Swenson Mag Vol.01 - Français

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Team

Directeur de création Kevin Le Goff Rédactrice en chef Elisa Routa Directeur de publication Charles Fourault

Conception graphique

Jérémie Barlog - BureauW / Maison 172

Contact

Contact principal / contact@swenson-mag.com Propositions / content@swenson-mag.com Publicité / advertising@swenson-mag.com Presse & Partenariats / partners@swenson-mag.com

Sites Web

Swenson Global / www.swenson.global Swenson Magazine / www.swenson-mag.com

Distribution

Vous souhaiteriez distribuer Swenson ? stockist@swenson-mag.com

Rédacteurs

Olivier Hamelin, Matthieu Tordeur, Jon Westenberg, Fabrice Le Mao, Elisa Routa

Photographes

Chloe Aftel, Gunung Bromo, Tom Hawkins, Jeff Johnson, Patagonia Archives, Roger Cotton, Gordon Wiltsie, Tom Frost, Vincent Colliard, Michael Berger, Ming Nomchong, Thomas Walk, Nevin Pontious, Max Buchanan, Krystle Wright, Daniel Torres, Evan Andrews, Richie Hopson, Jorge Leal, Hugo Silva, Brian Bielmann, Matthieu Tordeur, Nicolas Auber, Julien Roubinet, Matt Georges, Larry Niehues

Invités

Leila Janah, Dare Jennings, Jason Fried, Rick Ridgeway, Léa Brassy, Mihela Hladin, Patrick Long, Howie Idelson, Lauren L. Hill, Ryan Kingman, Heather Larsen, Maya Gabeira, Andrew Cotton, Matthieu Tordeur, Nicolas Auber, Jay Nelson, Matt Georges, Julien Roubinet, Edward Thompson, Larry Niehues, Charlotte Hand

Traduction et Relecture Emma Price (Lost in Translation) Florian Cochard

Merci à

Jérémie Barlog, Vassili Verrecchia, Johanne Corre, Florence Lesouef, Anna Chan, Gordon Wiltsie et toutes les personnes qui soutiennent et croient en Swenson depuis le début

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About Swenson

Swenson is an outdoor entrepreneurial community for innovators, creators, and thought leaders who believe that business and passion are tools that should be used to have a positive impact on the world. Founded in 2015 by a group of friends, Swenson swiftly evolved into a company with its very own global community Swenson Magazine est conçu et designé en France. Le magazine est imprimé à Brest par Cloître imprimeur Photo de couverture par Matt Georges Thomas Delfino en Italie Citation de couverture par Heather Larsen Photo p 3: Courtesy of Deus Ex Machina Photo p 8: Matt Georges Photo p 32:Vincent Colliard

Clause de non-responsabilité

Toute reproduction, même partielle (textes, photos, logos, éléments graphiques), est strictement interdite sans autorisation. Les opinions exprimées ici n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue du magazine Swenson et de son équipe. Swenson Magazine a pris soin de contacter chacun des auteurs des photos utilisées dans ce magazine. Si vous revendiquez la propriété d’une photo et n’avez pas été identifié, veuillez contacter Swenson. Nous serons heureux de mentionner formellement votre nom dans une édition prochaine.

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Vol. 01 Edito.

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10 Décembre 2016. Avec une deadline finale fixée à hier, est-ce qu’on peut prétendre être encore dans les temps ? Etre en retard sur un premier numéro, ça craint. Il y a 10 ans, je faisais mes premières piges. A l’époque, j’avais décidé de plaquer mon avenir prometteur à la radio pour devenir journaliste indépendante spécialisée dans la presse surf. La raison à tout ça était coincée entre un désir de liberté, une histoire de passion débordante, et soyons honnêtes, une incapacité évidente à faire autre chose. J’ai passé les 10 dernières années de ma vie à poser des questions à une poignée de longboardeurs puristes résistants et à tenter de décrypter le cerveau d’artistes torturés et insolents. J’ai, sans chronologie aucune, tiré le portrait de surfeurs performants, habité sur un voilier de 9 mètres de long, harcelé les rédactions des quatre coins du monde pour un bout de page, décrit avec minutie et poésie le travail des shapeurs et artisans, eu une relation sérieuse avec Skype, noirci des dizaines de fibres cellulosiques végétales à grands coups d’encrier, eu des discussions à sens unique avec des photographes, passé d’innombrables soirées à regarder mon document word dans le blanc des yeux, vécu des centaines de voyages en Australie, de roadtrips au Costa Rica ou autres surf trips au Sri Lanka, le tout par procuration, via des fichiers photos plus lourds que l’oncle gênant le soir de Noël. J’ai eu des tête-à-têtes romantiques mémorables avec mon dictaphone, j’ai connu la salle d’attente bondée de l’email sans réponse, eu un aperçu des plus belles vagues au monde, retracé le combat et le courage des associations fauchées mais solidaires, j’ai écouté des milliers de récits, de témoignages, de sentiments et souvenirs, en tentant de mettre tout ça sur papier. J’ai, à force de ténacité insupportable et de monomanie qui paralyse, réussi à réaliser mon rêve ; celui d’écrire. Voilà pour les présentations. Des millions de mots plus tard, nous voilà.

J’étais donc loin des levées de fonds, valorisations, Series A, chiffres d’affaires, investissements, bootstrapping, lean startup, ou autres acronymes barbares. Mais nous avions, sans le savoir, vous et moi, ce virus en commun, cette idée fixe un brin maniaque pour l’entrepreneuriat. Swenson s’adresse aux passionnés, à cette communauté de créateurs inventifs tournée vers l’extérieur, qui n’a qu’une seule psychose, celle de réaliser ses rêves. Swenson donne la parole à ceux qu’on prend tantôt pour des fous tantôt pour des héros, pour des imposteurs ou des idoles. Swenson évoque tous ceux animés par l’instinct, guidés par la passion, la créativité et le désir d’entreprendre. En s’inspirant de la conviction de Lauren L. Hill, la communauté réunie autour de Patrick Long, la transparence conseillée par Rick Ridgeway, la détermination de Maya Gabeira, l’authenticité de Charlotte Hand, l’inventivité de Jay Nelson, et la perception révolutionnaire de Jason Fried, Swenson propose une vision moderne de l’entrepreneuriat. Avec un peu de chance, quand on aura noirci plus de pages encore, écouté des milliers de rêves de créateurs, et de projets concrétisés d’entrepreneurs, de surfeurs, d’artisans, de photographes, de designers, illustrateurs, skateboardeurs, voyageurs, aventuriers, explorateurs, environnementalistes, alpinistes, activistes, athlètes, et passionnés en tous genres, Swenson sera devenu, presque accidentellement, à l’image d’un Deus Ex Machina de Dare Jennings, un projet transversal audacieux dont on parlera encore dans 10 ans. Avant ça, on va se contenter d’être tout simplement un peu moins en retard en bouclant ce premier numéro. Puisqu’on est capables de laisser une trace, faisons en sorte qu’elle soit belle.

Elisa Routa Rédactrice en chef

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Volume 01

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36

Samasource avec Leila Janah

No Dickheads Policy de Dare Jennings

Patagonia avec Rick Ridgeway

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Patagonia avec Léa Brassy

Basecamp avec Jason Fried

Surf et Ecoféminisme avec The Sea Kin

74

84

90

Luftgekühlt avec Patrick Long

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A self-made man avec Ryan Kingman

Pourquoi créer Un Petit Business- Pas Une Start-up

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Sommaire

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108

Fear, Failures and Fall avec Heather Larsen

Fear, Failures and Fall avec Maya Gabeira et Andrew Cotton

La Microfinance avec Matthieu Tordeur

118

128

134

Ice-Cream Headaches par Julien Roubinet et Ed Thompson

144

Les Cocons de Bois de Jay Nelson

Make America America again par Larry Niehues

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Le Snowboard comme prĂŠtexte avec Matt Georges

152

Wolf Pack Leather x Swenson

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Passionate people

« Il suffit d’un voyage » avec Leila Janah « No Dickheads Policy » par Dare Jennings

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Il suffit d’un voyage avec Leila Janah

Je suppose que le combat, pour chaque entrepreneur, est de réaliser que l’important ne réside pas dans les succès quotidiens, mais dans l’arc global du travail accompli. Il suffit parfois de peu. Un geste, quelques mots, un voyage, une rencontre. Et puis l’on prend conscience, et l’on sent tout à coup son corps qui vibre sous le dictat de cette superbe lucidité qui vous saisit la gorge. Mais la lucidité fait bien souvent place à la frustration. Voilà ce que j’avais ressenti au terme de ce voyage : un cinglant mélange de honte, d’impuissance et de gâchis, le tout mêlé à un émerveillement et un respect total ; on ne sort pas indemne d’un road-trip au cœur de l’Afrique sub-saharienne. C’est un fait. Je me souviens de toutes ces questions que j’avais alors faites miennes : Comment aider sans se positionner en dominant ? Comment se battre contre la misère sans affaiblir l’intégrité de ceux qui n’ont rien, sans leur ôter le droit de disposer d’eux-mêmes, de choisir leur destinée ? Comment donner sans être paternaliste, sans faire preuve d’ingérence ? Comment faire naître à nouveau l’envie ? Comment composer avec le passé ? Le problème de la pauvreté me semblait insoluble. J’avais honte. Je choisissais le silence. Interview et texte : Olivier Hamelin Photos : Chloe Aftel

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Si tout cela me revient subitement en mémoire, c’est est une vraie source d’espoir et suscite l’admiration que Swenson Magazine me demande d’interviewer et la curiosité. La curiosité... Derrière chaque idée, Leila Janah, afin d’évoquer son projet pour lutter me dis-je avant d’aborder l’interview, il y a une contre la pauvreté. Une claque. Leila Janah est cette histoire, celle d’un homme ou d’une femme. Oui, il américaine visionnaire de trente-quatre ans qui faudrait commencer par être curieux et raconter une fait partie de ces battants pleins de histoire. Son histoire. Car si l’on veut résolutions, de ceux qui ont le génie Je pense que la comprendre la genèse de cette idée et la force de mener à bien des projets superbe qu’a eu Leila Janah, si l’on veut meilleure façon saisir d’où viennent la force et l’envie auxquels personne ne croit. Ces d’adresser le de cette américaine, il faut avant tout dernières années, Leila a su se faire remarquer admirablement dans le problème de la se pencher sur sa vie, sur son histoire monde de l’entrepreneuriat grâce à un pauvreté, c’est à elle. Une histoire atypique, bien-sûr, projet qu’elle aura porté corps et âme. mais une histoire surtout ouverte sur le de faire du bu- monde et particulièrement imprégnée Un projet nommé Samasource. siness dans les de tolérance et de générosité. Entreprise à but non lucratif, pays pauvres, « Je suis une américaine issue de Samasource s’est donné pour mission mais de le la première génération de migrants. de réduire la pauvreté dans le monde La mère de ma mère, qui était Belge, faire de façon a fait de l’auto-stop aux quatre coins par le travail. Pour ce faire, Samasource éthique. du monde après la Seconde Guerre a développé le modèle de « l’Impact Sourcing » et délocalise via internet Mondiale, avant de finalement des micro-tâches simples de projets digitaux dans des s’installer à Calcutta, où elle a ouvert un atelier pays en voie de développement. Elle participe ainsi à la de céramique avec son mari. Elle m’a enseigné formation et l’émancipation de milliers de travailleurs. l’importance de se bouger pour avoir ce que Des géants du web tels Google, TripAdvisor, ou encore l’on veut. Mon père, quant à lui, a suivi un eBay utilisent les services de Samasource pour enrichir enseignement jésuite toute sa vie. Il venait d’une des bases de données ou des fiches produits. L’idée est longue lignée de Chrétiens de Calcutta, dans le originale et d’une efficacité assez déconcertante. Elle sud de l’Inde et en a hérité un sens profond de la

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The Frame justice sociale et de la compassion. Il s’est donc assuré que je comprenais bien le fait que chaque être humain possédait une valeur et une dignité propre. Et puis, malgré le fait que l’argent chez nous manquait terriblement – j’ai dû travailler dès l’âge de treize ans – on nous a enseigné que cet argent, justement, n’était pas un but en soit. »

C’est donc la tête bien ancrée sur les épaules, les yeux bien ouverts sur ce monde, que Leila commence à se construire une identité. Forte de cet enseignement solide et plein de conscience, à dix-sept ans, avide d’aventures, elle décide de partir pour un voyage au Ghana qui changera sa vie. L’électrochoc est là, et il résonne encore dans ses mots comme un tournant crucial qui aura guidé ses entreprises futures. « Je n’avais aucune idée de ce dans quoi je me lançais, » me raconte-t-elle au sujet de ce premier voyage sur le continent africain. « Je voulais avant tout m’échapper et vivre une aventure. J’avais simplement la vague sensation que je serais amenée éventuellement à aider les gens dans le besoin, en tant que professeur d’Anglais volontaire. Mais lorsque je suis arrivée au Ghana, j’ai été scotchée par la trempe de mes élèves. Ils pouvaient lire et écrire un très bel Anglais. Cela m’a fait réaliser que nous avions vraiment créé un mythe autour de la pauvreté, un mythe qui suggère que les gens pauvres sont incapables de s’aider eux-mêmes. L’Afrique possède une place assez mystérieuse dans notre imagination collective – cela me frustre que nous y associons encore tant de stéréotypes. C’était tellement frustrant de voir tant de talents gâchés. Je me rappelle avoir été désorientée par le talent de certains, et avoir ressenti que j’avais le devoir d’aider ces gens à sortir de la pauvreté. » Suite à ce premier voyage, la jeune Leila ne cessera de faire des aller-retours sur le continent africain et de réfléchir aux solutions envisageables pour lutter contre la pauvreté. Diplômée d’Harvard, elle commence ensuite à travailler en tant que consultante pour un cabinet de conseil en stratégie et outsourcing, lorsqu’en 2008, après un voyage au Kenya, elle décide de lancer le fameux projet Samasource. A cette époque, nourrie par son travail de consultante, elle réalise que les petits cafés internet présents partout dans ce pays peuvent faire office de levier, en tant que centres de travail, pour contribuer à réaliser des tâches simples dans le développement des projets digitaux pour de grands groupes : le Microwork.

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« De retour de ce voyage au Kenya, j’ai pensé : et si je pouvais transformer le secteur de l’externalisation de sorte que les gens aux faibles revenus puissent bénéficier de petits boulots, dans le même sens que Muhammad Yunus avait transformé le système bancaire en microfinance ? (Lire notre article p108 « Un tour du monde pour la microfinance ») Et si je pouvais former la jeunesse des bidonvilles à effectuer de petites taches via Internet, afin de gagner un salaire lui permettant de vivre ? En septembre 2008, j’ai donc lancé Samasource et depuis nous n’avons cessé de grandir jusqu’à employer aujourd’hui plus de 8 000 personnes, toutes issues de milieux très pauvres. »

Si le projet, en effet, n’aura cessé de grandir depuis 2008, s’il est désormais couronné de succès, il convient tout de même de rappeler que cela n’aura été possible que grâce à la capacité de Leila à résister à une certaine adversité. « Les plus grands challenges et les plus grands obstacles, nous les avons rencontrés dans les premiers temps, lorsque nous avons essayé de rassembler un capital pour lancer notre modèle économique. J’ai lancé Samasource en 2008, pendant le mois exact du début du krach des marchés financiers. Peu de gens ont gagné de l’argent cette année là, du coup j’ai vraiment dû me battre pour parvenir à faire de ce projet une entité non lucrative. Je voulais montrer au monde qu’il était possible de construire un modèle d’entreprise sociale, un business qui aurait pour but de sortir un maximum de gens de la pauvreté, mais qui le ferait de façon durable, avec un modèle économique solide. Le projet tombait donc tout juste, en quelque sorte, entre l’idée traditionnelle que l’on se fait d’une association caritative et celle que l’on se fait d’un business. Ce concept d’entreprise sociale était encore assez nouveau aux Etats-Unis lorsque j’ai lancé Samasource. Maintenant ça devient plus répandu, mais ça déboussole encore les gens. Il a donc été très difficile dans un premier temps de lever des fonds, de faire comprendre aux investisseurs que même si nous avions un modèle économique qui fonctionnait, nous avions toujours besoin de lever des fonds pour faire fonctionner l’entreprise et pour former les gens. Par conséquent, nous avons commencé à recruter des contributeurs plus importants, comme Google.org, The Sisko Foundation, Rockefeller et MasterCard Foundation. Nous avons petit à petit commencé à devenir plus mainstream, si bien qu’il est devenu plus facile de récolter de l’argent. »

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Leila Janah « L’autre défi qui s’est alors imposé à nous, a été de parvenir à convaincre les gens qu’ils pouvaient avoir confiance dans le fait de faire du business en Afrique. Il fallait pousser ces sociétés à avoir confiance en notre travail, à réaliser qu’il y a des millions de jeunes dans les pays en voie de développement qui ont fini leurs études et sont vraiment capables de travailler sérieusement, mais qui sont juste déconnectés du marché et des opportunités. En effet, plutôt que de les voir comme une cause de charité, comme des gens à qui l’on doit donner l’aumône, nous avons vraiment besoin de ré-écrire la perception que nous avons de ces gens, afin de les voir comme capables et pleins d’envies, comme des travailleurs qui peuvent contribuer à quelque chose. Ça n’a pas été évident au début pour beaucoup de nos clients, mais nous avons commencé par faire des tentatives gratuites, puis nous avons acquis leur confiance en travaillant et en leur montrant que nous pouvions vraiment faire du bon boulot. Si bien que maintenant, beaucoup de nos clients ne réalisent même pas que nous sommes une organisation à but non lucratif, ou une marque à impact social. Ils nous choisissent parce que nous fournissons le service de traitement de données le plus qualitatif. Et c’est une leçon assez incroyable. »

personnes et leur famille. Cela concerne donc près de 35 000 personnes qui sont passées d’un salaire d’à peu près deux dollars par jour, à plus de huit dollars par jour. C’est une augmentation de revenus significative, qui entraine un vrai changement de vie. Au Kenya, par exemple, nous avons étudié comment nos employés dépensaient leur revenu supplémentaire, et nous avons observé une immense amélioration de la qualité de leur alimentation et leurs dépenses de santé. Nous avons également pu observer qu’ils avaient accès à une meilleure instruction, et qu’ils quittaient très souvent les bidonvilles pour des logements plus décents et sécurisés. » « Nous travaillons donc pour sortir vraiment les gens de la pauvreté, mais de façon éthique. Beaucoup de gens pensent que faire du business dans les pays en voie de développement signifie exploiter des gens. C’est complètement faux. Je pense que la meilleure façon de s’adresser à la pauvreté, c’est de faire du business dans les pays pauvres, mais de le faire de façon éthique. Il faut payer les gens en fonction du minimum vital local, il faut s’assurer qu’ils en tirent un avantage et que leur niveau de vie s’accroit. Je pense que c’est la meilleure chose que l’on puisse faire pour eux. C’est bien mieux que de leur fournir une aide humanitaire. »

Une leçon, en effet, tant ce projet visionnaire et judicieux est une réussite qui semble exempte de toute critique éthique et économique. Mais travailler pour Sama, plus précisément, ça consiste en quoi ? En fait, lorsque l’on travaille pour l’entreprise de Leila Janah, on est partie prenante de vastes projets digitaux. On est alors amené à taguer des images, par exemple, ou à faire de la notification, à faire des analyses de marchés et à faire de la modération. La formation requise est alors assurée par Sama, qui effectue un énorme travail sur le terrain, notamment au Kenya, en Ouganda, en Inde, et en Haiti, où l’entreprise opère en partenariat avec des organisations locales à but non lucratif, qui l’aident à recruter des gens qui gagnent moins de deux dollars cinquante par jour. Mais outre l’Afrique, l’Inde et Haiti, Samasource opère désormais aussi aux Etats-Unis, où l’entreprise permet également à des personnes à faibles revenus de gagner des revenus complémentaires. « L’impact réel sur la vie des gens est substantiel. Il s’agit vraiment de sortir les gens de la pauvreté. Depuis que nous avons commencé Samasource, nous avons aidé plus de 8 000

La position de Leila est claire et ferme. Avec Samasource, la jeune Américaine sait où elle va. Pourtant, si elle est tout à fait consciente d’avoir frappé juste, elle n’en tire aucune fierté. Elle a beau avoir déjà changé la vie de plusieurs milliers de personnes, Leila n’est pas prête à s’arrêter là. « Je ne crois pas en être déjà au stade de la réussite, » poursuit la jeune entrepreneuse déjà plusieurs fois récompensée pour son travail. « J’ai plutôt le sentiment que notre sphère d’intervention est encore très petite. Je veux que Samasource devienne dix fois ce que c’est aujourd’hui. Je suppose que le combat, pour chaque entrepreneur, est de réaliser que l’important ne réside pas dans les succès quotidiens, mais dans l’arc global du travail accompli. Il faut réaliser aussi que c’est un très long voyage d’entreprendre un vrai changement dans ce monde, quel qu’il soit. Et selon moi, je ne suis qu’au premier pas de cela. »

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The Frame Un premier pas, qui outre Samasource prend d’ailleurs aussi la forme de deux nouvelles entités que Leila a fait naître ces dernières années : Samaschool, programme qui assure la formation professionnelle des jeunes américains défavorisés, et LXMI, marque à but lucratif mais équitable de produits cosmétiques de luxe – preuve supplémentaire, si besoin en était, que Leila Janah a les deux pieds dans le futur et qu’elle sait tout a fait jongler entre le business pur et le travail social. D’ailleurs, lorsque j’aborde avec elle sa vision du futur, c’est sur un ton inquiet qu’elle me répond, mais sans perdre pourtant l’espoir qu’elle fonde sur la force d’internet. « Je suis vraiment attentive au futur, notamment maintenant que tous les mouvements nationalistes prennent de l’ampleur. En tant qu’enfant d’immigrés ayant grandi dans un pays qui était différent de celui de mes parents, j’ai vraiment ressenti que le monde changeait pour s’ouvrir un peu plus. Mais cette frontière un jour n’aura plus de signification, et le fait de repartir bientôt dans l’autre direction m’effraie. » « Internet a vraiment un rôle puissant à jouer dans l’ouverture du monde. Et j’espère que, dans le futur, chaque être humain aura accès à internet. » « Je pense que nous pourrions utiliser internet afin de comprendre encore un peu mieux les énormes challenges sociaux et environnementaux qui menacent la planète aujourd’hui, et afin de diffuser une information véritable et consciente. » Un monde avec un peu plus d’internet encore... L’idée ne me réjouit pas outremesure mais si seulement chacun pouvait songer à en faire un usage conscient, si chacun voyait en cet outil ce que Leila y voit, peut-être n’aurions-nous pas à le craindre. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre, si le futur doit se faire sur internet, il faudra compter sur la présence Leila Janah, et ce ne sera pas pour me déplaire.

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Leila Janah

travailleurs

1,827 personnes dépendantes de revenus

é t u d i a n t s

2 5 ,1 1 2

personnes concernées depuis 2008

8 ,1 2 7

51,982*

*comprend le nombre de patients soignés par Samahope.

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No Dickheads Policy de Dare Jennings

« J’étais une sorte de partisan du moindre effort à l’Université de Sydney, ce qui ne m’a pas empêché d’en profiter. Simplement, je n’ai pas fait grand-chose pendant un certain temps. Quand j’avais la vingtaine, dans les années 70, j’étais paresseux, j’allais surfer, et je ne travaillais pas. Après avoir eu une vingtaine assez calme, j’ai commencé à m’activer un peu. » Né en 1950 à Griffith, Nouvelle-Galles du Sud, Australie, c’est ainsi que se décrit Dare Jennings, fondateur de deux immenses marques à succès. Avec Mambo, l’entrepreneur Jennings crée un label emblématique en 1984 avant de le revendre en 2000 (pour un montant de 20 M$). Six ans plus tard, le créateur australien fonde Deus ex Machina, fabricant de motos custom, une entreprise inspirée par l’absence de distinction culturelle de l’époque, nichée entre les motos et le surf. Nous avons rencontré Dare Jennings afin de discuter de sa capacité à transformer ses passions – surf, rock, musique, motos – en deux entreprises multimillionnaires.

Interview et texte : Elisa Routa. Photos : Courtesy of Deus Ex Machina

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The Frame Pourriez-vous évoquer les prémices de Mambo, icône culturelle du surf australien ? J’avais une entreprise d’impression, c’est à partir de là que je me suis intéressé à Mambo qui est devenu, à ma grande surprise, un business au succès mondial. En même temps, j’avais également une maison de disques indépendante appelée Phantom Records, où on faisait la promotion de groupes locaux indépendants de Sydney. Ensemble, ces deux univers ont fini par fonctionner. La musique, l’art, le rock’n’roll, toutes ces choses qui m’intéressaient en quelque sorte, ont marché ensemble. Je suis très bon pour débuter les choses. Puis, Mambo est devenu très important. Je me lasse très rapidement, particulièrement quand tout devient une question de gestion. J’ai une capacité à retenir mon attention digne de celle d’un enfant de deux ans. La croissance de Mambo dans les années 80 a réellement été fulgurante. Comment expliquez-vous un tel succès ? Au début, Mambo était simplement un truc que mes amis et moi aimions faire. C’était le fait de s’éclater, la musique, l’art, et le surf. Ça représentait un peu l’Australie de l’époque. Plus qu’une volonté donc, c’est la manière dont ça a pris forme : la façon dont nous nous exprimions et celle dont nous voyions le

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monde. Mambo est devenu un moyen typiquement australien de s’exprimer, puis ça n’a cessé de devenir de plus en plus important. Faire partie des Jeux Olympiques de Sydney en 2000, pour être tout à fait honnête, a été probablement la goutte de trop. C’était devenu trop gros et trop flagrant. Nous étions trop prévisibles, je pense. A ce moment-là, en 2000, j’ai décidé de vendre. Mais j’avais cette autre idée qui me trottait dans la tête, suite à mon voyage à Tokyo où j’avais vu ces motos vraiment cools. A ce moment de ma vie, j’avais la soixantaine et je n’étais plus un jeunot. Ce que je voyais à Tokyo était une référence. La référence était classique, vintage, mais la manière dont elle s’exprimait était résolument contemporaine. J’ai trouvé ça cool parce que Mambo baignait dans l’industrie du surf, et je n’aimais vraiment pas l’industrie du surf, bien que nous soyons dans ce secteur. D’après moi, il n’y avait pas de fun, pas d’humour, ils voyaient les choses d’une manière incroyablement sérieuse. L’industrie du surf était dominée par les grandes marques. Il y avait donc toutes ces choses que je n’aimais pas, bien que je continue à adorer surfer. J’ai donc pensé à combiner ce qui me tenait à cœur en créant une nouvelle marque. En quelque sorte, adhérer à l’industrie du surf d’une manière différente. C’est ainsi que Deus est né.

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Dare Jennings En 2000, à l’âge de 50 ans, vous vendez Mambo, amassant 20 millions de dollars juste avant que les choses ne dégénèrent dans le surfwear. En 2006, vous fondez Deus. D’où vous est venue cette vision ? Dès le début, je n’ai jamais souhaité être une entreprise de motos. Bien que j’adore la moto, j’ai une très faible capacité à retenir mon attention. J’aime pas mal de choses. J’aime également quand plusieurs d’entre elles marchent de pair afin de créer une idée nouvelle, plus intéressante. Nous avons travaillé par la suite sur ce que nous appelons la somme des parties. La somme des parties finit par créer un ensemble plus intéressant. Quand on a débuté, à cause des motos que nous produisions, tout le monde disait que ça ne pourrait pas marcher. Lorsque les vélos sont devenus populaires, nous avons commencé à faire des vélos et tout le monde a dit : ‘Non, vous ne pouvez pas faire des motos et des vélos’. Mais c’est comme ça qu’on fonctionne ! J’ai une moto et un vélo. Je suis sûr qu’ils peuvent fonctionner ensemble. Alors, puisque les Australiens sont des fanatiques de surf, j’ai commencé à insuffler une touche surf au projet. Les gens étaient littéralement scandalisés par ce combo entre le surf et les motos. Mais par la suite, tout le monde s’est mis à dire : ‘OK, j’imagine que c’est bien !’ Aujourd’hui, c’est très courant de voir le surf et la moto coexister. C’étaient les années fun, il fallait aller à l’encontre

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des règles établies. Chaque fois que quelqu’un me dit ‘Tu ne devrais pas le faire’, pour moi ça signifie qu’il est temps de se lancer. Etre une entreprise hybride est-elle une composante clef du succès ? Exactement, je pense que s’il n’y avait qu’un seul univers, je m’ennuierais rapidement. Il faut que les gens y trouvent plusieurs éléments. Quelqu’un de 20 ans ne peut pas être aussi enthousiaste que quelqu’un de 60. Je considère que c’est important, autrement, tu te retrouves coincé dans une certaine démographie. Je tenais à combiner des univers qui me tenaient à cœur, y compris l’art. Il y avait la nourriture, les vêtements, etc. Deus n’est pas seulement la synthèse de deux univers, mais celle de 6 univers. Je voulais tous les utiliser. Pour être honnête, j’ai toujours trouvé les gens étroits d’esprit extrêmement ennuyeux. Tant mieux pour eux, mais mieux vaut avoir une vie riche et diversifiée qu’être obstiné par une seule chose. Encore une fois, ça ne veut pas dire que j’ai raison. Certaines personnes que je connais sont obsédées par une seule chose et leur obsession est légitime. Mais pour ma part, j’aime la différence. Ce qui est formidable avec Deus, c’est le fait d’attirer des personnes de tous horizons. Si vous faites quelque chose d’intéressant, des personnes intéressantes viendront à vous. A ce moment là, quelque chose de neuf et de stimulant s’est produit.

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< >> South to Sian : Harrison Roach et Zye Norris ont voyagé à travers l’Indonésie pour un périple de plus de 4000km à moto et en single-fin

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The Frame Deux ex Machina est plus qu’une marque, vous célébrez une culture de la créativité. Comment définiriez-vous la communauté autour de Deus ? J’aimerais pouvoir dire qu’il y avait une ébauche de plan dès le départ, mais je ne peux que constater et me satisfaire de la tournure que ça a pris. Ce que j’ai trouvé incroyable est cette idée que nous avons eue à Sydney. L’ambiance était idéale dans à peu près tous les pays à travers le monde. Je trouvais ça intéressant que les Français aiment surfer, aiment faire de la moto, aiment la nourriture, ce genre de trucs, et soient heureux de les voir réunis. L’une des choses les plus incroyables a été lorsque Federico Minoli, PDG de Ducati pendant dix ans, a pris l’avion pour Sydney pour nous rencontrer, curieux de voir ce que nous faisions. Il est comme un gourou dans le monde de la moto. Ce qui est incroyable est qu’il soit descendu spécialement pour nous. Il a dit : ‘Y’a des choses intéressantes qui se passent ici’. Puis il est rentré en Italie et a lancé la boutique Deus à Milan, qui a été une très belle réussite. Ainsi, nous nous adressions du jour au lendemain à des motards italiens, des cyclistes, et des personnes du milieu de la mode. C’est de cette manière que Deus a évolué dans différents endroits.

Nous avons une expression qui dit No Dickheads Policy.

Aujourd’hui, vous avez des boutiques à Venice Beach, Milan, Sydney et Bali. Etait-ce l’idée de départ de rendre l’entreprise Deus internationale ? Non, mais à cause de Mambo, je savais à quoi m’attendre. On s’est dit que ça pourrait marcher. De manière générale, la demande venait des gens. C’était intéressant de s’installer à Bali car, en tant qu’Australien, on y va régulièrement. Dustin (Humphrey), qui est un photographe de surf très réputé, voulait participer à l’aventure. Ça semblait être une bonne idée ! Puis nous avons rencontré Julian (Heppekausen), un Australien vivant à Venice en Californie. Il adore la moto et aime notre philosophie. Nous nous sommes donc lancés. C’est comme quand Federico Minoli est venu nous voir de Milan pour y lancer une activité. Nous visions le nord de l’Italie, en particulier Milan, en raison de son côté cool et de son amour pour tout ce qui est deux roues. Mais cela n’a jamais été un plan sur 10 ans. Si ça semble être une bonne idée, alors on se lance. C’est comme ça que ça fonctionne. < Le Deus Fish Fry à Bali > La boutique Deus Ex Machina à Tokyo

Diversité, authenticité et enthousiasme sont les piliers de Deus. Comment comptez-vous garantir cet ADN dans le futur ? Nous avons une expression qui dit No Dickheads Policy. Nous faisons en sorte de travailler avec des personnes agréables qui comprennent l’essence même de notre activité. C’est le moyen le plus facile que nous avons trouvé jusqu’à présent, nous nous efforçons de rassembler au maximum des personnes qui comprennent notre message. Et pour être honnête, après 10 ans, on tente d’évoluer, d’avancer afin de préserver notre image. Je pense que c’est un problème que nous avons identifié, particulièrement dans l’industrie des motos custom. Il y a tellement de gens qui se sont lancés dans la production de motos sur-mesure, c’est très difficile de progresser. La plupart débute, s’investit à fond, mais ça n’avance pas. C’est un des problèmes de cette industrie.

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The Frame Est-ce que le fait d’évoluer en permanence est un des fondements de votre succès ? Oui, c’est l’idée. Pas simplement changer pour le plaisir de changer, juste faire en sorte que les idées fusent en permanence. Et se rappeler que c’est une philosophie. Et que cette philosophie peut être appliquée de différentes manières. C’est ça qui est probablement l’élément essentiel. Quand on a débuté, c’était facile de choquer les gens, de les énerver, et de les rendre heureux en rapport avec notre activité. Aujourd’hui, nous sommes plus prévisibles et ça change la manière de procéder. Comment voyez-vous la marque évoluer au cours des années à venir ? Ce que j’aimerais faire, c’est lancer une nouvelle activité à l’étranger. Nous travaillons en ce moment sur un magasin à Bangkok. Encore une fois parce qu’en tant qu’Australiens, nous allons souvent en Thaïlande. Les Thaïs sont progressistes, curieux, ils aiment la nourriture et les motos. Nous revenons de Cape Town, en Afrique du Sud. Les Sud-Africains accueillent très bien l’idée et la manière dont nous procédons. L’idée est de trouver des personnes intéressantes dans ces pays et les laisser faire pour finalement nourrir de manière naturelle notre idée de base. Traditionnellement, le business consiste à débarquer dans un pays et dicter exactement ce qu’il faut faire. A l’inverse, je suis bien plus intéressé par l’idée de me rendre sur place et d’observer ce qui se fait. C’est sain et stimulant. J’essaye de ramener cela à l’émergence d’une grande idée, pour que cette dernière continue à évoluer. Depuis 2006, quelle a été votre plus grand défi ? J’ai été très chanceux car j’ai vendu Mambo, ce qui m’a permis d’avoir de l’argent. J’ai ainsi pu surmonter la partie difficile des débuts et rester fidèle à mon idée. Malgré tout, notre secteur est le textile. Le textile est un secteur qui peut se développer de différentes façons. Nous avons une culture de base et nous nous y tenons. A bien des égards, ce qui nous permet de rester en vie et de continuer l’aventure est notre activité de prêt-à-porter. En effet, le constat est assez terrible puisqu’il est pratiquement impossible de gagner sa vie en construisant des motos. Vous pouvez le faire par amour et pour avoir une activité professionnelle, nous adorons le faire, mais en aucun cas vous ne pouvez devenir riche avec cette activité. Au-delà d’être pragmatique en terme de business, vous devez continuer à grandir et à évoluer, ce que le textile garantit. Je sais que d’autres marques de fringues à succès rient du temps qu’on passe sur cette notion de ‘culture’. Mais en fin de

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compte, c’est ça que les gens aiment et c’est ce à quoi ils s’identifient. Quels seraient les conseils que vous donneriez aux entrepreneurs dont l’envie est de créer une entreprise à succès ? Vous devez trouver un moyen de faire de l’argent. C’est une simple réalité. Autrement, c’est de l’indulgence. Et je crois qu’il faut être prudent avec l’indulgence. D’une manière ou d’une autre, il doit y avoir une forme de business plan, mais cela doit également être une question de passion. Vous ne devez donc pas vous limiter à faire des études de marché parce que vous savez en faire, ou parce que vous connaissez ce marché, mais parce que vous y croyez. Il n’y a pas de plan prédéfini, vous devez juste trouver ce en quoi vous croyez, et avec un peu de chance, ça sera pertinent et trouvera sa place dans ce monde. Quels sont les projets à venir pour Deus ? La Corée serait fantastique. Nous pouvons en faire davantage en Indonésie, nous pourrions aussi faire bien plus aux Etats-Unis. Encore une fois, j’aimerais faire mieux avec moins. Ce n’est pas irréel de penser qu’on va avoir des magasins partout, mais tout ce qu’on fait doit avoir un sens. Dans le textile, la distribution peut représenter un business à part entière et nous permettre de trouver des endroits où vendre. Il y a certainement bien plus à faire en Europe. Nous avons travaillé avec notre ami Benjamin Marigot et nous adorerions lancer quelque chose à Biarritz. Benjamin est un exemple typique, il est venu à Sydney et il n’avait pas envie d’en partir. Il voulait faire quelque chose en France, mais je lui ai dit ‘Je pense que c’est trop tôt, on essaie encore de comprendre ce qu’on fait ici’. Et il est simplement resté. Il croit vraiment en Deus. Et ça a fonctionné quand on voit l’ampleur d’un événement comme le Wheels and Waves à Biarritz … Ce qui est incroyable, c’est la manière dont le Wheels et Waves a évolué. Ils ont même peur que ça devienne trop gros ! Ce qui n’est pas un mauvais problème en soi. L’événement Luftgekühlt de Porsche créé par Patrick Long est aussi un bon exemple. Patrick est le portait type de celui qui a cru en Deus. Il est venu à Venice et m’a dit ‘On veut créer un événement Porsche, comme le vôtre, avec des choses inattendues.’ Le projet Luftgekühlt a été un projet génial auquel nous avons eu la chance de participer. (Lire l’interview de Patrick Long p.74). Passé un certain temps à voyager, on se rend compte que le monde est vaste.

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< Dare Jennings et Carby Tuckwell au Deus store de Tokyo

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Chaque fois que quelqu’un me dit « Tu ne devrais pas le faire », pour moi ça signifie qu’il est temps de se lancer.

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Patagonia, « Responsible for doing good » Basecamp avec Jason Fried

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36 Part 01 avec Rick Ridgeway 48 Part 02 avec Léa Brassy

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Le fondateur de Patagonia, Yvon Chouinard, a débuté sa carrière d’alpiniste en 1953. Il était connu comme l’un des premiers grimpeurs durant l’âge d’or de l’ascension du Yosemite. A la fin des années 50, il vend des pitons en acier à l’arrière de son pickup et lance Chouinard Equipment. Conscient que les pitons causent des dommages dans les fissures des montagnes, Chouinard travaille alors sur un nouveau modèle de coinceurs en aluminium. Un nouveau style d’alpinisme voit le jour : « L’escalade propre ». En 1973, alors qu’il conçoit des vêtements et outils inspirés de son amour des activités de plein air et de son engagement pour l’environnement, il décide de créer Patagonia à Ventura, en Californie, une société privée de vêtements outdoor, spécialisée dans le vêtement de haute qualité pour les sports d’aventure. A l’époque, Yvon Chouinard donne à l’entreprise pour mission de : « Construire le meilleur produit, ne causer aucun dommage inutile, utiliser le commerce comme un moyen d’inspirer et de mettre en place des solutions à la crise environnementale. » Depuis le début, sa philosophie pro-environnementale et son entreprise sont indissociables. Aujourd’hui, Patagonia est le chef de file international dans la mise en place de pratiques éco-responsables et le développement de produits écologiquement durables. Célébrant ses 40 ans en 2016, Patagonia démontre qu’une bonne entreprise peut être le résultat de valeurs fortes. Par la création de campagnes et de programmes d’économie responsable, Patagonia poursuit son engagement et accompagne cette tendance durable et innovante. En dépit d’une stratégie d’entreprise antiproductiviste et de sa position anti-consumériste, Patagonia génère des ventes annuelles d’environ 600 millions de dollars. En donnant la parole à Rick Ridgeway, le partenaire d’alpinisme de longue date d’Yvon Chouinard et vice-président des affaires environnementales de Patagonia, nous avons fait le choix de tirer les leçons d’entrepreneuriat d’un leader charismatique. Nous avons également rencontré Léa Brassy, ambassadrice surf passionnée qui nous a confié ce que la marque signifiait réellement : un business model splendide et innovant, porté par de belles intentions.

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avec Rick Ridgeway

Nous avons découvert qu’il était possible d’allier une démarche commerciale et respectueuse de l’environnement, ce qui a été une leçon fondamentale. A la fin des années 60, Rick Ridgeway entame sa carrière d’alpiniste avant de passer deux ans à naviguer dans les eaux du Pacifique. En 1976, il fait partie de la seconde équipe américaine à faire l’ascension du Mont Everest. Deux ans plus tard, lui et trois de ses amis grimpeurs deviennent les premiers américains à franchir le K2, considéré comme le pic le plus dangereux au monde, et les premiers à le faire sans oxygène. Appelé « le véritable Indiana Jones » pas le magazine Rolling Stone, Ridgeway survit également à une avalanche dans l’Himalaya, et sillonne le sommet du Mont Kilimandjaro jusqu’à l’Océan Indien. En 2003, Yvon Chouinard lui propose son tout premier job en entreprise : porter les valeurs fondamentales de Patagonia, et transmettre son éthique du business à un plus large public. Partez à la rencontre de Rick Ridgeway, illustre alpiniste, cinéaste, écrivain et vice-président des affaires environnementales chez Patagonia, supervisant les programmes précurseurs environnementaux et durables. En tant que pionnier de l’industrie outdoor, il évoque avec nous l’ingéniosité environnementale de Patagonia et le pouvoir que revêt l’art de la transparence.

> Rick Ridgeway et Yvon Chouinard en Alaska

Interview et texte : Elisa Routa. Photos : Jeff Johnson & Patagonia Archives, Roger Cotton, Gordon Wiltsie, Tom Frost.

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Modern minds D’abord alpiniste-aventurier puis vice-président aux affaires femme a commencé à travailler pour Patagonia où environnementales de Patagonia, parlez-nous de votre elle a co-fondé le département marketing. J’ai donc parcours… toujours eu une relation assez étroite avec la marque. Mon intérêt pour les sports en extérieur a commencé Nos familles sont très proches, nos filles ainées sont alors que je n’étais qu’un jeune garçon. J’étais attiré meilleures amies et leurs petites filles également. par les montagnes et les espaces sauvages. J’étais alors au lycée lorsque j’ai ressenti l’envie d’être Quels facteurs vous ont amené à aller, par-delà l’alpinisme, alpiniste, mais j’étais incapable de trouver quelqu’un à superviser des programmes environnementaux ? avec qui partager cette passion. J’ai acheté un livre, je Dans les années 1980-1990, alors que je poursuivais suis allé au magasin pour acheter de l’équipement l’exploration d’endroits sauvages à travers le globe, et j’ai commencé à aller dans les montagnes pour j’ai commencé à être le témoin de la dégradation de m’entrainer. Grâce à ce livre, j’ai débuté tout seul l’état de la planète. Je constatais en effet l’extinction l’ascension de montagnes en Californie, ayant grandi de nombreux milieux naturels qui, du temps de ma dans les plantations d’orangers au sud de cette jeunesse, étaient encore préservés. Je ne pouvais que région dans les années 50 et 60. J’avais l’habitude de relever la dégradation ininterrompue du couvert sécher les cours, de partir dans les montagnes sur végétal forestier et même commencer à percevoir mon scooter Honda 50 et de faire des randonnées les effets du changement climatique sur le recul des une fois là haut. Ma mère s’est inquiétée et m’a glaciers et la fonte des glaces. Je l’ai particulièrement changé d’école pour que j’obtienne mon diplôme de ressenti au milieu des années 80 en Afrique, lors fin d’études. J’ai beaucoup plus appris là-bas et j’ai de ma plus belle ascension du Mont Kenya par la également rencontré plusieurs personnes route de Ice Window. En 20 ans, qui m’ont initié à l’alpinisme. Cela a été le En plus de créer cette route avait littéralement début de ma vie d’alpiniste. Durant cette disparu. Aussi, en retournant des produits dans l’Himalaya dans les même époque, j’étais également attiré par l’océan et j’avais pour habitude, au lycée durables et années 2000, j’ai également pu comme à l’université, d’aller surfer. A l’âge de qualité, constater que les glaciers que de 17 ans, j’ai vécu ma plus grande aventure nous tâchons j’avais photographiés à la fin en embarquant sur un petit voilier avec des des années 70 avaient disparu. d’encourager au Ne subsistait que la moitié de amis. Aucun de nous ne savait vraiment naviguer. Nous avons donc acheté un livre maximum nos la glace. Que la planète subisse sur la navigation, sommes montés à bord clients à ne pas un tel changement historique du bateau et avons mis le cap sur Tahiti. J’ai acheter ce dont et que des bouleversements navigué à travers tout l’océan Pacifique sur géologiques se produisent à ils n’ont pas l’échelle globale était alarmant. ce petit bateau. Par la suite, j’ai continué à aller dans les montagnes et à grimper. besoin. Dans les années 1990 - début Plus j’y allais, plus je prenais plaisir à me des années 2000, Yvon et notre faufiler dans des coins reculés. Mon intérêt pour compagnon d’ascension Doug Tompkins, fondateur la planète remonte certainement à cette période. de The North Face puis de Esprit, étaient tout aussi Au fil des années, je suis devenu de plus en plus inquiets. Nous commencions à rencontrer des engagé, et je suis parvenu à gagner ma vie en tant experts environnementaux ce qui nous a permis de qu’aventurier, en écrivant des livres, en réalisant nous confronter à de nouvelles idées sur ce que la des films ou en prenant des photos. En parallèle, planète était réellement en train de subir. je développais une activité de conseil en marketing Vers les années 90, j’ai renoué avec ma carrière pour des entreprises d’équipement de plein air. Ce initiale de réalisateur-écrivain-photographe et de que j’ai fait pendant 25 ans. L’un de mes clients a été consultant. J’étais alors à la tête d’une société de Patagonia, dont le fondateur, Yvon Chouinard, est médias et qui travaillait pour Patagonia, dont j’ai l’un de mes plus anciens partenaires d’ascension. rejoint le conseil d’administration en 2002. Quelques J’ai débuté l’alpinisme avec Yvon, avant même que années plus tard, ils m’ont proposé de les rejoindre Patagonia n’existe. D’une certaine manière, j’ai été pour superviser le département des programmes dès le début en contact avec l’entreprise, non pas environnementaux, en étroite collaboration avec le en tant qu’employé, mais en tant qu’ami d’Yvon département marketing. L’objectif était de raconter puis en tant que consultant. Durant les premières l’histoire de notre entreprise, l’origine de notre années, j’ai été l’un des principaux photographes engagement pour l’environnement, étant témoin de la marque et j’ai contribué à plusieurs de leurs direct ce bouleversement planétaire. J’ai donc catalogues. Puis, en 1982, suite à notre mariage, ma accepté ce contrat et rejoint l’entreprise en 2005. J’y suis encore aujourd’hui.

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Rick Ridgeway Pourriez-vous nous en dire plus sur les engagements de la marque ? L’entreprise s’est toujours engagée en faveur de la protection de l’environnement. Cela remonte au début des années 1970, avant même que Patagonia n’existe, lorsque l’entreprise s’appelait encore Chouinard Equipment. Nous étions dans le domaine de l’équipement d’alpinisme et avions conscience que les pitons que nous fabriquions abîmaient la montagne en formant des fissures dans la roche. Nous avons donc développé un nouveau design de coinceurs en aluminium pouvant être placés dans la fissure. Nous avons ainsi trouvé une solution en faveur de l’environnement, tout en faisant progresser l’activité l’entreprise. Il était possible d’allier une démarche commerciale et respectueuse de l’environnement, ce qui était une leçon fondamentale pour nous. En 1973, Yvon a créé Patagonia avec pour ambition de fabriquer des vêtements durables et de qualité en minimisant leur empreinte environnementale, engagement qu’a pris l’entreprise dès sa création. Il a par la suite commencé à s’appuyer sur le succès de l’entreprise pour soutenir des mouvements écologistes. Nous jugions en effet cela très important en parallèle de notre production de vêtements, d’être respectueux de l’environnement. Cela a été le point de départ de notre premier programme, qui est devenu par la suite le programme « 1% for the Planet ». Au début des années 90, l’entreprise a placé ces idées et ces valeurs au cœur de sa mission : fabriquer les meilleurs produits sans causer de dommage inutile et utiliser son activité comme moyen de mettre en place des solutions à la crise environnementale. Cet engagement continue de nous guider sur le court comme sur le long terme, oriente notre manière de prendre des décisions et d’investir. En tant que société privée, nous avons plus de latitude et de liberté dans la conduite de nos affaires. Dans notre cas, ce que nous voulons construire est un instrument pour la protection de l’environnement, et non un simple business. C’est la raison d’être de Patagonia. Patagonia a confirmé sa position de leader mondial des pratiques environnementales et durables. Comment vous sentez-vous à cet égard ? C’est une avancée importante pour nous, et nous espérons pouvoir convaincre d’autres entreprises de nous suivre dans la fabrication de produits respectueux de l’environnement. Malheureusement, la prise de conscience est lente. Le meilleur produit est quasiment toujours le plus durable car pour nous, la durabilité est la pièce maîtresse de la qualité. Quand un produit dure longtemps, ce qui est le cas

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non seulement pour nos combinaisons de surf mais également pour les vestes que nous fabriquons, c’est un service rendu aux générations futures. Je rencontre constamment des clients lorsque je voyage ou lorsque je vais à un événement. Ils viennent me voir et disent « Regardez, j’ai acheté cette veste Patagonia en 1985 et elle est toujours intact. J’en suis très fier. » Le message que l’on fait passer à nos clients est d’acheter une veste qu’ils pourront porter durant les 20 prochaines années et dont l’empreinte environnementale a été énormément réduite de par sa durabilité. C’est notamment le cas des produits que nous faisons fabriquer en Suisse par Beyond Surface Technologies (BST), une start-up installée à Pratteln qui développe des textiles de haute qualité, durables, basés sur des matériaux bruts et naturels, dans laquelle nous avons investit l’année dernière. En 2011, vous affichiez une publicité mémorable dans le New York Times qui disait : « N’achetez pas cette veste. » Comment Patagonia a réussi à établir une relation de confiance avec ses clients ? En plus de créer des produits durables et de qualité, nous tâchons d’encourager le plus possible nos clients à ne pas acheter ce dont ils n’auraient pas besoin. C’était l’objectif de cette publicité. Nous incitons nos clients à ne pas acheter plus que nécessaire et travaillons en permanence sur nos produits pour qu’ils durent le plus longtemps. Nous cherchons à créer plus de solutions que de problèmes pour notre planète. Pour revenir au slogan « N’achetez pas cette veste », ce titre a choqué car il a été diffusé le jour du Black Friday, le début des soldes des vacances de Noël aux Etats-Unis. Cet événement a valu quatre pages dans le New York Times. Ce slogan avait pour but de susciter l’étonnement des lecteurs. Sous la photographie de l’une de nos vestes bestseller, nous expliquions que quels que soient nos efforts, la fabrication d’une veste nécessiterait toujours 200 litres d’eau et relâcherait 9kg d’émission de gaz à effet de serre. Bien sûr, nous devons tous porter des vêtements, mais l’idée était d’inciter les gens à ne pas surconsommer. Lorsque vous achetez un vêtement, assurez-vous d’investir dans de la qualité et de la durabilité. Même si cela vous coûte plus cher au départ, avec le temps, vous allez économiser de l’argent, et plus important encore, en tant que citoyen, vous allez devenir responsable de votre propre empreinte. En outre, grâce à l’ensemble des programmes que nous avons mis en place, nous invitons nos clients à nous rejoindre dans notre démarche. Nous les aidons à réparer leurs vêtements abîmés, à les vendre en trouvant de nouveaux propriétaires ou à nous les retourner lorsqu’ils sont définitivement usés afin d’utiliser la meilleure technologie pour les recycler.

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< California, 1955 > Rick grimpant la plateforme de glace de Filchner en Antarctique

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Modern minds Le programme Worn Wear que Patagonia a créé en 2013 a pour but d’encourager les consommateurs à entretenir leur équipement. Pouvez-vous nous en dire plus ? Worn Wear est un programme de réparation, de revente et de recyclage. C’est la promesse que nous faisons à nos clients pour rendre le produit aussi durable que possible en minimisant au maximum les dommages environnementaux. Cela fait partie de notre engagement et nous leur demandons de s’associer à nous. Par conséquent, ils deviennent eux aussi eco-responsables. Mais malgré tous nos efforts, nos produits portent tout de même atteinte à l’environnement. Nous l’avons reconnu publiquement et voulons rester à la hauteur de cet engagement. Nous voyons le programme 1% comme notre contribution au mouvement écologiste, pour les dommages que nous causons à travers notre activité. Comme Yvon l’a dit, nous essayons d’en faire notre emblème, et le meilleur moyen de le faire est de soutenir des groupes environnementaux. Ainsi, nous redistribuons 1% de nos ventes à des groupes écologistes à travers le monde, œuvrant principalement pour la sauvegarde des forêts, des rivières et des plages. Après 60 ans de dépendance au néoprène, vous avez récemment lancé la première combinaison sans néoprène, offrant une alternative aux surfeurs de choisir des matériaux végétaux au lieu du pétrole, du renouvelable au non-renouvelable… Une partie de notre mission est de fabriquer les meilleurs produits sans dommage inutile, ce que les entreprises traditionnelles appellent la durabilité. Nous faisons cela de plusieurs manières, dont l’une des plus importantes est la sélection nos matériaux. A plusieurs reprises nous avons travaillé pour développer de nouveaux matériaux. Dans le cas des combinaisons, cela a pris la forme d’une collaboration avec Yulex, une entreprise spécialisée dans les biomatériaux d’origine agricole pour le médical, la grande consommation, l’industrie et les produits de bioénergie. Nous avons remplacé le traditionnel caoutchouc synthétique appelé néoprène, qui comme vous le savez est un matériau non-renouvelable dérivé du pétrole brut, par un caoutchouc issu des arbres à caoutchouc, cultivé avec soin dans des zones où ils maintiennent la biodiversité et un écosystème forestier sain. Patagonia ne souhaitant pas contribuer à la déforestation dans les zones tropicales, nous avons vérifié que le caoutchouc utilisé provenait de plantations certifiées par le Forest Stewardship Council (FSC). Ainsi, la production des combinaisons que nous développons avec Yulex réduit les émissions de gaz à effet de serre de 80% par rapport à des combinaisons classiques utilisant du néoprène.

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Comment expliquez-vous la croissance de la marque malgré sa position anti-matérialiste ? Les clients s’associent à nous. Ils achètent ces produits sans acheter plus que ce dont ils ont besoin. De plus en plus de consommateurs veulent adopter un comportement respectueux de la planète et réduire leur empreinte personnelle. Ils savent qu’acheter nos produits est un moyen d’agir et que nous leur disons la vérité car nous sommes entièrement transparents. Nous poursuivons notre développement sur le marché des équipements de plein air qui connaît lui une faible croissance, c’est ainsi que nous pouvons nous permettre de consacrer une partie de notre chiffre d’affaires à nos programmes. Plus nous réussissons, plus nous devenons des agents influents dans la protection de l’environnement. Nous agissons de plus en plus comme le ferait une ONG et les clients aiment cela, donc viennent vers nous. A présent survient un dilemme : alors que nous réussissons dans notre secteur, d’autres entreprises n’ayant pas les mêmes engagements ne réussissent pas aussi bien. Que va-t-il advenir de l’économie globale si Patagonia poursuit sa réussite tandis que d’autres entreprises ne connaissent pas le même succès et que la croissance mondiale commence à chuter ? Chez Patagonia, nous pensons que la croissance mondiale est la cause principale des dégradations environnementales. Et pour réduire l’impact et l’empreinte de l’humanité sur la planète, la solution est avant tout de s’attaquer à la cause. Nous avons le sentiment chez Patagonia que même si nous réunissons ensemble toutes les innovations durables, y compris les nôtres qui utilisent des matériaux plus respectueux de l’environnement, nous ne serons pas en mesure de neutraliser l’impact de la croissance démographique sur la sphère économique. La planète est incapable de régénérer ses propres ressources, et un être humain utilise plus de 1,5 fois ce que la planète peut lui donner annuellement. Cela étant dit, nous tirons la conclusion que la seule issue est de poursuivre notre engagement pour augmenter la durabilité de nos produits en innovant dans solutions qui en réduisent l’empreinte. En plus de cela, nous devons réduire la quantité de produits et de services que nous utilisons au niveau global. La consommation doit baisser et dans les faits, cette tendance est en train de se produire. Nos habitudes de consommation changent et nous sentons que nous avons un business model permettant de continuer dans cette dynamique. Nous restons optimistes pour notre entreprise bien que nous ne le soyons peut-être un peu moins sur le devenir de la planète si nous continuons à en abuser.

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A quoi ressemblera l’économie globale en 2050 ? Les entreprises et la civilisation actuelle vont commencer à décliner. La globalisation n’est définitivement pas un modèle viable. En ce moment même, les premières faiblesses de la globalisation commencent à se faire sentir à travers le monde. Vous pouvez tous le constater. La globalisation est menacée. La consommation est menacée. Ajouter des services à cette situation va donc être déterminant. Nous considérons Worn Wear comme un service pour nos clients. Nous allons également nous lancer dans la nourriture, produit pour lequel nous sommes le plus responsables en matière d’empreinte environnementale sur la planète. La nourriture offre ainsi le plus gros potentiel pour trouver des solutions pérennes. Nous nous diversifions progressivement vers la nourriture car nous sommes persuadés qu’avec notre business model, et en concentrant nos efforts sur la nourriture et les vêtements, nous pouvons offrir plus de solutions qu’avec n’importe quelle autre catégorie de produits.

Notre activité consiste à créer plus de solutions que de problèmes pour notre planète.

A présent, Patagonia passe de « ne pas causer de dommage inutile » (ou durabilité) à « faire le bien » (qui est régénératif). Qu’espérez-vous de cette nouvelle aventure ? L’une de nos récentes initiatives est Patagonia Provisions, à travers laquelle Patagonia crée un partenariat avec des pêcheurs membres de la First Nation en Colombie-Britannique afin d’offrir un saumon fumé du Pacifique et des produits séchés durables. Nous espérons être rentables, durables, et influents à l’égard d’autres entreprises cherchant à reproduire des pratiques similaires préservant et restaurant l’environnement. L’agriculture régénératrice est la chose la plus importante et enthousiasmante que nous examinions actuellement, notamment à travers nos produits alimentaires. C’est une promesse que nous nous sommes faits. Grâce à Patagonia Provisions, nous croyons que la nourriture peut et devrait être cultivée, récoltée et produite de telle manière à restaurer les terres, l’eau et la vie sauvage. Patagonia Provisions est une quête de solutions pour réparer la chaîne alimentaire. Comme je l’ai déjà dit, fabriquer nos vestes est nocif pour la planète. Il n’y a pas d’alternative à cela. Mais imaginez si la veste était faite de fibre naturelle – coton ou laine – qui aurait été cultivée par des animaux mis en pâturages par l’intermédiaire de protocoles régénératifs. Et ces protocoles seraient suffisamment bénéfiques au sol pour que la terre capte du carbone de l’atmosphère et le restitue au sol. Et bien à présent, votre veste fait partie de la solution au changement climatique. Lorsque vous achetez ce type de produit, vous achetez en réalité une petite portion de la solution au changement climatique. Dans les mois et les années à venir, nous offrirons une sélection de nourriture toujours plus importante répondant aux problématiques environnementales et continuerons à encourager le soutien aux producteurs locaux.

Depuis 1973, quels ont été vos plus grands défis en tant que marque pionnière de l’éthique écologique ? Nous avons constamment de nombreux défis. L’un des défis qui ne disparaîtra jamais et qui fait partie de nos engagements est fabriquer les meilleurs produits sans dommage inutile. L’Université de Californie à Berkeley a réalisé une étude sur l’impact réel de notre engagement et des produits chimiques que nous utilisons pour rendre nos vêtements déperlants. La chimie traditionnelle étant mauvaise pour l’environnement, nous avons développé de nouvelles formules moins nocives. Cependant, ces nouvelles formules chimiques réduisaient drastiquement la durée de vie de nos produits, à un ou deux ans tout au plus. Cela signifiait qu’il serait plus nocif pour l’environnement de remplacer la veste produite avec nos nouvelles formules tous les 2 ans, que de conserver la chimie initiale, causant tout de même davantage de dommages lors de la production. Nous étions confrontés à un problème éthique difficile. Nous nous sommes jurés de maintenir un engagement important : obtenir une meilleure solution chimique. C’est ce qui nous a poussé à investir dans Beyond Surface Technologies. Nous travaillons avec le plus de transparence possible, nous ne cachons rien. Cela a participé à créer un profond sentiment de confiance chez les consommateurs. Nous avons trouvé qu’être transparents n’était pas si compliqué et les gens ont apprécié notre honnêteté.

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C’est ce qui s’est produit avec l’ONG allemande pour la défense des animaux ? En effet, la sélection de nos duvets est un exemple parfait de cette transparence. Une ONG allemande de protection des animaux nous a avertis, qu’au terme de leurs recherches, ils avaient découvert que nous utilisions du duvet provenant de fermes d’élevages d’oies cendrées. Les oies cendrées en Hongrie sont élevées pour produire du foie gras, et sont donc gavées. « Vous aviez raison, mais nous ne le savions pas. Bien entendu nous méritons d’être critiqués. » a-t-on répondu. Nous avons donc lancé une campagne de lutte contre l’utilisation du duvet d’oies cendrées. Les marques utilisant des plumes et duvets dans la fabrication de leurs produits ont un impact sur le bienêtre des animaux, l’environnement et les communautés impliquées dans leur circuit de distribution. Par conséquent, nous avons voulu trouver une solution, en commençant par être totalement transparents sur nos efforts accomplis. Finalement, l’ONG s’est associée à nous et, en réalisant à quel point nous étions impliqués, a décidé de travailler avec nous pour développer et établir une norme et une certification d’approvisionnement du duvet et des plumes d’oies. Notre norme « Traceable Down » (Duvet Traçable) a été créée pour s’assurer que toutes les vérifications et certifications confiées à un tiers indépendant respectent la même méthodologie. Une fois que vous êtes totalement transparent avec quelqu’un qui vous critique au départ, vous pouvez collaborer et déboucher sur une solution. Au lieu de causer plus de dommages, vous faites davantage de bien. Quels seraient les conseils que vous donneriez aux entrepreneurs ayant le désir de créer une entreprise à succès ? Il y a deux choses : être engagé dans une démarche de transparence totale, cela impliquant d’être prêt à dire la vérité à vos clients, et d’être engagé à réduire votre impact, sachant que celui-ci ne disparaitra jamais totalement. Ensuite je conseillerais à tout jeune entrepreneur à la tête d’une start-up de penser à un business model qui révolutionnera la tendance sur le long terme, et dont l’humanité a besoin dès maintenant. Enfin, avoir un business model et des produits respectueux de l’environnement, aussi respectueux que possible.

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Rick Ridgeway

Yvon Chouinard commencé à s’appuyer sur le succès de l’entreprise pour soutenir le mouvement environnemental.

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> Yvon Chouinard, Californie, 1972 > Doug Tompkins, Rick Ridgeway & Yvon Chouinard

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Je sais que ça parait fou mais à chaque fois que j’ai pris une dé-

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YVON CHOUINARD /

j’ai pris une décision en faveur de l’environnement, j’ai gagné de l’argent. 47 Patagonia

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avec Léa Brassy

Mon esprit a besoin d’espace, besoin de prendre son temps, besoin d’un contact rapproché avec la nature. Léa Brassy surfe sa première vague à l’âge de 11 ans sur les plages de Normandie. A 14, elle entre en école de surf, deux ans plus tard, elle expérimente déjà une approche de vie auto-suffisante en faisant pousser ses propres légumes biologiques. Après des études d’agriculture aux Antilles, elle travaille en tant qu’infirmière dès l’âge de 22 ans. S’en suivent des voyages en solo en Nouvelle-Zélande, des sessions de surf mémorables dans les eaux glaciales du nord de la Norvège, des voyages en van dans les îles Lofoten, et une traversée de l’Atlantique, de la France jusqu’au Groenland. Léa partage aujourd’hui sa vie entre l’habitat étroit de son voilier en Polynésie Française, les paysages gelés de l’Islande et les plages à perte de vue du sud-ouest de la France. Nous sommes allés à la rencontre de cette environnementaliste passionnée afin d’évoquer sa quête de liberté et l’importance de représenter une marque construite autour d’une démarche environnementale et des valeurs qu’elle partage.

> Léa Brassy, Polynésie Française

Interview et texte : Elisa Routa Photos : Vincent Colliard

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Modern minds Tu vis aujourd’hui sur un voilier à Tahiti. Parle-nous de ton penchant pour les destinations plus froides, isolées voire hostiles ? J’essaie de faire un trip en eaux froides tous les hivers. Je suis retournée en Norvège au mois de mars 2016. Ce sont des moments assez uniques, bien que je n’y vivrais pas à l’année. C’est une petite parenthèse très plaisante, surtout en hiver. J’ai besoin de cet isolement des plages bondées. Même si tu as internet, des accès en voiture ou en avion, je m’aperçois que c’est devenu ma norme d’être dans des endroits un peu plus calmes, un peu plus isolés. Il y a moins d’offres, moins d’activités. Quand je viens en Californie, c’est dur. Ce n’est ni naturel, ni très confortable. C’est un peu pareil au pays-Basque. C’est plus facile de sortir de chez soi, d’aller d’un point A à un point B, de revenir puis de se connecter sur internet et travailler. Mais, pour être vraiment à l’aise, mon esprit a besoin d’espace, besoin de prendre son temps, besoin d’un contact rapproché avec la nature. C’est comme ça que j’arrive à être créative, sinon je reste en surface des choses.

Ça a commencé à faire germer la graine dans ma tête qu’on pouvait faire du business correctement.

Tu es actuellement en tournée en Californie pour la promotion de ton dernier film intitulé « Being There » : Une odyssée en surf et en ski à travers l’Islande avec ton compagnon Vincent Colliard, également amoureux des grands espaces. L’idée était d’allier vos deux univers ? L’avantage qu’on a, c’est d’avoir la même passion, qu’est l’aventure. Quand je pars toute seule en Nouvelle-Zélande, lui, il va faire l’Himalaya. On a cette fibre en commun. Que ça s’applique dans le froid, ou n’importe où, c’est pareil. J’ai juste envie qu’on puisse continuer à faire ça et qu’on arrive à trouver notre équilibre. Avec les années, on fait de plus en plus attention à ce que chacun ait du temps pour construire ses aventures. On sait à quel point cela est précieux. On essaie d’avoir du temps pour les vivre et être plutôt encourageants. Des freins dans la vie de tous les jours, il y en a beaucoup. Les soutiens inconditionnels, il n’y en a pas tant que ça. Donc, on essaie de l’être l’un pour l’autre. Puis, il y a un moment dans l’année où c’est important pour nous de faire une aventure ensemble. « Being There », c’est votre aventure annuelle ensemble ? Oui, « Being There » c’était la suite de la raison pour laquelle on s’est rencontrés. Vincent m’avait contactée pour faire un trip dans le froid où on allierait alpinisme et surf. On a longtemps rêvé de partir en autonomie à ski et chercher des vagues. On a mis quelques années à le faire, mais « Being There » est l’aboutissement de ce projet là. Ce qui m’importait beaucoup dans le fait de présenter « Being There », c’était de promouvoir un message sain et positif pour d’autres couples. J’ai vu plein de couples se déchirer autour de moi : le mec qui va surfer, la fille qui surfe pas. Je vois ça partout. J’avais envie de montrer qu’il y a aussi des couples qui se reconnaissent là-dedans, qui partagent vraiment des passions. Le sujet était intéressant parce que dans le surf, ce n’était pas souvent traité sous cet angle là.

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Quel a été le moment clé, l’instant charnière perfectionnistes. Tout n’est pas parfait n’avais pas de lien avec ce milieu là. de ta vie ? mais il y a cette volonté de faire bien, Donc ça m’a ouvert les yeux sur le fait Il y en a eu plein. Je suis partie sur de faire mieux pour les gens, et mieux qu’en consommant, on pouvait aussi la route parce que j’avais besoin pour l’environnement. Je suis fière de avoir un impact positif. En regardant d’exemples, besoin de rencontrer des ça. J’aurais eu du mal à continuer à comment les business travaillaient, on gens qui vivaient un peu autrement, travailler avec une marque qui n’aurait pouvait choisir plutôt de consommer pour me faire ma propre idée de ce que pas eu cette volonté. Je m’en serais chez l’un ou chez l’autre. On avait un je voulais que ma vie soit. Puis, je n’ai désintéressée. Avec Patagonia, je trouve réel impact. jamais trop arrêté. Je suis partie hyper un écho à ce que je fais. C’est comme jeune, j’avais un instinct de vie qui était si j’appartenais à un même courant de Selon toi, la force de Patagonia réside t-elle différent de ce que j’avais à la maison. pensée et d’action, une appartenance en partie dans leur stratégie marketing ? Pour moi, c’était un impératif, presque communautaire qui réunit des Là où Patagonia est très fort, c’est instinctif. Quand j’étais en Nouvelle- personnes passionnées par une vie plus qu’ils ont un marketing magnifique Zélande, j’ai rencontré un homme qui simple, plus épurée, où on s’allège des qui touche les gens. Ils vont réussir aurait pu avoir l’âge de mon père. Je trucs inutiles. J’aime le fait de penser à tourner l’idée la plus simple en un venais d’arriver dans cette ville et je l’ai que le bonheur, plutôt que de venir de merveilleux projet. C’est ça que je rencontré 3 fois dans la même journée. la simplicité, vient de la sobriété. J’aime trouve magique, c’est qu’ils sont forts Il me dit « Viens, j’habite en face ». Il n’y ce terme. Le fait de travailler avec à marketer des choses ultra simples. avait que des grosses maisons sur une Patagonia me réconcilie, d’une manière Si l’idée est belle et logique, ça parle plage à côté d’une petite ville, un truc moderne, avec la manière qu’avaient normalement à tout le monde, du résidentiel un peu bourgeois. Il avait mes grands-parents de travailler. Je me moins à tous les gens qui ne sont pas une toute petite maison bleu marine. rends compte qu’avant, tu ne faisais trop déconnectés. A partir du moment C’était la seule qui avait encore de que récupérer, réparer et réutiliser. où on est trop tombé dans le système l’herbe. Tu sentais le hippie résistant Quelque part, c’est unique de consommation, là ça Tout ce devient plus compliqué qui avait réussi à garder sa vie. Il me pour un business moderne dit « Viens voir ma fille, elle apprend le de procéder encore à quoi je de réfléchir. Quand tu as français. » Je me suis dis ‘C’est quoi ce comme ça. On a perdu prends plusieurs générations qui traquenard’. Je me suis retrouvée avec cette logique et ce sont des été habituées à tout part chez ont cette fille passionnante qui avait 3-4 initiatives, comme celles acheter, à ce que tout soit Patagonia, monnayable et jetable, là ça ans de plus que moi. On est devenues de Patagonia, qui sont en hyper copines et très proches avec son train de les remettre au ça a du sens. devient compliqué. père. Il a une manière très décalée de goût du jour. voir les choses. Il me remuait, il devait Tu as participé au développement des toutes voir que je me cherchais un peu. Il Patagonia a su te réconcilier avec le business dernières combinaisons sans néoprène créées n’arrêtait pas de me poser des questions et le monde des affaires ? par Patagonia. Tu es partie tester les combis existentielles, du style « Pourquoi j’étais Je ne croyais pas du tout au business. en Islande. Comment se conceptualise et se là, seule dans mon van que j’avais Pour moi, dans le business, ils étaient concrétise une telle innovation ? entièrement fabriqué toute seule ? » Il tous mauvais. A l’époque, on était en A partir du moment où Patagonia s’est a fait resurgir des choses en moi et m’a Norvège avec Vincent, il faisait son engagé dans les combinaisons de surf, fait formuler les rêves que j’avais étant mémoire sur Patagonia. Il était en ils savaient que les combis étaient faites, gamine. C’étaient des choses que je ne école de commerce et m’avait donné le en grande partie, à base de pétrole. pouvais plus trop ignorer. bouquin “Let My People Go Surfing” Ils savaient que ce n’était pas quelque d’Yvon Chouinard. Le livre était tout chose de propre et qu’il fallait trouver En tant qu’ambassadrice pour Patagonia, découpé parce qu’il avait besoin des des solutions. Ils ont donc commencé à c’est important de pouvoir représenter photos pour les mettre dans son faire de la recherche et développement une marque qui correspond à ta démarche dossier de fin d’études. Alors je lisais sur le néoprène. Dans le néoprène, la citoyenne et philosophie de vie? entre les trous. Ça a commencé à faire plus grande composante est la mousse C’est plus qu’important. C’est un truc germer la graine dans ma tête qu’on isolante, qui correspond à environ qui me prend aux tripes quand j’y pouvait faire du business correctement. 80%. En se focalisant là-dessus, on pense. Pour moi, travailler avec eux, Je ne viens pas du tout du milieu du savait déjà que la plus grosse part du ça a vraiment du sens. Tout ce à quoi business. Mes grands-parents étaient travail serait achevée. Il a fallu 8 ans je prends part chez Patagonia a du agriculteurs et mes parents étaient de R&D avant de se rendre compte sens. Souvent, il y a même des détails, techniciens dans l’électronique. Ils ne qu’ils pouvaient créer du néoprène à je n’en reviens pas qu’ils soient autant faisaient pas partie des ‘décideurs’. Je partir d’une base végétale. Donc ils

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ont fait plein d’essais avec différents 1/2 litre de caoutchouc naturel pour Tu connais bien Yvon Chouinard, fondateur matériaux, et il y a 4 ans, ils ont sorti fabriquer une combinaison, et un arbre de Patagonia. Comment décrirais-tu ce la première combinaison aux Etats- en produit 1 litre par jour et ce, tout au personnage mythique ? Unis à base d’une plante qui s’appelle long de l’année car ils sont plantés Pour moi, c’est quelqu’un de profondéle Guayulé, une plante qui pousse dans au Guatemala où la température ne ment passionné et profondément hule désert, sans eau, ni additifs. C’est change pas. Du coup, il n’y avait plus main. C’est un pionnier, quelqu’un qui hyper clean, en revanche, les capacités aucune raison de continuer à produire est là pour accomplir quelque chose de de production étaient limités et le des combinaisons à base de néoprène nouveau. Il était là pour inspirer des processus de fabrication demandait traditionnel puisqu’on pouvait tout personnes, je crois qu’il a trouvé son chemin. C’est à la fois un rebelle philobeaucoup d’énergie, donc beaucoup fournir et ce, à moindre coût. sophe et un homme d’affaires. Il est à la de temps et de main d’œuvre. Ça avait un coût environnemental et financier Patagonia a donc ensuite pris la décision tête d’un énorme business et il a aussi très important. Ils les ont quand même d’arrêter entièrement toute sa gamme inspiré de nombreuses personnes. Il sait à la fois être les deux. Il a su lier sorties mais elles étaient vraiment traditionnelle ? chères. A un moment, ils n’avaient Oui, c’est ce qu’ils ont toujours fait deux mondes qu’on n’a pas l’habitude plus assez de gomme de Guayulé pour tous les autres produits quand de voir lier maintenant, tout simplepour faire leurs combinaisons, donc ils trouvaient une meilleure solution ment. Ce ne sont pas deux mondes ils ont cherché temporairement un pour l’environnement. C’est la base de antagonistes, c’est juste que le pouvoir autre matériau végétal. Ils l’ont fait Patagonia, anciennement Chouinard et l’argent ont tendance à changer les en partenariat avec une entreprise Equipment. Yvon Chouinard a gens, et lui, il n’a pas changé. Je le vois qui s’appelle Yulex, dont le but est commencé en forgeant des pitons comme ça. C’est quelqu’un de droit, de fabriquer du néoprène végétal. à l’arrière de son vieux break. Ils qui va à l’essentiel, qui se moque un Yulex avait besoin d’un partenaire vendaient ça aux surfeurs, qui étaient peu des courants. Il aime changer les financier, Patagonia s’est engagé et aussi souvent des grimpeurs. Un jour, il courants, quand il estime nécessaire de réciproquement. Yulex a eu besoin va sur El Capitan à Yosemite, et il se rend les chambouler. de s’approvisionner temporairement compte que les routes sont modifiées ailleurs, ils ont donc proposé l’Hévéa, à force de grimper avec des pitons. connu dans la fabrication des pneus ou Les espacements dans les fissures des gants chirurgicaux en latex. Mais sont augmentés par le martèlement Patagonia a refusé car l’Hévéa est connu des pitons. Il se dit alors qu’il faut > pour être une source de déforestation, absolument trouver autre chose, qu’ils Sortie de et ils ne voulaient pas qu’il y ait sont en train d’abîmer la nature et leur l’eau après d’amalgame. Malheureusement à terrain de jeu. Il a mis au point ce qu’on une session gelée au sud cette époque, il n’existait aucun moyen appelle des coinceurs. Il a monté The de l’Islande, pour s’assurer que les Hévéas utilisés Nose, à El Capitan, une route hyper 2014 n’étaient pas plantés sur des forêts qui difficile au Yosemite. Quand il a vu que venaient d’être déforestées. Du coup, c’était faisable et en toute sécurité, il a ils n’ont jamais voulu s’associer à cette arrêté de produire des pitons. Il s’est pratique là et utiliser de l’Hévéa. Mais coupé les vivres du jour au lendemain. >> La Mascot’, mini il y a peu de temps, une entreprise a A la place, il a créé son business sur camping-car développé une certification du nom ça. Il est parti faire son ascension insolite sur le de FSC (Forest Stewardship Council), sur coinceurs, une des plus dures du spot d’Unstad aux Lofoten, certification indépendante qui garantit Yosemite pour mettre tout le monde par une nuit de une exploitation écologiquement d’accord. Et là, ils ont commencé à pleine lune et socialement responsables. Cela a vendre des coinceurs. C’est de là qu’est permis à Patagonia et Yulex d’utiliser née l’idée du catalogue Patagonia, sereinement l’Hévéa et de faire baisser révolutionnaire dans le monde de significativement le coût de production l’escalade. Ils faisaient l’apologie des combinaisons. Utiliser l’Hévéa du ‘grimper proprement’ (“clean permet à Patagonia de répondre à la climbing”). Un de leurs engagements production de l’ensemble de sa gamme a toujours été : « Toujours choisir la de combinaisons mais aussi celle de solution durable avec un moindre coût l’industrie du surf en général. Il faut pour l’environnement ».

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J’aime le fait de penser que le bonheur, plutôt que de venir de la simplicité, vient de la sobriété.

Léa dans une vallée reculée du Nord de l’Islande, 2014

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LĂŠa Brassy

< Spot populaire et consistant du sud de l’Islande, 2014

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Mihela Hladin Patagonia Environmental & Social Initiatives Manager

Nous avons commencé à faire un don de 1% de nos ventes aux organisations environnementales en 1985. En tant qu’entreprise exploitant les ressources et générant des déchets, nous reconnaissons notre impact sur l’environnement et nous nous sentons redevables de donner en retour. Ce n’est pas un organisme de bienfaisance ou de la philanthropie traditionnelle, cela fait partie des charges imputées à notre activité. Nous l’appelons la « Earth Tax ». Aujourd’hui, ce sont plus de 800 organisations à travers la planète que nous soutenons chaque année, avec plus de 77 millions de dollars versés jusqu’à présent. 1% for the Planet met autour d’une même table les acteurs pour répondre aux problématiques les plus urgentes auxquelles notre planète fait face. 1% for the Planet se concentre sur les thèmes suivants : le changement climatique, la nourriture, la terre, l’eau, la vie sauvage et la pollution. A ce jour, les entreprises ont donné plus de 100 millions de dollars via la plateforme 1%. Plus de 1 200 entreprises affichent le logo 1% auprès de millions de consommateurs de produits et de services.

L’initiative 1% for the Planet, ce sont 1 200 entreprises membres à travers 48 pays, reversant 1% de leurs ventes à plus de 3 300 associations à but non lucratif. 2016 : Patagonia s’engage à reverser 100% de ses ventes globales du Black Friday aux organisations environnementales et atteint un record de 10 M$.

L’un des événements importants que nous avons organisés aux Etats-Unis, au Japon et en Europe, est la Tools for Grassroots Activists Conference, qui rassemble des organisations environnementales afin de présenter les nouveaux instruments permettant d’accroître leurs impacts. L’idée a émergé il y a 20 ans. Aujourd’hui, nous organisons régulièrement la conférence Tools for Grassroots afin de soutenir et agrandir la communauté autour des ONG environnementales. Nous avons récemment publié un livre Tools for Grassroots en prolongement de la conférence. Nous avons lancé notre campagne New Localism l’année dernière dans laquelle nous rassemblons les communautés sportives et environnementales autour de l’objectif principal de protéger les habitats que nous aimons et au sein desquels nous évoluons. Depuis le lancement, nous avons parcouru le monde avec nos ambassadeurs, obtenant des soutiens environnementaux aux enjeux suivants : la protection de Punta De Lobos au Chili, la réhabilitation du saumon dans le Snake River aux Etats-Unis, la protection de la région de Bears Ears, la lutte pour que la vallée de Jumbo reste sauvage en Colombie-Britannique (Jumbo Wild) ou Mile for Mile pour l’effort mené dans la préservation du parc de Patagonia au Chili. Nous avons tous une opportunité de faire la différence et nous donnons les moyens aux populations à travers le monde de prendre position.

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Mihela Hladin

< Plage de Unstad, ĂŽles Lofoten, Mars 2016

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avec Jason Fried

Les vrais problèmes dans le monde du travail aujourd’hui sont ce que j’aime appeler les M&Ms : les Managers et les Meetings. Jason Fried est le co-fondateur de Basecamp (initialement 37signals), une entreprise située à Chicago qu’il a lancée en 1999 avec Ernest Kim et Carlos Segura. Depuis ses débuts, la société de web design est passée d’une activité de conseil à celui de développeur d’applications web. Basecamp était la première application commerciale de 37signals, lancée en 2004 avec son partenaire David Heinemeier Hansson. « C’est notre philosophie : construire ce que nous aimons, et d’autres personnes aimeront également. »

Texte : Elisa Routa Photos : Michael Berger Sources : Ted, 99u, Signalvnoise, Bigthink

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Facebook et Twitter sont juste les pauses cigarettes des temps modernes.

Connu pour sa présentation légendaire intitulée « Why work doesn’t happen at work », l’intervenant TED Jason Fried est également co-auteur de plusieurs livres, dont le best-seller publié en 2010 « Rework » plébiscité par le New York Times, et « Remote : Office Not Required » lancé en 2013, vantant les bénéfices du travail à distance. « Ce qu’une entreprise, une association bénévole ou une organisation de tout type fait généralement est qu’elle décide que tous ses employés doivent venir au bureau chaque jour », explique Fried. « Ces entreprises construisent des bureaux. Elles achètent un bâtiment, elles le louent, ou elles louent des espaces et remplissent ces espaces avec des affaires. Elles les remplissent avec des tables ou des bureaux, des chaises, des équipements informatiques, des logiciels, un accès internet, peut-être même un réfrigérateur. Et elles attendent de leurs employés ou de leurs bénévoles qu’ils viennent à cet endroit chaque jour pour effectuer du bon travail. Cela semble tout à fait raisonnable d’attendre cela de ses employés, » ajoute l’auteur de best-seller avant de conclure : « Les entreprises sont en train de dépenser tout cet argent dans un endroit appelé « le bureau », or les gens ne travaillent pas au bureau. »

D’après Fried, à cause des réunions, des interruptions et toutes formes de distraction, les gens préfèrent travailler depuis leur domicile, dans un avion, un train, tard la nuit, tôt le matin ou les weekends. Les gens n’ont qu’un court délai pour accomplir une tâche. « Dormir et travailler sont des évènements qui reposent sur des étapes. Le sommeil se divise en phases de sommeil. Il en existe cinq. Si vous êtes interrompus au cours de l’une d’elles, vous devrez recommencer. Comment pouvons-nous sincèrement attendre de ces personnes qu’elles fassent le travail qui leur est assigné si elles sont constamment interrompues ? Au bureau, la plupart des distractions sont involontaires. Aujourd’hui, Facebook et Twitter ne sont pas des interruptions. Ce sont uniquement les pauses cigarettes des temps modernes. Ce ne sont pas les réels problèmes dans les bureaux. » Les vrais problèmes dans le monde du travail aujourd’hui est ce que Fried aime appeler les M&Ms : les Managers et les Meetings. « Les managers sont des personnes dont le travail consiste à interrompre le vôtre. Ils vous interrompent constamment au mauvais moment. Et les meetings sont tout bonnement destructeurs, terribles, c’est un empoisonnement quotidien du travail. »

Fried a décidé de monter une entreprise à distance composée d’environ 50 employés répartis sur 30 villes à travers le monde. « Bien qu’essentiellement basés sur l’ensemble du continent américain, nous avons également des personnes au Canada, au RoyaumeUni, en Espagne, en Allemagne, à Hong-Kong et en Australie. Changez de ville, gardez votre emploi. » Selon Jason Fried, travailler à distance pourrait non seulement accroître la productivité, le rendement, la créativité, l’autonomie, la concentration mais également l’innovation. Adopter le travail à distance permettrait aux plus talentueux de fournir le meilleur, indépendamment de leur emplacement. « Nous encourageons les personnes à travailler depuis n’importe où dans le monde. Deux fois par an – une fois au printemps et une autre en automne – nous faisons venir l’ensemble du personnel de l’entreprise pour une réunion au complet à notre siège social à Chicago. Les rencontres durent une semaine complète, du lundi au vendredi. » En tant que directeur général de Basecamp, Jason Fried partage son plan pour changer nos habitudes de travail et est en constante réflexion sur les moyens d’améliorer la vie de ses employés. « Nous considérons notre entreprise comme étant un produit à part entière. Lorsque vous commencez à penser votre entreprise comme un produit, vous pouvez commencer à l’améliorer de multiples manières. » Basecamp offre non seulement trois semaines de congés payés et quelques jours de repos supplémentaires, mais elle organise aussi des activités en dehors du travail afin d’encourager la créativité.

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Modern minds En condamnant la culture et les modes de fonctionnement de l’entreprise traditionnelle « sous un seul toit », Jason Fried ne croit ni aux semaines de 40 heures ni au fait de rester confiné à un seul et même endroit pendant un certain nombre d’heures. « Je n’ai aucune idée du nombre d’heures durant lesquelles mes employés travaillent. Je sais simplement qu’ils font leur travail, » écrit Jason Fried dans son éditorial Inc’s Get Real, citant également que les personnes créatives ont besoin de s’affranchir des contraintes temporelles pour accomplir une tâche. « Je déteste lorsque les entreprises traitent leurs employés comme des enfants. Ils bloquent Facebook ou Youtube parce qu’ils veulent que leurs employés travaillent huit heures par jour. Mais au lieu d’obtenir une plus forte productivité, vous générez de la frustration. Quel est le but ? Tant que le travail est fait, je me fiche de ce que font les gens de leur journée ».

L’entrepreneur Jason Fried croit en la valeur réelle et la beauté des fondamentaux. Ainsi a-t-il décidé de faire confiance à ses employés en appliquant une vision moderne de l’environnement de travail et de ce qu’une entreprise peut offrir à ses employés. Les salariés de Basecamp bénéficient par exemple d’un contrôle annuel des salaires dans l’industrie pour s’assurer d’être rémunéré dans les 5% des salaires les plus élevés, la semaine de travail réduite à 4 jours entre mai et août, $100/mois pour la pratique d’un sport, $100/mois pour des massages, un mois sabbatique tous les 3 ans, des congés parentaux payés, ou encore une assurance santé et dentaire, parmi tant d’autres avantages. Parce que les amis et la famille sont importants, Fried veut également contribuer à restaurer un équilibre entre le travail et la vie personnelle. « Nous ne voulons pas d’employés travaillant plus de 40 heures par semaine de manière soutenue (nous avons même introduit une fonction « Le travail peut attendre » dans Basecamp 3 qui coupe les notifications Basecamp après les heures de travail et durant les weekends). Au cours d’une crise ou dans de très rares occasions de mise en production, nous pouvons exiger de nos employés de faire des heures supplémentaires sur du court terme, autrement nous incitons à un maximum de 40 heures par semaine et à 8 heures de sommeil par nuit. » Fried a également tendance à réinventer et renouveler son agence régulièrement. « J’essaye de le faire tous les deux ou trois ans au moins. Je veux que mes employés tombent follement amoureux de quelque chose. Cette industrie est peuplée d’esprits créatifs mais l’industrie en tant que telle ne l’est pas vraiment. » D’après Fried, la manière de fonctionner dans ce secteur a été la même pendant un long moment. « Le principal danger est la complaisance, et le succès engendre la complaisance. L’appétit bat la complaisance à presque tous les coups.

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Basecamp Nous devons veiller à ne pas être trop complaisants. Tant que nous en sommes conscients, je pense que ça ira. » Pour éviter l’excès de confiance, Jason Fried a adopté une méthode reconnue : « Ce que j’appelle la Creative Destruction est cette idée de trouver quelque chose que vous avez accompli, dont vous dépendez, quelque chose avec laquelle vous êtes très à l’aise, et décider simplement de dire : ‘Non, je ne peux plus le faire de cette manière, ça n’a plus de sens’. Je pense qu’il est fondamental de réaliser cette partie du processus parce que la chose la plus simple à faire est confortable et complaisante. A mesure que votre carrière évolue et que votre activité progresse, que vous soyez indépendant ou entrepreneur, vous allez vous retrouver dans cette situation à vouloir protéger ce que vous faites ou ce que vous avez fait au lieu de le détruire. Plus vous protégez, plus vous devenez rigide et plus il devient difficile de faire quoi que ce soit de réel. Complaisance et confort sont des capsules de poison pour les esprits créatifs. »

Au sein de Basecamp, Jason Fried a essayé de mettre en place un nouveau rythme de travail. Tandis que l’industrie du web design a tendance à présenter les projets finalisés avec un design entièrement revisité, en 2015 Fried a décidé de commencer à fonctionner par micro projets d’une semaine. « Je n’aime pas les projets à long-terme. Ils sont coûteux et prennent un temps fou. C’est trop compliqué. La raison pour laquelle les longs projets ne sont généralement pas fun pour vous et principalement pour les clients, est que dès le début de ce long processus, vous souffrez d’anxiété. Les gens payent La complaides sommes très importantes et ils ne savent pas combien de temps cela va sance et le prendre ou ce qu’ils vont obtenir. » Ce que Basecamp a décidé de faire est confort sont d’éliminer chaque incertitude et risque liés aux projets d’envergure. « La des pilules première chose que nous avons faite a été de dire : nous n’allons plus prendre en charge les grands projets, nous allons faire des micro projets. Chaque empoisonprojet que nous réaliserons prendra tout au plus une semaine. Nous avons nées pour décidé de ne pas faire de cycle complet de refonte du design. Nous allons les esprits réaliser une page à la fois et faire payer $2,500 par page. Nous supprimerons créatifs. également les retours insupportables des clients. Nous livrerons simplement le travail le vendredi et rien de plus. S’ils veulent une nouvelle révision, ils pourront acheter une autre page. C’était une opportunité pour nous de montrer que nous étions bons, une opportunité d’être à l’aise avec le client, et une opportunité pour le client de maîtriser le processus. Et c’était l’opportunité pour eux de penser aussi à la valeur du travail que nous fournissions. »

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Modern minds

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Basecamp

Des espaces de travail modernes, des horaires plus souples, des travailleurs à distance, moins de contraintes, plus de liberté et de respect. Fried s’interroge sur la manière dont le travail évolue en pratique aujourd’hui, proposant une théorie radicale du travail. « Quand il y a un changement forcé dans la manière dont vous travaillez, vous voyez les choses sous un angle neuf » ditil. « Vous aborderez le travail d’une manière un peu différente et vous aurez alors la chance d’initier ce changement. »

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Active Community

The Sea Kin par Lauren L. Hill LuftgekĂźhlt avec Patrick Long

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66 The Sea kin Camaraderie, Communauté, Environnement, Féminisme et Diversité

Texte : Olivier Hamelin Photos : Ming Nomchong / Archipel des Tonga

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« The women are very dexterous at this sport; and Iddeah, the queen-mother, is considered the most expert in the whole island. » écrivait le missionnaire anglais John Williams au sujet des surfeuses Tahitiennes. Plus de deux siècles plus tard, la place de la femme dans le milieu du surf reste toujours controversée, parfois bafouée à grands coups de stéréotypes archaïques. On a souhaité s’entretenir avec Lauren L. Hill, l’une des surfeuses les plus engagées de notre génération en terme de problématiques environnementales et sociales. A travers son initiative The Sea Kin, Lauren a su réunir autour d’elle une véritable communauté de surfeurs créatifs épris de changements. Décrite par la fondatrice comme une plateforme permettant de partager non seulement des idées, des histoires mais également toute une imagerie liée au surf, The Sea Kin se veut être le relais d’une culture surf plus riche, plus globale, et véritablement plus inclusive. On a envoyé notre contributeur Olivier Hamelin à sa rencontre afin d’évoquer avec elle la représentation de la femme dans l’industrie du surf, le respect et la célébration des diversités, ainsi que la dépolarisation du genre, sur fond de cause environnementale. Partout, il y avait des corps. Seuls. Uniques et seuls. Peut-être plus seuls, encore, sous cette pluie insidieuse qui infiltrait les peaux, qu’ils ne l’avaient jamais été à mes yeux. Paris se dépêchait de vivre et ils s’entrechoquaient sans se voir, ces corps trop

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pressés. Ils se toisaient sans même se sentir vraiment, trop inquiets de voir déjà venir une nouvelle nuit, trop perdus dans l’animalité de leur chair. Pas d’interactions. Pas de sollicitude. Pas le temps. Oui, là, partout, des corps pleins d’une vie trop mal remplie côtoyaient d’autres allègrement décharnés, allongés sur le trottoir, vautrés dans l’urine et la déchéance, tandis que d’autres encore – corps nus et hypersexualisés, emblèmes d’une perfection qu’il nous fallait désirer — se pavanaient, placardés comme des emblèmes sur les murs publicitaires de la ville. Partout ce contraste déconcertant et presque écoeurant. Usé, je fuyais Paris, souvent, pour les côtes sauvages de l’Atlantique. Je me disais que tout était si simple, làbas, au bord de l’océan, réfugié dans le roulis plaintif des vagues lancinantes qui frappaient les plages et me faisaient tout oublier. Là-bas, je m’emmitouflais dans l’exutoire qu’était pour moi le surf, ce sport érigé en culture où tout semblait plus facile et plus beau, avec ses clichés et ses réalités. Je l’aimais pour tout ce qu’il représentait de liberté, d’abnégation et de dépassement de soi. Oui, j’ai souvent quitté Paris pour vivre au bord de l’Atlantique, et pourtant, toujours, je suis revenu à la ville. Allez savoir pourquoi. Partout, là, je regardais ces corps se bousculer sur les trottoirs

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Playground

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The Sea Kin parisiens, ces filles se faire alpaguer vulgairement, ces mendiants ne récolter qu’ignorance et mépris, et puis je me disais qu’il était trop facile de faire des constats, de se plaindre. Je me disais que peut-être, à présent, il était temps d’agir. Prendre conscience des dysfonctionnements et agir. Pourtant, personne ne bouge. Moi le premier. Le sentiment d’impuissance et de vide est incroyable alors. Il saisit tout votre corps et vous paralyse, parfois. Et puis, comme un signe, le téléphone qui sonne à nouveau, mais cette fois c’est Swenson Magazine qui me demande d’interviewer Lauren L. Hill, surfeuse professionnelle, activiste, environnementaliste et féministe, qui se bat depuis quelques années pour rassembler autour d’elle et de son projet The Sea Kin, une communauté de surfeurs et de surfeuses prêts à re-fonder le vivre ensemble. Un sourire. Ce téléphone qui sonne: une touche d’espoir providentielle, en somme. Vu l’état d’esprit médiocre dans lequel j’étais, je me réjouissais de discuter avec cette jeune surfeuse américaine aux multiples compétences. Tant de choses à défendre, tant de mots et si peu de place sur le papier. J’écrivis à Lauren Hill, plein d’un entrain nouveau. Il me faut d’abord vous donner à l’imaginer dans sa jungle, là-bas au Sri Lanka, pour le tournage d’un film, réfugiée en boule devant son ordinateur, entre deux épopées sauvages. Dès les premiers mots de notre échange, elle m’offrit un peu de matière :

« Flotter sur l’Océan Indien bien avant que le soleil ne se soit levé, puis voir la moindre progression du grand lever de soleil se frayer un chemin par-dessus l’horizon, jusqu’à refléter des teintes de crépuscule tout autour de moi. Les couleurs de toutes choses – le lever du soleil, les vagues – sont vraiment uniques et propres à cette île. Et puis le surf, la nourriture, la vie sauvage et les communautés incroyablement résistantes : c’est un pays magnifique qui a tant à nous apprendre. »

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Pour ce qui était du dépaysement, j’avais mis un pied à l’étrier. J’entrais ensuite dans le vif du sujet : Lauren, son histoire et ce projet de communauté, The Sea Kin. Retour en arrière. Pour Lauren, tout commence sur une île au large de la Floride. Elle grandit baignée par l’océan et la pratique du surf, et se passionne très vite pour cet univers qui, en plus d’être un sport, est un langage, une culture à part entière. Seulement voilà, elle ne se reconnaît pas dans cet univers très masculin, et décèle très rapidement les enjeux majeurs et les problèmes sociétaux qui se cachent dans cette communauté. Elle décide donc d’en faire un sujet d’étude.

« J’ai surfé en compétition pendant six ou sept ans. J’ai gagné le titre de championne de longboard aux USA au début des années 2000, puis j’ai arrêté la compétition pour aller à l’université. J’avais aussi atteint un point où je ne prenais plus vraiment plaisir à faire de la compétition. Tandis que j’effectuais un master en sciences sociales et environnementales, j’ai commencé à écrire une thèse sur les connexions entre le surf, l’environnement et les problèmes liés au genre. Lorsque j’ai été diplômée, j’ai coupé mes cheveux pour m’adapter au milieu professionnel et je me sentais vraiment prête à travailler pour une ONG environnementale, que ce soit à Washington D.C. ou à New-York. Mais grâce à la crise financière, je ne suis pas parvenue à trouver un boulot, ce qui finalement s’est avéré être la meilleure chose qui pouvait m’arriver. » La meilleure chose pour elle comme pour nous, tant nous manquons cruellement de gens ancrés dans le réel, de gens qui portent des causes au jour le jour, à bout de bras. La vie de Lauren Hill prend donc un tout autre tournant. Elle qui, très jeune grâce au sport, a nourri un goût prononcé pour l’engagement et la

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Playground combativité, décide d’utiliser cette force volontaire pour défendre au plus près du réel les thèmes développés dans sa thèse. Elle parvient à vivre de sa pratique libre du surf en multipliant les projets avec les marques. Et puis, surtout, elle se fait activiste, et rassemble autour d’elle une communauté qui prend fait et cause pour l’environnement, mais aussi pour la place des femmes dans la société. Egalité des sexes et respect de l’environnement : le rapprochement des deux thématiques peut paraître hasardeux de prime abord, pourtant ce sont deux sujets majeurs qui permettent, dit-on, de juger de l’avancée d’une société. Au-delà de ça, je finis aussi par réaliser qu’ils sont intimement liés car ils font partie d’un même projet, d’un même modèle de société, dans lequel doit être encouragé un comportement de l’individu tourné vers l’autre, vers l’acceptation de la diversité et vers le respect de l’environnement qui nous entoure. Lauren a bien saisi cela. Elle en a fait un cheval de bataille, et après avoir échappé à la bureaucratie, à ses lenteurs et à ses désillusions, c’est donc logiquement via le surf et sa pratique qu’elle entame son combat, et ce grâce à un outil devenu surpuissant et incontournable : l’illustre et controversé Internet.

« Il y a huit ans, j’ai commencé un blog, Mersea Beaucoup, qui abordait les mêmes thèmes développés dans ma thèse, et j’ai commencé à travailler sur ma propre approche de la surf culture, en créant des partenariats avec des marques et en écrivant des articles. A ce moment là, dans la plupart des médias spécialisés, je ne reconnaissais pas la façon dont j’expérimentais le surf ; ils s’adressaient tous à une audience très réduite, qui excluait souvent les perspectives des femmes. Je voulais donc créer une vision de la culture surf telle que je la voyais. Mon blog initial s’est finalement transformé en The Sea Kin, qui a d’abord pris la forme d’un webzine avant de devenir aujourd’hui une

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communauté Instagram. The Sea Kin a pour but de créer une culture qui nous ressemble. Je voulais un endroit où pouvoir lire des choses sur la culture surf telle que je la percevais, axée sur la camaraderie, la communauté, l’environnement et le respect des diversités. Du coup, j’ai créé un espace digital pour faire de cette envie une réalité. Et maintenant je travaille en tant qu’ambassadrice pour des marques comme Billabong, Sanuk et Bing Surfboards, avec lesquelles je mets ces mêmes thèmes en lumière via l’écriture, la photographie, l’art et la vidéo. » Talentueuse, Lauren Hill l’est, sans aucun doute. Talentueuse et lucide sur un point, notamment : la propension qu’a la culture surf de posséder en son sein la plupart des enjeux de développement de notre société. Qui l’eût cru ? Depuis bien longtemps déjà, la cause environnementale est portée par l’ensemble de la communauté surf comme une évidence, et pour ce qui est de la place et de l’image bafouée des femmes, si la prise de conscience est bien plus récente, elle n’en est pas moins devenue un enjeu majeur. Il est d’ailleurs à ce sujet un phénomène tout à fait intéressant à étudier, que je décide alors d’aborder avec Lauren. Si dans certains pays comme l’Iran ou le Bangladesh,

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The Sea Kin la femme contribue de façon très significative au caractère endémique de certaines problématiques, comme le viol et le harcèlement sexuel. Les gens croient ce qu’ils voient. Dans le cas des médias traditionnels, les femmes sont continuellement représentées comme des objets qui n’existent que pour le but primaire de satisfaire les désirs sexuels des hommes. Et le comportement des gens continue de donner vie à ces idées dans le réel. »

la pratique du surf à pu aider à l’émancipation des femmes grâce à des initiatives isolées, dans les pays occidentaux, a contrario, le surf est devenu une culture à part entière qui a malheureusement parfaitement assimilé les inégalités de sexe jusqu’à les exacerber. Le surf : vecteur de liberté pour les femmes d’un côté et d’avilissement par l’objétisation de l’autre ? Lauren s’empresse d’expliquer le phénomène et l’on rentre alors, petit à petit, dans le coeur d’un sujet qui lui est cher. « Il y a une distinction très importante à faire ici : l’acte de surfer par rapport à la culture liée au surf. » m’explique Lauren. «L’acte de surfer est profondément personnel et détient en lui le potentiel de libérer, d’inspirer et de connecter les gens. Et nous l’avons vu dans des endroits totalement inattendus tout autour du globe. La culture liée au milieu du surf, cependant, est une autre histoire. Elle signifie beaucoup de choses très différentes pour des gens très différents eux aussi, mais elle porte la plupart du temps les histoires des gens qui ont le pouvoir. » « La population des gens qui surfent est estimée masculine à près de 70%. Naturellement, parce qu’ils sont en majorité. Les hommes ont créé l’essentiel de ce que nous connaissons de la culture surf aujourd’hui. Les représentations de la femme dans l’industrie du surf ne sont vraiment pas différentes de celles que l’ont peut voir dans les médias traditionnels et grands publics. Cette représentation, celle d’un joli accessoire ou d’un corps déshumanisé et hyper-sexualisé, est détachée du fait d’être un être humain à part entière. C’est tellement fatigant. En plus, lorsque tu jettes un oeil aux recherches scientifiques, tu te rends compte que ce genre de représentations de

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Les mots sont forts et laissent peu de place au doute : Lauren maîtrise son sujet et sait où elle va. Et lorsque, déjà convaincu, je lui demande sciemment si elle se considère comme une féministe, sa réponse est ferme et réfléchie : « Incontestablement. » Le mot est sans concession, comme devrait l’être d’ailleurs la position de chacun sur ce problème de société majeur. Car oui, il est triste de devoir encore le répéter, mais l’égalité des sexes dans les pays dits «occidentaux» est loin d’être une réalité. Alors, certes, il faudrait des pages et des pages pour pouvoir vraiment traiter le sujet et revenir sur les racines de la gangrène, ainsi que sur les sombres fondements de notre société patriarcale, mais il est parfois tout aussi efficace, pour toucher les consciences, d’aborder le sujet avec concision sans pourtant perdre en clairvoyance, comme le fait Lauren. Et si je parle de clairvoyance, c’est que là où beaucoup se contentent de parler de féminisme de façon sectaire et spectaculaire, Lauren va plus loin, et sa force est là. Sa vision est plus large. Moins provocatrice. Plus complète que celle véhiculée à l’heure actuelle par les médias traditionnels et par certains groupes activistes trop médiatisés. « Pour moi, le terme «féminisme» signifie travailler pour aller vers une opportunité égale pour tous, peu importe la race, le sexe, l’orientation sexuelle, la religion ou le genre. Au sein d’une culture patriarcale, le premier pas dans ce processus nécessite de reconnaître l’importance de la féminité, pour les femmes et pour les hommes. » « Il y a cette idée que le “genre” ou le féminisme n’a pour unique but que de régler les problèmes des “femmes”, mais je sais que les hommes souffrent autant que les femmes à cause de cette définition très étroite de ce que doit être la virilité ou la masculinité dans nos pays. Comment pourrions-nous avoir une planète en paix, si nous n’avons pas des foyers en paix ? Si le fait qu’une femme sur trois soit abusée par un membre de sa famille dans des conditions de violence domestique est bien évidemment une histoire de puissance, de contrôle et de domination, on est en droit de se demander quel genre de fondations devraient être primordiales pour créer un monde

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Playground « Les médias peuvent jouer le rôle d’un agent qui suggère des alternatives et des changements mais j’aimerais plutôt que ce soit le dialogue en face à face, l’engagement au sein d’une communauté et le fait d’humaniser les réalités des autres qui nous entourent qui soient ce qui, en fin de compte, nous change de façon profonde et significative. Les changements radicaux viennent presque toujours d’en bas. Cela peut être aussi simple que de se rassembler autour d’une table pour dîner avec un groupe d’amis divers, de choisir un sujet potentiellement exaltant, de laisser chacun parler de sa propre expérience dans ce domaine et d’encourager chacun à vraiment écouter plutôt qu’à formuler systématiquement des objections ou des réfutations. La clé, ici, est de respecter la diversité. D’aimer et d’être aimée. Avec honnêteté. De faire partie d’une communauté de résistants. De vivre en tant que partie prenante de l’écologie florissante. Et de continuer à apprendre de nouvelles compétences et à grandir. »

dans lequel ces mêmes traits destructeurs ne seraient pas les qualités reines ? » « En fait, je ressens de façon très forte que dé-polariser les genres et célébrer la diversité est un fil crucial dans l’optique de démêler beaucoup de problématiques environnementales et sociales. » Vous l’aurez compris, Lauren Hill n’a pas la langue dans sa poche, et l’on ne saurait le lui reprocher – que l’on adhère à l’ensemble de ses idées ou non – tant elle frappe avec réflexion et passion dans le coeur de sujets brûlants. Elle ouvre le débat, et il suffit de faire un tour sur le site de The Sea Kin pour se rendre compte, d’ailleurs, de l’intelligence et de l’esthétique avec lesquelles les sujets sont traités. Lauren, aux côtés de son compagnon Dave Rastovich – surfeur activiste bien connu de la sphère environnementaliste – a su réunir autour d’elle une véritable communauté de surfeurs créatifs épris de changements. Si bien que sur The Sea Kin, on parle aussi bien histoire, qu’activisme, voyage, culture, art, féminisme et environnement, sans jamais trop s’éloigner du surf. Lauren maîtrise parfaitement l’outil média, et c’est ce qui lui permet de toucher plus facilement un public pas forcément aguerri au monde du surf. C’est là un point essentiel lorsque l’on défend des causes qui concernent chacun : savoir donner une dimension universelle à un combat pourtant personnel et ciblé. « Cela ne suffit pas de se plaindre de ce qui ne va pas. Nous pouvons changer les choses en créant nos propres contributions culturelles ; en lançant un fanzine, en commençant un blog, en écrivant des histoires pour les magazines, en prenant des photos et en racontant notre histoire. Mon sentiment, c’est que les médias sont une force neutre, comme l’argent, qui peut être utilisée pour le bon comme pour le mauvais. Je ressens avec force que l’image est quelque chose de puissant, et que nous avons la responsabilité de créer des alternatives positives et autonomes aux images très largement négatives, peu réalistes ou irresponsables dont nous sommes bombardés via les réseaux sociaux et les médias traditionnels. » Les médias. Ce terme est dans toutes les bouches. Dans celle de Lauren, dans la mienne, dans la vôtre. Responsables de tous les maux ou chantres de la révolution à venir, les médias sont prégnants et sont partie prenante de ce dictat de l’image que nous subissons. Si changement il doit y avoir, il passera sans aucun doute par eux, que ce soit dans le milieu du surf ou dans tout autre milieu. Seulement, là n’est pas la seule clé du changement. Et pour mon plus grand plaisir, bien qu’actrice active des médias via ses multiples projets dont The Sea Kin fait partie, Lauren Hill ne l’a pas perdu de vue.

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Il y a bien plus que du surf dans l’univers de Lauren Hill. Il y a une nouvelle approche du vivre ensemble, la vision d’un nouveau modèle de société qui ne peut être qu’une source de réflexion pour tous. Amoureux des vagues ou non. Et tandis que j’envoie un dernier mail à l’Américaine pour la remercier d’avoir répondu à mes questions, j’en prends pleinement conscience. Alors, la solitude des corps me semble soudain plus abstraite, plus lointaine. Avant de clore notre échange, Lauren Hill évoque le futur. N’est-ce pas comme cela qu’il faut finir ? Elle me parle de son prochain projet et enfonce une dernière fois le clou :

« Je travaille actuellement sur un court-métrage intitulé Pear Shaped. C’est en quelque sorte une parodie de l’hyper-sexualisation des femmes dans le monde du surf, via tout un tas de petites absurdités issues des réalités quotidiennes auxquelles on doit faire face lorsque l’on est une femme dans l’eau : les ficelles de tampons baladeuses, les visages pleins de morve, les dysfonctionnements de garde-robe, etc... Pear shaped est donc un chapeau bas à tous ces gens qui font fi des seuls challenges qui sont intrinsèques au fait de surfer, et qui choisissent d’y aller quoi qu’il arrive. »

Y aller, quoi qu’il arrive. Quels que soient les avis des uns et des autres. Choisir le changement. La tâche semble ardue, mais pourquoi ne pas commencer à son échelle, comme ça, juste en tendant la main et en sachant dire non ? Lauren Hill vise juste en ouvrant le débat, et tandis qu’elle retourne à sa jungle sri lankaise, je me surprends à plonger de nouveau dans le souvenir de ces corps qui se pressent sur les trottoirs, sur les quais de métro et sur les plages, partout. Ces corps seuls. Trop seuls. Mais à présent, quelque chose a changé. Je me prends à voir, dans leur immense solitude, la possibilité superbe d’un nouveau départ.

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avec Patrick Long

Nous voulions briser les murs entre les privilégiés, les gens un peu à l’écart et les personnes passionnées d’automobile. C’est en 2014 que le pilote automobile professionnel, double champion des 24 Heures du Mans, Patrick Long s’est associé au directeur artistique Howie Idelson pour organiser un rassemblement Porsche aux Etats-Unis. Avec plus de 40 voitures réunies au quartier général de Deus à Los Angeles, le premier évènement Luftgekühlt a été couronné de succès. Le second event s’est déroulé chez Bandito Brothers, une compagnie de production basée à Culver City. Quant à la troisième édition, Luftgekühlt a su rassembler plus de 400 propriétaires chez Modernica, marque américaine spécialisée dans le mobilier de design moderne, au sud de L.A. Avec un engouement de plus en plus palpable, Luftgekühlt compte désormais parmi ses adeptes des personnalités comme Jeff Zwart, Jerry Seinfeld, Magnus Walker, Patrick Dempsey, Spike Feresten, ou Rod Emory. En d’autres termes, et en seulement trois ans, Luftgekühlt est devenu l’un des rassemblements Porsche les plus cools au monde. Nous avons rencontré Patrick Long, pilote officiel Porsche, afin d’en savoir davantage sur sa vision d’une entreprise à succès, l’importance de la passion, la collaboration et la diversité.

> - >> Luftgekühlt chez Deus Ex Machina à Venice, Californie, 2014

Interview et texte : Elisa Routa Photos : Deus Ex Machina, Thomas Walk, Nevin Pontious

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Playground Revenons sur l’origine de Luftgekühlt… J’ai grandi dans le sud de la Californie, j’ai longtemps baigné dans une culture surf, skate et snow mais j’ai toujours eu une passion pour les sports automobiles, ce qui m’a permis de réunir les deux univers. J’ai été employé chez Porsche pendant 15 ans et au cours de mes voyages, je me suis rendu à de très nombreux salons automobiles. A l’époque, j’attendais davantage des événements auxquels je participais. J’avais, je pense, besoin de faire les choses différemment concernant deux univers importants dans ma vie : Le premier univers était celui composé d’artistes californiens et le second était le côté un peu conventionnel et conservateur du monde des Porsche de collection.

Ce que nous faisions se résumait à réunir deux univers dont nous étions proches.

Vous êtes un pilote professionnel de course automobile, votre associé Howie Idelson est directeur artistique. Comment vous êtes-vous rencontrés ? Nous nous sommes rencontrés il y a 25 ans via le monde du karting. Howie était une légende aux yeux du gamin de 10 ans que j’étais à l’époque. Il était rapide et concourrait aux EtatsUnis et en Europe. Il avait un don pour le design et apportait énormément en terme de design à l’univers alors très conventionnel du karting. Il y a quelques années, Howie et moi avons collaboré sur l’élaboration d’une paire de chaussures de sports automobiles. Il se chargeait du design et moi de la réalisation. A chaque fois qu’il arrivait à une réunion, il me demandait : « C’est quoi cette voiture que tu conduis ? », je lui parlais de l’univers dans lequel je vivais et de ma passion pour la culture des Porsche de collection : « Un jour je vais arriver à créer mon propre évènement. » Il m’a alors répondu : « Faisons-le, tout de suite ! » C’était à l’été 2014 et notre premier event s’est déroulé en septembre 2014 chez Deus. Le reste appartient à l’histoire.

Vous avez eu besoin de relever de nouveaux défis et de vous fixer de nouveaux objectifs ? Oui, c’est dans ma nature. Et c’est dans celle d’Howie de créer. Mais vraiment, ce que nous faisions se résumait à réunir deux univers dont nous étions proches. Nous avions tous deux un cercle d’amis en dehors des sports automobiles. Ils étaient soit dans le cinema, dans le design, l’art ou la musique. On a tous deux baigné dans une culture automobile et on a remarqué qu’il y avait énormément de liens entre ces univers. Dès le début, je pense qu’on a su que ça pourrait devenir très vite populaire. On a donc beaucoup travaillé sur l’intitulé de l’évènement et sur la collaboration avec Carby Tuckwell de Deus concernant la partie plus artistique. Le point fort a été d’utiliser mon réseau dans le monde automobile et d’essayer de faire ressortir une grande diversité de voitures Porsche à refroidissement à air (ndlr, Luftgekült en allemand). Cela ne se résumait pas à une simple voiture, on voulait raconter une véritable histoire. Ce que je souhaitais par-dessus tout était de créer une petite galerie automobile où je pourrais sensibiliser les non-initiés à l’univers des Porsche. J’avais une vision en tête, montrer à tous ces gens les différents univers que comporte le monde des Porsche à travers le monde, et particulièrement dans le sud de la Californie.

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77 Vous semblez casser le stigma en évitant le traditionnel stéréotype des rassemblements de Porsche. En quoi Luftgekühlt est-il un évènement unique? L’ambition première était vraiment de raconter une histoire à des non-initiés. Souvent, en sortant du restaurant, je voyais deux ou trois personnes autour de ma voiture. Ils avaient beaucoup de questions, et c’est là que j’ai réalisé qu’ils étaient eux aussi de vrais passionnés. Mais ils n’avaient pas d’outil pour en apprendre davantage. C’est la première chose. La seconde a été d’organiser un rassemblement automobile de la manière dont on le souhaitait avec Howie. Je pense que ça a été la partie la plus amusante – et ce que j’espère laisser comme impression de la culture automobile à la sortie, c’est de rassembler plusieurs types de personnes autour de l’automobile. Souvent, lorsque je me rends à un salon auto, vous avez un style bien particulier. Nous voulions briser les murs entre les privilégiés, les gens un peu à l’écart et les personnes passionnées d’automobile. Nous voulions rendre l’évènement ouvert et accueillant, où chaque voiture serait considérée de la même manière. Parfois, on ne peut pas présenter sa voiture parce qu’elle n’a pas assez de « valeur », ou n’a pas la couleur d’origine. Nous voulions célébrer la passion et les gens derrière ces voitures. Il semble que vous teniez à inclure et faire participer tout le monde. Comment qualifieriez-vous la communauté Luftgekühlt ? Tout d’abord, il y a la communauté assez légendaire de gens très éduqués et accomplis du monde de chez Porsche. Ensuite, vous avez un tout autre univers, tout aussi talentueux, intéressé par l’acquisition d’une Porsche de collection ou simplement à la recherche d’un moment de partage en famille. Il était nécessaire de rassembler l’énergie de la musique, de l’art, de la nourriture à celui des voitures. En réalité, il n’y a pas un profil unique de personne venant à notre événement, ça a toujours été le but

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Luftgekühlt recherché. L’objectif n’a jamais cessé d’être le partage avec des célébrités qui ne sont généralement pas considérées comme telles le temps d’une journée, ce sont des gens simplement venus là par envie. Beaucoup de choses peuvent rassembler les personnes issues d’univers distincts, de religions ou d’équipes différentes. Avec Porsche, on a vraiment un soutien de fidèles passionnés.

Le premier événement s’est tenu chez Deus puis vous êtes allés chez Bandito Brothers. En 2016, vous étiez plus de 400 propriétaires réunis à Modernica. Comment expliquezvous cet engouement ? Je pense que le succès provient des personnes influentes et de nos amis qui, honnêtement, ont incarné notre évènement à leur manière. On préfère laisser les autres raconter notre histoire. Cette rapide notoriété s’explique donc par les relations qu’on a tissés avec nos amis, qui portent bien plus haut le message Luftgekühlt que ce que nous pourrions faire. C’est grâce à des collaborations avec des partenaires qui ne sont pas issus du monde automobile. Deus, Bandito Brothers ou Modernica aiment les voitures mais ont crée leur business dans un secteur différent. Cette différence a été l’un de nos critères principaux, peut-être même celui qui a repoussé les frontières en s’emparant d’un mythe et en le dégageant de l’image traditionnelle des lieux censés accueillir un rassemblement automobile. On n’est pas arrivés ici avec l’ambition de faire de l’argent. C’était plus un mouvement et un symbole de faire ce que nous aimions et de créer un event automobile que les non-passionnés pourraient apprécier. Vous bâtissez généralement l’événement d’après le lieu ? Oui, le mélange des deux doit être pris en compte. Nous sommes face à une expérience plus qu’à un événement. Pour que l’expérience devienne prioritaire, on se doit de présenter un univers différent à chaque fois, laisser quelqu’un rencontrer quelqu’un

d’autre et lui apprendre quelque chose de nouveau. Il est très facile pour nous d’utiliser le lieu comme un catalyseur pour déterminer la tendance actuelle dans le design par exemple. Mais lorsqu’on s’aligne sur une marque qui affiche des similitudes avec nous mais provient d’un autre secteur, ce lieu permet aussi de présenter leur communauté à Luftgekühlt et permet à Luftgekühlt de présenter les personnes du monde automobile qui peuvent être très focalisées sur l’automobile et pas toujours ouvertes à d’autres passions. Cela a été fantastique de présenter tant de personnes du monde automobile à la marque Deus, dont j’ai découvert l’existence et suis tombé amoureux en 2011 lors d’une course en Australie. Concernant Bandito Brothers, c’est quelqu’un que nous avons rencontré avec notre job. Pour Modernica, ça s’est fait par l’intermédiaire d’un ami commun, le propriétaire Jay (Novak), un véritable artiste mais également un accro de l’automobile. Je pense que ça a un peu été notre secret jusqu’à présent, mais on ne s’en est jamais caché. On a remarqué que la future génération reprend ce principe et l’applique à ses propres événements. C’est assez flatteur! Au début, ça a été un peu un choc mais on a réalisé qu’il s’agissait avant tout de susciter l’inspiration. Donc s’ils décident de lancer quelque chose de similaire sur leur propre marché, on se doit d’en être fiers.

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Playground Simplicité, communauté, passion et créativité sont au cœur de votre marque. A l’avenir, comment allez-vous préserver cet ADN ? C’est un calcul simple auquel les gens sont confrontés au sein de toutes les entreprises, les marques et dans le secteur de la créativité. J’ai la chance d’être entouré par des créateurs, n’étant pas exactement un artiste moi-même. Je considère être passionné par la vision que je porte et par la stratégie, mais je ne sais pas dessiner ni designer. C’est en ce sens qu’Howie me rassure et m’encourage à accepter que les gens copient ce qu’on peut faire. Continuer à se dépasser et révéler de nouvelles idées plutôt que de se soucier de ce qui peut influencer ou non d’autres gens. Cela me conforte car nous n’en sommes qu’au début, nous avons un tas d’idées, de collaborations, d’autres marchés que nous souhaitons approcher. Le plus grand défi pour nous est le temps, nous sommes tellement occupés par notre travail et notre vie de famille qu’on ne dispose pas d’assez de temps. Luftgekühlt est vraiment un projet secondaire pour nous. Mais je pense qu’une part de notre succès provient du fait qu’on ne prend rien au sérieux et qu’on ne se met pas de pression inutile. Si vous venez à l’un de nos salons, vous verrez que l’ambiance est détendue. On essaye de ne pas avoir trop d’attentes, ce qui est parfois un peu fou, mais cela nous ramène à ce qui nous stimule vraiment, que ce soit pour un festival de musique, une course ou une exposition artistique, c’est la préparation et l’excitation de l’événement à venir qui compte. On fait en sorte de profiter un maximum dès les premiers préparatifs de l’event, pour faire en sorte de monter un événement le moins traditionnel possible. Parfois, le consommateur en a assez des marques traditionnelles. On a donc essayé de revenir aux fondamentaux, au lieu d’écouter les conseils des gens pour gagner en notoriété.

> Evènement Luftgekühlt chez Modernica, 2016

Vous songez étendre l’événement à l’Europe ? Oui, on a organisé des réunions et eu quelques bonnes idées. On veut avant tout s’assurer que le moment choisi sera le bon. Pendant ce temps, on essaie juste de collaborer. Une chose sur laquelle nous sommes intransigeants est le fait de ne pas s’accorder toutes les faveurs de l’évènement. On ne fait pas que venir sur le lieu, louer le lieu et créer un évènement, on tente de collaborer avec le lieu qui nous accueille. Tout est une histoire de collaboration et de partenariats. On organise l’événement uniquement lorsque tout est prêt et que ça semble être le bon moment. Certaines personnes nous ont conseillé d’aller plus vite, de se développer davantage, d’être meilleurs. On aime écouter les conseils des gens, particulièrement lorsque ce sont des personnes qui ont réussi dans ce milieu, mais c’est une aventure qui a débuté et qui se terminera entre amis – ça reste notre priorité.

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Luftgekühlt

Cela signifie que vous voyez Luftgekühlt se developper naturellement ? Il y a énormément de choses que nous voulons faire, beaucoup d’entreprises avec lesquelles nous souhaitons travailler, de marchés à explorer, mais nous voulons avant tout que l’aventure trouve sa propre voie. Je pense que nombre de vos lecteurs appliqueront le même principe à leurs start-ups. Je pense que d’autres personnes secoueront leurs têtes et penseront ‘c’est une erreur monumentale’, mais au final nous devons faire ce que nous estimons être juste. Pour cette raison, nous prenons notre temps. Je vais être honnête, nous travaillons d’arrache-pied. Ce que je veux dire est que je voyage 200 jours par an, que j’ai une famille et qu’Howie est très sollicité en tant que designer. Dans tout ça, on se doit de trouver un équilibre. La bonne nouvelle concerne l’Europe et l’Asie où nous voulons nous rendre bientôt, nous avons de solides contacts là-bas qui ont déjà assisté à nos rassemblements. Ils nous comprennent et nous avons été totalement transparents avec eux : lorsque nous viendrons, nous voulons être une synthèse de Luftgekühlt et de la culture locale. Je dirais donc que l’Europe et l’Asie approchent à grand pas, mais on préfère laisser planer un certain mystère !

> Howie Idelson & Patrick Long

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Playground

Porsche 911 Coupe Carrera de 1985 chez Modernica, 2016

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Colin Tunstall

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MANNERS/

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Entrepreneurs’ backpacks

Ryan Kingman, The self-made man Pourquoi créer un petit business – et non une start-up

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84 A self-made man L’histoire de Ryan Kingman par Ryan Kingman

Interview : Fabrice Le Mao Photos : Max Buchanan

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Après 12 ans en tant que directeur marketing international chez Element, Ryan Kingman co-fonde Stance Socks, l’une des marques de chaussettes et de sousvêtements les plus populaires. Au début des années 2010, affichant le skateboard comme une composante essentielle à la marque, Kingman invente une nouvelle approche de l’industrie de la chaussette. De la définition de la mission de l’entreprise à l’expression de la marque et à sa croissance de $0 à $70 millions en six ans, Kingman explore son esprit entrepreneurial. « J’ai goûté à l’expérience de ce qu’un entrepreneur fait et à la manière dont il le fait. Lorsqu’on le fait bien, c’est à la fois un défi et une reconnaissance ». En tant que vice-président du marketing chez Stance, Kingman a collaboré avec des artistes comme Wu Tang Clan. On retrouve également ses produits aux pieds de personnalités telle que Rihanna ou des joueurs de NBA. Fabrice Le Mao l’a rencontré en Californie pour discuter leadership, égocentrisme, stimulation créative et le goût des défis. Je suis né à New York puis, quelques années plus tard, j’ai bougé à Seattle. Mon père est né et a grandi à Hawaii ce qui nous a mené là-bas. Finalement, mes parents se sont séparés et ma mère est retournée à Seattle. Je partageais mon temps entre les deux villes. J’avais un groupe d’amis aux deux endroits. Mes potes de Seattle étaient Scott Smiley et Mark Hubbard (Grindline Skateparks). A Hawaii, j’étais pote avec Mark Oblow, Pat Myers, Vince Krause et une poignée d’autres Hawaiiens assez géniaux. Mes parents ont vite compris que j’adorais skater. Mon père m’a donc acheté un Sims Hosoi Rising Sun avec des trucks Gullwings et des roues B-52. La chose la plus amusante est qu’au départ, il essayait de l’utiliser comme prétexte pour voir si mes notes s’amélioraient à l’école mais au final, il s’est senti désolé pour moi et me l’a filé. J’étais un très mauvais élève. C’est à peu près au même moment que j’ai eu mon premier Trasher Magazine entre les mains. Sur la couverture, Stevie Caballero était dans une piscine. Sur l’image, « Bad Brains » et « Steel Pulse » étaient tagués sur les murs de la piscine. Ma mère est allée à Fallout Records & Skateboards à Seattle et a acheté « Rock For Light » de Bad Brains et « True Democracy » de Steel Pulse. Cette succession de petits événements de l’époque a changé mon parcours à jamais.

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Manners Je n’ai jamais fait ce qu’il fallait à l’école. J’ai été renvoyé de deux écoles et j’ai failli ne pas être diplômé. Puis avec Mark Oblow, on s’est vite fait rattraper par certains impératifs. Tout ce que nous voulions à cette époque, c’était faire du skate. On a donc annoncé à nos parents qu’on irait à l’université de Santa Monica, Mark en Photographie et moi en Histoire et Philosophie. Bien qu’on ait tout fait pour qu’ils pensent contribuer à notre développement éducatif, on en avait en fait rien à foutre de la fac. La famille Oblow a par la suite bougé à L.A. du côté de Venice. Je les ai rejoints peu de temps après. Ils m’ont laissé habiter dans la buanderie qu’ils avaient aménagée dans leur appartement, sans chauffage ni électricité et avec un tas de boîtes. Mais c’était tout ce dont j’avais besoin. J’ai finalement fini par bouger au sein même de l’appartement. Mark Oblow était toujours très débrouillard. Il travaillait au sein d’une équipe de direction depuis bien plus longtemps que moi. Où qu’il travaille, il me branchait toujours sur des petits boulots. Ça a été le cas lorsqu’il s’est fait embaucher par Marty Jimenez et Jim Gray qui débutaient tous deux Channel One et Acme. C’était mon premier emploi. Mon premier jour de travail a consisté à décoller les papiers plastique de planches de skate. Ils m’ont dit ‘Hey, on va te donner 20 dollars pour décoller le papier plastique des planches’. Je n’en revenais pas : j’allais gagner ma vie en travaillant dans le milieu du skate ! C’était un rêve ! (Rires). Cette situation s’est finalement transformée en ‘Tu es cool. Tu es intelligent. Pourquoi tu ne t’occupes pas du magasin et des livraisons pour nous ?’ C’était la première fois que je réalisais que travail acharné rimait avec récompense. J’ai vécu des moments délicats à essayer de combiner mon travail, ma vie, la fête et le skateboard. Faire la fête a fini par prendre le dessus. C’est alors que j’ai pensé que le mieux serait de changer d’environnement. Je suis donc retourné à Hawaii. Comme j’aurais pu le prévoir, l’environnement n’était pas la cause du problème. C’était moi. Une fois de plus, j’ai contacté mon ami Mark Oblow pour qu’il m’aide à m’en sortir. Il m’a offert une place sur son canapé et un travail. Mark avait deux colocataires, Johnny Schillereff, qui avait lancé une marque de skate appelée Element et Kyle Yanagimoto, un ami hawaiien de longue date. Une fois de plus, Mark m’a déniché un travail en tant que « reproducteur de vidéos » à 411VM. Peu de temps après, Mark a créé son entreprise de sérigraphie appelée Indian Ink. Ils sérigraphiaient des planches pour les meilleures marques de planches de skate de l’époque donc … il m’a trouvé un poste à Indian Ink ! C’est alors que quelque chose s’est opéré en moi. Je m’en souviens comme si c’était hier : lors de

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mon expérience à Channel One et au magasin Acme, j’avais pris l’initiative de fabriquer un espace de travail composé d’un petit bureau et d’une chaise et j’avais accroché tout un mur de post-its afin d’organiser mon inventaire. Je me rappelle de Mike Pust, qui travaillait avec Paul Schmitt à cette époque (il travaillait sur PS Stix), il est venu me voir, impressionné de mes (pourtant rudimentaires) compétences d’organisation. Ils m’ont donc chargé de surveiller le processus de fabrication. A un moment, au cours de cette période, Oblow a créé Vita Shoes avec un gars nommé Lance Theis. Lance avait monté bien des années auparavant une marque de chaussures appelée Duffs et avait pas mal de connaissances sur les chaussures. Comme à mon habitude, j’ai suivi Mark dans cette aventure. On a passé beaucoup de C’était la pretemps à conceptualiser ce que la marque pourrait être. Mark a alors mière fois que ramené Natas Kaupas (suite à la fin je réalisais que de son contrat avec Etnies-NDR). travail acharné Je connaissais Natas à l’époque où rimait avec il venait à Hawaii. J’ai eu la chance d’être le témoin de la création de cette récompense. start-up aux côtés des plus grands. Mon travail consistait à gérer le fonctionnement du bureau ainsi que les ventes. C’était amusant mais exigeant… j’en suis donc venu à la conclusion que je n’aimais pas appeler les skate shops et que ça m’ennuyait d’essayer de leur vendre des chaussures. Je n’étais d’ailleurs certainement pas très bon dans ce domaine. Je serais éternellement reconnaissant envers Mark pour toute sa bienveillance, ses conseils et le soutien qu’il a su m’apporter jusqu’à aujourd’hui. Si ce n’était pas pour lui, vous ne liriez pas ce texte. Au même moment, mon ami Dan Wolfe était en pleine reconversion, il était alors team manager chez Giant Skateboard Distribution. Johnny Schillefereff m’a alors offert ce poste de team manager à Giant Skateboards, la maison mère d’Element, Black Label, New Deal, Destructo, 411VM et quelques autres marques. J’étais dans une situation difficile car j’avais à la fois envie de changer de travail mais ressentais une immense reconnaissance et une grande loyauté à l’égard de Mark. En ayant vu Mark faire ce job durant la moitié de ma vie, je savais que c’était le job de mes rêves. Et Johnny avait un certain pouvoir sur moi. J’ai pris une décision difficile, celle de changer de voie. Je voulais simplement améliorer ma vie et faire un peu plus d’argent avec quelque chose d’excitant et d’ambitieux pour m’accomplir personnellement. Je devais sortir de ma zone de confort et évoluer en tant qu’individu. Et je voulais voyager. J’ai fait de l’équipe Giant ma priorité de vie et Johnny Schillereff fut un mentor incroyable tout au long de ce parcours. Pour

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Ryan Kingman

Vu de l’extérieur, l’entrepreneuriat peut sembler être une aventure individualiste alors qu’en fait, un véritable entrepreneur est celui qui ira vers ceux qui l’entourent, qui rassemblera une équipe soudée autour de lui/ elle.

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Manners la première fois, je commençais à entrevoir ce que ma vie pourrait être. Je pourrais gagner un salaire décent tout en excellant professionnellement. Element n’a cessé de se développer (au sein de Giant) et Johnny a décidé que nous devions délocaliser les creative departments à L.A. C’est alors que j’ai commencé à me présenter comme « le mec du marketing ». J’ai dû demander de l’aide. C’est la première fois de ma vie que j’ai dû m’imaginer de manière plus professionnelle. C’était en 1999 et j’avais 28 ans. Sur les conseils de Johnny, je me suis mis à me fixer des objectifs. Cela a incroyablement bien marché sur moi. Quand on pose ses objectifs par écrit, il se produit quelque chose qui fait que l’univers tout entier semble converger afin de vous aider à les atteindre. Je le pense vraiment. Ce doit être quelque chose qui se produit dans notre subconscient – et dans notre conscience – qui nous fait inlassablement œuvrer dans ce sens. Cela détermine une voie. A cette époque-là, Johnny et les fondateurs de Giant étaient en train de faire en sorte qu’Element exploite pleinement son potentiel. Cette prise de conscience représentait une acquisition éventuelle d’Element par Billabong. Je ne faisais pas personnellement partie du deal mais par l’intermédiaire de relations avec les fondateurs, j’ai pu rassembler quelques infos sur la nature d’une transaction commerciale de ce type. J’ai alors appris les composantes d’une acquisition. C’était la première fois que j’entendais parler d’EBITDA (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization) et c’était la première fois que je me confrontais au côté exécutif un peu plus avancé du business. Une marque de surf grand public qui faisait l’acquisition d’une marque de skateboard… aussi loin que je m’en souvienne, c’était une première dans l’industrie du skate. Il y avait des côtés positifs et négatifs. La marque a attiré beaucoup d’attention et j’étais au cœur de l’action. Johnny avait ses ambitions d’évolution perso et les riders avait des attentes pour leur propre développement de carrière. A ce momentlà, les surfeurs étaient bien mieux rémunérés que les skateurs qui n’étaient malheureusement pas nombreux. On était motivés pour changer ça et rémunérer nos gars au même niveau. Mais nous devions au préalable construire une marque. Il y avait beaucoup de récupération des médias et de certains secteurs de l’industrie. C’était comme si je devais gérer les attentes de tous de manière réaliste tout en lançant Element Apparel. Une fois l’acquisition effectuée et les choses tassées, trois personnes ont rejoint le nouvel Element : Johnny (Président), Matt Irving (nouveau Directeur Artistique) et moi-même. Billabong m’a demandé quel statut je voulais avoir. J’ai regardé ce que mon ami Enich

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faisait (Directeur Marketing à Billabong) : négocier des contrats, négocier des publicités, organiser des voyages, voyager avec l’équipe, régler les problèmes de vidéo… Je faisais ce qu’il faisait. Et il était directeur marketing ? Dans ce cas j’étais également directeur marketing ! C’était la première fois que je réalisais qu’un statut ne voulait rien dire. Je n’avais aucune idée de ce en quoi consistait une stratégie marketing, ce qui m’a amené à lire des livres à ce propos et à poser beaucoup de questions. Je ne savais pas ce que « endémique » signifiait. Je ne savais pas lire un PNL. Je n’avais jamais réalisé un budget. C’était le baptême du feu. J’ai appris rapidement ; budget marketing, in-store et POP, stratégie GTM et réunions de ventes. A plusieurs reprises j’ai fait comme si je savais ce que je faisais ou disais, mais pour être franc, je n’en avais aucune idée. Mais j’ai fait en sorte d’apprendre ce que j’avais besoin d’apprendre, voire davantage. Je me rappelle de ce que mon père m’avait dit : ‘Tu es tenace. Tu penses que tu connais tout. Mais tu vas devoir apprendre à tes dépens ce que tu ne connais pas.’ Et comme prévu, c’est ce que j’ai fait. Je n’avais pas de formation universitaire mais j’avais des méthodes d’apprentissage. Et j’aimais ça. J’ai eu cette révélation qui consistait à vouloir à tout prix prouver aux autres qu’ils avaient raison de croire en moi. Je me suis infligé une énorme pression pour parvenir à mes fins. Je me suis placé dans des situations difficiles qui en auraient probablement rebuté plus d’un. Je pense que ce trait de caractère provient du skateboard. Tu te mets dans des situations où tu vas te faire mal mais tu dépasses ta peur et tu apprends. Est-ce de l’orgueil, de la ténacité ou de la stupidité ? J’en sais rien mais je m’en suis sorti. Après cette acquisition mouvementée, lorsque l’entreprise a pris un nouvel élan, j’ai observé que les structures corporate imposaient des délimitations claires dans la hiérarchie de l’entreprise et l’échelle des responsabilités. Cette identité de « culture corporate » m’a véritablement aidé à catalyser ce qu’était un développement de carrière et à quoi cela ressemblait. Dans le même temps, j’atteignais le summum du corporate à Element et ma vision de ce qu’une entreprise de skateboard devait être ne correspondait pas avec celle que la marque Element mettait en avant. Au cours de cette période, ma relation avec Johnny avait lentement changé. Lui et moi étions en train d’évoluer professionnellement et prenions des directions différentes. Non pour le meilleur ou pour le pire, juste différemment. Cela a définitivement modifié notre dynamique. J’ai commencé à être frustré. A ce moment-là, une nouvelle opportunité s’est présentée de la part d’un de mes amis. J’étais en

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Ryan Kingman voiture quand mon pote et team manager à Element, Ryan DeWitt, m’a appelé : ‘Il y a cette nouvelle start-up. Ils ont entendu parler de toi et veulent te rencontrer’. J’étais flatté. ‘Cool ! C’est quelle boîte ?’ Il m’a répondu : ‘C’est une marque de chaussettes’. Je me suis tue pendant un long moment qui a dû sembler interminable. ‘Des chaussettes ?’ J’ai réfléchi durant les 15 minutes de trajet qui me restaient jusqu’au bureau de TransWorld. Arrivé là bas, j’étais excité par la perspective de travailler pour une marque de chaussettes. On s’est organisé un appel téléphonique avec John Wilson (l’un des 4 fondateurs de Stance), je me rappelle que le courant entre nous est passé de suite. J’ai compris qu’il avait une vision et que je pourrais en faire partie. C’était effrayant parce que c’était un nouveau marché peuplé de personnes que nous ne connaissions pas et avec lesquelles nous ne partagions aucune histoire. Pour la première fois de ma vie, j’étais livré à moi-même : pas de Mark Oblow, pas de Johnny Schillereff pour me tenir la main et me guider au bout du chemin. Ils m’ont demandé : ‘Hey, il y a d’autres personnes intéressées par le poste, nous aimerions donc savoir ce que vous mettriez en place si vous l’aviez ?’ J’ai travaillé sur une stratégie en décrivant ce que je ferais pour lancer et maintenir un business de chaussettes. C’était ambitieux et plutôt fun. Je l’ai fait avec confiance et arrogance (rires) parce que je croyais vraiment en ce que je pourrais leur apporter. Notre idée à Stance était d’apporter une vision déstabilisante et nouvelle de ce qu’une marque de chaussettes pourrait être. Nous n’étions pas la première marque de chaussettes mais nous étions déterminés à devenir la première à créer un impact plus fort. Nous abordions toutes les disciplines avec la même attitude. Ma position était la suivante : Comment pouvons-nous (skateboarders, surfeurs et snowboardeurs) infiltrer ces autres environnements, ces cultures non endémiques, de manière nouvelle, disruptive, jamais vue auparavant ? C’était notre approche. Mes partenaires m’ont confié le soin d’établir la vision initiale et d’être la voix, c’est à partir de là que nous avons tout fait ensemble. Stance était un endroit où je sentais que ma propre voix et ma propre opinion importaient réellement. Vu de l’extérieur, l’entrepreneuriat peut sembler être une aventure individualiste alors qu’en fait, un véritable entrepreneur est celui qui ira vers ceux qui l’entourent, qui rassemble une équipe soudée autour de lui/elle. Vous devez travailler avec des mentors, des partenaires commerciaux, des personnes avec lesquelles vous échangez des idées. Vous avez besoin de motivation. Un entrepreneur s’assure qu’il est constamment entouré des bonnes personnes.

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Je sens que j’ai appris le véritable leadership avec Stance. Ce que veut dire guider, inspirer et motiver. Ce que veut dire encourager sans forcer. Lors de mon départ de Stance, on était 18 personnes dans mon équipe. Mon rôle avait beaucoup changé et à l’arrivée, mon travail consistait à les aider à accomplir leur travail, à guider leur propre développement de carrière. C’est un bouleversement en terme de leadership quand votre rôle devient celui qui aide les autres. Il y a quelque chose de libérateur. Il s’agit de montrer aux gens comment ils peuvent s’améliorer au cours de leur carrière. Tant de personnes m’ont aidé, c’était un sentiment incroyable de pouvoir les aider en retour. Dans mon désir de m’épanouir à la fois personnellement et professionnellement, j’ai saisi l’opportunité de démarrer une entreprise d’eau de coco naturelle appelée Villager Goods. Le produit devrait actuellement être en magasins… Mais sans moi. Nos différences respectives ont mené à la séparation et je ne fais plus partie de la marque désormais. J’ai tiré des enseignements précieux de cette expérience qui m’ont fait évoluer. Ce type de transition est parfois l’occasion de se questionner sur son épanouissement personnel. Je reconnais avoir eu la chance de vivre l’entrepreneuriat sous différentes formes et avec différentes personnes. Je sais à présent ce que cela signifie d’être un entrepreneur et j’ai vu ce que cela impliquait pour y arriver. C’est effrayant, difficile et gratifiant. Indépendamment du succès financier, il y a un nombre formidable d’éléments que vous apprenez sur vous-même et sur les autres, en bien ou en mal, dès que vous sortez de votre zone de confort et que vous vous forcez à prendre des risques. J’aime cette idée de créer quelque chose à partir de rien, de le prendre en main et de le faire évoluer, toujours plus loin. Jouer un rôle essentiel dans cet environnement captivant. J’aime toujours Stance, j’y suis généralement 3 ou 4 jours par semaine, pour y faire de la gym ou voir des amis. Je fais partie du comité consultatif sans avoir d’implication dans l’entreprise au jour le jour. A par ça, je ne suis pas certain de la suite des événements mais j’aime vraiment la stimulation créative. Je dis souvent que j’aime être mis au défi. C’est amusant à dire : ‘J’aime les défis’ jusqu’au jour où vous êtes réellement mis au défi. Soudainement, ces défis ne sont plus aussi attirants. Mais c’est à ce moment que vous apprenez, que vous évoluez. Inévitablement, votre curiosité intellectuelle vous engage et vous pousse littéralement sur le chemin du doute.

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Manners

Pourquoi devriez-vous créer un petit business – et non une start-up Texte : Jon Westenberg

On souhaite tous faire des choses importantes, travailler sur des produits importants, créer des entreprises importantes et accomplir des tâches qui pourraient changer la face du monde et avoir un impact sur notre quotidien. On remarque cette volonté de manière très affirmée chez les entrepreneurs et plus particulièrement dans la communauté tech. La question que nous posons, chaque fois que nous entendons parler d’un nouveau projet de boite ou d’une nouvelle idée, que ce soit dans le secteur des énergies renouvelables, celui des apps de messagerie ou encore celui des trucs inutiles par abonnement, est celle-ci :

Est-il scalable ?

Quelle que soit l’idée, si nous voyons qu’elle ne peut pas être scalable immédiatement à hauteur d’un million de users, ni devenir une boite à la valo d’un milliard de dollars, on l’écarte. Parfois, on en rigole. On se comporte comme des connards. De gros connards. Pourquoi ? Parce que démarrer une boite dans la tech qui soit absolument « fat, trendy ou VC compliant » n’est pas un but en soit, et que celui qui fait le choix inverse n’est pas pour autant quelqu’un de stupide. En réalité, aller dans la direction opposée peut probablement faire de vous quelqu’un de plus heureux, en meilleure santé, plus riche et foutrement plus sage. Vous pouvez choisir de lancer un petit business plutôt qu’un énième cheval blanc au cône de glace sur le pif. Quelle est la différence ? Une licorne cherche à « grow fast and grow big » en levant beaucoup d’argent auprès d’investisseurs. Un petit business en ligne veut lui avoir une croissance maîtrisée, atteindre un seuil de rentabilité et satisfaire des clients. Cela semble probablement contre intuitif de ne pas avoir une ambition globale mais je crois au contraire qu’il y a suffisamment de raisons qui vont rendre cela pertinent et rentable.

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Vous vous concentrez sur la simplicité

Vous créez littéralement quelque chose de petit, avec des limites claires et des frontières bien définies. Il n’y a pas de course effrénée à la nouvelle fonctionnalité, ce qui signifie que vous avez la liberté de vous concentrer sur les éléments simples qui vous importent et importent à vos users. Créer des produits qui conservent leur simplicité est un immense défi, d’autant plus difficile à relever pour la plupart des grosses boites en croissance. Une petite entreprise ne rencontre pas ce problème.

Les gens importent davantage

Lorsque vous restez petit, vous pouvez passer plus de temps avec les personnes qui comptent vraiment pour votre entreprise. Que vous ayez un ou cinq employés, ils vont être votre priorité numéro une, ce qui ne serait pas le cas que si vous étiez confronté à un plan de recrutement soutenu pour accélérer votre croissance. Une petite boite, c’est une aventure à taille humaine.

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Petit business Plus simple d’être soi-même

J’adore voir une touche personnelle dans une entreprise ou un produit. C’est juste impossible à faire lorsque vous vous évertuez à essayer d’être la Huge Fucking Amazing Company LLC. Cela est cependant tout à fait réalisable lorsque vous créez quelque chose de petit. Vous pouvez prendre le temps de vous assurer de transmettre un peu de magie à chaque utilisateur, à chaque client.

Petit ne signifie pas pauvre

Maintenir votre produit et votre entreprise « small » ne signifie pas pour autant que vous allez faire une connerie et mourir pauvre. Cela signifie que vous gagnerez moins, certainement. Mais vous aurez bien plus de chance de bâtir une « million dollar company » qu’une « billion dollar company ». Petit signifie moins de dépenses, un cash burn plus faible, et donc l’opportunité de garder dans vos poches les profits d’une entreprise qui, au final, vous appartient.

Il n’est pas nécessaire de rester petit à vie

Si vous ne souhaitez pas croître comme une licorne, vous serez en bien meilleure position pour le faire en gardant le contrôle d’une petite structure rentable et successful. Lorsque vous avez déjà un produit établi et un cash-flow positif, vous n’êtes pas seulement un dossier encore plus intéressant pour de futurs investisseurs, qu’en capacité à financer vous-même la majeure partie de votre croissance. Sans oublier le fait que vous aurez une richesse de connaissance et d’apprentissage derrière vous qui ne rendront la scalabilité que plus facile à intégrer. Certaines personnes appellent cela le bootstrapping mais je ne suis pas sûr que cela soit le terme approprié. D’après moi, le bootstrapping signifie simplement financer seul le développement de sa boite.

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Lancer un « small business » signifie financer sa boite, fixer des frontières et des limites, comprendre son produit ou son service, savoir ce que vous souhaitez réaliser et travailler sur une stratégie pour atteindre vos objectifs. Si vous faites cela, nous n’allez pas devenir milliardaire. Mais vous pourrez être un millionnaire très heureux. Et pour moi, c’est un assez bon compromis.

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In their mind

Fear, Failures and Fall avec Heather Larsen Fear, Failures and Fall avec Maya Gabeira & Andrew Cotton Un tour du monde en 4L pour la microfinance avec Matthieu Tordeur

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Monologue

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La peur est considérée comme l’une des émotions les plus primitives. En tant qu’individu, la peur est ce qui nous exalte chaque jour. Bien que nous vivions dans une société couronnant le succès, entourés de nations encourageant la gloire, la popularité, le profit et l’abondance, il est tout à fait naturel d’avoir peur de l’échec, de craindre le déclin et la défaite, et cela, bien que ces émotions soient difficiles à admettre. Néanmoins, retirez le fardeau de la grandeur absolue qui pèse sur vos épaules car les erreurs font partie intégrante de la vie et de notre humanité. A travers trois portraits d’athlètes de haut niveau se confrontant quotidiennement à la peur et à l’anxiété, nous avons voulu comprendre non seulement le poids que cela peut représenter, mais également la leçon d’humilité des revers, des échecs et de l’incroyable épreuve qu’est la chute.

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avec Heather Larsen

Plus je me place dans un environnement ou une situation dans laquelle je fais l’expérience de la peur, plus j’apprends à la maîtriser. Il y a quelques années, au cours d’une ascension au Parc National de Joshua Tree en Californie, Heather Larsen est devenue adepte de slackline (équilibre sur sangle) et highline (ligne en hauteur). Pour avoir effectué la traversée entre deux sections de la Tour de David dans la vieille ville de Jérusalem, Heather Larsen est aujourd’hui l’une des slackliners professionnelles les plus reconnues au monde. « Marcher entre deux tours est une expérience incroyable. Au début, j’avais très peur, mais plus je passais du temps sur la highline, plus je me sentais à l’aise avec mon environnement. Parfois, la peur est toujours présente, mais j’ai appris à la surmonter par le biais de la respiration, en restant calme et en appréciant chaque instant – même s’il y a des imprévus ». L’athlète originaire du Colorado détient un record personnel en highline de 56 mètres et entretient une relation forte et intime avec la peur. Contusions, coupures, os fracturés et force mentale. Nous avons choisi d’évoquer cette peur à haute tension avec celle qui a décidé de tendre une corde à 152 mètres au-dessus du vide.

>> Ligne tirée au-dessus de la côte de Tasmanie

Interview et texte : Elisa Routa Photos : Krystle Wright, Daniel Torres, Evan Andrews

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Monologue

Adrénaline.

Chaque highline est un peu différente. Les variables changent pour chaque nouvelle ligne : la longueur, la tension, l’étirement de la sangle, le vent, le soleil. Honnêtement, je ressens différentes sensations à chaque fois que je monte sur une ligne. Je me suis davantage attardée sur des cordes de gréement (rigging lines) qui sont un défi pour moi, des cordes avec lesquelles je ne suis pas à l’aise au niveau de la tension ou de la longueur. Même lorsque je tombe, je suis heureuse car ça signifie que je repousse mes propres limites et que j’apprends quelque chose de nouveau dans ce sport.

En Sécurité.

Je crois fortement que la peur est une bonne chose. La peur est ce qui maintient en sécurité. La peur est ce pour quoi j’ai tant appris sur l’utilisation des sangles et les spécificités du matériel que j’utilise. Cependant elle peut également nous éloigner d’une forme de progression. Il est positif d’entretenir sainement un certain niveau de peur. Je la gère différemment jour après jour. J’essaie aussi d’être consciente lorsque la peur m’empêche de pratiquer davantage ce sport ou d’être créative sur la corde.

Rite de passage.

L’un de mes souvenirs les plus mémorables a été de marcher sur la Dean’s Line à Moab dans l’Utah. Traverser la Dean’s Line est l’une de mes plus grandes fiertés en tant qu’highliner. C’était un passage spécial pour moi, une période au cours de laquelle je progressais à un rythme exponentiel. Dean Potter est un pionnier du sport de highlining et un athlète que j’ai toujours admiré. Cette ligne a pour moi un sens très particulier. Marcher le long de celle-ci a été comme un rite de passage. Je m’y suis sanglée et j’ai noué un nœud. Je me suis mise en équilibre sur la ligne, debout, j’ai fait trois pas avant de tomber, rattrapant la ligne de tout mon corps. Un sentiment de tristesse de ne pas faire un onsight send (send signifie marcher tout le long de la ligne sans tomber, onsight consiste à marcher le long de la ligne dès le premier essai). Je savais que j’étais capable de marcher le long de cette ligne. Bien que l’espoir de faire un onsight se soit évanoui, je devais essayer une nouvelle fois. Je me suis mise de nouveau en équilibre et j’ai recommencé.

Détermination.

Cette fois-ci, j’ai traversé toute la ligne sans tomber. J’avais évidemment des moments instables durant lesquels je pensais que je pouvais tomber de nouveau, mais je me suis simplement dit de respirer et de me détendre pour être dans l’instant. Sans même m’en rendre compte, j’étais de l’autre côté du vide. Après avoir sent la ligne à l’aller, je me suis retournée et j’ai fait le chemin inverse vers le point d’origine. Je ne suis pas du tout tombée. Au final, c’est comme si j’avais fait un onsight en aller simple.

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Heather Larsen

Contusions.

Tomber fait définitivement partie du jeu. Si tu ne tombes pas, tu ne te mets probablement pas dans une situation capable de t’aider à progresser. Tomber est une bonne chose. Quand tu tombes dans ton harnais de sécurité, on appelle ça faire un whipper. Je tombe énormément, mais je ne whip pas beaucoup. Bien que je sois en sécurité si je tombe, faire un whipping est ce qui m’effraie le plus. Ma plus grande crainte sur la highline est le whipping. Beaucoup de highliners aiment le whip. Je n’en fais pas partie. Même si je sais que je ne tomberais que sur une courte distance, je déteste ça. Quand je tombe, j’attrape généralement la ligne. En l’attrapant, la corde peut être rugueuse et tu te retrouves alors avec un peu plus de contusions.

Sourire.

J’essaie au mieux de saisir l’importance de chaque moment de peur. Tant que je sens que ma ligne haute est fixée correctement, je suis en sécurité. Quand bien même je rencontre la peur, savoir en fin de compte que je vais bien m’aide. Il est naturel de ressentir la peur dans ce genre de situations. En fin de compte, cela se résume à savoir rester en équilibre sur une ligne et avoir confiance en mes capacités à la franchir. Je sens que plus je me place dans un environnement ou une situation où je fais l’expérience de la peur, plus j’apprends à

la maîtriser. J’ai appris à sourire lorsque j’ai peur. Un ami m’a dit que même les tensions du visage rendaient plus difficile la traversée de la ligne donc je me contente de sourire et de prendre du plaisir, même si j’ai peur.

Jeu mental.

J’essaie de franchir plusieurs types de lignes, à différents étirements, hauteurs, fléchissements et longueurs. Je sais que je peux traverser n’importe quoi si je crois en mes capacités. L’esprit est ce qui limite le plus les gens. Si tu te dis que tu ne peux pas le faire, tu ne le feras probablement pas. Mais si tu estimes en être capable … imagine jusqu’où tu peux aller ! Respirer est mon outil le plus important sur la ligne. Rester calme et prendre de lentes respirations m’aident beaucoup.

Ambition.

C’est une expérience unique de traverser entièrement une highline, même si tu tombes quelquefois lors de la traversée. D’après moi, être sur une slackline est une forme de méditation. Le temps passé sur une ligne m’a montré à la fois ce dont j’étais capable et également à quel point je suis capable de bien plus. Je veux voir ce que je peux faire d’autre, de quelle manière je peux repousser mes limites. Ma motivation n’est pas toujours au plus haut niveau, mais j’ai de nombreux amis qui croient en moi et qui m’encouragent fortement à continuer.

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Part 02 avec Maya Gabeira et Andrew Cotton

Il est toujours bon de sortir de sa zone de confort. Tomber est une chose positive. Nazaré, Portugal. Il y a 3 ans, la surfeuse de 29 ans Maya Gabeira frôle la mort dans ce qu’on aurait tendance à désigner comme la vague la plus terrifiante au monde, déferlant à 18-25 mètres dans les eaux agitées de Praia do Norte. Aujourd’hui, la surfeuse Brésilienne est connue comme ayant bravé les extrêmes.

< Session d’entrainement pour Andrew Cotton en Angleterre > Maya Gabeira à Praia do Norte, Nazaré

Interview et texte : Elisa Routa Photos Andrew Cotton : Richie Hopson, Jorge Leal Photos Maya Gabeira : Hugo Silva, Brian Bielmann

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Monologue

Maya Gabeira performe Ă Teahupoo, Tahiti, 2013

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Maya Gabeira & Andrew Cotton

Andrew Cotton sur son homespot Ă Croyde, Angleterre, 2015

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Monologue Une première vague, une seconde vague assez forte, puis la troisième. Maya se retrouve emporter par le shore break et les ennuis commencent alors. A cet instant, son gilet de sauvetage se déclenche. Elle reste un long moment sous l’eau. Ce jour de 2013, Maya fait un blackout et reste inconsciente pendant près de cinq minutes. Une cheville cassée sera le prix à payer pour avoir pris de tels risques. Maya vient littéralement d’échapper à la noyade. En 2015, elle retourne à Nazaré et est nominée lors des WSL Big Wave Awards 2016. Les vagues de Praia Da Norte sont réputées parmi les plus grosses au monde. Nazaré a souvent été décrit comme le seul endroit sur la planète offrant la possibilité de surfer des vagues de 30 mètres de haut. Néanmoins, bien qu’ayant frôlé la noyade, Maya continue encore aujourd’hui à s’entraîner à l’endroit même qui a bien failli lui ôter la vie. « On doit apprendre à nos dépens et retourner au combat mieux préparé » dit-elle dans une interview. Certains appelleraient ça de la folie, d’autres de la persévérance.

Le wipeout a été violent

Au quotidien, les athlètes professionnels se confrontent à la peur, certains plus que d’autres. Ils ont bâti leur carrière autour de cette bataille contre la peur. Nous avons rencontré le surfeur de gros Andrew Cotton afin de discuter du mystérieux phénomène qu’est la peur. « Quand Maya (Gabeira) a failli se noyer, ça a été un retour sur terre, une prise de conscience. Ça a secoué tout le monde. La peur existe bel et bien car l’océan est un lieu véritablement effrayant, qu’il soit calme ou que les vagues soient géantes. Je trouve ça sain de faire face à une émotion comme la peur. Depuis ton plus jeune âge, on te dit souvent de ne pas faire ci, de ne pas faire ça parce que c’est dangereux. J’ai deux enfants et je suis sans cesse en train de leur dire ‘Faites attention, c’est dangereux, vous allez vous faire mal’. Mais je trouve qu’être effrayé, surpasser cette émotion et se dépasser, est quelque chose de sain et de positif. C’est bon pour le mental et bénéfique pour le corps. La technique m’aide simplement à la dépasser et à y faire face. J’ai ce petit truc qui me motive et me permet de traverser des épreuves difficiles. En fin de compte, je pense que c’est une bonne attitude à avoir. »

> Portrait de Maya Gabeira à Paya at Porto de Abrigo à Nazaré, Portugal >> Andrew Cotton performe à Killybegs, Irlande, 2016

Né sur la côte du North Devon en Angleterre et ayant grandi Je me fixe des là-bas, Andrew Cotton commence à surfer très jeune. A 16 ans, objectifs avant lorsqu’il quitte l’école, il prend pour habitude de voyager 3 mois chaque hiver, travaillant tour à tour pour une marque de combis, chaque session, en tant que gérant d’un magasin de surf et comme plombier j’essaye de penà temps plein. Par la suite, il choisit d’emprunter la voie du big ser à ce que je wave riding. « J’ai pris conscience que l’argent n’était pas aussi cherche à acimportant que ça et j’ai donc décidé de surfer plus. Je ne suis pas vraiment certain que surfer des grosses vagues ait été un choix complir. Cela me délibéré. C’était plutôt un cheminement progressif. Je voyageais permet de me énormément quand j’étais jeune et j’ai passé quelques saisons à concentrer sur Hawaii lorsque j’avais 18-19 ans. Ma première véritable expérience les objectifs à a été à Waimea Bay. Naturellement, j’ai adoré. C’est comme pour tout, plus vous aimez, plus vous en demandez. Cela vous amène atteindre. à surfer des vagues de plus en plus grosses, j’imagine. Je pense avoir toujours rêvé de devenir surfeur professionnel. Surfer de grosses vagues est venu tout naturellement. Pour le big wave riding, je me suis trouvé au bon endroit, au bon moment. C’était un coup de chance. » En novembre 2014, en tant que l’un des plus chargeurs les plus éminents, Andrew Cotton échappe à un wipeout dramatique à Praia do Norte, Nazaré. Après s’être lancé sur une gauche géante haute de 18 mètres, le surfeur britannique se fait soulever par la lèvre avant de tomber. Après la chute, il remonte à la surface, trop loin des sauveteurs à Jet Ski et une série de quatre énormes vagues viennent s’abattre sur lui. La seule solution est alors de retenir son souffle. « Ce matin-là était bien plus gros que je ne l’avais imaginé » explique Cotton, présent ce jourlà parmi six autres surfeurs à défier les vagues mythiques de Nazaré. « Nazaré est un endroit assez effrayant et certainement un spot difficile à surfer. Ramer là-bas, c’est compliqué. En

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Maya Gabeira & Andrew Cotton

tant que big wave rider, on s’assure donc de bien suivre les consignes de sécurité à Nazaré. Cela n’a rien à voir avec les autres spots où je suis allé. Mais ce jour de 2014, j’ai été soulevé, transporté par la vague et je suis resté sous l’eau pendant un bon moment. Les quatre vagues suivantes sont venues s’écraser sur ma tête. Le wipe-out a été violent mais tomber fait partie du jeu. » Habitué à expérimenter ce que la plupart des gens ne se risquerait pas à essayer, le surfeur britannique a pleinement conscience du risque potentiel de perdre la vie. Pourtant, il considère que le surf de gros n’est pas plus dangereux qu’un autre sport. « Dans l’océan, je me sens dans mon environnement. Je dirais qu’il existe d’autres sports plus dangereux que le fait de surfer des grosses vagues. Piloter une formule 1 peut également être très dangereux si vous ne l’avez jamais fait avant. Si vous avez grandi avec et que vous l’avez fait pendant des années, ça devient votre environnement naturel. Quand je surfe des vagues énormes, je ne prends pas de risques inutiles et en aucun cas je ne me risquerais à me blesser ou à me noyer. Je suis très prudent. Pour devenir un athlète professionnel de haut niveau, on se doit d’être prudent, autrement on ne fait pas de vieux os. » En tant que surfeur, aventurier et conférencier engagé, l’entraînement est une part importante de sa vie. Cela lui permet d’optimiser ses performances et de prolonger ses sessions. Avoir confiance en son propre corps lui apporte une certaine force mentale. « Physiquement et mentalement, je pense que le travail de respiration aide beaucoup. Je travaille la cardio chaque jour et pratique la respiration abdominale : 3 secondes en inspirant, 10 secondes en expirant. Une respiration abdominale adaptée avant, pendant et après une session aide énormément. Cela prépare le corps et apaise. Je pratique également le yoga et la méditation qui me permettent de maintenir un état d’esprit positif. Autrement, je me fixe des objectifs avant chaque session, j’essaye de penser à ce que je cherche à accomplir. Cela me permet de me concentrer sur les objectifs à atteindre. Je ne me contente pas d’aller à l’eau pour surfer la première vague venue. Avant chaque session, j’ai un plan et des objectifs que je pose par écrit. J’aime mettre mes idées à plat et me concentrer sur la manière dont je vais surfer et les situations dans lesquelles je vais me mettre. »

mais tomber fait partie du jeu.

Malgré l’intensité, la puissance et la taille gigantesque de la houle, bien qu’il ait frôlé la mort, l’athlète professionnel Andrew Cotton originaire du Devon a choisi d’accepter et de maîtriser sa peur. « J’ai connu pas mal de chutes. Tomber est une chose positive. En aucun cas quelque chose de mauvais. La clé est de ne pas paniquer et de rester calme dans une situation de crise. Il est toujours bon de sortir de sa zone de confort. »

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Monologue

Andrew Cotton, Croyde, Angleterre

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Le rebond

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They had a dream avec Matthieu Tordeur et Nicolas Auber

Un tour du monde en 4L pour la microfinance. Matthieu Tordeur est ce qu’on appelle un apprenti aventurier. A 25 ans, il a déjà passé Noël en Laponie au-delà du cercle polaire Arctique sous -30°, il a visité la Bolivie, voyagé entre Pekin et Shanghai et ainsi marché sur la grande muraille de Chine. Il a découvert la Cité interdite et a conduit sur les rives du Lac Baïkal en Russie pour un périple de 8 000km à travers l’ancien Turkestan. Il est parti en expédition polaire au Groenland et a skié sur la banquise sur près de 150km. Il a traversé l’Islande et L’Ethiopie, a fait le marathon de Pyongyang en Corée du Nord, a achevé une Transatlantique en voilier jusqu’au continent Africain, et une Transcontinentale en vélo sur plus de 3 000km, sans assistance, le tout en 16 jours. Tout ça « pour accomplir un rêve d’enfant, pour la passion de l’aventure, le goût du défi et du dépassement de soi, » dit-il. En Septembre 2013, Matthieu Tordeur et son ami Nicolas Auber ont fait le choix de partir pendant un an réaliser un tour du monde en 4L, afin de soutenir la création d’entreprises par le micro-crédit et ainsi promouvoir la microfinance. A travers plus de 50 000km sur les routes du globe, le binôme français est allé à la rencontre d’institutions de microfinance et d’une cinquantaine de micro-entrepreneurs dans près de 40 pays. Résultat : ils ont reversé 25 000€ à des projets sélectionnés et ainsi aidé 150 personnes à créer et/ou développer une activité génératrice de revenus. De la Normandie à l’Inde, de l’Asie du Sud-Est aux Etats-Unis, du Brésil au continent Africain, nous avons choisi de laisser la parole à Matthieu Tordeur, co-auteur du livre intitulé « 4L, un tour du monde du microcrédit » et acteur de ce périple un peu fou à travers les 5 continents.

> La 4L au Maroc

Texte : Matthieu Tordeur Photos : Matthieu Tordeur & Nicolas Auber

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Basecamp

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Monologue

Depuis ma jeunesse je cultive un irrésistible désir d’aventures. Bercé par Tintin et les récits des grands aventuriers modernes, j’ai à mon tour au cours de mes dernières années étudiantes fait ma trace et multiplié les aventures et expéditions à travers le monde. Lorsque j’évoque mon parcours, j’ai l’habitude de me présenter comme un « apprenti aventurier ». Je suis toujours à l’affut d’un nouveau mode de déplacement, d’un nouvel environnement à découvrir et à photographier, d’un nouveau défi… Concurrent de la Transcontinental Race, une course cycliste à travers toute l’Europe, équipier sur une transatlantique en voilier ou encore membre d’une expédition polaire à skis au Groenland, j’aime par-dessus tout me retrouver confronté à la nature et à moi-même.

Notre objectif a été de découvrir sur le terrain l’activité de ces hommes et ces femmes qui, chaque jour, travaillent pour subvenir à leurs besoins et améliorer leurs conditions de vie. Au cours de ce tour du monde pour promouvoir l’entrepreneuriat par le microcrédit, nous avons travaillé caméra au poing avec les agents de crédit locaux des différentes institutions de microfinance et un interprète, afin d’entrer véritablement dans le quotidien des bénéficiaires. Leurs activités sont variées, on retrouve par exemple des propriétaires de petits commerces qui n’ont pas assez de trésorerie pour acheter des stocks, des éleveurs et des agriculteurs qui achètent des semences ou du bétail, de petits restaurateurs qui se fournissent en grills, tables et chaises… Chaque institution de microfinance avec lesquelles nous avons travaillé agit En 2013-2014, avec mon ami d’enfance en fonction des populations auxquelles Nicolas Auber, j’ai réalisé un rêve de Le microcré- elle s’adresse. En Inde et en Asie du Sudgosse. Celui de faire le tour du monde Est, où nous avons fait des prêts de faibles au volant d’une 4L. Revenus deux ans dit se révèle montants (entre 60 et 200€), les formations plus tôt d’un voyage solidaire au Népal être un exsont essentielles pour des populations au cours duquel nous avions installé des traordinaire à la marge et contribuent fortement à panneaux solaires dans une communauté levier de dé- l’excellent taux de remboursement des reculée des montagnes de l’Himalaya, nous microcrédits. Celles-ci abordent des étions attachés à ajouter une dimension veloppement. questions de comptabilité en expliquant la solidaire à notre aventure. Nous avons différence entre le capital et le profit. Elles alors monté un partenariat avec des institutions de expliquent également pourquoi l’argent prêté doit microfinance basées sur notre route, fait une levée de être utilisé pour développer son activité et non pour fonds de 25 000€ que nous avons reversée à des micro- accroître sa consommation. Elles font aussi l’objet des entrepreneurs dans le monde entier. Sur le terrain risques liés au surendettement et à la souscription nous avons rencontré et interrogé une cinquantaine simultanée de plusieurs prêts. Ces formations sont d’entre eux pour mieux comprendre le levier de courtes et le formateur utilise des images et des jeux développement qu’est la microfinance. Le microcrédit de rôles pour expliquer toutes ces notions aux microest l’apport d’un petit capital de départ pour créer entrepreneurs. ou développer une activité génératrice de revenus. Ses bénéficiaires sont exclus du système bancaire En Amérique du Sud, les micro-entrepreneurs classique parce qu’ils sont parfois illettrés, n’ont disposent d’un peu plus de ressources qu’en Asie, parfois pas de papiers d’identité, ce qui rend difficile les microcrédits tournent autour de 500€. Certaines la signature d’un contrat. Et puis, surtout, les banques institutions de microfinance comme FONDESURCO sont frileuses à l’idée de prêter aux plus démunis par près d’Arequipa dans le sud du Pérou, peuvent alors crainte de ne pas voir leur capital remboursé. Les apporter des solutions innovantes et durables > institutions de microfinance avec lesquelles nous à leurs micro-entrepreneurs, comme des Parc national avons travaillé, sont des organismes sociaux où les chauffe-eaux et des fours solaires. Dans le de Huascarán, Pérou intérêts servent uniquement à couvrir leurs frais de touristique Cañon del Colca (Pérou), nous fonctionnement et à aider les 3% d’entrepreneurs qui avons notamment fait la rencontre de Sulca qui tient ne parviennent pas à rembourser leurs prêts. une petite auberge. Auparavant, son activité peinait à fonctionner puisque son hôtel était trop rustique dans une région où le climat est rigoureux. En investissant dans un chauffe-eau solaire, elle peut désormais fournir à ses clients 120 litres d’eau chaude la journée et 4 heures après la tombée de la nuit.

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They had a dream

> La route du Pamir, Tadjikistan

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Monologue

v Etats-Unis

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They had a dream

v Laponie

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Monologue Elle attire désormais une toute autre clientèle et lorsque nous l’avons quittée, son projet était de construire une grande cuisine pour proposer à ses invités des plats locaux. Partout, les micro-entrepreneurs font preuve de débrouillardise et d’ingéniosité et ne se contentent pas d’absorber seulement le microcrédit dans leur activité. À Oued Zem au Maroc, Ahmed tient un atelier de menuiserie. Depuis qu’il utilise comme modèle des catalogues de grandes marques occidentales de mobilier, il ne manque pas de clients et prévoit même d’embaucher un apprenti.

v Une rencontre en Inde

Le microcrédit se révèle être un extraordinaire levier de développement, lorsque les institutions de microfinance sélectionnent des micro-entrepreneurs consciencieux et les accompagnent tout au long de leur prêt dans leurs activités. Notre aventure nous a permis de rencontrer une cinquantaine de micro-entrepreneurs dans 8 pays. Nous y avons découvert un système financier intelligent, qui fonctionne véritablement au service d’individus et de leurs familles. Il libère le potentiel de toute une communauté en développant l’esprit d’entreprise, le travail, la volonté mais aussi la créativité. Cette année autour du monde à la rencontre de ses habitants a été haute en couleur. Je me rappelle avec amusement les pessimistes : « Un tour du monde en 4L en passant par l’Iran, le Mexique, la Colombie, la Mauritanie ? C’est beaucoup trop dangereux, tu ne passeras pas. Et puis sans connaissance en mécanique, ta 4L ne tiendra jamais ». Nombreux étaient ceux prêts à parier que nous n’irions pas plus loin qu’Istanbul. C’est vrai, on a tendance à se laisser subjuguer par les obstacles et à chercher des excuses pour ne pas se lancer. Mais j’avais choisi de suivre Antoine de Saint-Exupéry et de vivre mes rêves plutôt que de rêver ma vie. C’est à force de détermination et d’enthousiasme que nous avons fait plus de 50 000 kilomètres à travers 40 pays sur 5 continents. J’ai été abasourdi par la gentillesse et l’hospitalité des iraniens, l’abnégation des chauffards indiens roulant à contre-sens en klaxonnant, la beauté singulière du Salar d’Uyuni en Bolivie où seules les montagnes au loin viennent interrompre l’horizon parfait entre ciel et désert salé. Un si long périple a marqué l’étudiant de 21 ans que j’étais. Il m’a aussi fait prendre conscience de la chance que j’avais d’être Français. Entre la Mauritanie et le Sahara Occidental, nous nous sommes retrouvés bloqués au milieu de migrants africains essayant jour après jour de rejoindre l’Europe. Un continent qui suscite tous les fantasmes, comme cet enfant qui m’a lancé un jour : « Est-ce qu’il est vrai que vous nourrissez les oiseaux dans votre pays ? »

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They had a dream

C’est à force de détermination et d’enthousiasme que nous avons fait plus de 50 000km à travers 40 pays.

Pas une fois en 335 jours de voyage me suis-je senti en réel danger ou menacé. Peut-être que la chance était de mon côté, mais ce dont je suis certain désormais c’est que l’homme est foncièrement bon. J’ai été surpris par la bienveillance et la joie de vivre des habitants de cette planète. Même si nous ne pouvions pas toujours nous comprendre, rares étaient nos échanges avec des étrangers privés de sourires et d’éclats de rire. Rares étaient les moments où je ne trouvais personne pour m’aider et me guider. On a tendance à croire en écoutant la radio ou en regardant la télévision que le monde est en guerre et qu’il est dangereux, je n’ai pas eu ce sentiment-là.

À l’origine, il y avait l’envie de découvrir le monde à bord d’une 4L en faisant un tour de notre planète. Cette aventure s’est concrétisée en un tour d’horizon de la microfinance à travers la rencontre de microentrepreneurs. Avec nos partenaires, l’objectif a toujours été de promouvoir le microcrédit et d’y sensibiliser le plus grand nombre. C’est ce que je continue de faire aujourd’hui en faisant des conférences à la Royal Geographical Society à Londres, à travers le livre photo publié chez Magellan & Cie, ou encore grâce au documentaire de 52 minutes retraçant notre aventure Microcrédit en 4L que je m’apprête à sortir avec Nicolas. Depuis mon retour j’ai repris le chemin de l’université. S’il ne m’a pas semblé difficile de revenir d’un tel périple à une vie « normale », je peux dire de façon certaine que j’ai la bougeotte. En avril 2016, j’ai eu la chance de participer au Marathon de Pyongyang en Corée du Nord et je prépare actuellement le Marathon des Sables 2017, 6 marathons en 6 jours en auto-suffisance alimentaire dans le Sahara.

Salar de Uyuni, Bolivie

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Ice-Cream Headaches par Julien Roubinet et Ed Thompson Les Cocons de bois de Jay Nelson Le snowboard comme prĂŠtexte avec Matt Georges Make America America Again par Larry Niehues

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Ice-Cream Headaches par Julien Roubinet et Ed Thompson

La scène surf locale est tellement riche, culturellement parlant, que nous avons décidé de dresser un panorama de cette culture, vivant nous-mêmes à New York et dans le New Jersey. < Tom Petriken > Planche de l’auteur Russell Drumm

Photos : Julien Roubinet Interviews des surfeurs : Ed Thompson Texte : Elisa Routa

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Ice Cream Headaches

> La collection de planches de Mikey DeTemple < Le surfeur New-yorkais Mikey DeTemple

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The Observatory Julien Roubinet n’était pas destiné à passer le plus clair de son temps sur les plages de la côte Est, à photographier les surfeurs américains. Il y a quelques années, il étudiait dans une école de commerce en France, avec l’ambition de travailler dans la finance. « Ma toute première expérience professionnelle a été dans la finance. Une routine classique au cours de laquelle seuls les weekends semblaient excitants. Il y a 5 ans, on a proposé un travail à New York à ma copine. Quelques mois plus tard, j’ai quitté la France pour la rejoindre ».

v Les eaux gelées de la côte Est > Le voilier de Mikey DeTemple

Originaire de Toulouse, le photographe Français n’a jamais eu pour habitude d’entretenir une relation intime avec l’océan. « A l’époque, ma seule interaction avec l’océan se limitait à une ou deux semaines de bodyboard par an. » Paradoxalement, lorsqu’il débarque dans l’entre de la Mecque urbaine, principalement réputée pour ses mythiques gratte-ciels, Julien commence à développer un intérêt pour les vagues. « Lorsque je suis arrivé à New York, j’ai appris qu’il y avait une plage à environ une heure en métro du centre. Les vagues sont exceptionnellement rares mais lorsque la saison des ouragans arrive en automne et les Nor’easters en hiver, on a des beach-breaks qui n’ont rien à envier au reste des Etats Unis. Au-delà de Rockaway Beach, il y a des spots vraiment incroyables, des point breaks et de puissants beach-breaks. Le problème est la consistance de la houle. » Le surf à New York existe depuis les années 1960 mais il semble qu’il ait pris son envol au cours des 5 dernières années. « L’image du surf est omniprésente partout dans la ville ; sur les vitrines des magasins, des coffee shops, des restaurants et des bars. Cependant, l’hiver rebute la plupart des surfeurs. Là où il y a généralement 20 à 30 personnes en été, on surfe facilement tout seul l’hiver. Chaque session est une aventure ; se changer sous la neige, sortir de l’eau avec des stalactites sur la capuche. Surfer à New York est également fascinant en terme de rencontres. A l’eau, tu peux surfer avec des musiciens, des artistes, des photographes, des écrivains, des locaux, des célébrités. Tout le monde semble sympa. »

Après avoir passé une année à surfer à New York, Julien comprend à quel point la scène surf locale est unique. Il décide alors de co-écrire un livre avec l’écrivain anglais Ed Thompson, documentant la scène surf sur la côte Est des Etats-Unis. « La scène surf locale est tellement riche, culturellement parlant, que nous avons décidé de dresser un panorama de cette culture, vivant nous-mêmes à New York et dans le New Jersey. A travers une série d’interviews, d’histoires, de portraits de personnes participant à l’évolution de ce paysage, nous avons décrit la culture du surf dans cette partie du pays. Le principal objectif a été de faire la lumière sur les surfeurs, les shapeurs, les photographes, les cinéastes, les écrivains qui portent fidèlement l’âme du surf et les conséquences d’une vie dédiée à l’obsession de l’océan. »

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Ice Cream Headaches

The point is go out and have a good time - who gives a shit about all that… Michael Halsband

Du freesurfeur Tom Petriken à l’auteur et reporter de longue date Russell Drumm, ou encore le photographe mondialement reconnu Michael Halsband à qui on doit la célèbre photo de Andy Warhol et Jean-Michel Basquiat, jusqu’à l’écrivain William Finnegan et le surfeur new yorkais Mikey DeTemple, tous les profils sont fascinants. « Après avoir passé 3 ans sur la route, nous avons rédigé un livre qui devrait bientôt sortir». Découvrez plus à propos du projet de livre « Ice-Cream Headaches » sur le site www.icecreamheadaches.nyc

<|> Chris Gentile, Joseph Falcone & Michael Halsband

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Joseph Falcone dans son atelier de shape

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Mikey DeTemple

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Ice Cream Headaches

Russell Drumm

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128 Lorsqu’il était gamin, Jay Nelson rêvait de construire des cabanes dans les arbres.

Le surfeur, artiste & designer Jay Nelson transforme un rêve en réalité. Texte : Elisa Routa

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< Golden Gate 2’’ 2014 90’’x54’’x62’’ > Installation from pairing, 2016, peinture sur bois et structure en cordes

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Aujourd’hui, l’artiste californien continue de tirer son inspiration des branches des arbres pour créer des constructions mobiles de qualité artisanale. Le surfeur et artiste imagine ses créations comme un dialogue et une collaboration entre l’élément naturel et l’artisan. « Je n’utilise pas de schéma pour construire, simplement des idées. De là naissent des moments d’incertitude et parfois de désespoir. A mon sens, ces constructions sont le fruit de chemins obscurs et d’un travail dans l’incertitude. » Des camions convertis en maison, un bateau en parfait état de marche surplombé d’une coque en caissons de bois, une sphère sociale, un concept de véhicule dédié au surf, une annexe en forme de sous-marin, une cabine de bois hawaïenne et un van. Instinctivement, Jay Nelson dessine sur papier ces formes originales. « Je m’intéresse

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aux formes architecturales en raison du poids qu’elles pèsent dans nos vies. D’une manière très élémentaire, elles nous fournissent un endroit paisible pour se reposer et penser. Elles déterminent également la façon dont nous interagissons les uns avec les autres et créent un cadre pour le monde extérieur, » explique Jay Nelson « Organiser les pièces d’une construction est une oeuvre infinie et ces arrangements font de nous ce que nous sommes. » En suivant constamment une ligne directrice, l’artiste basé à San Francisco a choisi de réaliser des créations artisanales en opposition avec les produits de masse. En 2014, au cours du programme Worn Wear de Patagonia, le designer a construit une coque de camping-car alimentée à l’énergie solaire à partir de bois de récupération d’une cuve à vin géante, montée sur un Dodge Cummins série ‘91 roulant au biodiesel, appelée

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Jay Nelson

« The Worn Wear Wagon ». Inspirée de la Zone Autonome Temporaire de l’écrivain et poète anarchiste Hakim Bey, Nelson n’a cessé, au cours de la dernière décennie, de réaliser des constructions éphémères autonomes. Ne se limitant pas à la fabrication de ses constructions mobiles en bois, Jay Nelson a également dessiné une cabane de 18,5 mètres carrés à Haena, Kauai. Artiste accompli, il a fabriqué son premier véhicule modifié au mythique Mollusk Surf Shop à San Francisco, une Honda Civic série ‘91. Plus récemment, Jay a dessiné un Observatoire sur le toit d’un bâtiment du géant Facebook, une création en forme de dôme dotée d’une fenêtre circulaire surplombant la Baie de San Francisco. « Une fenêtre est un moyen de détourner le regard d’une personne vers une vue ou une idée. J’utilise

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des meubles pour influer sur l’échange entre l’espace, une œuvre artistique ou une autre personne. Le toit et les murs garantissent la vie privée, l’intimité et invitent à la réflexion sur soi-même. La lumière attire le regard. » De l’ultime surf shack mobile des années 80 fabriquée pour son ami Rob Machado, au camping-car électrique unique en son genre fait de contreplaqué, de fibre de verre et de pièces de vélo, Nelson est reconnu pour offrir une place à la créativité. « Parfois je mène une expérience pour moi, comme mes constructions mobiles et mes habitations. Parfois je mène une expérience pour le public. » Au fil des années, Jay Nelson a rejoint une génération d’artistes et de surfeurs progressistes à San Francisco et a exposé à travers le monde dans des galeries et musées.

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Copper Camper, 2015, projet avec Foster Huntington sur une Suzuki Samuri

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Jay Nelson

Marseille boat, 2012, exposition Ă Fa Friche, Marseille, France

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Le snowboard comme prétexte. Matt Georges Matt Georges a grandi à 1000 mètres d’altitude, dans un village perché dans les Alpes françaises. A l’âge où je ne m’endormais pas sans la tétine ou la voix apaisante de ma mère, Matt apprenait déjà à skier. Il avait 2 ans. A l’adolescence, il se décrit comme un « accro au snow et au skate ». A 17 ans, il fait la rencontre de la photographie et apprend à développer ses films en chambre noire. Deux ans plus tard, il se redécouvre une passion pour les cimes enneigées. Aujourd’hui, Matt Georges est considéré comme l’un des meilleurs photographes de snowboard de sa génération. Texte : Elisa Routa Photos : Matt Georges

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Markus Keller, Région de l’Arlberg, Autriche

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< Laax, Switzerland > Kazushi Yamauchi aka Yama San

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Polaroids, émulsionnées, cramées, décolorées ou décalquées, la puissance et l’instinct de ses prises de vue ont fait sa réputation. Au cours de ses dix dernières années, Matt a réalisé un travail conséquent tant sur le plan de la photographie argentique que numérique. En jouant sur des accidents chimiques ainsi qu’en utilisant divers procédés, produits, filtres et produits argentiques, le photographe français rend compte d’une texture et d’un relief hors du commun. Photo éditeur et photographe attitré de magazines tels que Freestyler, Method Mag, Onboard et Whitelines, il a participé à de nombreuses campagnes publicitaires pour des clients comme Vans, Roxy, Rhythm ou Nokia. Au travers de portraits, de prises abstraites ou en mouvement, son œuvre s’est toujours portée sur l’hiver et le snowboard, léguant une vision à la fois graphique, géométrique, et toujours plus personnelle. Sous une tempête à -30°C, en quête permanente d’une neige immaculée, sous une faible visibilité, bravant les vents forts, sans réseau téléphonique, coupé de toute civilisation, menacé par une avalanche à la fois imprévisible et capricieuse, confronté à des pentes raides ou des falaises escarpées, le photographe est en quête de challenges. « J’aime le brouillard, les flocons et la faible visibilité. Je trouve le ciel bleu un peu chiant. »

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Au fil des années, les conditions inconfortables voire hostiles ont appris à Matt Georges à repousser toujours plus loin sa créativité. Le talentueux photographe et designer graphique a récemment lancé sa propre maison d’édition, The.Dirty.Dogs., produisant un recueil de photos éponyme tiré en édition limitée. « Dès que tu es à l’aise avec les règles, elles sont là pour être brisées » dit-il. En réunissant les photographes les plus dévoués au snowboard et les esprits les plus créatifs, Matt est parvenu à produire un livre indépendant grand format de 190 pages, illustré d’une centaine de photographies, élaboré et imprimé dans les Alpes françaises et suisses.

> Fredi Kalbermatten, Saas-Fee, Suisse >> Markus Keller, Arlberg, Autriche

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J’aime le brouillard, les flocons et la faible visibilitÊ. Je trouve le ciel bleu un peu chiant.

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Interview : Fabrice Le Mao Photos : Larry Niehues

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by Larry Niehues

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Je suis né à Avignon et j’ai grandi à coté, à Rochefort-du-Gard, un village typique du sud-est de la France, avec une église et un lavoir. Le cliché du village provençal. J’ai 28 ans. D’aussi loin que je me souvienne, mes parents ont toujours été passionnés par l’Amérique. À la maison, on en parlait, on en rêvait. L’Amérique, on la vivait à distance, parfois presque par procuration. Elle était tout le temps dans notre imaginaire. Mon père roulait dans un vieux pick-up Dodge. Ils m’ont donné un prénom Américain. Franchement, les US ont toujours été dans ma ligne de mire. Cela fait maintenant six ans que j’habite à Los Angeles et je vis de la photo depuis cinq ans. J’ai commencé la photo en France il y a presque 8 ans. Mon frère avait lancé Fat Boy Clothing. On n’avait pas souvent le budget pour travailler avec des photographes et puis on voulait tout faire nous-mêmes. C’est comme ça que j’ai acheté un petit Sony Alpha et que j’ai commencé à shooter. Mes potes étaient mes cobayes et dès que je me suis senti un peu à l’aise, j’ai shooté des événements de motocross. C’était mon univers. Par la suite, je me suis tourné vers le custom. Finalement, je me suis décidé à envoyer des photos aux magazines de moto et j’ai fini par être publié.

J’avais envie d’évasion, et surtout, envie de poursuivre mon rêve de venir m’installer aux États-Unis. Ma première fois ici, c’était grâce à Christian Audigier, un très bon ami de mon père. Il nous a appelé, mon frère, ma mère et moi, pour nous inviter à venir aux US. Il allait fêter son anniversaire et voulait nous faire un petit cadeau. On était comme des fous, mon frère et moi. Dans le plus pur style Audigier, on a vécu la démesure à l’américaine : une limousine à l’aéroport, une suite au Standard Hotel. M6 faisait même un reportage sur Christian à cette occasion et nous suivait en permanence. Il y avait Snoop Dog, Michael Jackson, et tout ce que L.A. compte de célébrités. Ce qui était marrant, c’est que ce n’est pas ce qui nous attirait, mon frère et moi. On n’était pas vraiment dans notre monde.

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En 2010, j’ai fait le “big move”. Je me suis dit que si je ne le tentais pas ici, à Los Angeles, je ne le tenterais jamais dans aucune autre ville. J’avais la “gnac”. J’ai commencé à shooter dans la musique, pour des marques de vêtements, des artistes et la moto, grâce à mon pote Dean de Dice Magazine. Il a été, et demeure une de mes plus belles rencontres. Je lui suis infiniment reconnaissant. Il a cru en moi et a boosté ma confiance en moi-même. Les premières pelloches ont été des leçons d’humilité et de bonnes surprises. Je veux être surpris par le résultat. La lumière est mystérieuse et capricieuse. Les photos surexposées ou brûlées ont plus de charme parfois. Je laisse les imperfections de la pellicule, les petites rayures, que je pourrais gommer facilement avec Photoshop. Je shoote parfois en conduisant. Soit parce que je n’ai pas le temps de sortir de la voiture ou parce que l’endroit où je suis n’est pas franchement le plus sécurisant. Là aussi, le résultat est parfois surprenant. Un jour, j’étais commissionné

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par une marque de vêtements pour shooter à Victorville, dans le désert. Los Angeles, ce n’est pas l’Amérique… Ce n’est qu’une partie de l’Amérique. Dès que tu sors de la ville, sans aller très loin, tu tombes sur des villages figés dans le temps. J’avais mon petit Nikon FE et une pellicule 400 TRX expirée. J’ai vu deux cowboys en train de marcher sur le bord de la route. Je me suis garé mais je n’ai pas eu le cran de les interpeller pour leur demander de poser, je les ai shootés de dos. J’ai développé la pellicule et quand j’ai vu le rendu, je me suis dit que c’était cela que je voulais faire. Je veux montrer aux gens que cette vieille Amérique existe toujours. Je me suis rappelé le livre bestseller de Robert Frank “Les Américains”. Une énorme inspiration dans mon travail. Aux US, face à l’incroyable majesté d’endroits comme YellowStone ou le Delta du Mississippi qui t’inspirent respect et humilité pour la nature, il y a le monde des hommes. Un mille-feuille de contrastes où l’extrême richesse côtoie l’extrême pauvreté. Il y a des villages – ou parfois

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des quartiers dans des villes – complètement figés dans le temps, témoins d’une prospérité mieux répartie qu’aujourd’hui. Il y a une notion d’intemporalité dans cette Amérique-là. Comme si elle attendait une sorte de remise en route pour repartir. Derrière la mélancolie de la désuétude, il y a une fierté et une grande noblesse dans cette Amérique. Enfin… C’est ce que je ressens quand je me retrouve dans ces endroits un peu en marge.

quartiers. Photographiquement parlant, les bâtiments pourraient presque se suffire à eux-mêmes. Mais pour que je sois comblé, il me faut un personnage, un élément humain, un caractère. A partir de l’instant où tu pointes une caméra sur les gens, ils cessent d’être naturels et c’est le moment réel qui est intéressant. J’essaie donc d’être discret quand je shoote.

Cela fait 3 ans que je travaille sur ce projet de recueil de photos entièrement shooté en argentique La vie d’un photographe est basée et au 35mm. J’espère finir l’année sur les rencontres et le contact avec prochaine. Il va retracer tous mes les gens. Même quand je “vole” une voyages. Il me reste encore à visiter image, c’est une rencontre. C’est l’Alaska et Hawaii. Ce sera un sans doute pour cela que je suis peu un “Voyage en Amérique en passionné par le photo-journalisme Argentique”. de Dennis Hopper, Robert Franck ou William Eggleston. Il est impossible d’être Ils shootaient en argentique par photographe et ne pas avoir nécessité. Je shoote en argentique l’ambition de publier ses images par choix. Pour retrouver un sur du papier. Les réseaux sociaux processus créatif similaire. Les et Internet sont utiles dans certains contraintes et les paradoxes de cas bien précis, mais le papier est le l’argentique sont beaucoup plus medium sur lequel l’art s’exprime. intéressants. Il faut prendre son Je serai comblé quand je sortirai temps. Je suis constamment sur la ce livre. J’aurai ce sentiment route. Je m’arrête dans les centrede plénitude que l’on est loin villes historiques ou les vieux d’éprouver avec des “likes”.

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Wolf Pack Leather x Swenson Charlotte Hand habite Cronulla, une ville côtière au Sud de Sydney, nichée entre des parcs nationaux et des baies idylliques au nom de personnages de dessins animés. Etant gamine, Charlotte vivait à Queenscliff, un village coincé à quelques kilomètres au sud de Freshwater, spot devenu célèbre grâce à l’Hawaïen Duke Kahanamoku, et Manly Beach. Perchée sur une colline, la maison de sa mère surplombait l’une des plages les plus convoitées d’Australie. « J’ai grandi en regardant les surfeurs. Quand j’avais 11 ans, un voisin m’a offert une planche de surf. J’allais surfer tous les jours. Je n’ai jamais pris de leçon, j’ai tout appris par moi-même. » Il y a quelques années, la jeune australienne avait tout un tas de sponsors placardés sur sa planche de surf, et concourrait sur le circuit pro junior en Australie. Elle faisait partie de ces surfeuses pro qui parcourent le monde en quête de jolies vagues et de prix à rafler, à la différence près que la pression des compétitions n’était pas vraiment son truc. « On était un petit groupe de potes et on avait crée une équipe : La Team Nothing! Parce que nos sponsors ne nous traitaient pas de la même manière que les autres. » Avec pas mal de talent dans les jambes et d’autodérision dans le boardbag, Charlotte a fini sur le WQS. « Ça n’a duré qu’une année mais j’ai fait de mon mieux jusqu’à ma dernière compète. Puis j’ai arrêté. Je n’aimais pas du tout la pression qu’on nous mettait. J’aime la compétition mais quand il s’agit du surf, je n’y arrive pas. »

Texte : Elisa Routa Photos : Holly Ellems

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Après cette dernière compétition, Charlotte a arrêté de surfer pendant 2 ans, de 2009 à 2011, comme par besoin de tirer un trait sur une vie qui n’était pas la sienne. Encore aujourd’hui, ses potes lui disent souvent : « Tu te rappelles quand t’as renoncé au surf ? » Naturellement, le surf est revenu à elle, au gré des rencontres, comme celle avec Dave Rastovich. « J’ai commencé à trainer avec des gens qui défoncent en surf, mais qui étaient beaucoup plus tranquilles. Des free surfeurs. Dave Rasta est l’un d’entre eux. J’aime sa façon de se moquer de ce qu’il surfe. C’est un grand mec et il arrive à surfer une 4’5. Je comprends pas comment! Ce crew m’a beaucoup influencé. Ça a énormément changé la vision que j’avais du surf. J’ai commencé à surfer des planches très différentes. C’était devenu mon nouveau challenge. » A cette époque, Charlotte étudiait la médecine naturelle à l’université mais la structure de la fac signifiait également beaucoup de contraintes. « Je me sentais submergée, je ne pouvais pas être moi-même. Un jour, je me suis levée, je me suis dis ’C’est aujourd’hui que tout va changer’. J’avais besoin de développer mon esprit créatif. Quand j’ai commencé à travailler le cuir, je ne me suis plus jamais arrêtée. » C’était il y a 3 ans. Wolf Pack Leather est désormais connu pour son attachement à des techniques traditionnelles, telle que la couture à la main et l’utilisation d’outils fondamentaux. Le reste est le fruit d’un apprentissage autodidacte. « J’ai lu pas mal de livres mais j’ai surtout appris par essais et erreurs. » A travers chacun de ses produits, Charlotte met en avant l’authenticité de sa démarche. En travaillant le cuir Bridle ainsi que le cuir tanné végétal, elle souligne le côté rustique du matériau qu’elle fait parfois venir d’Italie. « La qualité et la durabilité sont des éléments essentiels à la fabrication. » Ainsi, Swenson est heureux de présenter sa collaboration avec Wolf Pack Leather : Un porteclés élégant en cuir Bridle, un matériau noble et prestigieux, connu pour sa robustesse et son aspect brut et naturel. En alliant le savoir-faire artisanal à la qualité supérieure du cuir, en combinant des techniques traditionnelles à l’élégance et au raffinement, en mêlant nos passions et nos valeurs communes, nous avons créé un produit qui vous ressemble.

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Détails du produit : Porte-clés en cuir Bridle de 3-4mm Cuir fabriqué par Thoroughbred aux Etats-Unis Cuir bruni à la main Couleur « Pur-sang » Logo « Swenson » d’un côté (3,5cm) Logo Wolf Pack Leather de l’autre côté Rivet en cuivre Anneau et mousqueton en laiton massif

Retrouvez ce produit sur notre e-shop : www.swenson-store.com

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