5 minute read
LES GÉANTS DE LA FORÊT
by Sparse
promenons-nous dans les bois
Dans la forêt communale d’Argentenay, dans l’Yonne, sont apparues il y a quelques années d’impressionnantes créatures. De bois mort et de mousse, les Géants se mêlent à la forêt. Ouvert toute l’année, libre d’accès et accessible à tous, la forêt du Géant Vert est une ballade poétique et onirique. Virée dans le 89 et rencontre avec son créateur, Alain Bresson.
Advertisement
Texte et photos par Jérémie Barral, en forêt d’Argentenay (89)
promenons-nous dans les bois
Au détour du chemin, ils apparaissent. Monumentaux, organiques, arborant fièrement des boutons de rose rouge qui les font apparaître dans le vert du feuillage. De grandes créatures semblables à des mammouths, d’autres, plus loin, à des poissons ou encore des grandes tentures qui doucement dansent dans le vent. Pourtant en arrivant, on s’attend juste à une ou deux œuvres posées là. Un truc tout pété où on déconstruit les concepts. Et puis, on arrive sur un joli parking à l’orée des champs. Il y a eu une route balisée au cœur d’Argentenay, un très joli village du Tonnerrois, avec ses ruisseaux et ses anciens moulins, avec de jolis mots pour expliquer la marche à suivre. Le sentier s’enfonce dans les bois et on part en balade. Si on est chanceux on peut ne croiser personne. On emprunte un chemin sinueux dans une forêt de différentes essences. Vite, on va à la recherche de petites roses de nylon rouge. Elles sont les cocardes qui habillent les œuvres. Dans le vert du feuillage, le rouge sang accroche le regard et, bientôt on découvre une grande créature faîte de bois mort et de mousse. Plus loin, c’est un fond marin avec ses nuées de poissons qui se faufilent à travers les troncs. Encore plus loin, c’est une installation majestueuse qui joue avec la paréidolie de nos sens nous laissant apercevoir des nuées d’oiseaux perchés sur leur branche écoutant les enseignements d’une institutrice. Oui, la paréidolie, c’est quand on voit des images dans un objet. Après un petit moment on pense que c’est terminé, à chaque fois, la surprise est la même : un nouveau parcours apparaît avec ses bouquets de poésie, d’humour, de douceur et d’interrogations. L’humour y est populaire, accessible, grand public. On sent que l’artiste et très inspiré par l’humour
décalé de la légende de la bande dessinée Gotlib. « C’est le grand-maître à qui je rends hommage », nous explique Alain Bresson, le créateur de la forêt du Géant Vert. Les interrogations sont très actuelles : l’impact de l’homme sur son environnement, la disparition des forêts primaires et de leur biotope pour ne laisser place qu’à des forêts de monoculture, une interrogation sur monde façonné par les hommes et sans nature sauvage. Alain Bresson, est un homme avenant et bienveillant. Né au Maroc en 1948, il passe sa jeunesse dans le sud de la France. « J’ai été attiré tout jeune par la terre. Je savais que je serai modeleur ou sculpteur. » D’abord la pâte à modeler des enfants, puis l’argile pour faire « des sujets de la vie quotidienne, les animaux de la
ferme ». Il devient apprenti céramiste, « la journée, il fallait travailler pour l’entreprise, apprendre et le soir, tous les jours, je continuais et modelais mes pièces, j’essayais des choses ». Il tente l’école nationale d’art décoratif de Nice. Il en sera renvoyé. « Je suis le seul de ma promotion à ne pas être devenu vendeur de meubles et a avoir créé toute ma vie. » Invité dans l’Yonne dans les années 90 par le centre d’art de Tanlay, la région séduit Alain Bresson et les rencontres de la vie le poussent à s’installer dans le Tonnerrois, loin de l’agitation de la ville. Après une expédition en Arctique où il accompagne des scientifiques en 2008 — « Dans toutes les expéditions scientifiques il y a un artiste. L’artiste voit le monde et les problèmes avec un œil différent. Pourtant j’aime pas la promiscuité et j’ai le mal de mer » — Alain revient dans l’Yonne. Les Inuits qui lui apprendront à pêcher et à jouir sereinement de l’immensité de la nature, lui donneront le goût des promenades. « Depuis, je n’ai pas allumé une radio ou regarder la télévision. » Un jour, au hasard de l’une de ces promenades dans la forêt d’Argentenay, il assemble quelques morceaux de bois. Petit à petit, l’idée de façonner des installations avec des bois morts plutôt qu’avec du béton s’installe dans son esprit. Il commence, au début des années 2010, à construire des créatures de bois mort et de mousse. Et puis, un jour, il décide d’essayer d’assembler des arbres vivants, qui continueront à pousser à grandir au fil des mois et des années. Depuis 2014, de nombreuses installations ont vu le jour au cœur de la forêt. Pour accompagner ces colosses végétaux, il y a quelques kakemonos peints au silicone. De grandes plumes qui flottent doucement dans la brise. Ce sont les toiles de Marie-Laure Hergibo. Artiste peintre et compagne d’Alain Bresson, elle n’avait pas l’habitude de peindre de grandes toiles d’extérieur. Cela vient d’une simple demande : « Je fais un bateau, j’aurais besoin d’une voile. » Et voilà le blanc et bleu de
Géants verts et lutins rouges.
ces toiles se marier avec délicatesse au vert et au pourpre des œuvres d’Alain Bresson. La forêt du Géant Vert est un projet qui se développe en partenariat avec l’Office National des Forêts. Les gardes forestiers voient avec bienveillance l’évolution de leur profession : passer de la protection et de l’exploitation à la promotion artistique est pour le moins inattendu. Commencé en 2014, l’installation est en progression constante. Chaque printemps, on la voit s’enrichir de nouvelles pièces et d’un peu plus de poésie. Après la pluie, la mousse des œuvres y est verdoyante. Vite, il faudra y retourner à l’automne pour découvrir les géants dans un écrin de pourpre et d’or. Peut-être même sous la neige si quelques flocons daignent colorer la forêt d’un manteau blanc. // J.B.