Les quartiers précaires des villes africaines, du 20e siècle à nos jours

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Bryan Jaybee, “Kibera in a day”, photographie Source: https://safarijunkie.com/culture/a-day-in-kibera-slum-in-nairobi/

LES QUARTIERS PRECAIRES DES VILLES AFRICAINES DU 20E SIECLE A NOS JOURS

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GURARA Bethelhem Tadele ENSA Lyon 2017/2018 31 mars 2018 E642 Rapport d’etude Licence 3 Ensegnant tuteur: M. Rovy Pessoa Ferreira


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GURARA Bethelhem Tadele ENSA Lyon 2017/2018 31 mars 2018 E642 Rapport d’etude Licence 3 Ensegnant tuteur: M. Rovy Pessoa Ferreira


LES QUARTIERS PRECAIRES DES VILLES AFRICAINES DU 20E SIECLE A NOS JOURS


Xavier Gorce, 2017, C’est précisement au nom..., dessin caricatural Source: http://www.stripsjournal.com/archives/2017/10/22/35810462.html


SOMMAIRE

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- AVANT- PROPOS

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- INTRODUCTION

7-22

- I: DECOUVERTE_ Etude de cas de Kibera, Nairobi

A. Chiffres cles de Afrique de l’Est

B. Nairobi, une ville contrastee

C. Specificites de Kibera

D. Projets d’amelioraion en cours

- II: PRISE DE CONSCIENCE_ Complexite de passer d’une dichotomie bien/mal a des politiques plus comprehensives du phenomene

23-30

A. Contexte geopolitique global

B. 1950 - 1970 : Mise en place de politiques d’homogeneisation

justifiant l’eradication des bidonvilles

C. 1970-Nos jours : Debut de prise en compte des complexites

presentes et mise en place de politiques d’amelioration des bidonvilles

III. DU DISCOURS POLITIQUE AU PROJET PRATIQUE_ Comment concorder les differentes echelles ? Quel place pour l’architecte?

A. Evolution des spatialites en fonction des politiques mis en place

B. Types d’interventions des architectes dans les quartiers precaires

C. Comment doit intervenir l’architecte dans les quartiers precaires au

XXIe siecle?

- CONCLUSION

- BIBLIOGRAPHIE

31-38

39

40-42


AVANT-PROPOS

Le choix du sujet découle de plusieurs questionnements que j’ai eu en vivant dans une ville du Sud, Addis Abeba, capitale de l’Ethiopie. En voyant la majorité des urbains de la capitale qui vivent dans des situations inquiétantes dans des quartiers informels, je me demandais comment sommes nous arrivés là ? Quelle solution pourrait-il y avoir , s’il y en a une, pour améliorer les conditions de vie de ces habitants ? Quel rôle a l’architecte par rapport à cette question ? En même temps, qu’est ce qui me permet de dire que tous les gens dans les bidonvilles vivent mal et ont besoin de l’intervention d’un architecte ? Nous allons le voir, les situations dans les bidonvilles sont aussi complexes que nombreuses. Cette vision homogénéisante, assimilant bidonville, mal logement et pauvreté, n’est qu’une entrée dans la question. Elle correspond à la vision que la majorité des gens ont sur la vie dans les quartiers précaires, et nous allons tenter de changer cela. Le sujet de mon rapport d’étude est lié au cours du semestre 5 ‘Urbanités Contemporaines’ qui proposait d’explorer et de comparer différents lieux dans le monde dans leur façons de produire de l’urbain. En croisant différentes approches (sociologique, politique, anthropologique...) ce cours m’a permis d’enrichir ma culture générale et surtout de comprendre la complexité des phénomènes mondiaux tels que migration et droit à la ville. Il n’a pas été facile de prendre du recul sur le sujet et de m’empêcher de donner mon avis sur les lectures que j’ai pu avoir puisque je connais assez bien la réalité sur les lieux, et celle-ci se trouvait parfois idéalisée par les auteurs. L’étude de cas est volontairement localisé dans un autre pays africain pour ne pas être trop subjectif sur le sujet et d’essayer dans un premier temps de comprendre le phénomène sans trop prendre parti. Plus qu’un rapport d’étude, cette étude me permet de réfléchir à quelle architecte devenir plus tard? Une spécialisation vers le domaine humanitaire ou encore le domaine urbain m’intéresse beaucoup. Ce rapport m’a, d’une part, permis de comprendre l’impact d’une urbanisation sur le vécu des habitants. De plus, ça m’a permis de me questionner sur l’intérêt de l’architecte dans des domaines assez particuliers que sont les quartiers informels. Enfin ça m’a permis de voir le poids qu’il représente par rapport aux autres acteurs sur le terrain.

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INTRODUCTION

La croissance à grande vitesse de la population mondiale interpelle de

nombreux citoyens du monde aujourd’hui. En 2050, notre planète non-extensible devra accueillir plus d’un milliard cinq cent mille personnes supplémentaires. “La population mondiale devrait atteindre 9,8 milliards en 2050 et 11,2 milliards en 2100, selon l’ONU “ (Centre d’actualité de l’ONU, 21 juin 2017 New York). Avec une telle augmentaion de la population, se pose la question de la gestion des ressources naturelles, la protection de l’environnement et le développement durable. La croissance démographique signifie également que les villes seront de plus en plus denses jusqu’à être surpeuplées. Cela rendra évidemment le terrain plus cher et augmentera exponentiellement le coût du foncier, rendant les terres inaccessibles aux pauvres et aggravant ainsi les inégalités déjà signifiantes. Architectes et urbanistes devront donc être plus ingénieux pour loger les urbains correctement. L’architecte doit, selon moi, être engagé socialement et travailler avec son environnement et pour les gens. Ceci ne l’empêche pas d’avoir une liberté conceptuelle et de réaliser des chefs d’œuvres architecturaux atypiques.

Dans les pays en voie de développement, la forte croissance de la population

a fait naître des quartiers hyperdenses où l’infrastructure urbaine manque. Les résidents des bidonvilles représentent environ 6 % des pays développés contre 78,2 % des pays en développement ce qui correspond environ 1/3 de la population mondiale (Mike Davis, le pire des mondes possibles) Ces lieux urbains souvent assimilés à la pauvreté seraient-ils des endroits de création et d’inspiration pour les architectes ? Ou seraient-ils des endroits où leurs compétences et leurs manières de travailler ne seront pas compatibles et qu’ils devraient laisser le peuple faire son architecture par lui-même. Aujourd’hui de plus en plus d’architectes essentiellement des pays du Sud s’intéressent à cette question et je pense qu’elle deviendra majeure dans les années qui viennent.

Afin de comprendre le phénomène de bidonvilisation du monde, il est

intéressant de voir l’origine du nom commun bidonville et sa définition actuelle. Il serait issu d’un nom propre, précisément une toponymie de quartier se situant dans la ville de Casablanca en Algérie. La signification de ce mot a beaucoup évolué selon les années. Au début du 19e siècle il s’agit d’un racket ou un commerce criminel, une pièce dans laquelle on se livre à des activités louches. Au milieu du 19e siècle c’est par ses caractéristiques qu’on l’identifie : conditions de logements sordides, surpeuplement, maladie et pauvreté. A part ces caractéristiques physiques il a également une dimension morale : c’est un 2


lieu où un résidu social bestial […] et parfois violent réside. A la fin du 19e siècle la définition reste encore très subjective, surtout aux Etats Unis. Elle signifie une zone de ruelles sales notamment lorsqu’elle est habitée par une population de misérables et de criminels (Mike Davis le pire des mondes possibles). Aujourd’hui bidonville est définie comme une « agglomération de baraques où s’entasse la population misérable d’une grande ville ». (Larousse) Un bidonville serait donc, selon Larousse, un lieu urbain dense qu’habitent les pauvres en installant des abris précaires. Cette définition, est trop simpliste et homogénéisante. Il faudrait ainsi la nuancer par rapport aux réalités locales. Regardons maintenant les termes de précarité et de pauvreté, que cette définition semble employer comme synonymes. Pauvreté se définit comme : “Qui a peu de ressources financières, peu de biens.” (Larousse) Il est question de biens matériels, de richesse et donc du niveau de vie des habitants. A la différence, précaire signifie : “Qui n’existe ou ne s’exerce que par une autorisation révocable; Qui est d’une sécurité douteuse. “(Définition du Larousse). “Dont l’avenir, la durée ne sont pas assurée” (Définition du petit Robert). C’est donc d’une question légale donc sécuritaire qu’on parle. “La précarité conduit souvent à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle tend à se prolonger dans le temps et devient persistant”. (Mike Davis le pire des mondes possibles) Si dans plusieurs cas précarité entraine pauvreté, ce n’est pas pour autant que l’on peut les employer comme synonymes. Regardons désormais les cinq critères des Nations Unies définissant un bidonville : •Accès inapproprié à de l’eau salubre ; •Accès inapproprié à l’assainissement et aux infrastructures ; •Manque de qualité structurelle des logements ; •Surpopulation; •Statut résidentiel non sûr Cette définition prend en compte plusieurs aspects du phénomène, à savoir la question des infrastructures, les ressources matériels et la sécurité des logements, ce qui permet de mieux le caractériser.

Le bidonville est certes une des formes de précarité urbaine la plus

courante qui n’offre pas des conditions de vies idéales à ces habitants mais avant de le considérer comme le problème en soi et de se précipiter vers sa disparition il fallait comprendre pourquoi ces structures se sont formées, dans 3


a quels contextes elles sont apparus, et surtout comprendre que le fait de vivre dans ces lieux et une question de compromis et non une volonté totale. Les habitants de ces quartiers précaires travaillent majoritairement dans l’économie informel, en raison du manque d’offres d’emplois par le gouvernement qui n’est plus un acteur principal dans la création d’emploi. (Edgar Pieterse, Conférence UN Habitat Worldwide). Selon Mike Davis, trois critères entrent en jeu lors du choix d’un logement : sa proximité au centre, son coût et la jouissance c’est à dire la qualité du logement. L’ouvrage du sociologue Mike Davis intitulé « Le pire des mondes possibles » nous permet de comprendre le contexte d’apparition du phénomène urbain des bidonvilles. Une forte croissance démographique urbaine dans le monde a lieu. Avec l’accentuation de l’exode rural les villes ne sont plus capables d’accueillir les populations de manière résonnée. Il y a un décalage entre l’offre de logement et les populations qui émigrent vers les villes. Apparaissent alors des formes d’habiter plus périphériques et souvent informels qui présentent des densités exceptionnelles. « L’essentiel de la croissance de la population urbaine est absorbé par les bidonvilles » (Huchzermeyer, Marie. “Chapitre 10. Afrique : où et comment loger les urbains ?”)

Ma méthode de travail se base dans une première partie sur l’étude de cas

d’une partie de la ville de Nairobi au Kenya: le bidonville de Kibéra, un des plus grands bidonvilles en Afrique. Ensuite le reste du rapport d’étude traitera du sujet des villes africaines en général pour une certaine simplification du propos, même s’il y a évidemment des spécificités locales dans chaque ville, quartier voire même dans la même parcelle. Enfin pour la dernière partie qui traite de réflexions autours de solutions spatiales concernant la gestion de ces lieux des exemples dans le continent africain sont proposés. Cette approche du local au plus global a été choisie pour accompagner la réflexion à plusieurs échelles que nécessite ce travail sur les bidonvilles, et permet une compréhension progressive des différentes complexités dans ces lieux.

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ONU, 2014, Croissance de la population mondiale, Graphique

Dans ce rapport, je m’intéresse à l’évolution de la pratique du métier d’architecte face à 2 enjeux mondiaux actuels : la croissance démographique mondiale et l’explosion des bidonvilles. Par ailleurs il serait intéressant d’étudier dans une autre étude l’évolution du métier d’architecte face à d’autres enjeux mondiaux tels que la raréfaction des ressources naturelles, la question du réchauffement climatique etc... L’objectif du rapport d’étude est de comprendre dans un premier temps ce qui a permis de dépasser le regard péjoratif auquel on assimilait le bidonville. Pour cela nous allons donc suivre l’évolution des politiques menées, des acteurs concernés et de leurs méthodes d’interventions dans les quartiers précaires africains, de l’indépendance jusqu’à nos jours. 5


Nous verrons à quel point il est complexe de mettre en place des directives et des politiques en réponse à ce phénomène à cause du grand nombre d’inconnus et d’informalité.

Ensuite il s’agit de comprendre pourquoi il y a

aujourd’hui un décalage entre les objectifs mis en place par les organisations internationales pour l’amélioration des bidonvilles et les réalités dans les villes africaines. Nous essayerons de voir les limites des politiques et des méthodes d’interventions émis par des acteurs internationaux comme l’ONU-Habitat et la Banque mondiale. Cette partie permet de voir la compléxité de passer d’un projet politique souvent généraliste à des projets spatiaux de différents échelles. Enfin, nous verrons quel rôle l’architecte peut avoir dans ces lieux. C’est-à-dire analyser les projets proposés et leur manière de s’ancrer dans le site : arrivent-ils à communiquer avec les spécificités locales ou sont-ils des objets génériques qui ont peu d’intérêts pour la communauté présente. En quoi les politiques face aux quartiers précaires, qui sont en constante évolution par rapport aux complexités sur le terrain, sont en train de questionner les manières de faire l’architecture aujourd’hui? Le rapport est structuré en trois parties. Dans une première partie, nous nous intéresserons au quartier de Kibera dans la capitale Kényane. Nous rentrerons dans le détail pour caractériser ce type de quartier précaire en identifiant les types d’habitations présentes, les populations et les infrastructures urbaines. La question foncière, liée à la sécurité du logement est également un enjeu important que nous souhaitions approfondir. Nous verrons ensuite les projets d’amélioration de bidonvilles qui sont en cours afin d’analyser leurs pertinences mais surtout pour se rendre compte de l’hétérogénéité des situations présentes au sein même de ce quartier. La deuxième partie explique le passage d’une politique stigmatisante envers le bidonville à une phase où on apprend à le voir autrement. Quelles politiques ont permis cette transition? Comment légiférer sur des lieux informels? Qui sont les principaux acteurs concernés? Qu’en est-il de l’architecte? Troisièmement nous questionnerons la compatibilité entre le métier d’architecte et les quartiers informels. Nous verrons quelques projets permettant de voir ce qui commence à se faire par des architectes en réponse à ces lieux d’urbanités, pour ensuite les analyser. 6


Sergey Semenov et Stas Sedov, 2015, http://www.airpano.com/360Degree-VirtualTour. php?3D=Nairobi-Kenya

I. DECOUVERTE_ ETUDE DE CAS DE KIBERA, NAIROBI

Les eaux usées stagnent dans les quartiers de Kibera http://www.mrbianco.com/portfolio/items/kibera-nairobi/

Les fils électriques sont entrelacés au-dessus des maisons. Le labyrinthe de fils rend difficile de distinguer les connexions légales des connexions illégales. (R. Ombuor / VOA)

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Sergey Semenov et Stas Sedov, 2015, Vue aerienne de Kibera, http://www.airpano.com/360DegreeVirtualTour.php?3D=Nairobi-Kenya

https://www.flickr.com/photos/trocaire/35455632204

Un enfant de Kibera

Les habitations de Kibera, www.kibera.org.uk/photos/

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A_Chiffres cles de Afrique de l’Est

La sous-région est composée de 17 pays dont fait partie le Kenya. Selon le rapport d’UN-Habitat de 2014, la région compte environ 293 millions d’habitants. C’est une des régions la moins urbanisée au monde, mais elle a un taux de croissance urbaine important.

Surcroits décennaux moyens de population urbaine 2000-2050 (%), Perspectives de l’ONU sur l’urbanisation mondiale, 2011

On remarque que presque tous ces pays ont connu des records d’urbanisation à l’époque où ils sont devenus indépendants. (ONU, voir tableau ci-dessus) On a ensuite assisté à un certain ralentissement de ce taux annuel, mais la croissance urbaine est restée très forte. L’urbanisation rapide des villes d’Afrique de l’est a pour conséquences une pénurie de logements, un étalement périurbain signifiant, pour en citer quelques uns. La sphere informelle se developpe ainsi pour combler un vide en l’absence des moyens publics pour mettre en place des systèmes efficaces de gouvernance. Les urbanistes en Afrique de l’est ont fortement été influencés par des pays du Nord lorsqu’il s’agit d’amenager le territoire. Ils reprennent notamment 3 éléments : un schéma directeur, des règles d’urbanisme et de construction ainsi qu’un système de contrôle et de maitrise de l’aménagement. Et pourtant transplanter ce même modèle en Afrique de l’Est signifie qu’on ignore le fait que l’expansion urbaine a pris une forme différente ici, celle notamment des quartiers informels. L’application des schémas directeurs vont ainsi contribuer à une ségrégation sociale et spatiale parce qu’elle nie la présence de ces entités urbaines. Or, ces quartiers informels représentent en Afrique de l’Est une vaste majorité de la population. 9


Localisation de la sous-région del’Afrique de L’Est

Niveaux d’urbanisation par pays (% de la population), Perspectives de l’ONU sur l’urbanisation mondiale, 2012

Population vivant dans des taudis et bidonvilles (% de la population nationale), ONU-Habitat (2009)

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B_ NAIROBI, UNE VILLE CONTRASTEE Capitale d’un pays en développement, Nairobi compte 100 000 habitants en 1950, elle en concentre aujourd’hui plus de 3 millions. C’est la deuxième plus grande ville de la région par sa démographie. Elle abrite plus d’un tiers de la population urbaine du Kenya. La ville est l’un des centres économiques les plus importants du continent et contribue pour 60% du PIB du pays. (No business like slum business ? The political economy of the continued existence of slums: A case study of Nairobi, Florence Dafe, London, 2009) Le siège d’ONU-Habitat, qui travaille sur le développement durable des villes avec un logement adéquat pour tous, est basé à Nairobi. Pourtant, environ 1,5 million de personnes, soit 60% de la population totale officielle de Nairobi, vivent dans des quartiers informels. (Cinquante ans après les indépendances les quartiers précaires ontils acquis le droit de cité, Benjamin Michelon) La croissance de l’actuelle Nairobi remonte à 1899 lorsque la ligne de chemin de fer Mombasa / Ouganda a atteint le site où la ville est située. Nairobi a connu une croissance soutenue à la fois dans l’expansion physique et la population à partir du moment où il est devenu habité en 1901. Ce lieu bénéficiait d’un climat frais et a ainsi attir les Européens qui se sont aussitôt installés. Les Asiatiques, venus en tant que travailleurs pour la construction du chemin de fer, vivaient egalement près du centre-ville. Les autochtones étaient, eux, relégués dans des logements locatifs au sud de la region. Un zonage racial y était donc installé. Entre 1899 et 1963, les limites de la ville ont changé à plusieurs reprises. Cependant, les principales extensions des limites ont eu lieu en 1963, ce qui a entraîné l’inclusion de nouvelles zones. Après l’indépendance, la ségrégation et la distribution des terres résidentielles selon la race ont été simplement remplacées par la ségrégation selon des catégories socioéconomiques.

- Des Problèmes hérités de la colonisation

La plupart des problèmes de logement dans les villes du Kenya ont été hérités de la période coloniale. Ils étaient le résultat direct des politiques du travail colonial, qui considéraient la présence africaine dans les villes comme temporaire. Les besoins de logement des Africains n’étaient couverts que par les lois du travail qui sont des obligations légales des employeurs d’abriter leurs employés. Peu de fonds été destinés au logement des travailleurs africains. 11


- La location, moyen d’accès à la ville pour les pauvres A l’indépendance les terres appartiennent à l’etat. Puis, le début des années 1970 voit la création des sociétés d’achat de terres qui ont permis la mise à disposition à grande échelle de logements locatifs privés. Les terres ont été vendues à ceux qui disposaient des capacités économiques pour construire de grands immeubles locatifs à plusieurs étages. Cependant, en raison d’un système de favoritisme politique, ce sont, non seulement la capacité de payer, mais aussi les considérations politiques qui ont déterminé l’accès à la propriété des terrains. La répartition appropriée des terres sont régulièrement contournées au profit d’un petit groupe de personnes, essentiellement des ministres, des hauts fonctionnaires, des politiciens et des hommes d’affaires politiquement connectés. (No business like slum business? The political economy of the continued existence of slums: A case study of Nairobi, Florence Dafe, London, 2009) A Nairobi, l’accaparement des terres a affecté le marché foncier urbain sous la forme d’augmentation exponentielle du cout du terrain. Ces couts ont par la suite obligé 60% de la population de Nairobi à s’entasser dans 5% de la zone résidentielle de la ville. C’est également à cause de cette répartition des terres faussée que 92% des ménages des bidonvilles de Nairobi sont des locataires (Banque mondiale, 2006). Il se crée alors un système qui fonctionne comme le marché immobilier formel avec des “propriétaires” et des locataires, mais tout ceci sur des terres acquis informellement. A Nairobi où 84,7% des ménages sont locataires (voir tableau ci-dessous) le logement locatif informel à Nairobi est dominé par les grands propriétaires. Par exemple à Kibera 6% des propriétaires possèdent 25% des logements. Pour maximiser leur profits les propriétaires augmentent les densités de bidonvilles, en contournant les règlements officiels. Par exemple, les densités dans certains bidonvilles de Nairobi ont atteint 20 unités par hectare, contre 5 unités dans d’autres quartiers à revenu intermédiaire. Ces propriétaires essaient aussi de maximiser leurs profits en minimisant les coûts de construction d’une structure et en utilisant des matériaux de mauvaise qualité. Il faut noter que ces logements ne sont pas forcément destinés aux pauvres. En effet ceux qui sont dans l’impossibilité d’accéder à un logement à revenu intermédiaire qui manque à Nairobi ont tendance à s’installer dans les quartiers informels. En fait, la location n’est pas nécessairement la culture des pauvres 12


(Amis, 1996, Mugo 2000). La location à Nairobi a donc véritablement crée un nouveau type de ville : une ville de locataires (Huchzermeyer).

Nairobi, ville de locataires, 2008

La location,mode d’acces au logement, 2008

Différents villages à Kibera, plan, https://www.researchgate.net/publication/264336687_USING_VHR_ SATELLITE_IMAGERY_TO_ESTIMATE_POPULATIONS_IN_INFORMAL_SETTLEMENTS

Type d’utilisation des terres à Kibera, plan, https://www.researchgate.net/publication/264336687_ USING_VHR_SATELLITE_IMAGERY_TO_ESTIMATE_POPULATIONS_IN_INFORMAL_SETTLEMENTS

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Personnes vivants en dessous du seuil de pauvreté, 2009, plan, https://www.semanticscholar.org/ paper/Kibera-%3A-The-Biggest-Slum-in-Africa-%3F-Desgroppes-Taupin/4fa2afaf1f711b7cfa6f3c1da2fa cfbedb67a468

Densité de population à Kibera, 2009, plan, https://www.semanticscholar.org/paper/Kibera-%3A-TheBiggest-Slum-in-Africa-%3F-Desgroppes-Taupin/4fa2afaf1f711b7cfa6f3c1da2facfbedb67a468

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C_ SPECITIFITES DE KIBERA HISTOIRIQUE Les nubiens d’origine soudanaise étaient les premiers à s’installer à Kibera. Au Kenya, ils ont servi de soldats sous le royaume britannique pendant la Première Guerre mondiale. Jusqu’en 1929, Kibera est restée une réserve militaire temporaire. Pour éviter que cette occupation devienne permanente, les colons ne la développèrent pas et ne fournissaient pas les équipements nécessaires: eau, assainissement, électricité et hôpitaux. C’était une politique maladroite consistant à rendre la vie insupportable et ainsi évacuer ces habitants, mais le nombre d’habitants a malgre tout continué de croître. À la fin de la Première Guerre mondiale, le gouvernement colonial ne pouvait plus ignorer le fait que Kibera était devenue une installation permanente. En 1948, Kibera était devenue un espace hétérogène accueillant la plupart des pauvres de Nairobi. Au milieu des années 1950, lorsque le Kenya était sur le point de l’indépendance, Kibera était un foyer politique, et représentait un contre poids important au pouvoir actuel. La grande élite politique africaine s’est donc intéressée davantage à Kibera. Par conséquent, expulser les résidents de Kibera est devenu de plus en plus difficile. Cependant, des compléxités ethniques commencèrent à se former entre la communauté nubienne et les autres autochtones du Kenya qui consideraient les derniers comme alliés au gouvernement colonial britannique. Plus tard, après l’indépendance en 1963, la terre a été graduellement prise de Kibera pour céder la place aux propriétés résidentielles et aux écoles, construit par le gouvernement post-colonial. Les habitations ont été détruites, sans compensation appropriée. Ces évacuations avaient pour but de répondre aux besoins de nouveaux logements. Entre 1961 et 1967, des plans ont été élaborés et mis en œuvre pour construire des logements types à Kibera. Dans la même période, plus de terres ont été prises de Kibera, pour construire plus de lotissements. En 4 ans la superficie de Kibera avait été réduite de 1700 hectares à 256 hectares environ. En même temps, la population à Kibera ne cessait d’augmenter. Elle était déjà à plus de 600 000 personnes en 2004 sur 225 hectares de terres (Gouvernement du Kenya, 2004) elle est passée à 1million d’habitants en 2009 selon l’ONU Habitat. Cette explosion démographique rend difficile la gestion de ce lieu constamment redensifié et surpeuplé. SITUATION FONCIERE Le gouvernement possède toutes les terres. 10% des gens sont des propriétaires de cabanes et beaucoup de ces gens possèdent beaucoup d’autres cabanes et 15


les sous-louent. Tout le reste sont des locataires sans droits. POLITIQUES LOCALES ET SPACIALITES La politique est fortement liée à la composition ethnique de Kibera. Des tensions ethniques ayant lieu au Kenya modifient constamment les profils ethniques présents à Kibera. TYPES D’HABITATION La taille moyenne d’un logement à Kibera est de 3,65 m x 3,65 m. Il est souvent composé de murs en terre et d’un toit de tôle ondulée, de terre ou de béton. Le loyer est d’environ Ksh 700 par mois (5,6euros). Ces habitations peuvent souvent accueillir jusqu’à 8 personnes ou plus, obligeant beaucoup à dormir au sol. HABITANTS Les Nubiens occupent environ 15% de Kibera, et sont pour la plupart des propriétaires de cabanes. Les autres propriétaires de cabanes sont pour la plupart Kikuyu (la tribu majoritaire à Nairobi) - bien que dans la plupart des cas, ils ne vivent pas là mais sont des propriétaires absents. La majorité des locataires sont Luo, Luhya et quelques Kamba - ces gens viennent de l’ouest du Kenya. Il y a beaucoup de tensions à Kibera, en particulier des tensions tribales entre les Luo et les Kikuyu, mais aussi entre les propriétaires et les locataires et ceux avec et sans emploi. EMPLOIS Kibera se trouve près de la zone industrielle de Nairobi où jusqu’à 50% de la main-d’œuvre disponible est employée (généralement dans des emplois relativement peu qualifiés). Cependant, il y a toujours un taux de chômage de 50%. EAU Jusqu’à récemment, Kibera n’avait pas d’eau et devait être collectée au barrage de Nairobi. L’eau du barrage n’est pas propre et provoque la typhoïde et le choléra. Il y a maintenant deux conduites d’eau principales à Kibera, une du conseil municipal et une de la Banque mondiale. L’eau est payante: environ 3 Ksh par 20 litres. De nombreux habitants installent des seaux pour recueillir l’eau de pluie de leur toit lorsqu’il pleut, les risques que cette eau sont nombreux. La plupart des toits souffrent des “toilettes volantes” et produisent de l’eau hautement contaminée. 16


D_ PROJETS D’AMELIORATION EN COURS 1. KENSUP : ACTEUR INTERNATIONAL UN-HABITAT Le gouvernement du Kenya est l’un des rares gouvernements en Afrique à reconnaître l’importance réelle de l’amélioration des bidonvilles. Le Programme d’amélioration des bidonvilles du Kenya (KENSUP-kenya) est une initiative de collaboration entre le gouvernement Kenyan et ONU-Habitat. Le projet pilote de Kibera, baptisé KiberaSoweto, a démarré en janvier 2003.

Le but de ce programme est d’améliorer d’une part la sécurité d’occupation des habitants des bidonvilles du Kenya et d’autre part d’améliorer l’infrastructure physique et sociale de ces lieux informels. ONU Habitat travaille également sur des possibilités d’amélioration des revenus des travailleurs de ces quartiers. Ce projet d’amélioration est en phase avec l’Objectif du Millénaire pour le Développement (OMD) 7, Objectif 11 qui vise à améliorer la vie de 100 millions d’habitants de taudis d’ici 2020 (ONU-Habitat, 2003). Un exemple de projet de KENSUP à Kibera est celui de :”Kibera Gestion” à Soweto Est (l’un des 12 “villages” de Kibera). L’objectif est d’intégrer au quartier des infrastructures pour l’eau, l’assainissement et la gestion des déchets de Soweto Est. C’est un projet qui a été réalisé en collaboration avec le gouvernement du Kenya, l’ONG kenyane Maji na Ufanisi (Eau et développement), les résidents locaux et le secteur privé.

Logements nouvellement construits à Soweto, Kibera Source: ONU-HABITAT

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Par ailleurs le projet Kibera Gestion à Soweto-Est communautaires

à

petite

échelle,

des

initiatives

soutient des activités en

matière

d’eau,

d’assainissement et de gestion des déchets par les habitants eux mêmes. Ce projet pose la question des infrastructures urbaines et la nécéssité de connecter ces quartiers au réseau éxistant. De plus il encourage des initatives de petites échelles permettants aux habitants de se faire des revenus tout en améliorant leur quartier. ONU Habitat tente également de légitimer ce lieu en créant des institutions locales pouvant gérer ce quartier. Certes, la connexion au réseau urbain éxistant est intéressant pour Soweto, mais en quoi ceci garanti l’amélioraion des habitants de Soweto? Ne seront-ils pas expulser par les plus aisés qui trouveront que ce lieu est désormais vivable ? Le programme a pout but d’améliorer “la sécurite d’occupation des habitants” mais que font-ils réellement? N’y a t-il pas un pacte à trouver avec le gouvernement pour gérer la situation foncière de ces habitants? 2. DEPARTEMENT D’ARCHITECTURE, PESCARA ITALIE_ RECHERCHES Dispositif I_ESPACES ENTRE: La rivière qui traverse le bidonville est actuellement un conteneur de déchets; il a presque complètement abandonné sa vocation d’infrastructure environnementale et a des répercussions sur l’environnement en tant que déchet plutôt qu’en tant que ressource. À travers l’élément architectural du toit, un espace communautaire est proposé, prétexte physique pour relier les deux rives qui veulent offrir la possibilité de travailler en même temps grâce à des opérations de stockage et de recyclage. Un revêtement qui se laisse habiter par la végétation, ainsi que par la communauté et qui se présente à travers les techniques et les matériaux du lieu.

Coupe du projet

Maquette du projet

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DISPOSITIF II_ AXE FERROVIAIRE EN TANT QU’ESPACE PUBLIC HABITE : L’infrastructure ferroviaire se présente dans le bidonville non seulement comme un axe de transport mais aussi comme une espace commercial. La vocation principale devient celle d’un espace de rencontre et d’échange. C’est pour cette raison que le dispositif veut être un prétexte pour améliorer l’activité. Un système de petits toits qui se composent et qui accueillent des espaces de partage et de repos, créés en utilisant des techniques et des matériaux du lieu qui veulent répondre à des besoins réels: offrir des espaces commerciaux et des espaces abrités du soleil qui tape fort sur Kibera. Les batiments se composent d’un espace residentiel existant à l’etage et des espaces commerciaux et des fonctions publiques au rez de chaussée.

Plan masse et coupe du projet

La structure de base du batiment consiste en un module en bois reproductible sur plan carré. Ces éléments occupent l’espace entre les lignes résidentielles et les voies ferrées, rapprochant les deux côtés et favorisant ainsi la perméabilité entre deux parties du bidonville. Le système constructif adopté implique la construction d’un cadre de poutre en bois, couplé à l’aide d’éléments métalliques. Les piliers sont détachés du sol par des fondations métalliques, pour préserver le matériau en bois du contact avec le sol et avec l’eau. La structure légère et reproductible basée sur un module carré crée également un deuxième niveau, au rez-de-chaussée. Par ailleurs, les facades des bâtiments éxistants sont décorées de peintures murales, dans le but de les transformer d’un dos aveugle en un nouveau front vers le chemin de fer et le marché. Ces projets, nous donnent en quelque sorte une réponse occidentale à la question. La méthode de conception consiste à analyser les élements ou les comportements sur le site et d’en faire un concept. 19


Le projet pose la question de la modularité, d’un système structurel léger facilitant le transport. Il tente de créer un espace communautaire animé en réutilisant les pratiques sociales déja éxistantes. Néanmoins, la question du logement est un peu négligée et ceci reste discutable étant donné que c’est quand même le problème fondamental auquel sont confrontés les habitants des quartiers précaires. 3- SHINING HOPE, UN MOUVEMENT DE JEUNES DE KIBERA Au départ cette association avait pour but de développer la pratique de sport et de théâtre de rue chez les jeunes de quartier afin d’éviter les dangers de la vie de rue et la criminalité. Plus tard, son expansion a permis l’inclusion dans le groupe de plusieurs architectes et autres acteurs bénévoles permettant ainsi de réaliser quelques projets de quartiers, tel que la Bibliothèque SHOFCO Marcus Garvey qui est la réalisation la plus connue. Cette association a également mis en place un système de microcrédit permettant aux habitants de Kibera de bénéficier de prêts afin de développer des micro entreprises et améliorer ainsi leur condition de vie.

Bibliothèque SHOFCO Marcus Garvey, SHOFCO.org

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Nous venons de voir que Kibera ne manque pas de complexités. Qu’il s’agisse de son histoire coloniale ou post-colonial, c’est un lieu de tensions en constante évolution. Les politiques locales tendent à se stabiliser et pronent désormais l’amélioration du bidonville plutot que son éviction, du moins sur le papier. Des actions ponctuelles ont été faites et les architectes proposent des spatialités intérressantes à travers des projets de petite échelle, souvent financés par l’état ou les ONG présents sur le site. Ces premières réponses données aux bidonvilles sont d’ échelles différentes, et de nature différentes. On remarque cependant que des projets en matiere d’amélioration du logement manquent crucialement. La question de la sécurité des logements est également peu abordée. Sur quels directives sont pensés ces projets d’amélioration? Qui se charge de mettre en place de ces politiques? Nous allons voir dans la deuxième partie l’évolution du discours et des manières d’intervenir sur les quartiers précaires en Afrique.

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Des membres des Red Ants (un groupe local de travailleurs sous contrat qui exécute des ordres municipaux de démolition ou d’expulsion) démolissent plusieurs structures dans le centre de Johannesburg, 2014, Marco Longari / AFP

II. PRISE DE CONSCIENCE_ COMPLEXITE DE PASSER D’UNE DICHOTOMIE BIEN/MAL A DES POLITIQUES PLUS COMPREHENSIVES DU PHENOMENE

Femme triste, l’une des plus de 30 000 personnes expulsées de force par le gouvernement à Lagos, 2018, http://www. environewsnigeria.com/2017-issues-earnedmention-environment-circles/

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Les travailleurs du Service national de la jeunesse, aidés par des jeunes locaux, construisent des toilettes modernes à Kibera, Nairobi, 2015, JEFF ANGOTE, GROUPE NATION MEDIA

Logements construits par le programme d’amélioration des bidonvilles à Nairobi, KENSUP, https://talkingdrumsblog. wordpress.com/2015/02/02/drivingaround-africa-nairobi/

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A. CONTEXTE GEOPOLITIQUE GLOBAL Selon Mike Davis, la plupart des pays du Sud connaissent une urbanisation sans croissance, et celle-ci est en partie dû au contexte géopolitique mondial. Pour commencer, à l’indépendance, les pays africains ne sont pas encore industrialisés, leur économie est essentiellement agricole. Par ailleurs, depuis la crise économique mondiale de 1970, le Fonds monétaire international (FMI) met en place des politiques d’ajustements structurels (PAS) visant à réduire les dépenses publiques dans les pays africains permettant ainsi de rembourser plus rapidement leur dette. La Banque Mondiale met en place, elle, la politique du dérèglement agricole obligeant les agriculteurs à se mécaniser et à intégrer le marché international. Or, la plupart des agriculteurs n’ont ni les techniques ni les moyens financiers pour concurrencer sur le marché mondial. Ils sont donc nombreux à aller vers la ville pour se “réorienter” dans un autre domaine. Cette politique a ainsi fortement accentué l’exode rural, affaiblit l’économie et par conséquent aggravé la situation des bidonvilles. Revenons sur la directive visant à réduire les pouvoirs étatiques. Ceci a entrainé un désengagement de l’état en matière de gestion publique. Elle a notamment conduit à la privatisation des terrains et du marché du logement. Elle a ainsi augmenté la spéculation foncière, ce qui a obligé les plus démunis à se relocaliser. Ces politiques mis en place dans une vision sociétale capitaliste ont mis en place un système de pays riches industrialisés qui font travailler d’autres pays “ateliers” qui n’ont pas le choix que d’intégrer le système, ou plutôt de le subir. En effet en faisant travailler les ouvriers dans des marchés informels avec des revenus bas, les grandes multinationales peuvent concurrencer avec les autres grandes entreprises en proposant des produits moins chers. Un cercle vicieux est ainsi crée avec des personnes travaillant dans le marché informel, bénéficiant de bas salaires, qui ne payent pas de taxes. Sans taxes, les Etats de ces pays n’ont pas les moyens pour financer des projets publics et de proposer des secteurs de travail à ces habitants. Ne trouvant pas d’offres d’emploi formel, les gens sont donc contraints à travailler dans le marché informel, et d’accepter les bas revenus qui leur sont proposés. (Voir schéma ci-dessous). Nous pouvons donc dire que le capitalisme, ayant ses intérêts et des qualités, a été perverti par centaines grandes puissances économiques en une sorte de néo colonialisme du XXIe en Afrique.

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Cercle vertueux de production de bidonvilles, 2014, Edgar Pieterse, ‘How can we transcend slum urbanism in Africa?’ , ONU-HABITAT

Expulsions forcées à Badia Est, 2015, Andrew Maki, Initiatives de justice et d’autonomisation (JEI) 26


B. 1950 - 1970 MISE EN PLACE DE POLITIQUES D’HOMOGÉNÉISATION JUSTIFIANT L’ERADICATION DES BIDONVILLES

Dans cette période, la méthode de gestion de ce ‘mal’ urbain la plus courante est celle de l’élimination des bidonvilles. Ces initiatives expulsent les habitants de leur habitat qui sont considérés informels (critère juridique) et sales (critères hygiénistes). Sur le papier leur relogement dans des logements à proximité est prévu mais la réalité ne suit pas. La plupart des habitants n’ont pas la capacité financière pour se procurer les nouveaux logements construits. Ils se retrouvent alors dans une situation complexe ou ils ne peuvent ni rester sur les lieux ni s’éloigner du centre-ville à cause des coûts de transport élevés. Si par chance les habitants des bidonvilles se voient construire des logements bon marché qu’ils peuvent se procurer, il se produit un effet perverse qui est l’exclusion par le marché. En effet des promoteurs immobiliers, attirés par la bonne localisation de ces logements vont le racheter et ainsi expulser leurs habitants. Il y a donc un échec de ces programmes qui ne servent plus aux populations les plus touchés par la précarité. On peut citer le cas du quartier d’Umoja, dont la construction a été financée par la Banque mondiale et le gouvernement kenyan et qui était destiné aux populations vivants dans les bidonvilles de l’est de la ville. Or, le degré de corruption est tel que, moins de dix ans plus tard, la quasi-totalité des logements appartiennent à une vingtaine de gros propriétaires fonciers. N’ont pas échappé non plus à l’avidité des fonctionnaires les forêts périurbaines, telle Karura Forest, ou même les logements destinés au personnel administratif, les quartiers de Kilileshwa et de Woodley étant des exemples de ces lotissements publics entièrement privatisés. (Guerre des loyers dans les bidonvilles de Nairobi, Marie-Ange Goux) ACTEURS IMPORTANTS Pendant cette période, l’Etat est le principal acteur des grands projets de logement. Le rôle de l’état est celui d’un créateur d’emploi et celui d’un acteur capable de financer des grands opérations de logement. A part l’état, les années 50 ont vu l’augmentation de l’intérêt des architectes face à la question des quartiers précaires et plus généralement du logement bon marché. A l’occasion du 9ème Congrès International de l’Architecture moderne (CIAM) qui s’est tenu à Aix-en-Provence en 1953, sur le thème de “l’Habitat pour le plus grand nombre”. Des architectes comme Roland Simounet menèrent pour le groupe CIAM des analyses de bidonvilles. Puis pour le congrès suivant, la TEAM X travailla sur la participation et l’architecture vernaculaire. 27


Il en découle la charte d’Athènes et une prise de conscience mondiale pour les architectes de travailler sur le problème du logement du plus grand nombre. Les réponses qui furent apportées étaient issues des théories de l’architecture moderne et se concrétisent sous la forme de bâtiments rationnels et industriels comme la “machine à habiter” de Le Corbusier (Cité radieuse). Les spacialités crées étaient cependant très génériques, et ne cherchaient pas s’adapter au site. Il est également intéressant de voir les conférences Habitat sur le logement qui sont organisées par l’ONU, et auquel ont participé de nombreux architectes. Ces conférences ont lieu tous les 20 ans : le premier en 1976 à Vancouver, le deuxième en 1996 à Istanbul et enfin le troisième en 2016 à Quito. Ce sont des échanges qui permettent d’accélérer la prise en compte dans les politiques publiques des grandes thématiques urbaines. Le principal objectif de cette conférence est de redynamiser l’engagement mondial en faveur du développement urbain durable. Extrait d’un discours prononcé lors de la conférence Habitat II à Istanbul:

“ Nous avons examiné, avec un sens de l’urgence, la détérioration continue

de la situation du logement et des établissements humains. Nous réaffirmons notre engagement en faveur de meilleures conditions de vie dans une plus grande liberté pour l’humanité. Pour améliorer la qualité de la vie au sein des établissements humains, nous devons combattre la détérioration des conditions qui dans la plupart des cas, particulièrement dans les pays en développement, a atteint des proportions de crise. Les défis des établissements humains sont mondiaux, mais les pays et les régions aussi sont confrontés à des problèmes spécifiques qui nécessitent des réponses spécifiques. [...] Outre l’amélioration de l’habitat urbain, nous devons aussi œuvrer à développer des infrastructures adéquates, des services publics et les offres d’emplois en milieu rural de façon à renforcer leur attractivité, à développer un réseau intégré d’établissements humains et à réduire l’exode rural. [...] Nous travaillerons à élargir l’offre de logements abordables en permettant aux marchés d’agir efficacement et d’une manière responsable en termes social et environnemental, en améliorant l’accès à la terre et au crédit et en aidant ceux qui sont dans l’incapacité de participer aux marchés du logement.”(ONU)

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C. 1970 A NOS JOURS: UN DEBUT DE PRISE EN COMPTE DES COMPLEXITES PRESENTES _ DES POLITIQUES D’AMELIORATION DES BIDONVILLES ET DE SES HABITANTS Avec l’apparition de groupes internationaux mettant la pression sur les états à minimiser les dépenses (voir partie II.A.), les pays Africains commencent à reconnaître lentement la nécessité d’améliorer les bidonvilles avec un financement provenant principalement des organisations internationales et des ONG. «L’approche de la Banque mondiale pour l’amélioration des taudis, utilisée pour la première génération de ses projets de développement urbain dans les années 1970 et 1980, a été considérablement influencée par l’écriture de John FC Turner. Turner a minimisé le rôle du gouvernement, le limitant à fournir des améliorations environnementales essentielles et des services publics, permettant ainsi aux habitants des bidonvilles d’améliorer progressivement leurs conditions de vie.» Cette politique est plus tolérante mais surtout plus compréhensive des complexités de ces quartiers informels. Elle permet notamment d’agir sur différents aspects du problème. Parmi les modes d’interventions possibles, on pourrait agir sur la sécurité foncière des habitants, sur l’accès aux infrastructures nécessaires, comme on peut agir sur l’accès à l’emploi ou encore améliorer l’accès à l’éducation de personnes vivantes dans les bidonvilles. ACTEURS IMPORTANTS Les acteurs internationaux notamment l’ONU, la Banque Mondiale et les ONG internationaux sont les acteurs principaux jusqu’à nos jours. Ce sont eux qui ont la capacité de financer ces projets. Mais bien souvent ce sont des acteurs qui regardent le phénomène de l’extérieur. Certes, ils arrivent à réaliser des projets en échangeant avec les populations mais ce n’est pas toujours le cas. Nous verrons dans la partie suivante les complexités qu’il y a à concorder les directives générales données par les politiques et le projet spatial ou intervention physique réalisée. D’autre part les associations de quartiers et les ONG locaux sont des acteurs qui se développent aujourd’hui. Bien qu’ils n’aient pas le bagage financier que possèdent les grands acteurs internationaux, ils ont l’avantage de bien connaître les spécificités du lieu et les besoins premiers des habitants.

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“Empower shack” logements pour les plus demunis en Afrique du Sud, Urban Think Thank, 2016

III. DU DISCOURS POLITIQUE AUX PROJETS PRATIQUES: COMMENT GERER LES DIFFERENTES ECHELLES ? QUEL PLACE POUR L’ARCHITECTE?

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Ecole flottante MAKOKO, Lagos Nigeria, Kunlé Adeyemi, 2012

Fédération kenyane des habitants des bidonvilles au Kenya (crée en 1996). Elle a été formé par des habitants menacés d’expulsion, comme une voie de résistance contre les expulsions brutales et l’accaparement des terres

Amélioration des logements à Nairobi, Francisco J. Guerrero http://www.itd.upm.es/2014/02/27/ kambi-moto-unique-case-insitu-housing-upgrading-project/

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A_ EVOLUTION DES SPATIALITES EN FONCTIONS DES POLITIQUES MIS EN PLACE LE POUVOIR DU PEUPLE VS LA POLITIQUE D’ERADICATION DES BIDONVILLES: Le discours concernant l’éradication des bidonvilles, légitimé par le slogan de la banque mondiale de “Cities wthout slums” est une politique d’homogéneisation développée dans les années suivant l’indépendance des pays Africains. Le but était de faire disparaitre ces ‘parasites’ urbains afin d’aboutir à des villes de “classe mondiale” (Huchzermeyer) (voir partie II) De nombreux quartiers ont été détruits et souvent ils ont été remplacés par des logements collectifs inabordables. Mais s’arrêter à ce discours serait réducteur car la réalité est beaucoup plus complexe. Nous allons le voir, certaines villes africaines ont résistées à ces politiques mis en place à l’échelle mondiale et ont aboutis à des spatialités tout autres. Dans “City with slums”, Marie Huchzermeyer évoque plusieurs cas de villes africaines notamment en Afrique du Sud, au Kenya et Nigeria, qui ont résistées par l’action des habitants ou associations. Huchzermeyer évoque par exemple le cas de Johannesbourg. En 2004, lorsque la ville a été sélectionnée pour accueillir le tournoi de football de 2010, le gouvernement voulait absolument détruire tous les quartiers informels qui faisaient “taches” dans la ville. Parmi les quartiers qui étaient censés disparaitre: l’établissement de Harry Gawla situé, selon l’auteur, sur la route vers une destination touristique majeure. Huchzermeyer détaille comment les résidents de Harry Gawla, avec l’aide du conseil juridique et le soutien d’une ONG activiste, ont combattu les plans de relocalisation en faisant appel à une loi qui évite l’expulsion. Les détails du défi juridique présenté par Huchzermeyer fournissent une étude de cas utile sur la façon dont une initiative basée sur les droits a pu faire face à une politique anti-bidonville internationalement légitimé en bloquant les efforts de l’État pour expulser la communauté pendant plus de sept ans (Lisa Bjorkman ¨ Max Planck Institute for the Study of Religious and Ethnic Diversity Gottingen, Germany) LES DIFFICULTES DE PASSER DU DISCOURS AU PROJET: une question culturelle Parmi les projets d’Hassan Fathy, le projet pour le village de New Gourna, partiellement construit entre 1945 et 1948, est probablement le plus connu. Le village était censé être un prototype d’habitat populaire qui pourrait être reproduit dans toute l’Afrique. Pourtant l’architecte a plutôt choisi de répondre aux besoins individuels de chaque famille du village. 33


Cependant, toutes les meilleures intentions de l’architecte n’ont pas été suivies par la volonté des gens à coopérer dans la conception et la construction du village. Le projet a été beaucoup critiqué par les locaux, “ Trop précurseur, trop visionnaire, hors de son temps, voire d’une certaine manière anachronique” (Hassan Fathy dans son temps Leila El-Wakil, HAL, 2012), Hassan Fathy fut incompris par son peuple. Il y a plusieurs raisons à ces réceptions négatives. Tout d’abord les habitants ne voulaient pas quitter l’ancien village de Gourna. Bien situé proches des antiquités pharaoniques, le pillage et la revente était leur principale source de revenus, qu’ils ne veulent donc pas perdre. Deuxièmement, l’emploi de la terre crue, a été peu apprécié par les populations locales qui, ignorant les avantages thermiques et économiques du matériau, se souciait de son aspect “primitif”, contrairement au béton armé qui pour eux signifiait modernité et développement. Ils accusèrent même Fathy de vouloir “ maintenir les paysans prisonniers du Moyen âge”. La troisième critique, d’un aspect culturel vient de l’utilisation de voûtes et coupoles dans un programme résidentiel. Pour les égyptiens ceci n’est pas compatible car selon la tradition les voûtes rappellent le séjour des morts, il est donc évident que personne n’a voulu y vivre.

Master plan et photo du Village du Nouveau Gourna, Egypte

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-AMELIORATION SUR LE PAPIER MAIS PAS DANS LA REALITE Prenons un exemple d’un quartier précaire se situant dans une ville X. Ce quartier, supposons, n’a pas accès à l’eau ni à l’électricité et les habitants sont obligés de pirater les câbles électriques qui se trouvent aux alentours. Supposons maintenant qu’ONU-Habitat vienne ‘améliorer’ ce quartier en développant des infrastructures urbaines. A premier abord, nous sommes tous d’accord pour dire que la situation des habitants s’est améliorée: ils ont tous accès à l’eau et à l’électricité et vivent dans des conditions meilleures. Cette organisation internationale peut donc très bien écrire dans son carnet qu’ils ont amélioré la vie de tels nombres d’habitants. Mais en réalité, les habitants ne vont pas le vivre comme un succès. Maintenant que leur quartier est bien desservi par les infrastructures urbaines, il va de plus en plus attirer des personnes de la classes moyenne, qui vont venir s’installer. Les propriétaires des terrains, qui sont bien souvent différents des habitants sur place, peuvent désormais augmenter le loyer. Finalement, cette intervention va profiter les propriétaires, qui ne sont pas les plus touchés par la précarité. Elle va également profiter les personnes de la classe moyenne qui pourront s’installer en centre-ville. Mais en aucun cas cela va améliorer les conditions de vie des plus démunis. B_ TYPES D’INTERVENTIONS DES ARCHITECTES DANS LES QUARTIERS PRECAIRES - APPROCHE PAR L’INFRASTRUCTURE ONU-Habitat, ayant au sein de son équipe plusieurs architectes,

pilote de

nombreux projets d’amélioration des infrastructures dans les villes africaines. Elle permet de mieux intégrer les quartiers précaires à la ville et améliore dans certaines conditions la condition de vie de ses habitants.

Projet d’amélioration des infrastructures sanitaires à Nairobi, KENSUP, ONU-HABITAT

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Quoique cette intervention améliore les conditions de vie de beaucoup d’habitants, elle limite les revenus d’autres. Par exemple, fournir un accès gratuit à l’eau supprimera les ressources financières des vendeurs d’eau, qui ont établi des quantités considérables de capital pour installer leur robinets d’eau. Par ailleurs, comme vu précédemment, l’amélioration de cet infrastructure peut avoir pour autre effet d’augmenter la spéculation sur les loyers. (Huchzermeyer) - APPROCHE PROGRAMMATIQUE L’architecte peut également intervenir de manière ponctuelle en developpant differents programmes afin de dynamiser la communauté. Nous pouvons citer des projets d’espaces publics de Slum architects au Kenya ou encore de nombreux projets d’écoles dans des bidonvilles sur tout le continent. La critique repose ici sur le fait qu’il y ai peu de projets de logements qui sont realisés. Pourtant il me semble que c’est une question plus urgente. D’autrepart si on regarde des projets d’Urban think Thank au Venezuela, les architectes ont construit un centre sportif pour les jeunes du quartier. Mais pour sa realisation, il a fallu évacuer des habitations pour laisser de la place a ce projet. La question de l’interêt de ce type d’intervention peut alors être posée. Néanmois, dans le cas africain la construction d’écoles, d’espaces sportives et d’hopitaux manquent cruellement. Il me semble donc que c’est assez jusifié de concevoir ces nouveaux espaces dans les quartiers. - APPROCHE SOCIO-ECONOMIQUE Le VPUU est un projet qui a pour but d’instaurer la sécurité dans le quartier de Khayelitcha à Johannesbourg. C’est un projet realisé à plusieurs échelles qui utilise la conception comme un outil pour intervenir dans ce réseau de crimes présents dans le tissu urbain. Les architectes mettent en place un projet urbain pour l’ensemble du site. Ensuite un plan de quartier, sur une zone plus resserée, est realisé. Troisièmement les architectes mettent en place un plan d’un ensemble de projets d’espaces publics. Enfin ils interviennent également dans des domaines de l’éducation et améliorent la construction dans les zones du quartier où le taux de criminalité est considéré come le plus élevé. Ce projet a pu non seulement réduire la criminalité dans la région, mais aussi améliorer les conditions de vie des habitants. 36


- APPROCHE FONCIERE Des chercheurs comme Hernando de Soto se sont penchés sur la question de la sécurisation foncière des habitants précaires afin d’éviter des phénomènes l’expulsion des habitants des bidonvilles par le marché. Ceci nécessite par contre l’implication des politiques afin de faire appliquer les règles qui se mettent en place, en espérant que le problème de corruption n’intervient pas encore une fois. C_ COMMENT DOIT INTERVENIR L’ARCHITECTE DANS LES QUARTIERS PRECAIRES? “Nous avons besoin d’architectes et d’urbanistes d’un genre nouveau, prêts à donner et à participer à la recherche de solutions constructives et originales ! » (Somsook Boonyabancha, secrétaire général, Coalition asiatique pour les droits au logement, Londres, 3 juillet 2014) Il faudrait requestionner les principes d’urbanisme empruntés des pays du Nord, et se demander s’il ne faudrait pas l’adapter aux réalités multiples des villes Africaines. Le projet DPU- Development Planning Unit a été créé en 1954 par Otto Königsberger et elle cherche à « recadrer l’enseignement de l’urbanisme et de l’architecture tel que conçu par les pays du Nord, afin de mieux l’adapter aux attentes spécifiques, en termes de développement et d’attention au contexte historique, de ce que l’on appelait alors le «tiers monde ». En repenser les etudes d’architectes: L’éducation ne se limite pas à être formé et à «devenir sachant» (Cross, 2006) ; c’est aussi un moyen d’apprendre à se positionner, en tant qu’étudiant en architecture/urbanisme, comme un professionnel engagé. Quant à nous, les éducateurs, nous avons le devoir d’inciter les étudiants à réfléchir à leur place dans le champ professionnel qui les attend et, plus largement, dans le monde. » (Repenser les quartiers précaires, Agnès Deboulet)

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Il faudrait également que l’architecte évite d’imposer son expertise et laisser les habitants s’exprimer. Avec le projet de Charles Correa, Incremental Housing en Inde, le but est de créer un environnement de logements inachevés que les habitants sont libres d’aménager comme ils le souhaitent, en prenant le temps qu’ils leur faut. Plus tard l’architecte chilien Alejandro Aravena emploi ce concept pour Elemental, un projet qu’il réalise au Chili. Ceci est un concept intéressant, mais on peut la critiquer dans le sens où ce type de concept peut très vite être utilisé par les états comme un moyen de minimiser leurs dépenses publiques. En effet ils pourront réduire leur investissement pour la construction des logements populaires et laisser les habitants se débrouiller eux même pour financer la construction de leur logement.

Elemental, Alejandro Aranvena (Chile) 38


Pour conclure, nous avons pu identifier plusieurs formes et natures de complexités qui font évoluer les politiques et la situation des quartiers précaires sur le terrain. En commençant par la toponymie, on a assisté à un changement de regard allant d’une définition pessimiste et criminalisant du phénomène à une définition plus neutre selon des critères bien défini. Les bidonvilles, nous l’avons vu, sont des lieux d’hétérogénéités qui sont mal compris par la société ,qui, depuis des siècles, essaye de légiférer dessus selon des politiques d’homogénéisation qui permettrait de simplifier les situations et ainsi gérer au plus vite cette question. Les projets ainsi réalisés sont à l’origine de spatialités qui sont très génériques avec peu de liens avec la communauté. Les acteurs chargés de mettre en place des directives sur les bidonvilles ont également changés depuis l’indépendance des pays africains. Si au début la tâche était essentiellement réservée à l’état qui détruisait des quartiers entiers pour accueillir des projets de logements collectif, la situation a changé depuis les années 70. Avec la crise économique mondiale, les acteurs internationaux ont pris le relais pour « améliorer » les conditions de vie des habitants de quartiers précaires. Ils ont mis en place des conférences qui font participer des professionnels de différents domaines afin de sensibiliser sur la question du logement du plus grand nombre. Les projets sur place sont désormais de l’ordre de l’amélioration des bidonvilles et les architectes interprètent à leur manière ce que cela peut signifier. Ils mettent en place différentes approches afin d’améliorer les conditions des habitants. La dernière partie a permis de voir quelques projets intéressants d’amélioration de bidonvilles. Avec des méthodes et des approches très différentes les architectes arrivent à des résultats assez satisfaisants et arrivent à travailler avec le peuple. Mais comment l’architecte peut devenir plus utile et plus présent dans ce domaine ? Il est sûr que ces compétences sont essentielles dans la gestion de ces lieux mais il faudrait savoir si ce sont vraiment les projets ponctuels qui vont réellement permettre d’améliorer la situation dans les bidonvilles en Afrique. Il faudrait aussi étudier plus précisément comment les interventions des architectes peuvent devenir plus efficaces, et éviter des phénomènes de fétichisation des bidonvilles qu’on voit apparaitre dans des écrits et des projets récents d’architectes dans le monde.

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RESUME / ABSTRACT ZOOM: Kibera, un des plus grands bidonvilles d’Afrique. Une étude de cas nous permet de rentrer dans la question de la gestion des quartiers précaires en Afrique. Nous constatons que les hétérogénéités au sein même d’un quartier ne sont pas propres à Kibera. DEZOOM: En effet tout le continent est marque par des complexités, d’où la difficulté de trouver une réponse au phénomène. Les villes africaines sont des lieux d’urbanisation rapide et d’augmentation exponentielle de population. Ce sont des lieux complexes qui ne cessent de se densifier. Aujourd’hui, elles sont composes de 60 à 95 % de quartiers précaires où des habitants sont mal loges, et mal desservis. Des programmes d’amélioration de bidonvilles sont lancés, mais fonctionnent-ils réellement ? Comment arriverons nous à loger correctement les urbains dans les années à venir? Comment l’architecte du XXIème siècle aborde-t-il cette complexité ? En 40 ans un véritable changement de regard a lieu. Nous sommes passés de l’éradication à l’amélioration des bidonvilles, du moins sur le papier. Mais comment passer de ces politiques générales au projet spécifique? Quelles spatialités se créent dans les villes? Nous sommes confrontés aujourd’hui à la prolifération de constructions génériques qui posent question sur les rapports de l’architecture et du lieu. Comment l’architecte doit-il procéder pour répondre à ces besoins spécifiques? En s’appuyant sur des exemples de projets nous verrons quelles type d’approches dans l’amélioration des taudis ont mieux fonctionné que d’autres. Mots clés : Nairobi - Afrique - Quartiers précaires - Quartiers informels - Politiques urbaines - Acteurs internationaux - Sécurité du logement - Amélioration des bidonvilles

ZOOM: Kibera, one of the largest slums in Africa. A case study allows us to get into the question of the management of precarious neighborhoods in Africa. We find that the heterogeneities within a neighborhood are not unique to Kibera. DEZOOM: Indeed the entire continent is marked by complexities, hence the difficulty of finding an answer to the phenomenon. African cities are places of rapid urbanization and exponential increase in population. These are complex places that are becoming denser. Today, they are composed of 60 to 95% precarious neighborhoods where people are badly housed, and poorly served. Slum upgrading programs are launched, but do they really work? How will we be able to properly house the urban population in the years to come? How does the architect of the 21st century approach this complexity? In 40 years a real change of outlook has taken place. We went from eradication to slum upgrading, at least on paper. But how do we go from these general policies to the specific project? What spaces are created in cities? Today we are confronted with the proliferation of generic constructions that pose questions about the relationship between architecture and the site. How should the architect proceed to meet these specific needs? Using examples of projects, we will see what type of slum improvement approaches have worked better than others. Keywords: Nairobi - Africa - Precarious Neighborhoods - Informal Neighborhoods - Urban Policies - International Players - Housing Security - Slum Upgrading


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