Don Quichotte

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Traduction : Catherine SinĂŠ Maquette : Aude Charlier


JACOVITTI (bibliographie française) Les aventures de Zorry Kid (3 tomes) – Éditions Garnault 1982-1983 Kamasutra – É ditions Artefacts 1983 Jacovitti, Don Quichotte – Éditions Futuropolis 1983 Jacky Mandoline, jo Balordo – Éditions Libération Le Cygne 1983 Pinocchio – Éditions Les Rêveurs 2009 Jacovitti, Don Quichotte – Éditions Les Rêveurs 2010

Pour découvrir l’ensemble de l’œuvre de Benito Jacovitti se reporter au site officiel : www.jacovitti.it


Conçu dans une intention satirique, le roman Don Quichotte est vite devenu un mythe littéraire intemporel. Tel Ulysse pour les Grecs de l’Antiquité, Gargantua et Pantagruel pour les Français, le pâle prince Hamlet pour les Anglais, le Faust des Allemands et Pinocchio ou Dante en vadrouille dans l’au-delà pour les Italiens, le preux chevalier de la Mancha représente pour les Espagnols une icône littéraire impérissable, projetée dans l’imaginaire collectif planétaire. Ainsi, malgré ses cinq cents ans bien sonnés, la figure hallucinée de ce redresseur de torts idéaliste, avec son armure et son chétif destrier, nous est-elle parfaitement familière. Ses hauts faits aventureux, vécus en compagnie d’un partenaire fruste et subalterne qui l’épaule dans les causes perdues, continuent à susciter les plus diverses interprétations picturales et graphiques. Les médias du xxe siècle ont sans conteste contribué de manière non négligeable à amplifier la diffusion de l’icône Don Quichotte, la transmettant pratiquement dans son intégrité à l’époque actuelle. À l’affut de sujets et de personnages, le théâtre, la télévision, les bandes dessinées et le cinéma ont, avec plus ou moins de bonheur, amplement puisé à son mythe pétri d’intentions tantôt comiques, tantôt morales. Et il ne faut pas s’en étonner puisque l’histoire du chevalier fou luttant contre les moulins à vent (devenus proverbiaux grâce à lui) renferme dès le début, par la volonté même de son auteur, un mélange de divertissement et d’enseignement spirituel. Personnage ridicule et extravagant, il est empreint d’une irrépressible détermination rédemptrice et s’engage jusqu’aux ultimes conséquences dans la défense de l’Amour et de la Justice (les majuscules ne sont pas un hasard). En 1605, lorsqu’il le crée dans l’œuvre intitulée à l’origine El ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha, son « papa » Miguel de Cervantès y Saavedra (1547-1616) veut insuffler une touche de ridicule dans les romans chevaleresques, en déclin à l’époque où il écrit. D’après le romancier espagnol, en effet, il est grand temps de prendre ses distances avec ces œuvres littéraires au style redondant farcies de circonstances invraisemblables, en particulier du point de vue esthétique.

Don Quichotte, dans une nouvelle version réalisée en 1974 pour la galerie de personnages qui ouvre un gros album anthologique sur Jacovitti édité par Piero Dami.

Sauf qu’au fil du temps, on dirait que l’auteur s’est tellement attaché à son personnage qu’il le prend au sérieux, tout en lui attribuant ces valeurs qu’au moment de sa création, il avait peut-être seulement l’intention de mettre à mal. Dans les registres de l’état civil, le héros de ce roman parodique s’appelle Alonso Quijano. Cervantès nous informe qu’au moment où sa folie survient « il frisait la cinquantaine ; de complexion robuste, sec de corps et de visage ; il se levait de bon matin et était grand amateur de chasse ». Aussi follement passionné de lectures chevaleresques que noble d’âme, notre maigre hidalgo se pique d’imposer à l’humanité sa vision désenchantée du monde, dégagée des conventions sociales et complètement à l’opposé des misères que la vie quotidienne distribue à pleines mains. Ainsi, après avoir changé son nom pour le ronflant don Quichotte de la Mancha, le bon Alonso Quijano se métamorphose en une sorte de redresseur de torts, commençant à errer dans toute l’Espagne avec la ferme conviction d’être un chevalier. Selon l’usage médiéval, don Quichotte entend défendre les faibles contre les abus de pouvoir des puissants, remettant à la mode des idéaux tombés en désuétude depuis des siècles. Au cours de son périple moralisateur, chevauchant son fidèle cheval émacié Rossinante, don Quichotte trimbale aussi avec lui un homme rencontré en chemin, un certain Sancho Panza, auquel il promet une partie du royaume qu’il va conquérir, en échange de ses services d’écuyer. Puis, par amour d’une paysanne qu’il prend pour une princesse et rebaptise Dulcinée de Toboso, notre fol hidalgo se lance dans l’accomplissement de hauts faits d’inspiration héroïque.

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successeur grâce à la main de Pier Lorenzo De Vita, autre père historique de la bande dessinée italienne, quasiment de la même génération que Bioletto, avec lequel il effectue un parcours commun. Dès 1938, âgé d’à peine 29 ans, De Vita avait monté une société lucrative avec Mondadori, reprenant des romans classiques ou épiques, vieux ou récents, dans ses grandes planches, sans lésiner sur la veine ironique et grotesque qui, dans ses aventures disneyennes, se muera en difformités somatiques bizarres chez les personnages secondaires. Entre-temps, lorsque Mickey est encore un journal anthologique et s’appuie sur les funny animals disneyens des pierres angulaires de l’aventure (made in Italy ou pas), De Vita illustre une transposition fantaisiste des Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul du français Albert Robida (1938-1940). Pour Paperino e altre avventure (Donald et autres aventures), il dessine les feuilletons historique La Primula Rossa del Risorgimento (La primevère rouge du Risorgimento) (1938-1939) et d’aventure Il diamante azzurro (1939-1940) tout en se mesurant pour L’Audace au roman en costumes Capitan Tempesta (1940-1941). On peut aisément imaginer que, si le Don Quichotte de Pedrocchi n’avait pas été confié à Bioletto, il lui serait revenu de droit, tant les personnages du chevalier visionnaire et de son écuyer corpulent conviennent à l’écriture graphique de De Vita. Ce grand dessinateur réapparaît de manière indirecte après guerre quand, poursuivant sa collaboration avec Mondadori, après avoir publié plusieurs de ses histoires dans la collection Albi d’oro (L’escalier de la haine, La grande aventure de Marco Za, L’espion, La mariée d’un jour, L’épée de Domokos), il accepte les contraintes strictes et s’attaque, sans trop d’enthousiasme, aux personnages de Mickey et de Donald. Comme on le sait, en effet, à cette époque Mondadori bénéficie d’une licence d’exploitation de Disney et il est autorisé à en produire des histoires. Au début de son long militantisme auprès du nouveau Topolino1, non plus anthologique mais uniquement disneyen (qui sera en format de poche à partir de 1949), De Vita livre à l’histoire de la bande dessinée son interprétation du Don Quichotte, homonyme du roman de Cervantès, mais aussi appelé Donald et Don Quichotte pour des raisons logiques de différenciation (Topolino, numéros 137-139). L’ouvrage de De Vita est la deuxième longue aventure de ce célèbre cycle en bande dessinée qui sera connu par la suite sous le nom de « Grandi parodie », inauguré en 49 avec L’Inferno di Topolino (L’Enfer de Mickey), soit le premier chant de l’œuvre de Dante revisité sous un angle résolument satirique, avec les dessins de Bioletto et le scénario du volcanique Guido Martina, créateur de Pecos Bill. C’est au cours de l’année 1956 que Martina, sur une suggestion du directeur de Topolino Mario Gentilini, décide de ne pas faire de l’Enfer danto-disneyen une expérience isolée. Du coup, en collaboration avec De Vita, il colle l’irascible Donald Duck dans le rôle d’un jeune chevalier errant et, dans celui de l’écuyer Sancho Panse, ce pauvre Dingo, « faire-valoir » pour une fois d’un autre premier rôle que Mickey.

Mais en 1600, l’Espagne de Cervantès s’avère très différente de celle des romans de chevalerie. Du coup, pour le dernier des chevaliers, chaque entreprise ne tarde pas à virer régulièrement à la défaite, d’autant qu’elle se base sur des méprises et des malentendus. Don Quichotte confond des moulins à vent avec de gigantesques bras tournoyants, il prend de simples marionnettes pour des créatures maléfiques, transforme des troupeaux de brebis en armées ennemies. Pour lui, le couronnement de toute bataille sera le mépris des gens, qui lui plaquent l’étiquette de fou.

Don Quichotte en bandes dessinées Père du roman moderne d’après le critique György Lukács, Don Quichotte présente aussi dans sa trame un formidable matériau à exploiter pour une ou plusieurs bandes dessinées. Ou dans les dessins animés, comme le fait Ub Iwerks avec son studio, en 1934, après avoir commencé son activité avec Walt Disney en animant et en dessinant les premières images de Mickey. Iwerks intitule Don Quixote un court-métrage en couleur du cycle Comicolor, distribué dans les salles de cinéma par le producteur Pat Powers. Le 26 novembre de cette année, débute la brève parabole sur les écrans du chevalier fou qu’Iwerks représente, sans hésiter, dès les premières scènes dans une clinique psychiatrique, enfermé dans une cellule aux murs capitonnés. Il va échapper à son surveillant obèse, mais à la fin du court-métrage, il sera bien content de retourner derrière les barreaux, réalisant que, somme toute, le monde extérieur est bien moins accueillant que sa cellule. En Italie, la première version en bandes dessinées du chef-d’œuvre de Cervantès est due au grand scénariste Federico Pedrocchi (qui se cache sous le pseudonyme de G. Mellini), l’un des principaux auteurs de « publications à petits nuages » de l’entre-deux guerres. Le dessin de cette adaptation du Don Quichotte en bande dessinée, rare et méconnue, est l’œuvre d’un autre grand interprète graphique, cette fois-ci : l’illustrateur turinois Angelo Bioletto, né en 1906, qui s’est aussi adonné pendant un certain temps, jusqu’au début des années 50, à l’art de la séquence. Dessinateur humoristique pour le quotidien La Stampa, Bioletto était devenu très populaire à la fin des années 30 (du siècle dernier, naturellement) pour ses dessins comiques et grotesques des vignettes Perugina, inspirées par l’émission radiophonique Les 4 Mousquetaires des humoristes Angelo Nizza et Riccardo Morbelli. C’est en 1939 que, dans sa chambre d’hôtel à Paris, où il se trouve pour le lancement du concours lié à ces vignettes légendaires, Bioletto réalise les planches dessinées du Don Quichotte adapté par Pedrocchi, qui seront publiées par Arnoldo Mondadori entre janvier 1938 et juillet 1939 sur l’illustré L’Audace (numéros 262-291). Il s’agit de la première approche de Mondadori avec le rêveur fou de la Mancha, qui trouvera son digne

(1) En Italie, Mickey s’appelle Topolino et donne son nom à l’équivalent du Journal de Mickey.

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Tout ce que un prétexte vous voyez est que, dès le pour vous dire pr du Vittori ochain numéro os vr ir ez D on o, vous découDon Quich Q uich ot te , un otte du sous Ciao ! signé.

Le Moyen Âge fut une période pleine de belles choses : Chevalerie, honneur, aventures, fantaisie, etc. etc. Jetez un coup d’œil ci-dessous et vous vous en rendrez compte.

Avec cet hippogriffe mieux fait de me d’un parachute.

j’aurais munir

Aïe ! Aïe ! Y me mord la main ! Y me fait mal !

Oh ! Ce que j’ai honte !

Je le mange moi… Je l’ai vu en Non ! premier ! ce guerrier c’est moi qui me le boulotte ! Pauvres chéris… c’est moi qui vais le bouffer !...

ôme Attention ! fant it au minu de

Vous m’avez encerclé hein ? Mais je vendrai cher ma peau ! Cent écus !...

Quel que c hose

Chevalier, du courrier pour vous !... Eh non ! Il fallait que tu envoies seulement la flèche.

eur Taill

Mais t’as vu ça… s ulet 3 bo sou 1

e

r heu lle ? Queest-il

P inte assage r che dit aux vaux

Eh, que fais-tu ? T’es fou ? Je mets

les merlons en cage !...

Vous voulez de l’huile bouillante ? Passez la monnaie ! Avec ce panneau bien en vue, l’ennemi n’entrera pas, même le pont abaissé.

Fais attention, hein !... z!

Alle

I d nt sur e maerdit les rch fle er urs

! lons! fé ds r Vilsoua C

Aff i int chage erd Ce fichu baron m’a eu it A encore une fois ! Dieu sait ic int hage où il s’est caché… erd it Aff i intechag rdit

Af int ficha erd ge it Affi c inte hage rdit

T’as pas d’armure ? Si tu veux venir dans la mienne, te gêne pas !...

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d’un villa Au x ab or ds ge monts et va perdu entre château du llées, un vieux e majestueu XVII se dresse térieur, vi sement. À l’inmisanthrop t un drôle de coup et rêve e qui lit beauhéros d’ép de fantastiques Don Quichopée. Il s’appelle de ses loin otte comme un que Cerva tains ancêtres nt dans son cé ès immortalisa lèbre roman .

Voilà des années que Don Quichotte ne sort Ah ! Magnifique… Cet plus du château et ces lectures lui ont fait Orlando sait vraiment y perdre la notion du temps. faire… Joli coup… Il est fort

Tous ces chevaliers se battent et gagnent pour un idéal… Moi aussi je dois affronter le mal, sous quelque manière qu’il se présente !

mon paladin…

Un jour, Don Quichotte prend le mors aux dents, faisant accourir un vieux et gros majordome qu’il appelle Sancho Pansu.

Don Quichotte montre à Sancho Pansu une vieille armure couverte de toiles d’araignées pendue à un portemanteau.

Regarde ce portrait, félon : c’est mon trisaïeul au carré, Don Quichotte de la Mancha, un grand guerrier…

Aidé par le vieux Sancho Pansu, Don Quichotte enfile laborieusement la cuirasse rouillée et tout ce qui s’ensuit.

Cette armure lui appartenait… À compter d’aujourd’hui ce sera mon habit… Époussette-la et mets-la moi…

Voilà qui est fait, excellence. Je crois qu’il faut lubrifier un peu…

Va t’habiller en écuyer… et amène-moi un cheval : tu vas me suivre dans mes futures pérégrinations…

Tu vois comme je ressemble à mon trisaïeul au carré ? Dorénavant je veux égaler ses exploits et je finirai tout ce qu’il a commencé…

Je couperai les têtes des dragons et des Turcomans, là, là et là. Tzac !

Don Quichotte est saisi d’une étrange lubie et se met à manier l’épée à droite et à gauche.

J’embrocherai les ennemis de l’honneur et de la justice, là et là ! Je serai le pourfendeur de tout malheur !

Ah ! Lui je l’appellerai Rossinante… Il est beau et vigoureux… Excellence, me voici de retour… Je n’ai trouvé que cette rosse dans le château…

Sancho Pansu s’est habillé en vieil écuyer du XVIIe et traîne dans le salon un pauvre canasson mal en point…

Notre héros continue à distribuer des coups çà et là, tandis que du tableau, l’esprit du vrai Don Quichotte entre dans le corps de son descendant. Maintenant voilà le pompon !...

Dans son imagination surexcitée, Don Quichotte voit cette carne non comme elle est réellement mais comme si c’était un cheval de race. N’importe quoi !...

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Tiens fermement ce fougueux destrier car je veux le monter… Avec lui j’affronterai intrépide combats et batailles.

Sancho Pansu, majordome du châtelain fou, aide la carne à reprendre la position d’un cheval normal… Sancho est obéissant car Don Quichotte lui doit encore plusieurs mois de gages en retard.

Le canasson que Don Quichotte prend pour un «fougueux destrier» s’effondre sous le poids de l’armure de notre drôle de héros.

En avant, fier destrier ! Le monde a besoin de mon bras armé de Durandal !...

Nous allons quitter ce château pour partir à l’aventure comme tout chevalier qui se respecte. Il me manque un bouclier et une lance… Dès que je croise un chevalier ennemi, de cette épée j’obtiendrai écu et pique !

Excellence, ne vous agitez pas trop. Rossinante pourrait se fracasser d’une seconde à l’autre !

Les fantômes des héros qui peuplent la bibliothèque et l’imagination de Don Quichotte s’animent dans le grand salon du château pour saluer et souhaiter bonne chance à notre «héros» qui ne voit pas Rossinante et Sancho Pansu tels qu’ils sont en réalité.

et Bonne chance, grand ! preux Don Quichotte

vaChevalier des che liers… surpasse nos… entreprises passées

Écuyer Sancho Pansu, baisse le pont levis et commençons nos aventures !

Salut à toi, archi-chevalier !

uichotte Vive Don Q ins ! roi des palad

Sois fort et loyal, avec ton épée !... Et même plus qu’archi-chevalier, ! archi-commandeur

Don Quichotte quitte le château sur son branlant Rossinante tandis que Sancho Pansu, prudemment, ferme bien le portail.

Ne perds la tête en aucune occasion !

En chemin, comme on le voit, Sancho Pansu se nantit d’une coiffure adaptée à sa nouvelle tenue d’écuyer.

Ne faites pas attention, brave homme… Il faut bien que j’obéisse à mon maître !...

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Les gens opprimés et les injustices terrestres attendent mon épée et mon courage !


Écartez-vous, vassaux. Laissez passer le chevalier sans taches et sans peur !

De nombreux villageois viennent voir le drôle de trio formé par Don Quichotte, Rossinante et Sancho Pansu. Ici et là, on rit et on se moque.

Ça doit être des marchands ambulants de vieille ferraille…

les Le s rir es et t sur railleries tapen males nerfs de l’im sans culé chevalier ndit peur, lequel brappe à son épée et fra C’est tour de bras !... généla bousculade rale !

J’ai dit de me laisser passer, misérables serviteurs de la glèbe ! Je dois aller me battre et vous me barrez la route ! Par pitié, excellence, arrêtez avec cette épée… Vous pourriez faire mal à quelqu’un…

Allons-nous-en, écuyer Sancho. Cette glèbe servile ne comprend pas mes actes… Ah !

La foule passe à la contre-attaque et nos amis sont chassés du village manu militari.

Sancho Pansu est sur le point d’être rejoint par la foule déchaînée (il est à pied, le pauvre !)…

Quelques heures plus tard, nous retrouvons nos héros égarés sur une petite route de la campagne solitaire.

Le quatuor (il y a en plus le bœuf Gelsomino) tombe sur un passage à niveau dont les barrières sont abaissées.

Maintenant toi aussi, vil écuyer, tu possèdes un fougueux destrier. Te le serais-tu procuré en combat singulier ?

Mais en deux temps trois mouvements, il se procure une monture bovine.

La prenant pour une lance, Don Quichotte s’empare d’une des deux barrières.

Voilà la lance faite pour moi. Avec elle, j’abattrai dragons, géants et chevaliers ottomans ! Excellence, remontons à cheval et fuyons avant que le garde-barrière arrive !

Eh, qu’est-ce qui te prend ! Tu veux vraiment rester là ? Ce sont les rails du train… Lève-toi. Allez… Grouille !... Mmmeeuh… Qu’est-ce que ça peut me faire ?

Le bœuf Gelsomino n’est pas de l’avis de Sancho et s’installe confortablement en plein sur les rails pour se reposer.

Un long sifflement fait sursauter Sancho. Dans le virage, débouchant d’un tunnel, a Ah !! Sauve qui peut ! surgi le direct de quatorze heures trois.

Le train arrive !!...

Tu veux dire le trainosaure… C’est ainsi que j’appellerais ce monstre qui fonce en ferraillant…

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Le direct vrombissant qui vient de la grande ville renverse cheval et cavalier.

… Et le fait retomber, comme par hasard, sur le dos de Don Quichotte, pile au moment où celui-ci se redressait, quelques instants avant que le garde-barrière furibard ne déboule.

Rossinante a été plus malchanceux que Don Quichotte. Une giclée de vapeur comprimée fait jaillir le pauvre cheval…

Don Quichotte monté par Rossinante et Gelsomino par Sancho Pansu se carapatent précipitamment.

Assassins, saboteurs de voies ferrées !... Excellence, le train a emporté le cheval…

Le train est passé et laisse sur la voie un Don Quichotte h. s. et un Sancho Pansu effrayé… Sans compter le bœuf Gelsomino qui souffre atrocement à certains spectacles. Et Rossinante ? Où a-t-il pu passer ?

Assassins… Ravageurs de passages à niveau… Si je vous attrape…

Fichons le camp… Le gardebarrière arrive !...

Je sens quelque chose qui cloche… J’ai l’impression que je m’enfuis… et que j’ai un drôle de poids sur le dos…

Écuyer, j’ai l’estomac dans les talons… d’où la nécessité de nourriture… Plus tard, nos quatre amis (en comptant les bêtes) sont sur la route qui mène à la grande ville… Nous sommes en milieu d’après-midi…

Excellence… voilà enfin une sage pensée…

Plus loin, le chevalier errant s’aperçoit qu’il a le cheval sur le dos. Il sort alors de ses gonds et s’en prend à son écuyer.

Écuyer à la noix… Tu m’as humilié et ennobli ce vil canasson… J’ai une envie folle de te couper la tête !...

Aux yeux de Don Quichotte, surgit au loin un scorpion géant en train de grimper à un poteau. Ce n’est pourtant qu’un pauvre électricien au travail…

Ah ! Mort au scorpion visqueux plein de pinces !

La lance en arrêt, Don Quichotte part à l’attaque, avec l’intention de transpercer ce qu’il croit être un monstre.

Le poteau tombe sur notre héros et un câble sectionné touche Don Quichotte, lui envoyant une bonne décharge électrique. Ce coup-ci, le chevalier n’y a pas été de main morte !

Or Rossinante trébuche et la hampe rouge et blanche du chevalier errant casse en deux le poteau électrique. Mais… que se passe-t-il ?...

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Si ça ne lui a pas remis les idées en place cette fois, rien ne le fera plus…

Un coup de klaxon interrompt les soins énergiques de Sancho…

fidèle Sancho Pansu Grâce à l’intervention du , Don Quichotte ne passe pas s qui retire le poteau cassé évanoui à cause des forte iration l’arme à gauche. Il est juste rdome-écuyer fait la resp décharges reçues. Le majo t en compote. artificielle au chevalier erran Voyez ce que je dois faire pour ce fichu spécimen de dingo… Rien que pour la paye, sinon…

À

e!

l’aid

C’est le tacot antédiluvien d’une demoiselle sur le retour qui approche.

Qu’est-il arrivé, brave homme ?... Vous avez besoin de quelque chose ?

Sur ce, Don Quichotte revient à lui et son imagination malade lui fait voir ainsi ce qui n’est en réalité qu’une voiture. ce !

mmen

Il reco

Ah, monde cruel !... Une dame capturée par un lion ?!...

Oui madame, d’un asile !

La demoiselle plus très jeune détale pied au plancher, prenant Don Quichotte pour un fou furieux. Notre héros est ivre de joie et de surprise. Il a trouvé dans la femme de l’auto la demoiselle pour laquelle mener ses batailles de chevalier errant.

Le chevalier batailleur tire son épée et Courage, gente bondit sur ce qu’il prend pour un lion… dame, je vais tuer ce fauve…

Permettez ?

Don Quichotte se lance ventre à terre à sa poursuite, suivi par Sancho très Fonce, Rossinante… Cette dame est en danger ! contrarié…

La demoiselle poursuivie force l’allure, de plus en plus effrayée. Allez !... Je n’aurais pas dû trop m’éloigner de la ville… Oh, pauvre de moi !...

Excellence… Faisons demitour… On approche de la grande ville !

Qu’est-ce que tu baragouines, perfide écuyer ? Presse le pas, avant qu’il soit trop tard !...

Tandis que le soir tombe après un bref crépuscule, la poursuite continue, de plus en plus acharnée.

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C’est Dulcinée ! J’en suis certain… Elle est ligotée à ce fauve en fuite… Il faut la délivrer… Mon cheval !...


Excellence, je vous en conjure… Rentrons au château… J’aurais dû vous supplier dès le début… Il y a trop de monde ici… Ça va mal finir…

Halte-là ! Vous êtes en contravention pour abus de cheval et port d’armes médiévales !

Je n’ai qu’un seul devoir, perfide écuyer : retrouver et délivrer Dulcinée !

À moi, une contravention ? Archi-traître à la noire cuirasse ! Je vais t’embrocher… Où as-tu caché Dulcinée ?

Pour ne pas se faire remarquer, Sancho Pansu s’est mêlé à une centaine de piétons qui attendent le tram. Pendant ce temps, Rossinante valdingue çà et là.

Une voiture conduite par un chauffeur bigleux embarque le cheval de notre héros. J’avais dit que ça finirait mal… Faut que j’essaie de le sauver…

Vous ignorez qui je suis !

Z’êtes qu’une hypoténuse !

Le paladin Quichotte est à présent à la merci de l’agent qui siffle longuement pour en appeler d’autres.

Arrêt des trams p. 68 à 100

Sancho et Gelsomino sont tout à coup poussés vers un tram par la cohue des piétons. Le spectacle est honteux : coups de pieds, de coudes, cris, imprécations… Eh, laissez-moi… Je ne dois pas monter, moi…

Don Quichotte a vu l’écuyer dans cette foule déchaînée. Il se libère de l’agent et accourt épée au poing.

Courage, fidèle Sancho… Je vole à ton secours… Courage !...

Malotru ! Permettez… je dois monter… permettez !

Eh !... Dis !...

Écartez-vous, brigands à la manque… Retournez dans vos antres !...

Quelle honte… La galanterie n’existe plus !...

Un trio de pandores survient, bien décidé à emmener nos amis en prison ou à l’asile. Don Quichotte prend les piétons qui entourent Sancho pour des brigands moyenâgeux…

Allez-y… Les voilà… Ce sont des fous furieux !...

Pourquoi fuyez-vous, bandits félons ? Filons… Si on réussit à quitter Attendez… Je vais vous étriper !... la ville, on aura de la chance !

Arrêtez-le !

Au fou !

Sancho Pansu parvient à attraper le fougueux paladin et à l’arracher à cette terrible mêlée… Où vont-ils atterrir ?...

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La foule des poursuivants (agents compris) passe devant eux sans voir les fuyards cachés.

Le fidèle Sancho entraîne le fougueux chevalier récalcitrant dans une sombre ruelle.

Sancho assomme le bouillant Don Quichotte et le charge sur Gelsomino.

Bien malgré lui, le pauvre cheval est emmené par le craintif Sancho Pansu.

Voilà qui est fait… Il ne me reste plus qu’à quitter la ville pour retourner dans notre pacifique château…

Viens… Viens voir ton dingo de maître… On rentre tous dans notre vieux château !

Prudemment, le groupe se met en route. Un poivrot solitaire assiste à cette scène insolite.

Si on les chope, on les taille en pièces !

Chemin faisant par les ruelles et les avenues désertes, le groupe arrive sur une petite place obscure. Surprise des surprises : Sancho retrouve le vieux cheval défaillant Rossinante.

Ah ! Oh !... Qu’arrive-t-il ?... Ah ! C’est Rossinante ?...

Ces forcenés oseraient nous tailler en pièces ?!... Ah, vils félons !... Je vais les encercler et les anéantir. Allons-y !...

Qui voilà !… Comment a-t-il atterri ici ?!…

Don Quichotte revient à lui et s’empare aussi sec du cheval avec des ardeurs combatives redoublées. Ah ! Nous y voilà… Je dois utiliser des moyens persuasifs !...

Un cheval… un bœuf… un antique guerrier… Hum ! Je dois vraiment être fin soûl pour voir tout ça !

Désolé, excellence, mais je tiens à ma peau…

Taisez-vous, excellence. La ville est pleine d’ennemis féroces et retors… Il faut agir avec prudence si vous voulez délivrer Dulcinée…

Peu après, Don Quichotte sursaute de joie. Il a vu ce qu’il croit être un lion, à savoir l’auto de la demoiselle prise pour Dulcinée !

Oui ! Je vois qu’en attaquant à visage découvert je n’arrive à rien ! Tu as raison… Nous agirons en silence !...

Brute immonde… Où as-tu caché Dulcinée ?... Rugis ou tu es mort !...

Ah ! Voilà ce lion ravisseur de la dame de mon cœur !...

Eh… Que faites-vous à ma voiture ?... Á l’aide !...

D’une porte voisine surgit «Dulcinée» accompagnée d’un gamin déguenillé. Don Quichotte se calme et, sidéré, il écoute les paroles furieuses de la dame.

Sublime Dulcinée… J’ignorais que ce lion était domestiqué… Je suis confus et honteux… Je mets mon invincible épée à ton service… Sur un signe de toi, je donnerai ma vie !...

Qu’avez-vous fait, espèce de fou ? Honte à vous… Á votre âge, traiter ainsi les pauvres tacots antédiluviens !...

Écoutez-le, chère madame… Il est un peu exalté mais il est inoffensif !...

Si j’ai rendu ton lion inutilisable, prends mon destrier pour aller où tu veux… Je te le donne !...

Le paladin errant s’est agenouillé devant «Dulcinée», l’âme repentante et lui donne son cheval.

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Don Quichotte a à moitié déglingué le moteur de l’auto de Dulcinée. Celle-ci exige réparation de nos amis qu’elle prend pour deux pauvres fous.

Au bout d’une demi-heure, nos amis s’arrêtent devant un portail branlant.

Damoiselle de mon cœur… Je suis prêt à toute réparation… J’ai estropié votre lion domestique, et…

Quel lion domestique !?… C’est une quatre-chevaux… Maintenant vous allez m’aider à tirer la voiture jusque chez moi… Ensuite nous verrons que faire.

Nous voilà arrivés… Aidez-moi à mettre la voiture au garage !... Si vous voulez, mettez-y aussi vos bêtes.

Au milieu des gigantesques immeubles gris, se dresse une timide maisonnette blanche qui est la seule de la ville à posséder un jardinet sur le devant.

Avec la queue de Gelsomino, la troupe «hétérogène» tracte la quatre-chevaux dans les rues et les ruelles de la périphérie… La soi-disant Dulcinée habite là…

Don Quichotte et Sancho Pansu suivent Dulcinée à l’intérieur de ce qui ressemble à un pensionnat. Ils sont en effet accueillis par le tapage joyeux d’une vingtaine de gamins entre six et treize ans.

Entrez… Voici mes protégés… Ils sont vingt et, avec vous deux, ce soir, ma maison hébergera vingt-deux sans-famille.

Depuis quelques mois, je fais le tour des rues de la ville pour ramener chez moi les indigents, les sans-abri, les orphelins. Jusque là, je n’ai trouvé que des enfants… Tous seuls au monde… Vous, l’échalas, vous devez être très pauvre pour ne pas avoir une tenue décente…

Excellence… J’ai été majordome pendant vingt ans… Mais faire le cuistot avec votre excellence… non, c’est trop !

Don Quichotte et son fidèle écuyer se retrouvent en train de préparer le dîner pour toute la tribu. Vous êtes sérieux ? En fait, toute seule je ne suffis plus à toute cette maisonnée… Je vais vous montrer… Suivez-moi dans la cuisine…

Voilà… Je suis un de vos admirateurs… Vous me racontez une de vos mille aventures ?... Par exemple… l’histoire des moulins à vent ?...

Ah ! Ah ! Ah ! Je ne suis pas celui-là, je suis son descendant direct… Mais moi aussi, j’en ai des vertes et des pas mûres à raconter…

Ah ! vous me comblez, douce Dulcinée… Je suis un chevalier qui s’est mis à votre service… Je vous suis maintenant doublement dévoué…

Tais-toi, vassal… Je suis fier de… cuisiner pour la Dulcinée de mon cœur. Elle est digne de toute mon aide… Elle a tant de petits à protéger…

Un galopin tout frisotté interrompt les paroles de notre chevalier ex errant. Excusez-moi, monsieur, j’ai entendu dire que vous êtes le fameux Don Quichotte de la Mancha…

Peu après, Don Quichotte est entouré de tous les protégés de Dulcinée. Installe-toi, petit coquin… Je vais te raconter l’épisode de la page précédente…

… car je sais que vous êtes l’élue des nécessiteux. Vous aidez ceux qui n’ont rien et moi je vous aiderai, ô sublime damoiselle. Mon robuste bras est à votre disposition…

Donc… Alors j’attrapai le machin… Je machinai çà et là avec le truc, et une chose amenant l’autre, voilà que je chose le machin…

Mais écoutez-le. Il en balance plus qu’un mortier de 420 !

Oh oui… Merci… Et puis vous me raconterez vos prouesses des premiers épisodes ?...

Tandis que notre héros tient l’auditoire en haleine, Sancho Pansu ne cesse de ronchonner tout en préparant le dîner pour tout le monde.

24


Pendant et après le dîner, les vingt orphelins sont surexcités et ne tiennent pas en place… Ils sont fascinés par ce que leur a raconté Don Quichotte.

Levez l’épée, ô chevalier de la table ronde ou plutôt rectangulaire !...

Je vais te tailler en rondelles, vil félon… euh… vol félin… De cette Durandal, je te désarçonnerai de ton destrier et te ferai mordre la poussière…

Qu’avez-vous raconté à ces chenapans ? J’ai dû batailler dur pour les mettre au lit… Et pendant le dîner, ils n’ont cessé de se battre en duel en disant des choses bizarres… Venez par là, qu’on ait une petite discussion…

Dulcinée fait asseoir notre cheva- Vous devez savoir, homme vêtu de fer, que toute seule, lier et lui parle longuement. j’ai fait de ces gamins de petits hommes. Maintenant, vous venez leur mettre en tête des idées fantaisistes…

Eh !... Doucement avec les épées… On est en 1950, les épées sont passées de mode… Allez au lit cuver votre colère… On en reparlera demain…

Dulcinée dit à Don Quichotte qu’elle a besoin de son aide et de celle de Sancho Pansu pour faire tourner la maison qui est depuis quelque temps la cible du richissime condottiere Papemonde. Il veut s’emparer du pavillon de Dulcinée pour construire un gratte-ciel à la place.

En pleine nuit, Don Quichotte et Sancho Pansu dorment à poings fermés.

Sitôt après, la matinale Dulcinée monte au grenier.

S’il vous plaît, ne faites pas de tapage… Les enfants dorment… Il faut que je vous dise une chose qui peut-être… mais restez calme…

Nos héros ont été installés dans le grenier. Sancho aide son maître à retirer son armure.

Ah ! Ce félon de Papemonde… Il va avoir affaire à moi… Mon épée le…

Demain, ce vil Papemonde aura affaire à moi… Je vais le défier en Je crois que par les temps qui courent, combat singulier… plus que porter plainte…

Á l’aube, le chevalier ex errant est réveillé par de curieux bruits de ferraille.

in Notre palad e du XX un t fai siècle rêve lourd de sens. Il croit affronter un monstre nt aya les traits de l’ignoble condottiere Papemonde.

Oulàlà !... Mon épée !...

Pendant la nuit, Dulcinée a transformé l’armure chevaleresque de Don Quichotte en un bon poêle.

Un instant… Je ne puis vous écouter sans mon armure… Bigre !... L’armure a disparu !?!...

Maintenant on pourra cuire la nourriture plus facilement et se chauffer l’hiver.

Bonjour Monsieur Quichotte.

Voilà… Monsieur Don Machin… Nous, ici, nous n’avons aucun chauffage… et du coup… Bonjour, admirable Dulcinée… Qu’avez-vous à me dire de si bon matin ?...

Ah ! quelle horreur !... L’armure de mon trisaïeul réduite à un misérable poêle !... Oh pauvre de moi… Allons calmez-vous, excellence, dans le fond, c’était une vieille ferraille…

Quelle honte… Á votre âge, pleurer pour si peu… et vous disiez que vous vouliez nous aider, les enfants et moi… Ce poêle est nécessaire… Sur vous, ça ne chauffait que vos quatre os filiformes, alors que maintenant…

Excellence… Si nous devons rester ici pour aider Dulcinée et la protéger de Oui… Je pourrais Papemonde, il vaut mieux s’adapter vous aider à vous habiller… J’ai cette aux usages de cette grande vieille veste… Une dame métropole et s’habiller des beaux quartiers me comme les autres…

l’a donnée…

25

Don Quichotte se persuade que pour aider Dulcinée dans sa mission, il doit vivre et agir comme tous les gens de 1950. Sancho, retourne au château et ramène des vêtements plus convenables… Je serai un chevalier en pantalon, redingote et canotier.





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