Manuscrits liturgiques de la bibliothèque du Havre (Abbé Daverne, 1925)

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Extr ait du Recueil de scs Publi cation s (Anné es 1924-19 25)

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LE HAVRE IM P R IM E R IE M IC A U X F R È R E S 34 bis, rue Jules-Siegfried

1926


N ih il o bs ta t :

ioa die Augusti 1925. L. JOUEN. Can. t

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I m pr im a t u r .

Ro tom ag i. die 13° A ug us ti 1925. D ELESTRE. V. G.

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LES MANUSCRITS LITURGIQUES Dl! LA

BIBLIOTHÈQUE MUNICIPALE DU HAVRE

La Bibliothèque municipale de la ville du Havre, sans être aussi riche à ce point de vue que d’autres bibliothèqu es no r­ mandes, celle de Rouen, par exemple, n ’en possède pas moi ns quelques manus crits liturgiques de grande valeur. Le plus ancien ouvrage de celte classe est certaine ment le Chronicon mains Fontanellæ, catalogué sous le n° 332, ancien A 34. Ce splendide manuscrit, d’une belle calligraphie minuscu le, partie Caroline, partie anglo-normande, se com­ pose de feuillets de contenu disparate (1), réunis en 1639 par dom Augustin de Broise, bénédictin de la Congrégation de Saint-Maur. Bien qu’elle comprenne surtout l’histoire des abbés qui gouvernèrent Fontenelle et des saints originaires de cette abbaye, cette chronique peut cependant être rangée parm i les manusc rits liturgiques, puisqu’on y trouve les offi­ ces de saint Wandr ille, fondateur du monastère, de saint Ansbert, troisième abbé de Fontenelle et, plus ta rd, évêque de Rouen, et de sain t W ulfran, moine de Fontenelle, évêque de Sens et apôtre des Frisons , qui, finalement, revint mou rir simple religieux dans l’abbaye d ’où il était sorti. On a beaucoup discuté sur la date de cet ouvrage. Peut-être est-il possible d’arrive r à une approxim ation suffisante. La page 77 nous fournit, en effet, une liste des rois de Franc e, de Clodovée à Charles le Chauve, avec le nombre d’années de leur règne. Or, on y lit, pour Charles le Chauve : 28 ans, alors qu’il fut 37 ans sur le trône, de 840 à 877. C’est donc que cette (1) Ce livre renferme, outre la partie litur giqu e, les Gesta abba tum Fo nta nel ­ lensis coenobii, les Miracles de s aint Wulfran, et un certai n nombre de pièces dive r­ ses, dont plusieurs en gothique et en cursive du xv® siècle,


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par tie du ma nu scr it fut écrite la ving t-hu itièm e ann ée de Char les le C hauve , s oit en 868. D’aut re p art , on trou ve (pp. 118119), une liste des évêque s de Rouen , de sa int Mellon à Adé ­ lard . Or, le p réd éce sse ur de ce d ern ier, We nilo , viv ait enco re en 869. Adé lard lui-m ême ass ista en 871 au Concile de Douzy (1). Il sui t d e là q ue cette par tie du ma nu scr it a pu être écrite v ers 870-871, ce qui conc orde d ’au tan t plu s avec la date déd uite de la liste royal e, que l’on peu t faire com men cer le règne de C harle s le C hauve , soit en 840, à la mo rt de Lou is le Déb onn aire , soit en 843, a u tra ité de Ver dun , qui l’éta blit roi de Fra nce . Dans ce de rni er com put, la v ing t-hu itiè me ann ée de son règn e s era it 871. — Page 140, en fin, on tr ouv e la liste des évêqu es de Sens, ju sq u’au qua ran te-s ixiè me, Év rar d. Or, celui-ci g ouv erna s on diocèse de 883 à 887 (2), n ouve lle pre uve que le m an us cr it pri mi tif est de la fin d u ixe s iècle. L. Delisl e et l’Allem and Lœ wen feld , dan s son éditi on des Gesta abba tum Fonta nellen siiim (3), att rib ue nt le ma nus cri t du Hav re au Xe siècle. Fe rd ina nd Lot, qui, le d ern ier, a étudi é les diffé rent es ver sio ns des Gesta (4), pense que notr e ma nus cri t, du mo ins po ur les 218 p rem ière s pages, sera it une copie é crite ent re 944 et 966. Cette copie au rai t été exécutée à Gand, où les moi nes de Fon ten elle a vai ent suiv i les reliq ues de sai nt W an dr ill e et de sa int An sber t, peu ava nt que cert ains -d’entre e ux ret ourna sse nt rele ver de ses ruin es l’abbaye saccagée par les No r­ ma nd s en 885. Quoi qu ’il en soit de la ques tion de date s, nou s tro uvons dan s ce m an usc rit plu sieu rs hym nes inté res san tes aux sai nts Pa tro ns du mon astè re, à la Croix et à la Vierge, sur l esqu elles nou s au ron s l’occasion de reve nir. Notons seu lem ent que le lat in n’en es t pas t ouj our s d’une pure té parf aite , car, non se u­ lem ent o n y r enc ont re des mots inc onn us, même a u glos sair e de du Cange, mai s on a p arfo is la sur pri se d’y voi r un voc a­ ble grec affublé d ’une dési nenc e lati ne pou r les beso ins de la rim e et d e la m étri que , t el : « cælorum basileo, a u r oi du ciel ». Il ne fa ut pas non plus oub lier les deux belles mi nia tur es (1) Duchesne. — Fastes épiscopaux, II, p. 211. (2) Duchesne. — Fastes épiscopaux, II, p. 422. (3) Dans les Scriptores rerum Germanicarum, Hanovre, 1886, préface, p. 9. (4) Études critiques sur l'abbaye de S aint-W andril le, 1913, pp. cxxxm-exxxiv.


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—7qui représe ntent, l’une saint Ansbert, l’autre saint Wul fran. Tous deux sont représen tés en costume pontifical, avec la grande tonsure au sommet de la tète, la chasuble moyen âge de grande forme, les tunicelle s, l’élole droite, l’aube, les san­ dales de la couleu r de l’orneme nt, le palliu m reco uvran t le tout, et la crosse à la main. Les deux mini ature s para issen t être l’œuvre d’un même a uteu r, quoique les attitu des soient différentes : saint Ansbert bénit de la main droite, saint W ul­ fran porte un livre de la ma in gauche et sa crosse de la droite. Mais la fa cture du d essin à la plume, qui forme la tr ame de la mini ature , et où tous les plis des vêtements sont figurés par deux lignes parallè les, l’absence d’ombres, les encadr ement s formés d’architec tures romano-b yzantines à arcs en plein cintre o utrepass é, à tourelles et à chapit eaux de feuilles d’acan ­ the, tout dénote l’identité d’auteur. Notons encore que les deux saints sont représentés nimbés, sur fond violet, le prem ier en orne ments b lancs, le second en cha suble verte sur lunicelle rouge. Enfin, sous les pieds de saint Ansbert, un moine est représen té de biais (1), et aussi, dans une sorte d’arc-en-ciel, un scrinium ou coffret à manu scrits, dont le couvercle, soulevé pai' une crémaillère, laisse voir trois codices rel iés, avec des sins sur les plats et fermoir. Un second manu scrit, du plus grand intérêt tant sous le rap por t liturg ique que du point de vue mus ical, est le Missel de Winchester, du xn e siècle (n° 330 du catalogue). L. Delisle en fixe la date aux environs de l’an 1120 (2). Il a été exécuté dans l’abbaye de Winch ester, qui a produi t de si belles œu ­ vres, et no tamm ent, un siècle avant notre ouvrage, le fameux missel de Robert de Jumièges (3), ainsi que le bén édicti onnaire d’un préla t de même no m, conservés à la Bibliothèqu e (1) C’est la « sig na tur e » du dessin, comme on s’exprime en style de pein treverri er. De fait, cette figure de moine, vraisem blable ment por trai t de l’artiste , esttout à fait comparabl e à celle de Suger, dans un vitrail de l’abbaye de Saint-Denis, exécuté entre 1140 et 1144. Ce tragm ent ancien, heure useme nt conservé, repré sente l’abbé donat eur dans la même attitu de devant la Vierge, que notre moine de Fon te­ nelle aux pieds de saint Ansbert (voir figure dans Olivier Merson, Les Vi tr au x, p. “27). (2) Revue des Soc iété s Sa va nt es , 7e s érie, tome vi, p. 39. (3) Prie ur de Saint-Ouen à Rouen, abbé de Jumiè ges en 1037, évêque de Londres* en m 1044, et archevêq ue de Cantorb éry en 1031, il revi nt à Jumiège s en 1052 et y mouru t.


—8 — municipale de Rouen. Mais au xn e siècle, l’àge d’or de cette école, la prem ière de Grande-Bretagne, était passé, et si notre manu scrit est un remarq uable exemple de call igraphie anglosaxonne, l’on n’y trouve plus aucune de ces splendides miniat ures qui faisaient la gloire du moine Godemann, vers 970 (1). Par contre, ce manu scrit présente un grand intérêt au point de vue liturgique . Certes, il a énormém ent souffert, puisque tout le début a disparu, ainsi d’ailleurs que les dernières pages et quelq ues feuillets çà et là. Nous sommes a insi privés du c alendrie r, du canon de la messe, et de toutes les messes depuis 1’Avent jusq u’au samedi après Pâques, et c’est vra i­ ment dommage, puisqu ’il s’agit justem ent du cycle litur gique où l’on rencontr e le plus de cérémonies spéciales : cendres, carême, semaine sainte. En dépit de ces graves mutila tions, les 177 feuillets de vélin qui nous restent nous fourni ssent un des rar es exemplaires d ’un usage liturgique dispar u, celui de la préface propre à chaque office. On sait ce qu ’est la préface. Sous le nom d’illatio dans la liturgie mozarabe d’Espagne, sous celui de contestatio dans le rit gallican, et de præfatio dans le rit romain, on désigne le prologue du canon, ce q ui précède imm édiateme nt f actio n essentielle de la messe, d’où son nom de præfatio. Or, l’étude comparée des anci ens sacramenta ires nous montre que, dès les ivc et Ve siècles, les préfa­ ces variaie nt si fréquemment qu’on en renco ntrait parfois une pour chaque fête. C’est à peu près le cas de notr e missel, pui s­ que, dans la seule partie qui nous a été conservée, nous ne comptons pas moins de 190 préfaces, 50 pour le propre du temps, 121 pour les fêtes des saints et 19 pour les commun s, servan t aux fêtes (50 dans notre missel) qui n’en avaient pas de propre. Mais, dès le sixième siècle, Rome semble avoir jugé inutil e cette excessive multiplic ation des préfaces et, de fait, l’on peut constate r que le sacram entaire gélasien, par exemple (vie siècle), ne renferme guère que 52 préfaces, infi­ nimen t moins que le léonien, un siècle aupa rava nt (2). En (1) André Michel, His toir e de l'a rt, Ionie 1, 2e partie, pp. 741-742, et abbé Loisel, Un misse l et un Bén édi ctio nno ire ang lo- sax ons , de la bibliothè que de Rouen, 1912. (2) W ilson, The Gelasian Sa cr am en la ry , Oxford, 1894. Comparer avec Eeltoe, Sa cr am cn tar iam Leo nian um, Cambridge, 1896 (267 préfaces).


—9— Grande-Bretagne, la tolérance fut de plus longue durée, et ce sont seulement les Pères du Concile de We stmins ter, en 1175, qui appliq uèren t à l’Angleterre les prescr iptions du décret Invenimus, qui rédui sait à 10 le nombre des préfaces usitées dans l’Eglise lati ne (1). Bien qu’apocryphe (on en a main te­ nant la preuve), ce décret se renc ontre dans les collections canoniqu es dès la seconde moitié du xc siècle et fut même inséré dans le Corpus iuris, mais en divers endro its il d emeura lettre morte, parfois même jus qu’au pontificat de Pie V, au xvic siècle (2). Q uo iqu ’il en soit, notre m anus crit est ce rtaine­ ment anté rieu r à 1175, puisq u’il contient de nomb reuses pré ­ faces. Et s’il n ’a pas été publié en entier comme son aîné de la Bibliothèq ue de Rouen, qu’a édité la Société Henry Bradshaw , de L ondres (3), du moins toutes ses préfaces ont été trans crite s avec un soin pieux par un ancien membre de la Société Havraise d’Études Diverses, M. Fierville, et se trou ­ vent, avec u ne bonne photographie du folio 99, verso, d ans le Recueil des publica tions de la Société pour 1881 (pp. 401-456). Une a utre parti cular ité du Missel de Winchester, qui en fait un mon ume nt digne de figurer dans la Paléographie musicale des B énédictins , c’est la notation neumatiq Ö ue de tous les morceaux de plain- chant . On sait que l’invention de la portée musica le ne re monte pas plus haut que le xne siècle. Préc é­ demm ent, on indiq uait les notes par des lettres placées au dessus de ch aque syllabe : F pour le sol (4), A pour la, B pour si, etc. C’était la notation alphabétiq ue dont on trouve un exemple dans le Mains Chronicon de Fontenelle, p. 268. Plus fréque mmen t, on avait recours à des combinaison s diverses de l’accent aig u et de l’accent grave pour indiqu er que la voix mont ait ou descenda it. On créa de la sorte les neumes, et ce genre de notatio n en a reçu le nom de neumat ique. Mais, (1) Mansi. — Conciles , t. xxn, colonne lo i. (2) Cf. Reçue du Clergé fra nç ai s, 15 ao ût 1896. (3; The Mi ssa l of Robe rt o f Jum ièg es, W ilson, Londres 1896. On y renco ntre également un très grand nombre de préfaces, et de même dans un autre sacra menLaire anglais , en usage à la cathéd rale d’Exeler de 1050 à 1072, The Le ofr ic Mis sal, édité par Wahren en 1883 à Oxford, et qui en compte 262. Sur les 292 préfaces du missel de Rober t de Jumiège s, 93 diffèrent de celles du Leof ric Mis sal. (I) Gam ma, d’oû le nom de gamme.


— 10 — comme le remarque M. Combarieu (1), cette notation « n ’in­ diquai t pas la haut eur précise des sons; elle se born ait à dire au chante ur : montez! d esce nde z!... Elle ne dit pas sur quels degrés de l’échelle ces notes doivent être placées. Les chante urs du moyen âge n’étaient pas embarrassés par une notation aussi vague, car, au lieu de lire les neume s comme nous lisons aujo urd’hui la musique, en alla nt du signe gra ­ phique à la mélodie, ils avaient pour point de dép art la mélo­ die elle-même, d’abord sue par cœur, apprise par l’enseigne­ ment oral; ils la possédaient et ne considér aient les neumes que comme un moyen facile de la retrouver. » La grande invention consista à tracer à la pointe sèche, sur le parc he­ min, une ou plusieurs lignes, sur et entre lesquelles on répa r­ tit les neumes selon la ha uteur des notes qui les co nstitua ient. D’ailleurs , on eut tôt fait de tracer des lignes de couleurs déterminé es, rouge p our le fa, jaune ou vert pour Yut, aux ­ quelles s’ajoutai ent parfois une ligne noire et une blanche , et de con stituer de la sorte la portée à quatre lignes qui fut à peu près exclusivement usitée pour le plain-cha nt depuis le xm e siècle jusq u’à nos jours (2). Pour revenir à notre Missel de Winchester, nous devons reconn aître que nous avons en lui un témoin de l’antiq ue chan t grégorien tel qu’on l’exécutait en Grande-Bretagne au début du xn e siècle. Un examen approfondi serait d’ailleu rs nécessaire pour détermine r si des variantes peuvent y être relevées par rapport aux pures mélodies g régoriennes, et ce, en nom bre assez grand p our faire souhaiter la public ation, ou plutôt la re production photographi que in-extenso, de ce rem ar­ quable manusc rit. Un autre codex intéres sant de notre bibliothè que est le Missel de Fontenelle, du xivc siècle, catalogué sous le n° 327. Ecrit tout entier, semble-t-il, de même main, en beaux carac ­ tères gothiques de 7 m/ m de haut eur moyenne, ce manu scrit provient de l’abbaye de Saint- Wand rille, où il semble avoir servi spécialement aux offices solennels. Ce qui porte à (1) H is to ir e de la m us iq ue , tome i, p. 248. (2) Le Misse l de Win che ster donne la notation neumatiq ue sans lignes. Un antre

manu scrit du Havre nous montre l’exemple rare de portées à trois lignes rouges.


— 11 ce croire qu’il a été employé surtout à cet usage, c’est l’absen X des messes des fêtes secondaires (dimanches après l’Epipha­ nie, et après Pâques, Fériés de Carême, Semaine Sainte). Malheusement, ce manuscrit a beaucoup souffert. Nombre de feuillets manquent (1), d’autres sont déplacés (2). Surtout des vandales ont, à coups de ciseaux, découpé les lettrines et les dessins qui entouraient certains offices. Seize feuillets ont ainsi été irrémédiablement mutilés. De nos jours , heureuse­ ment, tous les manuscrits et autres précieux ouvrages sont renfermés avec soin dans le coffre-fort du distingué conservateur de la Bibliothèque municipale . Sans faire l’analyse complète de ce manuscrit, disons qu’à l’heure actuelle le Missel de Fontenelle nous offre d’abord un calendrier liturgique (à partir de mars), indiquant le nom ­ bre des leçons de Matines pour chaque fête, et les diverses particularités liturgiques : Credo à la messe, chant en aube ou en chape, etc. Viennent ensuite deux messes, en écri­ ture cursive du xve siècle, la première pour les nouveaux moines, la seconde de saint Lubin . Cette messe pour les n ou­ veaux moines se d isait, au témoignage de dom Martène, trois jours après la bénédiction du nouveau profès ; mais ici nous avons le texte complet de cette messe, dont l’ouvrage de dom Martène ne donnait que les seules oraisons (3). Quant à la messe de saint Lub in, saint toujours populaire dans le pays de Caux , elle présente cette particularité que les parties c han­ tées en sont constituées par des vers latins rimés, la plupart de huit syllabes. Enfin la longue prose qui fait partie de cette messe, non seulement est très difïicile à déchiffrer, mais le latin en est des plus bizarres et, bien souvent, ne nous fournit aucun sens acceptable (4). (1) Une lacune, dont on ne peut appréc ier l’importance, vu l’absence de foliation ancienne, comprend les dimanches après la Pentecôte (s’ils figuraient dans le manus­ crit) et le début du s anctoral . (2) Ainsi une partie de là messe de saint Pierre et saint Paul (fol. 141) s’intercale au milieu de celle de saint Jean-B aptiste ; la messe de sainte Marie-Madeleine et celle de l’invention des corps de saint Etienne , Nicomède el Gamaliel (fol. 95 et 96) se trouvent au milieu de l’office de l’Ascension. (3) De An tiq ui s Ecclesiui riti bu s, édition de Itouen, 1702, tome ni, p. 59. (4) Cependant quelques strophes s’éclairent par la légende de saint Lubin dans les .leZ« Sa nc tor um , iie tome, de mars, pp. 314-349. Cette prose est citée par M. Cheva­ lier, n° 11639, d’après un missel de Chartres, de 1482.


— 12 Viennent ensuite : le propre du temps, où nous re marquons surto ut l’absence de l’Évangile de la Passion au jou r des Rameaux (1), les préfaces, toutes notées en notation carrée sur portée rouge de trois lignes, le canon de la messe, le propre des Sa ints et diverses messes votives. Un détail nous permet­ tra de fixer a pproximati vement la date de ce manu scrit : la messe de saint Louis, roi de France, au lieu de se trou ver à sa place naturelle , c’est-à-dire à la date du 25 août, est rejetée tout à la lin du livre, comme ajoutée après coup, ce qui donne à pen ser que ce manu scrit fut terminé tout au d ébut du xiv e siècle, pui sque l’introdu ction de la messe de saint Louis en France suivit de près sa canon isation, en 1297. Notons également que nous ne trouvons dans ce missel aucune pros e (2), alors que celles de Pâques, de la Pentecôte et de la Fête-Dieu existaient déjà, et que le Dies iræ était en usage en certaines églises (3). Cette omission ne prouve d’ailleurs pas que les proses étaie nt inusitées à Fontenelle au xivc siècle, mais seulement, sans doute, qu’on ne les copiait que dans les livres de chant , non dans le missel de l’officiant. Enfin ce missel présente au canon de la messe une par ticu ­ larité que l’on rencontre assez rarement à cette date. Alors que, comme l’indique le mot « canon, règle », cette partie de la messe, fixée depuis le v ne siècle, n’admit plus guère de modifications à part ir du xne, notre missel a adjoint à la liste des saints qui précède le Pater, le nom Eufemia. Or, le martyrologe con naît trois martyres du nom d ’Euphem ia, l’une en Paphlag onie (fête le 20 mars), l’autre à Aquilée, sous Néron (3 septembre), la dernière en Cbalcédoine, sous Dioclétien (16 septembre). Laquelle des trois est ici men­ tionnée dans le canon ? Sans aucun doute la troisième, si l’on remar que qu’au calendri er du début du missel, nous rencon trons au 16 septembre la fête de sainte « Eufe mia », vierge et m artyre, trois leçons. — Pourquoi cette adjoncti on ? L’abbaye possédait-elle ses reliques ? C’est possible, mais il n’en existe pas de preuve, car dans les deux listes de reliques du Maius Chronicon (pp. 269 et 277), on n’en mentionne aucune (1) Remplacé par l’Evangile Cum appro pin qua ssel , de la bénédictio n des palmes. (2) La prose de saint Lubin, dont nous avons parlé, a été ajoutée bien post érieu ­ rement. (3) Cf. Fortescue. — La Messe (traductio n Boudinhon) pp. 360-309.


— 13 — de cette sainte. Du moins, nous savons que saint Victrice de Rouen possédait quelques restes de celte martyr e, cendres du tombeau ou linges teints de son sang, et cela peut-ê tre expli­ que la diffusion de son culte dans les régions anglo-nor­ mandes (1). Un autre manusc rit bien intéress ant de notre bibliothèque est celui qui porte le n° 325 (ancienn ement 28), du xv° siècle, et désigné soirs le titre un peu inexact d'Oflicium Ecclesiæ, provenan t de Fontenelle également. En réalité, c’est un missel plénier comme l’indique son titre : « Incipit liber missarum secundum usum Rothomagensem, studiose compo­ situs. Début du missel de rit rouennais , composé avec soin. » Et vraime nt l’épithète est bien à sa place ici. D’une belle calligraph ie, orné de le ttrines et de dessins marginau x à la plume, et pour les fêtes plus importantes de très jolie s enlu­ minure s peintes dans le goût du xve siècle, ce manu scrit n’a heureu semen t pas souffert, saut les derniers feuillets p erdus, et nous donne, de façon complète, le texte de la liturgie rouennai sed ela messe pour toute l’année. On y trouve, entre autres choses intéressa ntes, une série nombreuse de proses pour les différentes fêtes, dont un certain nombre n’ont encore été publiées que d’une façon peu accessible, dans la collection allema nde de Dreves, Analecta Hijmnica, bien qu’elles figu­ Chevalier (2) rent toutes au Répertoire hgmnologique d’Ulysse / De plus, les tenants du chant grégorien y rencon treron t une notatio n de la généalogie de Noël substantiel lement identique à celle que nous a récemment restituée M. l’abbé Derivière, de Rouen, d’après plusi eurs autr es manuscrits. Ils y trouv eront encore la n otation de la généalogie de l’Epiphan ie, VExultet et les prières de la bénédiction de l’eau au Samedi Saint, enfin les préfaces et le Pater, ce dernier, à l’inverse des préfaces, présen tant de notables différences mélodiques avec la version en usage actue llement dans l’Eglise (3). (1) S 1 Victrice, De La ud e Sa nc to ru m , chap. 6. Cf. V acandard, E tu de s de cr iti qu e et d'h ist oi re rel igi eu se, 3e séri e, p. 81. C’est le cas des proses de l'êtes spécif iquem ent rouen naise s. Les proses du propre du temps et du sanctoral romain ont été publié es par U. Chevalier dans son ouvrage : Po és ie lit ur gi qu e tr ad it io nn el le de VEg lise Ca tho liqu e en Oc cid ent . (3) Les préfaces ne diffèrent des actu elles que par l’emploi du groupe sol-la -do, au lieu de so l-l a- si . '(2 )

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14 — Pour ce qui est de la messe, n otons cette rubriqu e caracté­ ristique (si l’on peut parle r de rubriqu es à propos d'un livre où toutes les indicati ons cérémonielles sont écrites en noir, comme le texte lui-même), que le prêtre , d ’après n otre missel, prépare le calice et y verse le vin et l’eau dès l’arrivée à l’autel, avant de commencer la messe, avant même de revêtir les orneme nts, au lieu de le faire à l’offertoire comme le veut la liturgie romain e (1). Je n’en fini rais pas si je voulais relever toutes les différences entre le rit rouenn ais, tel que nous le montre notre missel, et le rit r omain (2). Je me conte nterai de signaler aux am ateurs d’histoire natu ­ relle, dans YEx ulte t, que chante le diacre au Samedi Saint pour la bénédic tion du cierge pascal, un curieux passage relat if à l’abeille : « 0 vere beata et mira bilis apis, cuius nec sexus masc uli violant , fetus non cassant, nec fi li i destr uunt casti tatem . Sed sicut sancta concepit virgo Maria, virgo peperit et virgo permans it. O vraime nt bienheur euse et

adm irabl e abeille ! Les mâles ne lui font pas violence, les enfantem ents ne la fatiguent pas, sa progéniture ne détru it pas sa vir ginité. Mais comme a conçu la Sainte Vierge Marie, vierge elle enfa nta et vierge elle demeura. » Cette idée de la partliénog énèse de l’abeille remonte au sacram entaire gélasien (vie siècle), et se retrouve dans les sacrame ntaires gallicans postérie urs (3). Je m’empresse d’ajouter que, suiva nt en cela le progrès des sciences, l’Eglise a supp rimé de sa liturgi e ce passage d’une physiologie pl utôt fantaisiste . Signalons enfin que notre missel renferme deux splendides mini ature s à pleine page. La première représente le Christ en (1) C’est l’ancien rit gallican (Cf. Duchesne, Origines du Culte chr étie n, p. 216). Les Dominicains prépar ent encore le calice en arriv ant à l’autel, mais ils se revê­ tent des ornements à la sacrist ie. (2) M. l’abbé Collette, dans son His toi re du Br évi air e de Rou en, a signalé les princip ales, d’après un manu scrit de la Biblioth èque de Rouen avec lequel notre missel présente d’assez fortes divergences. (3) Cf. Duchesne, Origines du culte chré tien, p. 266, note 4, pp. 269 el 558, et W ilson, The Gela sian Sa cr am en lar g, pp. 80-81; dom Cagin, Le Sa cra me nta ire gélas ien d’Ango ulêm e, fol. 52 verso et 54 recto (2 formules). La seconde de ces formules se trouve dans le missel de Robert de Jumieges.



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croix, avec, à ses pieds, les saintes femmes et les gardes. La seconde nous montre, dans un cadre en losange, le Christ, les mains étendues, couronné d’épines et les plaies sanglantes, couvert seulement d’un manteau bleu gris qui laisse voir le côté percé, assis sur un arc-en-ciel d’or, et s emblant présider la résurrecti on des morts. Sous ses pieds, en effet, dans un paysage vert semé de (leurs, des corps nus sortent des tombeaux. Alentour, les quatre symboles des évangélistes dans des médaillo ns, et, entre eux, des anges adorate urs ou portant les instr ume nt de la Passion. De très jolies enlu mi­ nures xvc siècle entoure nt chacune de ces délicieuses minia ­ tures, peintes avec un soin minutieux et un rare bonhe ur dans l’expression des physionomies. La Bibliothèque municipale du Havre ne possède pas, en fait de manus crits liturgiques proprement dits, que des missels. Voici main tenan t un charm ant bréviaire du début du xve siècle, catalogué sous le titre d’Oflicium Ecclesiæ. (n° 326, ancien A. 29). C’est un minuscule volume de 432 feuillets de parche min à deux colonnes, qui ne mesure que 120 sur 90 mil­ limètres. Inclus d ans une rel iure du x v ii i® siècle, avec fe rmoir en cuivre, il est beaucoup plus petit que la plupar t de nos bréviaire s modernes, et n’aurait jamais pu constitue r, aux mains des cha noines du « Lu trin », le « tome épouvantable » dont parle Boileau. Difficile à déchiffrer à cause de la petitesse extrême des le t­ tres gothiques, il l’est davantage encore par l’absence de tout titre sailla nt et par les nombreuses abréviations, caractères commun s à tous les manusc rits d’une époque où le parchemin coûtait cher, et où le copiste avait intérêt à abréger son tra vail en supp rima nt des lettres. Ajoutez à cela que les remarq ues liturgique s, les indica tions de renvois, ce que nous appelons aujo urd’hui rubriques, du fait qu’elles sont imprimées en rouge, sont, dans ce man uscrit comme dans bien d’autres de même époque, écrites en noir et en caractères à peine diffé­ rents du texte même des prières. Mais ce m anus crit est ren du précieux par les fines enlumin ures qui encadre nt certaines pages, et qui rappell ent tou t à fait, quoique en p lus petit, cel­ les dont est orné le missel 325 dont j ’ai parlé plus h aut. Le contenu de ce bréviaire nous offre d’abord un calendri er


Iß — litu rgiq ue, cara ctér isé pa r le peti t n om bre des fêtes qu i y sont ins cri tes . Pui s vie nt le psautie r, divisé de la façon suiv ante : ma tine s et l aud es pou r tous les jou rs de la sema ine, avec des hym nes sou ven t ide ntiq ues à celles encor e en usage dan s le bré via ire rom ain ; ens uite , vêpr es du dim anc he et du lun di, prim e, tierc e, sexte, none , v êpre s du ma rdi au sam edi inc lus ; l’hymn e Te Deum, les can tiqu es : Benedicite omni a opera Domi ni Domino et Benedictus Dominu s, enfin les Lita nies des Sain ts avec leur s orai sons . Cette disp osit ion des « h eur es », diffé rente à la fois de celle des br évi aire s rou enn ais u lté rie urs , et d e celle du rom ain , se r app roc he plu tôt de l’usage bén édi c­ tin . Noto ns aus si que dan s not re ma nu scr it ne f igur ent pas les complies, de rni ère des « he ures » qu i sert de priè re du soir au x relig ieux et précè de pou r eux le re pos de la nuit . Cette o mi s­ sion po ur ra it faire croir e à une origin e mo nas tiqu e de ce m an us cr it, du fait que comp lies se réc itai ent pa r cœ ur dan s l’église du « mo ust ier » à l’heur e du crép uscu le, et dev aie nt s’ach eve r just e à temp s pou r perm ettre aux moin es de se cou ch er san s lum ière artific ielle (1). Cepen dant, la prés ence des offices à ne uf leçon s no us mon tre qu ’il n ’en est ri en, l’office mo nac al ay an t le plus souv ent douze leçons. Aprè s le Psa uti er, notre ma nus cri t renfe rme le Propre du temps, qui com men ce aux prem ières Vêpres de la fête de la sa int e Tr ini té et s’étend j us qu ’à 1’Avent. Nous avon s donc là les pa rti es d’été et d’autom ne de nos brév iair es mod erne s, divi sés d’après les qua tre saison s. Il est bien regr etta ble que le tom e Ie r , co mp ren ant les offices depu is l’Avent ju sq u’à la Sai nte T rin ité , ne s oit pas en posse ssion de notr e B iblio thèq ue. Nous n’avon s ain si au Havre qu ’un exem plair e inco mpl et, quo iqu e fort bien co nserv é, d’un b rév iair e de stiné , semble -t-il, vu son form at exigu et l a finesse de ses cara ctère s, à la réc ita­ tion privé e, d’un « b rév iair e de cha mb re ou de voyage, came ­ raria, viatica », com me on dés igna it alor s ces abrég és du gra nd office de chœ ur, mis à la mode dep uis deux siècles par les Fr an cis ca ins (2). J ’ajo ute rai même que, sans dout e, ce (1) Voir Reg ula Sa nc ti Ben edic ti, chap. 41 et 42; el Dom Butler, Le Mon aehisme Bén édi ctin , chap. XVII. (2) Sur les circonst ances qui amenère nt, au xm e siècle, le passage de l’office public à la récita tion privée des «h eure s», on peut lire les historie ns du Bréviaire : dom Guéranger, dom Bâumer, Mgr Batiffol, dom Baudot.


— 47 — livre fui la propriété de que lque dignitai re ou chanoine, car les simples prêtres n’avaient probablem ent pas de si jolis exemplaires à leur dis position. Il m’est d’ailleurs possible de préc iser que cet ouvrage fut écrit p our u ne église de notre diocèse, car, dans le cal endrier et dans le sancloral, nous rencon trons toutes les fêtes émi­ nemment rouennais es : Saint Ouen, Saint Nicaise, Saint Mellon, S aint Romain, etc. De même aux litanies des Saints, dont la liste des vierges, en particu lier, est presque identique à celle du fameux Graduel 90k de la Bibliothèque Nationale (1). Enfin notre manu scrit s’achève p ar la série des Bénédictions de Matines, les offices des Communs et le Symbole de saint Atbanase « Quicumque ». Quelques offices ont été aj outés en écriture c ursive vers la fin du xve ou au début du xvi®siècle. Nous ne qu itterons pas cet ouvrage sans saluer la mémoire du scribe diligent qui peut-être se fatigua la vue à le copier : il av ait nom Pouvenan t, car, chose rare, il a signé et daté son travai l. On lit, en effet, à' la fin du Sanctoral (p. 383) cette note : « Expli cit iste liber. Qui scripsit sit crimine liber. Et fu it totus scriptus die Veneris quinta die mensis ma rdi anno Domini millesimo quadringentesimo sexto. Teste signo man uali scripto­ ris Pouvenant. — Fin de ce livre. Puisse le scribe être sans reproche. Achevé de copier le vendredi cinq du mois de Mars, l’an du Seigneur 1406. Témoin la signature autographe du scribe Pouvena nt. » Evidemme nt, on peut regretter qu’un copiste ait employé, pour dater son ouvrage, le terme profane « dies Veneris, jo ur de Vénus », au lieur du vocable religieux « feria sexta » qui seul a cours dans l’Eglise pour tradu ire vendredi. Mais il ne faut pas oubli er que déjà se font se ntir alors les approch es de la Re naissance, cette reprise du goût des choses antiques qui fera bientôt considére r comme barbares les product ions du moyen âge, qui amènera un cardin al Bembo à deman der au Pape dispense du bréviaire, dont il ne trouv ait pas le latin assez cicéronien (2), et qui, en 1576, condui ra l’impr imeu r du (1) Le Gradu el 904, du xui° siècle, provenant de la cathéd rale de Rouen, a été étudié et publié en entier en phototypie par H. Loriquet. (2) Certains autres le disaient en grec, ou les Psaumes en hébre u! Voir dans Pas­ tor, His toi re des Papes , V, pp. 139-142, des exemples curie ux de l’emploi, à cette époque, du vocabulaire païen dans la liturg ie et même la théologie.


— -18 — missel R. 26, conservé dans la Bibliothèque du Havre, à met­ tre au hau t des pages où est noté le chant de la Passion poul­ ie Vendredi Saint, ce litre du plus mauvais goût : « In die Veneris Sancia », qu’il faut bien tradu ire mot à mot : « Le jou r sai nt de V énus ! » (1). Ne chican ons pas davantage notre scribe. Comme il l’a demandé : « Qui scripsit sit crimine liber ». Pard onno ns-lu i une légère faute d égoû t, eu égard au l abeur considéra ble qu’il a fourni, et admiro ns plutôt qu’en pleine Guerre de Cent ans, alors que les compétitions des prince s, la folie de Charles VI et le Grand Schisme mettaie nt le trouble partou t, il ait con­ servé assez de li berté d’esprit pour calligrap hier et enlum iner ce joli bijou, l ’une des richesses de notre Bibliothèque mun i­ cipale. Voici main tena nt un rituel, le n° 328 (ancien A. 31), sans min iatu res ni enlumin ures, écrit en grande gothique sur trente feuillets de parche min, et qui rappelle tout à fait la facture du missel 327. 11 porte le titre : « Exorcismi et benedictio­ nes cum orationibus aquæ lustralis (sic !) et ordo ad monachum faciendum. Exorcismes et bénédictions. Prières de l’eau bé­ nite. Cérémonial de la profession d’un moine. » En réalité, cet ouvrage ne contient d’autres exorcismes que ceux du sel et de l’eau encore en usage pour la bénédiction de l’eau le dim an­ che, et qui sont en tête du volume. Puis viennen t une série d’oraisons et bénédictions qui se disent en divers endroits du monast ère : devant l’autel, au dortoir, au chapitre, au réfec­ toire, au cellier, à la porte de l’abbaye, dans la basilique ou église princip ale du couvent. Nous trouvons dans cette derniè re oraison la preuve que ce rituel fut composé pour l’usage de Fontenelle, puisq u’on y parle de « cette église consacrée en l’honn eur des bienheur eux apôtres Pierre et Paul et de saint Wandr ille. » Chose à noter, plusieu rs de ces oraiso ns se trouven t déjà dans le missel de Robert de Jumièges. (1) Au surplu s, le moyen âge était d’un goût moins exigeant que les modernes, et nous retrouvo ns cette môme expression par exemple sous la plume de saint Bonaventure (Li vre des Sen tenc es, Liv. 4, Distinction 12, cité par Andrieu, Revue des Scie nces relig ieuse s, Janvi er 1923, p. 55) ou dans un Lectio nnaire manusc rit de Schlett stadt, du ixô siècle (Dic tion nair e d'Ar chéo logi e chrét ienne , de dom Cabrol, article : « Liturg ie gallican e », colonne 515).


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La partie la plus intéress ante pour nous dans ce volume est certaine ment le cérémonial de la profession monacale. On sait que l’on ne parvien t à la plénitude de l’état religieux, comme d’ailleurs au sacerdoce, que par étapes, par degrés successifs, alt ernés avec des périodes d’épreuve et d’initiation, qui préparen t le séculier à la vêture, le postu lant au noviciat, le novice à l’émission des vœux simples, et le proi es à vœux simples à la profession solennelle et définitive. Chacune de ces étapes est marquée par une cérémonie appropriée, dont les plus intéress antes sont la vêture et la profession. Voici comment dom Besse, dans son excellent ouvrage « Le Moine Bénédictin », d écrit cette de rnière (1) : « L’abbé monte à l’autel et commence le saint sacrifice de la messe. Quand il a offert le pain et le vin, et que le chœ ur a fini de chant er l’antienne de l’offertoire, il se tourne vers les assistan ts, s’assied et reçoit la mitre. Le novice se tient debout au milieu du sanctua ire. Après lui avoir dit, en quelques mots, ce qu’est la vie reli ­ gieuse, le prélat lui demande s’il est prêt à en rempl ir les obigations . C’est par quatre « volo, je le veux », qu’il déclare sa volonté . » L’abbé appelle ensuite sur l’acte qui va s’accomplir les bénédic tions de Dieu, Père, Fils et Sain t-Es prit..... L’abbé et tout le couvent écoutent avec respect la lecture de l’acte auth entiq ue par lequel le frère promet à Dieu la conversion de ses mœurs, la stabilité et l’obéissance. Celui-ci monte à l’autel et signe, sur la pierre même du sacrifice, cette charte de ses engagements qu’il y dépose bientôt, après avoir fait vérifier sa signatur e par toutes les personnes présentes. Puis il revie nt au milieu du presbyter ium; et là, debout, les yeux et les mains levés au ciel, il co njure le Seigneur, son Maître, de le re cevoir à son service, en chanta nt ce verset du p saume 118 ; Suscipe me, Domine, secundum eloquium tuum, et vivam. Il s’arrête après ces premiers mots, et, parce qu’il se croit indigne d’une pareille faveur, il s’agenouille, s’incline pr ofon­ dément, croise ses mains sur la poitrine et continue d’un ton suppl iant : Et non confundas me ab exspectatione mea. Il reste silencieux dan s cette humbl e po sture, pendan t que les moines redisen t ce même verset. Ce chant et les rites qui l’accom(1) Le Moine Bénédictin, pp. I06 -I0 8.


— ÎO — pagnen t se reno uvellent trois fois en l’honn eur de l’adorable Trinité . » Dieu a agréé l’offrande de son serviteu r. Il ne reste plus qu’à lui donne r les vertus et la livrée de son nouvel état. L’abbé con jure le Seigneur, par une série d’invocations sol en­ nelles et pa r le chan t d’une préface, de lui infuser l’esprit qui fait le m oine sage, humble, obéissant, patient , pieux, pacifi­ que, charit able, fort contre les séductions du monde, les attra its de la concupiscence et les attaque s du démon. Puis il bénit la coule m onacale et le scapu laire, dont il le revêt, pen­ dan t que le chœu r invoque l’assistance du Saint-E sprit en cha nta nt le Veni Creator. » L’abbé et les moines ont main tenan t sous les yeux un nouvea u frère ; Dieu l’a ins crit sur la liste des serviteur s qu’il s’est choi sis; il en a les qualit és et il en porte le costume. Le mome nt est venu d’acquiescer au désir qu’il leur a manifesté par tro is fois et de l’admettre enfin dans leur société. Dans ce but, il monte au siège de l’abbé, s’agenouille devant lui et reçoit l’accolade fraternelle. Puis il va se mettre à genoux dans le chœur , où tous les religieux viennent l’un après l’autre l ’embra sser comme un frère, au chant du psaume 47 : Magnus Dominus et laudabilis nimis, et du psaume 132 : Ecce quam bonum et quam jucundum ! » Il n’y a plus qu’à consommer le sacrifice que le religieux fait de sa p ersonne et de ses biens au so uverain Seigneur. Il se rend u ne dernière fois au milieu du sanctuair e, où il s’étend, comme une victime, sous le drap mortuaire , image de sa mort à lui-même et au monde; les frères invoque nt pour lui les s aints du paradi s, et le prélat continue les cérémonies de la m esse..... » Quand l’abbé a communié au précieux sang, le diacre invite le nouve au profès à sor tir de son mystérieux sépulcre : Surge, qui dormis, et exsurge a mortuis, po ur v enir co mmun ier aux lum ières et aux forces divines du Christ J ésus : et illumi ­ nabit te Christus, et p arfaire ainsi son sacrifice en l’uniss ant à celui de son Maître. » Cette cérémonie se retrouve en abrégé dans notre man us­ crit. Nous y li sons tout d’abord la formule que le nouveau moine sig nait sur l’autel, ainsi conçue : « Ego frater N, promit-


— 21

to stabilitatem meam et conversionem morum meorum et obedienliam, secundum regulam sancti Benedicti, coram Deo et sanctis eius, in hoc monasterio quod est constructum in honore Sancti Petri et Sancti Wandregisili, et in presentia Domini N. abbatis. — Moi, frère N. je promets stabilité, conversion de mes mœurs et obéissance selon la règle de saint Benoit, devant Dien et ses sain ts, en ce monastère édifié en l’honne ur de saint Pierre et de saint Wandr ille, et en présence du Seigneur abbé N. » Le reste de la cérémonie, jusq u’à la remise du vêtement monastique , la « coule, cuculla », est conforme à la descrip tion de dom Besse (1). Dom Marlène, qui nous donne, dans le « De antiquis Ecclesiæ ritibus » (2), le cérémonial usité à Jumièges, à Saint-Ouen de Rouen et à Saint-Georges-deBoscherville, se contente souvent d’indiquer 1’ « incipit » des oraisons et de renvoyer, pour le texte complet, au rituel monastiq ue. Mais, fait digne de remar que, l’ouvrage de l’illus­ tre Bénédictin nous montre que les rites usités à Saint-W andrille pour la « profession » différaient un peu de ceux en usage dans les autres monastères du diocèse et avaient subi une influence anglaise. En effet, dan s les prières qui précède nt et acco mpagnent la bénédiction de la « coule », si nous t rou­ vons quatre oraisons qui concordent avec celles des divers « ordines » rouenn ais (3), nous en r encontrons deux autres (4) qui sont parti culières à un missel et un pontifical anglais très anciens , ce dernie r appar tenant « à l’insigne église de Rouen » (5). De même, après la formule de vêture commune à tous les monastères rouennais, notre manus crit en ajoute une autre, spéciale aux livres anglais indiqués plus haut. (l ï Sauf la Préface consécr atoire, qui ne figure pas dans, notre manuscr it. (2) Livre If, chapitre II. (3) Oraisons : Deus indu lgenti a*; Domin e Jesu Christe qui es vi a; Sp ir itu s; Domin e Jes u Christ e qui tegimen ,

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(4) Oraisons : Pre sta q uœsu mus Dom ine; Deus qui fam ulo s tuos. (5) Dom Marlene n’indique pas où se trouve le missel. Il donne au pontifical une antiqu ité de 900 ans, et au missel 700 seuleme nt, ce qui en placera it la rédaction respectivem ent vers les années 800 et 1000. En réalité , le missel n’est autre que celui de Robert de Jumiè ges; quant au prétendu pontifical, il s’identifie au Bénédictionnaire de l’Archevêque Robert, autrefois à la Bibliothèque du Chapitre, mainte­ nant à la Bibliothèque municipale de Rouen,


— 22 — Enfin, dans tous les « ordines » cités par dom Martène, la cérémonie s’achève avec le psaume « Lauda Jerusalem » et l’oraison « Deus misericors » suivie du baiser de paix, après quoi l'abbé revêt du capuchon de sa coule la tête du nou veau moine, qui restera ainsi, tête couverte et dans un silence rigoureux pen dant trois j our s.(1). Or, notre manusc rit, après l’oraison « Deus misericors », en ajoute deux aut res qui ne se renco ntren t que dans les ouvrages anglais déjà cités (2). F autil voir là une copie directe du missel de Robert de Jumiè ges? C’est peu probable , puisq u’à Jumièges même, où étai t con­ servé ce missel, le cérémonial de la profession monastiqu e, tel que nous le donne dom Martène, ne coïncide pas avec celui de l’ouvrage anglais. Pour notre part, nous serions plutôt porté à a dmett re l’influence de moines britan nique s, venus à Saint-Wa ndri lle à la faveur de la guerre de Cent Ans, influence qui aur ait amené la rédacti on d’un cérémonial d’allure com­ posite. Notons enfin que notre rituel de Font enelle pour rait bien avoir fourni le prototype du cérémonial actuel décrit par dom Besse : à l’encontre, en effet, de ses congénères cités p ar dom Martène, le manu scrit de Saint-Wan drille ignore l’im­ positio n du ca pucho n et le silence de trois jours , mais il pres­ crit la cérémonie symbolique encore en usage, la prostration, sans précise r d ’ailleurs si elle a lieu sous un drap mortua ire. Termi nons cette étude sur les manuscrit s liturgiques de la Biblioth èque municipa le du Havre, en disant quelques mots d’un dern ier volume qui porte au catalogue le n° 329 (an cien A. 74) et le titre : « Fragmenta libri de ritibus. Fragmen ts d’un ouvrage sur les rites ». Ecrit tout entier par le même scribe, sur 92 feuillets de par chemin, avec initiales rouges et bleues, parfois vertes, légèrement ornées de d essins à la plume, têtes de ch apitre s en rouge, mais sans miniat ures ni enlum inures , ce livre est inc omplet du début et de la fin. Son écriture , une minus cule Caroline déjà voisine de la gothique, dénote la fin du xn e ou les débuts du xm e siècle. Quant à son contenu, c’est un comme ntaire, surto ut mystique, sur les offices des

(t) C'est l ’abbé qui lui découvri ra la té lé, à l’Offertoire de la messe pour les nou­ veaux moines dont nous avons parlé à propos du missel 327. (2) Oraisons : Clem entiss ime do mi na tor ; Omni poten s et miser icors Deus


— 23 — différentes fêtes, qui, dans notre e xemplaire, s’étend du tro i­ sième dimanc he de Carême jusqu ’à la Pentecôte. Celte sorte d’ouvrages était assez en vogue au moyen âge, et le « Nationale divinorum officiorum » de Jean Beleih au xn° siè­ cle, ou le livre de même titre composé au xm e pa r Guillaume Durand, évêque de Mende, sont restés les plus célèbres repré­ sentants de ce genre de littératu re. De tous nos manuscr its havrai s, c’est certain ement celui qui présenté le moins d’in­ térêt pour le liturgisle, car, frag mentaire et dépourv u de titre et d’attribut ion, il n’a pas le mérite d’être un auto graphe. Ce n’est en réalité que la copie, d'u n siècle environ postérieure à l’original, d’un ouvrage écrit par un moine peu après 1111. Le feuillet 56 verso porte en effet ce ti tre de c hapitre : « De mir a­ culo cuidam fratri ostenso hoc anno ab incarnatione domini m° c° undecimo. — Miracle arrivé à un frère cette année de l’incar ­ natio n du Seigneur 1111. » Nous avons collationné ce manu s­ crit avec les différents ouvrages de ce genre publiés dans la Patrologie latine de Migne, et nous avons été assez heureux pour en dé couvrir ainsi l’auteur : il s’agit de Rupert, abbé de Sain t-Hé riber t de Tuy, près Cologne, et de son « De divinis officiis » en 12 livres, adressé à Cuno, évêque de R atisbonne, son protec teur (1). Nous possédons donc au Havre la partie qui va du livre IV, chap. 12, au livre X, chap. 19 (Migne, tome 170, colonnes 99 à 282), soit environ la moitié de l’ouvrage. ★ ★★ On nous perme ttra mainte nant de d onner ici le texte et la tradu ction de deux poèmes curieux empruntés au Chronicon maius Fontanellæ. Le premier est une prose à la Sainte Vierge (folio 266), que le « Repertorium hym no logicum » d’Ulysse Che­ valier cite sous le n° 21.763, et dont il ne connaît qu’une seule version, celle de notre manusc rit. Le second est une hymne à la croix (folio 268) qui porte le n° 18.416 dans l’ouvrage d’Ulysse Chevalier. Ces poèmes, qui remonte nt au ixe siècle, ( 1) Le miracle dont il est question se serai t passé dans l’àbbaye de Saint -Laur entde-Maëstricht, où Ruperi avait débuté dans la vie monacale bénédictine . Abbé en 1124, il mourut en 1135.


I

— 24 —

X

n’ont encore été publiés que dans les Analecta hymnica de Dreves. P ro s e à la S a in te V ie rg e (1) Virgo dei genitrix mundique potens reparatri x, Regula uirtu tis, diuini forma decoris, Tu primos lapides uario splendore micantes Excellis merito signasque decore uenuslo.

Vier ge, me re de Dieu , et pu iss an te re st au ra tr ic e de l’hum an ité , mod èle de ve rtu , exp ress ion de la be au té di­ vin e, tu dép asse s en va leu r les pi err es pré cie use s bri l­ lan t d’une sp len de ur va rié e, et tu les rap pe lle s pa r ta be aut é gr ac ieu se .

Ja sp idi s insignem fidei uirlu rle uirorem Exprimis in primis. Hinc prolis honore bearis Que vetus a populo soluit phantasma re­ dempto.

Tu ex pri me s d’abo rd par la force de ta foi la re m ar ­ qua ble co ul eu r v ert e du j a s ­ pe (2). De là pou r toi l’ho n­ ne ur bi en he ur eu x d’avo ir enfa nté cel ui qui dé liv ra du fantô me an tiq ue (3) le peu ­ ple rac het é.

Spes in ceruleo te uestit honore sap hyr o, Que regis m ater cum uirginitate refulges Digna dei solio celoque serenior ipso.

L’esp éra nce te r ev êt d’ho n­ ne ur dan s la co ul eu r azu rée du sa ph ir , toi qui unis le ray onn em ent de la vi rg in ité à la m ate rn ité roya le, dig ne du trô ne de Dieu et plus bell e que le ciel lui -m êm e.

Tanquam calced on celestis canduit ardor In te stella maris, diuini exemplar amoris, Quae pulchra ut luna es, ceu sol electa refulges.

En toi comm e une ca lcé ­ do ine br ill e l’ard eu r du cie l, étoi le de la me r, ima ge du divi n am ou r, qui es bel le comme la lun e, et res ple nd is exc elle mm ent comm e le so­ lei l.

Herbida uernan tis species et grata sm a­ ra gd i, Nec mediocris honos te prospicit inclita uirgo, Quae fons signatus uernas conclusus ut hortus.

Ag réab le est la bel le co u­ le ur ve rte de l’cw/eraw de, et gra nd l’ho nn eu r qui te me t au pin acl e, ill us tre vi er ­ ge, font ain e sce llé e, qui fleu ris comm e un ja rd in fer ­ mé (4).

(1) Nous rep ro du iso ns l’or th og ra ph e, par fois faut ive, du m an us cr it. Les ab ré vi a­ tio ns son t ra re s dan s cet te pièc e, onze seu lem en t, le plus sou ven t q \ po ur que. (2) Tou tes ces co mp ara iso ns de la Vi erg e avec div ers es pi er re s pré cie us es, so nt in sp iré es du liv re de l’Apoca lyps e (cha p. 21, ve rse ts 19-20), qui at tri bu e à la Jé ru sa ­ lem cél est e des fon dem ent s de pi er re s pré cie use s, les mêm es et dan s le mêm e or dr e qu ’ici. (Cf. les Co mm ent ate urs , pr in cip ale m en t le R. P. Allo. L ’A po ca ly ps e, p. 320). (3) La tac he or ig in ell e. (4) Ces exp res sio ns et cell es de la str op he pré cé de nte son t em pr un tée s au C anti ­ que des Ca nt iq ue s, cha p. G, ver set 9, et cha p. 4, ver s. 12. /


— 25 — Gratia sa rdo nii te signat honore triformi Cuius mens humilis candentia lilia uincit, Pulchrior ipsa rosis niueo splendore pudoris. Sa rd ius ex toto rubet ut eruor ordine sexto, Quo rubuit Xristus (I) hora sexta crucifixus In quo purpuream meruisti passa coronam. Aurea cri sol iti te forma notat speciosi, Que Xristi genitrix regum regina probaris Cuius es a dextris induta cicladibus aureis. Limpidus et purus ceu sol in aqua radiatus Digne confertur tibi uirgo maria berillu s Cuius ab intacta sol iuslicie micat aula. Maximus in precio primusque decore topazon, Aetheris ac fului speciem simul exibet auri, In quibus aridet tua uirtus et meritum ingens Quo superos superas melior mortalibus extas. Lumine purpu reus, facie uiridis crysop r assus (2), Dislinctusque auro, tua refer! insignia, virgo, Que solido fidei pr udens paciensque fuisti, Prasso guttatus uiret ut maris uncla iacy ntus. Et lu nostra salus ac mundi preclue sidus Virtutum titulis in nostra carne notaris. Optime purpu reus ac suave rubens ameUs­ tus In te ui rtutis specimen speciale refundit, Regia progenies Xristorumque inclita proles Qua fulsit mundo uerus rex atque sacerdos.

La grâce de la sardoin c te marque d’un triple honneur, loi dont Pâme humble dépas­ se en beauté l’éclat des lis, et dont la pureté brilla nte comme la neige est plus belle que les roses. En sixième lieu la corn a­ line est tout à fait rouge, telle le sang dont fut rougi le Christ en croix à la sixiè ­ me heure, et qui t’a mérité la couronne de p ourpre pour tes souffrances. La splendeu r dorée du chry soli the te décore, toi qui es reconnue comme rei­ ne des rois, mère du Christ, à la droite duquel tu es, ornée d’anneaux d’or. Limpide et pur comme le rayon de soleil dans Peau, le béryl t’est comparé à ju s­ te litre, Vierge Marie, toi dont le sein virginal a servi de de meure au b rilla nt soleil de ju stice. La pierre la plus chère et la plus belle, la top aze , of­ fre à la fois la couleur du ciel et celle de l’or fauve, dans lesquelles sourie nt ta vertu et ton grand mérite , par quoi tu dépasses les êtres célestes et te montres supé­ rieure aux mortels. Pourpre par transpar ence, verte vue de face, et distin c­ te de Vor, la Chrysoprase porte ta marque, ô Vierge, qui fus pruden te et patiente, fondée sur le roc de la foi. L’hya cinth e tachetée de vert a la couleur de l’onde marine / et toi, notre salut, astre glorieux de l’humani té, tu es remarquab le par tes titres de vertu en notre nature charnell e. L’amé thy ste à la pourpre magnifique et au rouge sua ­ ve répand en toi un éclat particu lier, race royale, illus­ tre rejeton d’hommes oints, qui permit au vrai roi et vrai prêtre de rayonner sur le monde (3).

(1) Ar n/w s, pour Christus, par l’emploi du chi grec majuscule (X) au lieu du Ch latin. (2) La Chrysoprase ou or vert, de ypuc-oç et Kp ia tov . (3) On remarq uera peut -être que les couleurs de ces diverses pierres correspo n-


26

Nous n’oserions préten dre que cette prose fût d’une bien haute inspir ation poétique, mais écrite en hexamètres classi ­ ques, elle est accompagnée de sa n otation n eumatique. Il nous a s urto ut paru intére ssant de faire co nnaître ce curieux mo r­ ceau de v ersification, à cause du symb olisme qu’on y rencon ­ tre, symbolisme qui inspir era tout le moyen âge, et dont une des plus étranges product ions (pour s’en tenir au cha pi­ tre des pierres précieuses) sera, vers 1120, le « Lapidaire » de Philipp e de T haon, où le poète traite des pierres, de leur ori­ gine, de leur signification et de leurs vertus, en s’insp iran t à la fois de Pline (1) et des plus enfantines légendes,

Hy mn e à la Cr oix (2) Sancte crucis mysterium a seculis absconditum in XP i (3) morte micuit uilam ministrans mortuis.

Le mystère de la sainte croix caché depuis des siècles a brillé pa rla mort du Christ appo rtant ia vie aux morts.

Per ligni gustum ueliti mors mundum leua subruit, per ligni penam patuli mundi salus refloruit.

Par la manducation du fruit de l’arbre défendu la mort funeste ruina le monde, par le supplice de l’arbre, aux bras étendùs le salut du monde refleurit.

Ligno ligni dispendium, morte mortis supplicium in fine secli so luitur, dum cruci XPG figitur.

Le dommage causé par le bois est effacé par le bois, la peine de mort est abolie par la mort, à la fin du siècle quand le Christ est attaché à la croix.

0 crux sole micantior, topazo preciosior, orbem s erenans hodie, te adoramus sedule.

O croix plus brillan te que le soleil, plus précieuse que la topaze, qui réjouit aujou rd’hui l’human ité, nous t’adorons avec empresse ment.

dent à celles de l’arc-en-ciel et reprodu isent donc les teintes constitu tives du blanc, symbole lui-même de virgini té. (1) Surto ut Hi sto ire Na tur ell e, livre 37. (2) Le texte de cette hymne est criblé d’abréviations . Nous en ferons grâce au

lecte ur. (3) XP i, comme à la 3 e stroph e XPC , graphie s très répandues au moyen âge, qui exprim ent en abrégé et en caract ères grecs, les mots Ch ris ti, Chri stus.


— 27

Salue, lignum saluificum, salua choros spallenlium (1), a filiis aeclesie repelle uirus satané.

Salut, bois salvifique, sauve ceux qui te chantent chœ ur; des enfants de l’Eglise ëcarle le venin de Satan.

Crux pcccali naufragium crux uenie suffragium sis redemptis presidio in hoc lui sollempnio.

Croix qui détrui s le péché, croix qui es un gage de pardon, sers de sauvegarde aux hommes rachetés en cette solennité qui est tienne.

Auge fidem fidelium, omne pelle periculum, ad anime remedium para potens antidotum.

Augmente la foi des fidèles, écarte tout péril; pour se rvir de remède à fame prépare un puissant antidote.

Ad te leti suspicimus, sana languentes quesumus, ef a se rpentum morsibus salu etno s serpens eneus.

Joyeux nous regardon s vers loi. Guéris, nous t’en prions, nos mala­ dies, et que des morsures des se rpents nous sauve le serpent d’airain (2).

Tuis appensa brachiis uita perhennis obiit, solutis leti nexibus per te redempti uiuimus.

Pendue à tes bras la vie éternelle est mor te; les liens de la mort dénoués^ nous vivons rachetés par toi.

Salutis signum credimus quod nostre fronti figimus, retunde diri spicula percussori s letalia.

Nous te croyons signe de salut que nous marq uons su r notre fron t; émousse les traits mortels de notre cruel ennemi.

In te sanguis effusus est qui uera mundi salus est, tali pie mur flumine, multo fedali crimine.

Sur toi fut répandu le sang qui est le vrai salut du monde, purifions-nous dans un tel fleuve nous qui sommes souillés de nom­ breux crimes.

Fons uiuus in te sitiit, aceti potum respuit, hinc unda nobis influat omni redundans gratia.

Sur toi la source vive a eu soif (3), elle a rejeté le breuvage de vinaigre, puisse en découler pour nous une onde débordant e de toute grâce.

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(1) Erre ur pour psall entiu m,. (2) Jésus-Chris t sauvant les hommes est comparé au serpent d’airain qui guér is­ sait les Israél ites des morsures des serpents dans le désert. [Nombre s, chap. 21, versets 4 à 9.) (3) Antithèse hardie pour exprimer la soif du Christ en croix.


28

Per le manna celeslium nobis r orauit ciuium, quod nos susl enlel in uia el faciei in patria .

Par toi la manne des citoyens du ciel esllo mbé esu r nous comme une rosée, elle nous soutiendra pendant le voyage et nous conduira dans la patrie.

0 crux, XPi supplicium, XP istianis reme dium, le liber a supplicio mundus adorat mer ito.

O croix, instrum ent du supplice du Christ, remède pour les chrétie ns, délivrée du supplice l'huma nité t’adore à juste titre.

Salua,/ defende,7 libera, corda X Pm credent ia; tantorum plena munerum sis nobis salus, brauium.

Sauve, défends, délivre lés cœurs qui croient au Christ ; pleine de si grands bienfaits, sois notre salut, notre récompense.

Sanctitatis signaculum, crux, obtentus charismatum, tuo freti charactere uite donemur munere.

Sceau de sainteté, ô croix, source de grâces, tiers de ton signe puissions-nous recevoir la vie.

Huic abel misterio seruiui t ligni Iropheo et arche noe fabrica strueque ligni isaac.

A ce mystère se rapporte et le meurtre d’Abel par le bois, et la constru ction de l’arche de Noé, et le b ûche r d’Isaac.

Huius ligni quadrifido regnat deuc (1) a solio orbem saluans quadrimodum a ti rannide demon um.

Du haut du trône à quatre bras de ce bois règne Dieu, sauvant les quatre parties du mon­ de de la tyrannie des démons.

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Cum hoc iudex cum uenerit solumque flamma soluerit, hoc redempti in dextera seques tremur ad gloriam.

Lorsque le Juge viendra avec la croix et détru ira la terre par le feu, rachetés par elle, à sa droite puissions-nous être placés en vue de la gloire.

Patri perhenni gratia, par proli piae gloria, sil sancio laus spiritui in secula a seculis.

Grâce au Père éterne l, gloire égale à son pieux Fils, louange soit au Sain t Esprit dans les siècles des siècles.

Cette hymne , composée de strophes régulières de quatre (1) Deuc pour Deus. Le c est la forme « lun air e» du sigm a grec qui correspond à l’$ latin.

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— 29 —

vers oclosyllabiques, avec rimes plates ou assonances bien marquées (1) offre tous les caractères d’une prière destinée à être chantée, en pa rticuli er la doxologie finale. M alheureuse­ ment, le man uscrit ne nous en a pas conservé la notat ion, et c’est dommage, car nous aurion s pu faire revivre un des plus anciens chants rythmés de nos aïeux, une de ces hymnes do nt retentis saient jadis les vieux cloîtres de nos monastères nor­ mands, ceux de Sain l-Wandri lle, et sans doute aussi de l’ab ­ baye sœu r, Jumièges, introd uctrice du chan t des proses dans la liturgie. ★

★★ Note. — Cette notice était déjà complètement rédigée lors­ que j’ai eu connaissan ce de l’ouvrage magistral de M. l’abbé V. Leroquais sur Les Sacramentaires et les Missels manuscrits des bibliothèques publiques de France. J ’ai été heureux de consta ter que les conclusions de ses études sur les trois missels du Havre (Missel de Winchester, Leroquais, I, p. 190; Missel de Fontenelle n° 327, op. cit., II, p. 212; Missel de Rouen n° 325, op. cit., III, p. 124), sont en accord parfait avec les miennes. Cet ouvrage, f ruit de longues années de tra vail pas(1) On peut observer ici la différence entre la versification latine classique et celle du moyen âge. Alors que la première se base sur la prosodie, c’est-à-dire sur la quan tité des syllabes, longues ou brèves, la métrique médiévale repose sur le nom­ bre des syllabes de chaque vers, et généraleme nt sur la rime ou tout au moins Pas sonance. Léon Gautier, dans son étude su r les OEuvres poéti ques d'A da m de Sa in tVic tor (p. 309, note 2), émet les propositions suivantes qui résume nt bien le pas­ sage de l’une à Pautre conception : « 11 existe un c ertain nombre de vers métriqu es qui ont été adoptés par PÉglise, et qui sont, petit à petit, devenus des vers rythmi­ ques. .. On a commencé par réduir e chacun de ces vers au môme nombre de sylla­ bes, afin de pouvoir, couplet par couplet, les chanter exactement sur la môme mélo­ die. En second lieu, on n ’a plus observé l'antiq ue loi des élisions. En troisième lieu, on a donné aux voyelles accentuée s la valeur des longues. L’assonance, enfin, s’est peu à peu imposée à tous les vers de cette versification nouvelle. Si donc, au bout de quelques siècles, nous considérons les anciens vers métr iques, nous nous c onvain­ crons qu’un grand changeme nt s’est opéré en chacun d’eux. Ils sont devenus ry thmi ­ ques. .. L’iambique dimètre est devenu un vers rythmique de huit syllabes à pénul­ tième brève, etc. » Or, il se trouve que si la prose à la Vierge du Ma ius C hronico n est de pure facture classique (hexamètres), l’hymne à la croix est du type décrit par L. Gauthier : vers rythmique de huit syllabes à pénultième brève, dérivé de l’iambique dimètre . Rien n’y manque, pas môme les hiatus résult ant de la non-observation de l’élision : te adora mus, redempZZ Za, secula a seculis.


— 30 — sées à parco urir deux fois toutes les bibliothèques de France où se trouvent des missels ou sacrame ntaires manusc rits, porte su r 914 ouvrages, tous classés par ordre chronologique, minutieu sement examinés du point de vue liturgique, et décrits sous le rapport iconographiqu e, avec un luxe de détails qui en fait l’ouvrage désormais indispens able sur la matière, et qui laisse bien derrière lui le fameux Mémoire sur d’anciens Sacramentaires, de Léopold Deli sle(l ). Les tables dressées par M. Leroquais sont en p articulie r de vraies mines de rensei­ gnements où j’ai trouvé quelques détails nouveaux qui com­ plètent mes affirmatio ns. C’est ainsi que M. Leroquais a re n­ contré, dans vingt missels ou sacramen taires, la mention de sainte Euphémie dans la liste des saints qui précède le Pater. Or ce fait est un record, car les autres noms de s aints ajoutés dans ces conditions ne se rencont rent chacun au plus que dans quatr e ou cinq manuscrit s. De plus, ces m anuscr its so nt de proven ance très diverse, ce qui montre la grande étendue de l’aire de dispersion du culte rendu à cette sainte (2) et corrobor e les affirmations de Tillemont sur sa célébrité au moyen âge, tant en Occident qu’en Orient (3). J’ajouterai qu’aucune des miniat ures des manus crits havrais reprodui tes plus hau t ne se rencontre dans le splendide album de cent vingt-cinq planches qui complète si heureus ement le bel ouvrage de M, l’abbé Leroquais. (1) Ce dern ier ouvrage n’étudie que 127 m anuscrits, mais pris dans les princi pa­ les bibliot hèques d’Europe. (2; Voir plus haut la fin de l’étude sur le missel 327. Non seulement on retrou ve le nom de sainte Euphémie dans des litanies d’origine diverse : à Rouen (Loriquet, Le Gra due l de l'Ég lise cathé drale de Iiou en au X I I I e siècle. I, p. 83), en Angl eterre (Mabillon, dans Migne, Patr olog ie latin e, LXXII, col. 627; Warren, The Leo fri c mis sal, p. 210), mais aussi dans les calendr iers du Missel de R ober t de Jum ièges , du Sa cr am en t aire d’Ami en s (Delisle, Mém oire ..., p. 339), du Sa cr am en tai re de S a in t Va st (Delisle , op. cit., p. 336), du Sa cra me nta ire Grégorie n, et qui plus est, il est ajouté avant le Pa ter dans le manus crit 270 de Corpus College, Cam­ bridg e, xi® siècle, provena nt de Cantorbéry, et, d’après Ménard, dans un Sacramen­ taire du xi e siècle, de Séez (Préface au Sa cra me nta ire G régorien, et note 78, dans Migne, Pat rol ogi e latin e, LXXVIII, col. 19 et 281). Ce derni er manus crit, sans doute perdu, est inconnu à M. l’abbé Leroquais. (3) Mém oires po ur ser vir à l'Hi stoi re ecclé siastiq ue, V, p. 407.

Le Havre — Im prim erie Micaux frè res , 34 b is, rue J ule s-S ieg frie d — 93380


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