Journal IMMORAMA, Automne 2010 - Dossier complet

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N° 2 7 / A U T O M N E 2 0 1 0

L E

P A N O R A M A

D E

L ’ I M M O B I L I E R

REGARDS CROISÉS :

LES SUISSES DE L’ÉTRANGER ET LES INTERNATIONAUX VIVANT EN SUISSE

Suisse :

Interviews de : Ralph Tatu, Andrea Giagnoli, Jérémy Narby, Arnaud de Jamblinne, Miho Habel, Denis Rousseau, Jean-Charles Magnin

Tour du monde :

Singapour, Etats-Unis (1re partie), Australie, Inde. Pro Helvetia, Présence Suisse : interview de Johannes Matyassy



Editorial

Masochisme, non merci !

N

Editorial

os certitudes et notre confort – encore que, s’agissant de notre confort, on s’aperçoit avec le recul qu’il a été remarquablement préservé comparé à la majorité des pays occidentaux – ont été passablement bousculés ces deux dernières années. Quoi de plus normal dès lors que de s’interroger à nouveau sur notre place dans le monde, sur la perception qu’ont les étrangers de notre pays. L’image du miroir qui nous est ainsi présenté dans notre dossier spécial (pp. 25 à 41 *) n’est finalement pas très surprenante : Serions-nous restés nous-mêmes dans un monde qui change ? Ou avons-nous su, malgré notre réputation de conservatisme sans doute exagérée, nous adapter ? Ou peut-être encore, ne nous connaissons-nous pas si mal ? Quoi qu’il en soit, les avis de nos hôtes ne manquent pas de pertinence ; acceptons leurs compliments et leurs encouragements. Est-ce si banal de relever qu’après sept cents ans, la démocratie directe est toujours une institution précieuse et parfaitement utile ? Prêtons toutefois attention à leurs critiques : celles-ci émanent d’amis qui nous veulent du bien et qui savent de quoi ils parlent. Sur quoi portent ces critiques ? Une fiscalité pas si douce – en tout cas à Genève et si vous n’êtes pas au bénéfice d’un forfait fiscal – contrairement à une idée préconçue largement répandue, un système scolaire public coûteux et peu performant, un perfectionnisme parfois autobloquant, ou encore des restrictions contre-productives à l’octroi de permis de travail extra-européens. Mais globalement, comme le relève joliment l’une de nos hôtes, la Suisse a gardé cette capacité à ne pas traiter les questions importantes en noir ou blanc uniquement, mais à solliciter toutes les nuances du gris. Dans un monde de plus en plus complexe, voilà certainement un atout majeur ! Notre dossier met également en évidence l’étonnant appétit de voyage, de découverte et d’aventure de nos compatriotes : il n’a pas été difficile de les trouver installés dans des endroits aussi divers et lointains que la Nouvelle-Calédonie, le Sénégal, le Maroc ou l’Inde. Leurs expériences et le regard, désormais distant, qu’ils portent sur leur pays d’origine sont aussi enrichissants qu’émouvants. Et nous rappellent que c’est aussi cela la Suisse : une capacité étonnante à partir à la découverte de l’autre et à entreprendre dans un environnement étranger, avec une idée très claire des atouts que nous pouvons exploiter et mettre en valeur. Soulignons également que deux organismes au moins contribuent à entretenir le capital sympathie de la Suisse à travers le monde : Pro Helvetia et Présence Suisse. Le rappel de leur mission et de leurs projets en cours montre que la culture reste un puissant levier pour promouvoir l’image et la réputation du pays ; les investissements dans ce domaine ne sont donc pas vains. Et que notre petit pays n’est pas si passif que certains le dénoncent, lorsqu’il s’agit de promouvoir notre image et marquer notre présence à l’étranger.

Thierry Barbier-Mueller Administrateur délégué

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n° 28 - Printemps 2011 -

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dossier

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Immodossier

L’architecture verte, un effet de mode ?

Regards croisés : les internationaux vivant en Suisse

Regards croisés : les internationaux vivant en Suisse

Ont répondu à nos questions p. 3

p. 3

Andrea Giagnoli Attaché à l’institut culturel italien de Zurich

p. 4

Jérémy Narby Anthropologue et écrivain canadien installé dans le Jura

p. 5

Arnaud de Jamblinne Chef d’entreprise à Genève

p. 6

Miho Habel Manager pour la Suisse de la compagnie aérienne japonaise All Nippon Airways (ANA)

p. 7

p. 8

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Ralph Tatu Président du Club allemand international, Genève

Denis Rousseau Ancien directeur du bureau de l’Agence France Presse au Palais des Nations à Genève. Jean-Charles Magnin Directeur général adjoint du Service des Affaires économiques, Département de l’économie et de la santé, Genève

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La Suisse vue par ses hôtes étrangers : image quasi intacte

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es affaires des fonds en déshérence, des minarets, du secret bancaire, voire de la famille Kadhafi, ont provoqué un torrent d’analyses de toute sorte dans les médias helvétiques, analyses dont le sentiment de culpabilité et une certaine « Schadenfreude » n’étaient pas absents. Il nous a donc paru opportun

de demander à cette opinion publique étrangère, qu’on nous présente volontiers comme défavorable à notre pays coupable de « faire cavalier seul », ce qu’elle pensait vraiment. Le résultat est assez surprenant et finalement encourageant. On relève que les préoccupations de nos hôtes étrangers ont bien davantage de similitudes que de différences avec celles des Suisses « de souche ». Nous nous inquiétons tous des coups de canif – pas toujours virtuels – portés aux valeurs traditionnelles et aux atouts helvétiques : sécurité, système de santé, prospérité, assiduité au travail, enseignement de qualité. Et nos interlocuteurs ne paraissent pas autant souffrir que l’on imaginait des « phénomènes de société » dénoncés tous les jours par notre presse : repli sur soi, xénophobie, isolement égoïste au sein d’une Europe idyllique et fraternelle, etc. A vous de juger. ■


dossier Par Christine Esseiva et Thierry Oppikofer

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Que pensez-vous de la Suisse, de ses qualités et de ses défauts ? Il est facile de trouver des qualités à la Suisse. D’abord, c’est la plus ancienne démocratie du monde, ce qui rend parfois certains processus de changement un peu lents ; mais en ces temps de globalisation, il est tout de même extra-ordinaire de pouvoir participer aux décisions publiques, y compris en faisant valoir son droit d’initiative. Sur le plan international, la Suisse a fait beaucoup, notamment pour la protection des plus faibles et pour les droits de l’homme. Enfin, je dirai que les budgets, en tout cas à l’échelon fédéral, y sont bien gérés, ce qui est rare à notre époque. Du côté des défauts, je regrette la grande différence entre Romands, Alémaniques et Tessinois. On a une illusion de familiarité, mais on ne sait pas comment pensent ses voisins et compatriotes ; ce sont des cultures différentes et il faudrait tout faire pour renforcer leurs liens.

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Pensez-vous que la population suisse soit accueillante vis-à-vis des étrangers en général, de vos compatriotes en particulier ? Absolument, et c’est ce qui m’a frappé en arrivant à Genève : j’ai été étonné du respect et de la gentillesse que l’on me témoignait, notamment dans l’administration, y compris fiscale. C’est une chose rare en Allemagne ou en France ; or, à mon avis, le respect est la première chose qui compte. En ce qui concerne les Allemands, la situation est parfois moins rose en Suisse alémanique, où certains élus UDC ont fait de la critique de l’« omniprésence » allemande un vecteur électoral, exactement comme le MCG avec les frontaliers à Genève. Et les médias n’y ont pas peu contribué, à mon grand regret.

Ralph Tatu

Président du Club allemand international, Genève

« Votre pays dispose d’un capital de sympathie. »

3 Quelle est l’image de la Suisse dans votre pays, quels sont les mots qui viennent à l’esprit lorsqu’on l’évoque ? Comme dans le reste du monde, la Suisse jouit chez nous d’une excellente image. Les attaques contre le secret bancaire, la crise libyenne ne sont que des incidents en comparaison du capital de sympathie dont votre pays dispose ; là encore, ce sont surtout les médias suisses qui entretiennent l’idée d’une situation dramatique. Plus généralement, la Suisse est vue comme un petit coin de paradis, à l’image des paysages de lacs et de montagnes de notre Bavière. 4

Pensez-vous que la qualité de vie en Suisse se soit dégradée ces dernières années ? Il y a un vrai problème de sécurité depuis quelques années. Je n’ai pas de solution miracle, mais je suis père de famille et je suis inquiet, parce que de la sécurité générale des personnes et des biens dépend tout le reste.

5 Jugez-vous que les autorités suisses gèrent bien les intérêts du pays, en termes de diplomatie notamment ? Sans me permettre de juger de la politique suisse en général, je dirai que dans la crise avec Tripoli, la stratégie suivie n’a pas paru très claire, et l’unité gouvernementale a semblé vaciller, ce qui est incompréhensible. Mais, je le répète, la Suisse a des amis et dans la négociation avec les Libyens plusieurs pays l’ont aidée. C’est cela qu’il faut retenir, car l’amitié est parfois plus discrète que les rodomontades, et c’est très bien ainsi. ■ 1

Que pensez-vous de la Suisse, de ses qualités et de ses défauts ? La Suisse est un pays où le niveau de qualité de vie est élevé. La dimension de ses villes, les distances à parcourir restent toujours à taille humaine ; l’environnement y est préservé, les services publics efficaces, tout comme l’organisation générale du pays. Il est difficile de songer à des défauts : peut-être le climat, si différent de celui de l’Italie...

2 Pensez-vous que la population suisse soit accueillante vis-à-vis des étrangers en général, de vos compatriotes en particulier ? Je crois que les Suisses en général, particulièrement dans les grandes agglomérations, sont accoutumés à entretenir des contacts avec les étrangers, et cela ne me paraît pas poser de problème particulier. En ce qui concerne l’immigration italienne, ce fut une constante au cours des cinquante dernières années, et on peut ajouter que mes compatriotes forment l’une des communautés les mieux intégrées en Suisse.

Andrea Giagnoli

Attaché à l’Institut culturel italien de Zurich

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Quelle est l’image de la Suisse dans votre pays, quels sont les mots qui viennent à l’esprit lorsqu’on l’évoque ? Quand les Italiens pensent à la Suisse, les images des montres, des fromages et

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n° 27 - Automne 2010 -

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dossier Regards croisés : les internationaux vivant en Suisse

« Associer les mots Suisse et dégrader est impensable.»

du chocolat leur viennent bien sûr à l’esprit, mais aussi celles des banques, d’Art Basel, des Alpes, de la Street Parade de Zurich, de la ponctualité et de la courtoisie helvétiques, ainsi que de l’efficience du travail dans tous les domaines.

4 Pensez-vous que la qualité de vie en Suisse se soit dégradée ces dernières années ? Je ne suis pas ici depuis assez longtemps pour me faire une idée de l’évolution de la qualité de vie au fil des dernières années. Mais je vous assure qu’il me semble passablement impensable d’associer les mots « Suisse » et « dégrader » ! 5

Jugez-vous que les autorités suisses gèrent bien les intérêts du pays, en termes de diplomatie notamment ? Je crois que les autorités suisses se montrent très efficaces dans leur travail, qui est toujours présenté à l’opinion publique comme celui d’une équipe, malgré les divergences d’opinions politiques et d’origines linguistiques. Sur le plan des relations diplomatiques, la Suisse jouit d’une tradition séculaire, attestée par la présence sur son sol de si nombreuses organisations internationales. Elle a aussi montré au cours des dernières années une ouverture résolue à l’égard de l’Union européenne. ■

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Vaste question pour un petit pays ! J’apprécie la Suisse, sa diversité, ses vingt-six cantons qui ont chacun une saveur différente. L’arrangement institutionnel décentralisé que l’on a imaginé ici me semble très intelligent et respectueux de la diversité ; il devrait servir d’exemple. Sur le plan esthétique aussi, la Suisse me plaît. C’est un moyen de vivre à proximité de la France ou de l’Italie sans devoir y habiter, mais aussi d’être proche de toutes les cultures européennes sans en traverser les aléas.

Jérémy Narby

Anthropologue et écrivain canadien installé dans le Jura

« La qualité de vie dans ce pays est exceptionnelle et les étrangers le savent bien.» Questions

1 Que pensez-vous de la Suisse, de ses qualités et de ses défauts ? 2 Pensez-vous que la population suisse soit accueillante vis-à-vis des étrangers en général, de vos compatriotes en particulier ? 3

Quelle est l’image de la Suisse dans votre pays, quels sont les mots qui viennent à l’esprit lorsqu’on l’évoque ?

4 Pensez-vous que la qualité de vie en Suisse se soit dégradée ces dernières années ? 5 Jugez-vous que les autorités suisses gèrent bien les intérêts du pays, en termes de diplomatie notamment ?

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- Automne 2010 - n° 27

2 Oui, je le pense. Certes, je suis un Occidental et j’ai les yeux bleus. Mais cela va plus loin, à mon avis. Je pense qu’il y a bien des pays où il est beaucoup moins facile de « venir d’ailleurs ». En France, par exemple, on vous fait vite comprendre que vous n’êtes pas Français. Ici, je me sens respecté pour ce que je suis, et les étrangers aussi respectent les coutumes. Dans l’équipe de football des cadets de Porrentruy (6 à 9 ans), que j’ai entraîné, il y a des gens de partout et cela se passe très bien. On parle d’intolérance à propos de l’initiative sur les minarets, mais cela n’a rien à voir avec la réalité pratique. La Suisse s’est construite sur le thème « Je tiens les cols alpins, ne venez pas m’imposer vos coutumes, ni des juges étrangers ». C’est finalement le même discours que les Indiens d’Amazonie. C’est très sain et n’empêche pas l’ouverture sur les autres. 3 Quand ils ne la confondent pas avec la Suède, les Canadiens ont une image très positive de la Suisse. Par exemple les histoires de minarets ne sont pas parvenues chez nous. On associe la Suisse aux montres, au chocolat, aux montagnes, et l’avantage, c’est que quand on y va, la carte postale est confirmée par la réalité ! 4 La qualité de vie dans ce pays est exceptionnelle et les étrangers le savent bien. La proximité de la nature, le fait de pouvoir se baigner dans l’Aar en pleine ville de Berne, tous ces éléments évidents pour des Suisses blasés fascinent les visiteurs ou résidents de l’extérieur. Partout ou presque, les paysages sont superbes. Je vois la Suisse comme une Californie alpine et éclatante de l’Europe. Mais je sais que certains Suisses considèrent qu’il est de bon ton de dénigrer leur pays. 5 Naturellement ! Le monde est simplement devenu plus complexe. Un cas comme celui de la Libye était épineux, difficile, et des « clients » comme ceux-là ne vous laissent pas de répit. Je pense que M. Merz a eu du courage, que personne n’a été incompétent mais qu’une affaire pareille provoque une gabegie difficile à maîtriser. La diplomatie l’a permis quand même. Autre exemple, celui des fonds en déshérence ; la Suisse a assumé ses responsabilités et c’était assez exemplaire. J’ai beaucoup d’admiration pour les diplomates en général, et pour les diplomates suisses en particulier ! ■


dossier Regards croisés : les internationaux vivant en Suisse

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Que pensez-vous de la Suisse, de ses qualités et de ses défauts ? J’habite la Suisse depuis de nombreuses années. J’y ai fondé une famille, j’en ai pris la nationalité, c’est donc un pays que j’apprécie énormément. Je suis toutefois conscient qu’il existe de grandes différences entre cantons. Les qualités de la Suisse sont nombreuses et connues, il en va de la beauté des sites à la ponctualité des trains, en passant par le respect du travail bien fait. Un défaut en découle directement : la recherche de la perfection au-delà du raisonnable. Et il y a le complexe du « petit Suisse » !

2 Pensez-vous que la population suisse soit accueillante vis-à-vis des étrangers en général, de vos compatriotes en particulier ? Certainement, la proportion d’étrangers dans la population résidante est d’ailleurs très élevée. Contrairement au personnage présenté par Fernand Raynaud dans un sketch fameux, le citoyen suisse est conscient que la main-d’œuvre étrangère est essentielle et indispensable pour faire tourner l’économie. Cela ne veut pas dire qu’il accueille des étrangers à sa table tous les jours. Certes, si un groupe devient « trop » important en nombre, ou se comporte de façon incivique, des voix s’élèveront. Quant aux Belges, ils sont très bien accueillis ; leur joie de vivre et leur simplicité n’y sont pas pour rien. 3 Quelle est l’image de la Suisse dans votre pays, quels sont les mots qui viennent à l’esprit lorsqu’on l’évoque ? La Suisse dispose encore d’une excellente image en Belgique, même si elle commence à s’écorner. Les Belges étaient admiratifs de la Suisse qui « ne faisait pas comme les autres ». Le fait de céder aux revendications diverses venant de l’étranger ces dernières années a quand même passablement mis à mal la confiance dans le système suisse. Heureusement, il reste le tourisme, pour lequel le pays jouit toujours d’une excellente réputation.

Arnaud de Jamblinne Chef d’entreprise à Genève

« Les qualités de la Suisse sont nombreuses et connues, il en va de la beauté des sites à la ponctualité des trains, en passant par le respect du travail bien fait. »

4 Pensez-vous que la qualité de vie en Suisse se soit dégradée ces dernières années ? Oui, et à plus d’un titre. L’insécurité est certainement le plus grand problème ; je vous parle d’expérience, hélas ! Le nombre de vols, d’effractions et d’agressions est en progression constante. Comme les prisons débordent, les coupables, lorsqu’ils sont pris, sont souvent relâchés sans avoir réellement purgé de peine. Des bandes organisées viennent se servir ici sans vraiment être inquiétées. Ces faits sont connus, or je ne constate pas de mesures énergiques et courageuses prises par les autorités pour y remédier. Il me semble que le « politiquement correct » a vécu. Les infrastructures, au sens large du terme, sont également à la traîne, ce qui pèse sur la qualité de vie. L’autoroute Lausanne – Genève n’a que peu évolué depuis sa construction en 1964, pour une population de 700 000 personnes. En 2008, la population de Genève et Vaud était supérieure à 1 120 000 habitants. C’est assez honteux de passer ainsi de la place de premier de la classe à celle du fond, près du radiateur. Quant à la disponibilité de logements, inutile de faire un dessin... Or tous les partis politiques, à l’unanimité, sont pour la construction d’appartements. Quel autre projet jouit d’un tel soutien, et où sont donc les résultats ? L’une des forces de la Belgique est d’ailleurs la grande disponibilité – et donc le coût raisonnable – de logements de tout type. 5 Jugez-vous que les autorités suisses gèrent bien les intérêts du pays, en termes de diplomatie notamment ? La Suisse se trouve dans une phase de transition. Jusqu’en 1989 (chute du Mur de Berlin), le pays bénéficiait d’un grand respect des grandes puissances, sa neutralité leur étant utile. Son aura allait au-delà des qualités propres de ses services diplomatiques. En caricaturant un peu, disons que ces derniers mettaient leur territoire à disposition des autres, et cela suffisait. Or depuis la chute du Mur et l’effondrement de l’URSS, les services de la Suisse n’ont plus été sollicités, la neutralité suisse ayant perdu son utilité dans un monde dominé par les Etats-Unis. La Suisse est en quelque sorte rentrée dans le rang et les autorités doivent apprendre à faire valoir les droits du pays sans l’atout que représentait le statut apporté par la neutralité. Et force est de constater que dans les dernières crises internationales, on a l’impression que la Suisse a beaucoup capitulé, beaucoup donné, voire abandonné. Il est vrai que le pays est riche, les finances publiques saines, et que cela attire bien des convoitises. Les pressions exercées sont fortes et il lui faut apprendre à se défendre dans un environnement économique franchement hostile. ■

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dossier Regards croisés : les internationaux vivant en Suisse

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Miho Habel

Manager pour la Suisse de la compagnie aérienne japonaise All Nippon Airways (ANA)

« Dans tous les sondages, c’est toujours en Suisse que les Japonais rêvent d’aller. »

Que pensez-vous de la Suisse, de ses qualités et de ses défauts ? Je pense que la Suisse a la chance d’être une véritable démocratie : grâce au système d’initiative et de référendum, c’est toujours le peuple qui peut avoir le dernier mot. J’admire aussi le fait que la Suisse ait su préserver la beauté de la nature et la qualité de l’environnement, tout en assurant le développement de son économie. Comme je suis très sensible à la question de l’éducation et de la formation, vitale pour l’avenir du pays, je me demande toutefois si le système actuel, à Genève, va vraiment dans la bonne direction. A l’école primaire, puis au cycle d’orientation, j’ai l’impression que l’enseignement souffre de deux défauts : un manque d’ouverture et un manque d’exigence. Même si le système japonais connaît aussi beaucoup de problèmes, il est beaucoup plus ouvert sur des domaines comme l’art, la musique, le sport, et il y a toutes sortes de concours et de prix pour stimuler la créativité des élèves et les encourager à développer leurs talents. A Genève, le niveau d’exigence est relativement faible jusqu’au collège et, quand il augmente brusquement, la moitié des jeunes ne peuvent plus suivre et sont en échec. Ce qui montre qu’ils ont été mal préparés, mal formés.

2 Pensez-vous que la population suisse soit accueillante vis-à-vis des étrangers en général, de vos compatriotes en particulier ? Oui, la population suisse fait preuve d’une grande hospitalité et d’une grande gentillesse. Les Suisses sont plutôt conservateurs et très attachés à leur manière de vivre, mais ils sont aussi très accueillants et ils aiment rencontrer des étrangers. Depuis plus de vingt ans que je vis en Suisse, je n’ai jamais été mal traitée parce que j’étais Japonaise. Je pense d’ailleurs que les Suisses et les Japonais ont deux grandes qualités en commun : la politesse et la ponctualité. 3

Quelle est l’image de la Suisse dans votre pays, quels sont les mots qui viennent à l’esprit lorsqu’on l’évoque ? La beauté de la nature, la tranquillité, la paix, la douceur... La Suisse évoque immédiatement l’histoire de Heidi, que tous les enfants japonais connaissent parce qu’elle est enseignée à l’école. La Suisse fait aussi penser à La mélodie du bonheur, le célèbre film où une famille autrichienne arrive finalement à se réfugier en Suisse juste avant la Deuxième Guerre mondiale. On a en tête ces images de montagnes, de fleurs, de liberté... Dans tous les sondages, c’est toujours en Suisse que les Japonais rêvent d’aller. C’est vraiment le pays de leurs rêves !

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Pensez-vous que la qualité de vie en Suisse se soit dégradée ces dernières années ? Oui, sans aucun doute. La qualité de vie a diminué pour plusieurs raisons : le niveau des impôts est très élevé à Genève, en particulier pour les couples qui travaillent, les primes d’assurance-maladie ont augmenté énormément, les loyers sont très chers... Tout cela rend la vie moins facile.

5 Jugez-vous que les autorités suisses gèrent bien les intérêts du pays, en termes de diplomatie notamment ? C’est une question difficile. Les responsables suisses ont dû faire face à des problèmes très délicats et tout à fait nouveaux, comme la situation de l’UBS aux Etats-Unis ou la crise des otages en Libye. Mais je considère que la Suisse reste très bonne dans l’art de la négociation. Elle garde cette capacité de ne pas traiter les questions en noir ou blanc, mais de surfer sur toutes les subtilités du gris. ■

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dossier Regards croisés : les internationaux vivant en Suisse Ses valises sont prêtes, Denis Rousseau a terminé son mandat de quatre ans à la tête du bureau de l’Agence France Presse au Palais des Nations avec, contre toute attente, encore pas mal d’appétit pour Genève et la Suisse. « J’ai fait La Havane et je rêvais de Buenos Aires. Alors quand finalement l’Argentine m’a été refusée et que j’ai été nommé à Genève pour les quatre années à venir, j’étais, comment dire ? Très mécontent. » Quatre ans plus tard, Denis Rousseau boucle ses valises. Mission accomplie. Ou en tout cas terminée, car l’homme resterait bien encore une année ou deux, tout compte fait. Mais la règle de l’agence de presse française est de faire « tourner » ses journalistes dans les 165 pays où elle est implantée. Le Français ne sait pas encore où sera son prochain poste, mais il sait que celui qu’il quitte restera l’un de ses très bons souvenirs d’agencier. Retour sur ces liens qu’il a tissés avec Genève et la Suisse. Les clichés « Je les avais tous en arrivant : le chocolat bien sûr, les banques, l’ordre, la propreté. Et je les ai tous en repartant, mais sans plus une once de moquerie. Je continue à préférer le chocolat belge, désormais en toute connaissance de cause ; les banques ont justement perdu leur secret pendant mon séjour ; j’ai apprécié l’ordre et la propreté mais aussi la courtoisie helvétiques, qui sont vraiment des valeurs cardinales ici. J’ajouterai au chapitre des qualités confirmées : l’Etat fédéral et cette infatigable recherche du compromis qui caractérise la politique suisse, malgré la polarisation qu’on a pu observer ces dernières années. Le système helvétique fonctionne parfaitement quand tout va bien. Lorsque le bateau tangue, les fissures apparaissent. Et les Suisses, contrairement aux autres Européens, ne sont pas coutumiers des fissures. » Les surprises « La mission du bureau de Genève m’a permis avant tout de couvrir l’information des Nations Unies. Le côté institutionnel m’a effrayé au départ, puis m’a passionné durant quatre ans. C’est en partie pour cela que je me suis tant plu ici. En parallèle, j’ai voulu développer l’information nationale. L’actualité m’a beaucoup aidé : affaire Kadhafi bien sûr, éclatement du secret bancaire, arrestation de Polanski, initiative contre les minarets, on a rarement autant parlé de la Suisse sur la scène internationale que ces dernières années. Une actualité brûlante que nous avons couverte en observateurs extérieurs, avec ce regard certes journalistique, mais qui n’est pas tout à fait le même que celui de nos confrères helvétiques. Notre lectorat ne connaît pas toutes les subtilités du système suisse, il faut, à chaque dépêche que nous écrivons, trouver les mots pour les traduire. Le simple terme votation n’est déjà plus compris correctement en France. Pour qualifier Christoph Blocher, par exemple, nous nous sommes mis d’accord sur leader du parti populiste de droite. Je penchais pour extrême droite, mais après débat la majorité du bureau était contre, et avec de bons arguments. » A Genève « J’y ai été accueilli par ma voisine qui, apprenant mon nom de famille, m’a dit :  Bienvenue chez vous  en référence à l’illustre Jean-Jacques. Cela m’a touché, même si je n’ai plus jamais vraiment parlé avec cette dame par la suite. Est-ce emblématique des relations étrangers Suisses ? Je ne sais pas. Les internationaux vivent passablement entre eux à Genève, sans trop se rendre compte qu’ils sont en Suisse. J’avais un appartement de fonction en ville, mais la plupart de mes confrères sont en France, à la frontière. J’ai pas mal voyagé dans le pays, je regrette de n’avoir pas mieux découvert la ville. J’en ai aperçu quelques aspects secrets et charmants, des bars, des ruelles, des petites arcades vieillottes. J’aurais aimé rester un an de plus, d’autant que, contrairement à ce qu’un de mes amis m’avait dit, j’ai continué à produire normalement des anticorps même en vivant en Suisse ! Mais mon épouse, elle, va rester ici. Je ne suis donc pas encore tout à fait parti... » ■

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Denis Rousseau

Ancien directeur du bureau de l’Agence France Presse au Palais des Nations à Genève

par Valérie Hoffmeyer

« Quatre ans à Genève ? J’ai d’abord pensé à une punition. »

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dossier Regards croisés : les internationaux vivant en Suisse

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Que pensez-vous de la Suisse, de ses qualités et de ses défauts ? Ce n’est de loin pas un simple calcul fiscal. Beaucoup d’éléments attirent des personnes et des sociétés sous nos latitudes ; on peut résumer tout cela en évoquant la qualité de vie. Cela comprend, entre autres, l’environnement naturel, la discrétion, l’enseignement, la tolérance, les soins et la sécurité. Si les gens ne venaient chez nous que pour notre climat fiscal, ils ne resteraient pas longtemps.

Jean-Charles Magnin

Directeur général des affaires économiques, Département des affaires régionales, de l’économie et de la santé, Genève

2 Pensez-vous que la population suisse soit accueillante vis-à-vis des étrangers en général, de vos compatriotes en particulier ? L’image généralement véhiculée à ce propos me paraît complètement à l’opposé de la réalité que nous observons. Genève, par exemple, compte 39,2 % d’étrangers, une proportion qui ne décroît pas, et le microcosme local a beau s’agiter, le pays et le canton accueillent toujours un nombre important d’entreprises et de résidents. S’il y a eu une petite baisse l’an passé, c’était pour des raisons conjoncturelles ; certains projets ont subi des retards. 3 Quelle est l’image de la Suisse dans votre pays, quels sont les mots qui viennent à l’esprit lorsqu’on l’évoque ? Nous avons accueilli, à Genève, quelque 4 000 personnes en 2008 et 3 000 en 2009, respectivement 30 et 23 entreprises. Il est difficile de dire qui est seul – généralement un cadre ou un stagiaire de grande firme – et qui vient en famille. Mais mon sentiment est que ce sont souvent des groupes familiaux qui s’installent, et que de tous les expatriés, ce sont les familles demeurant en Suisse qui décident le plus fréquemment de rester définitivement dans leur pays d’adoption. 4 Pensez-vous que la qualité de vie en Suisse se soit dégradée ces dernières années ? Clairement non. Pour reprendre l’exemple genevois, nous comptons 300 000 emplois et 243 000 actifs. Le calcul est vite fait : nous avons besoin des étrangers. Les réclamations que nous enregistrons portent bien davantage sur la difficulté de se loger, à Genève et dans toute la région. Cela constitue un vrai risque de démotivation des responsables d’entreprises étrangères. La sécurité, dans des cas isolés, est aussi jugée insuffisante, mais ce n’est pas comparable. En revanche, les frontaliers ressentent davantage les préjugés. 5

Jugez-vous que les autorités suisses gèrent bien les intérêts du pays, en termes de diplomatie notamment ? Il n’existe aucune statistique à ce propos. Au Département, nous nous occupons des personnes en activité professionnelle, non des retraités ou des réfugiés, par exemple. Ce qui est certain, c’est la hausse du niveau de qualification des arrivants, qui n’a plus rien à voir avec celui de leurs prédécesseurs des années 70. L’un de nos problèmes est que les quotas de permis fédéraux pour les extra-Européens qualifiés sont insuffisants pour répondre aux besoins de l’économie genevoise. Quelques chiffres montrent que la répartition évolue. En 1999, à Genève, il y avait 28 000 Portugais, 24 000 Italiens, 18 000 Français et 18 000 Espagnols. Dix ans plus tard, 33 000 Portugais, 24 000 Français, 20 000 Italiens et 13 000 Espagnols. ■

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dossier Regards croisés : les internationaux vivant en Suisse

Loin des yeux, près du cœur

I

ls sont près de 700 000 à vivre en dehors de nos frontières – soit 10 % de la population du pays. Les Suisses de l’étranger forment la cinquième Suisse dont on a souvent tendance à oublier l’existence. Pourtant, 120 000 sont inscrits sur les registres électoraux et participent aux élections et aux votations fédérales. Autant dire que la diaspora helvétique, en constante progression, représente un poids politique non négligeable, et exerce de plus en plus d’influence. C’est pourquoi, d’ailleurs, ses représentants ne se contentent plus d’un « simple » article (art. 40) dans la Constitution fédérale, et réclament avec force et conviction une loi-cadre. Ambassadeurs de premier ordre, les Suisses de l’étranger sont – faut-il le rappeler ? – très attachés à leur culture et à leurs valeurs. Ils savent, comme vous le verrez dans notre Dossier international qui suit et dans notre ImmoWeb+ sur www. immorama.ch, en distiller l’essence dans leur pays d’accueil. Leurs témoignages sont précieux. Leurs remarques sont souvent pertinentes, parfois mordantes. Ils nous rappellent aussi que la Suisse est un pays où il fait bon vivre, et qui reste très attractif, vu de l’étranger. Ecoutons-les ! Ils ont beaucoup à nous apprendre sur nous-mêmes. Tour du monde. ■

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n° 27 - Automne 2010 -

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dossier Regards croisés : les internationaux vivant en Suisse

Singapour :

Elargir son champ de vision

Par Sonia Kolesnikov-Jessop Singapour

« La Suisse devrait faire plus et mieux. »

Rolf Gerber, banquier.

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Lors de son déménagement en Asie avec sa famille vers la fin des années 80, Rolf Gerber se souvient avoir rempli sa valise avec ses spécialités suisses préférées, comme le fromage et le chocolat, sachant qu’il serait difficile d’en trouver en Asie. Plus de vingt ans après, rien ne lui manque vraiment. Le banquier suisse pense même qu’il est plus facile de trouver une sélection de produits de qualité à Singapour que dans sa ville natale, Bâle. « C’est une métropole internationale, vous pouvez y trouver des produits provenant d’un peu partout. Si je veux un très bon fromage suisse, je peux le trouver ici et il sera probablement de meilleure qualité que celui que je pourrais acheter à Bâle, car les meilleurs fromages sont généralement exportés », explique l’homme âgé de 56 ans. Rolf Gerber admet que plus le temps passe et plus les déménagements de la famille se multiplient, moins ses séjours en Suisse deviennent fréquents. « J’y retourne régulièrement pour les affaires mais, autrement, nous n’y allons plus aussi souvent qu’auparavant, lorsque mes parents étaient encore en vie », dit-il. Néanmoins, son épouse et lui ont gardé une maison près de Lucerne depuis la fin des années 90 pour pouvoir donner à leurs trois enfants « une sorte d’identité et des racines ». Ses trois enfants sont maintenant de jeunes adultes indépendants qu’il décrit comme étant des « citoyens du monde ». Après avoir travaillé pendant sept ans pour UBS, il a rejoint en 2002 la Banque LGT du Liechtenstein à Singapour en tant que directeur général des opérations. Rolf Gerber a acquis une belle expérience en travaillant pour des clients internationaux et a constaté, au fil des ans, un changement dans la manière dont les gens perçoivent la Suisse. « Dans les années 80 et 90, la Suisse était véritablement admirée et très souvent associée à la qualité. Cette image a quelque peu souffert au cours de ces dernières années. Cela varie néanmoins de pays en pays. Dans des endroits comme la Chine, où la population n’est pas encore entièrement internationalisée, la Suisse a encore une très bonne réputation. Elle est toujours synonyme de beauté, de qualité, de bon chocolat et de montres Swatch. Mais lorsque vous vous trouvez dans des villes plus ouvertes aux marchés internationaux, comme Singapour ou Hong Kong, la Suisse n’a plus cette image unique », explique-t-il. Rolf Gerber pense que la réputation de la Suisse a souffert de la dernière crise financière. « Politiquement, elle semble être de plus en plus isolée. Elle a été critiquée par plusieurs pays. Tout cela a terni la réputation de la Suisse ; son vernis en a pris un coup », explique-t-il. Bien que la Suisse continue à promouvoir avec brio certaines industries, comme la fabrication des montres par exemple, il faudrait faire plus d’efforts pour promouvoir le pays lui-même, non seulement en tant que destination touristique, mais aussi en tant que destination pour les investissements, argumente Rolf Gerber. « La Suisse devrait faire plus et mieux. Si vous êtes un pays et que vous voulez vous présenter au public, vous devez utiliser des méthodes de marketing modernes. Singapour se vend mieux à l’étranger en tant que destination que la Suisse. La Suisse mise sur son image traditionnelle, sur la réputation qu’elle a mais qui est en train de se ternir. Les nouvelles générations perçoivent les choses différemment. Chaque pays se bat pour attirer l’attention des jeunes et se vendre comme destination de loisirs et comme lieu de travail. La Suisse devrait en faire autant », explique-t-il. Rolf Gerber pense que le Gouvernement suisse pourrait faire plus d’efforts pour attirer des entreprises internationales à venir s’y installer et y investir. Rolf Gerber admet qu’il est devenu plus critique vis-à-vis de son pays natal au fil des ans : « Lorsque vous vivez à l’étranger depuis longtemps, vous devenez plus tolérant, plus flexible et plus susceptible de vous adapter. A chaque fois que je retourne en Suisse, je trouve qu’elle a une perception très étriquée du monde. » ■


dossier Regards croisés : les internationaux vivant en Suisse Alain de Botton, l’auteur de best-sellers (How can Proust can change your Life ou The Architecture of Happiness), est né à Zurich. Il a été élevé en Suisse, parlant français et allemand, jusqu’à l’âge de 8 ans quand ses parents ont déménagé en Angleterre. « Je m’identifie à certaines valeurs suisses, comme le républicanisme bourgeois, le confort dans la simplicité, la sobriété, la démocratie, le savoir-faire dans la finance », explique l’écrivain depuis Londres où il vit avec sa famille, « et je crois que la Suisse est fière de m’avoir comme citoyen : je suis l’auteur le plus vendu à l’étranger ! » Alain revient au pays environ deux fois par an : « C’est l’architecture qui me manque le plus, cette extraordinaire attention aux détails, présente dans les bâtiments publics et privés. Je ne m’habituerai jamais à la plomberie en Angleterre, ni aux fenêtres qui laissent passer les courants d’air ! » Et d’ajouter : « Cette infrastructure merveilleuse me manque. Le système de tramway de Zurich est un chef-d’œuvre de civilisation. J’adore la façon dont les Suisses construisent leurs chaussées, avec tant de soin et de beauté, en utilisant de larges morceaux de granit… Et j’aime la nourriture, certaines marques comme le dentifrice Elmex et la moutarde Thomy, qu’on ne trouve pas ailleurs. » Il émet une réserve cependant : « Ça devient très peuplé, ils construisent trop. » L’auteur, qui voyage dans le monde entier à la rencontre de ses lecteurs, est bien placé pour apprécier l’image de la Suisse à l’étranger : « Plutôt bonne ! Nous sommes perçus comme un endroit stylé, intéressant, inconnu. Et de plus en plus cool et branché. » Et de conclure : « Ma façon d’être ambassadeur de la Suisse, c’est de dire combien j’aime ce pays. » Le designer Yves Behar est un autre Suisse célèbre, né à Lausanne, qui vit et travaille à San Francisco où il a fondé en 1999 une société de design industriel, FuseProject. (On recense 185 000 ressortissants suisses en Californie.) On lui doit beaucoup de nos objets quotidiens : un boîtier Canal+, le casque Bluetooth, le « chandelier » de l’aéroport Kennedy à New York, et le fameux ordinateur à 100 dollars pour enfant… Il revient fréquemment en Suisse voir ses parents, et si sa langue natale est le français, il s’exprime en anglais sans accent. « J’ai grandi en Suisse et je me suis toujours senti Européen. J’ai compris très jeune que les frontières avaient un sens pour les politiciens mais n’en avaient pas vraiment pour moi. Les limites géographiques m’importent peu ; ce sont les différences individuelles et culturelles qui comptent beaucoup pour moi et dans mon travail. » Son design représente-t-il la Suisse ? « Je ne pense pas que mon travail soit particulièrement suisse, ou européen, ou américain, ou turc d’ailleurs car mon père vient de Turquie. Je suis un amalgame de toutes ces cultures. Mon but est de créer par l’exemple, de représenter ma profession de façon responsable. Quand j’y repense, c’est assez étonnant que des millions d’enfants utilisent l’ordinateur portable que j’ai dessiné ! » Il annonce sa toute dernière création « verte »: des parcmètres permettant de recharger les voitures électriques, en collaboration avec la compagnie General Electric, présentés à San Francisco le 13 juillet dernier. « Je ne crois pas qu’on puisse parler d’un  design suisse  à l’heure actuelle – comme on a eu un style graphique Bauhaus, apparu après la Deuxième Guerre mondiale. Avec l’émergence des ordinateurs, la facilité à communiquer et à voyager, nous sommes devenus des citoyens du monde. Certains éléments d’inspiration sont locaux, mais sans qu’on puisse parler d’un style régional. » « Je contribue à une idée plus diverse de la Suisse, et j’en suis heureux, je suis moi-même un mélange : je suis un être contrasté qui sait être méthodique et aller au bout des choses ; mais j’aime aussi essayer plein de choses, je crois en la vertu des échecs répétés, et du risque ! » Le designer livre son dernier secret : une collaboration à venir avec le célèbre fabricant de meubles modernes Herman Miller, « un projet très important dans ma carrière », dont il ne dira rien d’autre, sauf pour confirmer qu’il s’agit bien de meubles. ■

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Etats-Unis :

Communiquer avec le monde entier

Par Claudine Mulard Etats-Unis

« Je contribue à une idée plus diverse de la Suisse, et j’en suis heureux, je suis moi-même un mélange. »

Alain de Botton, écrivain.

Yves Behar, designer.

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dossier Regards croisés : les internationaux vivant en Suisse

Australie :

Libre et sans contrainte

Par Florence Decamp Australie

« Mon âme suisse est dans les toiles que je peins... »

Dorothée Heibel, peintre.

Peter Pluess, ancien président du Swiss Club australien.

« Je pense que le pays a plutôt bien passé la crise, c’est un pays qui reste stable. »

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Dès qu’elle découvre l’Australie, Dorothée Heibel est séduite par la lumière qui transperce ce continent avec tant d’acuité que le regard semble aller plus loin. Bien qu’artiste par tradition familiale, elle n’est pas encore peintre professionnelle mais déjà passionnée par les couleurs qui, plus tard, viendront éclabousser ses toiles d’une vitalité presque enfantine. Quand elle débarque, avec son mari, pour un premier séjour, elle se dit qu’elle pourrait bien y rester toujours. Mais ils repartent, mettent toute leur énergie et leur amour à restaurer une maison en Suisse. Finalement, ils reviendront vers l’Australie pour s’y installer ; c’est un bonheur mais un déchirement aussi de laisser la Suisse et l’univers qu’ils y ont créé. « Pour démarrer une nouvelle vie, il faut d’abord mourir un peu », juge Dorothée. De Sydney où ils séjournent d’abord, ils montent vers le nord – ce qui dans cet hémisphère signifie aller vers le soleil – pour y vivre avec leurs trois enfants, direction la Hunter Valley, réputée pour ses vignobles et ses artistes dont Dorothée fait aujourd’hui partie. Si Dorothée n’était jamais partie bien loin de la Suisse avant de s’embarquer pour l’autre bout de la planète, Peter Pluess a lui bourlingué au Moyen-Orient, puis au Mexique, avant de se poser en Australie pour les services de la même maison d’import-export. A Sydney, il s’installe dans le quartier de la North Shore en raison de ses maisons aux grands jardins et de la proximité de la mer. « Les Suisses adorent la plage ! Dans ce domaine, l’Australie est un vrai paradis pour nous… » Peter Pluess apprécie la décontraction des Australiens et la nature sans contrainte de son pays d’adoption, à la différence de la Suisse, dit-il, où « tout est beaucoup plus formel, étroit, enfermé dans un corset administratif... » Pourtant, il a porté pendant dix ans le flambeau suisse à Sydney en devenant le président du Swiss Club, lieu « très traditionnel », explique-t-il, «  où les gens se rendaient surtout pour avoir l’occasion de parler leur langue, pour rompre un isolement qui aujourd’hui n’existe plus en raison du développement des communications ». Pour son travail, Peter Pluess retourne régulièrement en Suisse dont il suit l’actualité, « non pas de manière intensive mais je garde un œil sur l’économie et le business... Je pense que le pays a plutôt bien passé la crise, c’est un pays qui reste stable ». Un peu de nostalgie Dorothée, elle aussi, observe de loin la vie en Suisse avec parfois des éton-nements : « J’entends parler de racisme en Suisse, cela n’existait pas du temps de mon enfance. Je suppose que la Suisse change comme le reste du monde mais j’en ai cette vision un peu figée. » Parce qu’elle pense demeurer ici, Dorothée a cessé de voter en Suisse. « Je pense que cela n’est pas très justifié que je donne mon avis sur le fonctionnement ou les décisions d’un pays dans lequel j’ai cessé de vivre il y a longtemps. » Elle est ravie d’avoir laissé derrière elle « un brouillard qui peut vous engloutir trois mois d’affilée », mais reste nostalgique des vieilles pierres, des Noëls blancs et des cloches des églises dont le son traverse les campagnes. « Mais la chose qui m’a le plus manqué quand je suis arrivée en Australie dans les années 80 », confesse-t-elle en souriant, « c’est le pain. Ici, il n’avait pas de croûte, il était carré, blanc et mou... » Peter, lui, quand il rentre, retrouve avec plaisir les fromages, les charcuteries et la sérénité des montagnes... Si rien dans la peinture de Dorothée n’évoque la Suisse, personne n’ignore dans la Hunter Valley qu’elle est « une peintre suisse » : « C’est important pour moi que l’on sache d’où je viens et ce que je représente. Mes tableaux sont sans doute très australiens par leurs couleurs mais ils sont exécutés par une Suisse née à Soleure, dans une superbe campagne. Mon âme suisse est dans les toiles que je peins... » Dorothée, son mari et leurs trois enfants sont tous devenus Australiens lors d’une même cérémonie. Mais quand ils sont réunis ensemble, c’est en dialecte suisse allemand qu’ils se parlent. « C’était important pour moi de conserver ce lien avec le pays de mon enfance... » ■


dossier Regards croisés : les internationaux vivant en Suisse Originaire de Lausanne, Silvia Hostettler dirige Swissnex en Inde depuis juin 2008. L’organisation est chargée de promouvoir les échanges entre l’Inde et la Suisse dans les domaines de la technologie, de l’enseignement supérieur et de la culture.

Silvia Hostettler, directrice de Swissnex.

1 En quoi l’expatriation a-t-elle changé votre image de la Suisse ? J’ai réalisé la chance que j’avais lorsque je suis allée vivre en Inde. La montagne, la vie culturelle... en Suisse, tout est propre, reposant. On a des assurances pour tout : santé, emploi. En Inde, et particulièrement dans le sud, la vie est chaotique et colorée. Donc forcément, à chaque retour, il me faut une semaine de réadaptation. Les visages que l’on croise en Suisse sont souvent tristes.

2 Comment la Suisse est-elle perçue en Inde et contribuez-vous à changer son image ? Même la présidente de la République, Pratibha Patil, que j’ai eu l’occasion de rencontrer, n’a pas manqué d’évoquer les montagnes suisses des films de Bollywood ! Les clichés sont nombreux. La loi d’interdiction des minarets a eu beaucoup de répercussions ici. Dans un pays qui compte autant de croyances, et où le droit de pratiquer sa religion est fondamental, on a du mal à comprendre cette interdiction. J’évoque souvent la diversité incroyable de la Suisse, qui est peu connue en Inde.

Inde :

Voir les choses d’un autre angle

Par Julien Bouissou Inde

« J’évoque souvent la diversité incroyable de la Suisse, qui est peu connue en Inde. »

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Que pensez-vous des efforts de coopération menés par la Suisse ? Nous sommes plutôt bien représentés avec Présence Suisse, qui gère l’image du pays, Swissnex et Pro helvetia pour favoriser les échanges culturels. Nous allons également ouvrir un troisième consulat en Inde, à Bangalore. La Suisse ne manque pas d’atouts auprès des Indiens : nanotechnologies, machines-outils dans le secteur du textile, mais également nos universités. ■ Edith Stecher est originaire de Lausanne. Elle est partie en Inde en 1997 pour fonder l’ONG Jeevan Jyothi, un foyer de réhabilitation qui accueille environ soixante handicapés et défavorisés, dans un village du sud du pays.

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En quoi l’expatriation a-t-elle changé votre image de la Suisse ? Je me sens davantage attachée à la Suisse depuis que je l’ai quittée. En suivant l’actualité tous les jours par Internet, je me dis que notre pays devrait relativiser certains de ses problèmes. La misère y est pourtant présente, mais elle est moins visible et on en parle moins. Il est plus aisé de voir la misère hors de nos frontières.

2 Comment la Suisse est-elle perçue en Inde et contribuez-vous à changer son image ? Dans le village où je travaille, très peu de gens connaissent la Suisse. Et il est très difficile de la faire connaître. Ne serait-ce qu’un film, un documentaire sur le pays, je n’en ai pas trouvé et ça manque. J’ai essayé de faire écouter de la musique classique aux gens du village... mais ça n’a pas été très concluant ! 3 Que pensez-vous des efforts de coopération menés par la Suisse ? Je bénéficie de nombreux soutiens en Suisse. Notamment des professeurs qui viennent quelques mois enseigner dans mon école. En Inde, l’argent ne manque pas, il est juste mal distribué. Ce sont plutôt les personnes compétentes pour s’occuper d’enfants handicapés qui manquent, et c’est d’elles dont nous avons besoin. ■

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Edith Stecher, fondatrice de l’ONG Jeevan Jyothi.

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dossier Regards croisés : les internationaux vivant en Suisse

Pro Helvetia :

34 millions pour la culture

Par Valérie Hoffmeyer Suisse

« Outre les domaines  ordinaires  du théâtre, de la danse, de la musique, de la littérature ou des arts plastiques, Pro Helvetia accompagne d’autres formes de culture, à l’instar de l’univers des jeux vidéo. »

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Pilier de la culture en Suisse et à l’étranger, la fondation Pro Helvetia verra sans doute son budget et ses compétences augmenter pour 2012-2015. Tour d’horizon de ses missions en cours et des mutations à venir. Festival de Lucerne, septembre 2010. Vingt-quatre créations de musique contemporaine sont présentées au public. Six sont des commandes de composition attribuées par Pro Helvetia. La fondation publique commande chaque année des pièces à des musiciens et musiciennes suisses. Et pas seulement dans des parties aussi pointues que la musique contemporaine. Un yodleur ou un virtuose du hägebrett ont toutes leurs chances. Pour le domaine musical, Pro Helvetia attribue chaque année 190 000 francs à des commandes de musique classique, pop et populaire. Cette année, dix-neuf musiciens ont été sélectionnés parmi quarante-neuf dossiers déposés. Mais la musique n’est que l’un des axes de Pro Helvetia, qui gère un budget annuel de 34 millions de francs, qu’elle diffuse à tous les domaines de la culture, des arts de la scène à la littérature. Sous forme d’aide à la création mais aussi en soutien à la diffusion des œuvres, en Suisse et à l’étranger. Pour mieux dessiner la politique culturelle nationale, une vaste consultation vient d’être lancée au sein de l’Office fédéral de la culture (OFC), l’autre acteur fédéral de la culture, et de Pro Helvetia. Objectif : redistribuer les tâches dans un cadre temporel défini. Un plan d’action quadriennal en somme, comme il en existe dans d’autres domaines comme les sciences. Cela pourrait aboutir au transfert de compétences de l’OFC vers Pro Helvetia, pour la période 2012-2015. Culture suisse à l’étranger Mais Pro Helvetia conserve avant tout sa mission première, à savoir la promotion de la culture helvétique, ici et surtout ailleurs, via son important réseau. A commencer par les bureaux de liaison dont elle dispose à Varsovie, au Caire et au Cap, ainsi qu’en Inde où une maison d’édition locale, Seagull Books, devrait prochainement traduire et diffuser des œuvres littéraires suisses, de Max Frisch à Friedrich Dürrenmatt. Pro Helvetia gère aussi le Centre culturel suisse de Paris et participe aux activités de l’Istituto svizzero di Roma et du Swiss Institute de New York. Elle agit également dans le cadre d’événements ponctuels, comme, en ce moment, l’Exposition universelle de Shanghai. En août dernier, la présidente de la Confédération Doris Leuthard a ainsi été accompagnée en Chine par l’acrobate vocale Erika Stucky et le duo de cors des Alpes The Roots of Communication, qui se sont produits dans le Pavillon suisse avec, dans les coulisses, le soutien de Pro Helvetia. Nouvelles thématiques Outre les domaines « ordinaires » du théâtre, de la danse, de la musique, de la littérature ou des arts plastiques, Pro Helvetia accompagne d’autres formes de culture, à l’instar de l’univers des jeux vidéo. Surprenant ? Pas tant que ça. Ceux-ci, tant par leur esthétique que par leur large diffusion, influencent fortement les autres arts. D’où ce nouveau programme thématique, intitulé « GameCulture », qui marche de pair avec l’accent mis sur l’Asie, en particulier la Chine et le Japon. Pour autant, la matière première que la fondation privilégie reste avant tout d’essence culturelle, même si elle semble parfois déborder sur des préoccupations plus sociétales. Eternelle question de la limite entre culture et société. A cet égard, la communication de la fondation est symptomatique de cette orientation tout public et populaire, avec évidemment une présence accrue sur Internet : newsletter relatant ses activités, présence sur le réseau social Facebook en sont les signes. C’est d’ailleurs via ces médias-là que les artistes-candidats préparent leur dossier pour l’obtention d’une aide financière, d’un soutien à la diffusion de leur œuvre ou pour bénéficier d’un séjour en atelier quelque part dans le monde. Une marche à suivre précise, bien dans l’esprit confédéral, assortie de formulaires et même de « tuyaux » pour bien ficeler leur demande est à disposition sur le site de la fondation. Le comité et des jurys spécialisés et indépendants procèdent ensuite à la sélection, chaque année à la même époque, selon les disciplines. Bon à savoir ! ■


dossier Tour du monde des universités Globalement, l’image de la Suisse s’est-elle améliorée ou s’est-elle dégradée à l’étranger ces cinq dernières années ? Tout d’abord, il faut savoir que l’image d’un pays est composée de plusieurs aspects : ses habitants, sa politique, sa culture, son économie, ses investissements, sa science, son paysage, etc. L’ensemble de ces points donne l’image d’un pays, et se transforme en capital sympathie. D’une manière générale, l’image d’un pays est très stable car elle s’appuie sur des facteurs très solides. En cas de problème, cela ne signifie pas que l’image est altérée. Il faudrait pour cela que les choses se répètent plusieurs fois. Si l’on regarde ponctuellement les événements passés – UBS, la Libye, la crise de la place financière –, on voit qu’ils ont marqué l’opinion publique mais on ne peut pas dire encore si cela va avoir un impact sur l’image. Nous avons réalisé une étude aux Etats-Unis à la fin de l’année passée. Nous l’avons comparée avec une autre qui a été faite au milieu de l’année 2000. On voit très bien que l’image de la Suisse aux Etats-Unis reste la même. En creusant l’analyse avec des questions plus pointues, on a quand même vu qu’il restait des traces mais cela ne se reflète pas dans l’image du pays. L’image se cultive, c’est un travail de longue haleine et permanent. Quelles actions allez-vous mener pour améliorer l’image de la Suisse ? Avant d’agir, la politique doit faire son travail en définissant un message. Dif-férents groupes de travail au sein de l’Administration fédérale et l’Association suisse des banquiers planchent sur le futur de la place financière. Nous avons différents instruments pour communiquer. D’une manière générale, nous travaillons avec notre réseau. Ce réseau a un lien émotionnel fort avec la Suisse ou connaît bien notre pays. Nous menons des actions continuelles auprès de leaders d’opinion qui agissent en tant que transmetteurs de messages. Quels sont les atouts de la Suisse mis le plus fréquemment en avant ? Comparée à d’autres pays, la Suisse est très connue dans le monde. Ce que l’on retient de notre pays, ce sont d’abord des stéréotypes, mais des stéréotypes positifs tels que ses paysages, ses produits, ses prestations dans le domaine des services. Notre stratégie consiste à faire passer des messages, mais pas en choisissant un slogan tel que « La Suisse est innovatrice » et en le diffusant largement. Nous nous appuyons sur des exemples concrets qui racontent et décrivent l’histoire de la Suisse. Ainsi, nous communiquons toujours d’une manière authentique, notre image est crédible. L’image de la Suisse n’a-t-elle pas un peu vieilli ? C’est vrai que les gens pensent souvent à une Suisse du XIXe siècle, mais nous leur expliquons que la Suisse a changé, a évolué, s’est modernisée et est tout à fait compétitive. Prenons le tunnel en cours de construction, le tunnel de base du Saint-Gothard. Grâce à ce projet d’envergure, nous communiquons non seulement sur notre pays mais aussi sur notre capacité à créer et à utiliser une technologie des plus modernes. Mais je pourrais en dire autant de la Genève internationale avec le CERN, ou vous parler de l’e-voting pour la démocratie directe, ou de la culture, de la formation. La Suisse traditionnelle et la Suisse moderne travaillent main dans la main. D’aucuns pensent que la Suisse devrait faire plus et mieux en termes de marketing et de communication à l’étranger, qu’en dites-vous ? Il faut bien distinguer les choses. Il ne faut pas confondre Présence Suisse et Suisse Tourisme qui fait de la publicité au travers de ses campagnes d’affichage ! Nos actions sont destinées en priorité aux personnes ; nous voulons influencer les leaders d’opinion dans les domaines de la politique, de la science, de l’économie et de la culture. En termes d’image, on peut faire beaucoup avec peu de moyens ; il suffit d’un message et d’une personnalité qui le transmet, d’un bon relais. Quelle est la misssion de Présence Suisse ? En tant qu’unité du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), Présence Suisse est en charge de la communication de la Suisse à l’étranger et met en œuvre, à ce titre, la stratégie de la Confédération pour la communication internationale de la Suisse à l’étranger. Cela veut dire que Présence Suisse s’emploie à promouvoir la diffusion de connaissances générales sur la Suisse, à favoriser la création d’un capital de sympathie pour la Suisse et à faire connaître la diversité et l’attractivité de la Suisse à l’étranger. Nous travaillons en étroite collaboration avec les représentations diplomatiques et consulaires de la Suisse à l’étranger, des organisations variées dans l’administration fédérale, des tiers dans le domaine de la communication à l’étranger et des compagnies suisses.

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Présence Suisse : La Suisse est très attractive

Par Christine Esseiva Suisse

Johannes Matyassy, Ambassadeur, chef de Présence Suisse.

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dossier Tour du monde des universités

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Quels sont les objectifs et quels sont les moyens d’action ? Les objectifs de la communication internationale consistent à : -- Augmenter les connaissances sur la Suisse à l’étranger -- Accroître la visibilité de la Suisse à l’étranger -- Présenter à un public cible étranger les intérêts et les positions politiques de la Suisse -- Construire et entretenir le réseau des relations de la Suisse avec les décideurs et les prescripteurs actuels et futurs -- Communiquer en cas de menace pour l’image de la Suisse à l’étranger ou en situations de crise d’image Nous disposons de divers instruments de communication qui lui permettent d’améliorer la connaissance de la Suisse à l’étranger tout en faisant la promotion de sa diversité : l’invitation de délégations étrangères en Suisse (soit des journalistes, soit des experts), les moyens d’information et les projets à l’étranger. Quel est le public cible ? Le public cible des activités du DFAE, Présence Suisse, est surtout composé de présents et futurs faiseurs d’opinion des domaines de la politique, des affaires, de la science, de l’éducation et de la culture, de journalistes qui jouent un rôle clé pour diffuser l’information, les jeunes des écoles et des universités. Quels sont les pays priopritaires ? Les activités de la communication internationale se concentrent sur certains pays dits d’action prioritaire. Pour les années 2010 et 2011, ils incluent nos quatre grands voisins, l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche et la France ainsi que Bruxelles (en tant que « capitale européenne »), le Royaume-Uni, les Etats-Unis et la Chine. En 2010, la région prioritaire « ad hoc » en Amérique latine comprend l’Argentine, le Brésil, le Chili et le Mexique. Quels sont les projets prioritaires ? Nos modes d’intervention sont très variés. Voici une sélection de quelques projets qui illustrent nos activités : -- Allemagne : Dans le cadre du programme « Partner im Dialog » des discussions débats sont organisées sur des thèmes comme la place financière ou le système d’imposition. -- Bruxelles (« capitale européenne ») : La stratégie de communication vise à améliorer la compréhension du système politique suisse chez les faiseurs d’opinion et les décideurs politiques d’aujourd’hui et de demain, au travers de conférences et de «  networking-events ». -- Chine : Présence Suisse soutient la tournée chinoise de l’exposition itinérante « Albert Einstein » qui a ouvert à Pékin le 1er juin 2010 et se poursuivra à Guangzhou, Hong Kong et Shanghai jusqu’à 2012. -- Etat-Unis : Le vaste programme « ThinkSwiss – Brainstorm the Future » présente, au travers de projets innovants, une Suisse globale basée sur les connaissances, pleine de talents, de possibilités et de créativité. Les activités se concentrent surtout sur des thématiques des domaines de la science, de la recherche et de la technologie. -- Grandes manifestations internationales : Présence Suisse est responsable du Pavillon suisse aux expositions universelles comme cette année à Shanghai, et utilise la plateforme des jeux olympiques pour présenter notre pays dans la Maison de la Suisse (récemment à Vancouver et à Whistler, bientôt à Londres et à Sotchi). Les moyens d’action sont employés de manière combinée et dépendent des stratégies menées dans les différents pays, c’est-à-dire que les projets à l’étranger sont fréquemment combinés avec l’invitation de délégations étrangères en Suisse et avec la distribution d’informations sur la Suisse. Pour Présence Suisse, l’objectif global, qui est d’obtenir un effet durable, est déterminant. Comment les actions sont-elles mesurées ? L’impact des activités réalisées à l’étranger se mesure par une analyse de l’écho médiatique et au moyen d’évaluations faites par les représentations en inter-rogeant le public cible et en vérifiant si les critères de durabilité du projet sont remplis. Quant aux voyages de délégations étrangères, elles sont évaluées par les participants eux-mêmes au terme de chaque voyage d’étude au moyen d’une enquête de satisfaction. Les grandes manifestations comme les expositions universelles et la présence suisse aux JO, sont évaluées sur place au moyen de questionnaires soumis aux visiteurs du Pavillon Suisse et de la Maison de la Suisse, comme cela a été le cas à Vancouver et l’est actuellement à Shanghaï. ■


dossier Regards croisés : les internationaux Tour du mondevivant des universités en Suisse Il est des Suisses expatriés dont la notoriété mondiale est immense : l’astronaute Claude Nicollier, né à Vevey, a accompli de nombreuses missions à bord des navettes spatiales Atlantis, Endeavour, Discovery, et totalise mille heures dans l’espace ; et le photographe Robert Frank, né à Zurich, auteur du célèbre album The Americans, qui vit dans l’est des Etats-Unis et n’accorde d’interviews qu’à l’occasion de ses expositions. Francine Lecoultre, costumière et conceptrice de tissus, est moins connue, et pourtant elle travaille depuis très longtemps dans l’industrie du cinéma à Hollywood, avec beaucoup de succès. C’est elle qui a conçu et réalisé la robe blanche extravagante que portait l’actrice Amy Adams dans le film Enchanted, un conte de fées moderne produit par les Studios Disney en 2007 – en fait, pour les nécessités du tournage, elle a réalisé trente exemplaires de la même robe, strictement identiques. Un métier de rêve Récemment, elle a accompli son rêve et déménagé dans un loft, un espace servant de studio d’artiste et d’habitation à la fois, dans la Brewery Art Colony, la plus grande communauté artistique au monde, un quartier non loin du downtown de Los Angeles, où vivent et travaillent des artistes, architectes, photographes, peintres, écrivains, designers. « Je rêvais depuis longtemps de pouvoir travailler et aussi de vivre ici. Je voyage beaucoup pour les tournages, alors maintenant je n’ai plus ces problèmes d’arrosage du jardin, ou de chat à nourrir, que j’avais avec ma maison... », raconte la Suissesse, qui précise : « Je suis née à Lucens, et j’ai été élevée dans le petit village de Suisse romande de Curtilles. » Francine Lecoultre retourne en Suisse régulièrement, au printemps de préférence, pour voir sa mère. Elle a commencé par enseigner l’art dans une école suisse, puis a décidé de prendre une année sabbatique à San Francisco en Californie, et a entrepris une formation de costume designer. « Et puis je suis restée, en n’ayant aucune idée de ce qui allait arriver ! », plaisante la jeune femme blonde au visage avenant, qui ajoute en riant : « J’ai choisi San Francisco, mais c’est Hollywood qui est venu à moi ! » Sa première collaboration, son « baptême du feu », dit-elle, a été de concevoir des tissus pour les costumes du film Batman et Robin, réalisé en 1997 par Joel Schumacher, avec les acteurs Arnold Schwarzenegger et George Clooney ! Depuis, elle dessine des costumes pour les grandes productions de Hollywood, et elle a habillé des vedettes comme Michelle Yeoh, Jennifer Lopez, Uma Thurman, Tom Cruise, Brendan Fraser, Val Kilmer, Guy Pearce et Whoopi Goldberg... Sa spécialité est de créer des textiles et des tissages uniques, entre autres pour la série Star Trek. Elle conçoit aussi des costumes de scène pour de grands évé-nements à travers le monde, récemment à Hong Kong, Budapest, Bombay, et en Suisse, en 2002, pour Expo.02 : « J’ai créé 1 200 costumes pour le spectacle d’ou-verture », se souvient-elle. Elle sera bientôt en Chine et en Jordanie. « La méticulosité, c’est vraiment très suisse » Elle enseigne dans plusieurs établissements, dont l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) et l’Institute of Fashion Design. Ce mois, Francine Lecoultre va devenir une Suisse célèbre, avec la parution d’un livre coffret, une rétrospective de sa carrière, Textile Inventions Hollywood, dont l’édition limitée offrira une couverture en tissu. « Le travail du tissu, la méticulosité, ça c’est vraiment très suisse, les gens me le disent souvent dans mon métier. Et grâce au pays d’où je viens, un de mes atouts est que je suis flexible, parce que je parle trois langues », poursuit Francine Lecoultre, qui n’hésite pas à affirmer : « Je trouve que l’image de la Suisse est très positive, nous inspirons confiance, nous avons la réputation d’avoir les pieds sur terre. Et le cliché de  Heidi, les fleurs et les montagnes  est très injuste. Moi, je vois la Suisse comme un pays avant-gardiste. » ■

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Etats-Unis :

Multiplier ses chances de succès

Par Léa Payne Etats-Unis

« Moi, je vois la Suisse comme un pays avant-gardiste. »

Francine Lecoultre, costumière et conceptrice de tisssus.

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dossier Tour du monde des universités

Nouvelle-Calédonie : Partir sans oublier d’où l’on vient

Par Florence Decamp Nouvelle-Calédonie

« A 20 000 km de mon pays natal, j’apporte sur cette île du Pacifique quelque chose de suisse. »

Olivier Perret, horticulteur.

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Voyager en terres lointaines est une habitude pour Olivier Perret. Jeune horticulteur paysagiste, il travaille en Suisse et s’échappe chaque année pour des vacances aussi exotiques que possible. « Je suis originaire de La Sagne dans la région de Neuchâtel. C’est une petite vallée traversée par une route avec des fermes de chaque côté... J’ai toujours aimé voyager, découvrir d’autres pays mais, à chaque fois que je partais, je revenais vers la Suisse. » Quand, lors d’un séjour en Asie, il décide de pousser son itinéraire de la Malaisie à la Nouvelle-Calédonie, il change le cours de sa vie. Sur cette terre du Pacifique Sud, ancrée à trois heures d’avion de la côte est australienne, il rencontre sa future femme : « Elle a accepté de quitter son île et de me suivre en Suisse. » Mais trois ans plus tard, le couple fait le chemin en sens inverse et vient s’installer définitivement en Nouvelle-Calédonie : « Je supportais mal le froid, cette humidité qui se glisse dans les os, la neige qui, liquéfiée par la pluie, se transforme en gadoue, le gel, le brouillard, les intersaisons, la brutalité du climat... » Bien des plantes tropicales qu’il avait appris, alors qu’il était étudiant, à identifier dans les livres et les serres des jardins botaniques suisses, poussent en liberté dans le Pacifique Sud, non plus étriquées dans des pots mais dans une totale exubérance. Olivier Perret ne se contente pas d’amadouer ces plantes extravagantes pour en faire des jardins qui, aujourd’hui, font sa réputation dans la capitale Nouméa. Il innove et importe des techniques suisses, allemandes et hollandaises, totalement inconnues en Nouvelle-Calédonie, pour faire pousser des plantes d’intérieur sur de petites billes au lieu d’utiliser de la terre. « On peut dire que je suis, d’une certaine manière, un ambassadeur de la Suisse. A 20 000 km de mon pays natal, j’apporte sur cette île du Pacifique quelque chose de suisse, une technique que je suis le seul à utiliser, un produit et des résultats qui représentent la fiabilité que l’on attend de la Suisse... En ce sens, je me sens un représentant de la Suisse, pas seulement un ressortissant ! » Ils n’étaient pas nombreux en Nouvelle-Calédonie – une centaine de personnes – à se réunir, pendant quelques années, le 1er août, pour célébrer la fête nationale. « Mais la consule honoraire devait tout payer sur ses propres deniers et cela a fini par coûter trop cher. Il n’y a plus de réception. Nous n’avons pas de club ou d’association. Je suppose que nous sommes tous trop individualistes. On se retrouve de temps en temps entre compatriotes pour se faire une fondue, puis le temps passe... » Si Olivier Perret ne suit pas de très près les actualités suisses, il retourne régulièrement en vacances dans son pays d’origine pour y voir sa famille. Il s’y rendra peut-être encore plus souvent car l’un de ses enfants s’y est installé pour faire des études et devenir joueur de tennis professionnel. Le lien avec la Suisse n’est donc pas définitivement coupé. ■


dossier Regards croisés : les internationaux Tour du mondevivant des universités en Suisse Avec sa chemisette blanche et ses lunettes à la mode, on l’imaginerait volontiers libraire ou philosophe. D’ailleurs, sa maison regorge de livres. Petits, grands, anciens pour la plupart. « six mille au total, tous ramenés de Suisse », confie avec fierté JeanPierre Volluz, 59 ans. Posés sur l’un des canapés (les seuls meubles achetés au Maroc, les autres ont voyagé en bateau, de Bâle à Casablanca via Amsterdam), on trouve aussi plusieurs magazines et journaux, marocains ceux-là. Alors, quand on lui demande ce qui lui manque le plus de son pays natal, il évoque d’abord, sans grande surprise, « ma famille, mes amis, un bon morceau de gruyère ». Puis il réfléchit un instant et poursuit : « La presse me manque. En Suisse, j’étais abonné à deux quotidiens, et toutes mes journées commençaient avec le journal et un café, au bistrot du coin. » JeanPierre a même voulu être journaliste. Pourtant, c’est dans le secteur de la santé qu’il a fait carrière en Suisse, comme directeur d’hôpital et d’établissements médicaux, avant de s’installer au Maroc, il y a un an et demi. Après un premier mariage, Jean-Pierre épouse en 1998 Saadia, une hôtesse de l’air marocaine rencontrée en Suisse. Deux ans plus tard, elle donne naissance à Sarah, quatrième enfant pour lui. A l’époque, ils n’envisagent pas de s’installer au Maroc. L’idée surgira des années plus tard, jusqu’au grand saut en 2008. Direction Rabat, la capitale. « C’était ma proposition, ma femme l’a acceptée », précise-t-il d’emblée. Nous avions envie de bâtir un projet ensemble, mais en Suisse il y a très peu de possibilités. Au Maroc, il suffit d’avoir des idées. » Ça tombe bien, le couple en a à revendre. Premier projet : des soins à domicile. Les besoins sont énormes, les cliniques débordées, mais au niveau administratif « ça bloquait, car la législation marocaine m’interdisait de faire travailler des infirmières ». Ils dégainent alors deux plans B : une onglerie-institut de beauté et une chocolaterie suisse, la première au Maroc. Leur cible ? « Les Européens et les cadres marocains ». Clientèle haut de gamme, Jean-Pierre assume. Les deux boutiques ouvriront d’ailleurs en octobre à l’Agdal, un quartier prisé de la capitale. « Tous nos chocolats viennent de Suisse, même le café servi dans la partie bar y est torréfié. Les prix seront plutôt élevés. Mais le service irréprochable », promet le futur patron de La maison gourmande de Sarah. Sarah, sa fille, sa fierté. « On avait des craintes sur son adaptation, mais elle s’est intégrée avec une rapidité incroyable. En arrivant, elle parlait arabe mais ne l’écrivait pas ; elle a pourtant terminé l’année avec des meilleures notes qu’en français », se réjouit le père de famille. Et son intégration à lui ? « Difficile quand on vient de Suisse, sans doute le pays le plus cadré au monde. » Au Maroc, tout est plus laborieux. Dix-huit mois auront ainsi été nécessaires pour ouvrir ses commerces. Il raconte « les barrières administratives, la croix et la bannière pour trouver les locaux, la corruption ». Puis promène son regard dans sa maison, située dans un lotissement cossu de la côte Atlantique, à quelques pas du palais d’un riche Emirati : « Le Maroc, c’est aussi ce confort. Un jardin, une terrasse avec vue sur la mer, pour 750 euros par mois ! » Chose plutôt rare pour un expatrié, Jean-Pierre fréquente surtout des Marocains. Sa belle-famille, bien sûr, mais aussi des amis rencontrés au fil de ses démarches. Quant à ses amis de Suisse, peu ont vraiment compris son départ pour le Maroc. « Si j’avais dit le Burkina Faso, ça aurait été la même chose. Pour eux, c’est l’Afrique, c’est le Maghreb, c’est les musulmans. » Dans son pays d’adoption, le Suisse discipliné a pris quelques libertés. Il conduit souvent sans ceinture, pourtant obligatoire, ce qu’il ne ferait sans doute pas sur les routes sinueuses de son Valais natal, où il retourne régulièrement pour retrouver ses proches, ses journaux et son fromage. Sans oublier la verdure, si chère à celui qui a « grandi à 1 500 mètres d’altitude », et troquée il y a près de deux ans contre la mer et le soleil marocain. Sans regrets ? « Une bonne pluie, ça ferait du bien, non ? » ■

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Maroc :

Réaliser ses rêves

Par Frédéric Autran Maroc

« Nous avions envie de bâtir un projet ensemble, mais en Suisse il y a très peu de possibilités. »

Jean-Pierre Volluz, ancien directeur d’hôpital et d’établissements médicaux.

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dossier Tour du monde des universités

Italie :

Qui s’inquiète de leur représentation au Parlement ?

Par Danielle Rouard Italie

« Les Suisses sont encore attachés à la mère patrie. »

L’Italie n’est que le quatrième pays d’accueil pour les Suisses vivant officiellement une expérience d’exil, environ 48 000 personnes en 2009, soit 6 000 de plus en dix ans.

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On quitte son canton helvétique parce que l’entreprise vous propose de partir pour deux ou trois ans (chez Mercedes, par exemple), ce qui est de plus en plus rare vu la crise : le transfert d’un salarié suisse à qualification égale coûte beaucoup plus cher qu’un recrutement local italien. On émigre pour étudier (à l’Institut suisse de Rome, par exemple, qui choisit pour un an douze pensionnaires logés et nourris) : le cas est nettement plus fréquent. On fuit sa nation, ressentie comme trop exiguë, pour une métropole, et on finit par y trouver travail et amour : le Bel Paese exerce encore et toujours une forte fascination. Il y a deux 200 ans, la Suisse étant alors un pays relativement pauvre, exportait ses mercenaires militaires et ses ouvriers artisans réputés dans la boulangerie, la pâtisserie et l’hôtellerie : à Rome, le Hassler et le Victoria sont parmi les plus prestigieux « cinq étoiles de luxe », recherchés pour leur raffinement sans emphase. Ce trait de la culture suisse est revendiqué avec un brin de nostalgie par ses émigrés, ainsi que la démocratie directe et la beauté légendaire des montagnes. De Rome à Milan, en passant par Bergame où leur communauté a su imprimer sa tradition, les Suisses s’installent pour quelques mois ou décident au fil des ans de rester pour l’éternité. Dans trois cas sur quatre, ils parlent surtout allemand. Ils rentrent au pays pour leurs vacances, très attachés aux traditions de leur mère patrie : certains « Circoli svizzeri » (« les Cercles suisses »), formés de bénévoles, proposent des camps de vacances pour les jeunes enfants d’émigrés de 8 à 15 ans afin de leur faire découvrir les charmes de leurs racines. Bonne image Le Collegamento Svizzero, instance nationale qui coiffe les délégués élus des cercles et associations de loisirs, de bienfaisance ou de culture qui pullulent dans la péninsule, ne profite d’aucune subvention et est « soucieux de rajeunir sa base d’activistes dévoués ». Cela fonctionne : bière, raclette et saucisses sur des rythmes de musique branchée dans une ambiance typique de bonne humeur sans chichi où chacun paie son écot. comme fin juillet à la fête de clôture de l’Institut romain où exposaient les pensionnaires avant de rentrer à Zurich ou à Genève. Toute la communauté peut s’informer dans la Gazzetta Svizzera, le mensuel fournissant un agenda des événements, des nouvelles sur elle-même et sur la nation helvétique dont on regrette parfois « la trop grande discrétion » dans le bruyant concert international. On va jusqu’à comparer ses concitoyens « aux coqs gaulois d’Astérix qui se chamaillent alors que l’Empire romain menace ». Mais les critiques provoquent de l’irritation... « Nous ne sommes que 7 millions dans un espace équivalent à la Lombardie. Ce n’est pas une raison pour nous traiter de  blanchisseurs  . Si les riches Italiens pratiquent l’évasion fiscale, ce n’est pas de notre faute, mais la leur et celle de leur gouvernement » a-t-on pu lire en commentaire d’un récent article fustigeant le secret bancaire suisse. L’image globale du pays reste positive. Selon un récent sondage, Como et Varese voudraient « s’annexer à la Suisse » ! Désormais les Svizzeri in Italia peuvent se suivre sur Facebook. Et leurs célébrités sont très populaires, pour ne citer que l’actrice Michelle Yvonne Hunziker, l’architecte Mario Botta, la Guardia svizzera qui a cinq cents ans, le tennisman Roger Federer... Concourant à cette bonne image, l’Ecole Suisse est précieuse par sa formation d’échanges et aussi par ses réseaux d’anciens élèves. Cette Ecole ne cesse de progresser : du jardin d’enfant au baccalauréat, forte de 500 élèves à Rome (1/3 suisse, 2/3 étrangers) mais avec aussi des établisements à Catania, Milan et Bergame. C’est l’unique expérience d’école de ce style totalement bilingue, avec deux langues supplémentaires enseignées, préparant aux diplomes et débouchés universitaires aussi bien italiens que suisses, « où la priorité est donnée au développement individuel et non à la compétition, à l’inverse d’ailleurs ». Depuis peu, l’équivalence est totale entre le baccalauréat et son homologue italien la maturità. Une loi récente a augmentè la subvention de l’Ecole, comme s’en réjouit Stephan Marcus Berger, directeur administratif, depuis 25 ans en Italie en se contentant de sa nationalité d’origine. « Je ne me sens étranger nulle part. Soutenir les écoles suisses comme ambassadrices du pays s’avère à terme plus rentable que certaines dépenses pour un évènement qui veut faire mouche ». De loin, le gouvernement et le Parlement fédéraux ne réalisent sans doute pas suffisamment l’intêret qu’il y a à mieux connaître et à mieux aider leur communauté émigrée en Italie : « L’information ne leur arrive pas », entend-on se plaindre ici. Trois consulats, dont l’un à Gênes qui devrait fermer en 2011, « les autorités helvétiques préférant en ouvrir de nouveaux dans les pays émergents comme en Asie ». Autre pomme de discorde :


dossier Regards croisés : les internationaux Tour du mondevivant des universités en Suisse les pensions, où l’on vient de perdre « une roue de secours, une seconde retraite ». En effet, l’émigré ne peut plus continuer à cotiser au pays, en plus de ses versements pour sa pension en Italie. Un souci se dessine : « être représenté au Parlement ». La Confédération, via l’OSE, vient d’être saisie d’une demande – « Une loi spécifique pour les Suisses à l’étranger, la Cinquième Suisse ». En attendant, « au moins que les membres du Collegamento soient élus directement par les citoyens immigrés ». – « Encore faut-il que les gens se déplacent pour voter ! » souligne, sceptique, Fabbio Trebbi, chirurgien dans un hôpital public à Rome et à Lugano, président du « Circolo svizzero » de Rome. De deuxième génération, possédant la double nationalité et fervent supporter de la nation helvétique, c’est tout un symbole ! Car, c’est vrai, « il rientro è molto più di un viaggio » * s’est soucié le Collegamento à son 72e congrès en mai dernier à Sanremo. ■ Le multilinguisme qui caractérise la Suisse a des conséquences parfois inattendues. Pas tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. La première fois que j’en ai fait l’expérience, c’était au Club suisse de Montevideo, la capitale de l’Uruguay où je venais à peine d’arriver. Réunis autour d’une table, mes compatriotes parlaient à bâtons rompus de leur vécu d’expatriés pour le faire partager généreusement aux nouveaux venus. Mais à ma grande surprise, ils ne le faisaient pas dans leur langue maternelle, que ce soit en suisse alémanique, en italien ou en français. Non, ils avaient choisi une langue commune qui permette aux uns et aux autres de se comprendre. En l’occurrence… l’espagnol ! Même si la situation pouvait paraître paradoxale vue de l’extérieur, elle témoignait de l’étonnante capacité des Suisses de l’étranger à surmonter les barrières linguistiques afin de pouvoir garder sur place le contact avec leurs concitoyens et maintenir ainsi un lien avec leur pays. Lien qu’il n’est au demeurant pas toujours facile à entretenir. Il l’était d’ailleurs moins encore il y a quinze ou vingt ans, en raison des difficultés de communiquer avec la mère patrie. La poste, le téléphone et le fax étaient les seuls moyens d’avoir ou de donner des nouvelles. En matière d’informations, la seule façon d’être au courant de l’actualité helvétique consistait à écouter Radio Suisse Internationale sur de fragiles et instables ondes courtes, ou de s’abonner à un quotidien ou à un hebdo qui nous parvenait au plus tôt deux semaines après sa parution. Aujourd’hui, plus rien n’est comme avant. Internet ainsi que TV5 pour les Romands permettent désormais aux Suisses résidant à l’étranger de suivre jour après jour l’actualité de leur pays et de communiquer à n’importe quel moment avec leurs proches. Comme si un lac avait remplacé l’océan qui nous sépare de la Suisse. Même les symboles de la suissitude, comme la fondue ou le Toblerone, ont désormais leur place sur les comptoirs des grandes surfaces. Au Mexique notamment. Seule lacune : le Cenovis, qui n’est toujours pas importé, au grand dam des inconditionnels de cette pâte à tartiner. L’autre lien qui permet de maintenir un contact direct est bien entendu celui que devraient entretenir les autorités helvétiques dans les pays de résidence. Mais il dépend beaucoup de l’ambassadeur en place et de sa volonté d’être proche de la communauté suisse. Il est vrai que ma profession de journaliste m’a toujours permis d’avoir des relations souvent privilégiées avec les diplomates en poste. Mais en plus, mon rapport à la Suisse a été facilité par des rencontres « au plus haut niveau » que je n’aurais jamais imaginées avant mon départ. Le fait d’être correspondant pour certains médias helvétiques m’a en effet permis de côtoyer et d’accompagner dans leurs déplacements ni plus ni moins que des conseillers fédéraux comme Pascal Couchepin, Joseph Deiss ou Doris Leuthard. Au-delà des aspects formels, ces visites officielles sont importantes car elles offrent l’avantage de faire parler de notre petit pays dans les Etats qui déploient un tapis rouge sous les pieds de nos autorités. Malgré cette apparente proximité avec la Suisse, mes liens se sont néanmoins progressivement distendus depuis plus de vingt ans que je vis à l’étranger. En matière politique d’abord. Malgré la possibilité de suivre de plus près l’actualité, il m’est devenu difficilement concevable de voter par correspondance pour me prononcer sur des affaires qui ne me concernent plus vraiment et que j’observe désormais de loin. De trop loin. Ensuite, j’ai pris de la distance avec la Suisse en raison probablement de l’influence des pays dans lesquels j’ai vécu et travaillé durant deux décennies. L’Amérique latine a façonné ma personnalité et modifié ma Weltanschauung, me rendant sûrement plus critique par

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* « le retour est beaucoup plus qu’un voyage »

Mexique :

Echanger et s’enrichir de la culture des autres

Par Patrick John Buffe Mexique

« Même les symboles de la suissitude, comme la fondue ou le Toblerone, ont désormais leur place sur les comptoirs des grandes surfaces. »

Statue de Guillaume Tell, située dans le Parc Rodo de Montevideo (Uruguay).

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dossier Tour du monde des universités rapport à la Suisse. Les marques d’intolérance qui s’y sont développées, la perte du sens de la solidarité ainsi qu’un repliement du pays sur lui-même sont autant de facteurs que je n’aurais peut-être pas perçus avec autant d’acuité de l’intérieur, mais qui me sont apparus plus évidents vus de l’extérieur. C’est dommage, car ils ne contribuent pas vraiment à entretenir l’image de la Suisse dans le monde. ■

Sénégal :

Pour vivre, tout simplement

Par Aurélie Fontaine Sénégal

« J’essaie de témoigner d’une Suisse moderne et accueillante. »

Mario Ernst, chargé de projet au sein d’un organisme international à Dakar.

Olivier Rohrbach, restaurateur.

Renée Gasser et son mari, anciens employés aux transports publics genevois. * L’éloignement renforce les sentiments.

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- Automne 2010 - n° 27

Près de 200 Suisses vivent au Sénégal. Travailleurs humanitaires, entrepreneurs, retraités...Tous aiment leur pays d’accueil, et nous donnent, vu d’ici, leurs regards sur leur pays natal. Suspendue aux étagères, derrière le comptoir de son restaurant, une écharpe rouge où est inscrit « Allez la Suisse ». Olivier Rohrbach, le patron des lieux, l’avait accrochée pour la Coupe du monde de football, et depuis il ne l’a pas retirée. A 46 ans, il en a passé douze au Sénégal, entre Dakar, la capitale, et Kédougou, petite ville au sud-est du pays, à s’occuper de la restauration d’un campement de chasse. Lui ne retourne en Suisse que tous les deux ou trois ans. Vu d’ici, il trouve que son pays natal a décliné. « Maintenant il y a des problèmes de logement, de santé à cause du stress, les salaires ont chuté, on licencie les plus anciens... », énumère-t-il. Une chose est sûre, s’il retourne vivre en Suisse « ce ne sera pas en tant que fonctionnaire. » Au contraire, Renée Gasser se verrait bien rentrer au pays. Au Sénégal depuis 2007, après deux ans au Kenya, la jeune retraitée en a marre des coupures de courant, et du manque de soins médicaux. Elle et son mari, tous deux d’anciens employés aux transports publics genevois, ont fait construire une maison près de la mer, à une centaine de kilomètres au sud de Dakar. Pas facile de revendre la maison, alors que le tourisme au Sénégal est en crise. Mario Ernst, chargé de projet au sein d’un organisme international à Dakar depuis plus d’un an, est moins catégorique. Il apprécie beaucoup plus la Suisse depuis qu’il vit à l’étranger. « Les choses positives que je n’appréciais souvent pas à leur juste valeur me semblent importantes maintenant. Les anglophones ont peut-être raison quand ils disent « distance makes the heart grow fonder * », souligne cet habitué d’un restaurant de la capitale tenu par un couple franco-sénégalais. Et ce sont souvent les mêmes éléments qui leur manquent à tous les trois : la famille, les amis, le vin et les fromages suisses, les montagnes, et la qualité des services publics, notamment les transports en commun. Paradoxalement, c’est ce manque d’organisation qui plaît aussi. « Ici, la vie de tous les jours est plus simple, moins stressante. Tout s’arrange facilement », explique Olivier Rohrbach. Pour Mario Ernst, c’est un peu le même topo : « En Suisse, on a trop tendance à chercher la petite bête pour tout et n’importe quoi et on oublie alors de vivre le moment présent. » Tous s’accordent aussi sur la mauvaise météo de leur pays d’origine. Au Sénégal, adieu petite pluie, grisaille et brouillard. En chemisette, Olivier Rohrbach discute avec les habitués de son restaurant, l’Oasis. Affichée sur un mur, une annonce pour les soirées fondues qu’il organise. Si pour le moment la chaleur de la saison des pluies empêche tout repas lourd au fromage, ses dîners ont la cote lors des soirées (relativement) fraîches en hiver. Le personnel de l’ambassade suisse vient d’ailleurs de temps en temps y retrouver les saveurs helvètes. Olivier, comme Renée, n’a pas trop de rapports avec la communauté suisse au Sénégal. « Je sais juste que lorsqu’on a besoin de papiers administratifs, ça va assez vite à l’ambassade », raconte Olivier. Le couple Gasser fréquente deux ou trois amis suisses, mais de manière irrégulière. Mais tous ont plaisir à diffuser ce qui leur est cher. « J’essaie de témoigner d’une Suisse moderne et accueillante. J’aime expliquer les choses typiquement suisses, qui ne sont pas évidentes pour les étrangers, comme par exemple le fonctionnement de la démocratie directe », note Mario Ernst. Honnêteté, parole donnée, respect des rendez-vous et des engagements : voilà ce que Renée Gasser aime faire passer. Le gérant de l’Oasis donne quant à lui dans la pratique. Enseignant bénévole dans une école hôtelière, il dispense des cours de service et de fabrication de bière et de vin. Transmettre des valeurs, donc. C’est aussi ce qu’attend Mario Ernst de la Suisse officielle : « Je compte sur la Suisse pour encourager la création d’emplois chez les jeunes Sénégalais et pour insister sur la bonne gouvernance. » Au Sénégal, il y a peu de ressortissants suisses, mais il existe un Cercle suisse à Dakar, qui propose des programmes d’intégration, d’assistance et de divertissement. ■


dossier Regards croisés : les internationaux Tour du mondevivant des universités en Suisse Lors de son déménagement en Asie avec sa famille vers la fin des années 80, Rolf Gerber se souvient avoir rempli sa valise avec ses spécialités suisses préférées, comme le fromage et le chocolat, sachant qu’il serait difficile d’en trouver en Asie. Plus de vingt ans après, rien ne lui manque vraiment. Le banquier suisse pense même qu’il est plus facile de trouver une sélection de produits de qualité à Singapour que dans sa ville natale, Bâle. « C’est une métropole internationale, vous pouvez y trouver des produits provenant d’un peu partout. Si je veux un très bon fromage suisse, je peux le trouver ici et il sera probablement de meilleure qualité que celui que je pourrais acheter à Bâle, car les meilleurs fromages sont généralement exportés », explique l’homme âgé de 56 ans. Rolf Gerber admet que plus le temps passe et plus les déménagements de la famille se multiplient, que ce soit le déménagement au Japon pour sa première affectation à l’étranger, ou en Corée en 1988 et à Hong Kong en 1991 et ensuite à Singapour en 1996, moins ses séjours en Suisse deviennent fréquents. « J’y retourne régulièrement pour les affaires mais, autrement, nous n’y allons plus aussi souvent qu’auparavant, lorsque mes parents étaient encore en vie », dit-il. Néanmoins, son épouse et lui ont gardé une maison près de Lucerne depuis la fin des années 90 pour pouvoir donner à leurs trois enfants « une sorte d’identité et des racines ». Ses trois enfants sont maintenant de jeunes adultes indépendants qu’il décrit comme étant des « citoyens du monde », et même si aucun d’eux ne vit en Suisse, Rolf Gerber dit : « Nos enfants pensent qu’ils n’ont pas eu de vacances d’été s’ils ne sont pas allés en Suisse. » La carrière de Rolf Gerber a, de multiples façons, reflété le développement de l’organisation financière d’entreprises internationales dans les années 80 et 90, que ce soit durant ses premières années à Londres, lorsque le marché des euro-obligations fut créé, ou pendant ses années en Asie, lorsque les banques suisses cherchaient à surfer sur la vague du développement des Tigres asiatiques. Il a rejoint la Société de Banque Suisse en 1981 dans le cadre d’un programme de recrutement de jeunes diplômés, et au bout d’un an il a été muté dans sa succursale londonienne pour travailler dans le département Corporate Finance de la banque qui s’occupe de multinationales suisses actives sur le marché international. Il a géré des émissions obligataires internationales et s’est occupé de placements de capitaux. En 1988, il fut envoyé en Corée du Sud pour ouvrir la première succursale de la banque en Corée, une première pour une banque suisse. Trois ans plus tard, il déménagea à Hong Kong pour développer le département Corporate Finance de la banque en Asie, avant de s’installer à Singapour pour y diriger la branche. Après avoir passé presque sept ans auprès de son employeur, rebaptisé UBS à l’époque, il quitta la société en 2002 pour rejoindre la Banque LGT en tant que directeur général des opérations de cette banque du Liechtenstein à Singapour. Rolf Gerber a acquis une belle expérience en travaillant pour des clients internationaux et a constaté, au fil des ans, un changement dans la manière dont les gens perçoivent la Suisse. « Dans les années 80 et 90, la Suisse était véritablement admirée et très souvent associée à la qualité. Cette image a quelque peu souffert au cours de ces dernières années. Cela varie néanmoins de pays en pays. Dans des endroits comme la Chine, où la population n’est pas encore entièrement internationalisée, la Suisse a encore une très bonne réputation. Elle est toujours synonyme de beauté, de qualité, de bon chocolat et de montres Swatch. Mais lorsque vous vous trouvez dans des villes plus ouvertes aux marchés internationaux, comme Singapour ou Hong Kong, la Suisse n’a plus cette image unique », explique-t-il. Rolf Gerber pense que la réputation de la Suisse a souffert de la dernière crise financière. « Politiquement, elle semble être de plus en plus isolée. Elle a été critiquée par plusieurs pays comme les Etats-Unis pour ses lois et ses valeurs bancaires qu’elle a maintenues pendant des décennies mais qui ont été passées au crible lors de la dernière crise financière. Tout cela a terni la réputation de la Suisse ; son vernis en a pris un coup », racontet-il. Bien que la Suisse continue à promouvoir avec brio certaines industries, comme la fabrication des montres par exemple, il faudrait faire plus d’efforts pour promouvoir le pays lui-même, non seulement en tant que destination touristique, mais aussi en tant que destination pour les investissements, argumente Rolf Gerber. « La Suisse devrait faire plus et mieux. Si vous êtes un pays et que vous voulez vous présenter au public, vous devez utiliser des méthodes de marketing modernes.

Ne me jetez pas sur la voie publique !

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Singapour :

Elargir son champ de vision

Par Sonia Kolesnikov-Jessop Singapour

« La Suisse devrait faire plus et mieux. »

Rolf Gerber, banquier.

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dossier Regards croisés : les internationaux vivant en Suisse Singapour se vend mieux à l’étranger en tant que destination que la Suisse. La Suisse mise sur son image traditionnelle, sur la réputation qu’elle a mais qui est en train de se ternir. Les nouvelles générations perçoivent les choses différemment. Chaque pays se bat pour attirer l’attention des jeunes et se vendre comme destination de loisirs et comme lieu de travail. La Suisse devrait en faire autant », explique-t-il. Rolf Gerber pense que le Gouvernement suisse pourrait faire plus d’efforts pour attirer des entreprises internationales à venir s’y installer et y investir. « Contrairement à ce que la plupart des gens pensent, créer une entreprise en Suisse est en réalité moins onéreux et moins compliqué que dans nombre de pays asiatiques. Le coût de la vie y est également moindre et le régime fiscal y est toujours concurrentiel », estime-t-il en soulignant que le pays se trouve au centre de l’Europe et possède un accès au plus grand marché de consommateurs. « Les Suisses sont très doués dans certaines branches. Le secteur bancaire en fait partie et les Suisses sont toujours leaders en la matière sur le plan international même si le secteur des banques privées est actuellement en train de subir quelques changements. La Suisse a une grande capacité d’adaptation et je n’exclurais donc pas qu’elle conserve sa position de leader sur le marché des banques privées et de la gestion du patrimoine. C’est un des secteurs que la Suisse pourrait promouvoir », souligne-t-il. Rolf Gerber admet qu’il est devenu plus critique vis-à-vis de son pays natal au fil des ans : « Lorsque vous vivez à l’étranger depuis longtemps, vous devenez plus tolérant, plus flexible et plus susceptible de vous adapter. A chaque fois que je retourne en Suisse, je trouve qu’elle a une perception très étriquée du monde. » ■

Inde :

Originaire d’Aarau, Christoph Storz s’est installé à Bangalore depuis 1997, après avoir découvert le pays pour la première fois en 1987. Il est marié à l’artiste indienne Sheela Gowda, et gère avec d’autres artistes la résidence BAR1 (Bengaluru Artist Residency One).

Voir les choses d’un autre angle

1 En quoi l’expatriation a-t-elle changé votre image de la Suisse ?

Par Julien Bouissou Inde

Aujourd’hui, certains considèrent que l’identité suisse est menacée. Cette peur conduit sans doute le pays à être sur la défensive, et rigide. C’est en tout cas l’imChristoph Storz, pression que j’ai depuis Bangalore, où tout est en fondateur de la résidence mouvement, même si personne ne sait dans quelle d’artistes BAR1. direction vont les choses. Le manque d’infrastructures, y compris dans le domaine culturel, avec seulement quelques galeries pour une scène artistique en effervescence, incite aux initiatives et aux projets comme BAR1.

2

Comment la Suisse est-elle perçue en Inde et contribuez-vous à changer son image ?

Je ne connais aucun autre pays qui jouisse d’une aussi bonne image que la Suisse, particulièrement en Inde. Un passeport suisse passe, à tort, pour un certificat de noblesse. L’ambition d’une résidence d’artistes n’est pas de changer l’image de la Suisse mais de mettre en relation des gens venant de cultures différentes pour qu’ils échangent des idées et aillent au-delà de leurs différences. La résidence permet une familiarisation avec la culture, de l’intérieur, au-delà des clichés et des généralisations.

3

Que pensez-vous des efforts de coopération menés par la Suisse ?

La promotion des échanges culturels entre la Suisse et l’Inde est un objectif de Pro Helvetia et de Swissnex à Bangalore. Ça ne peut pas être l’objectif d’une petite initiative d’artistes comme BAR1, même si ce que nous faisons peut avoir des effets positifs. ■

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