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À BESANÇON

Tout sur ma maire

Rencontre avec Anne Vignot, toute nouvelle maire écologiste de Besançon. À la découverte de la gestion écolo d’une ville de 115.000 habitants, entre méthode et espoir de lendemains plus verts.

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Par Chablis Winston et Martial Ratel, à Besançon Photos : Raphaël Helle / Signatures

Au départ, Anne Vignot n’est pas une professionnelle de la politique. Elle est chercheuse en géographie. Et ça s’entend. On est loin de la novlangue de bois classique. D’une douce voix, entre gravité et second degré, elle étale sa méthode. Et ça perturbe. Habitués que nous sommes aux « promesses » et autres « grandes œuvres », on s’est demandés si on n’avait pas rencontré une sociologue, une psychologue, une biologiste ou une géographe plutôt qu’un(e) édile. « Je ne m’intéressais pas au fait d’être élue. Je regardais la société avec l’œil d’une chercheus.e» C’est exactement ça. Cette distance, elle l’exprime encore aujourd’hui. La politique, elle l’a rejointe en 2010 comme élue régionale via son activité associative aux jardins botaniques de Besançon. Eric Alauzet, ancien Vert rallié au macronisme, l’avait cooptée. Son passé familial l’a aussi poussée à penser la société : « J’ai grandi dans la cité Solvay à Tavaux dans le Jura. J’ai découvert que le nombre des personnes qui viennent de cité ouvrière pour faire des études supérieures étaient peu nombreuses, ça m’a interpellée. Ces questions de société m’ont intéressée assez tôt.» Élue, au second tour avec 43.83%, elle incarne la nouvelle génération de politiques, même si elle était déjà adjointe de 2014 à 2020. Son discours parfois abstrait fonctionnera- t-il dans le monde concret? On se donne rendez-vous dans quelques années pour faire le point. D’ici là, on vous propose de changer votre logiciel politique conventionnel avant de vous plonger dans l’interview.

Vous êtes devenue un symbole : femme, écolo, à la tête d’une ville comme Besançon. Ça vous fait quoi d’être un

symbole politique ? (elle hésite) Je n’ai pas endossé le fait d’être un symbole. Plus ça avance, plus je le conscientise. Femmes et hommes me disent tous : «Avoir une femme à la tête de Besançon, c’est en soi déjà un changement. » Je ne l’avais pas conçu comme ça. Ce n’était pas quelque chose qui me motivait en tant que tel. Deuxièmement, je suis une femme écologiste ! Le binôme a son importance. Et la troisième chose, c’est la jeunesse de la ville qui exprime le plus le plaisir que je sois Maire. Ils ont peut-être ressenti que j’ai plaisir à travailler avec la jeunesse, c’est sûrement par mon métier d’universitaire.

Et ça ne vous met pas un peu la pression d’être un symbole malgré vous ?

Ah si ! Un jour un événement a dépassé tout ce que j’avais vu jusqu’à présent. J’étais avec le Préfet en visite dans le tram et une vieille rombière m’agresse en me disant qu’elle était pour une autre liste. Bon, classique, ok. Et à côté, il y a une jeune d’une vingtaine d’années qui prend sur elle et qui me dit: «Madame Vignot, toute la jeunesse de Besançon vous aime !». Et ça c’était le symbole d’une fracture sociale. Un véritable affrontement entre deux modèles de société. Je ne voudrais pas décevoir cette jeunesse qui semble vouloir me faire porter quelque chose que je n’ai pas identifié complètement. Et surtout, ce n’est pas LA jeunesse, c’est plutôt les jeunesses. J’ai demandé au service de communication de la mairie d’interpeller ces jeunesses pour leur faire dire ce qu’ils attendent de nous. Pour moi, c’est une urgence. Je ne peux pas les décevoir. Si je les déçois, je dois savoir pourquoi et je dois être capable de leur dire. Mais je dois d’abord savoir ce qu’ils attendent de moi.

Ça c’est la démocratie participative. Ça va prendre quelle forme ? Conseil citoyens? Comité de quartier?

J’ai demandé aux adjoints de faire participer les citoyens dans tout ce qu’ils entreprennent. Mais sous plusieurs formes. Il faut en inventer à chaque projet. Il n’y a pas que le conseil consultatif d’habitants qui peut répondre à ce besoin. Dans ces endroits-là, c’est toujours les mêmes qui viennent. Moi ce qui m’intéresse, c’est tous les autres. Quand on est élu avec 61% d’abstention... Ceux qui se sont abstenus, c’est ceux-là que je veux aller chercher.

Comment on va les chercher ?

Il faut provoquer la rencontre, aller les voir. Dans la rue. Pas ceux qui sont dans l’institution. Il faut changer le panorama habituel des hommes et femmes politiques. Je demande à ce que les gens participent. Je ne réussirai rien si les citoyens ne nous apportent pas d’aide. Si les citoyens ne portent pas le projet politique, on ne change rien. On fait semblant, on ne change pas les structures de la société. Je ne réussirai rien si les Bisontins qui le veulent ne m’apportent pas de l’aide. Alors oui, on peut repeindre un musée bien sûr… mais c’est tout. Structurellement, on ne fait rien.

Oui, mais comment faites-vous ?

Je veux que dans toutes les politiques, on s’appuie sur les citoyens. Quand j’étais adjointe, j’ai eu à redéfinir le plan de gestion de la forêt de Chaux entre la ville et l’ONF.

« Vous dormez monsieur ? »

Un contrat pour 20 ans sur 2.000 hectares. J’ai fait en sorte que le document officiel, remis par le conseil municipal, soit écrit par tous les gens qui me contactaient avec des récriminations contradictoires sur la forêt : joggers, chasseurs, environnementalistes… Ça a été mon exercice le plus poussé de participation. Je ne sais pas si c’est un modèle pour tous mes collègues élus mais ça prouve bien qu’il ne faut pas avoir peur des gens. Par contre, il faut savoir de quoi on parle et vers quoi on veut aller. Je demande aux élus qu’ils trouvent avec leur personnalité, leur façon d’aller le plus près possible des gens qui sont éloignés de nous.

Est-ce qu’il y a un municipalisme vert, des lignes fortes sur lesquelles les maires EELV se sont mis d’accord ?

On ne veut pas faire un programme commun. On a chacun notre culture locale. Les élus ont leur personnalité. Il y a des configurations différentes. Mais ce qui nous anime tous, c’est l’urgence climatique, l’urgence sociale, l’urgence de transformer le modèle de société. Ça c’est le fil conducteur.

Comment juger la réussite de votre action en tant que maire, dans quelques années ?

(silence) Si chacun s’empare de la question de l’écologie, ce serait une réussite. Que chacun contribue à sa façon. Je le dis très simplement, qu’elles que soient ses convictions, si la société dans son ensemble ne bouge pas, on ne va pas réussir grand-chose.

À l’échelle d’une municipalité, ça prend quelle forme ? Comment on sensibilise ?

Je n’aime pas le mot de sensibilisation. Je préfère «conscientisation ». La sensibilisation, les écologistes en ont fait durant 30 ans. On s’est retrouvés dans le mur. La sensibilisation, c’est dire « il fait chaud ». La conscientisation, c’est faire la corrélation entre une situation physique, « il fait chaud », et le mode de vie dans lequel je suis. Si je conscientise, je me demande si je veux commencer à changer moi-même pour changer la société...

Ok, mais ça prend quelle forme ?

Alors comment je veux le faire : en mode « projet ». Je vais essayer de faire en sorte que les projets concernent le plus de monde possible, pas tous, en masse, d’un coup : ici une rue, ici un quartier ou une copropriété. C’est à toutes ces échelles-là

que je veux travailler. On change la culture des élus. Par exemple, on ne parlera pas de « une politique culturelle ». On doit dire que les cultures doivent trouver leur place partout et que notre rôle c’est un accompagnement, une émancipation. Pour être concret, l’Éducation Nationale est confrontée à des tas de problèmes notamment d’enfants qui ne viennent pas à l’école dans une logique d’émancipation ; parfois même l’école pose problème aux familles. Comment faire système pour que la commune puisse faciliter cette reconnexion entre l’Éducation Nationale et les familles ? Notre souci, c’est le bien-être des personnes. Je prends cet exemple-là, c’est parce qu’à Besançon, il y a 65 centres scolaires. Un nombre important. Ça veut dire qu’il y a un cœur de vie dans les quartiers. Et c’est autour de ça que je veux faire un système. On peut s’en emparer de plein de façons : si on fait des travaux dans une cour d’école, on doit penser aussi au parc public qui est à côté. On doit se dire: « Comment on connecte ce parc avec la cour d’école et comment ça pourra servir à des danseurs qui ne trouvent pas de lieu de création à Besançon ? » D’un coup, on désenclave, on interconnecte et on fait système. On crée un territoire où des gens n’avaient pas l’habitude travailler ensemble. À la mairie, je demande aux différents adjoints de travailler ensemble par domaine sur leurs projets.

On est obligés de parler de Planoise. On vous attaque beaucoup là dessus : « C’est une maire écolo, la sécurité elle va pas savoir faire , les écolos c’est les petites fleurs», etc. Le quartier de Planoise, c’est tout un tas de faits divers dont on parle dans la presse nationale... On sait que la sécurité, la police, c’est du ressort de l’État et pas des maires, mais quand on est maire, quels leviers on a pour s’attaquer au problème ?

À Planoise, il y a plusieurs problèmes. D’abord, une politique de peuplement. On a concentré les plus précaires dans les mêmes lieux. Comment démonter ce mécanisme pour un quartier très excentré, spatialement discriminé ? L’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) propose de démolir pour repartir ailleurs… Mais c’est insuffisant. Il n’y a pas eu d’intégration de cette population, pas d’inclusion. Il faut que cette population se sente bisontine comme les autres, c’est ça qui m’intéresse. J’ai bourlingué au Proche Orient, ça m’a amené à réfléchir au choc culturel que provoque le fait de quitter son pays. Quand vous êtes immigré dans un autre pays, la communauté peut servir à créer des passerelles, et c’est là qu’il se passe des choses intéressantes. La chose essentielle -je suis interessée par l’anthropologie- c’est de savoir comment on vit ensemble quand on n’a pas les mêmes codes. Je pense à l’espace public en particulier. Certains arrivent d’endroits où l’espace public n’est pas un bien commun, mais juste un extérieur. C’est compliqué de les faire revenir aux codes qu’on pense être bons ici. Les gens ont un parcours culturel qui doit être reconnu. Ça ne justifie pas tout. Mais on est dans un dialogue plus constructif. Il faut connaître l’autre si on veut construire un commun. Un espace à partager.

C’est très théorique...

Hé bien non, c’est pas théorique.

« Avant, je n’ai pas fait ce qu’il fallait parce que j’étais minoritaire ! Donc, c’est le changement sur tout ! D’abord sur la méthode... donc sur tout ! »

...Ok. Alors qu’est-ce que vous mettez en place ?

Déjà, pour être honnête, Besançon n’a pas attendu que je sois maire pour mettre en place des formations avec les policiers municipaux ou les jardiniers, pour leur apprendre un peu le rapport avec les habitants. Un exemple : en Chine, il ne faut pas mettre la main sur la tête d’un enfant, c’est un sacrilège. Chez nous, c’est plutôt bienveillant. Comment envisager ce travail interculturel ? Aujourd’hui, on est dans l’universalisme. On se dit rationnel en France, mais il y a beaucoup de gens dans le monde qui ne nous considèrent pas comme très rationnels... Ça se discute. Il faut faire un travail en se disant : « On est différents, établissons des règles entre nous ». Il faut faire un travail avec les maisons de quartier. On avait l’habitude de venir à la maison, dans la maison de quartier. Il va peut-être falloir prendre l’habitude d’aller chercher les gens là où ils sont. Et des fois, là où ils sont, c’est dans le fond de la cuisine.

Le rôle de la municipalité, ce serait de créer du lien, celui de l’État de s’occuper de la sécurité ?

La Police Nationale, c’est des professionnels. Ils sont face à un trafic d’une haute criminalité. Du grand banditisme. Il faut le dire, ça ! Pendant le dernier mandat, l’équipe ne voulait pas se l’avouer. On ne s’avouait pas le fait que c’est en train devenir un ghetto : 3 enfants sur 4 sous le seuil de pauvreté. Si vous ne voulez pas le voir, vous ne travaillez pas. Faut regarder les choses en face. Le quartier a tous les atouts pour être un écoquartier. Réseau de chaleur, transports en commun, copropriété, une vie sociale développée, des associations, un théâtre... Qu’est-ce qu’il manque ? Il faut qu’il y ait du commun. Il n’y a aucune raison que les écoquartiers, ce soit un truc de bourgeois. Il faut que les habitants s’emparent d’enjeux autres que ceux dans lesquels ils se sentent enfermés. Il ne faut pas s’empêcher de vivre quand on habite dans un quartier comme ça. Est-ce que vous avez envie d’installer une ferme au milieu de Planoise ? D’en faire un projet économique ? Ok ! Montons des projets !

Il va falloir un gros budget pour accompagner des

projets comme ça. J’aimerais faciliter des projets économiques dont les habitants s’emparent. Pas uniquement des projets municipaux. Des projets qui génèrent de l’argent. Il va falloir faire des choix politiques. J’ai déjà appelé l’ANRU. Je leur ai dit que je voulais modifier les projets pour Besançon. Ils avaient peur que je change tout. Le projet actuel n’est pas assez structurant pour amorcer des modifications profondes. Pour le moment, on abat les bâtiments et on déplace les gens. Mais les gens, on les déplace avec leurs problèmes. Beaucoup de ceux qui dénoncent un soi-disant laxisme de notre part achètent des produits qui alimentent l’économie parallèle, qui fait tant de mal au quartier. Cette économie parallèle, elle ne fonctionne pas sur le pouvoir d’achat des gens de Planoise. Ce ne sont pas les gens du quartier qui font tourner ce commerce…

Parlons des Vaîtes. 34 hectares dont 7 constructibles, une zone occupée par des militants qui se revendique une Zone À Protéger de constructions. Où en sont vos rapports avec le collectif ?

Aujourd’hui, j’ai des personnes qui me posent des questions légitimes : sur la vie en ville, la place de la nature, les zones humides… Ce sont des questions dont évidemment je m’empare mais j’ai toujours dit que je refuse de répondre à des injonctions de ceux qui me demandent de montrer mon coté viril (rires) et de ceux qui me considèrent comme une vendue au capital (la droite bisontine d’un côté, les zadistes des Vaîtes de l’autre, ndlr). Je remettrai ce dossier, comme promis pendant la campagne, à un groupe de scientifiques, pour l’étudier et me proposer des solutions. Des scientifiques, soyons clairs, dont le groupe sera constitué en intégralité sans que j’intervienne, par une personne dont je connais l’intégrité. Je lui ai dit que vu la situation, il pouvait prendre qui il voulait.

Qui est cette personne ?

Pour l’instant, pour qu’il ne subisse pas de pression, je n’ai pas dit qui c’était. Quand le collectif a instauré cette ZAD, je me suis dit que plus aucun scientifique ne voudrait s’exposer à l’invective et qu’ils nous laisseraient nous débrouiller entre nous. Le travail de constitution de cette commission a commencé et nous leur fournirons les documents qu’ils nous demanderont. Et en parallèle, nous allons constituer un groupe de citoyens qui se mettra en dialogue pour que les pièces soient mises sur table, pour tous ceux qui voudraient s’y intéresser. Là encore, pour ce groupe de citoyens, je ne m’occuperai pas de sa composition. Et je prendrai mes décisions en fonction des résultats de cette étude. Globalement, ma volonté, c’est de reposer toutes les questions. Par contre, j’ai une demande: que ça ne s’arrête pas à l’échelle des Vaîtes. Les décisions doivent se prendre sur la ville ou sur l’agglomération, sauf à ce qu’on me démontre qu’à cet endroit précis, il se passe un truc précieux qu’on massacrerait. On est au XXIème siècle : tout le monde dit être conscient des problèmes écologiques et pourtant les décisions ne prennent pas la bonne direction à la bonne vitesse.

Note de la rédaction : depuis l’interview, la ville de Besançon a annoncé la création d’un GEEC (Groupe d’étude de l’environnement et du climat) composé de scientifiques et présidé par Hervé Richard, directeur de recherche au fameux laboratoire Chrono-environnement. Anne Vignot annonce qu’elle « s’engage à fournir, de manière exhaustive, l’ensemble des documents nécessaires au rendu de leurs expertises » et que « l’ensemble des documents consultés par le comité scientifique seront mis à disposition du public ». Les conclusions du GEEC sur les Vaîtes devront être rendues avant la fin 2020. Le groupe est indépendant mais ça commence déjà à grincer du côté des occupants des Vaîtes car Hervé Richard est un soutien d’Anne Vignot, ancien collègue, ils ont même écrit un bouquin ensemble en 2002.

Est-ce sur cette méthode que se fait la rupture avec le «avant » ? Parce que avant, vous étiez adjointe au maire de Besançon.

Avant, je n’ai pas fait ce qu’il fallait parce que j’étais minoritaire! Donc, c’est le changement sur tout ! D’abord sur la méthode... donc sur tout !

Hors de Besançon, il y a la région et les rapports souvent compliqués avec Dijon. Ça devrait aller mieux car François Rebsamen est quasiment un de vos collègues écolo en voulant faire de sa ville la capitale européenne de l’écologie?

Tant mieux !

Pourtant le 10 juillet, vous avez fait une interview dans Le Bien Public où vous lui rentrez dedans ! On s’est dit que vous n’alliez par travailler au rapprochement immédiat des villes.

Si, je travaille au rapprochement. Mais quand j’ai donné cette interview, il était question de l’université de BourgogneFranche-Comté. J’ai laissé entendre qu’on ne pouvait pas nous demander une nouvelle fois d’être dans le partage des compétences alors qu’il est déclaré très clairement par monsieur Rebsamen que la capitale de l’université est à Dijon, soit structurellement tout ramener à Dijon. Comme je suis géographe, je sais qu’un territoire est fait de décisions politiques fortes mais aussi de dynamiques. Et ce que j’ai toujours entendu quand j’étais élue au conseil régional, c’est que les Bourguignons souffraient de cette espèce d’omnipotence de Dijon.

Besançon ? C’est rare !

Non, ce que je demande à monsieur Rebsamen, c’est de travailler sur une approche territoriale. Face à une crise mondiale comme le Covid, si on est objectif, ce n’est pas depuis un Dijon consolidé uniquement à Dijon qu’on va faire en sorte de garantir que notre territoire fonctionne au mieux.

Vous tenez là le discours d’une présidente de région.

Oui, peut-être. J’étais élue conseillère régionale mais surtout je suis géographe et j’ai tendance à bien voir ce qu’est un territoire. En politique économique, je sais que Besançon sera une ville active parce qu’elle est entourée par un écosytème. Et celui de Besançon est vivant en interaction avec Dijon ! Je demande à monsieur Rebsamen: êtes-vous d’accord pour travailler avec moi en terme de territoire ? Et un territoire, ce n’est pas juste un pôle qui phagocyterait le reste pour se constituer. Je lui demande de regarder comment on est en interaction et sur quel fonctionnement on peut aller. Un peu comme sur les Vaîtes où je vais porter autant d’intérêt à trois arbres qu’à 7 hectares de terres agricoles.

Il vous dit, vous le savez, que Besançon s’imagine toujours comme une ville assiégée.

Oui, mais c’est une fausse image de la ville. Une image de la ville sur elle-même. Moi, j’ai une image beaucoup plus grande. On sera de toutes façons obligés de travailler ensemble sauf à ce qu’il me démontre qu’il travaille bien pour une ville et pas pour un territoire... Aujourd’hui, je suis en face de logiques issues de notre histoire démocratique, qui font que les maires se sentent investis d’une toute puissance à représenter leur commune, dans laquelle les gens se reconnaissent. Pour passer à l’échelle de la communauté urbaine, par exemple, c’est extrêmement difficile. C’est hélas, de la gestion stricte. Et ça, ça ne fait pas territoire. La question, c’est : est-ce que sur ce mandat, on va pouvoir faire territoire ?

Finalement, pour reprendre une question précédente, c’est sur ça qu’on pourra vous juger à la fin de votre mandat.

Oui : est-ce que j’aurai fait territoire en 2026.

On finit avec une question très importante à l’échelle de la région. Vous venez de Tavaux, qui est à côté de Dole. Comme vous êtes géographe, vous ne pensez pas que pour simplifier les choses, on devrait mettre la capitale de la région au milieu, entre Dijon et Besançon, donc à Dole?

(rires) Le milieu ? Mais ça n’existe pas dans un territoire pour une géographe. C’est un artifice. Le milieu sur la base de quoi? Le milieu forestier, le milieu d’une terre agricole ? (rires) À la limite, à l’époque, j’aurais bien vu la gare TGV à Dole avec un espace de liaison, comme un métro entre les villes. // C.W. et M.R.

Par Matthieu Fort, en Bourgogne Illustrations : Michael Sallit

DIJON LA BOURGOGNE? VS

La nouvelle maire de Besançon l’a dégainé au début de l’été dans une interview : Dijon ne s’intéresserait pas à la Bourgogne et les Bourguignons auraient une mauvaise image des Dijonnais. WTF ? On a voulu vérifier ça en parlant directement aux principaux intéressés : des Dijonnais, leur maire, et des Bourguignons.

Aucœur de l’été, dans les locaux de la rédaction de Sparse, tout est calme. Mais ça, c’était avant le drame. Avant que l’on tombe sur l’interview d’Anne Vignot, nouvelle maire de Besançon, dans Le Bien Public du 9 juillet. Deux phrases retiennent notre attention : « J’espère que Dijon se tournera un jour vers le reste de la Bourgogne. Ce n’est quand même pas possible qu’un territoire comme la Bourgogne soit délaissé par une ville comme Dijon » et « il suffit de discuter avec des Bourguignons, non Dijonnais, et de voir la façon dont ils parlent de Dijon ». À travers le magazine, cela fait des années qu’on pousse pour que se développe un sentiment d’appartenance à la Bourgogne-Franche-Comté. Ces efforts seraient vains puisque de base, la Bourgogne est morcelée ?

Même si on sait que ça fait toujours du bien à un Bisontin d’en placer une petite à un Dijonnais, il faut qu’on en ait le cœur net.

On commence par aller voir les Dijonnais. Comment se sentent-ils ? Dijonnais ? Bourguignons ? En sont-ils fiers ?

Les réponses sont tièdes. Personne ne s’emporte dans de grandes tirades vouées à l’amour de sa ville. On décolle rarement au-delà du « Ouais, c’est cool Dijon ». Pour Axel, 29 ans qui a toujours habité à Dijon, c’est simple, « y’a pas d’identité dijonnaise. On voudrait tous être Parigots ou

Lyonnais ». Exactement le genre de remarque qu’on combat chez Sparse ! On se tourne vers Eliott, 20 ans. Ce dernier doit aimer sa ville puisqu’il lui a dédié un compte Instagram,

« Mêmes dijonnais ». « Dijon, c’est chez moi, j’y vis depuis que je suis né alors je connais bien toute la ville » expliquet-il. Selon lui, au sein de la Bourgogne, « on fait un peu ville de bourges au milieu des campagnards ». Cette vision est attestée par Dominique, 58 ans, « je n’ai pas du tout aimé la ville en arrivant. Pour moi, c’était pour les gens de la haute ». Et elle abonde, « encore aujourd’hui quand on me demande d’où je viens, je dis Besançon. Alors que j’ai passé plus de temps à Dijon ». Une fois la vanne ouverte, les témoignages dans ce sens se multiplient. Matthieu, professeur à l’université, fut mis en garde en arrivant d’Auxerre:

« On m’avait dit que je tombais chez les bourgeois particulièrement froids ».

À ce stade, force est de donner raison à la maire de Besançon.

L’image des Dijonnais en Bourgogne n’est pas glorieuse.

Combien répondent « je suis bourguignon » quand on leur demande d’où ils viennent. Comme beaucoup peuvent répondre : Je suis alsacien, je suis du nord, etc. Pour Stéphane qui a vécu 20 ans à Dijon et qui vit désormais depuis 2 ans à

«Les Francs-comtois ont entre eux une unité beaucoup plus forte que la Bourgogne » François Rebsamen, maire de Dijon

Nevers, ce n’est pas qu’une image. En changeant de ville, il a constaté un véritable changement de mentalité. « Tous les mercredis matin, je vais boire un café dans un petit troquet, raconte-t-il. Au bout d’un mois, tout le monde m’avait calculé à Nevers. À Dijon, j’ai fréquenté des endroits pendant 10 ans sans que personne ne m’adresse la parole. » Sur ce sujet, François Rebsamen estime que cela reste du ressenti, « avec les autorités municipales, avec le Grand Chalon, avec le Creusot, avec Mâcon, avec le maire de Nevers, on a toujours eu d’excellentes relations ensemble. Après, la relation avec les habitants de Dijon, j’ai plus de mal à vous répondre ». Justement, au-delà des habitants, est-ce que les reproches se portent sur des éléments factuels ? On a été voir pour cela dans le Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Egalité des Territoires (SRADDET). Ce document technique, dont on ne vous conseille pas la lecture sur la plage, fixe les objectifs de la région à moyen et long terme. Voté le 26 juin 2020, c’est la feuille de route de la politique régionale, « il s’agit de veiller à une équité dans l’accès aux soins, à l’éducation, à la formation, au logement, à la mobilité, que l’on soit à proximité des lieux de recours et de leurs équipements, ou que l’on en soit éloigné ». Et visiblement, il y a du travail. Avant son adoption, ce schéma a été précédé d’une enquête publique, menée de décembre 2019 à janvier 2020 pour recueillir les attentes des citoyens. Sur le sujet qui nous intéresse, on est servi. On trouve par exemple le témoignage de Marianne : « la France périphérique est devenue une colonie et encore les colonies étaient parfois bien mieux traitées ! » (une fan de Michel Sardou, certainement). Elle justifie ses propos ainsi : « les bacheliers de Semur, Montbard et Châtillon doivent aller à l’Université à Dijon, soit à une heure en voiture ou en TER ». Pourtant, selon le maire de Dijon, l’université de Bourgogne « est un modèle à reproduire. On essaie de faire en sorte que chacun puisse profiter du développement de l’université. On n’a pas attendu Madame Vignot pour rayonner sur l’ensemble du territoire bourguignon ». Il avance l’exemple de l’école d’ingénieur ESIREM, située sur le campus à Dijon, qui ouvre une filière de formation au Creusot. Malgré cela, la répartition géographique des 34.000 étudiants de l’université de Bourgogne est sans équivoque : 30.000 sont à Dijon et 4.000 sont répartis sur les différents sites régionaux. Le point positif, c’est que, quand tu viens faire tes études à Dijon, tu sais que tous tes potes vont suivre. Ce fut le cas d’Amélie, venue d’Auxerre : « j’étais deg’ de venir à Dijon mais je savais que j’allais retrouver les mêmes têtes ». Cette concentration peut concerner de multiples domaines, pas forcément aussi stratégiques que l’enseignement supérieur mais révélateurs. Par exemple, Denis, habitant du Creusot, ville dans laquelle il a entraîné de jeunes rugbymen pendant des années se souvient : « Dijon, ils nous piquaient tous nos jeunes ! ». La question du réseau de transport est aussi primordiale. La Bourgogne est enclavée entre des régions plus urbaines. Paris au nord, Lyon au sud, Strasbourg à l’est. C’est un fort lieu de passage. L’A6 en été, entre Beaune et Mâcon, c’est plus de 100.000 véhicules par jour. Il en va de même pour les trains. La ligne Paris-Lyon-Marseille reste un axe majeur. Sur ce point, Patrick estime qu’« à Auxerre nous nous sentons

« La Bourgogne a un centre mais pas de frontière » Robert Chapuis, historien

complètement abandonnés par la région ! ». Dans l’attente de la mise en place d’un contournement routier, la ville est envahie par le passage de poids-lourds. « Nous aussi nous sommes fiers d’être Bourguignons, nous avons droit aux mêmes intérêts, égards et respect que les Dijonnais ! ». Ce sentiment d’abandon se traduit dans les chiffres. Entre 2007 et 2017, alors que la population en Bourgogne diminue, celle de Dijon augmente. Logiquement, c’est une stat’ dont se réjouit le maire de Dijon, « ça veut bien dire que l’attractivité de la ville existe ». Attractivité qui est par exemple économique. Le marché de l’emploi est plus dynamique à Dijon qu’en Bourgogne. En 2018, la ville concentre 17% des créations d’entreprises de la région alors qu’elle représente 10% de la population. L’attractivité passe aussi par l’offre culturelle. Parmi les témoignages de bourguignons que nous avons récoltés, nombreux sont ceux à expliquer qu’ils ne souhaiteraient pas vivre à Dijon mais qu’ils s’y rendent régulièrement pour bénéficier des équipements tels que le Zénith, la Toison d’or, les matchs du DFCO… Après, ce n’est pas tant l’attractivité de Dijon qui est remise en question mais plutôt l’unité de la capitale avec sa région. Tout comme Patrick précédemment, le dijonnais Eliott, affirme « je me sens Bourguignon ». Ils semblent partager une identité commune. Une identité territoriale. Yves Guermond, géographe à l’université de Rouen, explique que « l’identité territoriale est à l’origine un sentiment individuel, très souvent limité au coin de terre, au quartier de son enfance, idéalisés dans un souvenir confus mais permanent ». Après, selon lui, transformer ce sentiment individuel en sentiment collectif, c’est de la politique, du marketing territorial. Le processus est favorisé par la plus ou moins grande efficacité des représentations symboliques (paysages, histoire, patrimoine) qui sont mobilisées. En Bourgogne, quels symboles contribuent à fonder l’identité ? Lorsqu’Eliott part faire ses études dans la capitale française, en tant que Bourguignon, « je juge les Parisiens en parlant de notre vin ». C’est effectivement le premier élément auquel on pense : le pinard. Les grands crus de la Bourgogne sont des noms connus mondialement. Cette fierté remonte à loin. On chantait déjà à la gloire du vin au XVème siècle à travers la chanson traditionnelle Joyeux enfants de la Bourgogne. Les paroles racontent en gros l’histoire d’un bourguignon lambda (donc alcoolique) qui souhaite être enterré dans une cave où y’a du bon vin. Le tout est ponctué du fameux refrain à chanter (beugler) à tue-tête : « Et je suis fier, et je suis fier, et je suis fier d’être Bourguignon ! ». Sur ce point, on peut noter que Dijon essaie de se mettre au niveau de la Bourgogne puisque depuis quelques années, la culture de la vigne tente de renaître dans la ville après y avoir disparu peu à peu sous le coup de l’urbanisation. Sauf que, trouver d’autres symboles relèvent du défi et qu’en plus la vigne, c’est une toute petite partie de la région administrative. Cela concerne le sud de la Côte-d’Or en premier lieu, la Saône-et-Loire et quelque peu l’Yonne. C’est un peu léger. L’histoire permet de mieux comprendre cette identité fragile.

« Je n’ai pas du tout aimé la ville en arrivant. Pour moi, c’était pour les gens de la haute. Encore aujourd’hui quand on me demande d’où je viens, je dis Besançon. Alors que j’ai passé plus de temps à Dijon » Dominique, Beztown addict

Le territoire de la Bourgogne a longtemps été instable. Dans son livre* qui retrace l’histoire des relations entre Bourgogne et Franche-Comté, Robert Chapuis explique que « La Bourgogne a un centre mais pas de frontière ». Durant l’Ancien Régime, où les régions telles que nous les connaissons ne sont pas encore fixées, « les élites parisiennes […] ont tendance à poser d’abord une capitale, Dijon, et à l’entourer ensuite de départements situés plutôt à l’est, car elles considèrent que l’Yonne regarde vers Paris et que la Nièvre est tournée vers le Centre ». Stéphane confirme que ce sentiment est toujours d’actualité, « les Neversois vont plus facilement à Clermont dont ils se sentent plus proches ». Le Morvan agit comme une frontière naturelle. Le découpage des régions, tel qu’on le connaît, date de 1960. Il est opéré par Serge Antoine, un haut fonctionnaire. « La Bourgogne doit certainement son allure actuelle au fait que Serge Antoine veut limiter l’extension de la région parisienne : il rattache donc l’Yonne à la région de Dijon » explique Robert Chapuis. La maire de Besançon semble avoir raison et pour un coup, est en accord avec son homologue dijonnais qui reconnait que « les Francs-comtois ont une unité entre eux beaucoup plus forte que la Bourgogne ». Mais dans le fond, tout ça importe peu. La Bourgogne et la Franche-Comté sont désormais unifiées. Sur le papier en tout cas. Maintenant, pour que l’identité se construise, lire Sparse est un bon début. // M.F.

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