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RIFIFI À MONT-SAINT-VINCENT
by Sparse
Mont-Saint-Vincent
Là-bas, il n’y a pas de pétrole mais il y a bien failli avoir de l’amiante... On est allé comprendre comment un projet d’enfouissement de déchets a déchaîné les passions dans un des plus beaux village perché de la Bourgogne-Franche-Comté.
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Texte et photos par Cédric De Montceau
Le Mont-Saint-Vincent, c’est un phare historique et touristique au milieu de la Saône-et-Loire entre charolais et clunisois. Une charmante petite commune qui culmine à 589 mètres d’altitude et fait le bonheur de tous les randonneurs et cyclistes du coin qui veulent aiguiser leurs mollets. Le Mont-Saint-Vincent, c’est comme Uchon ou Solutré, c’est un moyen de se rapprocher du ciel et de s’inviter un peu plus près du balcon des dieux. Un de ces endroits sacrés et vénérés pour leur magnétisme naturel et leur point de vue sur les terres environnantes. Dernièrement, le symbole local a déchainé les passions. Écologie, amiante, sacrilèges et trahisons. Y’a eu du rififi dans le 71.
En début d’année ça a commencé à grogner sec là-haut. Le MontSaint-Vincent accueille sur sa commune une carrière qui exploite un gisement de granit beige. Le sol appartient à la commune et l’activité d’extraction à l’entreprise Rougeot. Un géant du bâtiment bourguignon basé à Meursault. L’entreprise aurait déposé un dossier auprès de la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) afin de pouvoir enfouir de l’amiante et autres déchets dans la carrière qu’ils exploitent à MontSaint-Vincent depuis 2016. Des habitants sont alertés au détour d’un apéro improvisé avec un lanceur d’alerte local. Un habitant de Mont-Saint-Vincent nous rapporte « C’est en février 2021 qu’on a appris un peu par hasard ce projet d’enfouissement. En fait, c’est un conseiller municipal démissionnaire qui est venu nous en parler. Notre sang n’a fait qu’un tour ! ». Suite à des investigations un groupe d’opposants se forme, Joël Jouve, président du comité des fêtes de Mont-Saint-Vincent explique « En début d’année, on a découvert que la mairie connaissait ce projet depuis 2019. Le maire et les conseillers étaient donc au courant mais rien n’a été dit. Toute l’équipe avait pour instruction de ne pas en parler avant les élections municipales de 2020. Le projet a suivi son cours. On a appris que certains conseillers municipaux et monsieur le maire avaient été invités à visiter un autre site d’enfouissement du côté de Reims qui appartient également à Rougeot. L’entreprise a réussi à convaincre la mairie que le projet était sans risque. Mais on se demande comment ? ».
L’amertume gagne du terrain et la contestation grandit. Jean Girardon, le maire de Mont-Saint-Vincent est pointé du doigt pour sa discrétion douteuse et l’entreprise Rougeot est perçue comme un ogre oligarchique venu se torcher dans la butte adorée. Les citoyens décident de se mobiliser. Cathy Barboiron, présidente de l’association Préserver Mont-Saint-Vincent nous parle de la situation « Rougeot bénéficie d’un contrat de fortage avec la mairie depuis 2010. Celui-ci est valable jusqu’en 2022, maintenant ils veulent enfouir de l’amiante et des autres déchets. Heureusement que quelqu’un nous a prévenu sinon on ne l’aurait jamais su ! On a alors décidé de faire une pétition et on a récolté 100 signatures d’entrée de jeu en l’espace de 3 jours ». Pour informations, Mont-Saint-Vincent compte environs 350 habitants et 215 électeurs inscrits. « Après cette pétition, on s’est dit qu’on allait monter une association. On a fait une première réunion mais tout le monde n’était pas d’accord sur la manière de s’organiser ». La démocratie est un bistrot géant à ciel ouvert et on adore ça. La détermination semble être la même remontée contre le projet. « Collonges est à 200 mètres en dessous à l’est de la carrière. Autant vous dire que la théorie du ruissellement, là elle va bien fonctionner ! La région du MontSaint-Vincent est protégée en ZNIEFF (zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique) et même une partie de la carrière est dans cette zone. Collonges est en zone « Natura 2000 » parce qu’on héberge une race de chauve-souris qui est en voie d’extinction. Cette zone s’arrête à moins de 2km de la carrière. Vous savez, on demande aux habitants de respecter l’environnement et de ne pas utiliser de désherbant. Ici certaines habitations sont alimentées par les sources. On est sur la ligne de partage des eaux, les sources s’écoulent dans la Bourbince, l’Arroux et la Loire. Vous voyez le bazar ? » Malgré les guerres intestines, les associations et le collectif continuent leur campagne de sensibilisation. Affichage, conférence de presse, marche symbolique et contestation tenace. Le combat se fait entendre. Parce qu’il est question de ça : se faire entendre. Rebecca Maeder Kim, présidente de ACP Environnement évoque la stratégie :
mais les opposants au projet ne sont pas raccord sur la forme. Ça clash directe ! Au final, l’association Préserver Mont-SaintVincent et ses alentours finie par se constituer laissant derrière elle une troupe de dissidents contestataires déçus. Ni une, ni deux, le collectif Comme un poison dans l’eau est créé (ils n’ont pas répondu à nos solicitations). En tête, une ancienne élue de la mairie de Mont-Saint-Vincent, est vite taxée de parasitage par ses désormais ex-anciens camarades de jeux. En cherchant l’unité, on trouve parfois la division.
Pendant qu’on s’écorche en haut, un peu plus bas une autre commune concernée se réveille. Collonges-en-Charollais est directement touché par la problématique d’enfouissement et des risques de pollution des sols. Une association, ACP Environnement voit le jour. À la différence de Mont-SaintVincent, l’association est soutenue par la municipalité. Josette Lagrange, la maire de Collonges-en-Charollais, est très Marketing agressif.
« On a eu du mal à rassembler tout le monde, mais on a quand même réussi à rencontrer les dix maires des communes alentours. Collonges-en-Charollais, Marigny, Genouilly, Sigy-le-Châtel, Cluny, Salornay-sur-Guye, Joncy, Le Puley, Saint-Eusèbe et Gourdon. La plupart des élus étaient vent-debout contre ce projet d’enfouissement ! »
En France, il reste près de 20 millions de tonnes d’amiante à extraire et il n’y a que 11 centres d’enfouissement. Mais pourquoi à Mont-Saint-Vincent ? Un des membres d’une des associations donne son avis « On a besoin de traiter cette amiante mais pas dans un lieu comme celui-ci. C’est un lieu historique et touristique. En plus on est en hauteur. C’est un non-sens ! Comment le maire peut-il accepter un projet pareil ? Nous on se pose des questions. Il y a un loup quelque part ».
La colère gronde et les rumeurs enflent, Jean Girardon est presque suspecté d’y avoir des intérêts cachés. Le maire de Mont-SaintVincent, ancien professeur en Droit à la Sorbonne et spécialiste en matière d’aménagement et d’environnement est aussi élu à la mairie de la municipalité depuis 1983. Cet homme aime forcément son territoire, un animal politique comme lui ne peut pas être en faveur d’un tel projet. « La commune est tenue de rester sur la procédure. En ce qui concerne le fond de l’histoire, c’est la population qui décidera. On fera un referendum. À l’issu de ce vote, ce sera la décision de la commune et bien sûr en tant que maire je l’appliquerai. Si la DREAL admet que le projet de Rougeot est compatible, à ce moment là on entrera dans une nouvelle phase. Celle de l’enquête publique. À ce stade, on pourra donc intervenir. Dans l’enquête publique, il est prévu que la commune donne son avis. Pas son accord hein ! Mais son avis » nous explique Jean Girardon. Cet avis sera arrêté par la population par voie de referendum. À partir de là le préfet peut décider si
Faire disparaitre il y a lieu de faire un arrêté autorisant l’enfouissement ou l’amiante est une non. Le maire est très attaché à l’idée de suivre une procédure question de santé bien précise. « Quand on me demande pourquoi je ne me publique mais aussi suis pas opposé au projet, je réponds que mon problème dès de marchés très juteux. le début, était de ne pas être exposé à un contentieux. Il faut Les mêmes qui ont fait avoir des billes pour s’opposer ! Si j’avais dit à l’entreprise : du profit sur l’amiante je ne veux pas de votre projet. Ce serait parti devant le en font maintenant juge. Et celui-ci m’aurait dit : monsieur comment pouvezavec le désamiantage. vous vous opposé à un projet que vous ne connaissez pas ? Automatiquement, on se retrouvait dans une position de fragilité dès le départ. Quand vous débutez un processus et que vous avez une décision de justice qui ne vous est pas favorable, je vous assure que c’est compliqué. Il faut faire les
choses au bon moment pour qu’elles pèsent. Nous on veut sortir de cette histoire par le haut. C’est-à-dire que la carrière continue son activité d’extraction mais pas d’enfouissement. J’en ai entendu parler en 2019 mais le projet n’a été déposé qu’en février 2021. On a même cru à un moment que le projet était abandonné ». Le maire semble joué la carte de l’honnêteté face à la soi-disant mauvaise compréhension du bordel juridique auquel il dit être soumis. Pour lui toute l’agitation du moment cache aussi des motivations inavouées. « Des associations et un collectif se sont formés et ça a été assez violent. Je pense qu’au tout début certains étaient motivés par des ambitions personnelles. Vu le contexte local, certains auraient voulu être au conseil municipal. C’est un peu vouloir être calife à la place du calife voyez-vous ».
Farandole de pochettes à la ceinture pour Joël Jouve, ici accompagné de la député de la Saône-et-Loire Josiane Corneloup.
Ça craint avec l’amiante, y’en a partout et c’est pas bon pour la santé. Selon la CAVAM (coordination des associations de victimes de l’amiante et des maladies professionnelles) on devrait arriver à 100 000 morts d’ici 2050. Faire disparaître l’amiante est question de santé publique mais aussi de marchés très juteux. Les mêmes qui ont fait du profit sur l’amiante en font maintenant avec le désamiantage. Et ça se joue à coup de milliards. En France, seules deux solutions sont offertes : l’enfouissement ou l’inertage, la première étant majoritairement retenue en raison de son coût moindre et en l’absence de centres d’inertage en nombre suffisant. Le seul centre opérationnel sur notre territoire, agréé par l’ADEME (Agence de transition écologique), qui utilise la technique de la torche à plasma se situe dans les Landes, à Morcenx. Cette technique consiste à chauffer l’amiante à très haute température dont le résidu est inerte et valorisable sous forme de granulats comme souscouche routière. D’autres voies de valorisation sont à l’étude, notamment pour le stockage d’énergie solaire. Ce processus est très intéressant mais il ne traite qu’une infime partie des déchets amiantés et reste onéreux. Une autre solution d’inertage est à l’étude. C’est un procédé chimique avec des bains d’acide puis thermique à faible température (-100°C). Laissez mijoter quelques heures, le temps de casser les fibres d’amiante, et le déchet devient totalement inoffensif. Avec en prime, des produits susceptibles d’être valorisés comme les sels de magnésium, le gypse, l’anhydrite… En laboratoire, la solution a fait ses preuves, ce système d’inertage devrait voir le jour dans la région Grand-Est dans peu de temps mais les associations dénoncent un manque d’engouement global. Cathy Barboiron sait très bien pourquoi « Tant qu’on acceptera d’enfouir parce que ça coûte moins cher, il n’y aura pas de fonds débloqués pour les solutions alternatives ». Les choses sont prévues en France, et ce dès janvier 2022 avec une loi datant de février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Et en 2025, l’Europe prévoit l’interdiction totale de l’enfouissement d’amiante.
Sympa le quartier.
Donc il va bien falloir avoir de l’imagination à un moment donné les gars ! À Mont-Saint-Vincent et aux environs on grince dents, ça rigole jaune et le ton monte. Les membres des associations sont remontés comme des coucous « Nous on se retrouve avec un projet d’enfouissement traditionnel sans projection sur le futur, c’est complètement archaïque par rapport à ce qu’on vit sur le plan écologique. Une oligarchie dans le dénie complet de plus qui piétine la santé humaine. Rougeot a quand même signé un protocole RSE (responsabilité sociétale des entreprises) qui est une contribution des entreprises au développement durable. Ils le font savoir mais c’est que de la com parce qu’au final ils courent après une chose bien plus importante à leur yeux que la santé publique ou l’environnement : l’argent ! Certains membres de la CUCM (Communauté urbaine Montceau-Creusot) nous ont félicité d’avoir mis Rougeot face à ses contradictions. Surtout que l’entreprise valorise ce RSE et s’en est servi pour signer des contrats BTP pour les J.O. 2024 ». Pendant six mois le surprenant petit village à remuer ciel et terre mais aussi les coeurs, et ça n’a pas été vain. En effet, il n’y aura pas besoin de referendum puisque l’entreprise Rougeot a décidé de retirer le projet d’enfouissement (ils ont aussi oublié de nous répondre). NON, il n’y aura pas d’amiante à Mont-SaintVincent ! On le sait depuis le mois de juillet dernier et le contrat d’extraction devrait être reconduit en 2022. Bravo à ces hommes et à ces femmes qui se sont indignés. Ils ont fait renoncer les puissants. Ils ont su oeuvrer au bon moment et court-circuiter un processus qui s’apparentait à un piège. « Comment intervenir quand la machine est lancée ? » prévient un survivant. Enfouir des déchets physiques c’est un peu comme enfouir les déchets de l’âme. C’est risqué, un jour ou l’autre, ils ressurgissent plus puissants et plus dévastateurs. Puisse le combat du Mont-SaintVincent être un symbole victorieux face à l’obscurantisme économique. L’espoir est dans le pré.