Monographie de Marc PETIT, sculpteur

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Marc PETIT



Préface de Lydia HARAMBOUG

Textes de Georges BLOESS, Pierre CHARRAS, Florence DELAPORTE, Bernard-Marie DUPONT, Alain GOUIFFÉS, et Marie-Héléne LAFON


Les éditions de l’Abbaye d’Auberive remercient les institutions qui se sont associées à l’édition de ce livre : Le Conseil Général du Lot, Monsieur Gérard Miquel, Président du conseil général du Lot, Questeur du Sénat Monsieur Gérard Amigues, Vice-président chargé de la Culture et du patrimoine La ville de Cahors, Monsieur Marc Lecuru, Maire Monsieur Bruno Gatignol, Maire Adjoint chargé des arts plastiques et du patrimoine Monsieur Laurent Guillaut, Conservateur en chef du musée Henri-Martin de Cahors et Mesdames Dominique et Alexia Volot Monsieur Christian Dufour Monsieur Patrick Blanc et Madame Sylvie Cosse Monsieur Jean-Marc Vayssouze Monsieur Jean Eon Monsieur et Madame Serge et Magali Munte Madame Cathy Petit ainsi que les collectionneurs qui nous ont permis de photographier leurs œuvres et ont préféré rester anonymes.


Un cri muet. Comme dans la célèbre toile de Munch, un silence étourdissant plane sur l’œuvre de Marc Petit. Ses personnages ou plutôt ses familles, tant on sent les liens qui unissent certaines sculptures, clament à la face du monde les blessures et les humiliations d’une humanité en désarroi. L’homme est au centre de l’œuvre de l’artiste. Dans un geste organique, ses mains façonnent, triturent, violentent la matière, s’abandonnent aussi parfois à la caresser jusqu’à extirper l’âme de ses dépouilles mortelles. Seule palpite encore dans ses corps, comme un souffle de vie, une respiration retenue sur le bord de l’abîme. Marc Petit sculpte l’angoisse de l’homme jusqu’à la sublimation douloureuse et poétique de l’éternité. Son œuvre passe par le cœur avant que le regard ne s’attarde. Ces êtres de bronze, de plâtre ou de bois apparaissent comme d’étranges guetteurs au seuil de l’éternité. Ils nous parlent de mort, et pourtant, ils disent la vie. Et si l’émotion nous submerge devant ces figures consumées de douleur muette, c’est qu’en miroir, sans complaisance, elles réveillent au plus profond de nous nos blessures secrètes, nos peurs et, au bout du compte, notre infinie solitude. D’origine lotoise, Marc Petit revendique ses racines dans lesquelles il puise sa raison d’être et la force de son geste créateur. Il était donc tout naturel que le musée de Cahors Henri-Martin et le musée départemental Rignault de Saint-Cirq-Lapopie lui rendent hommage en présentant son travail, un hommage rendu possible par la collaboration étroite et renouvelée entre le Conseil général du Lot et la Ville de Cahors. Cet ouvrage édité par l’Abbaye d’Auberive - Centre international de l’Expressionnisme - traduit, avec une fidélité et une sensibilité exemplaire, cette exposition inédite et remarquable. Souhaitons qu’au travers de cette exposition et de cet ouvrage, l’œuvre emplie d’humanité de Marc Petit puisse toucher au cœur le plus vaste public.

Gérard MIQUEL Questeur du Sénat Président du Conseil général du Lot

Marc LECURU Maire de Cahors Président de la communauté de Communes du Pays de Cahors


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Je suis plus sensible à un arbre calciné qu’à un pommier en fleurs. Germaine RICHIER

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Les Vieux MariĂŠs, 2000.

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Dans l’atelier en Limousin, une humanité a pris corps. La sculpture n’est pas une activité dilettante. Elle impose ses lois, sa discipline, la ténacité et la patience lucidement acceptées par celui dont l’exigence est la garantie d’un engagement irréductible. Marc Petit n’y faillit pas. Son enthousiasme y pourvoit et reste son meilleur viatique. L’œuvre l’appelle et le voit chaque jour lui répondre par un dialogue obsessionnel avec la matière. Si la disponibilité est requise, les arcanes d’un métier imparable, appris auprès de René Fournier et Serge Lorquin, Premier Grand Prix de Rome, installé dans un village proche de Cahors, enracinent le sculpteur dans un face à face avec lui-même dont il sait que l’œuvre, seule, gardera le secret. Après vingt ans d’un travail solitaire, Marc Petit atteint une plénitude qui est celle de son identité plastique, une maturité dont rapidement ses sculptures ont pu témoigner. Ses débuts le firent remarquer par ses pairs, mais aussi par un public sensible à l’authenticité de ses personnages d’une comédie humaine en mal d’amour. Un peu plus de dix ans après sa première exposition au musée de Cahors, en 1994, année où l’artiste expose pour la première fois à Paris, on mesure le chemin parcouru par cet expressionniste qui veut résister à la beauté pour en dégager l’essence. On comprend que les risques furent affrontés et vaincus, que la hardiesse doublée d’une générosité a accouché d’une acuité pour doter ces êtres décharnés d’une parure de bronze inviolable.. Marc Petit n’a peur de rien. Démiurge, parce qu’il transmue la matière inerte en un nouvel ordre vivant, le voilà à l’écoute de ses mains desquelles naît la vie. Son impatience n’a pas faibli dans son corps à corps avec la terre malaxée, le plâtre gâché jusqu’à l’indécence de la capture d’une tension, trop inavouable pour qu’elle ne soit pas à l’unisson du destin. Ses hommes et ses femmes en expriment la muette acceptation. Dans chaque artiste avéré, cohabitent le praticien et l’humaniste. Marc Petit n’y échappe pas, qui allie à sa maîtrise technique une expressivité au fondement universel, le geste à l’esprit. Si l’élaboration d’un inventaire sculptural aussi introspectif de la condition humaine suppose une connaissance approfondie de ses semblables, l’analyse formelle qu’elle exige requiert une puissance d’investigation au niveau des formes. C’est à l’intersection de cette action simultanée autant que mystérieuse, que se love la création. Son premier interlocuteur, après la matière inerte, est l’espace. Toute sa démarche va consister en une mise en relation entre les volumes formels et le volume spatial, entre les pleins et le manque, l’intérieur et l’extérieur,

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le visible et l’invisible. D’emblée, sa main intuitive retire de la matière, soustrait, « Enlever, c’est ajouter » dit-il. La sculpture est l’art de l’ellipse. Marc Petit s’inscrit dans l’héritage des sculpteurs médiévaux, de Ligier Richier, de Giacometti et de Germaine Richier. Il interroge les corps autant que l’âme. Une sorte de mimétisme dépouille la forme, ajustée à une incarnation intériorisée. Sur la scène artistique de ces deux dernières décennies se sont imposés ses corps convulsés ayant conservé une structure ferme, ses visages émaciés habités de l’intérieur. Ses personnages sont nus, mythiquement revêtus de voiles, de tuniques mouillées. Isolés, en groupes de deux, de trois, de cinq parfois davantage pour une multitude inerte, ils attendent au bord d’un abîme insondable, quelle délivrance ? Ou bien perdus dans une méditation ineffable, ils confessent avec pudeur la perte de leur raison d’être. Une œuvre dramatique mais lucide, jamais contestataire, parce que, nous dit Marc Petit, « mon travail, ce n’est que de la tendresse. » Le modelage est puissant, violent, pour morceler le corps, réceptacle efflanqué de creux et de saillies, suggérant le combat auquel s’est livré l’artiste, dont l’acte créateur participe du processus de métamorphose. La réalité hybride qui en jaillit est l’aboutissement d’une analyse des formes, dont nous ne saurons rien des assauts antérieurs apportés par des doigts impatients et fervents à juguler l’insaisissable mouvement comme la fugitive émotion. Face à ces êtres pétrifiés dans leur règne originel, nous voici, bien malgré nous, confrontés à nous-mêmes, autrement dit à une histoire de l’humanité inscrite dans le temps perdu. Présence au monde, le corps de la femme a perdu de sa vitalité organique. Buste creusé par une érosion énigmatique, seins tombants, taris, abdomen squameux, membres étirés comme les branches de l’arbre, mains aux phalanges crochues d’insectes, s’ouvrent aux phénomènes de la nature, monde végétal et animal, générateur de formes hallucinantes. Ces formes improbables, comme vidées de leur substance organique, se prêteront ensuite au déchaînement des aléas du bronze en fusion. Tout comme ces volumes engagés par son geste élargi au plâtre, que notre sculpteur monte sur des armatures en y mêlant des matériaux de fortune. Récemment Marc Petit a imaginé une matière à partir de bouts de bois mêlés à de la cire, comme liant, dont il prend l’empreinte directe avec une céramique, destinée à la fonte d’une pièce unique en bronze. Marc Petit suit attentivement les étapes de la mise en forme soumise au pouvoir alchimique du feu, précédant celle de la patine dont il multiplie les variations expressives en recourant au plomb, aux oxydes de fer et de cuivre. La vibration charnelle est extirpée de la gangue, l’essentiel d’une gestation humanoïde est capturé. De l’agglomérat croûteux, naissent les ventres boursouflés d’avoir trop enfanté, la cage thoracique concave, les visages aux yeux fixes et ouverts comme

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des gouffres où se sont perdues leurs certitudes, les membres usés, frissonnants d’aspirations étranges. Un jeu formel dont Marc Petit connaît les écueils, acceptés, pour mieux se libérer d’un conformisme et parvenir à une vérité palpable. Multiple par sa diversité, mais une dans sa dimension métaphysique, la sculpture de Marc Petit engendre un mythe. La liberté, nue, accompagne la forme en état de surgissement. C’est elle qui préside à l’apparition murmurée sur le papier d’inflexions linéaires, de griffures, de frottis, de taches enténébrées et blanchâtres. Les traces affleurent sur le territoire de l’inconscient et celui, contraignant, de la feuille, pour ressusciter des êtres qui achèvent leur périple abyssal. Une odyssée graphique qui rejoint celle de la sculpture. Un semblable destin les unit. Dans le corps de l’écriture comme dans celui de la forme, c’est le corps originel qui se laisse prendre pour sortir de l’anonymat ces hommes et ces femmes, figés dans l’attente de recouvrer une innocence rédemptrice. Chaque sculpture, chaque dessin constitue l’élément d’un récit fragmenté dans lequel les mots sont caducs. Dans cette frénésie, dans cette urgence à dire, la puissance d’investigation, l’énergie captatrice du relief, la mesure sont dispensatrices d’un équilibre qui fait renouer l’artiste avec les forces du cosmos, alors qu’il ose des ruptures, des attitudes frontales, subitement désaxées dans une immobilité au dynamisme interne. Aucune symétrie délibérée, mais une ambivalence des plans dans un ordre retrouvé, celui de la sculpture. Les tensions semblent au repos et toujours prêtes à surgir. Ces mouvements arrêtés par notre sculpteur sont tour à tour l’expression d’une douleur incomprise et tue parce que sans réponse, mais aussi l’aveu d’un amour de la vie qui lui fait regarder ses semblables avec les yeux d’un poète attendri, amusé par leurs travers qui le fait réagir en humoriste. Marc Petit nous tend un miroir. Nous y voyons une foule anonyme d’êtres marqués du poids de l’épreuve vécue. Leurs corps offrent les guenilles des blessures consenties, de l’espoir, de l’étonnement et de la peur, de la surprise, de l’émoi. Le geste immédiat nous en transmet toute l’épiphanie, dans la matière originelle, transfigurée par la fusion pour un bronze qui garde sur sa cuirasse la trace des doigts. Avec le fusain qui révèle la lumière, l’absorbe sur les volumes, sa main improvise dans la connaissance. La règle, pour Marc Petit : modeler, pétrir, dessiner toujours plus vite, au rythme d’une double transe, intellectuelle et manuelle. Ne jamais freiner les pulsions qui prennent dans les rets de la création, visages et corps emmurés dans un songe, qui ose s’énoncer dans une présence irréversible. L’art commence ici.

Lydia HARAMBOURG

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VanitĂŠ, 1993.

Le Baiser, 1995.

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Requiem, 1991.

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Femme accroupie, 1995.

Cathy, 1988.

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La Couturière, 2002.

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Le Grand Banc, 1998.


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Je souhaite figer dans ce court instant d’éternité, tout l’absurde d’un équilibre d’amour qui se rompt, d’un vide dans lequel il faut encore aimer pour ne pas oublier. Marc PETIT

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Le Pliant, 1996.

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Le Jour, 2000.

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La Nuit, 2000.


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L’Aube, 2000.

L’Aurore, 1996.

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Les Arches, 2005.


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Les Visiteurs du Soir « Bon, on va voir l’atelier » a dit Marc Petit. On était si bien et il va falloir bouger. Quel atelier, d’ailleurs ? Ah oui, c’est vrai... C’est même pour ça qu’on a traversé la France : pour voir l’atelier. Et pour écrire un texte sur cette expérience, en affectant de ne pas se glisser pour autant, nains que nous sommes, dans l’habit de géant de Jean Genet écrivant sur le lieu de travail de Giacometti. Quoique !... J’ai peur, là, tout à coup, de ne pas être à la hauteur. D’abord parce que, bien sûr, on est toujours

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en dessous d’une production humaine, quelle qu’elle soit. Et qui que l’on soit. Et ensuite (surtout), parce que je n’y connais rien en sculpture. Rien du tout. Je risque d’être enfin démasqué. C’est ce soir que l’imposture dans laquelle je me complais depuis tant d’années va m’exploser au visage. Où irai-je me cacher, pendant le temps qu’il me reste à vivre ? Et que dira la postérité, toujours prête à ressasser le pire ? Nous avons acquiescé, comme si nous n’avions attendu que ce signal pour nous lever enfin. Pour passer aux choses sérieuses. Nous avons même, je crois, feint la hâte, la gourmandise. Pourtant nous étions repus, là, autour de la table où l’on nous avait servi une sorte de festin, comme pour nous endormir. Il y a eu la plainte des chaises qu’on recule, le quasi-sanglot de la porte qu’on ouvre sur la nuit venteuse de cet automne hypocrite qui n’en finissait pas de préfacer un franc hiver qui ne venait jamais. Il y a eu la traversée de l’espace jonché de feuilles jaunies autour du vieil arbre près duquel nous attendait, comme une possibilité de fuite, la voiture qui nous avait amenés ici, depuis la gare de Limoges. Marc ouvrait la marche. Il a poussé une petite porte, à droite du bâtiment que j’avais pris pour une étable, en arrivant. Nous avons pénétré à la fois dans l’obscurité totale et dans le bruit assourdissant que faisaient, en frottant sur la tôle ondulée du toit, les branches des arbres agitées par le vent. « Ne bougez pas, je vais donner de la lumière ! » Nous n’avons plus bougé. Le bruit extérieur s’est interrompu, lui aussi, comme si la nature retenait ellemême son souffle. « Voilà ! » J’ai reculé, je crois. Ou j’ai suffoqué un instant. Ou les deux. En même temps que jaillissait la lumière crue des projecteurs, le bruit de frôlement avait repris, si bien que les hautes figures blanches semblaient s’être dressées tout à coup, dans quelque froissement d’étoffe ou de ce papier brun éclaboussé de couleurs qu’on utilise autour des crèches, pour représenter la terre, à Noël. Je m’attendais à voir des sculptures et j’étais cerné par des gens. Des gens aux bras écartés, à la bouche ouverte. Ils poussaient des cris qui pouvaient exprimer aussi bien le désespoir que la colère. Mais c’est la colère que j’ai ressentie, dans cette première seconde. D’abord celle des grands plâtres : - celle de l’ange qui a eu le temps de se dresser mais pas celui de déployer ses ailes ; - celle de ces enfants entassés dans un parc et qui ne peuvent jouer parce qu’ils sont trop nombreux ; - celle de la ménagère qui pousse son chariot de supermarché et qui regrette déjà d’avoir acheté des

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enfants alors qu’il n’y a déjà plus de place dans le parc. Et, dès que je suis parvenu à baisser les yeux pour échapper à tous ces reproches, c’est la colère des petits bronzes, par terre, en ordre de marche, qui a pris le relais. J’ai alors ressenti cette « mort imminente » que je connais bien et que savent parfaitement décrire les médecins sans en avoir jamais éprouvé les symptômes. « Je vous préviens, cette injection d’iode s’accompagne d’une impression de mort imminente, mais ce n’est rien, il n’y a pas de quoi s’inquiéter ». Mais si, il y a de quoi s’inquiéter. Mais non, ce n’est pas rien. Si c’est ça, la mort, je ne veux pas mourir... Si c’est autre chose, je ne veux pas non plus, d’ailleurs. Mais cette « mort imminente »-là, face à ces êtres que je n’arrivais pas à considérer comme des choses (et qui, je le crois sincèrement, n’en sont pas), me renvoyait ailleurs que lors de la manifestation d’une de ces misères que nous impose notre pauvre corps. Elle me renvoyait plutôt à un bonheur. À un grand bonheur. C’était un matin, elle avait gémi pendant des heures. La femme que j’aimais - la femme que j’aime encore - s’apprêtait à mettre au monde notre enfant et venait d’accomplir l’ascension d’un Golgotha escarpé au sommet duquel l’attendait non pas le pire mais, dit-on, le meilleur - et dans ce cas ce fut, (c’est) le meilleur. L’équipe médicale l’avait fait asseoir au bord du lit de douleur. L’aiguille, glissée entre deux vertèbres, lui avait rendu calme et sourire. La suite se passa très bien, et très vite. Trop vite. Je n’étais pas prêt. Je crois bien qu’aujourd’hui, plus de vingt ans après, je ne le suis toujours pas. Ma fille est née. Cet événement, que j’attendais pourtant avec impatience, m’a pris de court. La seconde d’avant, nous étions quatre dans la petite salle : le médecin, la sage-femme, la « bientôt-mère » et moi ; et soudain il y avait une personne supplémentaire. L’air allait manquer. Il fallait que je meure pour que l’enfant puisse vivre. C’est exactement ce que j’ai ressenti, près de la porte de l’atelier de Marc Petit, sous l’œil réprobateur de ses personnages hérissés. Il fallait que je meure. Que je laisse la place, l’oxygène, à ces figures qui voulaient vivre. Qui vivaient. Puis, comme il y a vingt ans, à l’hôpital, nous sommes arrivés à une entente. Nous avons conclu que nous pouvions tous rester. C’est alors que je me suis souvenu que la pièce réservée aux accouchements portait le nom de « salle de travail ». C’était bien là que je me trouvais, au milieu des cris muets et des étreintes possibles. C’était bien là que je revenais à moi après cette absence nécessaire. Après ce détour par les enfers. C’est là qu’a commencé le bonheur dont j’ai parlé. Les sculptures et moi sommes rentrés en nous-mêmes. J’ai pu enfin les voir. Les regarder. Les détailler. Et je n’étais pas seul, enfin sorti de la sidération, à évoluer

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maintenant parmi les figures blanches. L’un des visiteurs s’imaginait photographe, inventait les axes, des cadres. « Cette toile d’araignée, il faudra qu’on la voie », disait-il. Nous étions devenus des regards. Des enfants. Nous déambulions dans les rêves d’un sculpteur. Dans son cerveau. Et les œuvres avaient changé, elles aussi. Ce qui sortait de la bouche de tous ces êtres, ce n’était pas des cris mais des appels. Ils écartaient les bras non dans le but de nous épouvanter mais avec l’espoir de nous serrer contre eux. Ils exprimaient, au-delà de la précarité de tout geste humain, la douceur de celui dont nous venions de partager le repas. Il me semblait maintenant que les figures, loin de chercher à me chasser, allaient désormais s’efforcer de me retenir, que je ne pourrais pas repartir, comme ce jour de 1971 où, lors de la première rétrospective Francis Bacon, je faisais tout mon possible pour ne pas retrouver la sortie. À la fin de sa vie, Bacon déclarait : « L’ennui, avec la peinture, c’est que maintenant, mes toiles, je sais les faire. » Et il projetait de se mettre à la sculpture. Il avait commencé à travailler le plâtre, justement. II reste quelques témoignages photographiques de ces recherches : on y voit des êtres blancs perchés sur de fins tubes et qui, semble-t-il, crient. Des êtres blancs perchés sur de fins tubes et qui, semble-t-il, crient ?... Et si Marc Petit nous avait été envoyé pour donner une réalité aux songes de Francis Bacon ?

Pierre CHARRAS

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Les Oiseaux (5), 1998.

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Grande Femme Debout, 2003.


Les Implorants, 2004.

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Plus rien ne te rattachant au sol tu pourras danser sans tomber. Mais veille de mourir avant que d’apparaître, et qu’un mort danse sur le fil. Jean GENET

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Le Confident, 2000.


Le Parc, 2000.

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Le Lit, 2000.

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Le Sommier, 2000.

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C’est sans doute cela la création, cette capacité à susciter, à façonner l’ailleurs quel que soit l’endroit où l’on se trouve. A fabriquer – de toutes pièces, en figures ou en peinture – de la nostalgie. Tant il est vrai qu’on ne peut, de toute façon, jamais être totalement contemporain de ses désirs et que la moindre des politesses, des délicatesses esthétiques, c’est de ne pas, irrémédiablement, coïncider avec son temps… Patrick MIALON

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Le Petit Banc, 2003

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L’Exode, 2001..


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Les Oiseaux (2), 1998.


Le Dernière Soupe, 1998.


La Fuite, 2001.

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L’équilibriste,1996.

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Marc Petit est sculpteur. Mais s’il faut définir la sculpture comme la rencontre entre la matière et une intention mentale, alors nous sommes doublement inquiétés, c’est-à-dire, au sens premier, sortis de notre quiétude. Car Marc Petit n’est pas grec. Pour le philosophe, il est aisé de montrer que la pensée occidentale trouve sa fondation, la source de son inspiration, son souffle, dans le monde des présocratiques, en particulier avec la figure du cercle parménidéen. Dans son célèbre poème, De la nature, dont nous ne connaissons que quelques fragments, Parménide pose la proposition fondamentale de l’ontologie : l’être est un, continu et éternel. Il est opposé au devenir et à la réalité ; il est immuable et identique sous les changements. Toute l’histoire de l’ontologie, de la philosophie, et notre rapport à la sculpture, sont pensés à partir de ce poème et plus précisément à partir de la figure du cercle, circonscrite par le philosophe. « C’est pourquoi il est bien que ce qui est ne comporte pas d’imperfection ; car il n’a pas de défaut. S’il en avait, il serait imparfait en tout. C’est la même chose, être pensé et le pourquoi de la pensée. Car tu ne trouveras pas le penser dans tout ce qui a été dit, sans ce qui est. Car il n’est pas et ne sera jamais rien d’autre à côté de ce qui est, puisque le Destin l’a contraint à être entier et immobile (...) Mais puisqu’il y a une limite extrême, il est parachevé comme la masse d’une balle bien arrondie de tous côtés, également équilibrée dans chaque direction depuis le centre. Car il est nécessaire qu’il n’y ait pas quelque chose en trop ou en moins par-ci, par-là. Car il n’est ni ce qui n’est pas, ce qui l’empêcherait d’atteindre son pareil, ni n’existe-t-il de manière telle qu’il y aurait plus d’être ici et moins là, car il est tout entier inviolé. Car étant égal à lui-même de tous côtés, il repose uniformément à l’intérieur de ses limites. »1 Lorsque l’Etre est, il est pleinement, sans zone d’ombre. Il se donne dans sa plénitude, sous sa forme immédiatement achevée. Comme le dit plus loin Parménide : « Seul est ce qui peut être dit et pensé ». Si nous assimilons l’ontologie à la figure du cercle, elle prend toujours la forme d’un cercle parfait, bien délimité et rempli, immédiatement complet, immuable puisque pleinement réalisé. L’affirmation ontologique est peut-être aussi (et d’abord ?) une possibilité linguistique qu’autorise la langue grecque avec cette grammaire du temps présent

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une fois pour toutes advenu : être, c’est être au présent éternellement. L’homme, comme sa représentation imagée ou sculptée, ne peut qu’apparaître dans la plénitude de sa beauté, dans une mise en scène qui est mise en lumière complète, ne laissant aucune place à l’imperfection, à l’incomplétude, au disproportionné, à la zone d’ombre. Un siècle plus tard, Aristote exposait sa théorie des quatre causes en reprenant cette idée de la parfaite réalisation. En particulier, il associait les causes matérielle et formelle, faisant de la matière le réceptacle exact de la forme. Le travail du sculpteur, ainsi défini, pourrait se résumer à une habileté du geste de passage de la puissance à l’acte : la forme étant déjà contenue dans la matière brute, l’homme de l’art sera celui de la mise à nu, du dévoilement du modèle. Pas de création donc, mais une révélation de ce qui était déjà là, sous-jacent, caché. Art-chéologie, recherche des formes parfaites qu’offre la matière, tel le marbre des statuaires de l’Antiquité. Marc Petit n’est pas grec, car son monde n’est pas un statuaire. Le marbre est posé sur un socle, sans vie, comme le modèle sur l’estrade. Prendre la pose, c’est d’abord savoir rester immobile, c’est retenir son souffle et faire l’économie de mouvements. Poser, c’est se mettre à nu, c’est-à-dire faire semblant d’être hors du temps et de la durée, du naître et du périr. Le nu n’est pas l’expression de la vie, mais de son contraire, non la mort (il faut avoir vécu pour mourir), mais le non-être, la non-existence, le rien. Le modèle académique est comparable au cliché radiographique que prend le médecin : sa qualité dépend du « Ne bougez plus ». Marc Petit est sculpteur de la nudité. La nudité est témoignage de la vie, le mouvement même de l’existence, l’expression de la traversée du temps et des épreuves. La nudité révèle, en montrant ou en cachant, les stigmates et le fardeau des ans. La nudité ne cherche pas la représentation de la perfection des formes, mais l’expression de l’humanité de l’autre homme. La nudité, c’est tout à la fois le vide et le trop plein, le manque et la satiété, le convexe et le concave. Si Marc Petit dérange, nous sort de notre quiétude, c’est parce qu’il laisse apercevoir les chemins de l’altérité, si difficile à regarder « en face » : l’Autre, mon alter ego, cet autre moi-même, bien sûr, mais surtout cet autre que moi-même, ce mystère incarné. Or, la représentation du mystère nous est presque devenue, dans cette société occidentale contemporaine, celle de la maîtrise absolue des corps et des âmes, obscène. Paradoxe de ce monde de l’image et de cette société du spectacle qui accorde à l’a-normal le statut de pathologique. Le monde de Marc Petit se construit par agrégation, par ajouts successifs. Il s’agit moins de retirer que d’habiller, d’ajouter du sens. Même épurés, ses bronzes sont chargés de significations, d’émotions palpables (il

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faut les caresser). Ils nous parlent, nous invitent à les rejoindre, non dans une danse macabre (quelle erreur d’interprétation nous ferions !) mais dans une petite musique de nuit, apaisée et sereine (visitez donc son atelier la nuit). Ses bronzes nous prennent par la main, nous offrent leurs bouches, nous tendent leurs nuques. Marc Petit est africain. Parce qu’il agrège et construit son œuvre par additions successives, parce qu’il nous tend les bras, nous ouvrant des mains démesurées, comme celles de ce Christ kenyan des bergers Boranas. Marc Petit est juif, disciple du philosophe Emmanuel Lévinas, qui fait de la nuque, paradoxalement, la partie la plus importante du visage. C’est le visage qui nous fait entrer en éthique, c’est-à-dire qui nous oblige à reconnaître l’humanité de cet inconnu, qui nous commande d’aller vers lui, de lui témoigner de notre destin commun. La nuque plus que la face, parce qu’il faudrait pouvoir représenter tous les visages. La nuque, parce qu’elle laisse deviner plus qu’elle ne montre, parce que l’interpellation la redressera, la retournera, et nous présentera cette identité singulière, un nom. Mais plus que tout, Marc Petit est portugais, à la manière de Fernando Pessoa, artiste aux multiples visages : « Tout ce que j’ai été, tout ce que je n’ai pas été, tout cela je le suis. Tout ce que j’ai voulu, tout ce que je n’ai pas voulu, tout cela me forme. Tout ce que j’ai aimé ou cessé d’aimer est en moi la même nostalgie. »2 Tout ce que nous voulons et tout ce que nous n’avons pas voulu, nous forme ; tout ce que nous sommes, que nous avons été, comme ce que nous aurions pu être dans un autre horizon des possibles, aussi. Le demitour, le changement de cap, la désorientation, constituent notre être au moins autant que le parcours fléché qui nous indiquerait le chemin rectiligne qui nous conduit à la mort. Il y a bien une « nostalgie du possible et une fiction de la vérité »3 . C’est cette nostalgie qui constitue l’essence même de la vie, son ontologie ; c’est ce mouvement même de la vie qu’avait parfaitement compris le poète portugais Alvaro de Campos. Plus exactement, c’est Fernando Pessoa qui l’avait compris car Alvaro de Campos n’a jamais existé autrement que sur le papier. Né en 1888 à Lisbonne, ce géant de la littérature mondiale et de la poésie fut avant tout une ombre traversant la vie par personnages interposés, les célèbres hétéronymes. Si pour Sartre, le malheur, c’est les autres, à l’inverse pour Pessoa, le bonheur ce fut d’abord et uniquement les autres, les hétéronymes. Ils s’appellent Alvaro de Campos, Ricardo Reis, Alberto Caiero ou Bernardo Soares, parmi tant d’autres, parmi plus de soixante-dix personnages de fiction. Comme le précise Pessoa lui-même, « l’origine mentale de mes hétéronymes se trouve dans ma tendance, organique et constante, à la dépersonnalisation et à la simulation »4.

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Cette affirmation n’est qu’en partie vraie, car le poète ne fait pas que simuler. Simuler signifierait ce jeu d’acteur derrière lequel l’auteur garderait une personnalité réelle. C’est d’ailleurs ce que laisse supposer le nom même (véritable) du poète : Pessoa, c’est-à-dire le masque de l’acteur de théâtre. Or son nom signifie aussi personne, la personne. Le fait, unique, de recourir ainsi à des personnages d’emprunt si différents les uns des autres traduit sa volonté de tout sentir, de toutes les manières, d’embrasser la vie de mille manières pour n’en rien perdre. N’est-ce pas justement ce qu’essaie aussi de faire Marc Petit ? L’ontologie que nous propose Marc Petit est donc celle de la vie elle-même, de toute vie, aussi anonyme soit-elle : en modelant, il nous rend visite de multiples façons ; il renvoie le spectateur à une infinité de possibilités, toujours à l’horizon de ce que nous aurions pu être et que nous sommes quand même en assumant nos manquements, nos errements, nos échecs mais aussi nos réussites. Son œuvre n’est ni triste ni violente : elle dit la vie avec cette indéfinissable nostalgie que seuls les Portugais savent exprimer d’un mot intraduisible, cette saudade qui évoque tout à la fois la tristesse, la nostalgie, le regret et la mélancolie : l’écartèlement douloureux de nous-mêmes avec nous-mêmes.

Bernard-Marie DUPONT

1 299 Fr., 32-49, Simplicius in Phys. 146,5 (suite du numéro 298), in G.S. Kirk, J.E. Raven, M. Schofield, Les Philosophes présocratiques, Cerf, Paris, Collection Pensée antique et médiévale,1995 2 Alvaro de Campos, Visage avec masques 3 Antonio Tabucchi, La Nostalgie, l’automobile et l’infini, Seuil, Paris, 1998, collection La Librairie du 20ème siècle 4 Fernando Pessoa, lettre au critique littéraire Adolfo Casais Monteiro, 13 janvier 1935

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L’oiseau, 2002.

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Le Tricycle, 2004.

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Le Christ, 2004. 67


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La Liquette, 2005.

La Question, 2005.

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L’indécise, 2003.

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La Petite Liquette, 2005.

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Les DĂŠrisoires, 2003.

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Les Trois Gardiens, 1998.

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La Petite Douce, 2001.

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Á la Petite Douce... II dit qu’il déteste le froid. Ses mains sont nervurées comme feuilles, blondes et charnues, la puissance est dans ses mains, sur ses mains, descendue là, glissée là, inscrite, incrustée, incarnée. Ses mains serrent des mains, se posent sur le pain, le couteau, la table, le tissu du manteau, saisissent, déplacent des cadres, ouvrent des carnets, ouvrent la porte de l’atelier. Ces mains font leur travail de mains utiles, et, cependant, ongles, doigts, paumes, tout l’appareil ordinaire de ces mains produit les sculptures, les œuvres. Il faut employer les mots, les poser sur les choses, comme les mains se posent sur le pain, appeler les choses par leur nom d’usage. Ces mains sont les mains du sculpteur ; mon voyage naïf commence là, avec l’étonnement des mains qui se posent sur le pain et trouent les ventres, l’étonnement des mains longues qui roulent les cigarettes et fendent les bouches, strient les visages d’orbites. Ses mains étonnent ; elles pourraient être d’un autre corps, pas de ce corps à la Greco, pas de ce corps d’Héphaïstos christique. Ces mains seraient étrangères au corps du sculpteur. Le sculpteur de corps a un corps qui est aussi son instrument de travail. On ne le verra pas au travail, en travail. C’est déjà immense que l’atelier soit ouvert, que l’on puisse y entrer, soi, ôter les gants, toucher sentir humer, et voir, écouter le silence qui monte sous les paroles comme la nuit d’hiver, et prendra tout. Verrait-on le sculpteur au travail que l’on ne verrait rien. La veine qui fait sillon au front penché, peut-être, le sourcil un peu plus embroussaillé encore, le fouillis noir comme un buisson ardent, pas les yeux. Donc rien. Une poignée de rien. On ne peut pas voir le travail, il échappe, il y faut l’homme seul. Dans l’atelier. Un peuple de créatures, elles pourraient gémir, elles pourraient prier, ou chanter, et chanter, comme une foule assemblée, rassemblée, venue de loin, avec le temps, avec l’effort, le temps, la patience, la ferveur, le

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vertige, l’attente, la commisération immense, la passion, l’ardente passion d’aller, d’advenir, d’être au monde, en proie à lui, dans son jouir, au bord du gouffre qui n’est qu’un trou chaque jour quand ça recommence. Quand ça recommence quoi ? Le travail, le travail pour extirper, faire exister, chaque fois, chaque pièce, chaque fragment, chaque bribe, chaque seconde. L’atelier serait une cour des Miracles, un nouveau Capharnaüm, une cathédrale du troisième millénaire peuplée d’orants chauves au bûcher, de christs au long cou crucifiés jusqu’à la fin des temps, d’enfants encagés, de potences garnies, de femmes coulées dans le silence, de parturientes, de sommiers convulsés, de processions d’exode ou d’apocalypse, de lits blancs. La lumière du crépuscule d’hiver s’épuise, sinue en méandres, celle du dimanche matin fouille et révèle, des toiles d’araignées se tendent en fils d’argent. On touche, on a le droit de toucher, on touche le grumeleux le rugueux cru des plâtres, le froid sombre et luisant des pièces fondues, le bout du doigt appuie, la main est posée, on attend presque, comme si quelque chose, un signe, une chaleur pouvait surgir. On attendrait d’être consolé. J’attends entre les ailes de l’ange. Il est en bois, d’écorces tavelées marquetées, sa poitrine se creuse, ses ailes frémissent pauvrement, à la lisière du chatoiement infime, dans un froissement ses ailes frôlées s’irisent comme tant d’autres au mur du couvent San Marco. Je me glisse là, entre les ailes de l’ange, on ne le reverra pas, je ne le reverrai pas, il sera déchu, il sera noyé, englouti, il est voué à cette disparition. Pour renaître. Pour connaître la glorieuse apothéose du bronze lustré. Ici, dans l’atelier, où les chairs trouées s’écaillent en lambeaux, en copeaux, où les seins ont coulé, où les orbites s’enfoncent, où les bouches s’ouvrent sans un cri, où les bras s’épuisent, se tendent, ici, ça ne sent pas la mort, c’est du vivant en travail qui sourd, et se tord, et veut, et désire, et prend et donne. L’atelier est le creuset où les créatures sont engendrées, où les figures empoignées surgissent ; et les contorsions, les parturitions ne s’apaiseront pas, la douleur ne finira pas, les pièces le disent à leur muette façon ; et il n’y a pas de désespoir, on n’a pas ce goût du rien, ce serait trop facile, trop à la mode. Les pièces les morceaux l’œuvre disent un vouloir tenace et formidable, la vive passion d’être dans le monde, planté dedans, comme l’os dans la chair, comme l’arbre en terre noire. On pourrait s’asseoir dans l’antre du démiurge, on y serait posé comme la jeune fille dans l’air bleu sur le banc du Lazaret d’Ajaccio, ce serait doux comme les genoux luisants de la femme répandue dans le fauteuil bas, comme la tête minuscule, qui tient dans le poing, du christ pendu par les bras ; ce serait doux et le miel de la

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consolation coulerait au jardin du nouvel Eden. On pense à ce qui doit résister souvent, parfois, longtemps, dans l’atelier biblique, avant que la forme ne survienne, ne consente, ne s’apprivoise, la forme, et la ligne, et le sens. On pense à ce qu’il faut d’ardente patience pour ce temps de l’affût, de la fouille à tâtons dans le cru, dans le dur. On pense à ce qu’il faut de désir, à cet épuisement. Les faces sont là, autour, les figures tendues, les têtes tonsurées, les mains éperdues, les corps penchés menacés de vide au bord du choir ; et on se demande qui crucifie qui, et comment ça tient, comment ça ne s’envole pas pour une irrémédiable assomption de gloire cendrée. Tout s’envolerait, l’atelier, comme un navire fou, le ventre lesté. Resteraient les dessins, qui sont dans la maison, dans le chaud de la maison, au flanc des chambres garnies, sous elles, dans ce qui fut grange, étable ; l’armature de bois des crèches est là, l’étable se creuse, en contrebas, trois marches et ce pourrait être cette odeur rousse et tiède des bêtes rentrées pour l’hiver. Il montre, il laisse voir, il dit que certaines séries l’ont dévoré, qu’il a dessiné des jours et des jours et des nuits, le corps avalé, il dit que l’on peut rester, que c’est ouvert, comme ça, les dessins sous cadre, et des carnets, des cahiers, page après page sous la lampe dans la nuit venue du samedi 17 décembre 2005. Il faut attendre, se taire et attendre, laisser monter les figures, les laisser frémir comme un brouillard. On n’a plus le secours du volume, il n’est plus d’abri entre les ailes de l’ange, les crânes sont glabres, les fronts immenses, les bouches closes, les poitrines étroites comme d’enfance, les yeux suent l’ombre dans une gravité de sacrement, il n’y a pas d’étreinte, les gisants sont verticaux, et s’avancent, revenus des steppes longues, recueillis et simples, sans gestes, ils font face. Le trait s’étire, strie, s’enrage, s’enroule, ne lâche pas, tremble, s’opiniâtre, s’effrange, s’estompe, s’attendrit, caresse, tranche, plisse, supplie. Et la couleur ; il dit que le vin, le thé, le vinaigre balsamique, le café, les cendres du feu, font couleurs, en soudaines décoctions, en infusions savantes. Parfois un bras ose, se dresse, une chevelure coule, des seins un ventre s’arrondissent, un corsage éclot, une robe brune glisse, une bouche éclate, des cuisses fusent. Des mystères palpitent, accomplis dans l’ombre souple, célébrés. On se tait. On aurait trop de mots, ou pas les bons, comme un ouvrier qui n’aurait pas les bons outils pour travailler. On se tait, on regarde, on prend par les yeux, on attend que ça passe dedans, par capillarité, que ça entre par la peau, sous la peau, dans le fond du corps. C’est fait pour ça. Pour s’enfoncer à l’intérieur, pour se ficher dedans. Pour nourrir. C’est de l’eucharistie, maintenant tout de suite longtemps ici, la table est offerte, le feu est mis, les flacons sont vidés, la maison est bonne. On emportera avec soi, dans l’hiver tendu bleu glacé du

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dimanche 18 décembre 2005, l’éclat blanc de la femme abeille fée vive, les rires des enfants un torse de farfadet des pieds nus, et un Rustin qui luit au mur, face trouée d’orage gris gueule en tourbillon. On aura été gratifié, on aura reçu ce don d’une brèche ouverte dans le serré du temps ordinaire. Les stigmates sont à l’intérieur, traces cachées. Il faut rentrer dans le monde, 13 h 25 Limoges Bénédictins le museau bleu du TER 68552 à destination de Clermont-Ferrand. Le monde, la litanie des gares muettes, ce pays de silence des Pythre et des sœurs Piale, Viam, Bugeat, la ligne perdue des Sancy, les mots, l’hiver blanc, le monde. Il a dit qu’il détestait le froid.

Marie-Héléne LAFON

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87 La Petite Etole, 2000.


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La Danse Macabre, 2001.

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Dessiner l’écoulement du temps Au lieu d’une vision à l’exclusion des autres, j’eusse voulu dessiner les moments qui bout à bout font la vie, donner à voir la phrase intérieure, la phrase sans mots, corde qui indéfiniment se déroule sinueuse, et, dans l’intime, accompagne tout ce qui se présente du dehors comme du dedans. Henri MICHAUX

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La Famille, 1999.


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La Pieta, 1999.

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L’Ange, 1999.

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Le temps du corps et l’ange du nouveau millénaire La sculpture, une pensée du Temps Un artiste – et tout grand artiste – n’est-il pas celui en qui une génération d’hommes peut se contempler et se reconnaître ? Celui en qui une époque – risquons ce mot – pourrait se penser ? L’art serait alors ce miroir qui nous est présenté afin que nous gardions la mémoire de nos actes, de nos rêves, de nos utopies ; semblable à l’ange de la cathédrale de Chartres tendant au regard des promeneurs du parvis son cadran, il nous inviterait à réfléchir notre Histoire. Intervenant à un moment-charnière, à l’heure cruciale marquant l’aube d’un nouveau millénaire, un sculpteur tel que Marc Petit semble occuper une place particulière. C’est presque naturellement que vient se rassembler en lui l’histoire de la statuaire du siècle passé ; la moindre de ses figurines porte la trace et résume l’ambition de la représentation humaine au cours du 20e siècle. Permettons-nous ce survol, d’un bref regard rétrospectif : elle fut prométhéenne d’abord, après le grand manifeste vitaliste qui exalta les promesses et l’innocence du corps et dont résonne encore, chez un Maillol, l’écho affaibli ; elle atteignit aux puissances du pathétique avec l’expressionnisme et son retour aux sources primitives des arts africains et océaniens ; dans une audace extrême, plongeant à la fois aux profondeurs du matérialisme et s’élevant aux sommets d’un spiritualisme nouveau, elle a cherché, avec Brancusi ou Jean Arp, à inscrire notre corporéité dans un ensemble plus vaste, dans une grande Nature indifférente aux formes passagères, dans un Cosmos inaccessible aux passions humaines ; mais presque au même instant elle a cru aussi pouvoir contribuer à la marche conquérante de l’Histoire, associant, chez certains constructivistes, l’humain à une machine supposée libératrice. La suite est plus sombre : cette humanité incarnée, que l’on croyait posséder désormais solidement, s’échappait, devenant, pour un Giacometti, de plus en plus insaisissable ; et chez une Germaine Richier, c’était par le seul détour de l’animalité que quelque chose de l’humain pouvait s’énoncer. Alors se révélait, avec une force inégalée, notre part obscure, destructrice, indomptable. Certaine Tauromachie démontrait de manière irréfutable que le monstre logeait bien moins dans l’animal, dont le crâne gisait sur le sol, que dans le toréador, créature composite dont la tête ne consistait qu’en un minuscule croissant de lune percé d’une flèche, et dont l’abdomen, sorte de coquille d’oeuf brisée, renfermait un amas de chairs informes. Si l’interrogation d’un Robert Couturier se voulait plus mesurée, plus respectueuse

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des traditions classiques de la représentation, elle ne pouvait s’empêcher néanmoins de succomber aux hantises d’un inconscient mythologique, et de trouver à son tour dans des brisures et des meurtrissures de toute sorte, ou dans l’étalage de sa dérision mécanique, le seul accès à une expression authentique de l’humain. C’est là, aux confins de sa quasi-disparition, que Marc Petit recueille l’image de notre corps. En avonsnous assez dit ? Non, ceci encore : c’est à l’heure où l’on annonce partout que ce corps est « dépassé », qu’il n’est plus qu’une encombrante dépouille que seule une « mutation » pourrait sauver, que survient ce nouveau visionnaire ; à l’heure où, depuis sa déchéance annoncée, il se donne à voir en effet comme un déchet, un rebut dont l’effacement serait déjà programmé. Pour tout jeune artiste confronté à pareil état des lieux, la question qui se pose est alors celle-ci : occupe-t-il la place d’ultime héritier d’une tradition promise à une carrière muséale ? Est-il l’exécuteur testamentaire d’une lignée en voie d’extinction ? Quant à nous visiteurs : est-ce en un champ de ruines que nous déambulons lorsque nous explorons son atelier ou les lieux de ses expositions, nous qui serions aujourd’hui en charge de quelque « post-humanité » ? Nous croyons pouvoir répondre : bien au contraire. Et que c’est tout entière en un défi que se résume la grande méditation de cet artiste, défi prononcé en pleine conscience de l’énormité de sa tâche : une exposition toute récente de ses oeuvres, dont Marc Petit a composé la disposition avec un soin méticuleux, place d’entrée le visiteur face au Jour, figure féminine terrifiante par les sombres présages qu’on peut lire dans son regard, et par sa posture à demi-redressée ; elle entrouvre ses bras en un geste dont on ne sait s’il veut saisir, enlacer ou conjurer. A l’opposé, la Nuit, spectre dressé écartant largement les bras d’où pendent les oripeaux d’une tunique, est plus explicite encore : elle nous accueille dans une étreinte glacée, comme si, notre temps se trouvant accompli, nous n’avions plus d’autre choix que de nous livrer à elle. Peut-on donner de notre destinée une vision plus simple, de notre Temps, de notre Histoire, des symboles plus clairs ? Mais, pour lucide qu’elle soit, cette lugubre vision résume-t-elle le message de cet artiste ? Elle en dissimule un autre, plus discret, qu’il nous faut aller chercher, forme imperceptible dressée sur une longue colonne : c’est celui d’un ange qui domine la population souffrante grouillant dans la salle, ange auquel répond, presque oublié près d’une entrée de service, son homologue : cette tragédie possède donc un cadre, aussi fragile soit-il ; l’audace de Marc Petit est ainsi bien grande de vouloir maintenir ensemble les deux extrémités, celle d’une réalité physique insoutenable et celle d’une exigence spirituelle obstinée, quoique martyrisée par l’Histoire. C’est pourtant sur cette voie difficile d’une pensée selon les extrêmes qu’il nous invite à le suivre ; emboîtons-lui le pas.

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Le temps du corps Des quelques évocations de l’enfance et de la jeunesse que l’on peut relever dans son oeuvre, particulièrement dans les dessins, on serait tenté de déclarer que c’est de notre vie qu’il est ici question, de la vie en son commencement, et que c’est elle qui fournit le motif principal de son inspiration. Sauf que cette vie se réduit, à d’infimes détails près, à un corps. Et ce corps, sans aucune exception cette fois, est en proie à la plus grande menace. Son premier réflexe est donc de se serrer, de se blottir contre un corps qui le protège, celui d’une soeur aînée ou d’une mère ; mais le plus souvent ce secours a disparu, et l’enfant se retrouve seul au-dessus d’un gouffre noir auquel il tente d’échapper, qui déjà l’envahit de toutes parts et bientôt va l’absorber. Parfois ce corps lutte, encombré de planches qui l’emprisonnent, préfigurant des cercueils. Et lorsque ces corps ne sont pas mis à mort en de laconiques scènes de décapitation, ils nous présentent leurs difformités grotesques, plus dérangeantes encore que le sinistre crâne de l’enfant au Tricycle. Cependant c’est au corps du vieillard que Marc Petit consacre l’essentiel de sa vision fascinée. Aussi se plaît-il à accélérer la marche du temps, à deviner dans la silhouette de plus d’une Jeune Fille, le travail secret de l’érosion de la chair, de l’affaissement des organes, de la dislocation des membres. De la contemplation sidérée du patient ouvrage de la mort, certains artistes de renom ont su extraire la richesse plastique et la paradoxale beauté : depuis Camille Claudel jusqu’à Lucian Freud ou Jean Rustin, sans oublier quelques visions troublantes de Gustav Klimt ou de Bonnard. Rares sont ceux qui, comme Marc Petit, lui vouent une passion aussi exclusive. Tout se passe comme si notre vérité, celle d’une matière promise à la décomposition, apparaissait là dans tout son éclat. Notre sculpteur nous la restitue dans ce qu’elle a de plus insupportable : non pas dans quelque grandiloquence factice, mais dans sa proximité, dans sa familiarité. Il faut s’asseoir tout près de cette vieille affalée dans son Pliant, légèrement rehaussé sur ce qui tient lieu de socle, pour éprouver pleinement ce mélange de la vie et de la mort : le regard dirigé vers l’horizon, elle semble prendre part à une paisible conversation, pendant qu’au bout de ses bras ballants les mains s’ouvrent à demi : est-ce pour souligner des paroles ou pour signifier le relâchement ultime, l’indifférence aux choses de ce monde ? Mais cette vieille est en même temps terriblement vivante, car sa peau, marquée par les plis et les stries, semble, sous l’effet de la lumière, se soulever dans les mouvements de la respiration. Chez Germaine Richier, la brutalité du fait corporel tient à des masses de chairs fracturées, fracassées par une explosion interne mettant à jour les éléments de sa charpente ; ici, un artiste plus subtil, plus sensuel, explore un épiderme, nous rappelle que nous sommes d’abord une membrane. C’est

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encore dans sa gaucherie, dans l’infirmité même de ses gestes, que ce corps – mais ceci vaut pour l’ensemble des créatures peuplant l’exposition – accède à une vie des plus insolites : nulle trace d’académisme dans ces mouvements sans éloquence ; ils sont l’ultime défi à la raideur du cadavre, tête luttant contre son poids, épaules repliées comme des ailerons malingres, membres chétifs que seule leur peau flétrie rattache encore à leur tronc. Ils ont tous l’allure grotesque que donnent aux mouvements des pieds devenus trop lourds, des articulations minées par la sclérose, des muscles atrophiés. Marc Petit les scrute dans les actions élémentaires auxquelles se résume leur existence : mettre une pièce de vêtement, qui fera ressortir plus crûment encore leur dénuement ; se lever, ou bien tenter, au risque d’une chute fatale, un demi-tour. Mais le plus souvent il les laisse assises, soit au pied d’un escalier, soit sur un banc, soit pire encore, sur leur lit ; et ces ébauches de mobilier soulignent leur solitude, annoncent que ces corps sont parvenus à l’heure d’une dernière confrontation avec le monde ; leur parenté avec le bois, leur nature ligneuse se fait plus visible, laissant prévoir une rigidité définitive. Cette intime similitude, l’artiste l’a toutefois évoquée à maintes reprises par un symbolisme des plus clairs : corps adossés à des arbres, membres amputés au point de ne plus pouvoir distinguer un moignon de bras d’une branche brisée. On sait depuis longtemps le parti qu’a su tirer, de l’incomplétude de la silhouette humaine, la figuration picturale ou plastique ; l’art gagne parfois par l’élision, se fait plus éloquent par l’allusion que par la reproduction intégrale. Or cette absence, qui chez d’autres sert à souligner, conserve chez Marc Petit ce sens strict d’une amputation. Troncs humains troués, crevassés, troncs d’arbres éventrés se confondent, de même qu’écorces ou chairs béantes devant lesquelles l’oeil hésite à s’aventurer. L’artisan de cette boucherie semble en proie à une rage d’effractions, de fractures, d’éventrations. Comme s’il importait d’arracher à cette chair déjà tant malmenée un dernier secret : déchirer, ouvrir, y aurait-il donc à attendre, de ces opérations, une quelconque révélation ?

Le temps de la terreur et de la pitié On objectera : ces agressions sont loin de constituer une nouveauté ; n’ont-elles pas atteint, chez Germaine Richier, chez Picasso ou Giacometti, à une puissance pathétique autrement terrifiante ? Que dire de ces membres devenus ciseaux, couteaux ou épées dans la Montagne de Germaine Richier ? Et l’on passera sous silence les éruptions d’organes, les tremblements telluriques de la chair chez Francis Bacon ! Mais précisément : Marc Petit ne désire pas s’arrêter au seul spectacle de la terreur. Si la présence, dans une seule exposition, de plu-

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sieurs Bûchers ne nous saisit pas d’effroi, c’est que le rappel de ce supplice vise moins à susciter le sentiment de l’horreur que celui d’une compassion. Le martyr des corps, la déréliction des chairs préparent ici à l’accueil d’une souffrance intérieure ; c’est sur elle que s’ouvrent ces poitrines et ces ventres crevassés. La tragédie de l’Histoire, résumée par ces corps dressés sur des bottes de paille, débouche sur une douleur plus essentielle. Est-il nécessaire de la nommer ? Il suffit de regarder autour de nous, tel dessin sur lequel la naissance n’est que l’autre visage de la mort ; ou tant de maternités douloureuses semblables à des Pietas ; ou bien encore ces silhouettes d’enfants que l’on devine enracinées au corps maternel et qui refusent obstinément de tourner leur regard vers le monde. C’est de la douleur d’être que nous parlent ces formes confuses. Nos corps ? Ils sont une simple question, et la gaucherie de nos gestes, la dérision de nos mouvements, de nos postures : autant d’interrogations, de signaux de détresse dont nous nous entêtons à ignorer la langue. On ne s’étonnera plus, dès lors, de voir que ces corps laissent échapper leur cri par leurs innombrables blessures, tandis que les bouches gardent leurs lèvres serrées ; un rictus amer suffit à trahir leur souffrance. Leurs bras, grêles et inutiles lorsqu’ils ne sont pas tout simplement amputés, en suggèrent clairement la cause : celle de n’avoir plus rien à porter, plus d’enfant à bercer. La déambulation de ces ombres errantes dit le reste, comme dans l’imposante série des Mea Culpa. Quelle Faute mérite pareille errance, ces pas esquissés puis repris, ces mains battant les airs sans rien pouvoir ni saisir ni désigner ? Ne pouvoir trouver ni repos ni place, ni même se diriger vers une destinée assignable, cela doit suffire pour un châtiment. Car il y a plus grave encore que d’être devenue stérile : c’est de ne pouvoir se réjouir d’une descendance, de ne rencontrer partout que de l’inaccompli, et c’est cela qui rend inconsolables ces mères aux membres vides. Il semble que l’artiste ait trouvé dans ce groupe l’objet le plus saisissant de la pitié. Un autre groupe cependant, celui du Silence, composé de trois femmes de dimensions monumentales, fait équilibre au précédent : non plus objet cette fois, mais messager d’une compassion. Comme le suggèrent les visages aux bouches ostensiblement closes, ce sentiment est au-delà de toute parole ; parler serait vanité là où il ne saurait plus être question que de prendre en charge. Mais ces femmes n’ont cette fois plus besoin de bras, car ce qu’elles ont à porter et à concevoir n’est plus de l’ordre de la chair. C’est pourtant aux femmes, exclusivement, qu’est confiée cette mission : si leurs seins flétris prouvent leur stérilité, et leur errance, la disparition de leur descendance, c’est d’elles pourtant qu’on attend le geste inouï de la prise en charge d’une Faute où elles n’ont eu aucune part ; c’est dans leur capacité à la compassion que réside le secret d’une fécondité toujours intacte.

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Un Miserere muet, ou l’envol de l’ange Que cet univers hostile au Verbe soit parcouru par un chant, on l’acceptera volontiers, d’autant que l’on croirait parfois deviner, sur ces lèvres raidies, l’esquisse d’une parole aussitôt retenue. Cette matière tant meurtrie, ces longs visages si semblables qu’ils constituent nécessairement une grande famille, sinon l’humanité même, et sur les joues desquels on croirait lire les sillons de larmes anciennes : cette matière ne chante-t-elle pas un cantique muet, cette pierre ne s’anime-t-elle pas d’un imperceptible souffle ? Presque inaudible et pourtant indéniable : qui, sinon lui, permettrait aux deux anges de s’élever sur leurs longues tiges de fer ? Ces socles inhabituels offrent un puissant contraste avec les autres supports ; ils ne diffèrent pourtant que par la longueur de ceux de la série des Silence ou des Mea Culpa ; ils s’élancent sans abolir la notion d’un ancrage terrestre, ils s’élèvent sans effacer, sans nier l’horreur de l’Histoire. Marc Petit ne nous accorde pas le soulagement d’une facile conversion : nulle trace, sur le visage de ces anges, du sourire bienveillant de l’ange de Chartres. Ils ne diffèrent en rien des autres créatures, ne se distinguent par nul signe divin ; déchiquetées par les guerres, leurs ailes se réduisent, elles aussi, à des moignons, car elles ont traversé l’épreuve de l’Histoire – contrairement à l’Angelus Novus de Paul Klee qui, volant à reculons vers l’avenir, ne cessait de hanter les méditations de Walter Benjamin. Pour autant, toute pensée religieuse se trouve-t-elle réfutée ? De la symbolique chrétienne ne subsistent, il est vrai, que quelques croix, erratiques et tremblantes ; mais cette pensée nous paraît plutôt faire ici l’objet d’un déplacement, d’une transposition dans une spiritualité de tout autre nature : une spiritualité se nourrissant, non d’images ou de dogmes, mais d’une attention tournée vers la matière, déchiffrant dans ses laideurs mêmes les indices d’une espérance, car celles-ci exigent le travail de l’oeuvre. Il s’agit là d’une démarche très simple en son principe, et c’est un acte de délivrance que ce travail où l’expérience physique de l’espace devient la dimension d’une liberté. Aux errants que nous sommes, il désigne leur place, par la seule vertu de ses figures et le simple effet de leur présence. Que soit remercié l’artiste capable de nous restituer notre espace, de nous rendre notre souffle.

Georges BLOESS

L’Ange (Bois du silence), 2005.

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Ange (Bois du silence), L’Escalier (Bois du silence), 2005.

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Les Bois du Silence, 2005.

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Les Silences, 2004.

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La Couturière des Morts, 1999.

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Nouveaux visages de la précarité - des visages, des figures... - de la précarité, fragilité, souffrance... - Que tal ? Cette contribution ne devait pas exister. C’est l’insistance de Florence Delaporte, des hasards heureux, qui ont déjoué mes préventions et m’ont conduit jusque chez Marc Petit à Bosmie l’Aiguille en ce début décembre 2005. Une soirée animée avec Antoine Spire à la Médiathèque de Limoges il y a 5 ans sur le thème de la fragilité avait servi de déclencheur. La rencontre surprenante de Pierre Charras, a accentué mon trouble. Il est en effet l’auteur de Francis Bacon, le ring de la douleur dont je venais de voir la mise en scène sous le titre Figure dans un théâtre de la banlieue rouennaise. J’avais acheté le livre le soir même en le raturant, surlignant, frappé par la violence du texte et ses fulgurances. Comment dire, parler, écrire à propos de l’œuvre d’un créateur qui n’utilise pas le matériau des mots ? « Si tu veux être peintre, commence par te couper la langue » aurait dit Matisse. Et, autre version radicale d’un proverbe existant dans plusieurs sagesses : « Si ce que tu veux dire n’est pas plus beau que le silence, tais-toi ». Impératif méritant d’être médité dans le bruit de fond des discours d’ambiance mais épreuve redoutable aussi, possible refuge à un orgueil démesuré et alibi à toutes les frilosités, lâchetés et inhibitions névrotiques. Accepter d’écrire dans un impossible achèvement.

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Posons quelques jalons, ramassés et raccourcis, comme autant de bornes à des champs d’intervention possible, bornes constituant des points de butée qui nécessiteraient développement et argumentation. L’art et la thérapie n’ont pas grand-chose à faire ensemble. Certes il existe des médiations thérapeutiques, intra- et extra-hospitalières, importantes et honorables, à prétexte artistique mais l’art ne guérit pas. On crée pour trouver un passage parmi des impossibilités, sauver son âme, se sauver ; ce qui peut être l’ambition de toute activité humaine, et pas seulement artistique. On peut aussi l’ignorer et s’en gausser, ce qui laisse énormément de place pour un tas d’autres occupations, divertissements et commerces. Folie et maladies mentales ne se superposent pas même si elles se croisent - comme l’art et la culture - et la psychiatrie, la psychologie, la psychanalyse... ne viendront jamais à bout de la folie sauf dans les rêves délirants de croyant positiviste. L’exhibition de l’intime sur la scène du monde et le dévoilement supposé de secrets excitent toujours notre curiosité sélective et alimentent ainsi notre part de jouissance perverse. Si en plus l’alibi du discours savant, le bavardage psy vient habiller d’oripeaux théoriques l’interprétation de l’œuvre (de l’artiste) ou de l’individu (homme public par exemple) qui n’ont rien demandé, le succès est assuré. Place aux experts de l’intime qui peuvent tenir boutique. Avec un succès révélateur du malaise et des questions de notre époque, l’exposition Mélancolie, génie et folie en Occident présentée en cette fin d’année 2005 au Grand Palais à Paris rassure sur la fécondité des échanges possibles entre l’art et la médecine, non sans souligner les métamorphoses de la dépression et son exceptionnelle médicalisation. II fallait donc une rencontre et un transfert de travail possible avec l’homme et l’œuvre. C’était une condition suspensive convenue avec Florence Delaporte laissant à chacun sa liberté. Pas de contrat. Il n’était pas question de commentaire psy et en l’absence de complicité trouvée, je m’éclipsais discrètement. J’ai trouvé ce que je cherchais, le plaisir en plus, dans une hospitalité familiale devenue amicale. Ce que j’étais venu chercher ? Un espace d’interrogations communes, d’autres explorations de l’humain, les mêmes objets reconnus sur le chemin, ces moments où l’extrémité des flammes disparaît dans la nuit, où la mer se mélange au ciel à l’infini. L’accent du Sud-Ouest, le rugby et son évolution, Soulages à Conques, le voisin Paul Rebeyrolle... permirent d’assurer le compagnonnage. Saviez-vous qu’il suffit de compter jusqu’à 3000 pour venir à bout d’une heure ?

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La découverte du travail de Marc Petit s’est vite associée aux visages de malades hospitalisés au long cours, « les chroniques », pour des pathologies neuro-psychiatriques graves et à ceux de naufragés de la vie, cassés, barrés ailleurs, survivant sur des radeaux de fortune dans la cité. L’engagement dans le service public hospitalier permet de ne pas tricher avec ça et enseigne l’humilité, théorique aussi. Précarité est devenu un terme générique. C’est plutôt récent. On ne dit plus pauvreté. A quand les nouveaux pauvres ? Exclus ? L’appellation n’est pas juste. S.D.F. ? Pas seulement. Clochards ? C’est fini. Misérables ?... Les transformations économiques actuelles à l’échelle planétaire, les migrations de populations, l’instabilité des étayages symboliques fabriquent de la précarité. La connaissance de ces différences, leur perception, leur spectacularisation accroissent les sentiments de frustration, d’injustice et l’exigence d’égalité. Les professionnels de la communication et de la vertu ont de beaux jours devant eux. Il est difficile d’articuler la légitime et nécessaire revendication sociale avec l’insatisfaction constitutive de notre condition humaine. Cela ne fait pas un programme. Pourtant la précarité autant que la folie accompagnent l’aventure humaine, la division du sujet, sa chute dans la mêlée. Il faudrait pouvoir penser scandaleusement que les personnes précaires comme les révoltés de nos banlieues et lesdits fous dans leurs actes antisociaux puissent être considérés libres dans leur humanité et impliqués jusqu’à 100 % de leur responsabilité mais aussi à 100 % déterminés à leur insu, esclaves de dépendances socio-culturelles, familiales et d’un « au-delà du principe de plaisir » mortifère. Ce qui fait écho à la fois au Freud de 1920 postulant l’existence d’un plaisir inconscient dans les symptômes pénibles - donnée toujours aussi choquante pour notre psychologie commune - et aux débats dans l’interprétation des textes sur le libre arbitre et la prédestination. C’est finalement le lot de notre humaine condition. Ceci lâché, les difficultés commencent et la connaissance de chaque histoire individuelle nécessite la mise à l’épreuve de ces principes et l’aménagement de réponses adaptées à chaque sujet. II est nécessaire de penser ces contradictions presque insupportables pour transformer les pratiques et continuer de travailler auprès de ces personnes, jour après jour, un peu plus longtemps que la durée d’un stage, d’un rapport, ou à l’abri d’un enseignement. Il est question de ça aussi dans la sculpture de Marc Petit.

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L’exposition muséale transforme la vie des œuvres. Elle leur apporte cette plus-value de distinction et sacralise le moment de la rencontre dans des espaces tempérés aux horaires aménagés. Elle ne rend pas compte des temps d’élaboration, des conditions de fabrication, des hésitations, des ratages, de la démolition, du rapport au corps, des moments de certitude technique, des bonheurs … La découverte de l’atelier de Marc Petit, vaste garage-hangar transformé et peuplé d’une multitude de personnages figés dans la pénombre, une nuit d’hiver, pourra difficilement être transposée. Entendre le souffle du vent à travers les tôles, la pluie ou la grêle sur le toit, être saisi par le froid, le silence de cette foule immense, grelotter ou trembler, deviner les visages majuscules et minuscules, l’espace carré d’un parc à enfants, un équilibriste, une crucifixion, un ange immense, ces corps meurtris, déformés, têtes penchées vers l’intrus... des bronzes sur socle, des plâtres, de la cire, du bois, des branches, des toiles d’araignée. Comment est-ce possible qu’autant de fils d’araignée, aussi fragiles, puissent prendre autant de force d’évidence en ce lieu ? Il convenait de se laisser imprégner, envahir par cette étrangeté inquiétante puis familière, accepter de monter à l’étage et deviner pêle-mêle fils de fer, polystyrène, plâtre, bois, des ossements, une tête de mort, une chaise, un pull... Est-ce d’avoir évoqué le livre, posé sur une table, de Jean Clair La barbarie ordinaire, Music à Dachau que bien sûr l’univers concentrationnaire surgit. Impossible d’y échapper. L’art, la philosophie. Dieu impossible après Auschwitz ? Non. La preuve Zoran Music, Jean Amery, Jochen Gerz, Claude Lanzmann et beaucoup d’autres. Mais autrement. Rendre compte de l’indescriptible. Inscrire le manque, l’absence, l’horreur au cœur de l’œuvre. Tenter le pari fou, impossible, de rendre visible l’invisible. Viser le réel. Dans le vacarme de l’horreur, faire advenir le cri du silence. Ne rien dire n’est pas le silence. Il faut dire mais c’est impossible. Continuer quand même. Ecouter. Voir. Sentir. Toucher l’insistance de ce qui se dérobe... Voilà ce à quoi nous sommes condamnés en pleine lucidité non dépressive, sans dolorisme pathétique ni culture de la souffrance, parce que « nous ne sommes pas les derniers » et que l’espèce humaine est fragile comme le rappellent, encore et encore et trop, le Cambodge, Srebrenica, le Rwanda, le Darfour… Penser la négativité et refuser les utopies clôturantes. La psychanalyse grâce à Lacan a incorporé ces leçons d’histoire et de vie. Il n’est plus possible maintenant de se satisfaire d’hypothèses péri-freudiennes considérant l’œuvre d’art comme une formation de l’inconscient signifiante et disponible pour interprétations, animée du seul ressort de la sublimation.

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La représentation de corps étirés, défaits, meurtris pourrait s’inscrire dans la filiation d’une expressivité contemporaine prenant en compte l’héritage de Schiele, Munch, Rouault, Bacon, Velickovic, Giacometti, Richier en acceptant de considérer que les volumes du corps, leur surface visible sont les représentants des objets les plus intimes du sujet, de cette âme humaine en souffrance. Ils interrogent l’idylle des corps jeunes, beaux, sexualisés à souhait proposés sur les écrans publicitaires de la ville. Ces guetteurs, cou tendu, bouche ouverte, au regard sombre caché au fond des orbites sont les compagnons de Beckett et des visages dans la pierre des chapiteaux romans. L’image folklorique du clochard pittoresque alcoolisé sur son banc et prétexte à sourire s’efface devant la massivité des phénomènes de précarisation, des conduites addictives et des stratégies de survie. Les dessins, fusains et pastels, graphites, traces laissées sur le papier par Marc Petit explorent d’autres formes de résistance à la disparition de l’humain et nous aident à inventer d’autres voies d’accès à la souffrance de ces personnes précarisées et imaginer de nouvelles modalités de soins. Face à l’extension des plaintes, de ce qui ne va pas, à l’écho donné aux mille et une formes de mal-être individuel, il y aurait compétition entre les victimes de la société, de l’histoire et exigence de reconnaissance de souffrances à quantifier. Qui ne souffre pas ? La société serait dépressive. On attend un bon psychologue ou un bon psychiatre. La mode du discours psy se porte bien, l’assistance et le marché de la charité aussi. La mise en scène du dolorisme compassionnel, les cris d’indignation morale sous forme de brèves, l’émotion par grand froid font partie du décor. Patrick Declerck pourra continuer de traquer les poses vertueuses, la « moraline » dans sa version « sus à la morale » avec Nietzsche. Mais devant la marchandisation de la viande humaine, bientôt charogne, sous les néons et la stupidité de l’existence (toujours un peu plus de fric, de sexe et de dopes)... à chacun sa souffrance et démerde qui peut ? Il convient de nommer les choses par leur nom et définir les enjeux théoriques, politiques, artistiques aussi, qui n’attendent pas seulement des réponses techniques. Travail passionnant toujours à poursuivre. Plutôt compter avec Levinas que réaliser des enquêtes d’opinions ; Levinas comme philosophe du visage, de la corporéité de l’autre, du temps de la rencontre ouvrant sur le mystère de l’Infini comme limite à la Totalité de l’absolu d’un savoir sur l’être.

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La souffrance ne donne pas sens à la vie. C’est la vie, ici-bas, des bonheurs possibles qui donnent sens à la vie. Le rapport Lazarus en 1995, Une souffrance qu’on ne peut plus cacher, mettait sur la place publique une réalité clinique polymorphe qui embarrassait les travailleurs sociaux et les psy en contact avec eux. Les notions de souffrance psychique, souffrance psycho-sociale en rapport avec l’exclusion, psychopathologie et misère sociale sont maintenant davantage reconnues et nécessitent la poursuite d’interrogations sur leur réalité et l’accès à des soins. L’Ange pourrait devenir une composition emblématique de Marc Petit, comme l’Equilibriste. Messager de Dieu, je l’ai rencontré trois fois, soir matin et midi dans sa traduction en bois à Bosmie L’Aiguille. Impressionnant, dominant l’espace de l’atelier, il semblait déjà ailleurs, reparti vers ce pays où il n’y aura plus de nuit ni de malédiction. Il demeurait bien loin des images naïves et sirupeuses de ce qui s’appelle l’angélisme. Etait-il là comme représentant, témoin muet d’un combat qui s’était déroulé il y a bien longtemps au passage du gué de Yabok devenu Peniel entre un passant et un inconnu ayant refusé de décliner son identité ? Jean-Paul Kauffmann a enquêté aussi sur cette affaire à partir du tableau de Delacroix La Lutte avec l’Ange, installé sur le mur gauche de la chapelle des Saints-Anges à l’entrée de l’Eglise Saint-Sulpice à Paris. Il a circulé de Hoedic à Dieppe et de Saint-Malo au Château de Crozes avec Delacroix. « Comme Œdipe, il faut se battre contre le sphinx pour lui arracher un secret. Jacob lutte contre Dieu pour obtenir sa bénédiction... Tout homme lutte fatalement un jour avec l’Ange : à chacun son moment de vérité... » Mais c’est presque toujours, plus tard, très tard, après coup que la pleine conscience de cette rencontre prend la force de l’évidence.

Alain GOUIFFÉS

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Le Grand B没cher, 2005.

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Christ, 2004.

Sans titre, 2005

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Hommage Ă Delpastre, 2000.

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Marc Petit, et inversement A première vue, ça fait peur. Surtout l’atelier, ça foisonne dans l’ombre, des sortes d’humains étranges partout, des créatures éventrées, des troncs d’hommes sans aile, la mort, le mourant, le mortel, c’est un univers sombre. Et mal éclairé. Les gens autour de moi disent : « morbide ». A première vue, on ne sait pas si on pourra s’approcher de ces sculptures et y voir autre chose que l’expression de la mort. Mais je suis revenue à l’atelier, le jour, la nuit, en été, en hiver, à plusieurs, et même, privilège que je considère comme un honneur, seule. Dès la deuxième fois je ne voyais déjà plus du tout la même chose. « Une toile ne parle pas ou si peu. Quand elle discourt, le peintre fait de la littérature. Rebeyrolle n’en fait jamais », écrivait Jean-Paul Sartre. Marc Petit, amoureux de ce grand peintre, ne fait pas non plus de littérature. Il fait de la sculpture pour ceux qui peuvent la voir. Les autres détournent rapidement les yeux. Ils savent qu’il y a quelque chose de terrible dans cette œuvre, d’insupportable. Il faut regarder plusieurs fois, aller au travers des apparences et trouver tout ce que Marc Petit ne jette pas à la figure, cette effroyable, tendre et douloureuse absence à nous-même. Le travail de Marc Petit ne se voit pas du premier coup d’œil. Il faut passer de l’autre côté de l’impression de départ, percevoir l’envers. Son atelier est un hangar en tôle. La maison se trouve d’un côté, le jardin de l’autre. Marc travaille sur la mezzanine devant un établi minuscule pour les petites pièces, les grandes il les fabrique en bas, sur le sol inégal recouvert de plâtre. Comme il travaille avec du bois en ce moment, il y a par terre des branches noires que ses fils lui rapportent de leurs balades. J’ai passé ma main sur un bras de bronze. C’était froid et rugueux. Vide le regard de la sculpture, comme absent. Comment se fait-il que je me sois sentie si apaisée par ce métal, ces flancs déchirés, ces yeux énucléés ? Quelque chose de l’ordre de l’éternel et non du morbide. De l’abandon, pas de la révolte. La deuxième

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fois, on ne voit plus la mort comme un étendard, comme une provocation dans ces personnages. Ce n’est pas une pose ou un divertissement. Marc Petit a réussi à mettre à jour quelque chose de vivant là où ne devrait régner que du néant. Il s’agit d’un monde à l’intérieur du monde, à l’intérieur des mouvements infimes du cœur, au fond des plissements minuscules de l’être, tropismes atrophiés, humeurs réduites, bâillonnées par les mots. Ce sont des personnages qui semblent s’interroger sur leur sort. Aussi bien les dessins que les sculptures révèlent leur stupéfaction d’être embarqués dans une situation qui les dépasse. Certains trouvent un genre de paix accablée, une résignation douloureuse et, dans leur regard, rien n’indique qu’ils aient conscience du corps effarant qui leur reste. Marc Petit travaille à l’envers. Il manie le blanc du plâtre pour obtenir le noir du bronze. Il montre la maigreur des corps et l’œil rétablit les pleins de l’âme. Les gestes, les positions de ses personnages ne sont pas observables sur les gens ; il les choisit pour en exposer l’évident naturel. C’est dans ce décharné qu’on retrouve une émotion pleine à l’intérieur de soi. Il a ce courage, comme Nathalie Sarraute, d’explorer les multiples façons dont nous sommes constitués, comme le chorégraphe qui a renoncé à s’imiter lui-même et bouleverse le spectateur à chaque fois différemment. On peut voir aussi de petits nains dodus dans l’atelier de Marc Petit. Un évêque, des chiens, des chevaux. Même si l’on emporte surtout au fond de soi en partant l’appel des bras tendus et les cous penchés vers l’abîme. Comment décrire ces êtres ? On peut en dire ce que l’on sait de l’humain, c’est-à-dire peu de choses. On a envie de chercher des réponses à leur faire, parce qu’il semblerait que ce travail soit tout simplement de l’interrogation sous toutes ses formes. Marc Petit s’arrête, comme Béatrix Beck, pas besoin d’aller au bout, rien de trop, on a compris. De l’épaisseur comme une redite. Le geste est posé. Il ne comble pas. Marc enlève, comme un sculpteur sur pierre le ferait dans la pierre brute, il élague, il nous laisse en deçà de notre faim de consommateurs repus, il ne nous laisse pas tranquilles. Il veut que nous sachions. Je n’ai jamais vu Marc Petit travailler. Je le crois quand il me dit que c’est lui qui a réalisé toutes ces sculptures, bien sûr, mais je le crois seulement sur parole, à cause de sa bonne foi et parce que ça paraît plausible. Je

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peux encore en douter, même si j’ai vu ses yeux se creuser et la livre de chair, la seule qu’il possède, le quitter parfois pour ne laisser que l’ombre de ses sourcils flotter au-dessus de son rire et de son vieux pull presque vide. Est-ce que ce sont vraiment ses mains qui passent des heures à modeler pour attraper une forme entrevue ou bien une sorte de magie qui serait à l’œuvre malgré lui, et donnerait corps à sa puissance, à sa compassion, à son immense, douloureuse et tendre compassion pour les vivants ? Je n’ai jamais vu Marc Petit travailler, et pourtant, chaque fois que je viens, l’atelier s’est peuplé de dizaines et de dizaines de nouveaux personnages, en plâtre ou en bronze. Il me montre ses trouvailles ; de personne d’autre on n’accepterait un tel enthousiasme pour son propre travail, mais quand c’est Marc qui s’exclame : « Regarde celui-là, comme il est beau ! » on comprend qu’il se met en retrait, comment sa création le dépasse parce que c’est la matière qui se met en place, et lui, il sait qu’il n’est que le vecteur et non l’inventeur de la beauté des formes. Je ne peux pas décrire son travail, mais je peux voir un homme heureux. Cet homme au rire éclatant aime les gens et ouvre sa table à qui sait la partager. Et il fabrique des personnages que n’effleure jamais la connaissance du bonheur. J’entends son rire en écrivant ces lignes, car il n’est jamais bien loin de l’oreille et jaillit dru, mais cet homme comblé, ce père de famille gourmand, partageux et curieux sculpte des personnages désertés à eux-mêmes, solitaires même dans l’entassement, mendiant peut-être dans leur cri une réponse à la déréliction. Comme à l’envers. Marc Petit exècre la neige. C’est un homme du roc, de la rocaille, de la branche et du tronc, de l’os. Un homme qui n’a pas peur de l’extrême, chaleur brûlante sous la tôle de l’atelier, grands froids mordants, un homme que la confrontation à la résistance de la matière agrandit, et la confrontation à ses propres forces, toujours. La neige inconsistante le rend malade d’uniformité, il l’a en horreur. Elle est molle et froide, fondante, traîtresse. Sa blancheur, c’est le plâtre et la pierre. Je peux parler de ses mains. Mais comment parler du silence ? Il faudrait paraphraser les gestes des statues ? Dire que les bras tendus se tendent, que les pas hésitants hésitent, que les membres sont mangés d’absence ? Dire qu’on ne peut pas voir la création à l’œuvre, pas plus qu’on entend les yeux morts et les lèvres molles des ombres qui ont tout à l’heure passé ? Et puis, mettre des mots sur du silence, c’est inutile. J’ai vidé la cave de Marc Petit de nombreuses fois, et

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ce qui est irremplaçable, c’est de se raconter la vie comme si on s’était toujours fait toute la place. Au bout du compte, je ne sais toujours pas grand’chose de la sculpture, mais j’ai beaucoup appris de lui, beaucoup partagé parce que son écoute est sans faille, et tellement ri. J’aime tant nos dîners plein d’amitié et qui font boule de neige, rassemblant à Bosmie des hommes et des femmes venus d’univers complètement différents et qui se mélangent dans la délicatesse, la curiosité, l’affection et le cahors. J’aime le port de reine de Marie-Hélène, ses mains croisées derrière le dos ; les larges mains décolorées de Bernard-Marie posées sur la table comme sur un piano ; le bras de Pierre accroché au mien pour passer les marches de l’atelier ; la joie émerveillée d’Alain, ses tendres accolades ; les ongles mangés de Laurent qui passent écartés devant son visage quand il parle ; la lotte à la tomate posée sur la table par les mains généreuses de Cathy ; les bras patients de Yuri qui portent le gros chat Aventure renversé de béatitude et les cris de joie d’Isy enfoui contre son père dans un peignoir à la sortie du bain, comme un paquet de linge sale que Cathy aurait déposé et dont jaillit un bras nu de vrai petit garçon. Je ne sais pas si c’est bien Marc Petit qui a fabriqué toutes ces pièces, c’est peut-être lui. De même que je m’en tiens au récit de Cathy sur les 121 dessins qu’il aurait enchaînés à la suite les uns des autres, jour après nuit, sans à peine manger ni boire, sans parler à personne, livré à l’inspiration, devenu en une semaine un immense dessinateur. Celui que je connais dit qu’il est sculpteur, je sais surtout de lui que c’est un un être humain qui nous réconcilie avec l’espèce. Ses bras se posent sur les épaules des gens comme si ça lui faisait du bien qu’on soit vivants. C’est quelqu’un qui donne malicieusement tout ce qu’il a parce qu’il se nourrit de ce qu’il donne. Il sait d’où il vient. Il sait que ses réserves sont immenses. C’est peut-être cela, un artiste.

Florence DELAPORTE

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Ce rien de lumière en chacun de nous et qui remonte bien avant notre naissance, bien avant toutes les naissances, c’est ce qu’il importe de sauvegarder, si nous voulons renouer avec cette clarté lointaine, dont nous ne saurons jamais pourquoi nous fûmes séparés. CIORAN

La Douce du Lazaret, 2005.

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- La maison familiale Ă Lascabanes ( Lot ) -

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BIOGRAPHIE

1961

Marc Petit naît le 27 juin à Saint Céré dans le Lot d’une mère couturière et d’un père carrier et limousineur.

1966

Sa famille s’installe à Cahors.

1968

Ses parents se séparent, il vit désormais avec sa mère, sa grand-mère et ses trois sœurs.

1974

Il suit sa scolarité au collège Olivier de Magny où il rencontre Cathy qu’il épousera en 1988.

1975

Il réalise ses premières sculptures en pierre.

1978

Fait une formation de tailleur de pierre, y rencontre René Fournier, sculpteur cadurcien, élève de Marcel Gimond, qui lui conseille de débuter par le modelage plutôt que par la taille directe. Une relation de confiance et d’amitié naît entre eux et dés lors Marc Petit lui apportera régulièrement son travail à corriger.

1984

Il s’installe à Limoges avec Cathy.

1985

Première exposition personnelle au centre culturel de Villeneuve sur Lot. Le musée Rapin acquiert Le bras, sculpture très influencée par Michel-Ange. Le Petit Cri…

1986

Serge Lorquin, sculpteur, premier grand prix de Rome, visite son exposition à la BPQA de Cahors. Leur relation devient alors prépondérante pour son travail. Il lui apporte sa vision, ses connaissances mais aussi une vraie réflexion sur la sculpture. Voyage à Antibes au musée Picasso pour voir les œuvres de Germaine Richier et à Florence pour celles de Michel-Ange.

1987

Monsieur et madame Leluhandre organisent sa première exposition personnelle en galerie (Art Sud, Toulouse), ils n’ont cessé depuis d’assurer la promotion de son travail à Toulouse mais aussi dans plusieurs foires internationales (Barcelone, Gand, Strasbourg…).

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1988

Le décès de sa grand-mère le 24 janvier est déterminant pour sa vie et l’évolution de sa sculpture. Découvre la Grèce. Mycènes le fascine. Exposition personnelle galerie Evasion à Liège (Belgique). Portrait de Cathy, le Cheval Bleu

1989

Il devient lauréat de la Fondation de France. Ce prix lui permet de fondre quelques bronzes. Réalise l’ Hommage aux mineurs pour la ville de Decazeville. Méditation

1990

Débute la série des musiciens : Premier violon, Pause, Nocturne, Le Violoncelle

1991

La galerie Bou qui présente son travail depuis 1986 organise une première exposition personnelle à Decazeville (deux autres suivront) : « Mes sculptures ne s’intéressent qu’à l’instant où tout risque de basculer, d’où parfois un léger déséquilibre de la forme : une tête avancée, un doigt qui se tend, un pied qui tarde à venir, et qui, seul, peut éviter la chute. En définitive, je ne travaille plus que sur des équilibristes. » Extrait du catalogue Requiem, le Grand Violon, Les Cinq Fréres

1993

Exposition personnelle au musée Jean Jaurés de Castres. La ville acquiert L’écuyère pour le musée Goya. Le texte du catalogue préfacé par Madeleine Rebérioux est écrit par Serge Lorquin. Reçoit le prix de la fondation Charles Oulmont. Sa collaboration avec la galerie Artset débute en octobre par une exposition personnelle. Depuis Jean-Claude Hyvernaud a présenté une dizaine d’expositions à Limoges. Les Ombres

1994

Naissance de son fils Yuri. Exposition personnelle au musée Henri Martin à Cahors. Première exposition personnelle à Paris à la galerie Annick Driguez qui en organisera une deuxième en 1996.

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1996

Il modèle de moins en moins souvent la terre au profit du plâtre ce qui lui permet de varier considérablement les formats, du très petit au monumental. Le Pliant, Le Grand Lit, Le Grand Sommier, La Petite Ombre

1997

Décès de son père. Expositions personnelles, AB galeria à Granollers (Espagne) et Espace Ambuel à Sion (Suisse).

1998

Sa mère décède le 12 mai. Début de sa collaboration avec la galerie du Rat Mort à Ostende qui assure depuis la promotion de son travail en Belgique. Les Oiseaux, L’Equilibriste, Les Gardiens

1999

Naissance de son fil Isy. Il réalise La Famille, première pièce de la série des ‘crânes’ et L’hommage à Marcelle Delpastre. Guillaume Couffignal installe sa fonderie à Aixe sur Vienne. Exposition personnelle galerie Arnoux, Paris

2000

Il fait les décors de Druiluik pour la chorégraphe Nieken Swennen. La galerie Samagra présente son travail à Los Angeles Art Fair (Etats-Unis). Expositions personnelles galerie Duchoze à Rouen et galerie Horizon à Colera (Espagne). L’Aube, La Nuit, Le Jour

2001

Son ami Jan Dau Melhau lui propose d’illustrer Glòria de la Mort (édition Plein Chant). De ces dessins naîtront les 39 sculptures de La Danse Macabre. Depuis le dessin n’a cessé de prendre de l’importance dans son œuvre. C’est à cette période qu’il crée les 121. Durant l’été se déroule la première biennale d’Aixe sur Vienne Au-delà du corps dont il assure le commissariat. Expositions personnelles galerie Canvas à Malines (Belgique), galerie Arnoux à Paris et AB galeria à Granollers (Espagne) . Exposition Identités , galerie Art Témoin, Paris. Les Douleurs, La Famille (Grand format)

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2002

Il crée ses premières gravures. En associant pour la première fois du bois mort au plâtre, il réalise le Christ. Ce bois rongé, abîmé, rogné lui offre une grande richesse de matières. Exposition Chair Obscur, galerie Pierre-Marie Vitoux, Paris Le Grand Parc

2003

Après une période d’insatisfaction de trois mois où il détruit tout ce qu’il entreprend, il utilise de petits fragments de ce bois mort qu’il associe cette fois à la cire. Il crée alors 57 pièces entre 3 et 14 cm : Les Dérisoires Il débute la série des Bois du silence ; illustre Le Sommeil d ‘Ariane de Michel Butor pour les éditions «L’instant perpétuel» et réalise les décors d’Antigone (Sophocle) pour le théâtre de la Passerelle à Limoges. Pour son mémoire de maîtrise d’histoire de l’art Marc Petit, sculpteur de l’humanité, Anne-Sophie Isselin effectue un important travail d’analyse. Exposition Cabinet de curiosités, galerie Béatrice Soulié, Paris. Exposition personnelle, galerie Huyses Molensloot à Anvers (Belgique).

2004

456 fusains et pastels naissent de l’intérêt qu’il porte au texte de Joseph Danan Vortex que «L’instant perpétuel» lui propose d’illustrer. 70 d’entre eux constituent sa première exposition de dessins présentée à la galerie Artset à Limoges. « … Dessiner toujours plus et plus vite, au rythme d’une double transe, interne et manuelle … » (Lydia Harambourg juin 2004, postface du catalogue). Expositions personnelles galerie Laïk à Coblence (Allemagne) et galerie Grand’Rue à Poitiers. Exposition Qu’en est-il ?, galerie du Rire Bleu à Figeac et Trace d’humanité, galerie Pierre-Marie Vitoux àParis. Importante exposition (150 sculptures, 50 dessins) au Lazaret Ollandini à Ajaccio. Le Grand Bûcher, L’ange, Le Grand Bois, La Douce du Lazaret

2005

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2006

Il réalise une fontaine à la mémoire des déportés de Châteauneuf-la-Forêt (87). Débute un travail inspiré des créatures mythologiques. Parution de «Ceux qui appellent dans le noir, ou le secret dess(e)in de Marc Petit», de Patrick Mialon (Editions de l’Abbaye d’Auberive). Expositions personnelles en janvier, galerie La-Maison-près-Bastille à Paris ; de juin à septembre dans le Lot, au musée Henri Martin à Cahors et au musée Rignault à SaintCirq Lapopie.

LES ILLUSTRATIONS A l’école maternelle - Premières sculptures en pierre à 14 ans - Musée Picasso à Antibes - Le Petit Cri - Exposition à la banque populaire à Cahors - Autoportrait - Avec Mr et Mme Leluhandre (galerie Art Sud à Toulouse) - Hommage aux mineurs - Exposition galerie Marie-Hélène Bou (Decazeville) - Le Grand Violon - Avec Mr Bou - Le Violoniste (œuvre détruite) - Avec Jean-Claude Hyvernaud (galerie Artset à Limoges) - Yuri - Liliane Beets et Roland Devolder (galerie du Rat Mort à Ostende) La Famille - Isy - Hommage à Marcelle Delpastre - Fonderie Guillaume Couffignal - Biennale Au-delà du corps à Aixe sur Vienne - Glòria de la Mòrt de Jan Dau Melhau (Editions Plein chant) - Avec Lydia Harambourg - Panneau des 121 - Premières gravures avec Yuri et Isy - Exposition galerie du Rat Mort - Préparation des décors d’Antigone - Le Sommeil d’Ariane de Michel Butor (édition L’instant Perpétuel) Avec Anne-Sophie Isselin - Vortex - Jean-Claude et Alexia Volot à l’abbaye d’Auberive - Le Grand Bûcher - Avec François Ollandini au Lazaret (Ajaccio) - Le Petit Bûcher.

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LES OEUVRES REPRODUITES

Le Grand Ange, couverture 2005 - détail

L’aube, p.28 2000 - 104,5x34,5x20 cm

L’Exode, p.53 2001 - 55x28x57 cm

Le Grand Ange, p.6 2005 - 220x120x80 cm - plâtre

L’aurore, p.29 1996 - 43x15x15 cm

Les Oiseaux (2), p.54 1998 - 30,5x37x19 cm

Les Vieux Mariés, p.8 2000 - 16,5x24x12,5 cm

Les Arches, p.31 2005 – 65x45 cm

La Dernière Soupe, p.55 1998 - 28x29,5x24 cm

Vanité, p.14 1993 - 50x16x41 cm

Les Oiseaux (5), p.39 1998 - 29x31x19 cm

La Fuite, p.56,57 2001 - 68x72x41 cm

Le Baiser, p.15 1995 – détail

Grande Femme Debout, p.40 2003 - 119x37x30 cm

Mea Culpa, p.58,59 2001 – 170 cm

Requiem, p.16,17 1991 - 54x22x14 cm

Les Implorants, p.41 2004 - 31x23x16 cm

L’équilibriste, p.60 1996 - 61x51,5x50,5 cm

Femme Accroupie, p.18 1995 - 31x15x17 cm

Les Assis, p.42,43 1999 - 36x61x27 cm

L’Oiseau, p.65 2002 - 96x77x53 cm

Cathy, p.19 1988 - 30x16x23 cm - plâtre

Sans titre, p.44 2002 - plâtre

Le Tricycle, p.66 2004 - 87x45x66 cm

La Couturière, p.20 2002 - 38x28x24 cm

Le Confident, p.46 2000 - 32x16x15 cm

Le Christ, p.67 2004 - 101x59x15 cm

Le Grand Banc, p.21 1998 - 37x53x15 cm

Le Parc, p.47 2000 - 28x25x26 cm

Sans titres, p.68 de 10 à 24 cm

Méditation, p.22 1989 - 145x108x70 cm

Le Lit, p.48 2000 - 28x39x28 cm

La Petite Mouette, p.69 1998 - 16x11x8 cm

Le Pliant, p.24,25 1996 - 101x107x95 cm

Le Sommier, p.49 2000 - 21x45x39 cm

La Liquette, p.70 2005 - 130x56x40 cm

Le Jour, p.26 2000 - 59x47x43 cm

La Grande Exode, p.51 2000 - 270 cm – plâtre

La Question, p.71 2005 - détail

La Nuit, p.27 2000 - 99x84x29 cm

Le Petit Banc, p.52 2003 - 16,5x14x11 cm

L’indécise, p.72 2003 - 45x18x12 cm


La Petite Liquette, p.73 2005 - 38x21x25 cm

La Famille, p.96, 97 1999 - 50x40x17 cm

Vortex, p.134 2004 - 120x80 cm

Sans titre, p.74, 75 2001 - 60x40 cm

La Piéta, p.98, 99 1999 - 46x26x22 cm

Sans titre, p.135 2005 - 40x30 cm

Les Dérisoires, p.76, 77 2003 - de 8 à 15 cm

L’ange, p.100 1999 - 34x24x21 cm

Hommage à Delpastre, p.136,137 2000 - 271 cm

Le Grand Parc, p.78,79 2000 - 90x120x120 cm

L’ange (Bois du Silence), p.107 2005 - 45 cm

La Douce du Lazaret, p.146 2005 - 155x115x80 cm

Les Gardiens, p.80,81 1998 - 56 cm

Ange (Bois du Silence), p.108 2005 - 130 cm

La Douce, p.160 1999 - 32x27x18 cm

La Petite Douce, p.82 2001 - 18x12x9 cm

L’escalier (Bois du Silence), p.109 2005 - 25 cm

La Petite Étole, p.87 2000 - 12x9x18 cm

Bois du Silence, p.110 à 113 2005 - entre 20 et 40 cm

La Danse Macabre, p.88,89 2001

Sans titre, p.114 2005 - 40x30 cm

Compostelle (Danse Macabre), p.90 2001 - 36x23x20 cm

Sans titre, p.115 2005 - 40x30 cm

La Danse (Danse Macabre), p.91 2001 - 35x40x24 cm

Les Silences, p.116 à 119 2004 - 120 cm

Le Manteau (Danse Macabre), p.91 2001 - 30x11x8 cm

La Couturière des Morts, p.120 1999 - détail

Le Diable (Danse Macabre), p.92 2001 - 38x9x12 cm

Le Grand Bûcher, p.130,131 2005 – 220x110x80 cm

Cerbère (Danse Macabre), p.93 2001 - 28x12x23 cm

Christ, p.132 2004 – 40x12x10 cm

Le Torse, p.94,95 2000 - 82x34x28 cm

Sans titre, p.133 2005 - 40x30 cm

Les bronzes reproduits dans cet ouvrage sont réalisés par les fonderies Guillaume Couffignal à Aixe sur Vienne (Haute-Vienne) et Fusion à Charbonniére-LesVieilles (Puy-de-Dôme).



LES AUTEURS

Lydia HARAMBOURG Historienne, Ecrivain, Critique d’art, spécialisée dans l’art du XXe siècle (peinture et sculpture). Auteur de nombreux ouvrages, dont le Dictionnaire des Peintres paysagistes du XIXe siècle et le Dictionnaire des Peintres de l’Ecole de Paris, 1945-1965 chez Ides et Calendes, de monographies (Debré, Mathieu, Latapie, Lagage, Brasilier, Longobardi, Despierre, Brayer, Prix Marmottan Académie des Beaux-Arts, Lesieur, Chu Teh Chun), et de préfaces pour des artistes contemporains. Co-Rédacteur pour les encyclopédies l’Aventure de l’Art aux XIX et XXe siècle. Membre du SPAF, de l’AICA et du PEN Club. Commissaire d’expositions. Membre de Jury (Fondation Taylor). Rédacteur d’une chronique hebdomadaire sur les expositions, De musées en galeries, dans La Gazette de l’Hôtel Drouot depuis 1998. Pierre CHARRAS Né à Saint-Etienne (Loire) en 1945, a publié son premier roman en 1982. En vingt ans et une dizaine de livres – Dix-neuf secondes a obtenu le prix FNAC en 2003 – il a réussi à se décharger de nombre de ses soucis et il vit désormais très heureux à Paris. Francis Bacon, le ring de la douleur, son roman publié en 2004 et adapté pour le théâtre, s’achève par ses mots… « Ivre vif ? Oui, Francis est vivant. Ce soir, il se sent vivant. » Bernard-Marie DUPONT Médecin généticien, spécialiste de soins palliatifs et professeur de philosophie à l’Espace éthique de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris. Après avoir occupé différents postes scientifiques au Royaume-Uni. Il a créé Medethic.com, société d’expertise bioéthique. Auteur de nombreuses publications (en particulier sur la mort cérébrale, l’euthanasie, etc), il siège à la Commission européenne comme expert pour les questions de bioéthique. Marie-Hélène LAFON Née en 1962 dans le Cantal. Elle vit depuis 1980 à Paris où elle enseigne les lettres classiques. Elle a publié chez Buchet Chastel trois romans : Le soir du chien (2001), Sur la photo (2003), Mo (2005), et deux livres de nouvelles : Liturgie (2002), Organes (2006).


Georges BLOESS Ancien élève de l’ENS de Saint-Cloud, agrégé d’allemand, docteur en esthétique et sciences de l’art, il est maître de conférence à l’Université de Paris-VIII. Il a publié de nombreuses contributions sur la poésie et l’art en Allemagne dans des revues françaises (Recherches germaniques, Etudes germaniques, Recherches en esthétique) et allemandes. Il a publié également Voix, regard, espace dans l’art expressionniste aux éditions l’Harmattan. Alain GOUIFFES Psychiatre, chef de service, coordonnateur d’une équipe mobile de soins auprès de personnes précarisées à Rouen et du Réseau psychiatrie précarité en Haute-Normandie. Engagé sur des chemins à l’intersection de questions artistiques et psychopathologiques. Florence DELAPORTE Elle est née l’année où on a changé les francs d’anciens en nouveaux, la nuit où on a reçu les premières images de la face cachée de la lune. Ses études ont commencé dans les couloirs à regarder les grands nuages normands, puis aux USA, en Allemagne, à Bordeaux et Poitiers. Un enfant lui est né quelques semaines après Tchernobyl à l’ombre d’un grand cèdre. Elle garde du sable des Cyclades dans un cendrier de cristal pour se souvenir qu’un jour, son ombre s’est posée sur la terre et qu’un jour, elle ne fera plus écran au soleil. Amoureuse des tilleuls mais surtout des hêtres, elle envie leurs racines mais leur préfère ses pieds. Publications récentes : Le Poisson dans l’arbre, roman, Gallimard, mars 2001 Les Enfants qui tombent dans la mer, roman, Gallimard, janvier 2003 La Chambre des machines, Gallimard, janvier 2006


Cet ouvrage, dont Gil SANCHEZ a assuré la conception, est le deuxième volume d’une collection de monographies éditées par Jean-Claude VOLOT et les éditions de l’Abbaye d’Auberive. Il a été achevé d’imprimer en juin 2006 par Graphi Imprimeur, à La Primaube (12). Photographies de Nelly BLAYA, exceptées les pages 140, 148 et 158 réalisées par Gil Sanchez. Les auteurs : © Lydia Harambourg © Georges Blœss © Bernard-Marie Dupont © Alain Gouiffes © Florence Delaporte © Pierre Charras © Marie-Héléne Lafon

Dépot Légal : juin 2006 ISBN : 2-9524823-3-0

Crédits Photographiques :

Imprimé

© Nelly Blaya

Tous droits réservés

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France





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