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LES « Z » & LA MODE

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ÇA M’ENERVE

ÇA M’ENERVE

ça claque ! INSTA CLIC A LA RECHERCHE DU MEILLEUR ANGLE, TEESHIRT LOGOTÉ AU PREMIER PLAN, LA GÉNÉRATION Z NE VIT QUE POUR L’IMAGE QU’ELLE AFFICHE SUR LES RÉSEAUX. INSTA DANS LA PEAU ET AU DIABLE LES QU’EN DIRA-T-ON ! TOUS LES LOOKS SONT BONS POUR FAIRE LE BUZZ.

PAR MAGALI BUY

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Smartphone pour accessoire haut de gamme, les 18-25 ans slident, zooment et scrutent le fashion bon plan. Question d’esthétique sûrement, mais pas que. Si pour leurs parents - la génération X-, le web est une sphère pratico pratique, pour eux, zoner sur la toile est leur passe-temps quotidien, et voir la vie autrement ? Même pas en rêve ! Selfies ultra léchés, follow à tout va, la beauté se joue au nombre de vues et si ça ne like pas, c’est la cata ! “Bouger leur cul le temps d’un verre, photos sur Insta, c’est obligé, sinon, au fond, à quoi ça sert ? Si c’est même pas pour leur montrer… Et puis à quoi bon. T’es tellement seul derrière ton écran, tu penses à c’que vont penser les gens, mais tu les laisses tous indifférents...” Sur ces mots d’Angèle bien taillés, déshabillons le sujet.

TAILLÉE SUR MESURE

Communication cybernétique, culte de l’apparat, les Z s’expriment depuis leur monde virtuel. Et si cette génération m’as-tu vu a la langue bien pendue, pour les X, la mode, c’est avant tout une question de bonne figure : “Je me suis fait un principe, quelle que soit la situation, d’être toujours habillée de façon impeccable pour emmener mon fils à l’école. Surtout pas de survet’ ! On ne sait pas sur qui on peut tomber : un futur client, une personne importante, il faut faire bonne impression, quelle que soit l’humeur du jour, montrer qu’on est respectable et bien dans ses baskets. C’est essentiel !” Pour Julie, 40 ans, chef d’entreprise grenobloise, s’autoriser à montrer une faiblesse ou une émotion ? Sûrement pas. Ce n’est pas dans sa nature… Et si cette génération porte encore les verrous de son éducation, chez les Z, on fait péter les coutures ! “Ils suivent sur les réseaux leur modèle et n’entendent plus rentrer dans un cadre que la société voudrait leur imposer”, explique Sigrid Vincent, conseillère en image à Annecy. “Ils sont autocentrés et se sentent libres de faire ce qu’ils veulent ! Quand je fais des ateliers mère-fille, la maman va être raisonnable, de peur de mal faire, la plus jeune, en parfaite opposition, à vouloir agir comme bon lui semble, pourvu que ça lui plaise !” Et pour cette génération d’enfants rois, c’est logique. Allergique à la frustration, ils ne supportent ni l’ennui, ni la contrariété et vivent libres comme l’air... Et s’ils peuvent briller par-dessus le marché, c’est parfait !

INSTA STYLE !

Alors tout est bon pour « kiffer ». Influenceurs, blogueurs, séries TV, ils s’identifient et se calquent aux looks vestimentaires des figures stars. “J’adore suivre les influenceuses comme Léna Mahfouf, Léa Elui ou Stormette. Elles sont d’une aide précieuse et une inspiration quotidienne, par les nombreux styles qu’elles mélangent. Ça donne un max d’idées, c’est cool !” confie Lilou, 20 ans à Chambéry. “Et quand je publie une photo, je cherche avant tout à plaire aux gens qui me suivent.

© Yves Croce

Sigrid, 50 ans

Saliha, 40 ans

Alors j’essaie de faire comme elles...”. Et l’impact est tellement grand, que depuis une dizaine d’années, influencer est devenu un job à plein temps. Et rémunéré ! Discours copiné, partenariat avec les marques, concours à gogo et photos models, se faire plaisir à plaire en gagnant sa vie, what else finalement ? Boulimiques d’informations, obsédés par les pièces phares, les Z allouent des budgets considérables à leur garde-robe 2.0, avec une moyenne de 720 euros par an. Un constat qui n’a pas échappé à Eric Briones et Nicolas André - cofondateur de la Paris School of Luxury et spécialiste des activités digitales et social média - dans « Le choc Z » : “La génération Z n’a jamais regardé la vie sans le prisme d’Instagram. Il lui a forgé l’œil, donné des réflexes, esthétiques surtout, et transmis le goût pour une consommation compulsive d’images, sur de longues périodes. Le mouvement perpétuel Z est posé : l’œil enregistre et le pouce scrolle.” Et c’est toute une économie qui s’agite à leurs pieds.

LA Z MANIA !

Choix multiples, collections capsules ou prix canons, les enseignes font voler les visuels clinquants et multiplient les fringues pour rassasier les appétits changeants. Consommation capricieuse, impatience maladive, il n’est pas de limites pour les faire craquer avec un sweat logoté ou une paire de sneakers au tirage numéroté. Qu’ils revendront aussi sec d’un clic sur stockx. com. Quoi qu’il en soit, shopping entre amis ou achats compulsifs online, les grandes marques s’arrachent les cheveux pour répondre à cette fast fashion ou mode bouge bouge qui sur-stimule les Z et les fait monter au créneau. Les plateformes en font leurs choux gras: “Amazon permet au Z de rester enfant roi pendant toute sa vie

Lilou, 20 ans

de consommateur. Les produits du monde lui sont accessibles immédiatement, sans blabla, aux meilleurs prix et dans des délais de livraison record”, décryptent les auteurs. Une émulation qui semble monopoliser toutes leurs pensées. Cette préoccupation de l’image parfaite, scénarisée dans un monde idéal, ce besoin de plaire, d’exister, ne trahirait-elle pas un besoin bien plus complexe ? A l’image de l’exposition parisienne «Dos à la mode» qui vient prendre le contre-pied du cliché selfie, en ne s’intéressant qu’à l’image vue de dos. L’envers du décor…

C’EST TROP MODE !

Parce qu’au-delà de la superficialité bling bling de l’esthétique qui saute au visage, pour les Z, la mode va plus loin. Comme pour la génération X, d’ailleurs. A Annecy, Saliha, 40 ans, nous donne sa version de «vieille jeune» : “pour moi, la mode est une manière de communiquer,

Consommation capricieuse, impatience maladive, il n’est pas de limites pour les faire craquer avec un sweat logoté ou une paire de sneakers numérotée. Qu’ils revendront aussi sec d’un clic sur StockX.

Winnie Harlow

© Mary Rozzi for the Observer

d’exprimer un message non verbal et je l’utilise comme un outil. Et peutêtre parce que je n’ai pas d’enfant, je me moque du regard des autres. Je porte des couleurs, des tendances passées, et parce que c’est coloré et assumé, les jeunes sont fans de moi ! C’est marrant ! Ce que je porte, je l’aime. C’est mon étendard… C’est de la liberté !” Et c’est cette liberté que l’on retrouve chez les Z, ce moyen d’expression qui les rend fashion addict, mais pas complément fous non plus. “Les Z transforment leur vêtement en un cri et redonnent, de ce fait, une dimension politique”, rappellent Eric Briones et Nicolas André. Et leurs modèles, à l’image de Bilie Eilish, ne manquent pas : “Fière d’être la seule pop star à encore avoir son pédiatre, elle chante une dark pop à l’antithèse de la pop classique acidulée adolescente. Ses sujets récurrents sont la dépression, le nihilisme, l’hygiènisme, la culture goth et surtout une fuck attitude par rapport aux regards des autres (...). Pour Billy Eilish, la mode est un mécanisme de défense, un style boy, badass, pensé contre le slut shaming – sexisme -, fait de superpositions, avec tee-shirt et baggy, trois tailles trop grandes.” La mode comme vecteur de revendication politique, sociétale, générationnel, révélateur de singularité, bien loin d’une beauté uniformisée.

LA MODE ÉMOI

De Greta Thunberg et sa veste « Do you hear me » à Nelia, unijambiste, ou Winnie Harlow, atteinte de Vitiligo, toutes figures du #bodypositive, corps, âmes et stylisme se mettent d’accord pour faire passer des messages forts.

Acceptation des différences, mise en exergue des formes, des cicatrices ou des mutilations, les Z tombent les préjugés et placent l’image bien audelà du look stylé so hype. “J’essaie de m’en inspirer car elles s’assument totalement et passent au-dessus du regard des autres, des critiques et des jugements. Je pense qu’il est important de montrer toutes les particularités de notre corps : les cicatrices, les bourrelets ou autres. Parce que finalement, à partir du moment où on s’accepte, tout est beau et tous les corps sont parfaits”, conclut Lilou. Fringues pour langage, c’est toute une identité qu’ils revendiquent, l’acceptation d’eux-mêmes avant tout, parler choc en restant chic, même combat !

+ d’infos : « Le choc Z » d’Eric Briones et Nicolas André. Editions Dunod

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