu, une vraie fenêtre sur le passé. Or, la littérature est inévitablement trompeuse, dans le sens qu’elle restitue une réalité fictive ou détournée, qui fait appel aux sensations et aux sentiments plutôt qu’à des faits scientifiques. Je suis pourtant persuadé de l’importance de cette approche dans la mesure où les points de vue autres que ceux d’un chercheur ajoutent une sensibilité étrangère que, selon moi, parvient à enrichir la vision globale. Je cite ici une contribution de C. Ferrata qui revient sur cette question : «Dobbiamo dire che, al momento, non esiste ancora una scienza del paesaggio, esistono però orientamenti e metodologie che producono conoscenze diverse sul paesaggio. Ciò non deve essere necessariamente visto in modo negativo, anzi : per operare necessitiamo di una cassetta degli attrezzi ben fornita ed è opportuno che gli strumenti a nostra disposizione siano più d’uno2». 2

C. Ferrata, L’esperienza del paesaggio, Carocci Editore, Roma, 2013, p.94

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Selon C. Raffestin également «la diversità degli approcci ci restituisce punti di vista variegati su una medesima realtà materiale e non fa che arricchire la nostra conoscenza del mondo3». Le regard du narrateur complète une analyse qui autrement resterait purement basée sur des données empiriques. Dans ce sens je peux citer également les contributions de la peinture, de la photographie, des images touristiques et du cinéma qu’au fil du temps on su raconter plusieurs faces du paysage tessinois. À partir de cet éventail d’ approches, j’entame ma recherche. L’espoir est de restituer un portrait fidèle d’un territoire, et peut-être d’un paysage, à moi chers, que je considère en danger.

C. Raffestin, L’invenzione dello spazio o “feuilletage” delle rappresentazioni, tiré de AAVV., Le frontiere della geografia. Testi dialoghi, e racconti per Giuseppe Dematteis, UTET, Torino, 2009, pp. 49-57

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Table des matières

Introduction

1. Espace, Territoire, Paysage

p.11

p. 25

1.1 Espace

1.2 Territoire L’action territoriale La production du territoire

p. 28

1.3 Paysage

p. 33

p. 25

L’esapce au sens anthropique

Le regard L’émergence du paysage Paysage passif et paysage actif

2. Les grandes transformations

p. 43

2.1 Le Tessin préindustriel

p. 44

L’immobilisme traditionnel Structure sociale et types territoriaux La première vague: entre XIXème et XXème siècle

2.2 Les grandes transformations

p. 65

Du paysan-berger au paysan-ouvrier «La via delle genti» dans la logique internationale L’avent du tertiaire et l’élan urbain Le modèle idéal du tourisme 7



3. Etat des lieux

p. 105

3.1 Le Tessin nostalgique

p. 107

3.2 Le Tessin abandonné

p. 191

Rancate Bissone Gandria Piano di Magadino Les régions des lacs

Meride Corippo Cevio Boschetto

Notes conclusives

p. 241

Régressions

p. 241

Le Tessin invisible

p. 245

Bibliographie

p. 257

Support vs supporté Supporté vs supportable

Identité et mémoire Les images de la négation

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Introduction

Incipit Le Canton du Tessin est le canton le plus méridional de la Suisse. Exception faite pour une petite portion de la vallée de la Reuss, se développe entièrement sur le versant sud des alpes suisses. Dans le contexte national et international le canton se situe dans une position stratégique de transit Nord-Sud, se trouvant entre la mégalopole padane du nord de l’Italie et la métropole suisse au nord des Alpes. Il s’agit du seul canton italophone et il s’étend sur 2’812 km2. Environ la moitié de cette surface (50,7%) est occupée par la végétation, en particulier des forêts, alors que la surface bâtie est de 5,6% du total. La surface agricole du canton représente le 12,9%, dont 9% ce sont des alpages, et le 30,7% de la surface cantonale restante est considérée comme improductive (lacs, glaciers, rochers, etc.). On estime qu’environ 75% de la surface du canton est inutilisable1. La population à fin 2013 compte 346’593 habitants, dont un quart environs d’origine étrangère, alors que à fin 2012 la population active était de 177’800 unités. Du point de vue orographique et morphologique le canton se présente comme un mélange très sophistiqué. de pics, montagnes, vallées, rivières, collines, lacs et plaines. Le point le plus haut se situe à Rep. e Cantone Ticino, Statistica ticinese dell’ambiente e le risorse naturali, Bellinzona, 2013, p. 6 1

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topographie

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idrographie et morphologie

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3’402 (Adula) mètres sur le niveau de la mer alors que le plus bas à seulement 193 mètres (Lac Majeur). La décomposition du territoire se fait en huit districts qui se repartissent des deux côtés du Monte Ceneri, ligne de démarcation entre Nord et Sud du canton. L’enjeux démographique La croissance démographique cantonale, en ligne avec celle de la Confédération, se maintient stable, avec +3,8% entre 2010 et 20132. Celle-ci est du en particulier au solde migratoire, le rapport cantonal entre naissances et décès étant négatif. Il est évident que la constante croissance démographique génère un besoin de nouveaux logements et activités et cela devient un enjeux pour la planification, qui a à faire avec une ressource territoriale limitée et non renouvelable. Cet enjeux est plus directement lié à celui de la géstion et l’exploitation du territoire, qui est d’énorme actualité. Historiquement au Tessin l’occupation du territoire par les ensembles bâtis était très homogène, bien répartie sur la surface cantonale. Les villages se trouvaient souvent les longs des versants des vallées, aux confluences de celles-ci, le longs des rives des lacs. Le bouleversement de cette distribution uniforme a lieu avec le phénomène des migrations internes. Cela commence avec l’arrivée du chemin de fer du Gotthard vers la fin du XIXème siècle, avec les bonification des plaines alluviales et la progressive modernisation au XXème siècle. L’évolution démographique et des modes de vie au Tessin expliquent la progressive descente des gens des montagnes et des régions périphériques vers les fonds des vallées et la plaine. Aujourd’hui l’occupation du territoire dans ces zones est presque à saturation. Les espaces en dessous des 500 mètres de hauteur représentent seulement le 14,5% de la superficie du canton, pourtant ils contiennent plus du 80% de la population et plus du 90% des emplois3. Ceci est dû aux grands changements que le canton a subi à partir de sa modernisation à partir du deuxième après-guerre. Si encore dans un univers préindustriel la population était répartie de manière Rep. e Cantone Ticino, Ufficio cantonale di statistica Rep. e Cantone Ticino, Elementi per uno sviluppo territoriale del Cantone Ticino, Bellinzona, 2005, p. 4

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plus ou moins équilibré sur le territoire, à partir des années ‘50 la migration interne pousse les gens à se déplacer vers les centres et la plaine, en générant ainsi une forte expansion de l’espace urbanisé4. Suit à l’arrivée de la mobilité individuelle en masse et au flux continu des migrations internes un large phénomène de suburbanisation dans les années ‘60 et de périurbanisation dans les années ‘80 s’est produit. En début de XXIème siècle le 51,4% de la population habitait dans ces régions sub et périurbaines, qui se démontrent à très haute vocation résidentielle5. L’utilisation du sol Les forêts recouvrent environ la moitié de la superficie disponible du canton. Si l’on regarde les changements que le forêts on subi et opéré pendant le dernier siècle nous remarquons des faits intéressants. Au début du XXème siècle, la surface totale des forêts était de 40’000 hectares, dans une période qui voyait le 45% de personnes actives travailler dans le secteur primaire. À peine 50 ans plus tard, la surface boisée avait presque doublé en s’attestant autour de 85’000 hectares. Peu avant la fin du XXème siècle la surface avait encore augmenté jusqu’à 140’000 hectares, plus de trois fois sa superficie de cents ans auparavant et le pourcentage des personnes actives dans le secteur connaissait une baisse remarquable jusqu’à 1,6%. À l’état 2009 la surface de la forêt maintient son taux de croissance et recouvre en total 148’500 hectares de surface6. L’avancement de la forêt est surtout dû à l’abandon des traditionnelles activités liée au secteur primaire surtout dans les zones périphériques du canton. Si aujourd’hui la surface boisée recouvre la moitié du canton, en début de XXème siècle celle-ci représentait à peine le 20% de la superficie totale. Il est important de noter que la forêt se trouve dans une bande qui se développe entre 500 mètres et 1’800 mètres d’altitude, et occupe les versants, souvent assez raides. Ce fait joue un rôle fondamental dans la stabilité du sol et prévient des Rep. e Cantone Ticino, Elementi per uno sviluppo territoriale del Cantone Ticino, Bellinzona, 2005, p. 4 5 Rep. e Cantone Ticino, L’organizzazione territoriale in Ticino, Bellinzona, 2006, p. 16 6 Ufficio pianificazione e conservazione del bosco, Evoluzione spaziale del bosco in Ticino, Bellinzona, 2007, p. 76 4

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possibles éblouissement de terrain ou avalanches. La surface moyenne de forêt par habitant est de 0,44 ha/pers, presque trois fois la moyenne de la Confédération7. Si l’on analyse plus de près les variations de la surface des forêts en divisant la bande en trois sous-bandes on remarque certaines disparités dans l’avancement général de la surface boisée. Pour essayer de quantifier ce phénomène c’est seulement à partir des années ‘80, avec la fondation de l’Inventaire forestier national (IFN), que l’on dispose de données sur l’avancement des forêts. Si l’on se base sur la mesure de la période 1993/1995 nous remarquons des disparités dans l’avancement global de la forêt. La bande boisée au dessous des 600 m connait une diminution et souvent se fait en faveur de la surface construite. Entre 600 mètres et 800 mètres la situation est plutôt stable. Par contre, au delà des 800 mètres d’hauteur la forêt connaît un avancement marqué, dont un partie importante est enlevée à l’agriculture. Sur la base de ces données nous pouvons constater que l’avancement des forêts n’est pas uniforme. Dans les zones les plus densément peuplées, au dessous des 600 mètres, le bois connaît une diminution constante, en faveur de l’urbanisation8. Ce fait met en danger la qualité du sol, vu qu’il s’agit pour la plus part de bois avec particulière fonction protectrice. De plus la substitution de la forêts par les établissement urbains contribue à la dégradation du territoire et laisse une trace indélébile dans le paysage. Dans la période 1985-1997 l’équivalent d’un quart des surfaces totales qui sont devenues constructibles provenaient des forêts9. En ce qui concerne la bande haute, au dessus des 1’800 mètres le phénomène est inverse. Ce paysage est mis en danger par l’avancement du bois qui génère un paysage indifférencié et qui diminue la biodiversité. La perte des surfaces ouvertes et des clairières est perçue comme «une perte dans la variété du paysage, qui a tendance à devenir de plus en plus homogène10». Si bien que au début du siècle il y avait une crise dans la couverture forestière, avec l’avancement puissant de ce dernier siècle le problème a été Ufficio pianificazione e conservazione del bosco, Evoluzione spaziale del bosco in Ticino, Bellinzona, 2007, p. 77 Ufficio pianificazione e conservazione del bosco, Evoluzione spaziale del bosco in Ticino, Bellinzona, 2007, pp. 78-79 9 Rep. e Cantone Ticino, Elementi per uno sviluppo territoriale del Cantone Ticino, Bellinzona, 2005, p. 7 10 Rep. e Cantone Ticino, Elementi per una politica attiva di valorizzazione del paesaggio ticinese, Bellinzona, 2006, p. 8 7

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abondamment résolu, et du même il en a créé d’autres. L’avancement de la forêt en hauteur lentement récupère les terrains qu’il lui avaient été enlevés, cela contribue également à la disparition de plusieurs zones agricoles précieuses. L’agriculture était traditionnellement le secteur privilégié de l’économie cantonale et source principale de subsistance. Les importants travaux d’assainissement des plaines alluviales et les endiguements des rivières principales permettent au fur et à mesure de déplacer cette activité du pâturage à la cultivation. Les régions du Mendrisiotto, dans le Sud, de la plaine de Magadino et l’ensemble des fonds plans des vallées deviennent des précieuses zones d’exploitation agricole. Pourtant les changements dans l’économie du deuxième après-guerre et notamment le saut rapide dans le secteur tertiaire commencent à soustraire main d’oeuvre et terrains à l’agriculture. Les infrastructures et les logiques de production du XXème siècle provoquent la crise du secteur primaire tessinois, déjà assez faible. La surface agricole totale aujourd’hui se limite au 4% de la surface du canton, dont le 81% est composé par des prés et des pâturages dans les vallées ou en montagne. Dans les dernières 30 années nous avons assisté à une régression de la surface agricole de 17,2% et ce phénomène est toujours en cours11. Ce phénomène est dû surtout à l’avancement urbain concentré dans les zones des collines ou des plaines et de l’expansion de la forêt dans les vallées et en montagne. Selon un rapport du canton «la scomparsa delle superfici agricole tradizionali e dei relativi manufatti viene inoltre percepita quale perdita di valori identitari e culturali12». L’étalement urbain est un processus qui intéresse non seulement les plaines agricoles mais surtout les zones autour des centres, dans le suburbain et dans le périurbain. La situation morphologique difficile n’offre pas beaucoup de place pour l’édification, les villages commencent alors à se toucher et grimpent sur les versants, constituant une longue ville filiforme qui parcourt toutes les zones basses du canton. En particulier dans les zones lacustres, très appétissantes du point de vu touristique et de la promotion immobilière, nous voyons les maisons et les immeubles reRep. e Cantone Ticino, Statistica ticinese dell’ambiente e le risorse naturali, Bellinzona, 2013, p. 22 12 Rep. e Cantone Ticino, Elementi per una politica attiva di valorizzazione del paesaggio ticinese, Bellinzona, 2006, p. 8 11

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diffusion des forĂŞts

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l’eau

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B창ti +500 m

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B창ti -500 m

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joindre et parfois dépasser la ligne du milieux des versants. L’image qui en découle est préoccupante au vu de l’impact visuel que ces construction expriment. L’étalement urbain filiforme génère des espaces publiques de très basse qualité, dominés par la voiture et le désordre, baissant la qualité de vie dans les zones résidentielles. De plus ce phénomène se limite aux zones basses du canton, entre les fonds des plaines et les 500 mètres d’altitude environs. Les zones des vallées et de montagne abandonnées par la population restent dans l’immobilisme historique, ne se développant pas beaucoup au niveau économique. L’image homogène de l’utilisation du sol du début du XXème siècle est aujourd’hui bouleversé par la concentration en dessous de la ligne des 500 mètres, opposant la congestion à l’abandon. Ce faits produisent des déséquilibres territoriaux importants dans la répartition des zones résidentielles et de production, conséquence directe du progrès économique des la deuxième moitié du XXème siècle se concentrant seulement dans certains régions fonctionnelles du canton. La condition paysagère Sur la base de ces constatations et dans l’enjeu de qualité de vie, il est important de se questionner sur les conditions actuelles du territoire e du paysage dans un canton qui est aussi fortement touristique. Les événements historiques et la succession des sociétés qui on fabriqué le territoire du canton on su exprimer une grande variétés de solution urbaines et architecturales, dictées par les grandes différences dans la composition morphologique et climatique du Tessin. Cette richesse est désormais en danger d’un côté par l’avancement de la ville filiforme, qui n’hésite à effacer les traces du patrimoine, et de l’autre par le déclin des zones abandonnées. La perte de ces valeurs oblige la création d’images fictives, redonnant un aspect paysager au Tessin mais qui ne correspond plus à la réalité matérielle du territoire. La vue panoramique, ou le paysage lacustres sont à la base de la planification territoriale qui ne fait plus référence aux besoins réels de la population. Le canton du Tessin vit actuellement une crise identitaire liée à la perte des traces des différentes territorialités et de sa mémoire collective, aussi l’objet de la création d’images stéréotypées. Nous nous trouvons dans une situation où le paysage réel du Tessin, celui qu’on fabrique avec le regard sur les traces dans le territoire, est 22


renié ou empêché par les interférences du progrès. L’étude en question essaiera d’analyser ces contradictions et ces deux faces du Tessin, la partie nostalgique forcée de créer des images pour se redonner une identité, et la partie abandonnée, qui risque de perdre les siennes. L’observation des changements historiques et les conditions en situ donneront le cadre de la situation et des indices sur des approches de projet. «Che un architetto sarà tanto più bravo quando saprà guardare, cogliere il senso del paesaggio in cui deve inserire la sua opera, interpretare gli ordini territoriali sottesi, quanto più saprà penetrare dentro la dimensione storica, geografica e sociale del paesaggio stesso13».

E. Turri, Il paesaggio come teatro dal territorio vissuto al territorio rappresentato, Marsilio Editori, Venezia, 1998, p. 45

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1. Espace, territoire, paysage

1.1 Espace Dans le cadre d’une étude sur la construction d’un territoire et la condition paysagère d’un lieu, il est avant tout important de clarifier les différences qui subsistent entre les notions d’espace, de territoire et de paysage. En effets, ces trois conditions ne sont pas équivalentes, si bien que l’une implique l’autre. Il est indispensable de les définir pour comprendre comment la modification de l’une entraîne à des repercussions sur l’autre et vice versa. La notion d’espace est peut-être la plus compliquée à expliquer car elle touche à plusieurs disciplines. L’espace en géographie n’est pas le même que celui de la philosophie, ou de la sociologie. La thèse kantienne, bien que considérée fausse1, s’aligne à la théorie de Newton qui définit l’espace come une entité absolue, comme «cadre de référence abstrait, séparé de la matière, de la substance2». Kant atteste l’importance de la présence humaine dans son cadre absolu, même s’il considère l’espace «indépendant de toute matière3» il ne le qualifie pas de grand conteneur d’entités substantielles. Il s’agit plutôt d’une «condition subjective de la 1 J.-M. Besse, M.-C. Robic, Quel espace pour quels projets, Kant un prétexte?, tiré de F. Auriac, R. Brunet, Espaces, jeux, enjeux, Fondation Diderot, 1986, p. 65 2 Ibid. p. 65 3 Ibid. p. 66

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réception des phénomènes4» et donc d’une entité sensible, ou mieux formelle, plutôt que matérielle. Historiquement c’est la géographie qui s’est occupée de la définition, de la description et l’étude de l’espace. Cette définition a été au centre de plusieurs questionnements de la part des géographes qui sentaient le besoin de redéfinir le concept d’espace. Certaines visions on tendance à qualifier l’espace à travers les relations qu’il entretient avec une société, comme si les deux se trouvaient en rapport de production mutuelle. G. Baudelle et P. Pinchemel voient dans l’espace plutôt le produit d’une société généré par l’action humaine sur la surface de la terre, ou spatialisation5. Seul à travers cette «mise en espace par humanisation», «la surface de la terre, les milieux naturels et les territoires prennent corps6». Cette thèse se met en opposition avec celle de C. Raffestin qui, au contraire, ne reconnaît pas dans l’action humaine une spatialisation mais plutôt une territorialisation. L’espace au sens anthropique En dépit d’une tendance naturelle qui pourrait nous faire reconnaître des paysages là où il n’y a que des portions d’espace qui n’ont pas encore subi des interventions humaines, il faut avouer que, dans sa forme initiale, l’espace ne présente aucun trait qui en fasse un véritable territoire. L’espace peut être considéré comme la conditions originaire et antécédente, l’a priori, de chaque phénomène de territorialisation humaine. Généralement on associe l’espace à la Terre, avec toutes ses caractéristiques géophysiques. L’ensemble des montagnes, océans, fleuves, lacs, forêtes, etc. constitue le corps de la terre et représente «toutes les morphologies qui ne doivent rien originellement à l’action anthropique7». L’espace génère l’environnement naturel et constitue le cadre général dans lequel se développent les phénomènes territoriaux. La notion d’environnement peut être entendue 4 J.-M. Besse, M.-C. Robic, Quel espace pour quels projets, Kant un prétexte?, tiré de F. Auriac, R. Brunet, Espaces, jeux, enjeux, Fondation Diderot, 1986, p. 66 5 G. Baudelle, P. Pinchemel, De l’analyse systémique de l’espace au système spatial en géographie, tiré de F. Auriac, R. Brunet, Espaces, jeux, enjeux, Fondation Diderot, 1986, p. 87 6 Ibid. p. 87 7 C. Raffestin, Écogénèse territoriale et territorialité, tiré de F. Auriac, R. Brunet, Espace, jeux et enjeux, Fondation Diderot, 1986, p. 176

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comme «l’ensemble des éléments physiques, biotiques et abiotiques, qui entourent un ou plusieurs êtres vivants qui sont en rapport avec eux8». Par définition il s’agit d’un espace hostile, dans lequel l’homme est opère pour survivre. Il est donc compréhensible qu’à un espace naturel s’oppose un espace culturel. Les territoires, et par la suite les paysages, sont le signes tangibles de ce processus de survie. La construction territoriale «se réalise lorsqu’un espace de nature, anonyme, qui vit sans la présence de l’homme, se transforme en espace culturel, c’est à dire quand il se charge de références, symboles, dénominations […] et puis d’objets humains, en se proposant comme scène ou théâtre dans lequel les individus et les sociétés jouent leurs propres histoires9». Cela signifie que l’acte de survie d’une société implicitement correspond à une transition d’un espace naturel à un territoire. Ce processus s’opère à l’issue de l’anthropisation. Un espace devient lieux au moment où l’homme y inscrit sa propre routine à travers une contamination de l’espace naturel avec sa sphère culturelle10. Cela avec d’autre mots signifie que l’ensemble des pratiques, signes, symbologies d’une culture, ou sa dimension sémiotique, rentre en contact avec une portion d’espace. Selon C. Raffestin ce processus représente le passage entre espace et territoire. Le moment ou culture et nature se contaminent peut être considéré comme le début de naissance d’un territoire. L’homme opère ainsi une «réordination de l’espace dont l’ordre est à chercher dans les systèmes informationnels dont il dispose en tant qu’il appartient à une culture. Le territoire peut-être considéré comme de l’espace informé par la sémiosphère11». Evidemment la présence de l’homme n’influence qu’une portion d’espace, celle qui l’intéresse en laissant d’autres de côté. C. Raffestin remarque qu’il subsistent des zones indemnes, qui n’ont pas encore connu l’action d’anthropisation, qui se trouvent au milieu de plusieurs territoires mais que n’en font pas partie. «Ces formes relictuelles constituent autant d’îles apparemment naturelles abandonnées ou laissées pour compte par l’action humaine qui, par ailleurs, a transformé tout l’entour. Gamba, G. Martignetti, Dizionario dell’ambiente, UTET, Torino, 1995, p.35 E. Turri, Il paesaggio come teatro dal territorio vissuto al territorio rappresentato, Marsilio Editori, Venezia, 1998 pp.15-16 10 C. Ferrata, L’esperienza del paesaggio, Carocci Editore, Roma, 2013, p. 37 11 C. Raffestin, Écogénèse territoriale et territorialité, tiré de F. Auriac, R. Brunet, Espace, jeux et enjeux, Fondation Diderot, 1986, p. 177 8 9

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[...] Ces sont, en quelque sorte, des zones de frontière entre espace et territoire. En réalité ces espaces sont intégrés dans des territoires, mais il apparaissent comme oubliés : ils sont à l’extérieur de la frontière territoriale12». 1.2 Territoire Pour expliquer le concept de territoire C. Raffestin, comme beaucoup d’autres, emprunte la métaphore du corps humain. Les hommes possèdent des instruments endosomatiques, qui font partie de leur corps dès la naissance et avec lesquels ils sont en mesure de produire une suite, hypothétiquement sans fin, d’autres instruments artificiels, ou exosomatiques13. Le corps de la Terre, de la même manière, possède une morphologie, des plans d’eau, la végétation etc. ce qui constitue ses éléments endosomatiques. Le territoire se produit lorsque l’homme, au travers de son travail, produit une action de transformation de la nature, en d’autres mots «le territoire est le produit de la transformation de l’endosomatique terrestre par l’exosomatique humain14». Puisque cette transformation suppose une contamination nature-culture, «le territoire peut être considéré comme de l’espace informé par la sémiosphère15». Ce processus d’information spatiale se traduit dans l’action territoriale, ce qui donne naissance au territoire. L’action territoriale Par action territoriale l’on entend l’action que l’homme imprime sur une portion d’espace naturel afin de satisfaire ses besoins. Selon plusieurs auteurs, le territoire, et encore plus le paysage, est le dépôt de plusieurs couches d’actions territoriales que l’homme a opéré sur la nature comme conséquence de sa tentative de survie dans un environnement. Une première considération qui surgit spontanément est que ce dépôt d’actions est assez hétérogène. Les actions territoriales au fil du temps n’ont pas été C. Raffestin, Écogénèse territoriale et territorialité, tiré de F. Auriac, R. Brunet, Espace, jeux et enjeux, Fondation Diderot, 1986, p. 178 13 Ibid. p. 176 14 Ibid. p. 177 15 Ibid. p. 177 12

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les mêmes, cela à cause des successions d’époques différentes, de l’évolution des sociétés et des cultures qui l’ont créé, ainsi que les instruments à leur disposition. Dans sa diversité, la territorialisation pendant l’ère préindustrielle a toujours gardé inchangée une caractéristique fondamentale. Si elle résulte d’une satisfaction des besoins primaires d’une population alors l’action territoriale se soumet au caprices de la nature, il y a en somme une forte correspondance dans le rapport homme-nature. Comme suggéré par E. Turri nous constatons que à chaque action territoriale «correspond un mode d’utilisation de l’environnement naturel16». Le même auteur reconnaît dans le mécanisme de territorialisation «l’annexion à la société et à la culture d’un espace naturel17», ce qui confirme la thèse de C. Raffestion selon laquelle le territoire est de l’espace informé par la sémiosphère, bien que la perspective soit inversée. Il y a donc deux éléments fondamentaux et interdépendants dans l’utilisation rationnelle du territoire, l’action territoriale et le rapport de l’homme avec la nature. Les établissement urbains, les transformations de l’homme et les activités productives de la société préindustrielle sont d’autant plus respectueuses de l’espace naturel du fait qu’elles se conforment à ses caractéristiques. «Queste società sentono religiosamente il peso dei condizionamenti naturali, l’azione di trasformazione della natura […] è sempre piuttosto esigua, controllata e attenta a rispettare l’ambiente naturale, anche al fine di trarre i maggiori vantaggi dal suo sfruttamento18». Dans ce contexte l’activité humaine, l’agir territorial, et la condition naturelle ne s’obstruent pas, l’homme adapte le type et le mode de ses activités sur la base de l’habitat naturel sans s’y opposer. Pour certaines types de situations d’intense lien direct entre territoire et environnement naturel E. Turri parle de mimétisme. Il est dès lors évident qu’ils existent dans les sociétés, des capacités implicites et précises de reconnaître les caractéristiques particulières dans l’espace naturel et d’y répondre avec une action adéquate. La création d’un territoire présuppose bien sûr le bagage et l’expérience d’une société culturelle mais aussi les éléments typiques et condition16 E. Turri, Il paesaggio come teatro dal territorio vissuto al territorio rappresentato, Marsilio Editori, Venezia, 1998, p. 36 17 Ibid. p. 46 18 Ibid. p. 56

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nants d’un espace naturel. E. Turri remble reconnaître ces derniers dans les coremi, ou «unità territoriali minime, caratterizzate da ben precise condizioni climatiche, pedologiche, vegetali. Condizioni che [l’uomo] sentiva, […] prendendo in rapporto a ciò le sue decisioni di coltivatore, in perfetta sintonia con l’ambiente in cui operava e viveva19». Cette adhésion aux conditions typiques de l’environnement influence sensiblement la construction et la structure d’un territoire. Les sociétés préindustrielles et primitives difficilement avaient à disposition les techniques et la technologie nécessaires pour vaincre la nature. Au contraire elles choisissaient de s’établir dans les régions spatiales ou cette dernière était plus clémente en s’adaptant. Ces sociétés n’étaient en effet pas «in grado di dissentire facilmente dalle forme d’uso più convenienti del territorio20». Ainsi faisant, l’anthropisation des sociétés préindustrielles était productrice de territoires qui correspondaient aux modes de vie, les besoins et le mœurs des population en harmonie avec l’environnement. Ce processus de production se compliquera par la suite avec l’arrivée de la société industrialisée, lorsque la nature ne serait plus contraignante dans l’action territoriale. La perte de cette valeur a poussé l’homme à dissoudre le lien étroit qu’il avait avec la nature. Si une action territoriale n’est plus soumise aux signes typiques d’un espace naturel, le territoire peut devenir conteneur de tout type d’activités. Ces dernières ne doivent plus forcement être en relation avec le binôme nature-culture d’un lieux, et donc cessent de représenter l’identité d’un territoire et de la société qui le produit. De plus une société industrielle peut se doter d’instruments technologiques et de structures productives qui ne reflètent plus la réponse immédiate aux besoins primaires, mais plutôt une réponse qui suit une logique purement capitaliste. Le passage se fait entre une logique territoriale influencé par le bienêtre, la nécessité de survivre, à celle réglée par la logique de production en masse, ce que E. Turri indique comme le bienêtre entendu comme bien-avoir21. La diversification des activités dans l’ère postindustrielle crée et augmente la polyfonctionnalité qui s’exprime sur le territoire. La production E. Turri, Il paesaggio come teatro dal territorio vissuto al territorio rappresentato, Marsilio Editori, Venezia, 1998, p. 36 20 Ibid. p. 65 21 Ibid. p. 22 19

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d’énergie, les établissement industriels, l’affirmation du commerce, le développement du tourisme et la prolifération des infrastructures modifient sensiblement les logiques territoriales produites par les coremi. Ce phénomène laisse une empreinte significative dans le dessin territorial d’une société et dans le reflet de sa propre territorialité. Si l’on procède avec une comparaison architecturale, l’on peut établir que forme du territoire suit sa fonction, ce rapport réciproque a, pendant les siècles, exprimé les territoires par leur monofonctionnalité. Les zones viticoles étaient bien reconnaissables des zones de cultivation, des fruitiers, etc. L’avent de l’ère industrielle bouleverse cette logique. Nous avons vu que l’industrialisation affaiblit la contrainte que la nature impose sur l’activité anthropique. Par conséquent il devient possible d’établier grand complexes productifs sans tenir en compte les caractéristiques environnementales, climatiques du lieu, ainsi que les spécificités du terrain. La nature ne guide plus l’intervention humaine mais plutôt l’inverse, la subvertion de cette dynamique amène inévitablement à la création de territoires polyfonctionnels, ou voir même hyperfonctionnels. Le dessin du territoire apparaît donc confus, trop hétérogène pour la lecture des pratiques identitaires d’un peuple. La logique territoriale hyperfonctionnelle s’oppose aux relations nature-sémiosphère puisque les signes et les symboles propres à une société deviennent globaux. La conséquence de ce phénomène est la perte des typicités dans les formes des territoires qui en obnubile les contenus originaires. Nous pouvons donc parler à tous effet du détachement progressif des sociétés de leurs pratiques traditionnelles au nom di progrès. En réponse à ce phénomène, il est assez récent le processus de recherche, par les sociétés, de propres origines. Cela amène à un fort sentiment de nostalgie des populations se rendant compte de l’hyperfonctionnalité du territoire dans lequel elles vivent et opèrent. Il est en effet de plus en pus difficile d’en lire les spécificités. Le régionalisme et le mimétisme évoqués par E. Turri redeviennent un enjeu d’actualité dans les contextes territoriaux en général et cela vaut aussi pour le Canton du Tessin. Pour mieux comprendre ce phénomène de perte d’identité et de nostalgie il est opportun et légitime de se questionner sur les mécanismes de production d’un territoire, c’est-à-dire de savoir comment originairement une culture contamine l’espace naturel à travers l’anthropisation.

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La production du terrioire Il est intéressant de noter avant-tout que dans le territoire, réalité matérielle, existe une réalité immatérielle. Selon la définition de C. Raffestin cette dernière est constitué par la territorialité, ou l’«ensemble des relations que les sociétés […] entretiennent avec l’environnement physique et social pour satisfaire leurs besoins, à l’aide de médiateurs, dans la perspective d’obtenir la plus grande autonomie possible en tenant compte des ressources à disposition dans l’environnement territorial. [Elle] constitue un modèle relationnel en évolution qui fonctionne grâce au travail et dont la création permet la production d’objets nécessaires à la vie. […] Le territoire est un objet et du même la ville22». S. Moscovici théorise trois états de nature, le premier organique (qui fait référence au monde agricole), le deuxième mécanisé (ou industriel) et le troisième synthétique dans lesquels se déroule l’action anthropique. Chaque état de nature est porteur d’une territorialité définie et cela devient intéressant dans la mesure où C. Raffestin rémarque qu’«à chaque changement d’état de nature et donc à chaque changement de territorialité, la production territoriale est modifié et les problèmes, à affronter dans l’environnement, sont différents23». L’action que permet la production territoriale est exprimé par la territorialisation et s’effetue à l’aide du travail humain. C. Raffestin propose un modèle pour essayer d’exemplifier les relations qui permettent ce processus de production : A (l,m,p) → R → S(Sn/So)= T/Ta

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En d’autres mots, cette formule exprime la relation R qu’un acteur A entretient avec un environnement S produit un territoire T contenant une territorialité Ta. Évidemment cette formule ne prend en compe que la première action de territorialisation, en effet a chaque changement d’état de nature ce processus prend en compte les éléments existants. Il est néanmoins important de remarquer que l’environnement S, avec ses carC. Raffestin, Dalla nostalgia del territorio al desiderio di paesaggio, Alinea Editrice, Firenze, 2005, p. 22 23 Ibid. p. 36 24 Ibid. pp. 37-38 où A=acteur, l=travail, m=médiateur, p=programme, R=relation, Sn=env. organique/inorganique, So=env. social, T=territoire, Ta=territorialité. 22

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actéristiques, influences les choix de l’acteur A afin de produire un territoire25. L’auteur souligne que les variables (l,m,p) et la relation R diffèrent selon le type de société et l’état de nature de référence. Cette formule est à la base des relations permettant la construction des territoires, qui se fait par couches dans une sédimentation historique. 1.3 Paysage Acteur et spectateur Il n’est pas question ici de se questionner sur l’origine et la naissance du paysage comme concept, mais plutôt il est important de se questionner sur interdépendance qui subsiste entre la production d’un territoire et sa transformation en paysage, dans l’optique de comprendre quel sont les facteurs qui influencent sa mutation ou éventuelle perte. L’approche de cette thématique nécessite une prémisse, le paysage naît d’un regard sur un territoire ou sur une portion de celui-ci, il ne se réfère pas à des espaces qui n’ont pas fait l’objet d’une anthropisation. Il ne s’agit donc pas de qualifier les actions qui modifient les paysages naturels mais plutôt les paysages qui découlent de l’action humaine. En effet, la création du paysage présuppose la présence humaine, car celle-ci se fait à travers le regard d’un individu ou d’une collectivité. E. Turri reconnaît une dualité dans chaque individu inséré dans une territorialité, les hommes sont à la fois des acteurs et des spectateurs, même si à différents moments. L’homme est acteur en quant producteur du territoire, de façon analogue lorsque il apprécie le résultat de son travail il devient spectateur. À partir de ce moment il ne vit plus les contraintes de survie qui l’obligent au travail et il est en mesure de poser le regard sur sa propre action26. À ce moment l’intersection d’un regard et d’une réalité matérielle donne naissance à un paysage27. Celui-ci es généré par la présence de plusieurs éléments dans un territoire et ne prend pas en compte sa totalité. Il y a donc dans C. Raffestin, Dalla nostalgia del territorio al desiderio di paesaggio, Alinea Editrice, Firenze, 2005, p. 39 26 E. Turri, Il paesaggio come teatro dal territorio vissuto al territorio rappresentato, Marsilio Editori, Venezia, 1998, p. 28 27 Raffestin, op. cit. p. 42 25

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l’espace anthropisé une série de symboles dont la somme reconstitue une image perçue par le regard. E. Turri identifie ces signes dans le concept de iconema, «come unità elementare di percezione, come segno all’interno di un insieme organico di segni, come sineddoche, parte che esprime il tutto, o che lo esprime con una funzione gerarchica primaria, sia come elemento che più d’altri incarna il genius loci di un territorio sia in quanto riferimento visivo di forte carica semantica del rapporto culturale tra una socità stabilisce con il proprio territorio28». L’existence de l’iconema présuppose la possibilité de synthétiser les quelques éléments qui font la spécificité d’un territoire, ce processus peut être décrit comme la lecture même du paysage. Nous verrons que C. Raffestin parvient à decrire ce même processus de sythèse à l’aide du conpect de Stimmung. Il est donc question, dans les deux cas, de comprendre la signification et la fonction de ces signes afin de les identifier dans la lecture du paysage. L’interprétations des signes permet la lecture du contexte, génératrice du paysage29. Les éléments typiques des sociétés préindustrielles incarnent bien cette intelligibilité. Leur forme se concrétise dans une réponse issue du rapport homme-nature. La forme d’un moulin, par exemple, est facilement interprétable du fait que l’on reconnaît les pièces qui le fabriquent et leurs fonctions spécifiques. Il est dès lors évident que la question de la lisibilité d’un paysage influence son image et la façon dont il est perçu par l’observateur. Si l’on revient à la problématique relative aux territoires hyperfonctionnels, nous trouvons ici une correspondance dans la logique paysagère. Lorsque nous sommes confrontés à des éléments illisibles nous remarquons une nette perte de qualité du paysage. La perception de ces signes les qualifie d’étrangers et leur addition met en crise l’image du contexte. De manière analogue, même si les éléments restes lisibles dans leur unité mais on assiste à une prolifération d’innombrables éléments différents, le contexte devient aussi illisible, perturbé par la cacophonie. Cette hybridation des iconemi génère un désordre qui déstabilise de manière irréversible l’intelligibilité de l’image. Il existe en quelque sorte, à mon avis, une tectonique du paysage qui permet sa stabilité et sa persistance, rendant ses parties intelligibles, les rélations entres les 28 E. Turri, Il paesaggio come teatro dal territorio vissuto al territorio rappresentato, Marsilio Editori, Venezia, 1998, p. 19 29 Ibid. p.162

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signes claires et cohérente. À fin de la respecter il est fondamental de bien pondérer les choix dans la transformation du territoire, référent principal du regard qui fabrique le paysage. Ce n’est pas un hasard que E. Turri remarque: «paesaggi [sono] brutti soprattutto in quanto illeggibili nel loro sviluppo diacronico e nel loro sovrapporsi storico30». La lisibilité d’un signe découle de sa pertinence avec le territoire dans lequel il se trouve, ceci à travers la façon dont une culture ou une socété ont su le rendre fonctionnel, utile à la lutte exisetentielle. Nous remarquons donc qu’un paysage se reconnaît aussi dans la capacité d’une société d’en faire partie. Généalogie du paysage Dans les logiques analysées nous retrouvons des ingredients recurrents qui permettent la transition du territoire au paysage. La production des paysages découle traditionnellement du passage entre la réalité matérielle donnée et le monde mentale des images. Ce fait implique la présence d’un spectateur capable de traduire les éléments réels en image par un processus de représentation issu du regard31. Ce dernier se base aussi sur la capacité d’un sujet d’imaginer, pratique strictement liée aux périodes historiques et propre aux différentes régions géographiques, faisant référence à une sémiosphère particulière, qui peut en influencer le processus de fabrication. La méthode de traduction qui permet au regard de générer des représentation est individué par C. Raffestin dans le langage. L’image du paysage est le résultat de la combinaison regard-langage à l’issue des médiateurs à disposition des observateurs32. Ces images font bien sur référence aux territoires réels mais s’y détachent, du fait que l’acte de regarder implique aussi l’interprétation. À la base de la fabrication des paysages il y a un regard individuel qui parvient à s’affirmer auprès d’une collectivité qui l’accepte comme méthode d’observation de la réalité33. Ce fait peut donner lieu à différentes opinions sur une même réalité territoriale, ou peut simplement changer la façon précédente de la percevoir. D’ou E. Turri, Il paesaggio come teatro dal territorio vissuto al territorio rappresentato, Marsilio Editori, Venezia, 1998, p. 22 31 C. Raffestin, Dalla nostalgia del territorio al desiderio di paesaggio, Alinea Editrice, Firenze, 2005, p. 42 32 Ibid. p. 43 33 Ibid. p. 53 30

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l’importance des médiateurs et des conditions sémiotiques dans lesquelles se produisent les images. À ce propos, nous pouvons citer l’exemple du changement de vision concernant les Alpes, historiquement lieu hostile, intimidateur, dont l’opinion auprès des populations était très négative. Cette représentation change avec la publication d’un poème par A. Haller, Die Alpen, qui sans le vouloir donne un nouveau visage aux montagnes, même si de façon involontaire par l’auteur, et amène a leur fascination34. Lentement l’opinion change et contribue à former le regard collectif qui consacre les Alpes un paysage fortement qualitatif. Cet exemple a’pplique certe à un espace naturel, mais du même la logique intéressante les espaces anthropisés ne fait pas exception. Il est légitime à ce stade de parler d’une véritable fabrication du paysage, à travers la représentation qu’une culture fait de la réalité matérielle produite par le travail à travers des médiateurs35. Pour simplifier les passages, nous pouvons exprimer se processus de création par l’adaptation de la formule proposée par C. Raffestin en relation à la production territoriale dans la partie précédente. Sg/Li(T/Ta) = I

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Le regard et le langage propres à une société dans un moment historique et un lieux précis permettent la traduction de la réalité matérielle en image ou paysage. L’acte de traduire se rattache à la dimension de la pensée. Comme remaruqué par C. Raffestin «il territorio ha cominciato ad essere paesaggio quando ha cominciato ad essere pensato37». En d’autres mots, cela signifie que l’image découle d’une synthèse mentale des éléments présents dans une réalité matérielle. Cela permet de constituer une unité, dont l’origine réside peut être dans le concept de Stimmung de G. Simmel. «La Stimmung è molto importante in quanto fattore che riunisce i C. Raffestin, Dalla nostalgia del territorio al desiderio di paesaggio, Alinea Editrice, Firenze, 2005, p. 77 35 Ibid. p. 55 36 Adaptation de la formule tirée de C. Raffestin, Dalla nostalgia del territorio al desiderio di paesaggio, Alinea Editrice, Firenze, 2005, p. 53, où Sg=regard, Li=langage, T=territoire, Ta=territorialité, I=image 37 Ibid. p. 55 34

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pezzi di un paesaggio che viene quindi colto nella sua unità. Stimmung e unità sono due aspetti di una sola cosa attraverso la quale l’anima dello spettatore costruisce il paesaggio38». La Stimmung représente la somme des éléments et donc la spécificité d’un paysage, qui n’est pas définissable par d’autres. Le rapport entre réalité matérielle et paysage est assez strict et réciproque, dans le sens que le paysage peut être considéré comme un sous-produit de l’abstraction que l’on fait d’un territoire. Il y a donc une composante liée à l’esprit et la pensée dans la fabrication du paysage, qui n’est que le correspondant du travail dans la construction du territoire. Comme il nous le rappelle C. Raffestin «il territorio è creato dal lavoro che, in questo caso, è trascendente al concetto di paesaggio inventato dalla società per darsi una rappresentazione della natura antropizzata e derivata dalle sue attività39». Paysage et territoire sont donc strictement liés dans leur relation séquentielle, le territoire étant un des point d’origine du paysage qui le succède. Si c’est vrai que le paysage est le résultat de la création mentale, il est tout autant si faux de croire que sa condition est fournie d’emblée. Dans la généalogie du paysage il existe un moment, assez imprécis d’ailleurs, où l’on commence à ressentir le besoin de fabriquer un paysage. Pour reprendre l’image de Turri d’acteur-spectateur, nous pouvons dire que les sociétés proto-rurales n’ont jamais ressenti la nécessité de représenter leur réalité matérielle, étant impliqués seulement dans le rôle d’acteurs territoriaux, où la réalité matérielle est fort présente et conditionnait les espoirs de survie. Selon la thèse de C. Raffestin, le besoin de création des images naît dans la société comme «strumento della memoria nostalgica», une prothèse qui essaie de combler le vide laissé par la perte ou la séparation d’une réalité matérielle suite à l’interférence du changement40. Nous arrivons ici à l’idée que les mécanismes de fabrication du paysage découlent d’un abandon, suite à des événements particuliers. Lorsqu’un territoire garde sa valeur d’utilisation intacte, il représente une ressource fondamentale pour les équilibres précaires de survie de l’homme, qui ne s’intéresse pas à sa représentation. Les passages à des nouvelles et difC. Raffestin, Dalla nostalgia del territorio al desiderio di paesaggio, Alinea Editrice, Firenze, 2005, p. 56 39 Ibid. p. 55 40 Ibid. p. 64 38

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férentes conditions de territorialité font disparaître ou rendent obsolètes certaines pratiques territoriales. Selon C. Raffestin «ciò significa che […] un territorio diventa paesaggio quando le relazioni che lo hanno creato iniziano a scomparire. I resti di queste relazioni diventano oggetti di conoscenza che chiamiamo paesaggi. […] Il paesaggio è il prodotto mentale dello spostamento nel tempo dei resti di un territorio abbandonato» ou plus simplement «l’immagine di un territorio differito nel tempo41». Sur la base de ces constatations nous remarquons certains facteurs assez relevants. La stratification historique des territoires et des territorialités constitue non seulement une valeur identitaire mais aussi mnémonique pour une société. L’image du paysage est issu et contient l’ensemble de ces signes, le rendant un patrimoine. Ce patrimoine, comme nous l’explique E. Turri, peut être lu à l’envers, dans le sens qu’à partir du paysage nous pouvons reconnaître une culture ou une société dans les traits spécifiques décrivant la façon dont une culture se rapporte avec la nature. Le paysage se situe au dessus des individus, et fait référence à une dimension temporelle beaucoup plus longue, dépassant les sociétés qui au fur et à mesure se succèdent laissant des substrats de territorialité42. La stratification sémiotique qui en résulte confère au paysage des caractéristiques qui nous font penser au monument, image contenante les signes identitaires d’une société au fil du temps. Paysage passif et paysage actif Suite aux constatations précédentes nous pouvons affirmer que historiquement tous les paysages ont été en quelque sorte passifs, dans le sens qu’il ont été créés à posteriori à travers un changement de territorialité. Ceux qui vivaient dans cette territorialité y étaient occupés en tant que acteurs, et donc dans la production territoriale et ne se questionnaient pas sur le résultat esthétique de leur travail. Le territoire était avant tout construit pour être utile et non beau, le besoin esthétique d’une population vient en dernier, lorsque les obligation C. Raffestin, Dalla nostalgia del territorio al desiderio di paesaggio, Alinea Editrice, Firenze, 2005, p. 58 42 E. Turri, Il paesaggio come teatro dal territorio vissuto al territorio rappresentato, Marsilio Editori, Venezia, 1998, p. 40 41

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envers la nature cessent. Le territoire est d’abord construit comme valeur d’utilisation et devient paysage seulement par la suite43. Seulement avec le temps et le regard d’une collectivité, souvent étrangère au contexte, a lieu la transformation de ce territoire en paysage. Ce-dernier est passif dans le sens qu’il succède la phase de construction territoriale et fait référence à plusieurs actions quiavaient comme but une utilité bien précise. La particularité de cette approche est que les paysages de ce types sont bien sûr crées, mais, avant tout, découverts. Nous savons pourtant que la dimension paysagère fait référence à la production des images, qui sont, au mois au début, involontairement imprécises. Nous avons vu que les images fournissent l’outil idéal pour la substitution d’une réalité perdue. Or, inévitablement elles sont manipulés au fil du temps et nous donnent la possibilité de restituer des cadres différents d’une réalité absente44. Les images peuvent finalement générer des mythes autour des territoires qui n’existent plus et dans les temps plus récents ce processus à été fortement utilisé afin de produire images de paysages à but commercial ou de promotion touristique. Cela ce concrétise à travers la production de l’image pour un observateur et non plus par l’observateur. La différence est subtile et néanmoins importante car cela engendre la manipulation volontaire d’une réalité matérielle par un acteur extérieur. Il a donc lieu la naissance de ce que l’on pourrait appeler un paysage actif, fabriqué sur mesure avant de trouver son corréspondant territorial. La création du paysage actif est inévitablement fiction dans car l’image produite reprend seulement certains aspects d’une réalité matérielle que l’on veut mettre en évidence, ou pire, exhaler des caractéristiques qui ne trouvent pas de correspondance dans les situations réelles. Ce n’est plus l’observateur qui reconnaît les signes dans un territoire lui suggérant l’image, mais plutôt on a la tendance à diriger un regard sur des signes que l’on lui prépare. Le cas de la promotion touristique est exemplaire pour énoncer cette question. A ce stade, le pseudo-paysage n’est plus le résultat d’un processus «morphogénique45». C. Raffestin, Dalla nostalgia del territorio al desiderio di paesaggio, Alinea Editrice, Firenze, 2005, p. 42 44 Ibid. p. 65 45 C. Ferrata, Paesaggi di carta. Rappresentazione del territorio e identità nel manifesto 43

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Il y a en quelque sorte un changement de paradigme, le paysage passif produit du travail, la sédimentation des territoires, la production d’images issue du regard et du langage laisse la place au paysage actif, produit synthétique de l’image commerciale. Le paysage actif n’est plus conforme à une réalité territoriale. Nous verrons par la suite que le cas du Tessin est emblématique dans la création et diffusion du standard paysager, comme avant goût du midi, première rencontre avec la méditerranée, image de oasis de paix. Le risque est que cette images que l’ont veut donner des lieux peuvent, vu qu’il s’agit de toute façon d’un paysage, être le fondement d’un sentiment identitaire, qui pourtant de correspond plus à la vérité d’un lieux mais tend à la déformer46. Le paysage actif dans sa production contraste avec la notion de paysage passif, bien que les deux produisent des images détourés de la réalité phénoménique le paysage passif succède le territoire dans sa formation, alors que le paysage actif essaie de produire des territoires ressemblants le plus possible à l’image du départ. Pour se rendre compte de manière plus exhaustive de l’implication des notions jusqu’ici traités nous pouvons essayer de les appliquer à l’étude du territoire du canton du Tessin. Ce territoire est assez contradictoire dans son histoire récente, bouleversée par les changements dans la structure sociale, économique et, finalement, territoriale. L’histoire des dernières 150 années du canton contient tous les éléments liés à l’abandon du territoire, les changements des états de nature, les ambiguïtés nostalgiques et le besoin d’images comme signes identitaires.

turistico luganese della prima metà del Novecento, tiré de A. Gili, D. Robbiani, Tessin Ticino: Fiera svizzera di Lugano 1933-1953, Lugano, 2013, p. 222 46 Ibid. p. 222

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2. Les grandes transformations

Il est souvent le cas que les mutations dans les équilibres fragiles d’un paysage soient perçues d’abord par les spectateurs plutôt que par les acteurs. Le regard du forestier est en quelque sorte plus sensible et plus attentif aux signes perturbateurs dans un paysage. Hermann Hesse anticipe de quelques décennies la réflexion sur le grand changement auquel le Canton est confronté à travers des refléxions qu’il exprime déjà en 1958. Il témoigne les opérations néfastes qui mettent en crise les équilibres délicats que jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale avaient constitué le paysage du Tessin. «Ed è bello sempre, tutte le volte, risalire da Lugano sul mio monte, riconoscere ogni albero e ogni campo [...]. Eppure, da qualche anno, il rientro nel Canton Ticino non è più per me una pura gioia. Tempo addietro queste terre sapevano ancora di medioevo, sapevano ancora di paradiso e laghi meridionali. Adesso il Ticino è invaso, conquistato da Berlino e Francoforte [...], massa disordinata, in una città troppo piccola, in un paesaggio troppo piccolo. Qui fra pochi anni, la campagna sarà piatta a furia di essere calpestata. [...] Dappertutto dove si posa l’occhio, nuovi palazzi, nuovi alberghi, nuove stazioni, tutto s’ingrandisce, dappertutto alzano le case aggiungendovi un nuovo piano».1 1

H. Hesse, Ticino, Edizioni Gottardo, Giubiasco, 1980, pp. 85-86

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H. Hesse décrit, avec une certaine nostalgie, le bouleversement dans les logiques territoriales du Canton du Tessin et anticipe la vision critique qui fera l’objet de plusieurs jugements négatifs qui suivront dans les décennies à venir. Pour se rendre compte, en manière assez exhaustive, de l’impacte des transformations sur le territoire il est d’abord nécessaire de creuser dans l’histoire des bouleversements sociaux, économiques et politiques auquel le canton à du faire face à cheval du XIXème et du XXème siècle. Le changement de l’aspect du territoire s’inscrit naturellement dans la logique plus ample des transformations qui intéressent aussi la Suisse, mais pour le Tessin il s’agit d’un phénomène autant tardif que rapide. Nombreuses en sont les raisons, mais avant tout il est utile de restituerr un cadre plus ou moins général de ce qui était le canton jusqu’à la moitié du XIXème siècle. 2.1 Le Tessin préindustriel L’immobilisme traditionnel Il est à mon avis prétentieux et illusoire de vouloir identifier le moment précis à partir duquel les grands changements dans le territoire commencent à se produire, et d’ailleurs il est difficile d’individuer tous les phénomènes qui rentrent dans cette logique. Ce processus s’inscrit dans une dynamique complexe touchant à plusieurs contextes, qu’ils soient politiques, économiques, culturels ou sociaux. Il est pourtant possible de réunir tous ces facteurs dans la plus générale constatation que les actions dans ces domaines sont opérées en faveur du progrès, dans le sens général du terme et que les événements se produisent avec une rapidité inusuelle par rapport au contexte Suisse et plus en général Européen. En effet le canton connaît plus de changement au XXème siècle que dans le dixneuf siècles qui l’avait précédé2. Pendant plusieurs siècles le Tessin se distingue par son immobilisme, il n’y a pas de profonde évolution dans le pratiques agricoles et dans le modes de vie. Entre le XVIème et le XIXème siècle l’ensemble de la population cantonale varie très peu entre B. Antonini, Riflessioni sulle trasformazioni del territorio, tiré de U. Elzi, Il Ticino c’entra, 1988, p. 47 2

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80’000 et 90’000 habitants3. Dans ces conditions les formes productives se transmettent par traditions et par répétition, il n’y a pas d’invention au sens de C. Raffestin4 et le rapport avec le territoire exprime parfaitement les caractères d’une société préindustrielle. Pour essayer de mieux comprendre les raisons et les enjeux de ces changement, il est intéressant de se concentrer sur la situation socio-économique du canton à l’interface ente époque préindustrielle et le tout pémier élan de modernisation. Le dessin territorial du canton dans l’époque préindustirelle présente braucoups de variétés régionales dans la typologie des maisons et dans la façon de les regrouper. Les ensembles bâtis compactes du Mendrisiotto s’opposent aux typologies urbaines ouvertes des vallées du Nord du Tessin. Nous pouvons, de façon assez générale, identifier trois types d’agrégation urbaines. Dans les villages du Sud, Mendrisiotto et Luganese, se trouvant en plaine ou en colline la typologie est compacte. Les maisons son mytoiennes et se disposent l’une après l’autre le long des rues. Dans la profondeur les maisons s’articulent autour d’espaces communs, dédiés au travail. La contruction est en pierre et les façades sont généralement crépies. Le côté rue est assez sobre, les perspectives sont données par les portes et les fenêtres se succédant. Le côté cour présente des loggias et des portiques distribuant les locaux. Ce dispositif incarne les pratiques traditionnelles liés au travail agricole, la forme et la typologie de la maison reflète la territorialité des lieux. Le deuxième type de dispositif urbain est semblable, avec des maisons contiguës, mais sans le développement dans la profondeur avec la cour. Ce cas est typique des régions en colline ou disposées sur les versants. La pente ne permet pas de s’étaler dans la profondeur, ce qui génère un tissu en barre. Les maisons varient selon les régions. Dans la partie méridionale du canton elle ressemblent beaucoup 3 T. Carloni, La grande trasformazione del territorio, tiré de, Raffaello Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 672 4 C. Raffestin individue deux processus liés au travail lorsqu’il parle des “états de nature” de S. Moscovici: la répétition et l’invention. Les socétés préindustrielles reproduisent le travail à l’aide d’instruments. Pour améliorer un travail il faut améliorer avant tou l’habilité de l’homme et pas l’instrument. Les territoires agricoles sont le produit de ce travail de répétition qui se consolide au fil du temps. Le passage à l’époque industrielle produit le transfert des habilités de l’homme à celles de la machine. Ce transfert se fait avec l’invention. «Inventare significa sostituire con un mondo di protesi un mondo”dato”». C. Raffestin, Dalla nostalgia del territorio al desiderio di paesaggio, Alinea Editrice, Firenze, 2005, p. 22, p. 26

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à celles du premier cas, avec des toitures en tuiles de terre cuite. Dans la partie Nord du canton il s’agit généralement de maisons avec des coursives en porte è faux et toiture en pierre. La troisième typologie est propre aux vallées et aux villages de montagne. Il s’agit du type ouvert, où les maisons ne viennent pas se toucher. Généralement elles sont contruites en pierre apparente ou en bois avec un socle. Si dans le Mendrisiotto les maisons à cour intégraient les granges et les autres construction fonctionnelles, dans les villages des vallées souvent ces bâtiments sont individuels et viennet se placer, ensemble à ceux des autres, dans des endroit spécifiques. Afin de redonner une image de cette richesse typologique, nous pouvons citer un extrait de Piero Bianconi, écrivant tessinois du XXème siècle qui décrit la diversité morphologique et bâtie du canton: «A chiuder gli occhi mi ritrovo la retina stampata di cento immagini sovrapposte, come una lastra fotografica esposta più volte: pini accanto ai cipressi, case nere e contigue a portici che il sole della sera riflesso nel lago riempie due volte di luce, rosso di coppi confuso col grigio delle piode, coll’argento dei tetti di legno; le gigantesche rascane leventinesi, scuri scheletri sul verde dei prati, rigano di nero le logge meridionali, dove comincia a ridere il verde pallido del tabacco a festoni. E tutti gli stili si accavallano e aggrovigliano, il romanico più austero con il più lieve e festoso roccocò, la pietra quadrata con lo stucco sinuoso; madonnine gotiche e macchinose scenografie barocche si accomunano, tra un sontuoso altare di legno dorato e una parete dipinta a fresco. Quasi mi sembra di cominciare a capire il Ticino, così esiguo e infinitamente vario, vedendo questa sua ricchezza di aspetti, di facce, di immagini; mi sembra di cominciare a capire che è una cosa tanto meno semplice di quello che finora mi pareva5».

La diversité des paysages et des types d’agrégation se retrouve dans les typologies des différentes maisons et leurs inombrables déclianaisons. Avant de se concentrer sur les changements, il est opportun de tracer un portrait, même sommaire, de la construction du territoire au Tessin comme il était avant. Le travail remarquable de réléve méné sous la diP. Bianconi, Fotomontaggio ticinese, tiré de Dieci scrittori, Istituto editoriale ticinese, Lugano-Bellinzona, 1938, pp. 55-56

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rection de A. Rossi, E. Consolacio et M. Bosshard publié dans le volume La costruzione del territorio nel Canton Ticino, nous offre la possibilité d’analyser la diversité des types fabriquant le territoire dans la période préindustirelle. La maison à tour6 Il s’agit d’un bâtiment individuel se développant en vertical avec la superposition des locaux au foyer. D’habitude la maison est plus haute que large et se construit généralement en pierre. Par la disposition de ses locaux cette typologie est à la base de beaucoup de déclinaisons présentes dans plusieurs typologies répandues dans tout le canton. Bien que la maison à tour s’exprime sut tout le territoire cantonal, son expression architecturale peut varier selon les régionalismes. Le plus grand emploi de cette typologie se fait dans les villages à tissu dispersé du Sopraceneri, en montagne et dans les vallées, où les maisons généralement ne sont pas toujours contiguës et donc plus facilement identifiables. Toutefois sa versatilité et son emploi facile permet la reproduction de ce type aussi dans les villages à tissu contigu des régions méridionales du Luganese et du Mendrisiotto. L’emprise au sol de la mai son à tour est assez réduite, le plan est généralement carré avec un seul local par étage. Au dessus de la cave, pas toujours présente, se superposent deux ou trois étages d’habitation, sans une orientation particulière, et la sous-pente, couverts par un toit à deux ou quatre pentes. Dans le cas d’un toit à deux pentes le faîte se dirige perpendiculairement au sens de la pente. Dans la plus part des cas la distribution des locaux se fait à l’extérieur de la maison grâce à la présence d’escaliers ou coursives. Dans les villages implantés sur des versants raides l’accès au rez-de-chaussé se fait à l’aval, l’accès au niveau intermédiaire sur le côté, et l’entré au niveau supérieur se fait à l’amont. Toutefois ils existent des variantes typologiques avec un système de distribution vertical interne à la maison. L’entrée principale de la maison est situé dans le niveau intermédiaire ou se trouve la cuisine et donne directement sur l’espace publique. En absence de la cave la cuisine, seule pièce définie par la présence du foyer se situe au rez-de-chaussée et les A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 98 6

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Maisons Ă tour, tirĂŠ de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 99

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différents locaux se superposent sans définition apparente de leur utilisation. Normalement la construction plus diffuse pour ce type de maison se fait en pierre, mais il ne manquent pas les exemple de construction en bois posés sur un socle en pierre contenant la cuisine. La maison double7 Ce type de maison est une déclinaison de la maison à tour. Elle est constitué par deux maisons à tour contiguës sous un même toit dont le faîte est longitudinal dans le sens de la longueur. La façade principale présente une loggia ou une coursive permettant la distribution des locaux superposés. Ces maisons peuvent être habitées par une ou deux familles et le nombre de partitions peut varier selon la typologie. L’élément de coursive en façade donne la spécificité de cette maison avec déclinaisons régionales mais tout de même bien reconnaissables. Le plan de la maison double est normalement constitué par deux pièces carrées. Devant les deux pièces contiguës nous trouvons parfois une pièce allongée qui parcourt la façade de la maison faisant de portique au rez-de-chaussée et de coursive ou loggia à l’étage, ou alors de simple couloir. Ce système permet la distribution qui, dans le cas de deux maisons, se fait en commun. Cette configuration génère des façades qui très souvent expriment la symétrie. L’accès aux locaux se fait par la coursive ou la loggia directement mais ils existent des variante ou celui-ci est indépendant sur l’autre côté de la maison. La construction se fait en pierre avec des coursives en bois en porte-à-faux ou des loggia soutenus par des colnnes ou en arcade. Au vu de ses proportions la maison double s’implante dans le sens de la pente et les loggias s’ouvrent sur le côté ensoleillé, ce qui permet le séchage des produits agricoles exposées. La maison à deux pièces en profondeur8 Cette typologie se différencie par la présence de deux pièces sur un même niveau en relation réciproque, s’agissant de la cuisine et le séjour ou stüva qui, selon Hunziker, a une apparition plutôt tardive dans les ménages plus A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 100 7

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Ibid. p. 102

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Maisons doubles, tirĂŠ de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 101

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fortunés, et qui est caractérisé par la pigna, l’élément de chauffage de la maison. Cette disposition trouve sa dérivation dans l’extension horizontale de la cuisine. Les proportions qui résultent de cette configuration génèrent un plan rectangulaire dans le sens de la profondeur de la maison qui se développe sur un ou deux étage à partir du socle. L’entrée se fait par la cuisine le long du côté de la maison, ensuite la distribution interne de la maison est assuré par un escalier qui se trouve dans la deuxième pièce qui n’a aucun accès depuis l’extérieur. Le foyer et la pigne sont généralement regroupés contre la paroi divisant les deux espaces, ce qui permet l’évacuation optimisé de la fumée par une cheminée. La construction de la maison en profondeur se fait en combinant un noyaux en pierre, socle et cuisine, plus une partie en bois, pour la stüva et les chambres à coucher. Ils existent quand même des déclinaisons dont la construction se fait entièrement en pierre surtout dans la Valle Maggia et qui présentent des coursives sur le long côté. L’implantation de la maison est perpendiculaire par rapport aux courbes de niveaux et la cuisine se situe côté montagne, l’accès se fait par le côté alors que la cave dans le socle s’ouvre directement sur la rue disposé dans le sens de la pente. La maison double à deux pièces en profondeur9 Il s’agit d’une des typologies les plus communes dans les vallées supérieures du Tessin comme par exemple la Léventine. Elle est produite par le dédoublement de la cuisine, alors que l’ensemble des autre pièces est librement divisé. De forme plus ou moins carré elle représente l’union de deux maisons à deux pièces en profondeur sous un même toit et en garde plus ou moins les mêmes caractéristiques, que ce soit la disposition des locaux ou le matériau de construction. La séparation des deux habitation coïncide avec la ligne du faîte et la maison s’ouvre principalement sur le côté pignon et les deux petits côtés, ce qui ne permet pas leur regroupement dans les villages. Le fonctionnement de la maisons est analogue à celui de la maison à deux pièces en profondeur, les accès sont séparés pour les deux maisons et se font sur le petits côtés latéraux dans une pièce-couloir. La distribution des locaux est assuré à l’aide d’un A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 104

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Maisons à deux pièces en profondeur, tiré de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 103

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escalier, parfois séparé pour chaque maison ou en commun, qui peut se trouve dans la pièce d’entrée, située entre la cuisine et la stüva. Le long des deux côtés de la maison il n’est pas rare de voir des coursives en porte à faux. La présence de l’escalier entre les deux pièces engendre la séparation de la pigne du foyer, ce qui diffère de la typologie à deux pièces en profondeur simple. La maison à couloir10 Cette typologie est aussi un déclinaison des typologies déjà décrites. Elle découle probablement de l’union de deux maisons à deux pièces en profondeur ou de deux maisons à tour. Ce qui était l’espace public entre les deux maisons devient un couloir avec escalier qui fonds les deux maisons en une seule. Elle peut être habité par une ou plusieurs familles. La construction ex-novo de maisons à couloir comme typologie se fait relativement tard, vers le XIXème siècle et notamment par les émigrants. Le plan consiste en une ou deux pièces en profondeur qui donnent à la maison une forme rectangulaire allongée ou plutôt carrée. Selon le type la toiture se fait à deux ou quatre pentes. Généralement la maison se développe sur trois étages, la façade principale étant le long côté se divise symétriquement par trois fenêtres, une par pièce, y compris le couloir ou cinq, deux par pièce plus une pour le couloir. La symétrie est accentué par la présence des balconsou des coursives et dans la maison d’émigrant nous notons des corniches correspondantes aux lignes des dalles. L’entrée s’effectue par le centre dans directement dans le couloir qui contient l’escalier à son extrémité ou sur un côté. Les locaux sont indifférenciés a priori, généralement la cuisine se trouve dans une pièce au rez de chaussé et les chambres aux niveaux supérieurs. L’implantation de la maison se fait de manière parallèle à la pente ou à la route, ce qui dégage un espace semiprivé à l’arrière.

A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 106 10

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Maisons Ă couloir, tirĂŠ de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 107

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La maison à cour11 Il s’agit d’un complexe de bâtiments complètement introverti, constitué par l’habitation, le rustico (grange) et l’espace de la cour qui donne accès à toutes le parties de la maison. Si elle est habité par plusieurs ménage l’unité d’habitation correspond à la maison double précédemment décrite, mais plus en général il s’agit de maisons occupées par un seul ménage. La composition du plan est plutôt rectangulaire, d’environs 18m par 20-30m, plus ou moins régulier selon le tracé de la route. L’espace de la cour, de forme plus ou moins carrée, peut se trouver au centre de la parcelle ou être compris entre deux côtés. Il y a plusieurs dispositions possibles pour les éléments de la maison, avec l’habitation en arrière et la grange côté rue ou habitation et la grange regroupés autour d’un angle. Le plan de la maison se compose d’un portique avec deux ou trois pièces alignés se développant sur deux ou trois étages. Au rez-de-chassée se trouvent la cuisine, des dépôts et les locaux de séjour. Au niveaux supérieurs le portique devient loggia et assure la distribution des pièces qui consistent généralement en chambres à coucher. Les déclinaisons des façades à loggia sont multiples, en arcade, avec des simples ouvertures ou avec l’emploi de colonnes et pilastres en pierre ou en bois. La distribution verticale se fait à l’aide d’un escalier reliant portique à la loggia normalement situé sur un côté. Les granges ne sont pas définies dans leur nombre et se développent sur un seul étage. Côté rue les façades des maisons sont en règle générale assez sobres, avec peu d’ouvertures si ne serait que pour le portail d’accès à la cour. Ce dernier constitue aussi un seuil à franchir pour passer de l’espace publique de la rue à l’espace semi-privé de la cour lorsque le passage se fait à travers un corps bâtit. Il est possible que certaines maisons aient comme séparation entre la rue la cour un simple mur et la transition a donc lieu de manière plus directe. La maison à coursive12 Cette typologie de maison regroupe plusieurs unités d’habitation, correspondantes aux différentes familles, disposées selon plusieurs schémas, Ibid. p. 130 A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 136 11

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Maison à cour, tiré de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 131

Maison à coursive, tiré de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 137

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en simple barre, articulés autour d’un angle ou en fer de cheval. Les bâtiments qui composent l’ensemble sont contigus et s’additionnent avec le temps, ce qui pour la plus part des cas génère des schémas urbains assez difficiles à déchiffrer. La dimension du complexe est semblables à celle de la maison à cour, pourtant les pièces d’habitation sont plus petites dans leur dimension. Une unité d’habitation se compose d’une rangée de deux ou trois pièces s’ouvrant directement sur l’espace libre du milieu. La cour résultante de la disposition des unités d’habitation est de forme carrée ou rectangulaire et offre l’accès à tous les bâtiments. La disposition des locaux dans les habitations ne diffère pas de celle de la maison à cour et leur distribution verticale s’effectue à l’aide d’un système d’escalier, commune ou séparé, et des loggias ou coursives. Souvent ces-dernières relient plusieurs bâtiments entre eux. La composition de la maison se complète par la présence des granges alignées s’ouvrant sur l’espace commun de travail. Les bâtiments se développent sur trois ou quatre étage et l’expression architecturale varie entre maison avec portique et loggia et maison avec coursive. Par la diversité des unités d’habitation, la façade des maisons à coursive est beaucoup plus complexe par rapport à la maison à cour qui conserve une certaine unité. En règle générale l’orientation des maisons dépend du tracé des rues et ruelles qui traversent le village, les habitations s’implante le long des rues alors que le granges de disposent dans l’espace opposé interne à la cour. Le traitement des rez-de-chaussé s’alterne entre pièces ouvertes sur la cour interne et pièces en relation avec l’espace public, faisant office de petit commerce. Le palais à cour13 Palais à cour s’articule autour d’un espace central qui lui appartient et duquel dépendent tous ses locaux, différemment de la maison à cour ou à coursive où chaque unité fonctionne de manière autonome. La composition du palais à cour est pour autant unitaire, même s’il est issu de l’union de maisons préexistantes. Il existent différentes déclinaisons de cette typologie qui peut s’exprimer avec quatre ou trois côtés, avec loggia, sans loggia ou mixte. En présence de la loggia l’accès aux pièces se fait pièce A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 142

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par pièce, dans l’autre typologie on trouve le système de l’enfilade. Le plan du palais est plus ou moins un rectangle régulier à l’intérieur duquel on corrige les éventuels alignement afin de produire une cour carrée. Sur le trois ou quatre côtés bâtis de celle-ci s’alignent tous les locaux, donnant au rez-de-chaussé sur un portique et à l’étage sur la loggia. Cette disposition de varie pas en absence de la loggia. Les façades internes sont marqués par la présence de la loggia ou dessinés de manière unitaire par les ouvertures. La façade publique aussi unitaire présente un important élément d’entrée vers la cour. Ce portail d’entrée fait la transition avec l’espace publique et privée en générant un seuil car le passage se fait à travers la masse bâtie. L’utilisation du palais est purement résidentielle et donc celui-ci s’implante très souvent en milieu urbain. Les locaux ne sont pas définis à priori, la différence par rapport aux maisons courantes est la présence du salon chauffée en plus des pièces courantes.

Palais à cour, tiré de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 143

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Structure sociale et les types territoraiux La structure sociale du canton se divise en fonction des différentes régions et fait référence aux typologies de maisons que nous venons de voir, hormis le palais à cour. Dans les vallées et sur les versants de montagnes se développent plusieurs communautés de paysans-bergers. La diffusion de cette catégorie sociale est issue directement de la morphologie hostile de l’espace naturel qui empêche la cultivation mais qui en revanche favorise l’activité liée aux pâturages. Afin d’exploiter au maximum l’espace à disposition le structure des village se compose de plusieurs maisons regroupés dans des ensembles petits. En dehors des villages, le territoire est disséminé de plusieurs maisonnettes de campagne, ou rustici, nécessaires aux travaux d’exploitation agricole1. Dans les zones plus basses, aux pieds des montagnes et sur les collines méridionales du canton, la catégorie sociale la plus représentée consistait à des artisans et paysans. Le dessin de territoire voyait plutôt l’habitat regroupé, avec maisons mitoyennes ou à cour permettant de réduire au maximum l’emprise au sol afin de ne pas utiliser les précieux terrains cultivables. Ces unités habités constituaient un tissu multipolaire répandu sur le territoire à la façon de petites villes-état, chacune avec son identité2. L’espace entre les villages était lui aussi disséminé par plusieurs bâtiments utilitaires en relation avec le territoire et les besoins productifs constructifs. Cette constellation de moulins, fours, carrières, granges et dépôts «punteggiavano finemente il territorio3». Le troisième espace fonctionnel cantonal était représenté par les villages majeurs, c’est-à-dire les zones de Lugano, Bellinzona, Locarno et Mendrisio. La catégorie sociale de référence comptait les membres ecclésiastiques, les marchands et le simple peuple. Entre le XIIIème et le XIXème siècle ces villages avaient connu un développement analogue à celui des villages de la zone préalpine italienne, «un nucleo medievale, modeste addizioni barocche, inserti e brani di estensione ottocentesca extra-muros. Si trattava in generale di tessuti abbastanza omogenei di case e palazzetti, inframezzati da chiese, conventi, orti e giardini, con attorno 1 T. Carloni, La grande trasformazione del territorio, tiré de, R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 672 2 Ibid. p. 672 3 Ibid. p. 672

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campagne non vastissime ma fertili4». Il est intéressant de noter comment l’utilisation du territoire pendant cette période découlait du support naturel. Il existait une corrélation entre support et chose supportée, avec pleine conscience de ce qui était chose supportable. Le territoire donne comme reflet l’éventail des solutions qu’une société adopte pour survivre dans un espace naturel. Cette réciprocité donne la mesure de l’harmonie entre homme et nature: à une condition donnée une société préindustrielle répond dans le respect des contraintes naturelles à l’aide de son expérience directe du territoire, de manière à ne pas s’opposer à celui-ci. Si nous reprenons le cas des sociétés des paysans-berger et la structure de leurs villages nous notons que «l’edificazione sparsa e generalizzata sulle montagne si accompagnava, per gli abitanti, ad una conoscenza palmo per palmo del territorio, della sua conformazione e delle sue risorse5». Cette image nous redonne finalement un cadre assez clair de commen l’appropriation du territorie se faisait en rélation au besoin et au support. Dans cette activité d’anthropisation l’on peut reconnaître ainsi un fait intéressant évoquée par E. Turri. Si dans le territoire il est possible d’identifier l’image des exigences d’une société il est aussi vrai que celles-ci s’adaptent ni plus ni rien au support donné par les conditions géo-morphologiques. L’auteur parle de «adesione-armonizzazione del segno umano alla geografia dei coremi, al suo ordine naturale6». Le résultat de cette territorialité démontre que la construction du territoire révèle la syntonie entre action humaine et topographie. Il est dès lors possible de comprendre pourquoi un certain type d’habitat, ou la structure de l’établissement urbain, se développent d’une telle ou telle manière. Ce fait rentre dans la logique de lisibilité d’un territoire car ces éléments sont facilement déchiffrables et l’on peut les lier à l’utilisation que la société en fait pour satisfaire ses besoins. Par conséquent l’ensemble de ces éléments ou une partie d’entre eux, constituent la base de la tectonique d’un paysage, fondamental pour en reconnaître les équilibres. Dans le cas du Tessin il n’est alors pas illégitime de parler de paysage des Grot4 T. Carloni, La grande trasformazione del territorio, tiré de, R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998,. p. 673 5 Ibid. p. 673 6 E. Turri, Il paesaggio come teatro dal territorio vissuto al territorio rappresentato, Marsilio Editori, Venezia, 1998, p. 64

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ti, de paysage lacustre ou encore de paysages agricoles, viticoles, alpins. Tous démontrent le signe de l’adhésion et fabriquent une réalité matérielle conséquente. Ce sont ces équilibres qui sont remis en discussion à partir de la deuxième moité du XIXème siècle, avec les premières grandes transformation du type industriel qui intéressent le Tessin et la rupture du tissu traditionnel. La première vague: entre XIXème et XXème siècle Cette période marque la fin de l’immobilisme traditionnel tessinois et voit le début d’un timide processus de modernisation. De la fin du XIXème siècle à l’avent de la Première guerre mondiale trois phénomènes viennent principalement perturber la stabilité culturelle du canton, l’arrivée du chemin de fer, l’assainissement des plaines avec la correction des cours d’eau et les migrations. Entre 1874 et 1882 le réseau ferroviaire se développe au Tessin entre les bourgs principaux et encore plus important, avec l’ouverture du tunnel du Gotthard, le canton se connecte au réseau national. À la plus petite échelle, des lignes ferroviaires secondaires capillaires relient les zones internes7. Dans les centres majeurs l’arrivée des gares génère une nouvelle logique de centralité et c’est ainsi que ces villages comencent à s’affirmer plus que d’autres. La localisation de ces dernières modifie sensiblement les rapports de centralité par rapport à la distribution traditionnelle isotrope dans le territorie. Il y a dans ce phénomène une rupture d’échelle, on passe da dimension rurale à la dimension urbaine8. Des nouvelles formes urbaines apparaissent dans les villages majeurs qui ressemblent toujours plus à des villes. À Lugano on assiste à la construction de grands hôtels, le développement de quartiers bourgeois et quelques quartiers jardin. Les anciens quartiers insalubres sont remplacées par des grands magasins, boutiques etc. À Locarno un exemple apprécié par acrchitectes et urbanistes est le projet du Quartiere Nuovo, ou Rusca, avec plan orthogonal qui rappelle les formes du Plan Cerdà de Barcelone. Bellinzona voit la création d’un boulevard en style 7 T. Carloni, La grande trasformazione del territorio, tiré de, R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998,. p. 674 8 B. Antonini, Riflessioni sulle trasformazioni del territorio, tiré de U. Elzi, Il Ticino c’entra, 1988, p. 49

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international qui relie le centre historique à la nouvelle gare et Mendrisio voit la naissance d’un quartier de villas bourgeoises en dehors des limites du bourg traditionnel9. Au contraire les centres périphériques tels que Airolo, Intragna, Stabio et bien d’autres, qui avaient jusqu’à ce moment rivalisé avec Bellinzona et Locarno en terme de dimensions, perdent de plus en plus d’importance10. Pendant cette même période l’on assiste à d’autrees grands travaux publics qui ont un impact significatif sur le territorie. C’est le cas avec l’assainissement des plaines alluviales, comme la plaine de Magadino, et la correction des cours d’eau, principalement le Tessin, le Vedeggio, suite à la construction du chemin de fer, de la Maggia dans sa partie finale entre Locarno et Ascona et le Cassarate dans la plaine de Lugano. Ce fait rend possible l’appropriation des terrains précieux qu était impossible à utiliser à cause des évidents dangers naturels comme les alluvions ou les glissements de terrain. À propos des travaux sur la plaine de Magadino je cite un extrait de G. Mondada qui restitue un portrait de ce que cela a signifié pour le développement de la région: «[...] vaste praterie, ubertosi campi coltivati a segale, frumento, granturco, pomidoro, tabacco, patate, estese zone di terreno bonificato […]. Da pochissimi anni il Piano di Magadino ha assutno questo rigoglioso aspetto. Gigantesco è stato lo sforzo compiuto […] per trasformare […] questa regione – un tempo abbandonata, incolta, ingrata, - in una terra così feconda e generosa, che assicurerà lavoro e pane a moltissime famiglie […]. Ancora nel secolo scorso, il fiume scorreva libero e devastatore sui greti molto vasti. Durante le piene cambiava capricciosamente il corso e si portava via i pochi campi, prati o pascoli esistenti. Le acque che scendevano dalla montagna, giunte sul piano, formavano vaste paludi. […] Ad ogni modo [non vi si trovava] nessuna abitazione, perché gli uomini non potevano abitarci. La povera pianura era tormentata dalle devastazioni del fiume in piena e dai regurgiti del lago».11

Ces travaux permettent l’extension des terrains cultivables dans les plaines, de Magadino et du Vedeggio, et la création de plusieurs parcelles Carloni, op. cit. p.p. 676-677 Ibid. p. 678 11 G. Mondada, La casa lontana, Edizioni Pro Ticino, Bellinzona, 1944, pp.106-107 9

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intéressantes dans l‘optique du développement urbain des villages, dans le cas spécifique la plaine du Cassarate à Lugano et le delta de la Maggia. Il est donc évident, dans un premier instant, que les changements territoriaux majeurs intéressent principalement les zones lacustres, les alentours des centres principaux et l’axe du Gotthard Nord-Sud. Bien que le zones de montagnes ne soient pas touchées directement par ces nouveautés, l’amélioration du réseau routier existant permettant la connexion avec la partie basse du canton augmente les flux vers les centres12. Ceci introduit le troisième facteur de bouleversement de cette période; le début du phénomène d’abandon des vallées par les migratio internes de la population vers le bas. Ces régions avaient déjà connu une importante émigration dans la deuxième partie du XIXème siècle mais cela se faisait plutôt à l’étranger, un ou plusieurs membres d’une famille émigraient alors que le reste du ménage continuait le travail dans le vallées. Le revenu des émigrants retombait en quelque sorte toujours dans les lieux de départs. Il n’était du moins rare qu’un membre d’une communauté, avec sa fortune, rentrait dans son village de provenance et construisait sa maison. Cette dernière se trouvait souvent dehors des limites traditionnelles des villages, et rassemblait la tradition tessinoise et beaucoup de styles architecturales que l’on pouvait voir dans le monde, générant une sorte de vague éclectique-rustique dans les vallées supérieures du Tessin. Le cas de Semione est un des exemples les plus flagrants de ce phénomène13. Il n’était pas rare nonplus qu’un émigrant, une fois rentré, avec l’argent mis de côte, implante une activité industrielle ou productive à proximité de son endroit natal. C’est ainsi par exemple que la Valle di Blenio devient siège, entre autre, d’une chocolaterie. À propos de ce phénomène important pour l’historie et la culture tessinoine, G. Mondada decrit un exemple, précisement, de la Valle di Blenio qui nous restitue un cadre de la quotidinanité, profondement marquée par l’émigration, mais qui intéresse aussi plusieurs autres régions du canton:

T. Carloni, La grande trasformazione del territorio, tiré de, R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 675 13 Ibid. p. 673 12

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«Tutti i villaggi della valle, chi più chi meno, recano evidenti i segni dell’emigrazione degli abitanti. Si incontra, di tanto in tanto, qualche casa cadente, qualche podere trascurato. I membri della famiglia, che ne era proprietaria, sono emigrati quasi tutti. Non è rimasta che la vecchia madre a custodire il focolare degli avi. [...] Ma si incontra, accanto alla casetta che porta evidenti i segni dell’abbandono, la bella villetta signorile, abitata dall’emigrante tornato in patria col gruzzolo dei risparmi, gruzzolo che non sarebbe riuscito a mettere assieme se fosse rimasto qui, nel breve cerchio del suo villaggio, lavorando in quella spanna di terra [...]14».

L’histoire des migrations internes est très différente et génère plus facilement des désequilibes. Lorsqu’on se déplace d’une région à une autre, en y trouvant des conditions de vie beaucoup plus favorables, toute la famille suit les migrants. Il n’y a plus d’ancrage dans le lieu de départ et il n’y a donc plus de possibilité que la famille revienne dans l’avénir. Les conséquences sur l’économie déjà faible des vallées peuvent être importantes, comme le vieillissement de la population qui décide de ne pas migrer et le progressif dépeuplement causée par le manque de rechange générationnel. Ce phénomène est beaucoup plus dangéreux que les émigration et ne fera que s’intensifier de plus en plus à partir de la fin de la deuxième guerre mondiale. L’ensemble de ces logiques marque profondément les équilibres fragiles de la symbiose culture-nature des siècles précédents. La population du canton entrevoit dans ces changement la possibilité d’améliorer ses conditions de vie et c’est ainsi que les tessinois entreprennent la route du changement. Ce moment marque peut-être la naissance des déséquilibres régionaux, vu la direction des flux de personnes et la centralisation des activités dans les villages majeurs qui assument toujours plus la forme de la ville. Lugano, Locarno, Bellinzona et Mendrisio deviennent ainsi des centres régionaux, qui s’opposent à la campagne et à la périphérie générant une logique territoriale nouvelle15.

G. Mondada, La casa lontana, Edizioni Pro Ticino, Bellinzona, 1944, p. 65 T. Carloni, La grande trasformazione del territorio, tiré de, R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 678 14

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2.2 La grande transformation La période des deux guerres mondiales ne produit plus des grands mutations au niveau territorial et l’expansion industrielle connaît un arrêt brusque qui affaiblit son élan initial. Cependant cette phase de stagnation termine avec le deuxième conflit mondial. Le Tessin en 1945 est donc encore à cheval entre passé et futur, un canton «mezzo antico e mezzo moderno16», largement rural avec des petits épisodes de progrès. Comme décrit précédemment certains petits changements se produisent déjà entre les deux siècles, cependant les bases de la grande transformation est à rechercher à l’issue de la deuxième guerre mondiale. L’héritage des résidus historiques17 cantonaux comme l’émigration massive, le début de déséquilibre territorial par les migrations internes, l’industrialisation manquée et donc une économie encore fortement agricole viennent s’ajouter aux conditions de marginalité politique et économique que le canton occupe à l’intérieur de la Suisse et qui découle encore de la période des baliages. De plus le Tessin est un canton confronté à un manque de force entrepreneuriale dans le domaines politico-économiques et qui renforce sa position de soumission et dépendance envers la Confédération18. Il est néanmoins intéressant de noter que le canton dispose de certaines ressources importantes, découlants de sa condition géographique et morphologique. La présence importante de cours d’eaux et lacs alpins permet potentiellement l’exploitation au niveau énergétique, la ressource territoriale laisse encore beaucoup de marge pour l’édification, et la position stratégique dans le couloir Nord-Sud entre le plateau suisse et l’émergente économie du Sud est un atout fondamental19. C’est à partir de ces ressources que des grands changements dans la société et dans le territoire se manifestent à travers trois facteurs principaux: la construction des centrales hydroélectriques, l’utilisation des terrains pour l’expansion urbaine et le développement du réseau routier, avec l’arrivée de l’autoroute et la

16 T. Carloni, La grande trasformazione del territorio, tiré de, R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 679 17 S. Toppi, Cambia tutto e cambia poco, tiré de B. Biucchi, Un paese che cambia, Armando Dadò Editore, Locarno, 1985, p. 11 18 Ibid. p. 11 19 Ibid. p. 12

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bâti en relation à l’infrastructure

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conséquente ouverture au delà de la frontière Sud20. Avant de les considérer il faut d’abord se rappeler que le Tessin est en ce moment encore un canton dont l’économie et les modes de vie sont fortements liés au monde rural. Il me semble plus correcte de commencer avec l’analyse des changementsa dans ce domaine avant de reprendre les thématiques liés à la modernisation du territorie. Du paysan-berger au paysan-ouvrier Comme anticipé le caractère rural du Tessin, exception faite pour les zones plus méridionales du Mendrisiotto qui connaissent la cultivation, est en forte corrélation avec ses caractéristiques topographiques difficiles. L’exploitation agricole se fait surtout en montagne, dans le pâturages, les alpes, les forêts et à l’aide des terrassement des versants. En général la population rurale vivait de subsistance même si, de temps en temps, il n’était pas rare pour le paysans de se rendre aux villages majeurs pour y vendre une petite quantité de produits en surplus21. Le passage entre caractère rural préindustriel vers la modernité se concrétise à partir des années ‘40, avec beaucoup de retard par rapport aux régions du plateau Suisse, qui avaient déjà entamé la révolution industrielle au début du XIXème siècle. Il suffit de regarder les statistiques relatives à la population active dans le secteur primaire dans la période 1940-1980 pour se rendre compte su saut de qualité. Si en 1941 la population active dans le domaine agricole et forestier était encore de 21’275 unités, environ le 27% du total, en 1970 celle-ci descend à 5’258, soit le 4,6% du total22. Nous pouvons en déduire que l’agriculture comme activité dépendante n’attire plus les jeunes générations de tessinois. En effet on assiste au passage simultané entre une grande multitude de petites entreprises familiales à quelque peu d’entreprises professionnelles. Ce fait est aussi influencé par les travaux d’assainissement de la plaine de Magadino, déjà entamé au XIXème siècle, et le regroupement des terrains à partir de B. Antonini, Riflessioni sulle trasformazioni del territorio, tiré de U. Elzi, Il Ticino c’entra, 1988, p. 49 21 B. Biucchi, Agricoltura e forze idriche: risorse perdute, ricchezze usurpate, tiré de B. Biucchi, Un paese che cambia, Armando Dadò Editore, Locarno, 1985, p. 114 22 Ibid. p. 113 - nota bene: ces chiffres se refèrent à la population active dépendante et ne prennent pas en compte les membres actifs de la famille. 20

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194623. La diminution des entreprises et le regroupement des terrains sont deux faits étroitement liés. Celle-ci disposent de plus en plus de surface cultivable, des 1,8 hectares en 1955 aux 3,0 hectares en 1975 jusqu’aux actuels 12,7 hectares24. Les travaux d’assainissement des plaines introduisent un élément intéressant dans la lecture des dynamiques liées au travail rural. En effet ils génèrent plusieurs terrains de bonne qualité, dans un environnement très favorable, avec une topographie moins hostile, et finalement facilement cultivables, à proximité des vallées. Il est dès lors évident qu’ils offrent une alternative très stimulantes pour les paysans-bergers qui vivent à proximité. Il s’agit pour eux d’une grande opportunité; il ont pour la première fois une alternative au le travail dur sur les versant, qui produit le stricte nécessaire, qui leur permetterait de se dédier à une production à plus grande échelle avec des conditions de travail bien plus favorables. Nous retrouvons encore dans le pages de G. Mondada un témoignage intéressant qui nous décrit la phase de transition entre exploitation agricole dans la vallée Verzasca et celle de la plaine du Magadino. Il y avait encore, en 1944, un équilibre entre vie dans la vallée et activité dans la plaine, les paysans, très enracinés dans leur territorie, étaient réticents à l’abandonner. Ce témoignage précède les mouvements définitifs vers le bas mais nous donne peut-être aussi une clef de lecture des raisons de ce mouvement progéssif: « - Ah ! - esclamò, ad un dato momento, il vecchio – bisogna sudare in questa valle […] per tirare avanti e fare bella figura! - Non tutti i Verzaschesi però abitano in valle. Molti se ne stanno nei villaggi del Piano di Magadino, a Cugnasco, per esempio – aggiunse Marco. - È vero. Abitano parte dell’anno quassù e parte dell’anno là fuori. Hanno un genere di vita tutto particolare. Ci sono troppi sassi, troppi burroni, troppe rocce qui. E allora come devono fare […] a tirare avanti ? Escono dalla valle e vanno a lavorare dove il terreno è buono, appunto, sul Piano di Magadino e sulle alture che lo circondano. […] Ora, durante l’inverno, tutta la famiglia va ad abitare al piano. Qui è una vera desolazione. Non rimane più nessuno. Tutti i giorni passano sulla via carri di roba, mandre, branchi di capre : son 23 B. Biucchi, Agricoltura e forze idriche: risorse perdute, ricchezze usurpate, tiré de B. Biucchi, Un paese che cambia, Armando Dadò Editore, Locarno, 1985, p. 116 24 Ibid. p. 119

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le famiglie con le loro bestie. […] Giunta la primavera , tutti tornano di nuovo in valle. Ci sono gli orti da sistemare, i prati da pulire. Poi si sale, col bestiame s’intende, sui monti maggenghi. Da questi in giugno, si passa ad una sede superiore, ai monti più alti, ai monti primestivi. In luglio si è sul’alpe […] e le stazioni di discesa si ripetono in senso inverso. In ottobre si giunge in paese. Si terminano i lavori dei campi, si raccoglie lo strame, la legna. Poi si chiude la porta, si mette la chiave sotto e si scende al Piano. Cinque o sei casette deve, quindi, avere la famiglia verzaschese. [...] La valle, ragazzo, è povera. E allora, o bisogna lasciarla, oppure, sia pur a costo di infiniti sacrifici, cercare, al suo sbocco, quanto manca quassù».25

Dans ce contexte nous constatons une fracture importante relative aux traditionnelles activités rurales liées au territorie. La surface cultivable, même suite aux assainissements des plaines, reste assez rare au canton par rapport à l’abondance de pâturages et surfaces de versant. Ces derniers imposaient, par leur conformation, une production agricole liée aux animaux, donc des produits en majorité laitiers ou dérivés du lait. Les conditions plus favorables ne se limitent pas seulement à attirer la majeur partie de la population active dans le secteur primaire vers les plaines cultivées, mais entraînent aussi une substitution importante dans la nature des biens produits par l’agriculture. Si l’on considère la période entre 1956 et 1978 le nombre d’animaux utilisés pour la production de lait et ses dérivés chute de 56%26. Le développement agricole sur la plaine accompagne aussi l’abandon progréssif et paradoxal (le canton est pour le 60% montagneux) des versant et des vallées, qui sont au fur et à mesure reconquis par la forêt27. Cette subversion de la logique productive rationnelle, qui veut un type de production agricole liée au support physique, génère une fracture également dans le rapport entre l’homme et son environnement. Il est inévitable de constater la trace laissée dans le dessin territorial due à ce phénomène. Le groupement des terrains en plaine efface la densité et la diversité du paysage des fonds des vallées et l’avancement des la forêt uniformise et simplifie le dessin des versants montueux. L’assainissement G. Mondada, La casa lontana, Edizioni Pro Ticino, Bellinzona, 1944, pp.131-133 B. Biucchi, Agricoltura e forze idriche: risorse perdute, ricchezze usurpate, tiré de B. Biucchi, Un paese che cambia, Armando Dadò Editore, Locarno, 1985, p. 119 27 Ibid. p. 119 25 26

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des plaine, conçu initialement pour compenser le manque d’agriculture de cultivation, offre simultanément la possibilité aux villages de s’étendre et aux établissements industriels et commerciaux de s’implanter, en générant une multifonctionnalité territoriale qui constitue un paradoxe dans le dessin paysager des plaines28. Ce phénomène s’intensifie au fil du temps et aujourd’hui, par exemple, il n’est pas rare de trouver des grandes surfaces commerciales partager les plaines agricoles avec les centres logistiques, les infrastructures et des vastes tissus d’habitat pavillionaire. Il faut néanmoins noter que à l’origine les pâturages et les forêts dans les vallées étaient généralement un patrimoine collectif, organisés par les collectivités communales, ou patriziati29. Suite au migrations internes la population de ces collectivités diminue sensiblement, ce qui se répercute sur les terrains respectifs. Il n’y a donc plus de renouvellement d’activités dans les pâturages et les terrains agricoles de montagne qui au fur et à mesure perdent la richesse des signes anthropiques. Par conséquent les patriziati se réduisent à une «épave improductive30». En effet, le manque de maintenance des pâturages et des cours d’eau laisse la place aux caprices des événements naturels, en premier l’avancement de la forêt, mais aussi la destruction des manufactures opérés par les alluvions, les glissements de terrain et les avalanches qui éliminent des terrains d’importance autrefois vitale. L’image du paysage régresse, l’effacement des signes de la territorialité abandonné génère un aplat qui entraîne un retour progressif à l’état de l’espace naturel, ou «paysage lunaire»31. Dans les cas les plus graves, on assiste à un action irréversible, c’est-à-dire que certains signe sont tout simplement perdus. Or la perte des signes à long terme peut se traduire dans la perte de la mémoire collective qui fait référence à l’identité d’un lieu ou d’une culture. Paradoxalement le passage de l’agriculture de montagne à l’agriculture de la plaine, à priori sous le signe du progrès, marque une régression dans l’histoire rurale du Tessin32. B. Biucchi, Agricoltura e forze idriche: risorse perdute, ricchezze usurpate, tiré de B. Biucchi, Un paese che cambia, Armando Dadò Editore, Locarno, 1985, p. 116 29 Ibid. p. 121 30 Ibid. p. 123 31 Ibid. p. 122 32 Ibid. p. 122 28

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«La via delle genti» dans la logique internationale La position géographique du Tessin est depuis toujours stratégique dans le contexte international. Avec l’arrivée au début du XIIIème siècle des Walser dans les hautes vallées du Canton Uri on concrétise la perspective d’un axe de transit Nord-Sud à travers le massif du S. Gotthard avec la costruction du premier col. En descendant celui-ci il est possible de parcourir la vallée de Leventine le longu du fleuve Tessin afin de se diriger vers Milan. Cet axe, qui s’étale le long du Canton, offre une des voies les plus rapides dans les flux entre le Nord de l’Europe et l’Italie. Initialement il est emprunté surtout par les pèlerins car les reliefs et les vallées ne permettent pas la construction de routes capables de supporter le trafic des marchandises, c’est pour cela que l’axe du San Gotthard est aussi appelé la via delle genti. C’est bien plus tard que l’importance de ce couloir alpin vers l’Italie est pris en considération pour l’exploitation commerciale et touristique. En correspondance avec la construction de l’axe ferroviaire suisse, en 1882 on inaugure le tunnel du Gotthard, chef d’oeuvre d’ingénierie à l’époque, qui permet les connexions rapides Tessin-Suisse et Europe du Nord-Italie. Ainsi le canton s’ouvre à la dynamique internationale, ce qui donne élan aux phénomènes de développement territorial. Nous avons déjà remarqué les transformations qui découlent de ce fait, transformations qui s’intensifient encore plus dans la période après la deuxième guerre mondiale avec l’amélioration du réseau routier, l’extension de celui-ci et la venue de l’autoroute Chiasso-Airolo, qui permettent de surmonter l’obstacle topographique33. Si, dans un premier instant, l’arrivée du chemin de fer permet le développement des régions touchées par cet axe, avec l’amélioration routière les transformations intéressent aussi les régions plus périphériques et détachées des centres majeurs. La population des paysans-bergers, qui avait déjà entamé la descente vers les plaines suite aux changements dans la pratique agricole, afflue de plus en plus aussi vers les centres urbains. Ces derniers, suite au grand retard accumulé dans l’industrialisation, développent plutôt les activités dans le secteur tertiaire, qui peut compter sur des importantes débouchés intercantonales et transfrontalières. Il est intéresR. Ratti, Il ruolo delle vie di comunicazione e dei trasporti nel Ticino del secondo dopoguerra, tiré de B. Biucchi, Un paese che cambia, Armando Dadò Editore, Locarno, 1985, p. 142 33

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sant de remarquer que la confluence de la population vers ce type d’activité comporte un saut important: d’une occupation rurale à un occupation tertiaire dans les services34. L’ouverture des douanes se révèle toutefois importante pour les rares zones industrielles, surtout dans le Mendrisiotto, qui se concentrent à proximité de la frontière et qui voient l’afflux croissant de main d’oeuvre frontalière à plus bon marché. Nous sommes face à un nouveau bouleversement dans la logique sociale et productive qui contribue au phénomène de déséquilibre territorial. En effet la tertiarisation, le progressif déplacement de la population vers les zones urbaines, en particulier vers Lugano et l’ouverture à la région transfrontalière modifient la position de centralité vers le Sud du canton, ou le Sottoceneri occupe une position de force plus prépondérante. L’arrivé de l’autoroute s’insère dans ce contexte de progressive décentralisation. Commencée dans les années ‘60 et complétée en 1986, elle ne représente bien sûr pas la cause de ce phénomène, pourtant l’influence et le rôle qu’elle joue dans l’intensification de cette dynamique est assez remarquable. Les activités productives s’établissent progressivement e implicitement le long de cette infrastructure et donc dans un couloir et pas dans un réseau. En suivant le tracé du chemin de fer existant, l’autoroute colonise ainsi les fonds etroits des vallées et les bandes éfines de terrain plat entre les lacs et les pieds des montagnes. «Questa grande e ingombrante fascia tende a organizzare l’insieme del territorio secondo un sistema longitudinale, sovrapposto senza tanti riguardi al vecchio sistema fatto di minuscole fasce trasversali, disposte al piano della montagna [...]35», en générant parfois de vrais et propres déchirures dans le dessin territorial et paysager. Dans ce cadre nous remarquons le cas éclatant de Bissone, village étouffé entre la rive du lac et la ceinture de barrières acoustiques qui accompagne l’autoroute qui coupe nettement l’élévation de sa place principale, ou Bellinzona, enfermé dans une véritable île autoroutière. L’infrastructure, et en particulier ses points d’accessibilité, viennent marquer profondément la logique territoriale tessinoise non R. Ratti, Il ruolo delle vie di comunicazione e dei trasporti nel Ticino del secondo dopoguerra, tiré de B. Biucchi, Un paese che cambia, Armando Dadò Editore, Locarno, 1985, p. 142 35 T. Carloni, La grande trasformazione del territorio, tiré de, R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 689 34

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seulement par les ruptures qu’elles provoquent mais également par leur pouvoir d’attraction. Il faut savoir qu’initialement la venue de l’autoroute était saluée avec enthousiasme par la population qui entrevoyait des possibilités de progrès énormes en lien avec cet ouvrage. Les points d’accessibilité à l’autoroute génèrent rapidement des pôles d’activités qui se suivent l’un après l’autre e commencent à former ce que l’on peut appeler «uno spezzone di città diffusa36», ou filiforme entre Chiasso, extrémité Sud du canton, et Biasca, le dernier centre régional avant la montée vers le S. Gotthard37. L’importance de ces pôles produit le développement de secteurs productifs localisés, les terrains sont propices à l’installation d’industries, centres commerciaux, centres logistiques qui colonisent sans cesse les plaines méridionales du canton, en particulier la plaine du Vedeggio, celle du Scairolo, près de Lugano, et celle de S. Martino près de Mendrisio. L’effet de ce phénomène est une prgressive «atopicità dei luoghi38», en effet ces pôles productifs ne dépendent plus des conditions et des spécificités des lieux comme dans l’équilibre préindustriel, mais plutôt il se réfèrent à la logique d’accessibilité. Il est fort évident que la ville diffuse et la mobilité croissante modifient les anciennes relations isotropes entre les lieux en instaurant un régime de dépendance entre centre et périphérie39. Cet fait est exacerbé par le flux déjà en acte de mouvement interne lié aux autres facteurs que nous venons d’analyser. De plus, les pôles productifs ne se limitent pas seulement à accueillir les nouvelles activités mais deviennent aussi destination des délocalisations des dépôts et des activité secondaires qui ne trouvent plus de place en ville e qui consomment beaucoup de territoire. En outre, ce mouvement génère la substitution du secteur secondaire urbain, vrai secteur secondaire cantonal, par le tertiaire. Ce phénomène empire les dynamiques de déséquilibre territorial car l’on voit des activités, autrefois réparties dans le territoire, se concentrer à T. Carloni, La grande trasformazione del territorio, tiré de, R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 689 37 R. Ratti, Il ruolo delle vie di comunicazione e dei trasporti nel Ticino del secondo dopoguerra, tiré de B. Biucchi, Un paese che cambia, Armando Dadò Editore, Locarno, 1985, p. 149 38 Carloni, op. cit., p. 689 39 Ibid. p. 689 36

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des endroit stratégiques40. Il faut noter que ces dernières sont très limités dans leur dimension et ne sont pas en mesure d’accueillir ces types d’activités. Elles se réduisent souvent à des plaines de deux ou trois kilomètres de large où préexistent déjà des infrastructures, des résidus agricoles et où l’avancement du tissu résidentiel enlève beaucoup d’espace précieux. Le dessin paysager des anciennes plaines alluviales qui en découle est tâché par l’apparition des magasins de meubles, des centres commerciaux, des centres de stockage pour hydrocarbures, centres logistiques, etc. Les plaines méridionales du Vedeggio, Scairolo et S. Martino sont les premières à souffrir de ce phénomène, elle sont sensiblement brutalisées par l’accumulation de ces monstres en tôle qui s’établisent et avancent sans une logique de planification apparente. À propos de l’avent et le développement du tertiaire, la connexion vers Milan et, plus en général, le Nord de l’Italie offre au Tessin l’opportunité de devenir le grand centre directionnel de la plus fortement industrialisée plaine padane. Les industries italiennes à nord de Milan sont progressivement régies par des entreprises basées au Tessin avec des capitaux suisses41. On connaît donc assez rapidement un afflux important d’argent vers les banques et les fiduciaires qui au fur et à mesure prolifèrent au Tessin qui saisit parfaitement cette occasion, mais qui finit pour affirmer la place financière de Lugano, qui devienne véritablement la ville pôle du canton. Sur la vague de la tertiarisation et l’afflux de capitaux étranger, Lugano et les régions du Sottoceneri connaissent une forte montée de la valeur foncière ce qui entraîne une intensification sensible de l’édification du type spéculatif en augmentant la fracture qui s’ouvre entre le Nord et le Sud du canton. Il existe finalement un lien étroit entre le développement des axes de mobilité, l’ouverture à la dimension internationale et les impactes du progrès dans le territoire. Le bien-être, entendu comme bien-avoir, exprime dans les années ‘60-’70 toute sa force en laissant des traces bien évidentes sur le paysage du Sottoceneri. Le progrès avance rapidement au dépit des zones périphériques des vallés qui, étant le grand réservoir démographique cantonal, s’évident. Ce bouleversement furieux offre au R. Ratti, Il ruolo delle vie di comunicazione e dei trasporti nel Ticino del secondo dopoguerra, tiré de B. Biucchi, Un paese che cambia, Armando Dadò Editore, Locarno, 1985, p. 150 41 Ibid. p. 150 40

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paysan une perspective de bien-être trop gourmande pour être refusée, ce saut important transforme les sociétés tessinois davantage en acteurs ignares de l’emprise du progrès dans le paysage plutôt qu’en spectateurs de celui-ci. L’avent du tertiaire et l’élan urbain Pour mieux comprendre la relation entre progrès économique et l’explosion de l’édification, il est nécessaire d’analyser plus de près l’avent du tertiaire et l’utilisation du support foncier dans la période entre 1945 et 1980 en relation à la condition de sous-développement du canton. Dans la partie précédente nous avons remarqué que l’ouverture vers l’étranger a engendré des conséquences importantes dans le développement initial du canton et les raisons qui permettent au secteur tertiaire de s’affirmer au Tessin ne font pas exception. Avec cette ouverture le canton s’approche aux logiques de changement économique et politique qui se déroulent en Italie. Au début des années ‘50 l’Italie connaît un boom économique sans précédents qui va se prolonger pour la décennie qui suit et qui gagnera l’appellation de miracolo economico42. Le phénomène des migrations internes italiennes voit le déplacement de plusieurs centaines de milliers de personnes su midi vers le nord de l’Italie et aussi dans les zones proches de la frontière avec la Suisse. Le Tessin profite de manière intense de cette situation en employant beaucoup de main d’oeuvre étrangère qui au final coute peu et qu’on peut taxer à la source sans avoir la préoccupation de devoir fournir des prestations sociales ou des services, choses dont les communes italiennes prennent charge. Il est aussi important de noter que les répercussions les événements politiques italiens auront dans le contexte de tertiarisation du Tessin. La scène politique italienne des années ‘60 est marquée par les luttes syndicales, l’instabilité politique et la montée au gouvernement des partis de gauches d’inspiration communiste. Ce fait tourne à l’avantage du Tessin qui va savoir tirer son bienêtre des malchances italiennes43. En effet la bourgeoisie et la nouvelle classe S. Toppi, La crescita economica (1945-1975): la ricerca di aperture e l’avvento del terziario, tiré de R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 625 43 S. Toppi, La crescita economica (1945-1975): la ricerca di aperture e l’avvento del terziario, tiré de R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casa42

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la Plaine de S. Martino, Mendrisio

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économique italienne craignent cette situation politique et commencent à chercher des endroits sûr et discrets pour pouvoir exporter leur capitaux. De plus, le gouvernement italien approuve, entre autres, certaines mesures d’imposition fiscales sur les bénéfices des entreprises ce qui donne vie au phénomène de l’exportation des surplus qui trouve sa période de majeure intensité en 1963, dans un canton du Tessin, proche et discret, qui se prête très bien aux exigences de la classe dirigeante italienne44. À partir de ce moment jusqu’au 1971, l’afflux des capitaux au Tessin connaît une intensification formidable sur la vague de l’instabilité politique et les craintes qui se vérifient en Italie. Depuis 1960 on remarque que le capital italien stocké au Tessin reste dans les banques où il est partiellement réinvesti, dans le secteur des constructions, ou redirigé vers les marchés européens et du dollar. Ce fait permet aux banques tessinoises de faire le grand saut de qualité et de s’ouvrir à une dimension économique plus globale. Par conséquent, en 1963, naît l’idée d’un plan économique cantonal, inspiré, une fois de plus, aux initiatives du gouvernement italien et qui comporte le développement exponentiel du secteur financier au Tessin. Si l’on considère qu’à l’issue de la deuxième guerre mondiale le secteur bancaire du canton était encore faible et se limitait à quelques peu de secteurs économiques45, dans la période entre les années ‘50 et ‘60 il connaît une véritable explosion. Les instituts cantonaux passent de 10, en 1945, à 15 en 1957 jusqu’au 23 du 1965, sans conter la multitude de banques suisses et étrangères qui viennent s’implanter au canton, en particulier à Lugano. Ce fait amène, entre 1970 et 1980, à l’augmentation des bénéfices par habitant dans le secteur bancaire qui vont dépasser la moyenne nationale de 150%, le Tessin devient donc «una terra di conquista per le banche»46. Ce sont surtout les grandes banques suisses et étrangères, qui opèrent dans le marché international, à tirer les plus grands profit, ce qui supplante bientôt les instituts cantonaux. Le secteur bancaire, en somme, offre une alternative d’occupation gourmande qui va très tôt grande, Bellinzona, 1998, p. 629 44 Ibid p. 629 45 Ibid. p. 633 46 S. Toppi, La crescita economica (1945-1975): la ricerca di aperture e l’avvento del terziario, tiré de R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 633

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combler le vide laissé par le manque d’industrialisation dont le canton souffre depuis des décennies. L’augmentation des personnes actives dans le secteur tertiaire, et en particulier les banques, monte exponentiellement et se voit doubler entre 1950 et 197447. Comme déjà évoqué, ces activités se concentrent en majorité à Lugano qui s’affirme progressivement comme place financière émergente. La ferveur de l’activité bancaire offre aussi les conditions optimales pour le développement d’activités collatérales toujours liée au domaine financier, pour exemple les fiduciaires, les consultations, les brokers, et surtout le milieu immobilière. Les anciennes sociétés des paysans, poussées par la volonté d’améliorer leurs conditions de vie, confluent dans ce centres d’activité en générant une sorte de paradoxe. Ces travailleurs possèdent encore vives les traditions et les modes de vie ruraux liés au territoire, mais ils sont projetés dans une logique globale qui se détache fortement de la dimension matérielle. Ils rentrent dans une territorialité à plus grande échelle qui ne découle plus du support physique. En d’autres mots, l’accès au secteur tertiaire implique des dynamiques qui ne diffèrent pas de celles des marchés mondiaux et qui font référence à d’autres besoins et produits. Si l’on reprend le concept d’état de nature, il est assez frappant de constater que l’on se trouve face à deux états, organique et synthétique, de façon superposée. Si dans la conception “classique” la territorialité est le phénomène immatériel qui accompagne un support matériel, dans ce contexte la la relation s’altère sensiblement. À une territorialité que fait référence au support-Tessin, en voie d’extinction, se superpose une territorialité qui découle du support immatériel de l’économie globale. Le travail ne correspond plus aux exigences qui permettent de survivre dans l’espace naturel à travers l’action territoriale, mais à une pratique qui se déroule en dehors de celui-ci et qui se dédie à l’accumulation monétaire. À partir de cela, le territoire ne représente plus le support nécessaire aux déroulements des actions anthropiques qui génèrent les biens de subsistance, mais devient le support de l’établissement de structures qui opèrent dans une territorialité supérieure qui fais référence à des logiques qui ne dépendent plus des contraintes naturelles. Les conséquences de ce passage nous le retrouvons dans le grand développement qui accompagne l’affirmation des activités bancaires et 47

Ibid. p. 634

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Mendrisiotto 1910, carte Siegfried 1ère Êdition

Mendrisiotto, 2010

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semblables. Au Tessin, entre 1960 et 1970, on remarque une forte propension à la construction, presque un «morbo del mattone48». Le développement des milieux financiers est d’importance capitale pour la création des premières entreprises de construction. Dans la période cité l’on connaît un véritable boom, «sembrava che nel Ticino ci fossero ormai più imprese edili che carriole, tanto era facile improvvisarsi impresario costruttore, trafficante di terreni, mediatore, agente immobiliare49». L’ économie croissante et l’afflux des capitaux préparent un terrain très propice au grand boom édile tessinois. Le développement mono-orienté du secteur tertiaire n’offre au paysan pas beaucoup d’alternatives et celles-ci se concentrent plutôt dans le secteur de la construction. Il y a donc une croissance étonnante de l’industrie du génie civil qui à peu à peu s’affirme comme pilastre économique cantonal. Les investissement par habitant dans ce secteur dépassent rapidement la moyenne nationale, alors que le solde démographique ne suit pas cette croissance. Ces sont principalement les capitaux étranger qui offrent les financement nécessaires à l’avancement du secteur qui, en plus, peut compter sur plusieurs initiatives du domaine publique et privé. En manque de demande en ce qui concerne la construction résidentielle, le secteur immobilier se concentre davantage sur l’édification dans d’autres domaines, on voit ainsi la création d’hôtels, restaurants, dépôts, les centres de stockage à grande échelle, sans grande attention au secteur industriel, manqué, qui est laissé à sa propre décadence50. Le développement intense du secteur de la construction engendre la création de beaucoup d’activités collatérales, en amenant à une situation de “monoculture” avec tous les risques qui en découlent. En effet, environs un cinquième des professions exercées au canton dans la décennie 1960-1970 se concentre da ce domaine. Remarquable dans ce contexte est le développement des activités immobilières qui découlent de l’achat et la vente de terrains. Cette prolifération a des conséquences importantes S. Toppi, La crescita economica (1945-1975): la ricerca di aperture e l’avvento del terziario, tiré de R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 633 49 Ibid. p. 637 50 S. Toppi, La crescita economica (1945-1975): la ricerca di aperture e l’avvento del terziario, tiré de R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 638 48

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sur la réalité cantonale où les parcelles et les immeubles passent en main étrangère ou de la suisse alémanique «trasformando i ticinesi da piccoli proprietari in inquilini e affituari51». Ce phénomène mérite un approfondissement afin de se rendre compte de l’étalement urbain qui caractérise les années ‘60 et qui contribuera à générer la ville filiforme, en provoquant graves déséquilibres urbains et paysagers. Si nous revenons pour un instant su Tessin préindustriel, à cheval entre XIXème et XXème siècle, il faut considérer que les les seuls manufactures qui s’implantaient en dehors des limites des anciens villages étaient liés aux travaux qui s’effectuaient à la campagne, dans le secteur primaire. Le reste, de manière compacte, se limitait à un habitat regroupé de maisons mitoyennes, à cour ou à coursive. Suite aux événements déjà cités nous commencent à voir des maisons d’émigrant ou des industries s’implanter é l’extérieurs des tissus originaux. Ce premier phénomène d’expansion urbaine ouvre les portes à l’idée que la ressource territoriale peut être exploitée dans sa totalité, de manière quasi illimité52. Il y a finalement une rupture significative avec la conception des siècles précédents où le sol était bien inaliénable de l’agriculture, préservé pour pouvoir en tirer le maximum de bénéfice dans un cadre de subsistance. Avec l’avent industriel le besoin de survie se relativise progressivement, l’on ne doit plus produire ce qu’on consomme en respectant les contraintes naturelles. Un scénario semblable avait déjà prédit de manière sceptique avant la deuxième guerre mondiale, l’on craignait l’impact de l’industrialisation intensive et au contraire on exaltait une style de vie rural, simple, fait d’amour vers la patrie, la famille et le travail assidu53. Le monde rural tessoinois se faisait en effet de beaucoup de propriétaires terriers, le terrrain était une question importante, encore plus tu travail e de la rentabilité. Au début du deuxième conflit mondial la propriété n’es pas considérée comme un bien qui doit être investi ou échangé, le vrai capital est le fait même d’être possesseur avec la valeur dignitaire et d’affirmation sociale que cela entraîne54. Pour cette raison il a toujours été diffiIbid. p. 640 T. Carloni, La grande trasformazione del territorio, tiré de R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 675 53 A. Rossi, Da un paese di piccoli proprietari ad un paese di inquilini, tiré de B. Biucchi, Un paese che cambia, Armando Dadò Editore, Locarno, 1985, p. 170 54 Ibid. p. 171 51 52

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cile, au niveau cantonal et communal, de regrouper les terrains finement découpés pour entamer une politique agricole, au final, plus rentable. Ces terrain représentaient pour la population la superposition historique des fatigues, des efforts et des conquêtes familiales. Cette mentalité change avec la progressive décadence du secteur agricole en faveur du tertiaire et la succession des terrains à des héritiers qui n’intentaient plus poursuivre les activités liées au domaine rural, mais qui au contraire souhaitait rentabiliser la cession de ces parcelles aux acteurs immobiliers qui venait d’apparaître. Le phénomène naissant de la spéculation immobilière s’appliquait parfaitement à la nature fragmenté des parcelle qui était facilement échangeables contre des dédommagements provenants des secteurs lié à la construction, comme les architectes, le notables, les banques et les promoteurs immobiliers55. Ce passage de propriété amène a un renversement des logique traditionnelles du rapport au territoire, on passe d’un multitude de petits propriétaires terriers qui vivaient les territoire à peu d’acteurs possédants la pluspart d’un «territorio [...] sperperato, alla stregua di un banale bene di consumo, da uno sviluppo sovente miope e ispirato a criteri prevalentemente utilitaristici e quantitativi56». Suite à la modernisation progressive et le développement économique entamé dans les années ‘50 le terrain devient un bien négociable et source de bénéfice économique57. Ce phénomène s’intensifie jusqu’en 1980 et on voit la valeur du terrain doubler tout les 7,8 ans58. Les immeubles et les terrain entrent dans une logique spéculative de marché dans laquelle ils ne son plus achétés pour être utilisés mais pour être échangés. La structure de la société tessionise passe rapidement à une masse de locataires. Ce phénomène vient s’ajouter aux dynamiques de migration interne déjà en acte et pousse les gens a s’installer autours des centres et dans les aires productives, se trouvant au dessous de la ligne de 500 m d’altitude. Les vallées et les territoires anciennement vécus par les paysans deviennent le grand réservoir démographique du tertiaire. Cette accumulation de personnes dans les plaines et les fonds des vallées implique l’étalement Ibid. p. 172 B. Antonini, Riflessioni sulle trasformazioni del territorio, tiré de U. Elzi, Il Ticino c’entra, 1988, p. 50 57 A. Rossi, Da un paese di piccoli proprietari ad un paese di inquilini, tiré de B. Biucchi, Un paese che cambia, Armando Dadò Editore, Locarno, 1985, p. 172 58 Ibid. p. 172 55 56

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urbain des villages qui débordent dans les terrains agricoles et font reculer les forêts de basse montagne. L’afflux continu des tessinois provenants des montagnes et vallées s’ajoute au solde migratoire déjà très important et, si on considère cela dans le cadre de l’implantation de grandes surfaces d’activités, cela se traduit dans une forte expansion tu tissu bâti qui se prête assez mal à la topographie du canton avec ses rares plaines. Cette urbanisation constante, entamé dans les années ‘50, s’approprie des terres autrefois travaillés par les paysans-artisans qui habitaient la plaine au pied des montagnes. Ces lieux deviennent progressivement l’expression de la fureur économique et de la difficile gestion des flux migratoires qui transforment un territoire anciennement bien lisible, aussi dans son paysage, dans un ensemble chaotique et hyperfonctionnel. Nous remarquons, une fois de plus, comment le progrès au niveaux immatériel, consiste à une régression au niveau d’organisation territoriale et de dessin paysager. Un cercle vicieux vient alors s’instaurer, le désir d’améliorer ses propres condition de vie se traduit inconsciemment dans l’affaiblissement de celle-ci. Mis à part quelque rare exemple de dessin urbain dans les villes principales, l’avancement urbain ne suit presque aucune logique de planification territoriale e se limite à peu de typologies bien définies, dont la maison familiale et l’immeuble d’appartements à 5, 6 ou 7 étages59. Au nouveau qui avance furieusement s’accompagne la progressive substitution de l’ancien, logique typiquement tessinoise, afin peut être d’effacer l’honte et de renier ce passée pauvre et sous-développé , quand le soir on rentrait les mains sales à la maison, pour donner une nouvelle image plus propre et brillante d’un cantone da bere60. C’est ainsi que dans les vieux centre-villes l’on démolit des quartiers entiers, les anciens bâtiments tombent l’un après l’autre et laissent la place, au nom de l’hygiène, aux immeubles commerciaux, les boutiques, les banques en engendrant une dangereuse perte de patrimoine et de mémoire historique. Outre le phénomène de l’étalement urbain continu à basse altitude, nous voyons l’émergence d’une autre logique qui changera drastiquement le dessin paysager spécialement des zones lacustres. Progressivement 59 T. Carloni, La grande trasformazione del territorio, tiré de R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 682 60 En référence à une expression utilisé dans les médias italien pour décrire la période du bienêtre diffus qui intéressait la ville de Milan dans les années ‘80. L’expression est reprise d’une pubblicité assez fortuné de 1985.

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les versants des montagnes bien exposés et bénéficiants d’une vue sur le lac, deviennent le terrain optimal pour la prolifération du marché des résidence secondaires, les maisons de vacances et les villa de luxe. Ces parcelles autrefois cultivés de vignoble ou occupés par les animaux sont rapidement vendues offrant à la ville une possibilité, très rentable, d’expansion vers le haut. Les contours du cadre lacustre commence a souffrir de cette conquête urbaine qui le plus souvent est désordonnée, très vite les rues son agrandies ou construites et les villas et immeubles commencent à se chevaucher dans un tissu ouvert et non organisé qui se distingue par l’absence quasi totale d’espace publique. Il faut se souvenir que jusqu’en 1972, avant l’arrêté fédéral urgent en matière d’aménagement territorial, les terrains boisés étaient encore potentiellement constructibles. Le résultat de ce processus d’urbanisation, sur l’élan de la croissance du tertiaire, génère plus du désordre que de la qualité urbaine et architecturale. Hormis quelque rare exemple de bonne intégration dans le contexte paysager, l’on assiste pour la plus part à la construction d’objets individualistes, qui ont l’air d’avoir tout simplement dispersés avec peu de soin envers le support61. La structure urbaine conséquente par l’utilisation des deux typologies de bâtiment génère un tissu ouvert qui grandit par simple addition, dans la plaine, et par accumulation en colline. Dans la plus part de cas, cette organisation spatiale se détache du tissus traditionnel de ces zones qui voit des maisons regroupées ou mitoyennes. Le passage net se fait de la vie communautaire de la maison à cour du Mendrisiotto, par exemple, à l’immeuble individuel de 7 étage, avec parking, entouré par un petit jardin, clôturé par une haie ou pire par un mur. Les nouvelles rues prêtent peu d’attention aux caractéristique morphologiques du territoire, notamment celles qui grimpent sur les versants, et les espaces publics sont négligés, l’espace urbain consiste à une suite gratuite de constructions diversifiées balcons, voitures garés, panneaux publicitaires. T. Carloni nous fait une bonne description de ce nouveau type d’urbanisation, «il palazzo era un semplice accatastamento di appartamenti di 3 o 4 locali attorno alla tromba delle scale e dell’ascensore, con i servizi strettamente indispensabili, un minuscolo scompartimento di cantina e una lavanderia comune da usare a turni cortissimi. Era nato cosi l’Existenzminimum alla ticinese, non a opera di filantropi proccupati dell’alloggio di massa ma 61

Carloni, op. cit., p. 683

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per mano di imprenditori intraprendenti»62. L’ancien paysan projeté dans le secteur tertiaire devient un employé, technicien ou professionnel, ce saut se traduit largement dans l’autre typologie fortement répandue, la maison familiale, inspirée à la villa bourgeoise. Généralement située au centre de la parcelle et entourée par un petit jardin, ces maisons présentent les mêmes caractéristiques quoique soit leur position dans le territoire. Elles se posent sur un petit socle, elles ont un toit à deux ou quatre pentes, des couleurs plus ou moins agressives «rieccheggianti lontanamente la tradizione63». Cette uniformisation totale du modèle d’habitat engendre l’aplatissement de toutes les particularités régionales qui sont caractéristiques du canton. Le dessin architectural des villages dans leur forme disparaît lorsque ceuxci s’entremêlent et la conséquence immédiate que l’on perçoit est la perte du patrimoine varié qui, jusqu’au deuxième après-guerre, avait distingué les valeurs identitaires du territoire. Il faut néanmoins considérer que ces typologies fonctionnent aussi grâce à l’apparition de la motorisation individuelle qui, au Tessin, est très importante dans ses chiffres et qui rend les distances relatives. L’implantation de ces bâtiments peut donc se faire de manière indépendante des caractéristiques morphologiques, ce qui favorise l’étalement urbain dans toutes directions64.Encore une fois c’est Hermann Hesse qui s’aperçoit, peut-être en premier, des effets de l’éclat économique et urbain tessinois, dans ses mots nous retrouvons résumés tous les éléments que nous venons de voir : «Tutte le volte che ritorno sulla mia collina ticinese dopo mesi di assenza – e tutte le volte nuovamente sorpreso e commosso dalla sua bellezza – di primo acchito non ho la sensazione di essere semplicemente di nuovo a casa. […] Non basta disfare le valigie [...], bisogna dare un’occhiata in giro per vedere se c’è stato qualche cambiamento ancora, nei sei mesi della mia assenza, e di quanti passi è avanzato il progesso che poco a poco spoglia questa amata regione dell’innocenza che ha conservato così a lungo per colmarla dei benefici della civiltà. Ecco, vicino alla valletta più in basso tutto un pendio boscoso è stato raso a zero e vi costruiranno una villa e hanno allargato la T. Carloni, La grande trasformazione del territorio, tiré de R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 683 63 Ibid. p. 687 64 T. Carloni, La grande trasformazione del territorio, tiré de R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998 p. 687 62

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nostra strada dove c’era un tornante e così hanno assestato il colpo di grazia ad un incantevole, antico giardino. Gli ultimi omnibus a cavalli non esistono più, li hanno soppiantati le automobili, e le nuove corriere sono troppo grandi per le nostre vecchie, anguste stradine. […] Ahimè, non potrò più scendere ai margini del bosco di Liguno, il mio posto preferito per dipingere : uno straniero ha comperato prato e bosco e l’ha recintato col fil di ferro e là dove svettavano alcuni frassini adesso si sta facendo costruire il garage. […] Passa in fretta il tempo... i ragazzini scalzi che vedevo correre a scuola anni addietro, quando mi stabilii nel villaggio, adesso sono già sposati, oppure vivono a Lugano, o Milano, seduti giorno dopo giorno davanti alla macchina per scrivere […] e intanto i vecchi di allora, gli anziani del villaggio, a uno a se ne sono andati. […] Un giorno o l’altro anche questi vecchissimi muri cadranno, anche questi begli angoli tenebrosi e antigienici saranno abbattuti e al loro posto vedremo il cemento, l’igiene, e i grammofoni e gli altri beni della moderna civiltà, sopra le ossa della vecchia Nina sorgerà un albergo con il menu in francese, oppure un tale di Berlino si farà costruire una villa65».

Le tourisme L’affirmation nationale et internationale du Tessin comme endroit touristique produit autant d’effets bénéfiques que de paradoxes dans le territoire. En ce qui concerne les grandes saisons touristiques tessinoises, nous remarquond deux grandes périodes assez distinctes. La première s’insère dans le plus grand contexte de la découverte des stations balnéaires de la méditerranée et des lieux touristiques dans les Alpes à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle, allant jusqu’aux premières décennies du XXème siècle. La deuxième comprend l’adaptation de la façon de faire tourisme à partir de la crise financière de 1921 et du deuxième aprèsguerre. Comme déjà évoqué le Tessin se trouve dans la logique de transit entre Nord Europe et l’Italie, et donc connaissait depuis longtemps, avant même le tourisme, le passage de viandants et pèlerins. Ils existaient des formes primordiales d’auberges assurant l’hébergement de ceux qui se déplaçaient le long de l’axe du Gotthard.66 C’est en effet seulement avec la naissance de ce type de tourisme plus moderne au XIXème siècle que le H. Hesse, Ticino, Edizioni Gottardo, Giubiasco 1980 pp. 71-74 C. Ferrata, La fabbricazione del paesaggio dei laghi, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 2008, p. 53

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Occupation des versants, Lac de Lugano

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Locarno, espace urbain

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Lugano, espace urbain

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Tessin, capable de fasciner avec ses morphologies les passants, commence à développer son propre secteur touristique.67 La redécouverte romantique des Alpes et le climat particulier ne tarderons pas longtemps à devenir des ressources précieuses à exploiter dans le canton. C’est peut être avec les poètes et les écrivains que pour la première fois l’on découvre les régions des lacs subalpins. Si le lac Majeur et le Lac de Côme gagnent une certaine popularité, le Lac de Lugano reste encore difficilement accessible.68 Les villages lacustres s’affirment à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle comme des stations d’acclimatation intermédiaires, nous parlons de tourisme hivernal, avant de rejoindre les localités maritimes du Sud. Dans ce contexte, ce sont d’abord les stations lacustres italiennes à s’affirmer, alors que pour le développement des stations de Locarno et Lugano il faudra attendre la construction du réseau de chemin de fer du Gotthard, ce qui permettra de placer ces deux villages parmi les hauts lieux du tourisme international.69 Le secteur émergent du tourisme devient pour le canton, en quelque sorte, le substitut de l’industrie. Ce qui manquait aux tessionis était surtout l’expérience et le savoir-faire dans le secteur, aussi bien que les capitaux nécessaire à doter les pauvres villages lacustres de structures adéquates. C’est ainsi que commence la venue d’entrepreneurs allemands et suisse allemands, bien plus préparés et gourmands, capables d’investir dans le potentiel tessinois. La croissance du secteur qui en découle est formidable, entre 1880 et 1920 le nombre d’hôtels croît de dix fois, de 20 unités à 208.70 Ches chiffres nous demontrent le succès de la région qui commence à devenir une destination et non plus un lieu de passage. Herman Hesse saisit la croissante popularité que le canton gagne parmi les visiteurs: «In tempo di pace, quando i nostri compatrioti arricchiti erano ancora liberi di viaggiare a loro piacimento, non se ne contava uno, nel Sud, durante l’estate. Correvano oscure voci che vi facesse un caldo insopportabile e v’imperversassero i più i più impensabili flagelli e allora preferivano passare i mesi caldi gelando al Nord, o in un albergo alpino a duemila metri d’altitudine. Adesso è diverso e quelli Ibid. p. 54 Ibid. p. 55 69 Ibid. p. 57 70 C. Ferrata, La fabbricazione del paesaggio dei laghi, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 2008, p. 58 67 68

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che hanno avuto la fortuna di esportare al Sud la propria persona e i profitti di guerra vi rimangono e godono, sotto l’onnitollerante sole di Dio, le beatitudini dell’estate meridionale»71.

Sur la vague du succès du tourisme lacustre, le tentatif est de rendre appétissantes aussi les zones internes au canton, dans les vallées et les montagnes. C’est ainsi que des bain thermaux voient le jour en Valle di Blenio et Faido s’affirme pendant quelques temps, grâce à la bourgeoisie milanaise, comme station touristique au niveaux de St. Moritz.72 Malheureusement ce type de station n’aura pas le succès des stations lacustres qui restent reines du tourisme cantonal. La fureur touristique de la première saison s’interrompe brusquement suite aux conflits mondiaux et la crise de 1929, ce qui affaiblit les flux vers les localités touristiques. Toutefois C. Ferrata nous rappelle que désormais «i riferimenti paesaggistici erano stati posti, molte importanti strutture edificate e il turismo ticinese aveva acquisito quei tratti che lo avrebbero caratterizzato per tutto il Novecento73». Il est bien de se souvenir que le touriste qui se rendait au Tessin provenait de l’Angleterre, l’Allemange, la Russie etc... des dimensions très différentes aussi bien dans la culture que dans l’échelle et le progès. Cette diversité se résumait dans un modèle touristique idéal, se traduisant dans une demande standard d’infrastructures et commodités, peu importe si au Tessin au en Côte d’Azur, auxquelles il fallait répondre. Hermann Hesse donne un portrait de ce prototype, en 1925 parlant de la ville de vacances dans le Sud. «Rappresenta, benché sia fra le minuscole, una delle imprese più redditizie del moderno spirito d’intraprendenza. La sua disposizione e il modo in cui è stata costruita poggiano su una sintesi geniale che soltanto i più esperti, a dir poco, fra quanti conoscono la psicologia della metropoli avrebbero potuto concepire, a meno che non la si voglia definire addirittura un’emanazione diretta dell’anima cittadina, o un suo sogno tradotto in realtà. Perché qui trova espressione concreta e ideale tutto ciò che ogni spirito di abitatore della grandecittà brama di trovare quando pensa alle proprie ferie e alla natura74». H. Hesse, Ticino, Edizioni Gottardo, Giubiasco 1980 pp. 7-9 Ferrata, op.p cit., p. 58 73 C. Ferrata, La fabbricazione del paesaggio dei laghi, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 2008, p. 60 74 H. Hesse, Ticino, Edizioni Gottardo, Giubiasco 1980 p. 59 71 72

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Les visages de Locarno et Lugano changent sensiblement dans la tentative de ressembles le plus possible à ce modèle idéal. Avant-tout le rapport avec le lac, dans le cas de Lugano, est subverti. Dans la conformation traditionnelle du bourg, le village est introverti, à l’exception de la grande place, avec des portiques et des places s’ouvrant sur le tracé interne des rues et ruelles. L’interface au lac correspond pour la plus part avec l’arrière désordonné des maisons et les rives ne correspondent à rien de plus qu’une étendue de sable ou l’on pose les bateaux de pêche. Suite à l’exploit touristique cette interface sera complètement redessinée, l’élévation côté lac s’enrichit par les façades monumentales des grands hôtels qui contrastent avec l’échelle des maisons traditionnelles à deux ou trois niveaux. La promenade au lac est totalement reconstruite avec un quai surélevé qui s’étend le long de la baie jusqu’aux pieds du San Salvatore accompagnée par des rangés d’arbres en style de boulevard. Les hôtels-palace éclairés électriquement, avec ascenseurs et eau chaude se disposent linéairement le long du nouveau quai, au delà d’une nouvelle grande route carrossable. La relation physique directe avec le lac s’interrompe par ce geste, l’eau n’est plus accessible et se trouve à un niveau inférieur par rapport aux balustrades, ce qui comporte la théâtralisation de l’espace lacustre, passant d’un espace de travail et nourriture, donc un espace territorial, à un bien commercial.75 De plus, le long des rives on voit l’apparition de jardins exotiques, belvédères, et chemin de fer à crémaillère grimpants sur les sommets des montagnes autour des baies, mettant en scène le paysage du lac. «Lungo la riva si dondolano le barche, lungo il margine del lago si snoda la passeggiata, un viale a due corsie, la più vicina all’acqua riservata ai pedoni, sotto l’ombra degli alberi che paiono potati col cesello ; quella interna battuta dal sole, calda e accecante e invasa dal traffico in un viavai di omnibus degli alberghi, di automobili, di tram e di carrozze. Ed è su questa strada che si compendia la piccola città di vacanza, una città con una dimensione in meno delle altre perché si estende in lunghezza e in altezza ma non in profondità. Consiste in una spessa, orgogliosa cintura di alberghi. Ma dietro questa fascia si trova […] il Sud autentico, [...] dove sul mercatino dai forti odori vendono ortaggi, pollame e pesce, dove i ragazzini scalzi giocano al C. Ferrata, La fabbricazione del paesaggio dei laghi, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 2008, p. 70

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pallone con i barattoli di latta e dove le madri [...] lanciano a gola spiegata i sonori, classici nomi dei figli76».

Parallèlement à la construction des grands hôtel, une ville alternative faite par des villas bourgeoises, en utilisant les plus différents style architecturaux, se développe afin satisfaire la demande des touristes qui désirent passer au Tessin des séjours plus longs. Cette ville pavillonnaire se détache des noyaux historique des villages et contraste avec la dimension rurale et pauvre des habitants de l’époque. Cette même dimension de sous-développement propre au territoire tessinois est pourtant nécessaire afin de rendre cet idéal du Sud naturel et encore un peu sauvage authentique. En réalité l’image du lieu qui en découle est parfaitement fictive, au vu du fait que la réponse aux conditions des confort standard génère des villages aussi bien standard et où la réalité matérielle «coincide con le aspirazioni estetiche e etiche di un soggetto.. […] La fabbricazione di questi luoghi è dunque il risultato della ricombinazione di diversi elementi presenti nella realtà in funzione del modello di riferimento che viene proiettato sul luogo ideale. Un grande bricolage insomma77». Lugano et Locarno ne diffèrent plus beaucoup entre elles, et non plus par rapport à Côme ou d’autres villages lacustres. Une contradiction importante surgit dans l’application du modèle idéal du village lacustre. Encore une fois c’est à partir des mots de Hermann Hesse que nous pouvons développer quelques reflexions: «È cosa nota che il cittadino nutre una vera passione per la natura, per i luoghi idilliaci, per la tranquillità e per la bellezza. Ma è altrettanto risaputo che tutte queste belle cose, [...] non gli piacciono affatto, non riesce a sopportarle. E siccome, [...], si è messo in testa che le vuole [...], gli hanno costruito qui una natura denaturara, [...] una natura da godere senza pericolo, una natura igienica, una natura che non è più natura. [...] Il surrogato di natura che il cittadino contemporaneo esige dev’essere immancabilmente autentico, [...] per la primavera e per l’autunno, un Sud che corrisponda all’idea che se ne fa e dei suoi bisogni78».

H. Hesse, Ticino, Edizioni Gottardo, Giubiasco 1980, pp. 61-62 C. Ferrata, La fabbricazione del paesaggio dei laghi, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 2008, p. 65 78 H. Hesse, Ticino, Edizioni Gottardo, Giubiasco 1980, pp. 59-60 76 77

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Le touriste est fasciné par les particularités du paysage lacustre d’un lieu, sa morphologie, sa sphère culturelle, mais n’as aucune intention d’en faire partie, d’accepter en quelque sorte ses conditions de territorialité. Il prétend vivre dans la tranquillité de l’hygiène et la haute cuisine offerts par le modèle idéale de village lacustre, construit sur mesure pour lui offrir une nature à la carte. Ce détachement volontaire de la réalité matérielle et immatérielle d’un lieu provoque la pertes implicite des traits sémiotiques, les rendants pas plus qu’un décor. Sans aller plus loin dans le discours, l’image d’un lieu commence à prendre plus d’importance que sa réalité, chose plus difficilement commerçable. Ce phénomène est très évident si on se permet une petite digression pour feuilleter les différents manifestes publicitaires des villages non seulement lacustres tessinois. Les premiers sont publiés en correspondance à l’ouverture du tunnel du Gotthard, témoignent des lieux qui sont maintenant accessibles. La présence de bateaux à vapeur, trains, funiculaires donne l’image contradictoire d’un Tessin moderne. Dans la première partie du XXème siècles les images racontent de nature proliférante, plantes éxotiques, lacs, clochers, vues magnifiques à travers des arcades. Dans les années ‘40 le Tessin est montré pour les activités de loisir qu’on peut y pratiquer, la balneation, le golf, tennis, la randonné. Les vues sont pour la plus part trompeuses, avec perspéctives exagérées, ou en déplaçant les éléments du paysage, le tout au service du village idéal. Elles se composent par des éléments réels et fictifs, maisons, montagnes, lacs, pêcheurs, etc. assemblées dans un dessin qui évoque une espèce de village analogue, au sens de Aldo Rossi, un village qui n’existe pas mais qui pourrait exister car il incarne toutes les images existantes du le territoire. C. Ferrata à ce propos décrit ces éléments du cadre «come le tessere di un puzzle, [...], giungono a orginiare un’immagine complessiva che chiamiamo “paesaggio ticinese”. Questo deve essere visto come il prodotto di una “fabbricazione” che ha dapprima costruito e poi diffuso uno “standard paesaggistico”, un’immagine operativa ad uso e consumo del turismo e non solo, visto che ha pure assunto dimensioni identitarie79». Cette propagande faite de clichés est certainement partie d’une logique publicitaire, mais peut être représente 79 C. Ferrata, Paesaggi di carta. Rappresentazione del territorio e identità nel manifesto turistico luganese della prima metà del Novecento, tiré de A. Gili, D. Robbiani, Tessin Ticino: Fiera svizzera di Lugano 1933-1953, Lugano, 2013, p. 222

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aussi un premier symptôme nostalgique envers des symboles qu’on considère partie identitaire du territoire et de la culture tessinoise. Suite aux conflits et à la crise économique mondiale la première saison du tourisme tessinois laisse la place à une nouvelle forme de toursime assez différente. Il ne s’agit plus du tourisme élitaire des grandes bourgeoisies européennes, séjournant pendant des semaines et des mois sur les rives des lacs. Le tourisme devient progressivement un phénomène de masse, et se concrétise aussi dans la construction de maisons secondaires. Ce fait rend presque obsolètes les grands palace Luganais et Locarnais, qui seront au fur et à mesure fermés, transformés ou remplacés. Cette dynamique, encore d’actualité, efface lentement les traces de la période héroïque du tourisme notable qui a intéressé le territoire. Les anciens colosses laissent graduellement la place aux immeubles et villas plus récents, moins suggestifs dans leurs linéaments architecturaux et certainement moins unitaires dans leur ensemble. Ces nouvelle constructions commencent à coloniser les versant des montagnes en relation avec le lac, comme déjà évoqué dans les sous-chapitres précédents. L’explosion de ce phénomène génère des changements importants dans le dessin des panoramas lacustres. Les anciens villages, accrochés aux versants et entourés de terrasses et fruitiers, disparaissent dans la masse bâtie qui grimpe sans cesse de la rive jusqu’à la forêt au sommet des montagnes. Ceci se produit grâce à la vente des terrains agricoles et de l’avent des acteurs économiques déjà cités. Si les régions lacustres sont victimes peut être de leur succès historique, les régions de montagne et internes au canton connaissent un phénomène de colonisation semblable, à l’apparence moins invasif. Les morphologies des vallées, la nature encore sauvage, et l’air de ce Tessin encore rural et identitaire constituent une grande ressource touristique pour les régions jusqu’à ce moment ignorées par le grandes dynamique touristiques nationales et internationales. Il y a une course aux rustici, les maisons et les constructions utilitaires vus en ouverture du chapitre et caractéristiques des vallées gisant en état d’abandon ou semi-abandon. La restructuration, plus ou moins respectueuse, de ces maisons offre des nouvelles perspectives touristiques aux régions périphériques sans sans trop cacher des dangers. La progressive confusions des traces du passé dans le magma des régions lacustres et de la plaine pousse les 97


Daniele Buzzi (1947), tirÊ de M. Fazioli, O. Galli, Manifesti sul Ticino, Armando Dadò Ed., Locarno, 1982

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Franco Barberis (1940), tirÊ de M. Fazioli, O. Galli, Manifesti sul Ticino, Armando Dadò Ed., Locarno, 1982

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tessinois, descendus vers les centres à la recherche de meilleures qualité de vie, à remonter mélancoliquement les vallées dans les week-ends et pendant les vacances, à la recherche du souvenir identitaire et du rapport avec la nature perdus80. T. Carloni trace une image fortement critique de ce phénomène: «Le costruzioni, nella loro arcaica, necessaria bellezza, erano frutto della penuria e della fatica. Pietre, pietre, pietre e un po’ di legno. [...] E adesso?. I monti si raggiungono il venerdì con il fuoristrada carico di scatolame, casse di birra, bottiglie di bianco, pezze di costine, pacchi di carta igenica e pampers, detersivi, deodoranti: tutto quello che i vacanzieri previdenti muniti di carta di credito possono ammucchiare nel carrellone del supermercato più vicino. Lassù li attendono cucine lustre e attrezzate, pannelli solari, televisori, letti di legno svedesi, soffici trapunte. [...] Essendo l’architettura e il territorio lo specchio della società che li produce è evidente v’era una grande coerenza tra i rustici dell’antica civiltà contadina e i loro operosi proprietari, così come c’è una grande coerenza tra gli ex-rustici di vacanza e l’attuale società di accaniti consumatori, cui tutti apparteniamo, nessuno escluso81».

Parallèlement a ce fait, il y a la découverte du Tessin rustique aussi par le suisses allemands et les allemands en particuliers, qui s’insèrent eux aussi dans cette course frénétique. Grâce aussi aux améliorations des connexions, les vallées deviennent alors rapidement des simples lieux de loisir.82 Ce fait contraste avec le caractère hostile que historiquement avait rendue les condition de vie des poulations des vallées plus que précaires. Le rétour dans les vallées comme lieu de loisir représente en quelque sorte un sentiment d’affirmation envers la montagne enfin domestiquée. Le phénomène des rustici se développe surtout dans les années ‘60 et ‘70, en correspondance avec la forte urbanisation non seulement tessinoise mais aussi de la plaine suisse et des macrorégions européennes. L’emT. Carloni, La grande trasformazione del territorio, tiré de R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 682 81 T. Carloni, Pathopolis, riflessioni critiche di un architetto sulla città e il territorio, Bellinzona, 2001, pp. 72-73 82 R. Ratti, Il ruolo delle vie di comunicazione e dei trasporti nel Ticino del secondo dopoguerra, p. 152 80

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ployée de commerce cherche à fuir les milieux densément urbanisés et retrouve dans le Tessin abandonné «genuinità dei materiali e di sapori, illudendosi sovente di ri-rivivere alla maniera antica in un mondo che era, di fatto, un mondo di morti. […] All’interno di case e stallette s’installavano poi bagni, cucine americane, frigoriferi, televisori, in modo crudamente contraddittorio rispetto al sogno originario di riesumare e praticare forme di vita all’antica83». La particularité de cette deuxième saison touristique est aussi le fait que les tessinois même y participent, les mêmes qui avaient généré l’abandon de ces lieux. Si nous observons les deux grandes vagues touristiques, nous remarquons certaines similitudes dans l’approche au paysage et les répercussions sur les territoires. A la fois la bourgeoisie et les notables qui séjournaient dans les hôtels-palace sur la rive du lac et ceux qui rénovent les rustici sont poussés par la fascinations qu’ils prouvent pour le paysage, ou du moins de l’image qu’ils ont de celui-ci. Le désir de rapprochement à la nature sauvage, hostile et intimidatrice révèle des fortes sensations qui effleurent le concept du sublime. Pourtant, soit la bourgeoisie au lac, soit ceux qui remontent les vallées n’acceptent pas les conditions et les contraintes qui découlent de l’environnement et de la territorialité de ces lieux. De façon analogue à la naissance du village lacustre idéal, dans les vallées commencent à proliférer les images rustiques idéales, faisant référence à d’autres modes de vie, appartenantes autrefois au Tessin nostalgique et désormais perdues. Ces modèles standard sont très ambigus et dénaturent les conditions territoriales des lieux, le système d’adhésion-harmonisation vacille dans un processus de fabrication de paysages où les anciennes maisons et les étables deviennent des objets fictifs, parce que au final ce qui compte est l’image d’ensemble qui les contient, effaçant des traits de territorialité et en plastifiant les sémiosphère qui en font partie. À l’issue de ces considérations nous voyons l’émergence de deux faces du territoire. Le Tessin relégué en dessous des 500 mètres souffre inconsciemment de la dévastation qu’il a opéré en effaçant des traits territoriaux caractéristiques importants. Il ne se reconnaît plus dans la réalité matérielle qu’il produit et a peur de ne plus pouvoir s’identifier T. Carloni, La grande trasformazione del territorio, tiré de R. Ceschi, Storia del Cantone Ticino - Il Novecento, Edizioni Casagrande, Bellinzona, 1998, p. 681 83

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dans la mémoire collective. Il cherche alors de produire des images, bien sur fictives, du territoire et il opère pour faire en sorte que la nouvelle réalité matérielle ressemble le plus possible à ce désir, qui n’est rien d’autre que nostalgique. De l’autre côté nous voyons le Tessin ignoré par les logiques du développement, sain et sauf on dirait. Pourtant il périt dans son état d’abandon et reçoit les projections des images du Tessin nostalgique. Dans les deux cas la régression du paysage tessinois est manifeste.

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Cevio

Boschetto

Corippo

Plaine de Magadino Les lacs (Lac Majeur)

Gandria Les lacs (Lugano) Bissone

Lieu visité Lieu visité et documenté

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Méride Rancate


3. Etat des lieux

Le travail en situ nous permet de constater sur place les effets et les contradictions des différents changements décrits. La structure des visites de divise en deux parties, faisant référence au Tessin nostalgique et au Tessin abandonné. La partie consacrée au Tessin nostalgique traite des trois villages et deux macrorégions. Rancate permet de confronter le tissu bien conservé et représentatif de la région avec les effets de l’avancement de l’urbanisation sur la Plaine de San Martino, aujourd’hui une des zones plus sensibles à la dégradation territoriale. Bissone incarne l’esprit du village lacustre, avec les traits de son ancienne territorialité liée à la pêche. L’étude de ce village pose l’accent sur les interventions peu respectueuses qui on lieu vers la fin du XXème siècle et en particularité l’impact de l’infrastructure. Gandria se trouve près de Lugano dans le contexte de dégradation du paysage lacustre. Toutefois il semble y échapper et garder ses caractéristiques paysagères. L’étude des macrorégions complète la partie du Tessin nostalgique, en montrant tous ses paradoxes à la grande échelle. En ce qui concerne la partie dédiée au Tessin abbandonné, les villages choisis s’implantent tous autour de la ligne des 500 mètres d’altitude. Ce fait nous permettra de voir que certaines situations représentent des ambiguïtés ou des exceptions à cette règle. Les villages de Cevio, Corippo et Boschetto témoignent de la situation dans les vallées du Nord du Tessin, celles qui on connu le dépeuplement et l’abandon. Meride se situe dans le Mendrisiotto, non loin de Rancate, dans un contexte de proximité avec les dynamiques de croissance. 105



3.1 Le Tessin nostalgique

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Il Mendrisiotto è, nel Ticino, la regione agricola per eccellenza. Tra Mendrisio, Balerna e Stabio si incontrano estesi campi di granturco, frumento, patate, tabacco, ortaggi ed estesi prati. […] I villaggi, cari villaggi genuini, non ancora manomessi dall’incomprensione del forestiero, raggruppano attorno ai loro campanili […] un notevole numero di case coloniche: case col tetto di embrici rossi, coi muri di mattoni e calce, rossigni come la terra, dai bei portici al sole, ove si ripongono, dopo il lavoro, gli attrezzi campestri, e, sul finire dell’estate o in autunno, le foglie di tabacco oppure il frumento o il granturco.1

1

G. Mondada, La casa lontana, Edizioni Pro Ticino, Bellinzona, 1944, p. 169

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Rancate

La commune se trouve dans la partie méridionale du canton, à peu près au centre du Mendrisiotto. Le bourg est implanté sur le côté ouest de la Plaine de San Martino au pied de du versant de la montagne. La position un peu surélevé par rapport à cette dernière met Rancante en relation visuelle avec la ville de Mendrisio, occupant le versant opposé. La structure urbaine du village est fortement influencée par le tracé routier, en particulier par une route de transit qui dessine la directrice principale de croissance du bâti. L’ensemble du village se compose quasi exclusivement par des maison mitoyennes à coursive additionnées dans un tissu qui rayonne depuis la route principale en suivant les ramifications perpendiculaires du tracé routier secondaire. Cette structure particulière donne lieu à plusieurs cours, parfois fermées et, dans la partie terminale vers l’extérieur, parfois ouvertes. Les maisons sont en règle générale de trois ou quatre niveaux et s’additionnent sans interruption sur toute la longueur du village, en laissant des ouvertures seulement en correspondance des routes secondaires latérales. L’image de la rue principale est plutôt forte, elle n’est pas parfaitement rectiligne et ne laisse pas entrevoir sa fin. De plus la perspective est donné par la succession de portes, portails, fenêtres et volés; toutes différentes mais respectant une précise unité du front bâti [1109


[7] [6] [5] [4]

[3]

[2]

[1]

Rancate - relevĂŠ typologique, tirĂŠ de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 157

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2]. Les maisons exprimemt leur diversité d’expression architecturale plutôt vers l’intérieur, le côté donnant sur la cour, avec déclinaisons différentes de loggias, coursives, arcades, portiques et simples ouvertures. Les cours sont séparées de l’espace publiques par des portails fermés le long de la route principale. Au contraire, les cours s’ouvrant sur les petites routes latérales sont directement accessibles par des passages libres sous un corps bâti ou à travers un portail ouvert dans un mur. La construction urbaine de Rancate est très complexe dans la transition entre les différents degrés de privacité de l’espace. Si nous considérons le passage de la rue publique à la maison privée, nous pouvons identifier jusqu’à quatre degrés différents de condition spatiale. De la rue principale traversant le village, espace publique assez mouvementé, nous empruntons une des ruelles perpendiculaires qui monte vers le pied de la montagne. La transition se fait vers un espace semi-publique qui termine en cul-de-sac, ne faisant donc pas de directrice pour d’autres personnes que celles qui habitent le quartier. Depuis la ruelle secondaire nous entrevoyons des ouvertures qui mènent aux cours internes à la succession des maisons [3]. L’accès se fait à travers un espace couvert par un corps bâti faisant office de seuil à la cours, espace semi-privé originairement dédié au travail pour les familles habitant les maisons. Cet espace donne ensuite l’accès aux différentes maisons distribuées par des escalier et des loggias communes ou séparés. Parfois on remarque aussi la présence de portails secondaires s’ouvrant sur une courette privé adjacente à l’espace majeur. Dans sa partie terminale côté nord, la linéarité du village est cassée par un élément urbain assez particulier. L’espace publique subit une rotation de 90°, signalée par la présence d’une colonne avec statue qui marque l’axe principal selon lequel s’implante une église clôturant une place allongée [4-5]. Cette grande place publique est le seul exemple d’espace entièrement public de tout le village traditionnel. Sur deux côtés la spatialité est tenue par les façades des maisons et par celle d’un palais à cour. Ce dernier répond frontalement à la façade de l’église qui représente le troisième côte de la place. La fermeture de cet espace est assez ambiguë car le quatrième côté montre une hésitation. Il s’agit d’un muret de soutènement qui contient graphiquement l’espace en plan mais qui n’est pas assez fort comme élément spatial 111


schéma des pleins et vides

plan de nolli et intérface publique

pour éviter au regard de s’enfuir sur le côté lorsque nous nous mettons dans l’axe de l’église [5]. Cette hésitation entre espace fermé ou semi-ouvert crée une ambiguité dans la perception du cadrage souhaité. Dans des photos moins récentes, nous remarquons la présence de beaucoups arbres répondant à la série de maisons sur l’axe palais-église. L’effet spatial est semblable à celui d’un front bâti, ce qui permet de diriger la spatialité dans le sens longitudinal de la place. Le détachement de l’église de l’ensemble bâti, la rendant un objet individuel, laisse filrer le régard vers Mendrisio et la scénographie naturelle. Dans cette configuration, nous notons l’évident mise en évidence de l’élément de l’église. Si nous nous référons à la situation actuelle, nous remarquons la disparition de partie des éléments végétaux via-à-vis du front bâti. Or cette configuration met en évidence le rôle du muret de soutènement. Lorsqu nous nous se plaçons dans l’axe longitudinal en sortant de l’église [6] nous percevons que l’ouverture spatiale se fait plutôt dans l’axe transversal, à notre droite. La façade de l’église devient partie du système bâti qui permet de cadrer l’ouverture sur l’espace qui se fait maintenant dans une autre direction. Il faut noter que la condition spatiale remarquable de ce dispositif urbain est fortement sous exploitée. 112


La présence du parking et de la rue de transite annulent la sensibilité spatiale que l’on pourrait avoir de cet endroit. De plus, nous constatons que le regroupement des maisons et leu conformation, découlant des activités rurales, contrastent aves le dessin de l’étalement urbain environnant. La forme du village est bien définie, dans la photo aérienne de 1933, le long de la rue directrice principale nord-sud. Nous notons que le village est compris entre deux routes principales croisant cet axe perpendiculairement dans les point de début et fin de l’ensemble bâti. Il semblerait que la place de l’église comme dispositif urbain résulte de l’élargissement de la route qui termine l’extension di village côté nord. Côté sud, le village est également arrêté par le croisement d’une rue transversale, ou s’implante une grande villa. Bien que le tissu urbain soit très compacte, nous notons, outres des bâtiments probablement liés à l’exploitation agricole dispersés aux alentours, la présence de quelques maisons isolée en dehors des limites du village. Un première transformation importante facilement déductible grâce à l’image aérienne de 1958 est la substitution de l’ancienne rue clôturant le bourg côté sud par une directrice importante un peu avancé entre le dernier groupe de maisons et le complexe principal du village. Cette opération sépare nettement la partie terminale du village du reste de l’ensemble bâti. Dans la photo de 1983 l’expansion pavillonnaire du tissu urbain ouvert est fort remarquable, la présence de l’autoroute qui suit le tracé des terrains humides dans la zone la plus basse de la plaine et l’abondance de constructions multifonctionnelles qui commencent à coloniser l’espace agricole divisant Rancate et Mendrisio. Le village aujourd’hui représente la limite de l’étalement urbain de la Plaine de San Martino, en effet les terrains viticoles en terrasses présents sur les versants amont sont épargnés par l’avancée des constructions. En ce qui concerne la partie basse par rapport au village, visible sur les côtés de l’église, nous constatons l’étalement du tissu de maisons et immeubles d’habitation jusqu’aux limites avec l’autoroute. La bande entre cette dernière et la ligne du chemin de fer est occupé par nombreuses activités commerciales, de stockage et logistiques. Ensuite la plaine remonte vers Mendrisio générant une accumulation furieuse de toitures, corniches, silos, lignes hautes tensions, dont au sommet 113


respire, seule, l’imposante église néoclassique des Saints Cosma et Damiano [7]. L’image de cette denrière est fortement perturbée par le tissu varié et confus qui l’entoure. Rancate et Mendrisio constituent deux bulles à l’intérieur de la ville filiforme, ce qui contraste avec les images historiques, montrant deux pleins à l’intérieur d’un grand vide. Ce concept est bien expliqué par T. Carloni lorqu’il évoque le passage du préindustriel au post industirel: «Ora la situazione si è fatta ancora più difficile perche le città non hanno più un dentro e un fuori. Esse sono in un certo qual modo dappertutto. Tutto è città e tutto non-città [...]. Insomma una situazione territoriale difficile e confusa1».

situation en 1933

T. Carloni, Pathopolis, riflessioni critiche di un architetto sulla città e il territorio, Bellinzona, 2011

1

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situation en 1983

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[1] maisons alignĂŠes le long de la rue principale

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[2] maisons alignĂŠes le long de la rue principale

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[3] séquence d’espaces

schéma des transitions espace publique-espace privé

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[4] de la rue à la place

changement de l’axialité spatiale en corréspondance de la place

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spéculations, axe longitudinal

[5] la place de l’église

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spĂŠculations, axe transversal

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[6] la place en sortant de l’Êglise

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[7] vue en direction de Mendrisio

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Ed eccoci a Bissone, con la tipica piazzetta sul lago, dove i pescatori stendevano le loro reti al sole. [...] Certo il ragazzo [Francesco Borromini] si portò via nel cuore e negli occhi l’immagine del suo villaggio, la dolce flessione delle case sulla riva, il profilo capriccioso dei monti intorno al lago, quel senso di natura selvatica e pur gentile, estrosa1.

1

A. Calgari, A zonzo per il Ticino, Edizioni Pedrazzini, Locarno, 1987, p. 95

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Bissone

La commune s’implante sur une petite excroissance plaine entre le lac et le pied de la montagne. Il s’agit d’un village compacte se développant de manière assez orthogonale à l’ouest de la rue qui le traverse avec un système de ruelles perpendiculaires au quai. Ces rues rarement communiquent entre elles, pour passer d’une à l’autre il est presque toujours nécessaire de marcher en direction du lac ou de la montagne [1-2]. Typologiquement les maisons qui occupent le front bâti sont toutes à portique en arcade formant «l’elemento di mediazione tra l’acqua e la residenza1», alors que l’arrière est composé pour la plupart de maisons mitoyennes. Le tracé des ruelles redonne une structure urbaine en forme de peigne et les maison qui en occupent les parcelles sont de trois types: simplement traversantes (pour compenser le manque de connexion transversale entre les ruelles), doubles ou épaisses avec cour ou petits cloîtres. Dans le tissu du village on ne remarque pas de places ou jardins publiques. L’espace publique se concentre devant les maisons à portique en relation avec le lac et le paysage d’en face. L’espace est fermé par l’implantation de deux ensembles bâtis sur le côté nord et sud du village [3-4]. Ces elements cadrent le paysage et définissent l’espace majeur en lien avec la rive du lac. Le A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 175 1

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[3] [1]

[5] [6] [8]

[4]

[2]

[7]

Bissone - relevĂŠ typologique, tirĂŠ de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 172

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Elevation côté lac [haut] et élévation côté montagne [bas], tiré de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 174

resultat est une grande place alongée dont la scénographie est donnée d’un côté par le bâti et de l’autre par le contexte mophologique. Nous savons que à l’origine la route passait derrière le village, le long des murs d’enceinte et l’accès se faisait par quatre portes en correspondance des ruelles perpendiculaires2. Vers la moitiè du XIXème siècle la morphologie du système publique subit des bouleversement lorsqu’on décide de faire passer la soute principale devant les portiques en coupant l’espace de la rive du tissu bâti. Bien que les bâtiments à l’entrée et la sortie du village forment un angle par leur forme en “L”, le coin des bâtiments est brisé. Ce fait offre des relation diagonales au le lac lorsqu’on on approche le village sur la rue principale et génère un seuil d’entrée pour les bâtiments. L’Église de San Carpoforo, la plus grande du village s’implante en dehors di système avec l’orientation est-ouest. Celle-ci est tournée vers le lac et profite de l’absence de bâtiments aux alentours, en sortant de la nef nous nous trouvons directement en relation avec le paysage en face []. Nous retrouvons dans la structure de Bissone sa territorialité. Le bourg était liée principalement à l’économie de la pêche e partageait avec Lugano, Melide et Bissone le monopôle de l’économie du poisson de la région3. Toute l’activité commerciale se concentrait sur les produits des pêcheurs et nous en retrouvons le reflet dans la compoA. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 174 3 Ibid. p. 170 2

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sition urbanistique des maisons. L’espace principal dégagé le long du lac est le produit d’importantes transformations entre le XVème et le XVIIème siècle4. Auparavant les maisons des pêcheurs s’implantaient directement à la limite su lac, avec des espaces couverts pour garer les bateaux de pêche. Cet espace nouveau se veut comme le prolongement des activité commerciales qui se déroulaient dans les rez-de chaussé sous les portiques des nouvelles maisons bourgeoises5. Cette nouvelle forme urbaine engendre un rapport frontal et directe avec le lac et son arrière-plan de reliefs. Le village par sa conformation semble chercher le lac et le paysage en face, ce fait peut être confirmé par l’hypothèse de développement qui veut les premières maisons s’implanter le long de l’ancienne route au pied de la montagne à l’abri des inondations. Ce fait serait confirmé par la croissance, en nombre d’étage, de l’hauteur des maisons lorsqu’on s’approche au lac. On peut aussi remarquer un petit décrochement dans le front bâti des maisons à portique. Il est vraisemblablement le témoignage d’une première extension extra-muros du village car ceci s’aligne avec un mur continu coupe-feu en direction perpendiculaire par rapport aux portiques6. De plus nous remarquons que le maisons au-delà du décrochement ont des pièces plus profondes et se disposent de manière plus libre par rapport au dessin rigide du bourg originaire. Les perspectives générés par cette structure urbaine sont assez suggestives, les ruelles étroites et sombres sont éclairés au bout par l’image du lac et des montagnes éclairés par le soleil. Les lignes des portiques dessinent au sol une série d’appels de lumière par la projection de l’ombre des arcades, donnant un rythme de contrastes clair-sombre complexifié par le décrochement du front bâti [5-6]. La forme traditionnelle du bourg est remarquable dans son dessin paysager et assume une valeur identitaire marquée. Les effets de la croissance économique et des besoins en mobilité affectent sensiblement cette composition équilibré. A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 175 5 Ibid. p. 175 6 Ibid. p. 176 4

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plan de Nolli, Bissone

porositÊ de l’extension

relations traversantes

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L’impact visuel le plus lourd est pourtant donné par la présence des réseaux de chemin de fer et autoroutier, bouleversant profondément l’image du front que le village dessine sur l’eau. L’infrastructure qui cour juste derrière les anciennes maisons au pied de la montagne étouffe complètement l’échelle du village en tranchant complètement la montagne [7-8]. La symétrie quasi parfaite du front bâti est perturbée par la présence des barrières acoustiques de l’autoroute qui fondent le dessin des façades dans un grand aplat horizontal, banalisant le jeu de réflexion que celle-ci entretenaient avec la surface du lac. L’image de l’église est frappante, serrée entre les barrières acoustiques et la rue passant juste devant l’entrée. L’utilisation du grand dispositif spatial de la place au lac est nettement dévalorisé par la présence des stationnements voitures. Ces opérations interdisent au protentiel paysager du bourg de s’exprimer au plus haut niveau. Le village est comme soumis aux besoins existentiels de la ville linéaire diffuse qui parcourt le canton et reste une bulle nostalgique à l’intérieur d’un cadre urbain peu respectueux de la sensibilité romantique du lieu.

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rapport entre l’infrastructure et l’église

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[1] rapport frontal avec le lac

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[2] rue interne

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[3] la place au lac, nord

[4] la place au lac, sud

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[5] vue des portiques, nord

[6] vue des portiques, sud

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[7] ĂŠglise de S. Carpoforo

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[8] élévation sur lac

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Bizzarra, quanto mai irregolare è la forma di questo lago strordinariamente azzurro, straordinariamente bello, pittoresco! Il Ceresio riflette, in terra, la bellezza del cielo ticinese. È un labirinto di golfi, di insenature, di meandri, che si succedono in rapidi e svariatissimi cambiamenti. [...] Gandria è adagiata su un’erta ripidissima, festosa di ulivi. Ha le case una addossata all’altra, tanto che le più basse sembrano entrare direttamente nel lago.1

1

G. Mondada, La casa lontana, Edizioni Pro Ticino, Bellinzona, 1944, pp. 171-173

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Gandria

Le village, par sa position impressionnante et sa construction complexe, est peut-être l’un des plus suggestifs autour du lac de Lugano. Gandria s’accroche sur les versant du Monte Brè, qui plongent violemment dans le lac sans laisser d’espace plat de transition. Les maisons se chevauchent l’une sur l’autre et celles de la première rangée posent directement les pieds dans l’eau. La présence de certaines ruines dans le secteur nord-oriental par rapport à l’actuelle implantation du bourg témoignent d’un déplacement du complexe bâti pendant les siècles1. La structure urbaine du village est constitué par des rangés de maisons contiguës s’insérant parallèlement au courbes de niveaux et se développant le long des rues. Le passage entre les rues parallèles se fait à l’aide de plusieurs escaliers. La structure du village peut être divisée en trois parties, reliés par un parcours en escalier vertical se développant en tournants. La partie basse se compose d’une file continue de maisons assez étroites implantés entre une rue, en amont, et la rive du lac, au niveau inférieur. Le rez-de-chaussé de ces maisons est touché directement par l’eau du lac et les façades fabriquent un front bâti continu, du fait qu’elles ne sont pas interrompues par des relation entre la rue arrière et le plan d’eau. En effet lorsqu’on parcourt A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 182 1

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Gandria - relevĂŠ typologique, tirĂŠ de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 172

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cette rue, la relation au lac se fait exclusivement à travers le bruit des vagues qui touchent les socles des maisons. Seulement en regardant attentivement vers le bas l’on peut entrevoir, grâce à des petits escaliers se faufilant en tunnel à travers les maisons, la surface de l’eau [1-2-3]. Parfois même, les escaliers menant au lac disparaissent dans leurs succession de volées et le lac est présent seulement par l’appel de lumière provenant par le bas. Le chemin-escalier à tournants, en arrivant dans la partie basse, termine littéralement dans une place sur l’eau [4]. La disposition des maisons forme une niche sur trois côtés ou les bateaux viennent s’accoster. Cette place sur l’eau est directement ouverte sur le paysage lacustre d’en face, assez intact, et profite des perspectives latérales offerte par la conformation du lac.Dans le schéma d’implantation urbain, afin d’optimiser la surface utile des maisons au vu de la forte pente, il n’est pas rare que la rue soit englobé dans la volumétrie des bâtiments. Ce fait génère des séquences intéressantes entres espaces ouverts et fermés. Parfois il faut notamment passer par des portiques privés aménagés en terrasse [5-6-7-8]. La partie intermédiaire du village située à mi-hauteur est marqué par la présence de l’église. L’emprise au sol de cette partie est plus compacte par rapport à disposition linéaire des maisons touchant le lac. La position de l’église se détache de l’ensemble bâti vers le côté Est du village en position dominante. Elle reste surélevée par rapport aux maisons qui se disposent devant, rendant le long côté du bâtiment bien visible depuis le lac. Le long de cette façade trouve place un petit belvédère en lien directe avec le paysage lacustre. La place de l’église joue avec la pente et le chemin à tournants descendant devant son clocher et sa façade. Elle se divise en terrasses et le groupe des maisons se trouvant à des niveaux différents tout autour la referment. Spatialement elle est beaucoup influencée par la présence de la verticalité du clocher qui se mélange à la succession de façades à hauteurs différentes [9]. La position et la silhouette du clocher contribuent à la théâtralisation de cet objec comme élément symbolique. Non seulement il est bien visible dans l’élévation côté le lac, mais il se positionne et s’oriente également de façon à être bien lisible dans les perspectives des ruelles internes [10]. Les maisons disposées dans la partie intermédiaire du village sont beaucoup plus profondes par rap145


port à celles d’en bas, le rattrapage des niveaux se fait par conséquent à l’intérieur des édifices. Dans la partie haute de Gandria les groupes de maisons se disposent selon les tournants du chemin en escalier qui traverse sa verticalité, respectant les limites du bloc intermédiaire et en conduisant le mouvement de descente vers le lac. Le dessin du front qui résulte de cette configuration urbaine est très unitaire, avec le jeu d’accumulation des toits. L’ensemble bâti, reste encore aujourd’hui compacte et ne souffre pas excessivement des ajouts qui, finalement, respectent les gabarits du contexte traditionnel. Le village incarne un esprit unique dans la construction des villages lacustres tessinois, sa stratification et le rapport avec la pente génèrent des complexités difficilement visibles ailleurs. Gandria, tout comme Bissone, garde la trace évidente de sa territorialité liée à la pratique de la pêche dans l’ensemble de ses signes identitaires. Grâce à sa position particulière, le bourg n’a pas souffert des transofrmations excessives dans

coupe sur le clocher montrant la place de l’église et les rues internes aux maisons, tiré de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 186

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son schéma urbain et son expression architecturale. Aujourd’hui le bourg vit de tourisme et de restauration principalement, pourtant il garde évidents les signes des modes de vie et de la sémiosphère qui lui étaient propres, en contribuant à maintenir solide sa tectonique paysagère. Malgré les changements d’usage de certains bâtiments et la disparition de la pêche comme activité de subsistance, le village conserve son caractère, constituant une exception é la logique suivie par la plupart des autres territoires lacustres tessinois.

coupes montrant les rues intérieures aux maisons, tiré de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 187

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[1] système d’escaliers descendants vers le lac

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[2] système d’escaliers descendants vers le lac

[3] système d’escaliers descendants vers le lac

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en rouge les parties comprises dans les volmumes des bâtiments

[4] la place sur l’eau

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[6]

[5] [3] [8]

[1]

[2]

[7]

[4]

zoom sur les escaliers d’accès au lac

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[5] exemple de rue traversant la volumĂŠtrie des maisons

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[6] exemple de rue traversant la volumĂŠtrie des maisons

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[7] exemple de rue traversant la volumĂŠtrie des maisons

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[8] exemple de rue traversant la volumĂŠtrie des maisons

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[9] la place devant l’Êglise

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[10] la mise en scène du clocher avec l’église se situant plus en bas

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«Chi, per la prima volta, [...] si dirige con la ferrovia verso il Gottardo, allo sbocco settentrionale della galleria del Monte Cenenri, quasi a compenso della malinconica impressione che può lasciare il paesaggio della plaga fra Taverne e Rivera-Bironico, resta sorpreso da un incantevole panorama. Dai piedi della montagna, vede staccarsi un vasto piano, tagliato in due parti dal fiume Ticino, e colorito con tutte le gradazioni del verde e del bruno dalla varietà di colture e terreni. E girando l’occhio avido su quel piano, che, nella direzione contraria a quella cui corre verso la vaporiera, si confonde con la superficie del Lago Maggiore, lo fissa in avanti per contemplare estatico un quadro splendido, nel quale appaiono delineate appena le forme di parecchie torri che si drizzano ad intervalli diversi, e di una lunga muraglia serpeggiante a ridosso di colline, interrotta qua e là da moderne costruzioni»1.

1 R. Rossi, Bellinzona e i suoi castelli, tiré de P. Tosetti, Il libro di lettura per le scuole elementari del Canton Ticino, Arti Grafiche Salvioni, Bellinzona, 1917, pp. 67-73

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Plaine de Magadino

Cette macrorégion se situe plus ou moins en position centrale par rapport au Tessin. Il s’agit de la portion d’espace plan la plus importante du canton avec ses 4’000 hectares et, suite aux travaux d’assainissement, devient un importante surface d’exploitation agricole1. Nous avons déjà traité de manière générale cette région dans les sous-chapitres relatifs aux grandes transformations du territoire, pourtant il est à mon avis nécessaire de le regarder plus de près, car sa structure territoriale révèle beaucoup de contradictions et ambiguïtés. La plaine, de surface plus ou moins rectangulaire, se développe à partir de Bellinzona, côté Est, jusqu’aux rives du Lac Majeur, extrémité Ouest, pour environs 13 km de longueur et 3.2 km de largeur. Historiquement la plaine à souffert des caprices de la rivière Tessin, rendant impossible l’établissement de villages, la pratique agricole et toute autre activité à proximité. Les villages, les églises et les rues se concentrent dans la partie immédiatement au pied des versants Nord et Sud longeant la plaine, à l’abri des dangers naturels. La production territoriale et sa structure jusqu’à la moitié du XIXème siècle sont en forte relation aux conditions naturelles contraignantes de ce secteur. De plus, le Tessin, coupe en deux la plaine en sens diagonal le long de son axe majeur, rendant difficiles les connexion entre les deux versants et, plus en particuliRepubblica e Cantone Ticino, Rapporto di pianificazione del Parco del Piano di Magadino, tiré du document pour le Grand Conseil, 2012, p. 3

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situation en 1865, carte dufour, donnée swisstopo.ch

situation en 1910, carte siegfried, donnée swisstopo.ch

situation en 1990, carte nationale, donnée swisstopo.ch

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er, entre la région de Bellinzona et celle de Locarno, avec toutes les vallées lui faisant référence2. Le dessin territorial vers la moitié de du XIXème est assez précis, dicté par l’environnement. Dans les cartes ci-contre, l’on reconnaît deux rues rectilignes, serrées contres les pied des versants, le long desquelles, à des intervalles régulières, s’alternent les ensembles bâtis compactes. En correspondance des villages une série de rues remonte les versants ou l’on peut plus facilement cultiver. Quelques constructions sont dispersées à l’intérieur de la plaine dans les zones les moins dangereuses, fournissant l’abri aux animaux ou aux agriculteurs, mais rien n’échappe su dessin global du territoire. L’arrivée du chemin de fer joue un rôle important dans le découpage de la plaine, ce qui influencera assez fortement le développement de la région dans la deuxième partie du XXème siècle. Trois opérations principale rendent l’appropriation de la plaine possible, à partir de la correction et l’endiguement du Tessin, jusqu’au regroupement des terrains en passant par l’assainissement des marais. Suite à la terminaison des travaux en 1966 l’exploitation agricole voit enfin sa plus grande ferveur3. Pourtant, nous avons vu que cette période coïncide avec celles des plus profondes et grandes mutations dans l’histoire socio-économique du canton et la Plaine de Magadino commence a en souffrir les conséquences. Tout premièrement sa position centrale est incontournable dans les transits Nord-Sud et Est-Ouest. L’emprise au sol des infrastructures et le découpage des terrains rendent la rationalisation spatiale dans les différents secteurs compliquée. Deuxièmement, la fureur économique cantonale à partir du deuxième après-guerre transforme les zones agricoles à proximité des rues aux pieds des montagnes en zones commerciales, de manufacture, de production industrielle, de services etc... surtout dans la partie sud, moins ensoleillée, et Nord-Ouest, à proximité de Locarno4. La progressive substitution des terrains agricoles par des activités plus rentabilisantes se fait, côté Sude la plaine, dans la bande étroite et allongée qui sépare la route de transit princiRepubblica e Cantone Ticino, Rapporto di pianificazione del Parco del Piano di Magadino, tiré du document pour le Grand Conseil, 2012, p. 14 3 Ibid. pp. 15-16 4 Ibid. p. 16 2

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pale Bellinzona-Locarno et l’axe parallèle du chemin de fer, devant l’habitat qui reste plus en retrait dans sa position originaire au pied de la montagne. La stratification horizontale de cette bande coupe la relation directe entre les villages et la zone agricole s’ouvrant devant eux. Troisième point, la plaine semble être le lieu idéal pour absorber la croissance démographique de la région due aux migrations internes et externes des années ‘60 et suivants. Le tissu d’habitations, composé principalement par la maison individuelle avec jardin et l’immeuble de 5 étages, se répand dans les zones pas encore occupées par les établissement productifs et commerciaux et soustraites à l’agriculture [1-2]. De plus les villages, notamment le long de la route du côté Sud, commencent à s’étaler sur leurs côtés se touchant. Le côté Nord, plus ensoleillé se réjouissant des vues transversales sur le Lac Majeur, se développe par contre vers le haut, sur les versants des montagnes, en supplantant les terrains en terrasses traditionnellement occupés par les vignes [3-4]. Or, ces phénomènes marquent une rupture de l’adhésion au support naturel et son environnement, elles résultent plutôt des intérêts économiques, spéculatifs liées à la notion de croissance. Au fil du temps les activités se multiplient et se diversifient, les maisons prolifèrent, l’agriculture recule et le désordre triomphe. Les vue panoramiques sur la plaine témoignent d’une cacophonie hyperfonctionnelle, effaçant la lisibilité des raisons de bâtir traditionnelles et propres à ce territoire [5]. Dans sa forme la Plaine de Magadino devient un patchwork de panneaux publicitaires, grands surfaces, stations d’essence, centres logistiques, fermes, piscines, voitures embouteillées, centres d’incinération, décharges, plantations, et bien d’autres [6-78]. Ensemble avec les zones lacustres, cette région est le symbole du Tessin nostalgique, qui a perdu sa raison et sa territorialité. Le développement frénétique et diversifié génère beaucoup de problèmes dans l’organisation territoriale et non seulement affecte la qualité de vie des zones résidentielles, mais exerce de la pression sur la encore assez grande, il faut le dire, surface d’exploitation agricole. Les espaces publiques fabriqués par la typologie de la villa individuelle sont d’une pauvreté effrayante comparés aux conformations traditionnelles des villages tessinois. Ces derniers semblent se noyer dans le tissu filiforme de la ville qui avance, ils sont réduits à des bulles 162


nostalgiques portant les traces du passé. Le tissu résidentiel s’étale en suivant le lotissement étant bien attentif à ne pas négliger les espaces d’accès pour les voitures. En revanche il n’y a pas beaucoup d’intérêt à la création de places, jardins et espaces communautaires. La suite de maisons, bien colorés, s’alterne aux ruelles où se garent les voitures, des murs d’enceinte ou des plaque métalliques enferment les espaces privés des jardins, tellement petits qu’il ne peuvent pas se permettre l’épaisseur des haies [9-10]. Le tissu fragmenté est désordonné, les ensembles de maisons ne se regroupent pas dans des lieux définis mais comblent les espaces entre les grands halles de productions et les centres commerciaux. Ce fait donne lieux à des grandes ruptures d’échelle, méconnues au tissu traditionnel. Les disparités entre zones rurale et urbanisées de la plaine se manifestent aussi sur le côté Nord. Si on dirige le regard en direction des versant, nous remarquons le contraste entre l’urbanisation dense du secteur Ouest, qui, au fur et à mesure qu’on s’éloigne du lac, dégrade en laissant la place aux vignobles. Cette image évoque les changements que cette région à subi, on peut spéculer que l’on est devant simultanément à l’image de l’avant, Est et l’après, Ouest. Le contraste est encore plus frappant lorsqu’on pose le regard sur le centre de la plaine, exprimant encore l’essence des relations propre à la production agricole, évidemment adaptée aux progrès technologiques. La perte de territorialité marqué par les espaces périphériques de la plaine ce traduit dans l’esprit nostalgique. Les façades des bâtiments ou les champs délaissées deviennent des purs supports publicitaires évoquant les images tu Tessin lacustre et son pseudo-paysage [11]. Comme si l’on voulait se souvenir que le Tessin, en dehors de la plaine, est encore beau. En réalité ces images de maisons de vacances, hôtels et appartements prestigieux renforcent la fiction du paysage lacustre, lui aussi souffrant de la perte des relations aux supports physiques et culturesl. Les traces des coremi et iconemi, encore présents sur la Plaine de Magadino, tout comme dans les régions lacustres, se confondent excessivement dans l’accumulation de progrès. La tectonique des lieux en est perturbé au point qu’elle s’effondre, laissant sur le territoire les traces évidentes du regret, et de régression dans la qualité de vie. 163


[1] lotissement récent à Contone

[2] urbanisation à Cadenazzo

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[3] les versants Sud

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[4] vue générale de la plaine occidentale et des versants Sud, en évidence la ligne des 500 mètres d’altitude

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[5] vue d’ensemble de la plaine orientale

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[6] la directrice principale Locarno-Bellinzona traversant la plaine

[7] une des zones commerciales

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[8] l’espace agricole en ombre, l’urbanisation des versants en lumière

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[9] l’espace urbain de la villa individuelle, Contone

[10] l’espace urbain de la villa individuelle, Camorino

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[11] exemple de promotion immobilière, Cadenazzo

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«Lugano si adorna di spendide ville, di costruzioni sempre più grandiose. [...] Verso Cassarate, sulle rive del lago, si bagna la villa Gabrini, [...] gettata anch’essa in un mare di verde [...]. Dalla collina luganese dominano: la villa Maraini, in stile pompeiano, [...] il castello Luini, teatro della sua vecchiaia e solitudine, con qualcosa di selvaggio nell’insieme; e una miriadi di villini e di casette bianche o variamente adorne, che spiccano sul fondo bruno degli alberi secolari, emergendo, dalle sfumature infinite del verde, con una nota viva e allegra. [...] Ad ogni passo trovate un albergo, e molti ve n’ha che, per imponenza e mole, di magnificenza d’arredamento e accuratezza di servizio, possono rivaleggiare con quelli di primissimo ordine di più grandi città. [...] Vivi grande e felice, volta a quella meta di progresso continuo ch’è in cima ad ogni pensiero de’ figli tuoi. La natura ti creò splendida: l’arte ti fu prodiga de’ suoi tesori; il commercio e le industrie ti arricchiscono [...]. Sei bella come un sogno di poesia, allora: quale armonia di verso saprà la nota giusta che ti esprima? qual poeta arriverà a dire la immortal parola che ti darà gloria?1».

1 L. Gilardi, Lugano, tiré de P. Tosetti, Il libro di lettura per le scuole elementari del Canton Ticino, Arti Grafiche Salvioni, Bellinzona, 1917, pp. 76-76

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Les régions des lacs

La région des lacs est celle qui peut être mieux incarne le sentiment nostalgique du Tessin. Ici nous pouvons retrouver toutes les incompréhensions et les contradictions de l’agir territorial des années du progrès économique. Les villes de Lugano et Locarno se développent de manière similaire par rapport aux lacs respectifs. Le noyaux historiques s’implantent dans une zone plaine, à proximité du pied de la montagne, pour Locarno, et de la colline, pour Lugano. Les versants autours des centres habités profitent des meilleures conditions d’ensoleillement et traditionnellement s’organisaient en terrasses et plantations. Progressivement cette situation change avec la découverte touristique de ces lieux très appétissants. Ce fait est déjà remarqué par G. Mondada qui écrit en 1944: «La straordianria dolcezza del clima fa sì che nella regione del Locarnese, come in quella ugualmente luminosa e abbagliante di Lugano, viva e prosperi una vegetazione che è propria dei paesi caldi. Sulle colline incontri, a ogni passo, la vite, il pesco, l’albicocco. In un angolo dei cortili delle nostre case quasi sempre scorgi la chioma di un fico, oppure quella, di un verde lucente ma ancor più intenso, dell’alloro. […] Gli agrumi prosperano meravigliosamente un po’ dappertutto nel Locarnese e nel Luganese propriamente detti. […] Nei giardini, oppure lungo i viali delle città, crescono palme, il banano, l’araucaria, le canfore, l’eucalipto, le agavi. […] In primavera, mentre tutta la collina appare festosa di mandorli, peschi, ciliegi in fiore, quasi tutte le case sorridono, con gli occhi aperti delle loro finestre, alle camelie bianche e rosse, che, a 175


mille a mille, si schiudono nei giardini, alla chioma d’oro di gigantesche mimose. […] Ma, forse, la bellezza di questi cari paesi è troppo vistosa e seducente ; per questo, e lo notiamo con infinito rincrescimento, essi cambiano aspetto, diventando terre sempre più da forestieri1».

Ce mots sonnent comme un prélude à ce qui se manifestera dans les années immédiatement suivantes. Les intérêts économiques sur l’élan du secteur immobilier transformeront visiblement les versants autour des lacs. Les maisons et les immeubles commencent à grimper vers le haut, en effaçant les terrasses agricoles et leur végétation typique. La structure du bâti découle de l’emploi massif de l’immeuble à 5 ou 6 étages, avec balcons et baies vitrées. L’impact visuel est frappant. Dans la région de Lugano, l’étalement urbain dépasse largement la moitié du versant du Monte Brè, alors qu’en face les construction s’approprient aussi des anciens pâturages du S. Salvatore, symbole identitaire de la ville et image du Tessin dans les contextes touristiques nationaux et internationaux. De plus la taille des bâtiments augmente, l’impact de ces géants difficilement respecte la dimension paysagère du lieux. Ces opérations promettent des vues à couper le souffle, des conditions de vie régales, et toute une suite d’images fabriquées ad hoc. La logique territoriale des régions lacustres se limite ni plus ni rien à cette pratique, produire et diffuser la version contemporaine de la ville lacustre idéale. Ce modèle devient un instrument de planification urbaine, permettant l’exploitation d’indices constructibles assez généreux.Or nous nommes très loin des images évoqués par la littérature et l’iconographie historique. L’image des lacs reflète la culture de la consommation et de la capitalisation qui ont régné et qui règnent dans les secteurs socio-économiques du canton. Ici encore, le progrès, au sens de la croissance, génère la pauvreté du paysage, comme le remarque T. Carloni dans ses reflexions : «Una delle caratteristiche della cosiddetta crescita territoriale moderna è che il decollo avviene sempre nel nome del progresso, dei benefici per tutti, dello sviluppo del paese. Poi, quando i profitti sono maturati e sono stati intascati da pochi, al paese e al territorio restano i residuati da digerire e da eliminare […]2». 1 2

G. Mondada, La casa lontana, Edizioni Pro Ticino, Bellinzona, 1944, pp. 139-141 T. Carloni, Pathopolis, riflessioni critiche di un architetto sulla città e il territorio, Bell-

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Locarno, reflet du paysage inzona, 2011, p. 80-81

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Monte Brè, Lugano

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urbanisation autour du Lac de Lugano

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les versants de Locarno et la ligne des 500 mètres

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Paradiso, bâtiment en dÊmolition

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Ascona, promotion immobilière

Ascona, promotion immobilière

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Morcote

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Lugano

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3.2 Le Tessin abandonnĂŠ

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Méride

La commune de Meride se trouve dans la région du Mendrisiotto, position plus haute à environs 580 mètres sur le niveau de la mer orienté vers le Sud. Le village se trouve à l’intérieur d’une cuvette naturelle, addossé au versant Sud du S. Giorgio. Le bourg se développe de manière linéaire le long d’une rue suivant le dessin des courbes de niveaux. La typologie la plus répandue est la maison à cour à deux ou trois niveaux, s’alignant de manière contiguë sur les deux côtés de la rue. Ce choix typologique, qui s’insère dans la tradition de la région, se prête aux condition d’ensoleillement découlant de l’orientation du village. Le schéma urbain rappelle celui de Rancate, avec une longue file de portails et maisons fabriquant le front bâti le long de la rue principale [2]. Or, dans le cas de Rancate, les maisons à coursives se disposaient côté rue, laissant la cour dans l’espace arrière de la parcelle. A Meride, au vu de l’orientation et de la pente, la maison est généralement côté nord, en amont, en laissant la cour devant, ce qui est bien visible en plan. Lorsqu’on parcourt la rue nous avons d’un côté les façades des maisons et de l’autre les entrées des cours ou la façade des granges. Les versants de la montagne avant et arrière le complexe bâti s’organisent selon des terrassement agricoles encore visibles aujourd’hui laissant l’image du village compacte lorsqu’on l’approche par la route provenant de la plaine [1]. La linéarité du village est interrompue par un élément marquant sa centralité. Il s’agit 193


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[2]

[1] [8]

Méride - relevé typologique retravaillé par l’auteur, tiré de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, pp. 164-165

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de l’église dont la façade est adossé au mur divisoire de la maison qui la précède. L’accès à l’église se fait sur le long côté en correspondance d’une dilatation spatiale en direction du paysage provoqué par l’absence d’une maison. Ce dispositif est très intéressant lorsqu’on avance le long de la rue, étroite et un peu sombre [3]. À proximité de l’église nous percevons un appel de lumière important provenant du dégagement éclairant la façade. En correspondance de l’entrée de celle-ci le régard est dirigé vers le Sud, l’espace se décomprime en direction d’une place publique fermé par les façades des maisons cadrant le paysage s’ouvrant vers le bas [4-5-6]. Cette expérience spatiale est renforcé par le fait qu’il s’agit de la seule relation transversale de ce type intéressant le village. L’usage de cet espace public est fort regrettable car il consiste à rien de plus qu’un parking pour les voitures.En ce qui concerne la relation longitudinale, la spatialité de la rue qui traverse le bâti est contenue du côté Ouest par une église répondant au côté Est à une petite chapelle [7-8]. Ces deux éléments ne sont pas liées visuellement mais marquent implicitement le début et la fin du système urbain. Ces éx-

plan masse, schéma des pleins et vides

schéma de dilatation spatiale

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trémités sont en tension avec la centralité du village, marque par la visibilité du clocher de l’église [9]. Les grandes changements territoriaux qui affectent le Tessin semblent épargner le village qui arrive à garder sa forme regroupée presque intacte. Sa position est assez défavorisé par rapport aux centralités émergentes, pensons à Mendrisio, Chiasso et le pôle productif de San Martino. Toutefois, l’on constate que le village de Meride semble également échapper à l’abandon, représentant une exception à la ligne des 500 mètres. Il est indéniable que le bourg conserve en soi l’esprit ancien des paysages de la région du Mendrisiotto, ravagés par la fureur économique dans sa partie basse. Ce fait découle aussi du fait que, malgré l’inscription en 2003 du secteur du Monte San Giorno dans le patrimoine mondial de l’UNESCO, la redécouverte touristique du village reste respectueuse et timide face aux qualités des éléments constituant la symbolique de l’ensemble. La disposition des maisons dans la pente, les terrains agricoles existants, le dispositif urbain et la structure du bâti restent bien lisibles dans leur totalité en témoignage de l’harmonisation avec le support territorial. L’ensemble de ces éléments permet à Meride d’être paysage, passivement, car l’on dispose des traces nécessaires à la production des images sans besoin d’une fabrication à priori. Ce fait épargne au village le sentiment nostalgique intéressant la plupart du Mendrisotto en dessous des 500 mètres d’altitude.

[1] image compacte du village

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[2] perspective de la rue principale

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[3] séquence vers la place

[4] la place de l’église

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[5] la façade de l’église

[6] le paysage s’ouvrant devant la place

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[7] l’éxtrémité Est - la chapelle

[8] l’extrémité Ouest - l’église

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[9] le clocher de l’Êglise maruquant le centre du village

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«I morti scuotono tristemente il capo. Fortunati loro, che si saranno addormentati prima del paese. Perché, contali pure, i giovani sono pochi, i ragazzi tre o quattro, la scuola è abbandonata e anche la chiesa, la domenica, è deserta1».

1 G. Calgari, Fine di un paese, tiré de Dieci Scrittori, Istituto editoriale ticinese, Lugano-Bellinzona, 1938, p. 79

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Corippo

Le petit village de Corippo se trouve dans la partie inférieure de la Val Verzasca, à l’extrémité Nord du lac de Vogorno. Au contraire de la plupart des villages de la vallée se disposant sur le fond de la vallée, Corippo est situé sur le versant de la montagne, exposé vers le Sud. L’ensemble des maisons est ouvert, la structure est fabriquée par la disposition des maisons isolées en suivant les courbes de niveaux. Ce type de schéma urbain est typique des villages du Sopraceneri et notammant se répand dans les vallées et le s montagnes. Le tracé des ruelles de distribution est constitué par des chemins parallèles aux courbes de niveaux et un système d’escalier pour passer d’une ruelle à l’autre. Les maisons sont construites en pierre et pour la quasi totalité il s’agit de maisons à tour sur deux ou trois niveaux. Les faîtes des toits se disposent tous perpendiculairement à la direction de la pente donnant un motif unitaire et rythmé à l’image du village [1]. L’église s’implante à l’entrée du village, sa façade s’ouvre sur une placette autour de laquelle se disposent le clocher, la maison de la commune, et une fontaine [2]. L’église et la maison de la commune, qui se présente avec un portique à une arcade au rez de chaussé, sont les deux seuls éléments stylistiquement étranger au tissu homogène du village. De ce fait ils sont théâtralisés, aussi par leur position au premier plan dand l’élévation du village. Le bâti se développe ensuite vers le bas, mais les maisons ne viennent pas perturber la relation entre la place et le paysage car les faîtes des toitures restent à un 203


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[3] [6] [4]

[2]

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[7]

Corippo- relevĂŠ typologique, tirĂŠ de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 273

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niveaux inférieur par rapport au sol publique. L’espace communautaire principal est encore une fois mis en relation priviléigée avec le paysage [3], caractéristique commune aux villages que nous avons pu analyser de Gandria, Bissone, Morcote. A chaque fois le rapport direct avec l’environnent naturel est en ralation à l’église et un dispositif spatial qui échappe au schéma urbain de principe. Les terrains en avant et à l’arrière du village présentent encore les terrasses en pierre autrefois liés aux travaux agricoles typiques des régions de montagne. Cette typicité on la retrouve dans la forme et les matériaux des maisons, nous révélant le caractère traditionnel du village. L’espace publique des rues est caractérisé par la sérialité des maisons jouant avec la pente et gardant une échelle adéquate à celle du corps humain. La disposition ouverte des maisons casse la linéarités des perspectives [4-5]. Les maisons se chevauchent et s’additionnent le long des escalier qui, lorsqu’ils dévient de leur trajectoire linéaire forment des terrasses, ou placettes, munies de bancs et tables en pierre couvertes par des pergolas [6]. Ces petits espaces commun sont répétés et disséminés uniformément entre les maisons qui en délimitent les contours à différents niveaux. Il est ainsi possible d’avoir des relation aussi au clocher de l’église, aux terrasses supérieures ou inférieures et aux maisons non directement faisant partie de l’espace publique. L’abandon du village consent d’en garder l’image génuine et pure dans son dessin d’ensemble, équilibré par rapport aux contexte qui l’entoure. Corippo, vu d’aval, est un miroir sur le passé de l’organisation territoriale tessinoise, de la traduction de l’action anthropique sur un espace naturel, moyennant sa territorialité. Pourtant le village souffre de cette fascination qu’il instaure dans les esprits. Progressivement il s’est transformé en lieu de vacances et tourisme, avec plusieurs interventions qui se réfèrent a une nature autre que celle du village. Le forestier, tout comme le tessinois nostalgique, remonte l’été et les week-ends la route sinueuse qui conduit à Corippo, chargé d’incompréhensions, influencé par le changement et pousséé par son desir de revivre une ancienne territorialité. Et alors il amène avec soi des paraboles, construit des cabanes en bois pour le barbecue, il crépis les façades, expose des drapeaux, ajoute des locaux, fabrique des couvertures plus ou moins solides avec des toiles en plastique [7-8]. Bien que le village soit encore 205


imprégné, dans les supports, de ses traces de territorialité, cette dernière n’est plus présente dans les contenus. Il y a certes encore de l’activité limité liée à ces supports comme le pâturage et le potager, en relation avec les conditions naturelles et les contraintes du lieu. Pourtant l’image du village à l’issu delà redécouverte «rustique» du Tessin résulte dénaturée, à la carte, de manière très semblable au modèle idéal de village lacustre de la fin du XIXème siècle. De plus nous pouvons remarquer des logiques dangereuses transformant sensiblement la nature du villagge et sa logique paysagère. Pour Bissone, par exemple, il s’agit d’une perte de tectonique, du au manque de lisibilité des traces territoriales, en conséquence de l’introduction de plusieurs éléments perturbateurs. Pour Corippo il s’agit d’interférences du contenu de ces mêmes traces territoriales. Si bien que la tectonique paysagère du village reste inchangée dans les supports, l’utilisation qu’on en fait est profondément bouleversée et ne fait plus référence aux supports mêmes, qui deviennent ni plus ni rien que des vides à combler par les images d’un paysage fabriqué activement par des promoteurs ou par la nostalgie.

Corippo - coupes dans la pente, tirées de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 275

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[1] vue d’ensemble de Corippo 207


[2] la place du village

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schéma des espaces publics

[3] le paysage s’ouvrant devant la place de l’église

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[4] rue en amont des maisons

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[5] perspective d’une rue avec une terrasse publique

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[6] escalier reiant les ruelles parallèles

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[7] exemple d’intervention récente su une maison traditionnelle

[8] exemple d’intervention récente su une maison traditionnelle

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Giungiamo a Cevio che è il capoluogo del Distretto. E come ogni capoluogo che si rispetti ha la sua verde piazza, il pretorio nella casa che fu dei Landfogti e le sue case intorno alla piazza come gaie fanciulle in un girotondo.1

1

A. Calgari, A zonzo per il Ticino, Edizioni Pedrazzini, Locarno, 1987, p. 60

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Cevio

Le village de Cevio se situe à la limite des 500 mètres d’altitude, dans la partie haute de la Val Maggia au point de convergence de plusieurs vallées supérieures. Le village est un des derniers à pouvoir profiter d’une morphologie assez ouverte avec une petite plaine alluviale à la confluence des rivières Rovana et Maggia. Cevio se compose essentiellement de trois parties, la première, Cevio-Rovana, se situe à l’entrée de la Valle di Campo, et s’implante sur le versant de la montagne. L’habitat est constitué par un groupe de maisons isolées adossées à la pente. Le complexe de l’église se situe en position inférieure, en relation avec la rivière Rovana [1], et des granges-étables se trouvent dans la partie arrière l’églis. Pour compléter le système, des grotti s’alignent à la parois rocheuse de la montagne au-delà de la rivière, en face de l’église. La typologie plus répandue est la maison à couloir, munie parfois de coursive sur la façade principale. L’implantation de celles-ci adhère aux conditions de la pente en suivant les courbes de niveaux. Le tracé des rues et ruelles est relié par la présence de beaucoup d’escaliers permettant les connexions verticales entre les différents bâtiments. A l’Est de Cevio Rovana, dans la partie de la plaine au pied du versant, nous retrouvons le dispositif urbain de Cevio-Place, en retrait par rapport à la rivière Maggia. Cevio-Place se situe à peu près à mi-chemin entre Cevio-Rovana et la troisième partie du village, Cevio-Vecchio. La place assume une forme triangulaire, les deux longs côtés Est et Ouest n’étant 215


[1]

Cevio-Rovana - relevĂŠ typologique, tirĂŠ de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 246

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pas parallèles. De plus la place s’ouvre sur son côté nord dans la direction de la Val Lavizzarra et, en correspondance du point de fuite de laperpective, se trouve l’église de Cevio-Vecchio, trournée de 90° par rapport à l’axe majeur [2]. Ce dispositif se charge d’une très forte symbolique pour l’identité de Cevio e de toute la Val Maggia. En effet elle accueille trois des plus importants bâtiments communautaires historiquement liés au contexte de la région, le palais du Bailli, représentant de l’autorité souveraine, le palais du Chancelier et l’église1. La forme de la place épend fortement de l’histoire du tracé routier de Cevio. en effet c’est seulement à partir de la première moitié du XIXème siècle que la route principale de transit vers Locarno est amenée de l’autre côté de la rivière Maggia le long de l’actuelle place. A distance de quelques années la route reliant Boschetto vient configurer le tracé qui définira le développement urbain de Cevio-Place2. La place dans sa forme actuelle est le résultat de la vente d’une partie des terrains publics aux privés qui construisent des maisons s’alignant aux système de voiries et referment l’espace qui auparavant allait jusqu’à la rivière. Ce lieu devient espace de travail, place pour des célébrations religeuses ou lieu de rassemblement lors des assemblées comunales3. Le règlement communal imposait une sorte de charte à respecter pour l’édification autour de la place. Ces dispositions contenaient plusieurs règles de constructions allant de l’alignement des bâtiments, à la définition des corniches des portes, en passant par l’imposition des façades, du toit etc4. La typologie d’habitation est également bien définie, elle consiste à la maison à couloir distribuant deux à quatre pièces par étage et se développant sur trois niveaux. Le contraste entre les façades côté place, lisses et alignés, et côté arrière, en direction Est, est fort dans la mesure où les privés peuvent ajouter des locaux ou des petits bâtiment aux maisons en direction de la rivière. Les bâtiments s’alignant sur le côté Ouest de la place présentent plus de complexité dans le dessin des leurs façades par le jeu des formes, des gabarits, des styles architecturaux et la variété du A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 251 2 Ibid. p. 252 3 Ibid. p. 253 4 Ibid. p. 253 1

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[4] [5]

[3]

[2]

Cevio-Place - relevĂŠ typologique, tirĂŠ de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 240-141

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programme auxquels elle font référence. Entre les maisons s’insèrent des éléments comme la façade de l’église, le portail du jardin de la maison du Chancelier caractérisé par ses deux petites tours, et la villa bourgeoise Respini, bâtie en 1890 à la place du jardin potager appartenant à la maison du Bailli adjacente. Cette villa a comme caractéristique de s’ouvrir sur tous ses quatre côtés à différence des autres maisons respectant la charte urbaine5. Le dispositif urbain qui résulte de ces opérations est assez remarquable dans son ensemble et son unité, si l’on considère qu’au début il n’y avait que les trois bâtiments principaux isolés le long de la rue. Par rapport à la place, en prenant la rue perpendiculaire située au milieu sur le côté Ouest qui monte vers le pied de la montagne, nous remarquons un groupement de maisons s’opposant fortement au caractère maitrisé de la place. La disposition de celles-ci est assez libre et ne respecte aucun alignement précis. L’espace publique est moins solennel mais du moins assez complexe grâce à une suite de compressions et décompressions spatiales [3]. La rue monte progressivement jusqu’au versant de la montagne, caractérisée par une multitude de petites constructions en pierre adossées aux nombreux rochers. Ces constructions sont pour la plupart abandonnées et gisent aujourd’hui en état de ruine [4], ravagés par l’avancement de la forêt qui lentement se rapproprie des espaces qui lui avaient été enlevées. Il y subsiste un fort contraste dans la conservation des traces culturelles qui ont fait la spécificité du territoire de Cevio. D’un côté nous admirons l’effort urbanistique dans la construction de la place, témoignant l’esprit puissant et symbolique du chef-lieu régional, de l’autre nous sommes spectateurs de la disparition d’autres traces liées aux pratiques de vie rurales et plus courante correspondante à l’action territoriale pratiqué dans le village. L’autre extrémité du village, au nord selon l’axe de la place, est occupé par Cevio-Vecchio, la troisième partie du village. Le complexe des bâtiments s’implante aux pied de la montagne dans une zone relativement plaine, alors que l’église est décalé vers le Nord par rapport aux maisons. La structure du bâti est très ouverte, les maisons du XVIème et XVIIème siècle, typiquement bourgeoises, sont isolées et se disposent librement A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 254 5

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C.-Place, façades Nord et Sud, tirÊ de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 242-243

Cevio-Place, panoramique

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[8]

[6] [9]

[7]

Cevio-Vecchio - relevĂŠ typologique, tirĂŠ de A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 244-245

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comme objets indépendants6. En regardant plus de près la composition et l’organisation des maisons, plusieurs éléments récurrents se mettent en place. La maison bourgeoise de Cevio-Vecchio s’accompagne toujours d’un jardin ou d’un potager annexes à la construction et clôturés par une mur en pierre, interrompu par un portail d’accès, comme dans la maison du Chancelier à Cevio-Piazza [5-6]. L’ensemble se ces éléments découle de l’utilisation que l’on faisait de la maison dans la pratique di travail. Il n’est par rare de voir présent dans le jardin aussi une grange, ou l’étable, des fours, des fontaines ou le pressoir. La maison était aussi un outil de travail, de manière analogue à la maison à cour du Mendrisiotto. Ce côté fonctionnel, issu du besoin liée au travail, se transforme ne véritable typologie d’habitation dans la maison du Chancelier. En effet les éléments de travail disparaissent, en laissant seulement le mur et le portail, s’ouvrant sur un jardin qui, au contraire de Cevio-Vecchio, est géométriquement bien maîtrisé7. Le dispositif traditionnel de Cevio-Vecchio se répète en générant le tracé des chemins distribuants le village. Ces dernier sont assez caractéristiques, car la disposition des complexes d’habitation rythme le parcours et son rapport avec l’espace. Entre deux maisons la sensation spatiale est fermé, presque urbaine, d’un vide à l’intérieur d’un plein [7]. Lorsqu’une maison s’alterne à un jardin nous ressentons la dilatation spatiale qui joue sur les équilibres plein-vide. Enfin, lorsqu’on passe entre deux jardins, entre deux murs couverts par une pergola, la sensation du vide met en valeur la présence des pleins disposés librement, en invertissant la relation spatiale du premier cas [8]. La partie en amont par rapport au village est aussi disséminée de grotti adossés aux rochers de manière analogue à Cevio-Place, pourtant dans ce cas, comme dans Celui de Cevio-Rovana, les constructions sont encore utilitées et témoignent de la sphère sémiotique du village. La position de Cevio à proximité de la courbe de niveaux des 500 mètres est très ambiguë. Le village, dans sa composition totale, présente deux faces différentes. Cevio est chef-lieu régional et vit une situation de centralité par rapport aux vallées qui l’entourent. Le village concentre les services essentiels, a fait l’objet d’une extension A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 258 7 Ibid., p. 250 6

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urbaine, bien que limitée, du tissu résidentiel et présente des signes timides de changement similaires à ceux qui intéressent le Tessin nostalgique. De l’autre côté il souffre de l’abandon qui a marqué, peut être pas trop fortement le village lui-même, toutes les zones des vallées autour qui le rendaient une centralité. Aux signes de la croissance, plus ou moins bien intégrés dans le tissu traditionnel (la perspective Nord de la place aujourd’hui ne se termine plus sur l’église mais sur une station de service), s’accompagnent les effets de la dégradation liée à l’abandon. Un exemple flagrant est la commune de Boschetto, à peine 10 minutes è pied de Cevio.

Cevio-Vecchio, schéma des pleins et vides en plan masse. On remarque les deux pièces ouvertes, au centre du village et à côté de l’église.

Cevio-Vecchio, schéma des murs d’enceinte (poché noir) clôturant les espaces et formant les cheminements. En rouge le dégré d’intensité de la fermeture provoquée par les murs

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Cevio-Place, dispositif urbain comme centre de gravité entre les extrémités. Convergence des rélations entre les parties du village C.-Rovana à l’est et C.-Vecchio Ouest (traitillé noir)

Cevio-Place, schéma des murs d’enceinte (poché noir) clôturant les espaces et reliant la place aux granges

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[1] l’église de C.-Rovana avec le village à l’arrière

[2] C.-Place, perspective s’ouvrant vers le Nord en direction de l’église de C.-Vecchio

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[3] rue latĂŠrale vers les granges

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[4]C.-Place, constructions addossĂŠes aux roches en ruine

[5]C.-Place, constructions addossĂŠes aux roches en ruine

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[6] C.-Vecchio, pièce à ciel ouvert fermée par les murs est des constructions utilitaires

[7] C.-Vecchio, mise en scène des pleins-vides

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[8] C.-Vecchio, espace fermée entre le bâti

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[9] C.-Vecchio, espace fermÊ entre deux murs d’enceinte

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Boschetto

Le petit village de Boschetto se situe peu loin de Cevio, au pied de la montagne, en direction Sud sur la rive droite de la Maggia. Hormis l’église et quelques peu de maisons de vacances le village résulte complètement abandonné. En ruine, victime de son passée de misère, de peste, d’émigration, il se présente aujourd’hui comme étant à la limité de la pièce archéoligique1. Ce qui reste de Boschetto présente les mêmes caractéristiques typologiques des autres villages dans les vallées tessinoises, avec des maisons en pierre, à tour ou à couloir et des granges-étables à une ou deux pièces superposées. Le système des cheminements n’est pas ordonnée selon un schéma précis, les bâtiments isolés s’éparpillent de manière assez isotrope. L’église s’implante au centre du village, le long de la rue qui traverse le village parallèlement au courbes de niveaux. De manière analogue à l’organisation structurelle de Cevio-Vecchio, la condition spatiale met en scène les volumétries des bâtiments par un jeu de plein-vides, même si le registre stylistique des maisons diffère dans l’expression architecturale. Dans le cas de Boschetto, les vides se limitent à des petits jardins, des terrasses ou encore des petites placettes et ne sont par enfermés par murs et portails. Le deux ou trois maisons qui ont pu être sauvées sont devenues des maisons de vacances, avec terrasses aménagés et paraboles. La fracture qui se crée A. Rossi, B. Reichlin, F. Reinhart, E. Consolacio, M. Bosshard, La costruzione del territorio nel Canton Ticino, Fondazione Ticino Nostro, 1979, p. 22

1

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Boschetto - plan de masse

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entre ces deux faces du village est assez brusque. Boschetto peut être lu comme une synecdoque exprimant le phénomène global d’abandon des vallées, avec la progressive descente vers la plaine et la violence de la nature sauvage se rappropriant de ses espaces. Le village semble suspendu dans le temps, en dehors de l’espace. Il génère sans doute un paysage à cause d’un abandon qui, pourtant, a permis de le laisser inchangé. Il est lieu de se questionner s’il est encore possible, avec la sémiosphère qui nous distingue aujourd’hui, de pouvoir vivre dans un paysage. Or, c’est vrai que l’abandon permet la conservation physique des supports, entre une certain temps, mais ceux-ci ne permettent peut être pas de conserver la mémoire. Et si la destruction ou la contamination d’un support engendre la perte d’un paysage, estce que la perte de la mémoire ne pourrait pas avoir les mêmes effets? Les maisons en état de ruine sont lentement ravagées par l’avancée de la forêt, les arbustes poussent le long des chemins entre les maisons, les murets en pierre aux alentours des maisons témoignant l’activité de subsistance disparaissent dans la végétation. Le silence total du village incarne bien la violence de l’abandon qui frappe l’esprit du visiteur. Un paysage, certes, mais triste.

vue d’ensemble de Boschetto

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exemple de maison abandonnĂŠe

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exemple de maison abandonnĂŠe

mise en scène des pleins et vides

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grange-ĂŠtable abandonnĂŠe

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espace publique

pergola sur l’espace publique

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Notes conclusives

4.1 Régressions De manière assez générale nous pouvons dire que les changements brusques dans la réalité sociale tessinoises découlent de la volonté collective de poursuivre l’idéal du progrès, qui se traduit dans la croissance économique et par conséquent dans l’amélioration des conditions de vie. Les sociétés typiquement rurales tessinoises se séparent assez brusquement de leur territorialité traditionnelle, non seulement dans une optique de changement d’état de nature mais également dans la dimension spatiale. Nous avons deux situations différentes dans lesquelles les changements se produisent. Dans les zones des montagnes et vallées les territoires ruraux sont tout simplement abandonnés, alors que dans les zones lacustres et la plaine les nouvelles territorialités viennent se superposer à celles précédentes. Cette distinction est très importante car elle va au delà du schéma de territorialisation-reterritorialisation que nous avons vu en ouverture de l’étude. Les mutations qui découlent de ce processus dans les régions en dessous des 500 mètres d’altitude sont extraordinaire par leur importance et concomitance historique. Ce fait oblige les sociétés rurales à rechercher rapidement une nouvelle identité, après celle paysanne, à la quelle faire référence. La rupture de l’immobilisme préindustriel et la progressive modernisation du cantont permettrons une nette amélioration des 241


conditions de vie de la population, qu’au Tessin se traduit, entre autres, dans l’affaiblissement des contraintes liées à la morphologie du support physique. C’est autour du dépassement de cette logique, qui avait tenu les sociétés préindustrielles en échec pendant les siècles, qui se jouent les nouvelles relations avec le support géomorphologique. L’infrastructure, la technologie et le changement des systèmes productifs, images de la croissance économique, ne sont plus contraints par les anciennel lois du contexte, ce qui produit des effet non négligeables dans la structure territoriale du canton et sa condition paysagère. Support et supporté Le saut rapide dans le secteur tertiaire donne un clair aperçu de comment le désir du progrès supplante les logiques traditionnelles de production territoriale. Le territoire cesse d’être le produit des relations entre le travail d’un acteur et le support naturel. Ceci devient tout simplement le conteneur d’un objet faisant référence à un espace virtuel, comme la banque, ou l’objet qui s’empare des caractéristiques naturelles d’un lieu, l’industrie. Ces objets représentent le produit d’une série d’opérations volontaires de la part de plusieurs acteurs économiques planifiées dans le souci de rentabilité. Cette nouvelle logique se met en contradiction avec le modèle traditionnel où les choix d’un acteur pour la production territoriale se faisaient sur la base des spécificités d’un environnement naturel, c’est-à-dire sa morphologie, ses conditions climatiques etc. Dans ce cas nous pouvons dire qu’il y avait, dans le modèle traditionnal, une forte réciprocité entre le support et chose supportée1. À ce propos je rappelle la notion d’adhésion-harmonisation du signe humain à la géographie des unités territoriales minimes ou coremi traitée en ouverture de l’ étude. Or, ces correspondances dans les décisions des acteurs ont rendu possible l’intelligibilité historique des territoires en représentant une relation entre support et supporté. Dans l’abstraction de cette réalité territoriale la lisibilité des signes se traduisait dans la tectonique du paysage. Avec la modification de la pratique de production territoriale propre aux sociétés post-rurales la relation entre support et supporté commence à vaciller. La fabrication des 1

en référence à la formule de production territoriale énoncée dans le chapitre 1.2

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territoires pour la production dans le secteur secondaire et tertiaire répond à d’autres contraintes que celles naturelles. Avec l’avent des ces formes de production la pratique d’adhésion change ses points de référence, on passe d’un support géographique à un support économique prenant relativement en compte la dimension physique. Les supports artificiels de ce type, comme les marchés financiers, font référence surtout à des modèles plus globalisés. Il ne faut pas du mois oublier la dimension sémiotique qui accompagne la production territoriale. Elle contient l’ensemble des signes et significations des réponses au support qui, dans le cas de supports virtuels, peut difficilement se manifester. Les nouveaux systèmes productifs se libèrent des règles imposés par la nature par l’affirmation des leurs, ce qui peut être raison de la dégradation territoriale. Dans la rupture des relations entre support et supporté nous reconnaissons le passage, décrit par E. Turri, d’un système de rapports homme-nature à un système de rapports homme-homme2. Ces dynamiques sont bien visibles dans la réalité territoriale tessinoise, par exemple dans les zones aux pieds des montagnes de la Plaine de Magadino, sur les versants en présence du lac ou encore dans les plaines productives du Mendrisiotto et aux alentours de Lugano. Ces endroits témoignent l’accumulation d’unités productives et d’habitation nouvelles qui ne font plus référence aux conditions du support, ce qui met en danger la lisibilité territoriale par l’implantation de systèmes hyperfonctionnels. Comme suggéré par C. Ferrata, la manipulation des lieux fait référence à une dimension sensible, «non è possibile ridurre il territorio a spazio isotropo ed euclideo e considerare i luoghi quale semplice supporto inanimato da destinare a funzioni ed opere indifferenziate3». C’est à la suite de la crise du rapport entre support et supporté que dans les zones en question surgit le sentiment de nostalgie. En absence d’un référent territorial clair dans un contexte de désordre global le seule moyen de générer un sentiment identitaire est celui de l’image ou du mythe.

E. Turri, Il paesaggio come teatro dal territorio vissuto al territorio rappresentato, Marsilio Editori, Venezia, 1998, p. 121 3 C. Ferrata, L’esperienza del paesaggio, Carocci Editore, Roma, 2013, p. 38 2

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Supporté et supportable Dans l’étude des dynamiques liées aux changements en faveur de la croissance il est nécessaire de se concentrer sur les effets des manipulations territoriales. Il est certes difficile de renoncer à la qualité de vie qui en découle, alors il se pose la question d’établir la limite entre support et supporté dans l’optique de ce qui est supportable. Nous avons vu dans l’étude en situ plusieurs situations se positionnant à la frontière de cette notion. Un des premiers exemples historiques que l’on peut mettre en relation à ce constat est la création du village idéal pour le touristes à cheval entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème. Dans ce cas la limite du supportable se pose dans les contrastes entre ce que H. Hesse décrit comme le sud authentique et l’environnement confortable offert aux touristes. Il est aussi possible d’appliquer cette notion à la course aux rustici, lorsqu’on modifie sensiblement le contenu de l’objet supporté. Dans le dualisme support-supporté le supportable joue un rôle crucial, des changements trop sensibles risqueraient de dénaturer les objets à la base de construction matérielle du territoire. En référence aux expériences en situ, nous remarquons que la question du supportable est à la base des plus grandes contradictions n matière de paysage. Non seulement les changements du contenu touchent aux équilibres de l’image mais aussi, et surtout, l’ajout irrespectueux d’éléments bouleversants les caractéristiques du dessin territorial dans sa correspondance support-supporté. La dégradation des paysages lacustres, ou l’infrastructure dans le cas de Bissone, sont peut être les situations les plus controversées du dépassement de cette frontière. Les situations des plaines productives, San Martino, Scairolo et Vedeggio, ne font pas exception, le rapport au support est dicté par une simple question d’accessibilité à l’infrastructure, sans prise en compte de la capacité de ces lieux à accueillir ce type d’activités. Si nous essayons d’appliquer ces réflexion sur la question de l’habitat nous observons également des ambiguïtés. Les anciens rapports d’adhésion au support ont contribué à dessiner une grande variété de typologies et expressions architecturales, variant logiquement entre les régions. Or, la diffusion du modèle de la villa individuelle et le bâtiment de 5 étages perturbe les équilibres des dessins territoriaux. Cela découle du fait que une des questions profondément identitaires tessinoises fait référence à ces modes anciens de construire et regrouper les maisons de manière dif244


férente, comme miroir des réponse aux différents événements. La prolifération systémique des nouvelles formes urbaines, ne tenant pas compte des spécificité du support, pose des grandes questions d’impact territorial. Le dessins des éléments traditionnels se mélange dans un modèle standard, qui parvient parfois, dans l’image d’ensemble, à l’annulation des différences régionales. La notion du supportable doit être amplement explorée avant d’entreprendre des changements, chose du reste inévitable. Nous ne pouvons pas simplement régler les interaction entre support et supporté dans des logiques purement économiques ou de croissance les composantes territoriales et paysagères doivent être respectés dans leur équilibres. Naturellement les besoins actuels en relation à nos styles de vie ont beaucoup changé par rapport aux traces des territorialités qui nous on précédé. Les banques, les industries, les infrastructures etc. en sont des exemples et peuvent devenir des nouvelles traces de territorialité si elles sont raisonnées de manière supportable. Nos actions territoriale font de plus en plus références à des contextes globaux et virtuels, cependant nous ne devons pas oublier le rapport au contexte géographique, avec son territoire et son contenu historique, producteur d’identité et de paysage de la mémoire. C. Ferrata nous rappelle que le paysage n’est pas une condition de départ mais se trouve en constante mutation, «da qui deriva buona parte delle nostre difficoltà interpretative davanti al nuovo. Chi si occupa di paesaggio dovrebbe quindi prestare attenzione non solo alla stabilità e alla conservazione, ma pure al mutamento4». 4.2 Le Tessin invisible Identité et mémoire «Strattonati dal cambiamento ci attacchiamo al passato per essere sicuri di ciò che noi siamo5». Cette phrase de Lowenthal met en relation les mutations et les questions identitaires. Or le sentiment identitaire d’une soC. Ferrata, L’esperienza del paesaggio, Carocci Editore, Roma, 2013, p. 82 D. Lowenthal, Passage du temps sur le paysage, Infolio, Gollion, 2008, p. 163, trad. par C. Ferrata

4 5

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ciété fait référence, entre autres, aux traces de la mémoire individuelle et collective présentes dans les territoires. Ces objet témoignent l’historicité d’une culture et son épaisseur dans le temps6. Cependant, les véhicules de la mémoire ne se limitent pas seulement aux éléments supportés dans un territoire, l’homme lui même étant dépositaire de la mémoire collective et individuelle. La permanence des traces matérielles est tout aussi importante que le dialogue entre les générations. Soit l’homme, soit les traces qu’il laisse constituent les éléments du paysage de la mémoire, signal du temps dans l’espace et véritable véhicule de notre mémoire7. Identité et mémoire reviennent au concept du paysage comme monument, ou du moins comme représentation d’un patrimoine collectif. Le patrimoine est un choix. Étant donnée la nature changeante du paysage, il faut s’interroger sur quels traces sont dignes de représenter le patrimoine ou, en d’autres mots, combien de mémoire faut-il produire afin de pouvoir laisser une marge suffisante pour les actions territoriales8. La persistance du paysage de la mémoire, allant au delà de l’existence d’une seule société, dépend strictement de la prédisposition d’une culture au maintient de ses référents. «La questione del patrimonio ci mette infatti in contatto con il tema della memoria dei luoghi, ci collega con il nostro passato, ci obbliga a riflettere sul significato da attribuire a quest’ultimo, rende significanti i sengi del tempo e, infine, ci permette di radicare lo sviluppo nelle identità locali. E uno « sviluppo locale » non può che prescindere da una rilettura critica della nostra memoria e dei suoi percorsi per attribuire al territorio che abitiamo profondi significati collettivi9». Pendant le passage du monde rural au monde financier, la société postmoderne tessinoise semble prêter peu d’intérêt à l’égard de ce sujet, en démolissant une partie de ces supports et en interférant avec des nouvelles actions territoriales. Les opérations des deux derniers siècles bouleversent l’organisation et la permanence des supports de la mémoire collective tessinoise. L’explosion récente des initiatives individuelles, d’habitation et de production, et leur accumulation massive mettent en E. Turri, Il paesaggio come teatro dal territorio vissuto al territorio rappresentato, Marsilio Editori, Venezia, 1998, p. 140 7 C. Ferrata, L’esperienza del paesaggio, Carocci Editore, Roma, 2013, p. 39 8 Ibid. p. 48 9 Ibid. p. 50 6

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danger les supports de la mémoire, qui semblent pouvoir parler seulement dans les zones qui ont été abandonné. Or, le paysage de la mémoire rentre au Tessin dans une crise qui concerne tout le territoire. Comme évoqué, la disparition, physique ou pas, des traces mnémoniques dans le Tessin nostalgique engendre la perte d’épaisseur historique. En ce qui concerne le Tessin abandonnée il faut préciser que le paysage n’est pas un événement historique fixé dans le temps mais plutôt un phénomène historique accompagnant les successions des sociétés. Par définition il s’agit d’une entité en mouvement. Dans le Tessin abandonné les supports de la mémoire sont manifestes, mais il s’agit en quelque sorte d’une mémoire figée, ou qui du moins trouve des difficultés à générer des nouveaux supports pour les prochaines générations. L’abandon contraste avec la théorie qui veut le paysage en mouvement. Si, comme dit par E. Turri, le paysage est une richesse, une épaisseur anthropique qui témoigne de la capitalisation des efforts10, alors une condition d’abandon du paysage engendre l’affaiblissement de cette épaisseur, ne lui permettant pas de croître au fil du temps. La mémoire se lie à un support mais ce support est inséré dans un contexte. Afin de garantir la persistance de la mémoire il n’est pas suffisant de maintenir seulement l’objet. Il y a un certain nombre de relations que l’objet entretient avec le contexte et qui doivent être maintenues afin de permettre à l’objet de “fonctionner”. L’avancement de la ville filiforme a le plus souvent perturbé ces relations contextuelles minimales. Les supports de la mémoire deviennent, comme les paysages, de moins en moins lisibles par la position marginale qu’ils occupent dans l’étalement urbain. L’importance de la compréhension de cette sphère d’influence minimale est très importante dans la conservation du patrimoine bâti. Les visites en situ nous ont démontré que la plupart des qualités du patrimoine bâti tessinois découlent des interactions entre les éléments et ne résident pas dans telle ou telle maison et église. La complexité spatiale se base sur les successions d’espaces, des rapports spéciaux avec les éléments topographiques ou du paysage naturel, des relations entre objets, des implantation particulières, etc. Le patrimoine du Tessin est dans ce sens invisible, naît de l’équilibre des entités matérielles mais occupe la dimension de E. Turri, Il paesaggio come teatro dal territorio vissuto al territorio rappresentato, Marsilio Editori, Venezia, 1998, p. 139

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la perception, que seulement la peinture et la littérature on su pour le moment raconter. Ce fait rend ce patrimoine encore plus vulnérable aux changements irréfléchis au nom de la croissance et nécessite une étude plus ample afin de marquer les vraies limites du supportable tessinois. Il me semble qu’aujourd’hui certains éléments persistent à l’intérieur de certains contextes, devenus absurdes, uniquement par la crainte que les acteurs économiques ont d’une révolte populaire si l’on décidait de les supprimer. Les ambiguïtés de ces situations sont nombrables dans le territoire actuel et doivent constituer un motif de réflexion profonde lors des futures interventions. Finalement, le paysage de la mémoire, et de l’identité, semble être strictement liés au concept du supportable d’un lieu, notion qui traditionnellement a contribué à l’épaisseur mnémonique. Bien que cette épaisseur fait référence à des singles objets, elle est surtout constituée par l’immatériel, qui incarne, selon E. Turri, le vrai genius loci d’une culture. «Il ricordo può essere semplicemente affidato alle opere e agli interventi funzionali che gli individui hanno realizzato e che rientrano negli allestimenti con i quali di predispongono i territori alla produzione, all’insediamento ecc. [...] Ma al di là delle superfetazioni personali, individualistiche, il paesaggio un tempo era impregnato di di usi e memorie che esprimevano per intero la società, che sussistevano al di fuori di fatti e personaggi precisi, perché il tempo cancellava le date e i personaggi e lasciava emergere tutto ciò che era spirito del luogo, genius loci, come una divinità impersonale che si limitava ad incarnare il senso del luogo [...]11». Les images de la négation La question de la mémoire touche de près celle des images. Les traces matérielles dans le territoire fournissent les supports fondamentaux pour la construction du passé dans le présent. La mémoire donc se base sur la fabrication du passé à partir de la production des images issue des supports matériels12. Cela trouve une correspondance dans le processus de création d’un paysage, produit de la réalité différée dans E. Turri, Il paesaggio come teatro dal territorio vissuto al territorio rappresentato, Marsilio Editori, Venezia, 1998, p. 142-43 12 C. Ferrata, L’esperienza del paesaggio, Carocci Editore, Roma, 2013, p. 49 11

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le temps. Evidemment, si les supports cessent d’exister la persistance de la mémoire s’interrompt. Il faut néanmoins noter qu’avec le temps la lecture des traces matérielles s’altère inévitablement, en produisant des images respectant partiellement la vérité. Nous reconnaissons l’importance de la production de l’image dans tous les équilibres qui font référence à la production du paysage. Dans les relations traditionnelles, le paysage passif était le résultat de la production d’images en référence à un territoire. Dans le développement temporel le paysage suit donc le territoire. La cohérence entre les deux était donnée par le respect des conditions du support dans le processus d’adhésion. Ce fait d’harmonisation garantissait également la lisibilité des traces à la base des images. Nous pouvons expliquer ce propos grâce aux formules énoncées dans la première partie de l’étude:

Production territoriale

A(l,m,p) → R → S(Sn/So)= T/Ta

Production de l’image

Sg/Li(T/Ta) = I

Succession temporelle

T/Ta → I → Paysage

Dans le cas spécifique du Tessin, la suite des changements qui entraîne le passage vers la société postmoderne amènent à la subversion des rapports ente support et chose supportée. Comme expliqué par C. Ferrata «se analizziamo la creazione dei paesaggi nel paostmodernità notiamo che il rapporto immagine/lavoro appare rovesciato13». Les formes de productions postindustrielles ne nécessitent plus le respect des contraintes d’adhésion à l’environnement naturel. La résultat est la perte de lisibilité à la base des images nécessaires à la production du paysage. Pour à la fois essayer de contrer cette perte et garder la production de paysage, les sociétés postmodernes fabriquent des images qui ne font plus référence au rapport d’adhésion. «L’immagine assume infatti un ruolo preponderante al lavoroe precede il lavoro14». La normale séquence temporelle territoire-image-paysage s’inverse de manière soudaine. Afin de construire un paysage souhaité les so13 14

C. Ferrata, L’esperienza del paesaggio, Carocci Editore, Roma, 2013, p. 83

Ibid. p. 83

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ciétés fabriquent des images qui influencent les actions territoriales. Le territoire devient le produit de planification qui se fait à partir de l’image. «Oggi il territorio è progettato [...], prima di essere costruito e prodotto, è già un’immagine. Ormai, possiamo pensare il paesaggio e creare continuamente territorio, poiché si parte dall’immagine e contrariamentea ciò che determinava il sistema classico, nel quale un territorio diventa paesaggio in maniera differita, non è colui che lavora materialmente nel territorio che crea il paesaggio15». L’image prend la place du concept d’adhésion au support dans les choix qu’influencent la construction du territoire. La différence fondamentale est que l’image répond aux désirs des acteurs et non à ses besoins. La fabrication des images pour la production territoriale est une logique qui bien s’insère dans les intérêts économiques du Tessin, étant donné la masse de matériel disponible à la création de celles-ci. Il suffit de penser à la variété et la richesse des espaces naturels, leurs traditions spécifiques, les modes de vie, les différents styles architecturaux, en somme tous les éléments perdus qui deviennent un grand potentiel pour la création de fiction. Aujourd’hui le Tessin est constamment envahi par des images, issues de la promotion immobilière, qui en décident la sort territoriale. En mélangeant les mémoires et les traces matérielles il est possible de produire une suite interminable d’images et mythes. Le processus d’urbanisation, actuellement en cours autours des rives des lacs et sur les versants qu’ils les occupent en est la conséquence. Il n’est pas question de s’engager dans des spéculations dangereuses liées au monde des affaires, plus ou moins licites, qui accompagnent cette édification inconsidérée, pourtant une réflexion surgit spontanée. En faisant un parallèle avec le modèle idéal de village pour les touristes du début du XXème siècle, évoqué par H. Hesse, nous constatons la formation d’un modèle idéal d’édification pour les fantômes, proposant l’achat et la vente d’immeubles prestigieux vides ou semi-vides pour des raisons qui vont au delà des besoins territoriaux. Les versants des montagnes deviennent des constellations d’appartement de luxe, avec vue sur le lac, sans trop se préoccuper de leur impact visuel depuis le lac. De plus, ce phénomène C. Raffestin, Dalla nostalgia del territorio al desiderio di paesaggio, Alinea Editrice, Firenze, 2005, pp. 58-59

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se produit à une poignée de kilomètre des lieux dévastés par le silence de l’abandon, un silence encore plus fort du bruit des maisons qui tombent en ruine, de la forêt qui avance, d’une avalanche qui efface. Malgré tout il faut remarquer que le paysage, dans sa fragilité, est extrêmement difficile à perdre et cela vaut aussi pour le Tessin, même suite à toutes ses contradictions. Pourtant, à l’issue de tous les phénomènes jusqu’ici évoqués, le paysage tessinois de nos jours est en quelque sorte rendu invisible, il disparaît derrière la proposition d’images fictives, il est caché par les interférences des dernières actions territoriales, il se confond dans les incompréhensions du progrès, il se bloque dans les effets de l’abandon, il est relégué par la contamination. Paradoxalement il est présent mais on assiste à l’empêchement de son regard passif et à l’imposition d’un autre langage de traduction. Le résultat de cette logique révèle l’existence d’un paysage réel nié en faveur du désir, avec toutes les conséquences que cela entraîne.

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Remerciements

Je tiens à remercier tout d’abord Mme. Prof. Elena Cogato Lanza pour avoir accepté de me suivre dans l’élaboration du présent document avec engagement et professionnalisme. Je remercie mon directeur pédagogique Prof. Luca Ortelli et mon maître EPFL Mme. Barbara Tirone pour leurs précieuses et nombreuses interventions. J’adresse un grand merci également à tous ceux qui m’ont soutenu dans le long travail d’élaboration de l’énoncé théorique avec leurs conversations stimulantes. En conclusion, je tiens fortement à dédier ce travail à ma famille, en particulier à Eva Quadri et Romano Degli Esposti.

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