L'architecture symbiotique, l'approche systémique au service de la soutenabilité - Mémoire

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Table des matières

Introduction ...................................................................................................................... 4 I - Une société complexe : entre crise et transition ....................................................... 6 1 - La fête est finie, consommation et frugalité ? .....................................................................................................6 1.1– Rétrospective ........................................................................................................................................ 6 1.2 – La grande accélération ...................................................................................................................... 6 1.3 – La progressive dégradation de l’environnement.......................................................................... 7 1.4 – Des ressources épuisables limitantes ........................................................................................... 8 1.5 – Un système endurant mais fragile .................................................................................................. 9 2 - Regard critique de la systémie sociétale .......................................................................................................... 10 2.1 – Changement de paradigme ............................................................................................................10 2.2 – Introduction à la pensée complexe ...............................................................................................11 2.3 – Comment fonctionne un écosystème ? .......................................................................................12 3 - Embryon de résilience et jeune pousse de soutenabilité .............................................................................. 13 3.1 – Favoriser la résilience ......................................................................................................................13 3.2 – Quelles conditions pour la soutenabilité ......................................................................................14

II - L’architecture symbiotique, construire en régénérant ........................................... 15 1 - Silence ça pousse : construire et évoluer avec les écosystèmes ................................................................ 15 1.1 – L’approche par la permaculture ....................................................................................................15 1.2 – L’intégration de la biophilie en architecture ................................................................................16 1.3 – Le bioclimatisme, un vernaculaire revisité ? ...............................................................................17 2 - Ré-apprendre à habiter en symbiose, prendre le temps de discuter.......................................................... 18 2.1 – Repenser la façon d’habiter ............................................................................................................18 2.2 – Le cas de l’habitat participatif ........................................................................................................19 3 - Architecture durable, repenser la filière du bâtiment ..................................................................................... 20 3.1 – Construire Low-Tech, éloge de la simplicité ...............................................................................20 3.2 – La question du réemploi ..................................................................................................................22 3.3 – Vers des filières Géo/bio-sourcés durables ................................................................................23

III – Une architecture en écosystèmes ........................................................................ 24 1– Un tryptique écologique ........................................................................................................................................ 24 1.1– La tradition pour aller de l’avant .....................................................................................................24 1.2– La technologie comme support......................................................................................................25 1.3– Le réceptacle urbain ..........................................................................................................................26 2– Des conditions pour une soutenabilité .............................................................................................................. 27 2.1– S’appuyer sur les biens communs .................................................................................................27 2.2– De la participation à l’auto-organisation ......................................................................................28 2.3– Une localité renforcée .......................................................................................................................29 3– Rendre résilient une architecture soutenable .................................................................................................. 30

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3.1– Des disciplines symbiotiques ..........................................................................................................30 3.2– Le temps de la circularité .................................................................................................................32 3.3– Régénérer en écosystème ...............................................................................................................33

Conclusion ..................................................................................................................... 35 Bibliographie raisonnée................................................................................................. 37 Table des illustrations ................................................................................................... 37 Annexes .......................................................................................................................... 38

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Introduction Être architecte aujourd’hui demande un positionnement face à la société ainsi qu’à l’héritage que nous laisserons aux générations futures. Depuis le rapport du club de Rome «Halte à la croissance» en 1972, la société thermo-industrielle n’a cessé de croître jusqu’à laisser le monde que nous connaissons présentement. De nombreux indicateurs montrent que notre mode de vie n’est plus envisageable à moyen terme, et que la biosphère a déjà atteint un niveau critique de durabilité. La question de la soutenabilité doit devenir centrale, en réfléchissant non seulement à notre impact sur la Terre, mais aussi à nos schémas de pensée. Pour cela, il serait intéressant d’analyser les causes mêmes de cette insoutenabilité, en tant que citoyen et architecte.

Depuis Descartes, l’homme a voulu cloisonner les connaissances pour mieux les assimiler, pourtant cette pensée comporte des incohérences lorsqu’il s’agit de réfléchir à des problèmes complexes. Certains penseurs comme Edgar Morin proposent de voir la connaissance de façon systémique plutôt que segmentée1. L’architecte utilise déjà ce modèle de pensée puisqu’il projette, il imagine un édifice dans sa globalité avant que celui-ci soit construit en engageant de nombreuses connaissances autant techniques que sensibles. La soutenabilité implique une vision systémique puisque pour l’atteindre, un écosystème doit se mettre en place et être autonome, qu’il soit naturel ou anthropisé. On cherchera tout au long de ce mémoire à mettre en évidence les interconnections permettant de créer un écosystème, de préférence ici architecturo-naturel.

Face aux crises que nous sommes déjà en train de vivre, il est plus qu’urgent de construire notre résilience pour les vivre et non les subir. Être résilient c’est pouvoir après un choc, surmonter celui-ci et recréer un autre système qui soit différent, et capable de s’adapter aux futurs problèmes. Cette notion suppose d’avoir les ressources qu’elles soient matérielles ou psychologiques pour pouvoir reconstruire un autre schéma d’organisation. Mettre en lumière ces ressources existantes ou non sera une étape importante pour tendre vers la soutenabilité. Comment faire évoluer notre parc immobilier pour s’adapter à une future sobriété énergétique ? Dans quelles mesures peut-on réutiliser un bâtiment, par son usage ou ces matériaux ? Avant de parler architecture, un des systèmes qui nous vient probablement à l’esprit en matière de soutenabilité est la forêt. En effet, elle possède un écosystème complexe que l’Homme recommence à peine à comprendre. En ayant comme pilier central la photosynthèse qui assure un apport énergétique durable, elle permet de créer un environnement symbiotique autant végétal que bactériologique

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Morin E. (2005). Introduction à la pensée complexe, (Editions du Seuil).

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très résilient. Comment intégrer et/ou recréer ce type de symbiose dans notre société humaine avec nos connaissances et nos ressources ? La recherche et la production architecturale concernant la soutenabilité est foisonnante et pluridisciplinaire. Architectes et urbanistes ont expérimenté depuis des décennies la « passivhaus », l’architecture frugale2, les écoquartiers, ou les biorégions. Ces multiples projets ont-ils des approches communes et réellement soutenables pouvant être appliquées à toutes les échelles ? L’enjeu étant de créer les aménagements architecturaux et urbains de demain, nous nous concentrerons dans ce travail sur la plus petite échelle, celle de l’architecture. Conscient de la limite du sujet, une approche plus multiscalaire et pluridisciplinaire pourra être amorcée pour donner de la cohérence à l’ensemble. On cherchera à travers des ressources propres à l’architecture, mais aussi à des ressources moins conventionnelles, à questionner l’aspect soutenable de ce type d’écosystème.

Ainsi, en quoi l’approche systémique et symbiotique peut-elle rendre l’architecture soutenable et résiliente ? Pour introduire ce travail de recherche, nous allons poser un regard critique sur la société actuelle en cherchant à comprendre les causes de notre insoutenabilité. Travailler avec la pensée complexe permettra de définir par rapport à notre sujet, les notions de soutenabilité et de résilience. Un temps sera donné à la recherche architecturale des aspects naturels, sociales et économiques en regard de l’approche systémique. Enfin, nous questionnerons ces trois piliers sous plusieurs prismes qu’ils soient symbiotiques, cycliques ou systémiques. L’aspect culturel, interrogera tout au long ce mémoire la soutenabilité, comme liant à une conception systémique.

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Haentjens J. (2011). La ville frugale : un modèle pour préparer l’après-pétrole, (FYP).

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I - Une société complexe : entre crise et transition 1 - La fête est finie, consommation et frugalité ? 1.1 – Rétrospective

Depuis quelques siècles, notre condition d’homo sapiens n’a cessé de s’améliorer. Nous nous sommes retirés de la chaîne alimentaire, pour devenir le plus grand prédateur pour la faune et la flore mondiale. Puis nous avons décuplé notre force, à l’aide de machines alimentées par l’une des sources d’énergie les plus efficientes, le pétrole. Nous avons réussi à connecter la quasi-totalité de l’humanité avec Internet et développer une économie de la connaissance créant une quantité incroyable d’informations et d’innovations dans tous les domaines.3 Nous avons même poussé les limites de la physique et de la biologie en créant des êtres de manière artificielle, en manipulant l’ADN et les gènes. Tandis que des hommes ont pu se poser à des centaines de kilomètres sur notre unique satellite. Mais dans sa recherche du progrès et de croissance, l’Homme a oublié dans son équation que les ressources ne sont pas infinies, que la biosphère n’est pas inaltérable et que l’équilibre de notre planète bleue repose sur une équation précise de corps gazeux.

1.2 – La grande accélération

Le système dans lequel nous vivons est en pleine accélération dans tous les domaines. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère, celle de l’anthropocène,

caractérisée

par

l’époque

de

l’histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu une incidence globale significative sur l’écosystème terrestre. Pour bien comprendre à quel point notre évolution est rapide à l’échelle des temps géologiques, la courbe la plus proche de la Fig 1 : Pillage des ressources planétaires

réalité est l’exponentielle. Cela peut se vérifier par la

démographie, la production industrielle, la pollution ou le niveau de vie, qui ont tous décuplé. Mais notre vie ne dépend pas seulement de ces paramètres, nous sommes confrontés aux limites de la biosphère, que

3

Harari Y. N. (2015). Sapiens: Une brève histoire de l’humanité, (Albin Michel).

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nous sommes en train de fortement altérer, comme en témoigne «le jour du dépassement» 4. Cela veut dire que dans le cas de la France, nous avons besoin, si tous les êtres humains vivaient comme nous, de 2,7 planètes Terre pour soutenir notre niveau de vie. Derrière ces chiffres se cache une réalité plus que préoccupante, lorsque notre empreinte écologique dépasse un certain stade par rapport à la biocapacité, le système s’effondre. Un aspect bien particulier de cette grande accélération est le dérèglement climatique. Ce phénomène a été enclenché par l’activité humaine, pourtant s’il n’est pas canalisé à temps, cela pourrait tendre vers des dérèglements de type exponentiels. En effet, si nous dépassons le seuil des deux degrés, des boucles de rétroactions, majoritairement positives (qui augmente la capacité de dérégulation) vont se déclencher5. Cela s’explique par la fonte du permafrost (relâchement de méthane + réduction effet Albédo), acidification des océans (production d’oxygène réduite par les microplanctons) ou encore la capacité de charge pour les sols et la végétation à capter le co2. La réduction des gaz à effet de serre, et donc de notre niveau de vie, est indispensable pour la viabilité à court terme de nos sociétés, et à long terme pour la survie de l’humanité.

1.3 – La progressive dégradation de l’environnement

Nous vivons sur un équilibre fragile reposant sur neuf limites régulant la stabilisation et la résilience du système terrestre dont le changement climatique en fait partie. Nous retrouvons ainsi les pertes de biodiversité ; les perturbations globales du cycle de l’azote et du phosphore ; l’usage des sols ; l’acidification des océans ; la déplétion de la couche d’ozone ; les aérosols atmosphériques ; l’usage de l’eau douce et la pollution chimique.6 Or ces équilibres physiques sont indispensables pour qu’une société basée sur les services écosystémiques puisse fonctionner. Une autre externalité de notre société thermoindustrielle est la pollution. Depuis plusieurs siècles, nous avons cessé d’accroitre ce phénomène, qu’il soit physique, chimique ou biologique, sans en réguler vraiment les causes. La politique actuelle envers la pollution est de créer des normes visant à limiter celle-ci, à exporter la pollution ailleurs,

Fig 2 : 9 Limites planétaires

Le Jour du Dépassement Mondial 2019 sera le 29 juillet [archive], overshootday.org. (consulté le 05/10/19). IPCC. (2018). Summary for Policymakers. In: Global Warming of 1.5°C. An IPCC Special Report on the impacts of global warming of 1.5°C above pre-industrial levels and related global greenhouse gas emission pathways, in the context of strengthening the global response to the threat of climate change, sustainable development, and efforts to eradicate poverty. 6 Steffen et al. (2015). Planetary Boundaries : Guiding human development on a changing planet, Science, Vol. 347, n° 6223 4 5

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comme la société occidentale envoyant les milliers de tonnes de déchets journaliers dans les pays asiatiques. Dans ce mémoire, il sera question de comprendre les multiples causes provoquant les pollutions, et de réfléchir à de moyens de l’éliminer en en trouvant une utilité, ou bien de fortement limiter ces externalités négatives. On cherchera donc à prendre la dégradation environnementale à bras le corps, et questionner nos modèles actuels.

1.4 – Des ressources épuisables limitantes

Notre société est basée sur la transformation de matière première pour en réaliser des objets manufacturés et des infrastructures supportant les services et l’industrie. Or comme de nombreuses études et tensions géopolitiques le montrent, certaines ressources vont bientôt manquer. Rappelons d’abord la différence entre ressources et réserves. Les réserves sont les ressources exploitables au prix actuel et les réserves basses sont les ressources démontrées, mais non encore exploitables économiquement. Il existe trois manières d’augmenter les réserves : trouver de nouvelles ressources par l'exploration ou l'amélioration de la connaissance géologique ; améliorer les techniques de production ou faire varier les conditions économiques.7 Nous ne manquons pas de ressources, mais c’est le coût et les techniques d’extraction qui commencent à être limités par rapport à la demande. Prenons l’exemple de la production pétrolière, base de notre économie, puisque sans énergie nous ne pouvons pas la faire fonctionner. Une des notions les plus importantes pour parler d’énergie est le taux de retour énergétique (EROI), c’est-à-dire une Fig 3 : Hiérarchie des besoins énergétiques de la société

quantité d’énergie demandée pour extraire une autre

quantité d’énergie. Ce taux était de 1 :100 en 1930, aujourd’hui la moyenne mondiale est à 1 :15, ce qui engendre déjà des problèmes comme des tensions géopolitiques ou le chômage de masse. Le pic pétrolier pour les hydrocarbures conventionnels est passé en 2006, la descente énergétique globale étant seulement retardée, par l’exploitation des pétroles non conventionnels tels les pétroles de schiste ou les sables bitumineux.8 Le pic des autres sources d’énergie comme le charbon, le gaz ou l’uranium est prévu entre 2030 et 2050. Le mix énergétique mondial fonctionne en additionnant les différents types d’énergies, et le mythe du 100% renouvelable est fortement gravé dans les esprits. Les « énergies renouvelables » reposent

Société géologie de France, Quelles sont les différences entre réserves et ressources en hydrocarbures ? (consulté le 12/11/2019). https://www.geosoc.fr/quid-sgf/133-quid/ressources-energetiques/735-quelles-sont-les-differences-entre-reserves-etressources-en-hydrocarbures.html 8 Groupe des Verts/ALE, (2014). Vers des Territoires résilients en 2030, Rapport commandité au Parlement européen à l’initiative de Yves Cochet. 7

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sur un système industriel fonctionnant aux énergies carbonées. Il est donc illusoire de croire que l’on pourra remplacer les autres types d’énergies par des énergies renouvelables comme les éoliennes ou les panneaux photovoltaïques. Les réserves d’autres ressources géologiques comme les terres rares ou les minerais vont également passer leurs pics dans les décennies qui viennent. Même si elles sont plutôt abondantes contrairement à leurs noms, la disponibilité de ces terres se bloque à la rentabilité d’exploitation, et au difficile recyclage de ces matières à cause de la complexité d’assemblage. L’approvisionnement des ressources va faire évoluer le secteur de la construction, comme en témoignent les pénuries de sable ou de cuivre, et va influencer nos manières de concevoir l’architecture de demain.

1.5 – Un système endurant mais fragile

Comprendre la façon dont fonctionne un système permet de mieux l’appréhender pour pouvoir le faire évoluer. Le système productif capitaliste dans lequel nous vivons cherche à systématiser les plusvalues à travers l'exploitation des travailleurs par les propriétaires des moyens de production et de distribution. La mondialisation a augmenté l’efficience de ce système mais l’a rendu peu résilient. Nous verrons plus tard les rapports entre efficience et résilience pour atteindre une certaine soutenabilité. L’abondance énergétique et l’efficience permis par Internet permet à notre société de fonctionner en flux tendu. Cependant, les tendances que nous avons expliquées précédemment fragilisent l’efficience du système, alors que celui-ci devrait pouvoir gagné en complexité si il veut persister. Prenons comme exemple, la grève des chauffeurs de camion qui bloquèrent les dépôts de carburant du Royaume-Uni en 2000. En quelques jours, le carburant vint à manquer, les gens paniquèrent et vidèrent les magasins, et de nombreux services ont été

Fig 4 : Graphique World 3 Rapport Meadows

interrompus

:

écoles,

postes,

approvisionnement, hôpitaux. En quelques jours, le pays était à genoux et l’armée a dû intervenir pour mettre fin à cette crise.9 Le système informatique et l’utilisation du web n’étaient pas aussi omniprésents qu’aujourd’hui, une crise systémique de ce type aujourd’hui, comme une coupure d’électricité généralisée questionne bien la faible résilience au fonctionnement de notre société.

9

Servigne P. Stevens R. (2015). Comment tout peut s’effondrer, (Editions du Seuil).

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Un autre aspect d’instabilité concerne le système financier qui est capable de transmettre et d’amplifier la moindre perturbation très rapidement, notamment par le biais du trading haute-fréquence. L’économie actuelle ne peut marcher qu’en augmentant la dette qui ne pourra pas être remboursée, puisque la croissance n’est plus suffisante. Depuis la crise de 2008, les banques, les entreprises et les particuliers ont pu continuer à consommer grâce aux injections par milliards des banques centrales. De plus, les banques sont autorisées à prêter dix dollars pour chaque dollar qu’elles possèdent réellement, ce qui veut dire que 90 % des sommes déposées sur nos comptes en banque ne sont pas couvertes par des pièces de monnaie ou des billets de banque.10 Dans ces conditions, il semble important de trouver des alternatives du point de vue financier, de le rendre plus résilient, comme la mise en place de monnaies locales.

2 - Regard critique de la systémie sociétale 2.1 – Changement de paradigme

L’homo sapiens est un être social qui a su développer de multiples formes d’organisations sociales. Pourtant, la société occidentale actuelle comme la population mondiale, tissent de nombreux liens tout en fragilisant des liens plus traditionnels comme la famille. En effet, la famille nucléaire est de moins en moins la norme, notre rapport à l’autre, notre façon d’habiter évoluent très vite, souvent plus vite que l’architecture. La tendance de notre société est à la consommation, et par le niveau de confort procuré par l’abondance énergétique, elle tend vers une société de plus en plus individualiste. Il est donc indispensable de changer de paradigme, de pensée, de relation avec les autres pour permettre une réelle transition globale. L’un des leviers serait de réinventer notre imaginaire, qu’il existe une autre loi de la jungle, celle de l’entraide, pour reprendre la formule de Pablo Fig 5 : Installation de Rael San Fratello

Servigne et Gauthier Chapelle. Dans leur ouvrage du

même nom, les auteurs expliquent comment l’entraide est, le principe de base des êtres vivants, et que ceux aujourd’hui sont l’évolution d’ancêtres qui ont su s’entraider et coopérer pour survivre et se reproduire. 11 Les relations que l’on cherchera alors à développer sont le mutualisme ou la symbiose. Pour comprendre comment fonctionne l’entraide, il faut regarder le principe de réciprocité, sous plusieurs formes. La première et la plus usitée est la réciprocité directe, je fais une chose pour toi et en échange j’attends de ta part la même chose pour moi. Ce principe est enveloppé par d’autres réciprocités comme celle indirecte, plus communément appelée la réputation, je m’autorégule en pensant à comment le groupe pourrait réagir. Un 10 11

Yuval Noah Harari, (2014). op. cit. Servigne P. Chapelle G. (2017), L’entraide, l’autre loi de la jungle, (Les Liens qui Libèrent).

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principe récurrent pour les êtres vivants est la sélection spatiale, c’est-à-dire que les individus qui se ressemblent s’assemblent, que cela soit d’un point de vue physique, comportemental ou culturel.

« Au sein d’un groupe, l’égoïsme supplante l’altruisme, les groupes altruistes supplantent les groupes égoïstes, le reste n’est que commentaire. » 12

Pour conclure, un nouveau paradigme basé sur l’entraide est conditionné par trois éléments : le sentiment de sécurité éprouvé par tous les membres du groupe, le sentiment d’égalité et d’équité qui permet d’éviter les effets néfastes du sentiment d’injustice et le sentiment de confiance qui nait des deux précédents et qui permet à chaque individu de donner le meilleur de lui-même pour le bien du groupe13. Les êtres humains vont donc devoir réapprendre à s’entraider pour évoluer dans un monde plus sobre en énergie, et touché par un dérèglement climatique croissant.

2.2 – Introduction à la pensée complexe

La pensée générale se base sur une vision cartésienne qui n’a cessé de cloisonner les disciplines et de séparer la théorie de la pratique. La soutenabilité, au contraire fonctionne avec une vision heuristique. En cela, la transition se base sur une pensée complexe, où la diversité des liens créer la résilience nécessaire au bon fonctionnement du système. En questionnant la transdisciplinarité de notre monde, Edgar Morin et d’autres ont permis de rendre plus visibles ses limites et ses enjeux. La transdisciplinarité est souvent associée au principe de reliance, qui est l’action de créer du lien, de donner du sens aux choses en les hiérarchisant et les comparant. Cet aspect permet aux éléments de se définir par leurs relations où le dialogue donne la possibilité de comparer sans séparer. « La complexité dans un sens à toujours affaire avec le hasard. […] c’est l’incertitude au sein de système richement organisé. […] La complexité est donc liée à un certain nombre d’ordre et de désordre. »14

L’incrémentalisme est une démarche dans laquelle les processus sont modifiés progressivement, et peuvent aboutir à un changement radical par accumulation de ces changements imperceptibles. Nous pouvons voir la transition écologique et sociale comme de petits changements, où les objectifs ne Fig 6 : Schéma de la pensée complexe

Wilson DS et Wilson EO (2007). « Survival of the selfless ». New Scientist, 196(2628), 42-46. Ibid, p281. 14 Morin E. (2005). Introduction à la pensée complexe, (Editions du Seuil). 12 13

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sont pas définis, mais évolutifs, et tendent vers une soutenabilité forte. 15 Outre les principes de reliance et de complexification, ce type de pensée a besoin d’un autre matériau, le temps. En effet le temps est indissociable de l’espace, et donc du contexte dans laquelle l’action se déroule. La pensée complexe implique de l’individu, une autogestion de ces actions, et un cheminement long, non figé qui tend vers plus de complexité. Nous allons voir comment la complexité fait partie intégrante du fonctionnement d’un écosystème.

2.3 – Comment fonctionne un écosystème ?

La transition envisagée à travers ce mémoire se base en grande partie sur les services écosystémiques. Un écosystème naturel est la résultante d’interactions complexes où de nombreuses symbioses se créées entre espèces. La symbiose signifie «vivre ensemble» et décrit l’association étroite et pérenne de deux organismes différents, qui trouvent dans leurs différences leurs complémentarités. Elle peut tendre rapidement vers le mutualisme ou le parasitisme, la symbiose n’existe donc que dans une pure relation d’efficacité réciproque.16 Un écosystème est composé d’un biotope (le milieu et ses caractéristiques physico-chimiques) et d’une biocénose (ensemble des êtres vivants peuplant le milieu).

A

chaque

niveau

écosystémique

on

détermine la biomasse ainsi que la masse organique Fig 7 : Fonctionnement d’un écosystème

synthétisée en une année. Ces masses peuvent être

converties en énergie de plusieurs façons. Une partie de l’énergie retourne vers le sol et est dégradée par les décomposeurs, une partie sert aux fonctionnements des organismes, par la respiration ou la construction de leur propre matière organique. Sachant que les écosystèmes tendent naturellement vers plus de complexité, l’un des enjeux est de rétablir les conditions pour réinstaller un écosystème durable. Comment protéger efficacement la biodiversité et les écosystèmes ? Nous savons que la destruction de ceux-ci est due à la disparition ou la transformation des habitats, l’apparition d’espèces invasives ou les pollutions. Il serait donc intéressant de pouvoir évaluer les services rendus par les écosystèmes pour les protéger. Ils peuvent être décomposé en quatre groupes soient : les services d’approvisionnement, les services de régulation, les services culturels et les services de soutien.17 Rendre visibles et quantifiables les services rendus par la biodiversité permettrait de régénérer Kroll L. (2012). Pour une éco-alphabétisation, in Alter architectures, Manifesto, Thierry Paquot, Yvette Masson-Zanussi, Marco Stathopoulos, Eterotopia, , p.213 16 http://les.cahiers-developpement-durable.be/outils/les-ecosystemes-de-la-planete/ (consulté le 02/12/2019). 17 Dabouineau L. Alain Ponsero (2009). A. Comment évaluer les services rendus par les écosystèmes, (Le Râle d’eau). Vol. 137 :917 , 2009 15

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les écosystèmes. En les intégrants dans l’usage du bâtiment, la population pourrait avoir un autre rapport à la nature, et ne plus la considérer comme étrangère à l’humanité.

3 - Embryon de résilience et jeune pousse de soutenabilité 3.1 – Favoriser la résilience

La résilience est un mot de plus en plus usité, autant dans le domaine psychologique que systémique comme clé de voute d’un système soutenable. Ce concept fait référence à l’aptitude d’un système, de l’échelle des individus à celle d’économies entières, à maintenir son intégrité et à continuer sous l’impact de changement et de chaos provenant de l’extérieur.18 Être résilient n’est pas une fin en soi et doit être corrélé au principe d’efficience, où la balance de ces deux notions tendent vers un optimum, appelé aussi soutenabilité. Si le système est trop efficient, il devient fragile et sa durabilité baisse, c’est le cas de notre société thermale industrielle. A contrario, trop de diversité et donc de résilience amènent une stagnation qui réduit la viabilité du système. En architecture c’est principalement la résilience urbaine et territoriale qui nous intéresse, au regard des enjeux systémiques énoncés précédemment. Fig 8 : Relation entre efficience et résilience

L’opérationnalité du concept passerait par la

nécessité d’adapter le fonctionnement urbain tout comme ses composants aux perturbations potentielles, à reconstruire le système urbain suite à une perturbation majeure ou à définir des modalités de gestion de crise en intégrant la complexité même de la ville. 19 Depuis plusieurs décennies, l’aménagement urbain est largement anthropocentré, et cherche une durabilité et une efficience dans sa conception. Les perturbations et instabilités futures ainsi que la dégradation de l’environnement semblent en être un obstacle. La résilience urbaine semble plus à même de répondre à ces chocs systémiques, car elle conçoit la ville comme un système complexe, et utilise des notions transdisciplinaires.

Hopkins R. (2010). Manuel de Transition, De la dépendance au pétrole à la résilience locale, (Ecosociete Eds). Toubin M. et al. (2013). La Résilience urbaine : un nouveau concept opérationnel vecteur de durabilité urbaine ? Vol. 3, n° 1 | Mai 2012 : Varia 18 19

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Plusieurs axes seraient donc à prendre en compte : -

Des services techniques et humains opérationnels en cas de crise, où leurs efficiences sont améliorées par un aménagement urbain en adéquation avec son environnement. Pour prendre le cas des inondations, une désartificialisation des sols, et un meilleur traitement d’écoulement des eaux permettraient de limiter ces effets, et de faciliter l’action des services publics.

-

Une adaptabilité des habitants et des infrastructures à s’auto-organiser pour fonctionner dans un système urbain ayant subi des chocs (énergie, alimentation, évènement climatique …)

Réintégrer l’écosystème naturelle au sein de nos villes apporterait des outils sur le long terme. La résilience pourrait se résumer ainsi : une culture basée sur son aptitude à fonctionner indéfiniment et à vivre à l’intérieur de ces limites, se trouvant dès lors à même de prospérer pour avoir su y parvenir.20

3.2 – Quelles conditions pour la soutenabilité

La soutenabilité « est le développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la possibilité, pour les générations à venir, de pouvoir répondre à leurs propres besoins. C’est un processus de changement dans lequel l’exploitation des ressources, le choix des investissements, l’orientation du développement technique ainsi que le changement institutionnel sont déterminés en fonction des besoins tant actuels qu’à venir.»21 Il n’est pas à confondre avec le concept de durabilité qui est l’espace de temps durant lequel un bien est apte à satisfaire un Nous avons vu qu’un système tendait vers la soutenabilité si la balance entre son efficience et sa résilience était optimum. Un paramètre fondamental lorsque l’on parle d’économie symbiotique est la Fig 9 : Soutenabilité « faible et forte »

différence entre soutenabilité forte et faible. Le

développement durable tel qu’il est reçu actuellement, place le social, l’écologie et l’économie à un même niveau hiérarchique. Ce paradigme est basé sur le progrès technique, une plus grande équité, mais ne remet pas en cause le fonctionnement même de la société. Hors un autre mode de soutenabilité a été théorisé, où le système économique décroit, le pilier social est renforcé et l’environnement régénéré. Ainsi, l’économique serait régie par l’aspect social et environnemental, et l’aspect social régi par l’environnement. Le mot décroissance prendrait donc sens pour un seul des piliers, alors que les deux autres seraient en croissance. Selon Robert Solow : la génération présente consomme du « capital naturel » et, en contrepartie, lègue aux générations futures davantage de capacités de production sous forme de stocks 20 21

Hopkins R. (2010). Ibid CMED. (1987). Notre avenir à tous, Rapport Brundtland, (Oxford University Press).

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d’équipements, de connaissances et de compétences. 22 Le capital matériel étant remplacé par le capital naturel, explorons cette autre forme de soutenabilité à travers l’architecture symbiotique.

II - L’architecture symbiotique, construire en régénérant 1 - Silence ça pousse : construire et évoluer avec les écosystèmes 1.1 – L’approche par la permaculture

Perma-culture. Ce mot réinterroge jusque dans sa sémantique notre mode de vie, où il n’est plus question de vivre avec l’éphémère, mais avec la permanence. Ce n’est pas simplement un système d’agriculture, mais une nouvelle vision de l’Homme dans son milieu. 23 D’après Bill Mollisson, ce concept désigne un système évolutif, intégré, d’autoperpétuation d’espèces végétales et animales utiles à l’Homme. C’est, dans son essence, un écosystème agricole complet. On parle également d’éthique, résumée en trois points : prendre soin de la terre, prendre soin de l’humain, produire et partager équitablement. De plus, sept principes organisent la permaculture soient : le soin à la nature et à la terre, l’habitat, les outils et technologies, l’enseignement et la culture, la santé et le bien-être, la finance et l’économie, le foncier et la gouvernance.24 Comme en architecture, la permaculture se base sur un design particulier donnant la cohérence au tout. L’un des principes de conception est le zonage où chaque zone correspond à des usages particuliers Fig 10: Les zones d’actions de la permaculture

et un écosystème particulier plus ou moins anthropisé. Elle met l’accent sur le contexte qu’il soit

géologique, biologique ou climatique, d’où la notion de temps dans la conception. L’agriculture est ici le résultat d’une mise en place d’un écosystème anthropisé. Elle tend vers une soutenabilité forte puisque la partie écologique génère tout le reste. En travaillant avec ce principes, les édifices existants ou futurs seront

Vivien F. D. (2009). Les modèles économiques de soutenabilité et le changement climatique, Regards croisés sur l'économie 2009/2 (n° 6) 23 Mollison B. (1991). Introduction à la permaculture, (Passerelle Eco). 24 https://www.fermedubec.com/la-permaculture/ (consulté le 03/12/2019). 22

15


mieux intégrés dans cet écosystème. La forme et les matériaux utilisés deviendront les tuteurs d’une biodiversité, qui elle-même favorisera l’entretient et le fonctionnement des édifices. La permaculture permet de mettre en place une résilience alimentaire à grande échelle et dans tous les contextes. La nourriture a un lien direct avec la sécurité d’une ville, “entre la civilisation et le chaos, il n’y a que neuf repas” disait Alfred Henry Lewis, d’où l’importance d’être résilient et de multiplier les sources de production alimentaire. Que cela soit des forêts jardins, des ceintures maraichères, des micro fermes urbaines ou bien des potagers individuels, la permaculture sera une composante spatiale importante de nos futures villes.

1.2 – L’intégration de la biophilie en architecture

«... observer un paysage stimule l’esprit sans le fatiguer et l’apaise tout en le stimulant, Et ainsi, l’esprit influençant le corps, c’est le l’ensemble du système qui s’en trouve rafraîchi et redynamisé ?» 25

Évoluer vers un monde soutenable présuppose de réintégrer la société humaine dans les cycles écosystémiques pour, à terme former une symbiose. Si la relation à la nature en zone rurale semble évidente, celle-ci est moins palpable dans les zones urbanisées. En architecture, les relations entre la nature, la biologie humaine et la conception de notre environnement bâti sont étudiées à travers le champ de la biophilie. Il s’agit d’une conception architecturale destinée aux personnes en tant qu’organismes biologiques, respectant les systèmes corps-esprit en tant qu’indicateurs de la santé et du bien-être et adaptés à un contexte local.26 Les principes biophiliques nous intéressent par leurs flexibilités et leurs reproductibilités pour améliorer les conditions de l’usager en s’intégrant dans toutes sortes de situations. Les preuves empiriques démontrent que les émotions positives et la récupération mentale peuvent apparaître dès 5 à 20 minutes d’immersion Fig 11 : Le Naturoptère, Yves Perret

dans la nature.27 Il s’agit donc de déterminer un type de design qui inclue une certaine qualité et quantité

en matière d’intervention pour favoriser de façon psychologique, physiologique et cognitive les habitants. Il repose sur la connaissance du climat, de l’écologie et de l’empreinte locale qu’il est nécessaire d’inclure dans la conception architecturale. Ainsi, la stratégie systémique que l’on fera évoluer sera intégrative et

Law Olmsted F. (1865). Introduction to Yosemite and the Mariposa Grove : A Preliminary Report. Terrapin,, (2014), 14 modèles de conception biophilique, améliorer la santé et le bien être dans l’environnement bâti. Terrapin, Bright green. 27 Ibid 25 26

16


appropriée à la nature et à la densité de l’endroit, de telles sortes que celle-ci profite à tous les êtres vivants du lieu. La biophilie n’étant qu’un des éléments pour créer un environnement régénérateur et durable, l’intégration d’une stratégie multidisciplinaire en amont du développement permettrait de contrôler l’efficacité du processus. Les quelques conditions d’une symbiose bâti/nature énoncée précédemment ne suffisent pas à rendre le tout soutenable. En effet, la prise en compte de la tradition locale sur le long terme est susceptible d’intégrer durablement une architecture dans un lieu. Lorsque la conception est cohérente dans la qualité environnementale propre au milieu d’intervention, les bénéfices physiologiques et psychologiques peuvent apparaître. Une des clés est sans doute que l’habitant puisse s’approprier le lieu grâce à un bien-être procuré par la conception biophilique pour qu’il considère son écosystème naturel. La prise de conscience des services écosystémiques permettra la régénération de ceux-ci et créera à terme une symbiose entre les humains, le parc bâti et les écosystèmes comme en témoigne la vie des peuples autochtones en Amazonie.

1.3 – Le bioclimatisme, un vernaculaire revisité ?

"Concevoir bioclimatique, c'est composer avec les atouts du lieu et des matériaux, pour parfaire un bâtiment par ailleurs déjà rendu peu déperditif". Samuel Courgey.

L’une des premières fonctions de l’architecture est de se protéger des aléas de l’environnement extérieur. Depuis des millénaires, l’Homme s’est adapté au climat local en construisant des bâtiments vernaculaires. Les principes bioclimatiques, en s’appuyant sur ces savoirs ancestraux améliorent le confort des habitants en utilisant à bon escient l’énergie disponible. C’est donc un outil important dans l’adaptation au changement climatique. Comment concevoir et faire évoluer un bâtiment avec un climat changeant en quelques décennies ? Le bioclimatisme se base sur des principes physiques tels que le rayonnement solaire, les mouvements convectifs de l’air, l’inertie thermique et le refroidissement par évaporation. Chaque conception doit tenir compte du climat général ainsi que les conditions climatiques locales permettant d’utiliser au mieux l’énergie. Ainsi la température ou Fig 12 : Principes générales de la bioclimatie

l’humidité de l’air, le rayon thermique ou le vent sont

autant de paramètres influant la perception des usagers.28 L’un des principes bioclimatique est de capter ou se protéger de la chaleur. On y retrouve les gains solaires passifs, les jardins d’hiver, les matériaux à 28

Liébard A, De Herde A. (2005). Traité d’architecture et d’urbanisme bioclimatiques, (Le Moniteur).

17


inertie thermique ou le contrôle passif. La chaleur adéquate atteinte, d’autres procédés permettent de la transformer ou la diffuser. On y retrouve les courants d’air convectifs, le rafraîchissement par évaporation ou la ventilation passive. En plus de s’adapter au cycle des saisons et de l’alternance jour/nuit, la stratégie bioclimatique se conçoit avec l’habitant, puisque celui-ci à une physiologie particulière. Le type de mobilier, les matériaux utilisés et leurs couleurs ainsi que les vêtements de l’usager sont autant de paramètres influant le confort ressenti. L’écosystème énergétique basé sur cette approche peut également être couplé aux écosystèmes naturelles pour s’adapter au climat.29 En cela, la permaculture adopte des stratégies pour créer un microclimat. La proximité de plans d’eau ou de zone boisée peuvent réguler la température ambiante ou bien protéger l’habitation de vents trop violents. Une approche plus holistique de la conception bioclimatique en intégrant les écosystèmes architecturaux et naturels pourrait favoriser la résilience face au changement climatique.

2 - Ré-apprendre à habiter en symbiose, prendre le temps de discuter 2.1 – Repenser la façon d’habiter

Habiter est un verbe transitif qui renvoie à l’occupation habituelle d’un lieu, il provient du latin « habitare » qui est une des formes grammaticales du verbe « habere » (avoir). On peut questionner nos modes d’habiter en tant qu’héritage matériel et naturel revendiqué, transformé de manière active et adapté

aux

contraintes

L’abondance de service et

contemporaines.30 d’énergie depuis

quelques décennies nous a éloignés des habitats vernaculaires qui étaient intégrés à un lieu. Les modes d’habiter actuels tels que la location ou la propriété, vont évoluer vers une relocalisation, une mise en commun des espaces plus importante comme les coopératives du fait de la réduction de l’énergie disponible. Changer de paradigme suppose ainsi de repenser nos manières d’habiter les mondes qui nous entourent. En passant d’un rôle de consommateur d’espace à

Fig 13 : Berlin-Hellensdorf, Allemagne, 1994 Lucien Kroll ADAGP, Paris, 2015

celui d’acteur pouvant influer sur la spatialité des lieux, nous réinterrogeons la structure pyramidale planification/conception/usage. L’autogestion progressive des lieux d’habitations qu’ils soient publics ou

29 30

Wright D. (2004). Manuel d’architecture naturelle, (Editions Paranthèses). Mathieu et al., 2003.

18


privés engendre une appartenance des habitants à leur quartier. Le rapport au contexte permet ainsi d’engager des discussions, des collaborations avec les professionnels de l’architecture et de l’urbanisme pour concevoir une ville qui correspond aux attentes des habitants. Considérer l’urbanité ou la ruralité par rapport à cette auto-organisation donne lieu à une perméabilité sociale. L’intergénérationalité ou l’interopérabilité des usages pourront être source de cohésion dans une localité renforcée. Ainsi, jumeler des maisons de retraite avec des écoles, ou utiliser des espaces diurnes d’une autre façon la nuit permettrait de créer plus de densité d’usage nécessaire à une ville soutenable. Une architecture tendant vers la soutenabilité requiert également de revoir son usage. L’entretien des bâtiments est aujourd’hui principalement effectué par des professionnels. Les pratiques d’auto construction, de bioclimatisme ou de participation dans l’habitat nécessitent d’avoir une certaine relation avec l’architecture. Promouvoir la contrôlabilité plutôt l’automatisation peut changer le processus de conception d’intervention. L’entretien des stratégies mises en œuvre est également une considération importante. Dans ce sens, entretenir les arbres, fermer les volets en été, ouvrir les fenêtres pour faire circuler l’air sont autant d’actes quotidiens nécessaires au bon fonctionnement de l’ouvrage. Nous pouvons voir cette architecture non comme un bâti inerte, mais comme un écosystème qui a autant besoin de ses habitants que son rapport au contexte pour évoluer. Finalement, à partir de quel niveau d’action peut-ont dire qu’il y a relation de symbiose entre l’édifice et ses habitants ?

2.2 – Le cas de l’habitat participatif

Les projets d’habitat participatif sont le résultat d’un groupe de citoyens voulant, par leur initiative, construire ou faire construire leur propre habitat pour redevenir acteur dans leur action d’habiter. Pour ce faire, la participation du collectif, impliquant la collaboration entre ses membres et les différents acteurs professionnels de l’immobilier, est constamment utilisé.31

Le groupe d’habitant, ou voisinage proche est le deuxième échelon social après la famille. De par son échelle locale, beaucoup de processus d’auto-organisation et d’actions soutenable se passent. Comment ce type d’habitat par la participation, réinterroge le caractère soutenable d’habiter ?Le principe de participation amène à une réorganisation des modes de pensée et de conception dans l’habitat. L’architecte doit alors trouver de nouveaux outils pour dialoguer avec tous les acteurs de l’habitat participatif. La conception architecturale pensée de manière horizontale nécessite un temps plus long, où le dialogue avec les habitants constitue un élément clé dans la soutenabilité de l’habitat. Si la participation des di fférents acteurs est correctement coordonnée pour aboutir à une opération cohérente et durable, alors là réside le caractère soutenable d’une opération

PARASOTE Bruno, Autopromotion, habitat groupé, écologie et liens sociaux : comment construire collectivement un immeuble en ville ?, Gap, Ed. Yves Michel, 2011, Propos d’habitant.) 31

19


Une autre clé de la soutenabilité dans l’habitat participatif semble être la bonne constitution du groupe et sa longévité par la définition de ces valeurs. Les transcrire dans le bâtiment nécessite donc un accompagnement constant, à travers la participation. La commande, la programmation, la conception et l’utilisation forment un tout où chaque phase est questionnée par rapport aux autres. La résilience de l’ensemble tire son origine de la question de l’usage, qui devient un langage commun aux différents acteurs. Mais cet usage n’est pas l’élément unique qui assurerait le caractère soutenable. Que ce soit des problèmes financiers, des valeurs peu partagées ou un mauvais accompagnement, la participation peut être vue comme un outil, mais nécessite un cadre, d’où le fait que les mentalités doivent évoluer pour favoriser la participation.32 L’allongement du temps, qu’il soit dédié à la conception ou à la connaissance de l’autre, joue un rôle important entre participation et soutenabilité. Pour l’architecte, cela peut se traduire par une maîtrise d’usage, qui consiste à placer l’usage au centre de la conception. Le temps de collaboration entre professionnels du bâtiment et habitants est Fig 14 : Le Village Vertical © Éléonore Henry de Frahan

allongé, ce qui peut redéfinir certains rôles comme

celui de l’architecte. La permanence architecturale implique à celui-ci de s’inscrire dans un temps long et de diriger ou comprendre les besoins des habitants. La participation sera ainsi facilitée et pourra être plus à même de favoriser un groupe durable, donc un habitat participatif plus soutenable. L’habitat participatif est un «vecteur» de mise en œuvre de valeurs durables, sociales, économiques et environnementales.

3 - Architecture durable, repenser la filière du bâtiment 3.1 – Construire Low-Tech, éloge de la simplicité

32

Champy S. (2018), L’habitat participatif, une fabrique de la soutenabilité. (ENSAM).

20


Depuis un demi-siècle, nous avons équipé nos architectures de systèmes particulièrement énergivores. Pour réduire notre empreinte environnementale, la prise en compte de l’énergie grise préconisée par la RT 2020 n’est pas suffisante.33 Dans cette optique, les bâtiments devront être pensés de manière plus low-tech dans une logique de frugalité. Toutefois, il ne s’agit pas de renoncer aux systèmes techniques comme la VMC double flux, mais de réfléchir dès la conception si un moyen plus simple existe. La contrainte financière et économique se transforme en atout pour construire plus de sens avec moins de moyen. Le pritzker prize Alejandro Aravena à Quinta Monroy donne une réponse lowtech à un enjeu d’habitation. Laisser la moitié de la surface du projet à construire permet aux habitants d’avoir le temps, le financement et la liberté de Fig 15 : Chantier participatif YA+K, Island

s’approprier cet espace.34 Les habitants deviennent

acteurs de leur lieu de vie et développe une appartenance forte au quartier. Etienne Delprat, doctorant chercheur et membre du collectif YA+K questionne cette frugalité dans l’architecture et l’urbanisme. Le Do It Yourself est appliqué à tout type de projet où les pratiques, les représentations et les usages font matériaux de projet.35 Le low-tech à travers le prisme technique, économique, culturel et sociétale permet de créer des espaces communs, appropriables et évolutifs. De plus, l’aspect local est primordial autant dans la participation des habitants que la disponibilité des matériaux. Nous pouvons aussi voir dans le « faire » un moyen de réparer les éléments et les rendre plus durables, tout en créant une culture commune autour des savoirs faire acquis. Construire plus frugalement suppose aussi de repenser les systèmes composant nos bâtiments tels que l’électricité, la ventilation, le traitement des eaux ou bien le chauffage. Quels peuvent être les savoirs faires vernaculaires ou contemporains répondant au confort tout en réduisant la matière et l’énergie demandée ? « Avec quelques pierres de taille du chantier de démolition à côté, pour faire un soubassement déjà chargé d’habileté humaine ; Encourager la diversification des outils puisqu’on sait que les ouvriers choisissent, adaptent, voire les façonnent à leur main ; Cueillir un bois flotté pour la poignée du placard ; Dire haut et fort que métaphysique et plomberie sont deux faces de la même médaille ; Valoriser l’intelligence de la main à l’égal de l’intelligence abstraite et contribuer à sa formation. »36

Ces quelques phrases expriment la diversité que peut amener le travail de la main pendant la construction comme au quotidien. L’action de faire, en ne se refusant aucune possibilité de conception amène à voir

Bihouix, P. (2014). L’Âge des low tech? Vers une civilisation techniquement soutenable, (Editions du Seuil). http://www.elementalchile.cl/en/ (consulté le 15/12/2019). 35 http://yaplusk.org/ (consulté le 13/12/2019). 36 Perret Y. (1980 - actuel). Natures d’architecture, Pensées(Perret & Desages). 33 34

21


l’architecture comme un espace qui accueille la vie. Comme en témoigne le vernaculaire, l’usage d’un lieu qui a été façonné en partie à la main donne à l’habitant plus d’actions pour interagir avec son milieu.

3.2 – La question du réemploi « Pour beaucoup de personnes qui cherchent à construire, le réemploi est avant tout une affaire de pure nécessité. De tout temps, des personnes ont cherchés à édifier des bâtiments sans toujours avoir les moyens de passer par les services de professionnels pour effectuer ces travaux. »37

Le réemploi est une pratique qui tend à se démocratiser, dans un contexte de pénurie ou de sobriété. Arriver à une architecture soutenable suppose que les matériaux et techniques utilisés soient intrinsèquement liés à une économie de la circularité, pour réduire les déchets. Comment penser la filière du bâtiment par rapport à cette pratique et quels sont les freins à sa diffusion ? L’un des défis de la filière du réemploi est la stabilité de l’offre dans le temps. Les matériaux étant issus de la démolition de bâtiment, l’approvisionnement est nettement plus irrégulier et hétérogène. Des espaces d’entreposage permettraient de fluidifier l’offre tout en proposant des services de diffusion avec l’usage de revendeurs en ligne. Détailler les caractéristiques des produits de construction est un enjeu important. En retrouvant la documentation technique d’origine ou en effectuant un déclassement de certains éléments réemployés, cela permettrait de facilité la mise en place de ceux-ci sur le marché. Pour fournir les garanties nécessaires, les revendeurs peuvent réeffectuer un diagnostic, ou bien garantir les opérations de traitement ou de démontage. Ainsi, on favorise une perméabilité entre les produits issus de la déconstruction et les produits neufs, dans l’objectif de pouvoir reconstruire totalement en produit de réemploi.

Le réemploi est également synonyme de création d’emploi. L’énergie étant remplacée par le savoir-faire et la main d’œuvre, toute une économie peut se mettre en place pour favoriser chaque phase. Que cela soit la prospection d’éléments avant la déconstruction, le tri et le démontage, le stockage ou la réparation fait de la complexité

des

permettraient

processus fluidifier

de

réemploi,

l’organisation

et des

différentes phases du bâtiment. Pour cela la systématisation des procédés de Fig 16 : Fonctionnement de la filière du réemploi

réemploi en regard de la circularité dans la filière du

Gyoot M. et al. (Rotor), (2018). Déconstruction et réemploi, Comment faire circuler les éléments de construction, (Presses polytechniques et universitaires romandes). P14. 37

22


bâtiment est primordiale. La déconstruction des bâtiments doit être pensée dès la conception, en mettant l’accent sur le choix des techniques utilisées et de la mise en place des matériaux réemployés ou non. Ainsi se pose la question de l’interopérabilité pour faciliter la circulation des éléments de construction. Une partie des propositions vise à repenser les produits de construction et leurs modes d’assemblage pour maximiser leur potentiel de réemploi. Optimiser l’obtention d’information permettant la circulation d’éléments de construction permettrait une plus grande interopérabilité.38

A terme, la pratique du réemploi pourrait être démocratisée et encadrée par des professionnels pour encourager l’autoconstruction et l’interopérabilité dans le bâtiment. Les habitants seraient donc mieux informés et capables de modifier leur environnement pour s’adapter aux aléas comme une catastrophe naturelle ou une pénurie de certains matériaux.

3.3 – Vers des filières Géo/bio-sourcés durables

L’usage et le choix des matériaux de construction est une question centrale, en témoigne la pénurie future de sable utilisé en grande quantité dans le bâtiment. Il est donc urgent de développer d’autres filières de matériaux de construction et de faire évoluer la conception architecturale. Il n’est pas forcément indiqué de supprimer le béton, mais de l’utiliser sobrement pour laisser place progressivement aux matériaux frugaux. Nous parlerons ici des matériaux géosourcés (terre, pierre) et biosourcés (bois, paille, chanvre etc). Les matériaux géo et biosourcés ont l’avantage d’être renouvelables, ou réemployables pour la pierre ou les matériaux issues du recyclage. Dans un contexte de

Fig 17 : Le cycle de vie des matériaux biosourcés

sobriété énergétique et de régénérations des sols, avoir une filière fiable pour ces matériaux serait résilient. Ces matériaux ont pour avantage d’être moins émetteurs de Co2 si ils sont produits localement et d’avoir un fort potentiel de stockage du carbone. En dehors de leur performance énergétique et structurelle, ils ont une forte valeur patrimoniale en participant à la préservation d’édifices vernaculaires.39

En s’inspirant de l’architecture vernaculaire et de la conception bioclimatique, les matériaux frugaux peuvent répondre aux enjeux constructifs et normatifs des futures règlementations. L’aspect local est le plus intéressant puisqu’il permet de créer une économie circulaire. En plus d’offrir de l’emploi, cette filière permettrait de valoriser les déchets

38 39

Gyoot M. et al. (Rotor), (2018). Ibid DREAL. (2018). Les matériaux de construction biosourcés et géosourcés, (Ministère de la transition écologique et solidaire).

23


agricoles et les rejets de chantier comme la terre de VRD. Devenant des ressources exploitables, il est possible de rendre les constructions bio et géosourcés rentables économiquement. C’est un point important dans la démocratisation de la filière, et la législation de ces procédés comme en témoigne le label « bâtiment biosourcé »40. En pensant le cycle de vie des matériaux avec une vision systémique, ces matériaux deviendront une richesse renouvelable. Pour prendre l’exemple du riz, en plus de stocker le carbone et favoriser la biodiversité, les déchets du riz, comme la paille peut être utilisée en construction en isolant ou en agriculture. Après des années, la paille étant devenue trop humide, on la remplace par une autre plus sèche, et on la revalorise en compostage ou matériau manufacturé biodégradable. Plus généralement, la multiplicité d’utilisation dans de nombreux domaines permet de garder la matière utilisable plus longtemps, et de régénérer la biomasse en fin de cycle de vie.

III – Une architecture en écosystèmes 1

– Un tryptique écologique

1.1 – La tradition pour aller de l’avant Changer de paradigme pour passer d’une société consumériste et productiviste à une société écologique et systémique étant une condition à la soutenabilité, comment impulser cette évolution ? Le pensée cartésienne, dont le développement durable est une résultante, considère toujours la nature comme une partie et non un tout. Pourtant les effondrements écologiques témoignent que nous appartenons au même jardin planétaire41. Les différentes approches que nous avons étudiées en architecture convergent en partie vers un point, celui de la tradition. Tradere signifie «porter en avant». Elle représente essentiellement le savoir accumulé dans le passé concernant l’attitude à adopter vis-à-vis de l’environnement et les techniques locales de contrôle des microclimats. 42 La tradition comme socle d’une mémoire temporelle orale, construite ou culturelle pourrait être une amorce à ce paradigme soutenable. Les premières traditions ont permis de distinguer dans l’évolution de notre espèce et celle des espèces n’utilisant pas aussi efficacement les outils. La technologie est donc inextricablement liée à celle-ci. Or l’explosion exponentielle de connaissance induite par la technologie à couper ce lien symbiotique dégradant la mémoire historique de la société. Que cela soit à travers le réemploi de matériaux, la permaculture ou le bioclimatisme, l’amnésie traditionnelle a rendu ces approches plus lentes à réémerger. La plupart de celles-

http://www.envirobatcentre.com/ (consulté le 10/12/2019). Clément G. (2004). Manifeste du Tiers paysage, Sujet/Objet, (coll. « L’Autre Fable »). 42 Steele J. (2005). Architecture écologique, une histoire critique, (Actes Sud). P13 40 41

24


ci étaient quotidiennement utilisées il y a seulement quelques

décennies.

Comment

retrouver

et

réinterpréter ces savoirs ancestraux dans une approche soutenable ? En cela, les archives, les transmissions orales et le bâti vernaculaire sont autant de pistes à explorer pour comprendre la sagesse traditionnelle. En architecture la tradition est basée sur le faire. Les habitants Fig 18 : Le 3 fenêtres marseillais, Olivier Faugeras

entretiennent

un

réel

savoir

de

cohabitation et d’adaptation au lieu local. Si

l’appartenance au lieu tout en ayant besoin de la technique favorise la résilience, comment la mettre en place dans nos villes ? Pourquoi dès lors proposer un projet qui vise à rétablir des limites et des frontières ? Simplement parce que les prothèses techniques auxquelles nous avons eu recours perturbent le fonctionnement traditionnel de la ville. P89 Alberto Magnaghi, Le projet local.43

La reconsidération des écosystèmes naturels comme une partie fondamentale de l’urbanité suppose de modifier nos traditions. Si l’approche vernaculaire tend à rentrer en symbiose avec son climat local, elle n’est pas suffisante pour intégrer l’aspect écosystémique. La biophilie et la permaculture peuvent chercher dans le traditionnel, des leviers pour favoriser la résilience et la soutenabilité en s’appuyant la technologie.

1.2 – La technologie comme support

La technologie a toujours été impliquée dans les traditions associés aux pratiques rituelles, qui cherchent à opposer l’imprévisibilité de la nature à un schéma prévisible donnant l’impression de contrôler l’inconnu. 44

Le progrès technologique et social est antithétique avec le caractère cyclique de la tradition s’il ne respecte pas les rituels basés sur des biens établis. Or la culture de l’immédiat et la soif de nouveautés, conséquences d’une surabondance de données, ont négligé le temps long. Pourtant cette temporalité est nécessaire à l’évolution des traditions et à l’immersion de la pensée écologique dans celle-ci. Nous pouvons voir la réussite ou l’échec de la soutenabilité dans l’utilisation à bon escient de la technologie dans l’optique de régénérer les écosystèmes naturels et sociaux. Le « développement durable » face aux technologies peut donc prendre plusieurs directions, l’une étant la surtechnologie en se basant sur son efficience ainsi que les énergies renouvelables. Nous avons vu que l’effet rebond et la raréfaction des ressources rendaient

43 44

Magnaghi A. (2003). Le projet local, (Mardaga). (coll. « Architecture + Recherches » n° 44, Sprimont). P 89 Steele J. (2005). Ibid.

25


caduque cette option. Un autre chemin serait celui de la décroissance technologique, pour recréer l’équilibre entre tradition, technologie et urbanité. En architecture, la technologie a permis de défier la gravité en utilisant les propriétés physiques des matériaux comme l’acier ou le béton armé. Même si l’ingénierie et l’architecture des siècles précédents créent une nouvelle culture de la construction, quand est-il de la tradition ? Nous pouvons voir deux évolutions importantes qui ont fragilisé ces liens. La deuxième révolution industrielle a mis à l’écart les artisans qui travaillaient avec un patrimoine technique et culturel local. La construction par la trace de la main a été remplacée au fur et à mesure par la machine. Il ne s’agit pas de nier les avantages technologiques en architecture, mais de les replacer dans une culture commune de la construction. Une autre étape a été l’utilisation de l’ordinateur et Fig 19 : Allmannajuvet Zinc Mine Museum © Per Berntsen

d’internet.

Le

processus

de

conception

architecturale a changé la relation de l’architecte avec la nature et les autres corps de métier. 45 La virtualisation des outils modifie la perception des concepteurs par rapport à l’environnement, les matériaux, le climat local ou les habitudes des usagers.

Face à ces évolutions rapides, comment l’architecte peut-il utiliser la technologie pour être soutenable dans sa conception ? Le maître d’œuvre peut voir dans le chantier, un moyen de se reconnecter aux savoirs vernaculaires et aux écosystèmes naturels. Nous pouvons changer notre vision face à la technologie en utilisant des moyens plus low-techs qui vont engendrer des rapports plus humains et l’aide des artisans. Repenser la construction avec le réemploi ou des matériaux locaux va réorganiser non seulement la conception architecturale, mais aussi la temporalité des chantiers. Ne pas utiliser de technologie moderne ou s’appuyer sur les services écosystémiques peut aussi faire avancer la question. Le bioclimatisme ou la permaculture évoluent avec le climat et la nature pour réduire l’impact technique. La compétence d’usage des habitants peut aussi influencer ce rapport high/low-tech en habitant plus traditionnellement.

1.3 – Le réceptacle urbain

Le couple tradition/technologie s’est développé à travers les civilisations dans les cités. La ville a l’atout environnemental de concentrer un plus grand nombre d’êtres vivants sur des surfaces moindres. L’Homme a cherché l’efficience économique pour produire les mégalopoles que nous connaissons. Pourtant le mal45

Steele J. (2005). Op. Cit. p21

26


être et les maladies liées à un mode de vie urbain n’ont cessé de grandir. Ces externalités négatives rendant la ville insoutenable, comment peut-on régénérer ou rendre plus efficient l’aspect social et naturel des villes ? La reconstruction de la ville (auto-soutenable) résulte d’un renversement conceptuel : les «vides», les espaces ouverts résiduels et délaissés deviennent les figures génératrices du nouvel ordre territorial et urbain.46 Ces milieux qui n’avaient pas de qualité dans la ville moderne trouvent de nombreuses potentialités dans le paradigme soutenable. En développant des principes biophiliques et permaculturels, les habitants peuvent transformer ces espaces en parcs et zones vivrières. En pratiquant de l’acuponcture urbaine dans ces anciens délaissés, les habitants se les approprient et qualifient des usages. Des traditions peuvent de nouveau s’épanouir dans ces urbanités différentes. La pratique du réemploi ou du low-tech permet de créer des micro-projets installant une vie sociale, voir économique. Ces constructions peu onéreuses vont pérenniser sur le moyen terme des usages dont

urbanistes,

paysagistes

et

architectes

pourront s’emparer. L’incrémentalisme dans la ville permettrait ainsi de lier les différentes échelles architecturales. La production traditionnelle n’a plus de raison d’être avec la division intégrée et coordonner des activités de production et de commerce.47

La

régénération des manières d’habiter plus locales peut être favoriser par le travail sur les polarités et les centralités. En effet, la polarisation permet de Fig 20 : Relation entre tradition, technologie et urbanité

regrouper des quantités importantes de populations,

mais la masse critique des différents paramètres peut rendre ces espaces insoutenables. Les villes plus frugales favoriseront la multipolarité pour qualifier les densités d’activités. Les centralités seront renforcées pour diversifier les fonctions des quartiers. Ainsi les rites traditionnels pourront être transmis sur le long terme grâce à la densité de la vie citadine ainsi que sa localité.

2

– Des conditions pour une soutenabilité

2.1 – S’appuyer sur les biens communs

46 47

Magnaghi A. (2003). Op. Cit. p85 Steele J. (2005). Op. Cit. p17

27


Si l’architecture symbiotique suppose que sa conception et son utilisation ne dégradent pas voir régénère son milieu dans toute sa complexité, avec quels moyens peut-on arriver à ce processus ? L’approche que nous choisirons ici est le principe des communs. Toute ressource (système et unités) en accès partagé gérée de manière auto-organisée par une communauté en vue de garantir l’intégrité de la ressource dans le temps fonctionne comme un commun. Que cela soit des rivières, des monnaies ou internet, ils ont besoin de conditions bien particulières pour ne pas être dégradés.

Les limites du système et les parts de chacun doivent être clairement identifiées tandis que les règles d’appropriation et de fourniture des ressources sont adaptées aux conditions locales. L’auto-organisation des communs induit que tout utilisateur peut participer aux processus de décision ainsi qu’à sa surveillance. Enfin, la gouvernance et la résolution des conflits doivent être faciles d’accès et doivent seulement être régies par ses utilisateurs ou un comité élu par ceux-ci.

L’écosystème des communs repose sur des valeurs d’usage rendu possible par un changement de paradigme. Lorsque celui-ci est en place, son utilisation accroit son efficience et ses ressources. En architecture, ils peuvent être élaborés grâce à un tiers

organisateur

Aujourd’hui

les

qui

produit

édifices

sont

l’infrastructure. principalement

construits et gérés par des professionnels. Le maître Fig 21 : Nuages de mot sur les communs

d’ouvrage est rarement l’habitant ou les usagers

eux-mêmes. La majorité des habitations individuelles sont vendus comme des biens clé en main où les personnes sont plus usagers voir consommateur qu’acteurs. La gouvernance et la gestion des édifices publiques ne dépassent guère une concertation citoyenne ou une appropriation partielle des lieux. La complexité et la hiérarchisation des services publics ne donnent aux usagers la possibilité de devenir acteurs voir co-acteurs de ces lieux. L’identification des possibles communs en architecture, et leur mise en place dans une stratégie globale permettrait une progressive auto-organisation de nos villes. Quels enjeux posent-ils en termes conceptuels, économiques ou juridiques et comment l’architecte peut-il s’emparer des biens communs ?

2.2 – De la participation à l’auto-organisation

En travaillant avec les communs, la filière de la construction nécessiterait une évolution autant dans l’approche conceptuelle, technique que sociale. L’enjeu serait de régénérer et/ou les entretenir les écosystèmes en intégrant progressivement les usagers dans les différentes phases de conceptions et d’utilisations. Le principe de participation permettrait aux usagers d’avoir la légitimité et l’accès aux décisions quant à la nature et au modèle de construction des bâtiments. La participation des usagers en 28


architecture implique un changement de statut et de rôle des professionnels. La maîtrise d’ouvrage ne serait pas seulement composée d’entreprises et acteurs du bâtiment, mais intégrerait dès les phases de programmation les habitants ou usagers. Cela implique de former les personnes qui représenteraient l’entièreté des acteurs pour répondre au mieux à la demande générale. Ces groupes pourraient à chaque phase de conception et réalisation prendre des décisions voir participer à certaines tâches. Un document similaire au PLU, avec un ensemble de principes d’aménagement adoptés par la collectivité, pourrait servir de modèle à la prise de décision des usagers. La montée en compétence des usagers par rapport aux questions architecturales, urbaines ou systémiques renforcerait la résilience ces communs. Que cela soit dans l’habitat groupé, la démolition et le réemploi d’édifices ou encore les stratégies permaculturelles, la participation permet de lier dans le temps et l’espace ces pratiques. La multidisciplinarité et la multiscalarité des approches donnent une cohérence au processus participatif en créant des organismes entre les différents acteurs. La priorité est de donner à chacun la possibilité de trouver ses propres solutions face aux crises qui se profilent. La créativité suppose du temps, de la mobilité et surtout de l’espace ce qu’un mode de vie trop organisé et des formes urbaines trop figées ne peut pas fournir.

Dans les cas où la conception architecturale ou l’entretien ne sont pas trop complexes, il serait Fig 22 : L'intelligence créative au delà du brainstorming

possible d’aller vers l’auto-organisation sans passer

par un tiers organisateur. Les habitants pourraient créer des groupes de conception, auto-construire ou entretenir ce qui appartient aux communs en demandant ponctuellement la participation de professionnels. Ces processus participatifs permettant la régénération des biens communs sont possibles à une échelle locale pour fonctionner. Comment le domaine de la construction peut-il se relocaliser ?

2.3 – Une localité renforcée

La ville actuelle est déconnectée de son contexte régional ou national en utilisant ses propres ressources mais sans offrir de contrepartie. Or la perte de la relation avec la nature et la tradition a réduit la capacité de l’individu à influencer son environnement proche. Le développement local n’est possible que si une communauté locale entre en contact avec le global, en ramenant dans le local des innovations qui résultent de l’ouverture créée par les relations entre réseaux longs et courts. 48 La régénération de noyaux urbains plus locaux permet l’émergence progressive d’une ville résiliente en respectant ce processus dans

48

Magnaghi A. (2003). Op. Cit. p115

29


la planification et la construction. Ces nouvelles centralités engendrent une répartition des établissement des cités en tenant compte d’identités urbaines complexes et non plus à partir de fonctions. Lorsque cette localité se renforce autant dans l’usage des lieux publics, son économie ou sa production alimentaire, la participation et donc l’émergence des communs peut se réaliser. L’appartenance des habitants à ces villages urbains génère une plus grande diversité de connexions entre les domaines que constituent la ville. Des valeurs se crées entre les individus,

et

associations

les

monnaies

permettent

de

locales

ou

former

les une

gouvernance mieux autogéré. Cette vie locale plus intense apporte à l’architecture un encrage plus durable et résilient. Les différentes notions que nous avons développés bénéficient d’un socle de communs où leur mise en place sera facilitée. L’architecte ne répondrait plus simplement à une commande pour des programmes spécifiques, il serait un acteur à part entière dans la soutenabilité de ce village. Une partie de la profession pourrait se spécialiser dans l’assistance à maîtrise d’ouvrage de ces habitants. Des réunions participatives en Fig 23 : Structuration des communs en architecture

s’appuyant sur les communs choisies par le village

et la ville renforceraient l’intégration du nouveau projet dans l’écosystème. En intégrant des principes architecturales comme le bioclimatisme ou le réemploi dans chaque projet, la communauté d’habitants et de professionnels créer une culture commune de la construction. Enfin, la diversité et l’expertise des groupes participatifs sur le long terme favorisent un élément déclencheur d’une résilience et d’une soutenabilité locale, la symbiose.

3

– Rendre résilient une architecture soutenable

3.1 – Des disciplines symbiotiques La symbiose signifie «vivre ensemble» et décrit l’association étroite et pérenne de deux organismes différents, qui trouvent dans leurs différences leurs complémentarités. Elle est peut tendre rapidement vers le mutualisme ou le parasitisme, la symbiose n’existe donc que dans une pure relation d’efficacité réciproque.49 Si nous supposons que les liens symbiotiques en architecture sont une des conditions 49

Delannoy, I. (2016). Op Cit.

30


permettant la résilience et la soutenabilité de nos villes, comment ceux-ci peuvent-il se manifester spatialement ? Architecturalement, la symbiose peut se voir de différentes manières suivant le référentiel choisi. Elle pourrait se manifester entre un édifice existant et une nouvelle conception architecturale et paysagère. Un autre cas serait la construction d’un édifice dans un écosystème naturelle, comment une conception symbiotique peut-elle rendre complémentaire ces deux entités ?

Dans le champ de l’architecture, l’association symbiotique est traduit par la relation entre un édifice existant et une nouvelle intervention. L’objectif des associations symbiotiques est de permettre à au moins un élément de symbiose de créer des bénéfices ou une protection par cette relation. En terme architecturale, ces bénéfices se traduisent en amélioration structurelle, matérielle, formelle ou spatiale. 50

Dans notre cas, la symbiose n’utilise pas seulement les outils classiques de l’architecte mais renforce ces liens dans la multidisciplinarité de l’approche. Identifier quel type de lien, du parasitisme à la symbiose en passant par le mutualisme, permettrait d’avoir un cahier

des

charges,

une

programmation

qui

favoriserait les liens symbiotiques. Un Amo ou une équipe

pluridisciplinaire

avec

des

architectes,

urbanistes, paysagistes, biologistes pourrait faire ce travail de diagnostic avant la phase de conception. Le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre seraient ainsi plus à même de comprendre et concevoir des symbioses en architectures. Nous proposerons des pistes de réflexions sur le processus menant aux conditions symbiotiques. Une définition de cet objectif pourrait être : un système architecturo-naturel créant ses propres ressources Fig 24 : Une symbiose naturelle, le lichen, Sylvain Champy

en régénérant les autres écosystèmes pour créer

des relations de réciprocité multiscalaires. Il semble cohérent d’intégrer de façon fractale les échelles du bâti, du quartier, de la ville et du territoire pour répondre aux différents enjeux qu’ils soient sociaux, environnementales, économiques ou culturels.

Traduction personnelle, Šijakovića. M. Perić A. (2017). Symbiotic architecture: Redefinition of recycling design principles, (Higher Education Press Limited Company). In the field of architecture, the symbiotic association is translated to the relationship between an existing building and new intervention. The sole purpose of the symbiotic associations is to allow at least one symbiont to draw benefits, nutrition or protection from this relationship. In architectural terms, these benefits refer to structural, material, formal, or spatial upgrading. 50

31


3.2 – Le temps de la circularité

L’écologie et la soutenabilité questionnent notre rapport au temps. En architecture cela se concrétise en passant d’une approche linéaire à une approche circulaire. Dans les sociétés régies par une conception cyclique du temps, il n'y a pas de démarcation entre le passé, le présent et le futur, car, selon les acteurs, tous les trois s'interpénètrent.51 Si l’horizon temporel architectural n’est plus le futur, mais le présent se basant sur les conceptions du passé, comment cette circularité peut se mettre en place ? Une partie des filières de la construction se base déjà sur la circularité comme le réemploi ou les matériaux frugaux. C’est le fonctionnement même de leur procédé qui amène la circularité, qu’en est-il de l’ensemble des phases de conception et d’utilisation ? Concevoir et construire des bâtiments de manière circulaire nécessite de reconnaître qu’un bâtiment est avant tout un support de vie. Au-delà de l'optimisation de l'utilisation des ressources pour elles-mêmes, il est essentiel de chercher à préserver et à renforcer les valeurs économiques, sociales, environnementales et culturelles qu'un lieu incarne pour ses utilisateurs finaux, de manière à ce qu’il puisse être utilisé le plus longtemps possible. La résultante serait un usage qui s’inscrit dans les différents cycles que constitue un bâtiment.

Entre

les

cycles

diurne/nocturne,

saisonniers ou encore générationnels, l’architecture devient un processus itératif dans culturelles. Les notions que nous avons évoquées comme la tradition, la localité ou la participation utilisent ce rapport au temps pour fonctionner. Il peut ainsi se créer une mémoire commune à travers la circularité. Comprendre le monde […] revient peut être simplement à comprendre deux choses : d’une part le changement, d’autre part la relation entre le tout et ses parties.52

Le

changement

de

temporalité

permet

un

accroissement des relations symbiotiques dans le Fig 25 : Fonctionnement de l’économie circulaire

bâtiment en favorisant la perméabilité entre les

disciplines. Lorsque l’aspect environnemental, social, économique et culturel fonctionnent de manière cyclique, les relations entre ceux-ci sont facilitées par la même logique de fonctionnement. Il reste maintenant à définir ce que pourrait être un système architectural soutenable par rapport à ces processus.

Gui Ekwa M. (2015). Temps cyclique, temps linéaire, (Aspects sociologiques, Vol. 3, no 1, Mars 1995). pp. 4-9. Wagensberg J. (1997). L’âme de la méduse – Idées sur la complexité du mondeSeuil, coll. « Science ouverte », Paris, Trad. du castillan par Jean-Baptiste Grasset (Ideas sobre la complejidad del mundo, 1985) 51 52

32


3.3 – Régénérer en écosystème

L’architecture symbiotique cherche à régénérer les quatre écosystèmes de la soutenabilité que nous avons étudiés. L’écosystème social créer de l’information à travers l’usage dans le temps cyclique en entretenant la mémoire collective. Les acteurs peuvent créer plus de liens interdisciplinaires par la participation et l’auto-organisation à une échelle locale. L’écosystème technosphérique apporte la technologie et la structure au développement des trois autres. On cherchera à minimiser les externalités

négatives

des

bâtiments

en

concevant de manière circulaire. L’enjeu est de rendre plus efficient l’accès à l’information et à la qualité des liens en travaillant en symbiose avec la tradition et l’écosystème naturel. Ce dernier requalifie la temporalité et la spatialité de l’architecture en se basant sur le temps des saisons. Les services écosystémiques peuvent générer des matériaux, des biens communs ou du bien-être avec la biophilie en Fig 26 : Proposition d’une approche systémique en architecture

s’appuyant sur une culture de l’écologie. La

qualité des liens symbiotiques ou non sera en grande partie due à la reconnaissance de cet écosystème par les habitants. L’écosystème culturel, plus interdisciplinaire, permettrait de lier sur le long terme le bon équilibre entre les trois derniers. Les rites traditionnels devenus des communs pourront rendre résilientes les différentes localités indispensables à une architecture soutenable. La ville est une mémoire génotypique, dont l’identité et le pouvoir d’innovation sont garantis par la conservation de sa complexité. Cette condition met bien en évidence l’interdépendance des catégories temporelles, qualitatives et esthétiques.53

L’architecture tendra vers la soutenabilité lorsqu’elle aura atteint un niveau suffisant de complexité avec son milieu, qu’il soit urbain ou rural. Cette préservation de l’équilibre système-milieu conditionne la résilience de l’organisation urbaine par la complexité. Nous avons suggéré que ces régulateurs se basent de l’échelle locale pour penser le global à travers les communs. La gouvernance de ceux-ci dans la multiscalarité de la ville permettra de faire système entre les différents piliers. L’incrémentalisme des écosystèmes qui commencent déjà à se former pourra concrètement se réaliser par un changement de paradigme. Lorsqu’une majorité de la population sera prête à devenir des acteurs de cette transition, l es

53

Magnaghi A. (2003). Op. Cit. p90

33


professionnels du bâtiment pourront accompagner les habitants à construire des architectures symbiotiques.

34


Conclusion Plus que de définir une architecture et une urbanité totalement soutenable, ce travail de recherche à l’objectif d’ouvrir les imaginaires. Nous avons identifié certains des enjeux mondiaux qui vont profondément changer notre façon de vivre et de construire. La résilience de nos villes devant être renforcées, et la soutenabilité architecturale étant un but à atteindre, nous avons mis en lumière plusieurs accroches. La première est l’approche soutenable à travers les trois aspects généralement étudiés en regard de la culture. Nous avons vu que ce quatrième point permettait de lier l’environnement, le social et l’économie de manière beaucoup plus durable et résiliente. Elle permet d’accompagner un changement de paradigme nécessaire pour que la transdisciplinarité de l’architecture devienne résiliente. Ces notions ont ensuite été étudiées par rapport au tryptique tradition/technologie/urbain. La tradition est inextricablement liée à la tradition due faite du lien moyen/cause. Ces deux axes sont liés par l’espace à travers l’urbanité, les évolutions écologiques s’étant principalement propagées à partir des villes. L’architecture soutenable se base également sur des biens communs qui sont reliés entre eux par des processus participatifs inscrits dans une localité. La proximité permet de créer une identité qui sera nourrie par les projets communs engagés par les habitants et les professionnels. Enfin nous avons vu que certaines activités du bâtiment pouvaient créer une symbiose entre elles et les écosystèmes. Cela peut s’organiser grâce à un temps cyclique permettant de régénérer au fur et à mesure les systèmes sociaux, environnementaux et économiques de la localité. L’écosystème architectural peut arriver à une soutenabilité quand tous ces éléments sont réunis.

La soutenabilité en architecture repose sur l’imbrication des écosystèmes environnementaux, sociaux et économiques. Un changement de paradigme semble nécessaire pour lier ces systèmes, il est prend comme base la culture qui alimente les processus nécessaires à la cohérence de l’ensemble. Plusieurs conditions semblent requises pour atteindre une architecture symbiotique. Elle doit s’inscrire dans une localité permettant de créer une appartenance au lieu et à son écosystème social. Les processus de participations et d’entraide permettent de mettre en lien des liens symbiotiques entre les différentes disciplines architecturales. Les biens communs sont les briques d’une soutenabilité, où ceux-ci fonctionnent dans une économie circulaire. La décroissance du système économique, en s’appuyant sur le réemploi, le low-tech ou les matériaux frugaux permet de créer les conditions d’une régénération des autres systèmes. Le changement de nos manières d’habiter et de consommer, l’auto-organisation et la participation dans le bâtiment permet de rendre plus résilient et soutenable la construction et l’usage de l’architecture. La prise en compte des services écosystémiques dans la conception architecturale en se basant sur l’approche bioclimatique, la permaculture ou l’ingénierie écologique permet une régénération de la biodiversité en ville. La résilience et la soutenabilité en architecture peuvent donc s’installer lorsque tous ces liens fonctionnent de manière interconnectée.

35


Ce premier travail systémique a permis d’emmètre des pistes de réflexion sur la soutenabilité en architecture. Dans cette logique, ce travail devrait être poursuivi aux échelles de la ville et du territoire pour consolider la résilience. La multiscalarité permettrait de mettre en lumière le fonctionnement de la soutenabilité dans son ensemble. La ville frugale de Jean Haëntjens ou la biorégion étudiée par Alberto Magnaghi sont autant d’ouvertures pour une transition écologique. En cela, je pense que ce travail atteint ces limites, puisque la pensée complexe jongle avec l’approche pluridisciplinaire et multiscalaire. Ma future activité professionnelle, qu’elle soit architecturale ou connexe portera l’objectif d’un monde soutenable et les valeurs qui lui sont liées.

36


Bibliographie raisonnée Livres Gyoot M. Delifer D. Billiet L. Warnier A. (Rotor), (2018). Déconstruction et réemploi, Comment faire circuler les éléments de construction, (Presses polytechniques et universitaires romandes). Bihouix, P. (2014). L’Âge des low tech? Vers une civilisation techniquement soutenable, (Editions du Seuil). Servigne P. Stevens R. (2015). Comment tout peut s’effondrer, (Editions du Seuil). Harari Y. N. (2015). Sapiens: Une brève histoire de l’humanité, (Albin Michel). Hopkins R. (2010). Manuel de Transition, De la dépendance au pétrole à la résilience locale, (Ecosociété Eds). Delannoy, I. (2016). L’économie symbiotique, Régénérer la planète, l’économie, la société, (Actes Sud). Mollison B. (1991). Introduction à la permaculture, (Passerelle Eco). Wright D. (2004). Manuel d’architecture naturelle, (Editions Parenthèses). Haentjens J. (2011). La ville frugale : un modèle pour préparer l’après-pétrole, (FYP). Steele J. (2005). Architecture écologique, une histoire critique, (Actes Sud).

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Table des illustrations Illustration de couverture : Corentin Bou Fig. 1 : Fig. 2 :

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Annexes

38


39


« Un rayon de soleil finit de me sortir de mon rêve, alors que je m’étire dans mon lit dont la structure est le réemploi d’une vielle clio. Devant le tableau de bord, j’aperçois à travers la fenêtre l’activité déjà bouillonnante des calèches, artisans et passants. J’habite au deuxième étage d’un ancien entrepôt réhabilité en logement solidaire. En échange de quelques heures par semaine à entretenir le potager ou repeindre un mur, je dispose d’un petit appartement mis à disposition par la coopérative d’habitant du quartier. Ici, beaucoup d’activités sont autogérées depuis que le pic pétrolier nous a forcés à évoluer vers plus de sobriété. Je vais m’aérer tout en rabaissant les canisses de la serre. Chaque habitation en possède une, cela permet de produire une partie de sa nourriture et de réguler les apports thermiques en fonction des saisons. Même si les îlots de chaleurs ont fortement baissé grâce à la politique de reverdissement des villes, de petites connaissances en bioclimatie sont nécessaires pour réguler son confort. Je prends mon tricycle pour aller travailler à la recyclerie de mon quartier. Ici, tous les objets du XXIe siècle qui sont encore en état correct sont réparés ou réemployés. Après 2030, énormément de personnes sont parties travailler dans les ceintures maraichères ou ce type d’endroit. Je m’occupe du pôle bâtiment, l’un des plus importants puisque de nombreux édifices ont dû être abandonné après l’exode urbain. Ce matin j’ai une réunion avec l’architecte en chef de coordination systémique. Il y en a un par ville, élu tous les cinq ans par des habitants et des professionnels de la construction. Nous allons étudier le diagnostic du comité d’habitant sur l’avenir de Périer, pour savoir quels bâtiments sont à déconstruire, réhabiliter ou détruire. J’espère que l’équipe de démantèlement pourra me dénicher des poutrelles en I et des tomettes pour la construction de l’école de mon quartier. Après un repas à la cantine locale de Castellane, je vais donner un cours d’ingénierie écologique à Noailles pour les maires des arrondissements de Marseille. J’ai mis en place il y a quelques années un système de phytoépuration pour l’assainissement du quartier. La majorité des rues étant devenues piétonnes, la place disponible a pu servir à planter des arbres fruitiers et des aménager de petites places. La vie du quartier est beaucoup plus dynamique, les habitants ont retrouvé leur appartenance et de nombreuses festivités s’y déroulent à toutes heures. J’ai demandé l’aide d’un permaculteur et d’un AMO en réemploi pour concevoir le plan urbain. Après le cours, il a été décidé que chaque mairie serait dotée de systèmes de phytoépuration, de magasin de trocs et d’une permanence en conseil bioclimatique. J’ai rendez-vous avec un vieil ami de Lyon qui voulait me parler d’un nouveau système de démocratie participative. Depuis qu’il fait partie du ministère de la résilience, il n’a plus beaucoup de temps pour venir sur Marseille. Nous avons réservé une place dans un bar vers le J3. La chaleur produite par le data-center du coin permet de chauffer des appartements, une piscine municipale et certains restaurants. Adossé à la paroi chauffante de béton de chanvre, je contemple la structure en bois créant des ombres folles dans la salle. La nuit commençant à tomber, je décide de prendre un covoiturage pour rentrer à l’appartement. La réunion hebdomadaire de la coopérative va commencer, nous allons débattre sur la construction d’une éolienne lowtech, et surement d’autres discussions sur l’avenir qui s’annonce plus qu’intéressant. »

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