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DOSSIER COVID-19
juin 2020
Tribune libre
Le virus de Bordurie Le 17 novembre 2019, un nouveau virus fait son apparition en Bordurie. Il semble très contagieux et se transmettrait d’homme à homme. Le dirigeant de la garde d’acier Müsstler1 ordonne que cette nouvelle ne soit pas divulguée.
E
t pourtant, des fuites permettent à la Syldavie toute proche de se préparer et d’anticiper le pire. Il faut dire que la Syldavie avait tiré des enseignements précieux d’un exercice national ayant pour thème «Que faire en cas de pandémie grippale», en 2014 déjà: des stratégies pour entraver la propagation du virus ont été élaborées par des scientifiques et des épidémiologistes de haut vol, puis exercées; d’importants stocks de matériel de biosécurité sont à la disposition des soignants et du peuple syldave: 50 masques ont été distribués régulièrement à chaque citoyen. Une attention toute particulière a été portée aux personnes vulnérables. MESURES DE BIOSÉCURITÉ ET TESTS EN SYLDAVIE…
Dr JEAN-PIERRE RANDIN MÉDECIN RETRAITÉ ET MEMBRE DU COMITÉ DE RÉDACTION DU CMV
Ainsi, dès les prémices de l’épidémie affectant le pays, en février 2020, tout le personnel des établissements médico-sociaux (EMS) de Syldavie est sommé de se rendre sur le lieu de travail muni de masques, et est tenu d’adopter les principes de biosécurité, exercés régulièrement tant dans la vie privée qu’au travail. Les visites par des proches sont acceptées au comptegouttes, avec une obligation de porter systématiquement un masque et l’interdiction de tout contact physique avec le résident.
Les biologistes de Syldavie ont élaboré en janvier 2020 un test diagnostique sûr. Il est produit immédiatement en grande quantité. Ce test est dès lors pratiqué dans toute la population à la moindre suspicion de la maladie. En cas de forte suspicion clinique et d’un test positif, le citoyen syldave est mis en quarantaine pour quatorze jours et son entourage direct pour une durée de cinq jours, au moins. Le leadership et la conduite de l’épidémie sont confiés à la Société médicale syldave (SMS). … FACE À UNE BORDURIE PRISE DE COURT
En particulier, la SMS ordonne que toute visite dans un EMS ne peut se faire sans le feu vert du médecin traitant, qui ordonne de cas en cas le test diagnostique. Depuis le début de l’épidémie d’ailleurs, tout patient hospitalisé est systématiquement testé. Après plusieurs mois, la Bordurie, qui n’avait rien préparé, en manque
de matériel diagnostique et de biosécurité, a été prise de vitesse. Elle doit déplorer une très forte mortalité de sa population âgée, tout particulièrement dans ses EMS; certains établissements ont été décimés: la moitié, voire les trois quarts de leurs résidents sont décédés en peu de temps. La Syldavie était prête, a su anticiper et prendre de court le virus, et non l’inverse. Les autorités sanitaires ont écouté ses experts et se sont appuyées sur une SMS forte et inventive, qui s’est dépensée sans compter tant dans les hôpitaux que dans les établissements et les cabinets médicaux. Avec, pour récompense, les plus faibles morbidité et mortalité de toute l’Europe dues à ce nouveau virus. La presse et la vox populi de la Bordurie ont demandé une enquête indépendante. Müsstler s’est violemment opposé, l’enquête n’a jamais eu lieu. ■ Le Sceptre d’Ottokar, Hergé, 1939.
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