LA CODIFICATION DES PRATIQUES MARTIALES Une approche socio-historique Benoît Gaudin Le Seuil | « Actes de la recherche en sciences sociales »
ISSN 0335-5322 ISBN 9782020987332
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2009/4 n° 179 | pages 4 à 31
LUTTEURS, tableau de Jean-Alexandre-Joseph Falguière (1831-1900).
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Benoit Gaudin
La codification des pratiques martiales
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Les arts martiaux, qu’il s’agisse de duel, lutte, boxe, self-défense et autres combats codifiés n’existent pas en eux-mêmes : ils sont ce qu’en font et disent les hommes et les femmes qui les pratiquent. Plongés dans des contextes historiques, sociaux et culturels spécifiques, qui les façonnent et les transforment sans cesse, ils sont modulables et changeants, en interaction constante avec le monde des sports, perméables aux influences sociales, politiques et économiques, et liés les uns aux autres par delà les pays et les cultures. Loin d’être composé d’isolats immuables, le monde des combats codifiés se révèle bien différent des visions indigènes généralement véhiculées par les pratiquants et les maîtres. L’histoire de ces combats codifiés est marquée par la force d’attraction du modèle sportif occidental, caractérisé par une évaluation de l’excellence fondée sur des critères objectifs et/ou quantifiables, au cours de compétitions régies par des règlements écrits, universels et appliqués par un corps d’arbitres habilités par des institutions de type fédération. Même si ce mode d’organisation est paradoxalement très minoritaire parmi l’ensemble des formes de combat actuelles, il constitue, depuis son élaboration à la fin du XIXe siècle, la référence principale du champ des pratiques de combat. Depuis plus d’un siècle, il reste le modèle dominant, celui qui s’applique par défaut et s’impose comme une évidence à ceux qui entreprennent de structurer une activité de combat. Ce mode d’organisation n’en est pas pour autant hégémonique. Et c’est là une particularité forte du monde des combats : le modèle sportif y est en concurrence avec d’autres conceptions de ce que peut être l’affrontement
agoniste entre deux hommes. L’étude comparée des combats nous révèle qu’ils sont traversés par d’autres logiques que la logique sportive. La principale d’entre elles est la politique. Celle-ci influence le monde des combats dès la seconde moitié du XIX e, c’est-à-dire en même temps que s’inventent les sports modernes. Par son ancienneté, cette influence politique est particulièrement profonde. On en observe la marque dans l’ancrage national des pratiques de combat actuelles qui sont, dans leur grande majorité, associées à des drapeaux, à des nations. Cette empreinte du politique sur le combat s’appuie sur la dimension symbolique des combats codifiés. Force, courage, agilité, vitesse, feinte, élégance, contrôle de soi, victoire mais aussi chute, échec, douleur, défaite et humiliation : toute une gamme de qualités, de comportements et d’attitudes se donne ici à voir de façon crue, directe, dépourvue des mille et un artifices du jeu des conventions sociales qui servent habituellement à sauver les apparences. Si le combat est une parenthèse dans le temps social, balisé par des rituels de début et de fin, cela lui confère des propriétés particulières, notamment une capacité à représenter, à donner en spectacle des façons de faire et des façons d’être en situation de conflit. C’est cette dimension symbolique des combats qui attire tant les hommes politiques et les culturalistes : elle autorise les équations métonymiques entre combat et nation, ou entre combat et culture. Une autre dynamique majeure dans la structuration du champ des combats codifiés découle de la logique marchande. Elle est à l’œuvre, elle aussi de façon déterminante et dès le XIX e siècle (boxe), à l’occasion de la codification des combats-spectacles
ACTES DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES numéro 179 p. 4-29
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Une approche socio-historique
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tournés vers les paris. On la retrouve souveraine dans le grand mouvement d’importation d’activités « exotiques » par les pays riches qui se déroule à partir des années 1960 : la demande occidentale crée un effet d’aspiration qui suscite des filières d’immigration de professionnels de l’enseignement. La logique commerciale est en outre prépondérante dans la régulation de l’offre et de la demande des différentes activités en concurrence sur les marchés internationaux de l’enseignement et des spectacles des combats. La boxe française et le jujitsu disparaissent ainsi à une époque, avant de ressurgir plusieurs décennies plus tard ; de nouvelles formes de combat sont créées par des promoteurs de pratiques qui décèlent un créneau porteur et conçoivent un produit martial susceptible d’occuper une nouvelle niche de marché. Pour compléter la liste des dynamiques qui façonnent le champ des combats codifiés, il faut mentionner l’action des pédagogues, qui ont historiquement exercé un rôle prépondérant pendant la première moitié du X X e siècle, quand diverses pratiques de combat furent impliquées dans des entreprises institutionnelles d’instruction de masse. Cette influence pédagogiste, qui assigne au combat un but supérieur, celui de la formation collective (culturelle, nationale, morale, éthique, spirituelle ou autre) des pratiquants, reste une dimension constitutive de bon nombre de combats actuels, notamment de toutes les activités qui revendiquent être « autre chose qu’un combat ». En outre, depuis que les combats sont devenus, sauf exceptions, des activités professionnelles d’enseignement, la relation enseignant/enseigné les façonne en profondeur : la compétence principale qu’on attend des maîtres et experts concerne au moins autant leur pédagogie que leur aptitude au combat. Et pour l’immense majorité des pratiquants actuels non professionnels, la pratique semble constituer une démarche continue d’apprentissage, voire d’initiation. À la fois portées par ces dynamiques et prises en tension entre leurs influences respectives, les diverses formes de combat se positionnent, oscillent et se déplacent entre des pôles que sont sportivisation et symbolisation, universalité et spécificité culturelle, efficacité et esthétique, diffusion internationale et repli communautaire. Jusqu’aux années 1960, la tendance générale est à l’unification et la standardisation : le nombre d’activités et de leurs variantes est en nette diminution, sous l’influence croisée des dynamiques de transformation en « combat-nation », puis en « sport de combat » et, dans la sphère japonaise, en budo version Butokukay (cf. infra, p. 93). Les combats codifiés s’orientent alors vers une unification
de leurs variantes, une réglementation croissante et une structuration centralisée autour d’institutions nationales voire internationales. À partir des années 1960, une tendance inverse se dessine, menant à une multiplication des activités, variantes et styles et même à l’apparition de formes dérivées qui ne relèvent plus à proprement parler du combat codifié (aérobic, chorégraphies, acrobaties, thérapies, etc.). Cette tendance démultiplicatrice est portée par des dynamiques de culturalisation, de spectacularisation et de spiritualisation, mais aussi par des dynamiques liées à d’autres préoccupations : remise en forme, exotisme, thérapies alternatives, auto-défense, etc. La particularité de cette seconde période réside dans l’accumulation des différentes versions de combats codifiés : une version nouvelle ne remplace pas une version antérieure, mais s’y surajoute. Telles des strates qui s’accumulent, les plus anciens combats (escrime, boxe, judo) continuent d’attirer alors que les nouveaux semblent chacun trouver des niches de développement. Il reste à étudier les raisons de l’absorption par le marché de toutes ces variantes de combat. Cette périodisation binaire cache en fait un déroulement plus complexe. Historiquement, le monde des combats codifiés est traversé par plusieurs tendances qui, loin de se succéder mécaniquement, se développent à des époques et des rythmes différents, se chevauchent ou s’opposent, créant des tensions qui culminent en des événements-charnières qui constituent autant de ruptures. Une trame d’influences se tisse ainsi, mêlant et alternant des tendances parfois congruentes, parfois concurrentes. Cette trame varie bien évidemment selon les contextes culturels et historiques ; elle n’en est pas moins composée d’un nombre limité de tendances lourdes, de lames de fond porteuses de changements analogues, qui évoquent au lecteur attentif des similitudes troublantes et qui autorisent des regroupements chrono-thématiques.
Du combat réel au combat codifié Les combats qui existent actuellement partagent un point commun, systématiquement occulté par les maîtres et autres gradés : ils ont été transformés de combats réels en activités codifiées et sont en conséquence régis par un dispositif de contention de la violence. Il semble a posteriori que les formes de combat qui n’ont pas subi ce changement ont cessé d’être pratiquées (souvent à la suite de campagnes de répression) ou sont restées confinées dans une sphère d’influence très limitée. Au titre des disparitions, signalons par exemple les « cousins » de la capoeira, comme le mani cubain ou le ladja martiniquais1 qui, faute d’avoir été
1. Robert Farris Thompson, “Black martial arts of the Caribbean”, Review: Latin American Literature and Arts, 37, janvier-juin 1987, p. 44-47.
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Benoit Gaudin
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transformés en combats euphémisés, ont été interdits puis réprimés jusqu’à leur disparition totale, y compris des mémoires collectives. Aucune des formes de combat homme à homme existant actuellement ne sert, concrètement, à faire la guerre ni à tuer, malgré le titre de « martial » que certaines d’entre elles revendiquent. Elles ont toutes, à des dates diverses selon chaque contexte, quitté le monde de la « vraie bagarre » ou du « vrai duel » pour entrer dans celui du combat retenu. Là où l’on cherchait à blesser, voire à tuer l’adversaire, on ne cherche plus qu’à imposer sa supériorité physique ou technique sur l’autre, sans attenter radicalement à son intégrité physique. Dans ces combats, la mort d’un combattant est devenue un drame, un accident regrettable, alors qu’elle en était auparavant un dénouement logique, voire recherché. Le niveau de violence interindividuel a diminué de manière radicale (sans pour autant disparaître)2, illustrant de façon canonique le processus d’euphémisation de la violence mis en évidence par Norbert Elias3. Il n’y a pas d’unité temporelle dans ce processus. Certains combats sont codifiés depuis probablement plusieurs siècles, notamment en Afrique, en Inde, dans le Caucase, dans tout le Moyen et le ProcheOrient et l’Asie du Sud-Est. Les études sur la lutte iranienne par Philippe Rochard4, le bharatiya kushti par Joseph Alter5, les luttes africaines par Sigrid Paul6 ou le kanuragan par Jean-Marc de Grave7 en témoignent de manière exemplaire. Dans ces régions-là, l’ancienneté de la codification rend difficile la recherche des circonstances dans laquelle elle s’est déroulée. Dans d’autres parties du monde, les combats qui existent aujourd’hui ont subi le passage du combat réel au combat codifié à une époque plus récente. En Europe, la première forme de combat affectée par cette dynamique est le combat à l’épée, avec l’apparition à la Renaissance des premières salles d’entraînement tenues par des maîtres d’armes donnant des leçons aux jeunes nobles des grandes villes d’Italie. C’est dans ce contexte qu’est inventé le fleuret, arme volontairement mouchetée pour éviter les blessures8. À la même époque, le Japon de l’ère Edo (1603-1868) désarme peu à peu les samouraïs et sublime leur habitus guerrier en un code d’honneur, le bushido9. Ici aussi l’arme de combat est remplacée par une arme d’entraînement. Début XVIIIe, en Angleterre, une première salle d’enseignement de boxe s’ouvre à Londres : l’activité 2. La violence est constitutive du combat, les codifications ne font que graduer son niveau de contention ou d’émulation. 3. Norbert Elias et Eric Dunning, Sport et civilisation : la violence maîtrisée, Paris, Fayard, 1986. 4. Philippe Rochard, « Le “sport antique”
des zurkhâne de Téhéran : formes et signification d’une pratique contemporaine », thèse de doctorat en ethnologie, Université de Provence Aix-Marseille I, 2000, non publiée. 5. Joseph S. Alter, The Wrestler’s Body: Identity and Ideology in North India, Berkeley,
n’est pas encore codifiée par un règlement, mais elle se distingue déjà du combat de rue. Dans le Nouveau Monde, il faudra attendre l’insertion de facto (postérieure à celle de jure) des descendants d’esclaves dans les sociétés créoles pour assister à la pacification de leurs combats : pour être admis en tant que citoyens, il leur faudra abandonner les traditions « nègres » et « pacifier leurs mœurs » pour entrer dans le moule des canons culturels européocentrés de ces sociétés. Quelle que soit l’époque de leur « pacification », toutes ces formes de combat euphémisées présentent des caractéristiques communes. En premier lieu, elles débutent par une forme de salut, quelle qu’elle soit, mais qui marque l’entrée dans une sphère de la réalité qui répond à une norme de comportements spécifiques. Le geste de salut indique ici que les règles en vigueur dans le monde « normal » sont mises en suspens et qu’une certaine dose de violence interpersonnelle (découlant de l’engagement corporel dans l’agôn) est alors tolérée. Second point commun, ces combats retenus ne sont plus pratiqués n’importe où, mais dans des espaces précis (aires, salles, enclos, etc.) qui ont peu à peu été réservés à leur exercice. En effet, le salut n’est pas simplement marqueur de temps, il est aussi marqueur d’espace : il inscrit le moment du combat dans un lieu qui lui est propre. Enfin, dans ces combats euphémisés, on assiste bel et bien à une modification des gestes, malgré tout ce que disent les maîtres sur la sacro-sainte continuité historique de la pratique qu’ils enseignent. Première modification gestuelle : les gestes ne servent plus à tuer. La nouveauté est aussi simple que radicale. Sur ce point, les judokas sont tout sauf des samouraïs. De même, les capoeiristes d’aujourd’hui ignorent souvent que leur activité s’exerçait avec un coutelas, qui servait à balafrer et à éventrer. De ce changement majeur découlent, en cascade, d’autres modifications gestuelles. On est passé de combats dans lesquels, a priori, « tous les moyens sont bons » et donc « tous les coups sont permis », à des combats où certains gestes sont interdits, parce que potentiellement meurtriers. La suppression de ces gestes crée un précédent et ouvre la voie à un tri parmi les autres gestes. La capoeira, qui se pratiquait éventuellement en préhension est ainsi devenue une forme de combat en percussion. Puis sans contact. Outre les boxes française et anglaise, il semblerait également que le karaté (ou du moins certaines de ses variantes) ait subi une évolution University of California Press, 1992. 6. Sigrid Paul, “The wrestling tradition and its social functions”, in William J. Baker et James A. Mangan, Sport in Africa: Essays in Social History, New York-Londres, Holmes and Meier Publishers, 1987, p. 23-46. 7. Jean-Marc de Grave, Initiation rituelle et
arts martiaux : trois écoles de « kanuragan » javanais, Paris, L’Harmattan, 2001. 8. Pierre Lacaze, En garde : du duel à l’escrime, Paris, Gallimard, 1991. 9. Donn F. Draeger, The Martial Arts and Ways of Japan, New York, Weatherhill, 1973 (t 1), 1974 (t. 2).
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La codification des pratiques martiales
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similaire. Au terme de ce processus de modification motrice, certaines activités se sont orientées vers une spécialisation en percussion, d’autres en préhension. La disjonction avec le combat réel génère également des questionnements sur l’utilité de telles formes euphémisées. Pourquoi pratiquer ces combats s’ils ne servent plus à supprimer l’adversaire ? Diverses réponses ont été apportées, en adjoignant à ces combats d’autres fonctions : rituelles, thérapeutiques, philosophiques, de spectacle, éducatives ou plus récemment sportives. Aujourd’hui, cette disjonction fondamentale d’avec le combat réel se manifeste par le doute qu’elle a instauré sur l’efficacité de ces activités : un débat récurrent sur ce thème agite la communauté des pratiquants, de manière stérile puisque aucune situation de la vie « réelle » (hors salle ou ring) ne permet de la tester. Enfin, la codification génère une forme d’affrontement spécifique : des combats menés dans un contexte normé, régi par des codes dont l’application est contrôlée par des arbitres ou des maîtres. Il s’agit d’une nouveauté par rapport aux combats « réels » qui étaient, soit non réglementés, soit réglementés par des conventions au cas par cas, comme dans les duels à l’épée de la Renaissance. La codification des combats inverse donc la relation du combattant à l’activité : les combattants ne sont plus les décideurs des conditions de leur affrontement, mais doivent se conformer à des injonctions préétablies et valables pour tous. En corollaire à cette codification, l’existence de règles rend possible l’entraînement spécifique aux seules techniques autorisées. Bien avant le sport moderne et bien loin de leur berceau (l’Angleterre), de telles compétitions et de tels entraînements étaient, par exemple, courants dans l’Afrique précoloniale, avec des rencontres intervillages ou régionales soumises à des « règles strictes et un arbitrage sourcilleux10 ». Euphémisation de la violence, restriction et spécialisation gestuelle, cadre temporel et spatial spécifique, fonction annexe assignée à l’activité, contrôle par un tiers, entraînement spécifique : le partage de ces caractéristiques communes par la totalité des arts martiaux, boxes, sports de combat, lutte et autres, autorise à les réunir dans un même ensemble, à les constituer en tant que membres d’un seul groupe, d’une seule et unique famille d’activités. Faute de mieux, on peut nommer ce groupe d’activités « combats codifiés » ou, pour des besoins d’écriture, « combats ». L’avantage de ce concept est d’éviter les dénominations spécificatrices, qui visent à créer des sous-ensembles à l’intérieur de cette famille d’activités par le biais de vocables tels que « martial », « sport », « do », etc. De telles catégories ne
sont pas des données, mais des constructions sociales qui ont été élaborées petit à petit, au fur et à mesure que ces activités, longtemps relativement étrangères les unes aux autres, ont été prises dans un jeu d’interactions de plus en plus dense autour d’enjeux professionnels, commerciaux et symboliques communs. C’est dans le cadre des interactions autour de ces enjeux communs que les promoteurs de ces activités ont instauré des appellations distinctives pour marquer et défendre leurs positions au sein de ce qui s’est progressivement constitué en un véritable champ sociologique. Le but de cet article étant justement de retracer la structuration de ce champ par la mise en évidence du processus de construction de ces catégories distinctives, il ne serait être question ici de retenir l’une d’elles, chargée de ses connotations partisanes, valorisantes ou dévalorisantes, pour s’en servir de catégorie d’analyse. À l’intérieur de ce groupe des combats codifiés, un certain nombre d’activités a traversé un processus spécifique : elles ont été transformées en services marchands, plus précisément en activités professionnelles de spectacle et/ou d’enseignement. Les modifications qui ont affecté ces combats sont telles qu’il semble pleinement justifié de parler de rupture.
Le spectacle et la professionnalisation des combattants La figure du combattant professionnel moderne apparaît en Angleterre au XVIIIe siècle, dans le cadre de combats-spectacles sur lesquels on mise de l’argent11. Les lutteurs commencent à se consacrer exclusivement à cette activité à partir du moment où les paris (et donc les gains) réunis autour de certains combats commencent à atteindre des montants suffisants. L’ampleur croissante des paris entraîne un autre effet : elle renforce la codification de l’activité. On tend en effet à vouloir contrôler et maîtriser les conditions de déroulement des combats en garantissant un cadre convenu à l’avance. Les règles de Broughton (1743), les London Prize Ring Rules (1838) et les règles du Marquis de Queensberry (1867) posent ce cadre. Norbert Elias, puis Georges Vigarello ont mis en évidence le rôle majeur de ces règles dans l’abaissement du seuil de violence toléré dans les combats12. Mais ils n’ont pas souligné combien elles permettaient l’accroissement des sommes d’argent mises en jeu. Or, règles et paris se renforcent en boucle : l’augmentation des paris incite à un renforcement du cadre réglementaire qui, en retour, garantit un cadre de déroulement des combats favorable à la prise de risques
10. S. Paul, op. cit., p. 31. 11. L’Antiquité connaissait aussi des professionnels du spectacle de combat. Mais on n’en trouve plus trace après la Rome antique. 12. Georges Vigarello, « La technique sportive : reflets changeants », in Claude Genzling, Le Corps surnaturé. Les sports entre science et conscience, Paris, Autrement, 1992, p. 38.
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Luptate ex eum ex
LORE VEL ET ADIT iriuscilisci tat. Ut ad ex erostrud tem velismolore dit atisit adit augiamet ullandreet eugait adiat. Ut ulla faci et, qui tatio odit aliquiscil esse tate essent prate commolore con voloborper sim quam nullan veriure facidunt ad ming essi.
EADWEARD MUYBRIDGE, Album sur la décomposition du mouvement, Animal Locomotion.
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13. Philippe Bordas, L’Afrique à poings nus, Paris, Seuil, 2004. 14. Jean-Yves Ruszniewski et Bali Saley Boubé, Kokowa, la lutte traditionnelle au Niger, Saint-Maur-des-Fossés, Sépia, 2005.
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15. Liliane Fujimori, « Le sumo – Pour en savoir davantage », in Kazuhiro Kirishima, Mémoires d’un lutteur de sumo, Arles, Picquier Poche, 2001, p. 243 ; Lora Sharnoff, Grand Sumo: The Living Sport and Tradition, New York, Weatherhill,
en opposition au modèle « sport de combat » symbolisé par la boxe, alors que d’autres s’en sont inspirés, parfois de manière explicite.
L’enseignement et la professionnalisation des maîtres Parallèlement à la professionnalisation des combattants, certaines formes de combat ont été affectées par une autre dynamique de commercialisation : elles ont été transformées en éducations physiques marchandes. Les combats qui ont traversé ce processus ont vu se modifier de manière radicale leur configuration sociologique. Dans ces nouvelles activités « en salle » des grandes villes européennes et japonaises, l’enseignant est devenu un professionnel rémunéré pour ses services par des apprenants qui sont ses clients. Il s’agit là d’une constatation qui relève du truisme dans le monde des services, mais les réticences du milieu des combats à reconnaître cet état de fait sont unanimes ; elles sont d’ailleurs révélatrices d’une dimension spécifique à ces activités, qui reste à analyser, sur l’ambiguïté de l’économie symbolique de la relation de transmission des savoirs dans les combats codifiés. Au Japon, l’ère Edo (1603-1868) avait privé l’ancienne caste des guerriers (les bushi) de champs de batailles par une longue période de paix intérieure et de fermeture du pays aux étrangers. Les bushi se sont réfugiés dans l’enseignement en ouvrant des ryûgi (ou ryûha), écoles dans lesquelles ils monnayaient la transmission de leur savoir16. Dans l’Angleterre de la Révolution industrielle, les premières salles de boxe ont été ouvertes par les mêmes boxeurs rémunérés pour leurs prestations de spectacle. Ils ont créé des cours en centre-ville et y enseignaient à ceux-là mêmes qui les faisaient boxer auparavant : les représentants de la noblesse et de la haute bourgeoisie urbaine. Les jeunes nantis de la bonne société britannique, qui s’approprièrent une activité que leurs pères réservaient jadis à leurs employés (les « sports par procuration » de Pociello), voulaient afficher leur courage physique et montrer que, eux aussi, étaient capables d’affronter leurs adversaires. Mais, comme ils n’étaient pas disposés à risquer leur intégrité physique dans des déchaînements de violence, ils évitèrent la boxe spectacle et consacrèrent une activité en salle qu’ils nommèrent « noble science » ou « escrime des poings » dans laquelle les coups sont portés, certes, mais sans 1993 et Joseph R. Svinth, Kronos: A Chronological History of the Martial Arts and Combative Sports (1900-1939), Electronic Journals of Martial Arts and Sciences, 2004, http://ejmas.com/kronos/ NewHist1900-1939.htm.
16. Jean-Luc Boilleau, « L’agôn dans le judo et dans la vie des hommes », Daruma – Revue d’études japonaises, 8-9, spécial « Arts martiaux », automne 2000printemps 2001, p. 233.
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financiers. La même logique qui avait affecté la boxe prévaut dans la codification d’autres combats. La boxe thaï, mais aussi certaines luttes africaines telles que la lutte sénégalaise13 ou le kokowa nigérien14 se sont également dotés d’une réglementation contraignante et précise sous l’influence des enjeux liés aux volumes des paris misés sur les combats. C’est également selon cette dynamique que le sumo est devenu la première forme de combat extrême-orientale à se transformer en sport de combat15. En subordonnant leur action à un nouveau cadre réglementaire pré-établi, les arbitres perdent le privilège du recours à la partialité : ils ne sont plus sur le ring pour exercer leur bon vouloir, mais pour appliquer un règlement. Leur propre action est jugée et sanctionnée à cette aune. Ainsi la boxe s’affranchit-elle de son lien à l’Angleterre au cours du XIXe : elle cesse d’être une pratique locale, strictement représentative de ce pays. En revanche, elle y gagne en universalité et intègre de ce fait le groupe des tout premiers sports modernes. Outre cette universalité, une seconde caractéristique de cette « boxe devenue sport », qui sera commune à tous les autres combats sportivisés, est sa structuration sur la base de critères d’évaluation objectifs, sinon quantifiables. Comme dans les autres sports, la performance est, soit mesurable dans une unité quelconque (temps, distance, etc.), soit repérable par une ligne de démarcation (de terrain, d’aire, de zone) qui objective un franchissement synonyme de succès ou de faute. Le pied du lutteur de sumo qui déborde la ligne de l’aire de combat ou le chronométrage du temps passé au sol par le boxeur groggy sont ainsi soumis à une surveillance maniaque confiée à des experts dotés des meilleurs moyens de contrôle possibles. Il s’agit en effet de ne laisser que la plus petite place possible au doute, à la contestation ou à l’interprétation et donc de garantir le plus haut degré possible d’objectivité. Universalité et objectivité : c’est en référence à ces caractéristiques que se construit le monde des combats à partir de la sportivisation de la boxe. Depuis que la boxe anglaise est devenue un sport de combat, elle sert en effet de référent dans le monde des pratiques de combat : un référent à imiter ou, au contraire, un référent-repoussoir dont on cherche à se distancier. Depuis que les règles de Queensberry se sont imposées, dans les dernières décennies du XIXe siècle, plus aucune autre forme de combat codifié n’a pu faire abstraction de ce modèle. Un grand nombre a évolué
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la détermination et la rage désespérées des anciens bouchers ou bateliers en quête de professionnalisation pugiliste. La boxe a ici bénéficié de la particularité de la culture somatique des classes dirigeantes britanniques, fondée sur l’engagement corporel et le défi physique comme source de leur « caractère », culture somatique qui a abouti historiquement à la formation des divers sports modernes17. La présence de ces jeunes dandys dans le monde de la boxe fut également déterminante pour l’imposition des règles de contention de la violence dans les combats. Pour les boxeurs professionnels, d’extraction populaire, l’activité d’enseignement dans les salles du « noble art » servait à prolonger les carrières, parfois jusqu’à un âge avancé. La boxe offrait la possibilité d’une double carrière, contrairement aux diverses formes de luttes qui, ailleurs en Europe, restaient cantonnées aux spectacles de foire. Quand d’autres pays imitèrent le modèle culturelsomatique britannique (les sports modernes), d’autres combats comme la savate, le bâton, le judo ou la capoeira se développèrent eux aussi en tant qu’activités professionnelles d’enseignement. Dans ces combats devenus éducations physiques, l’évolution vers une activité en salle induisit des changements similaires, notamment dans leur configuration sociologique : alors qu’ils ne concernaient auparavant que des groupes socio-économiques relativement homogènes, ils sont devenus, principalement au tournant du XIXe et du XXe siècles, des activités d’acculturation, en passant d’une transmission entre pairs à une transmission entre représentants de groupes sociaux différents. En effet, les enseignants provenaient souvent d’un milieu social et/ou culturel distinct de celui de leurs élèves et apparaissaient ainsi comme des intermédiaires culturels, c’est-à-dire des personnes qui avaient à la fois des liens (familiaux, affectifs, relationnels) avec la communauté originelle de l’activité, qu’elle soit populaire (savate, capoeira) ou noble (héritée des samouraïs), mais qui avaient été scolarisés, professionnalisés et intégrés parmi d’autres groupes sociaux. Ces intermédiaires culturels transmettaient leurs savoirs à des apprenants qui se recrutaient dans les premiers temps parmi la bourgeoisie et la haute bourgeoisie citadines. Cette modification de la structure sociologique de la transmission des techniques de combat provoque en cascade plusieurs changements. La nouvelle distance sociale entre enseignants et apprenants se manifeste par l’apparition de termes nouveaux, qui témoignent de l’exotisme sociologique qui caractérise les interactions entre ces deux populations.
Des vocables comme maître, académie, art, science et le terme japonais do font alors leur apparition pour s’appliquer à des personnes, des lieux et des pratiques qui étaient auparavant stigmatisés. La boxe anglaise devient la noble science puis le noble art, les simples techniques ( jutsu) accèdent au rang de voie (do), le simple combattant doué devient maître, sa salle une académie et son enseignement un art : quand la haute société s’empare d’une activité, elle lui attribue des appellations prestigieuses et valorisantes. Le terme « art » joue sur sa polysémie : à l’origine, il fait référence à l’acception ancienne du terme, qui a donné « artisan » et qui signifie « technique », comme dans l’article Arts de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Par la suite, son aura esthétisante entraîne un glissement vers son acception actuelle ; les anciennes techniques de combat se retrouvent sur le même plan que les spécialités des sept Muses de l’Antiquité. Ainsi, les pratiquants anglo-saxons n’hésitent-ils pas aujourd’hui à se qualifier d’« artistes martiaux » (martial artists). Le qualificatif « martial » est, quant à lui, paradoxalement attribué à des formes de combat qui ont justement cessé d’être utilisées sur les champs de bataille, supplantées par les armes à feu. Les préoccupations esthétisantes des clients des premières salles d’entraînement transparaissent non seulement dans le vocabulaire, mais également dans les gestuelles, notamment dans les coups de pied, qui se donnent de plus en plus haut. Parmi les formes de combat qui, actuellement, accordent une place de choix à ces coups de pied hauts (au niveau du plexus, des épaules puis de la tête de l’adversaire), la plupart n’ont développé cette spécificité qu’à partir de ce moment-là. En savate, ils apparaissent avec l’arrivée des représentants de la noblesse dans les premières salles d’entraînement parisiennes, à l’initiative d’un ancien danseur d’opéra18. En capoeira, ces gestes aujourd’hui si emblématiques de l’activité étaient peu utilisés avant le début du XXe siècle, car ils sont faiblement efficaces dans le combat réel (voir infra l’article sur la capoeira, p. 52). En Europe et dans le monde occidental, le geste haut et la dimension aérienne ont longtemps été l’apanage de la noblesse19. En Asie, où la symbolique du corps est tout autre, il semble que la gestualité aérienne du taekwondo soit l’une des innovations majeures liées à la mise en forme de cette activité dans les années 1950. Une nouvelle pédagogie accompagne ces changements : une pédagogie livresque et rationnelle. Livresque, car elle se formule dans des ouvrages, souvent rédigés par les premiers gérants des nouvelles salles
17. James A. Mangan, “Social darwinism, sport and english upper class education”, Stadion, 6, 1982, p. 92-115. 18. Jean-François Loudcher, Histoire de la savate, du chausson et de la boxe française (1797-1978). D’une pratique populaire à un sport de compétition, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 21. 19. Georges Vigarello, Passion sport. Histoire d’une culture, Paris, Textuel, 2000, p. 41.
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d’entraînement. Ces premiers ouvrages sont, à leur époque, à la pointe de la modernité : ils ont volontiers recours à des attributs ou à des technologies nouvelles telles que la publicité, la photographie ou même les disques 78 tours (pour le capoeiriste Maître Bimba). Ils s’adressent à la clientèle aisée de leurs salles et sont parfois suscités, voire éventuellement rédigés en sous main par ces nouveaux apprenants. Ces ouvrages sont typiquement intitulés « Méthode ». En effet, ils ne se contentent pas de décrire les mouvements, coups et bottes, mais proposent une organisation progressive et structurée des apprentissages, qui culmine avec la matérialisation des paliers de l’apprentissage sous forme, par exemple, de ceintures de couleur. Ces méthodes rationalisent ainsi l’apprentissage selon un schéma familier au public scolarisé auquel elles s’adressent. On intègre ici pleinement la sphère des éducations physiques. L’organisation structurée des apprentissages, fondée sur une progression pédagogique, encadrée par des enseignants investis d’une autorité statutaire et formalisée dans des ouvrages de méthode : l’ensemble de ces changements entraînent d’autres changements, qui vont dans le sens d’une rationalisation de l’activité. En effet, la nouvelle façon de transmettre les savoirs mène à une standardisation gestuelle et à une homogénéité motrice parmi les apprenants. Les ouvrages de méthode permettent une diffusion au-delà de la simple salle du maître : la méthode peut être reprise par d’autres enseignants, la pratique peut se diffuser et le nombre de pratiquants croître. Standardisation motrice et diffusion démographique rendent plus facile l’expansion géographique d’une activité et l’organisation de rencontres réglementées. Rationalisation de l’apprentissage, standardisation motrice : c’est également en référence, mais aussi souvent en opposition à ces caractéristiques que s’est constitué le champ des combats actuels.
Les « combats-nations » Le champ des pratiques de combat traverse un moment charnière dans la seconde moitié du XIX e siècle quand un élément exogène aux formes de combat, le nationalisme, commence à y exercer son influence. La politique s’empare alors du combat : elle lui fixe un cadre, qui est très souvent celui de la nation. Depuis lors, chaque forme de combat (ou presque) se voit associée à un drapeau. Dans ce domaine comme dans les autres, le nationalisme implique que la nation soit représentée par une forme unique qui lui soit spécifique. Cette équation
entre nation et combat est nouvelle, dans la mesure où elle suppose l’apparition du concept de « nation » qui est lui-même largement une création du XIXe siècle. Auparavant, les formes de combat n’étaient pas porteuses de cette dimension de représentation nationale : les combattants de techniques différentes se rencontraient et s’opposaient, mais l’issue de leurs combats était rarement pourvue de signification nationale, quand bien même politique. Ces rencontres entre combattants d’origines différentes donnaient d’ailleurs lieu à de multiples emprunts techniques réciproques, battant en brèche les mythes nationalistes à propos de techniques ancestrales qui seraient « authentiquement locales » ou « pures ». Le tournant du XXe siècle correspond également au moment où les premiers sports modernes accompagnent l’expansion des puissances coloniales et commerciales des pays occidentaux où ils ont été créés : Angleterre et États-Unis. Football, basket, cricket, rugby, tennis, base-ball, etc. gagnent peu à peu une expansion planétaire et imposent partout une nouvelle forme de culture corporelle légitime. Pourtant, à l’intérieur de ces sports modernes anglo-saxons, le combat codifié fait exception : la boxe anglaise ne connaît pas le même engouement planétaire que les autres activités. La diffusion de la boxe hors des pays anglo-saxons produit plutôt l’effet inverse : il suscite le réveil ou la consolidation de formes de combat locales. Non seulement les combattants étrangers n’adoptent pas la boxe, mais ils revisitent et ravivent des formes de combat locales. La boxe n’est pas la seule à susciter une reviviscence de formes de combat dans les pays où elle était exportée. À la fin du XIXe siècle, le jujitsu nourrissait lui aussi des ambitions de diffusion géographique, dans le sillage de la renaissance Meiji du Japon. L’ambition Meiji ne se limitait pas à copier le modèle occidental, mais également à rétablir la dignité et même la puissance nationale nippone. Dès les années 1890, les pratiques physiques sont intégrées à cette politique : suite à la campagne militaire victorieuse des armées japonaises en Chine en 1895 est fondée une association, la Dai Nippon Butokukay20, Association pour les vertus martiales du Grand Japon, dans le but déclaré de faire « renaître l’esprit bushido, de promouvoir le bujutsu [techniques de combat à mains nues] parmi les soldats et de renforcer la puissance militaire nationale21 ». Dans le même esprit, à partir de 1896, les premières équipes nippones de base-ball défient et vainquent leurs homologues nord-américains, restaurant par le biais d’activités physiques une fierté nationale malmenée par l’occupation étrangère. Pendant cette décennie, de nombreux Japonais sillonnent l’Europe et l’Amérique
20. Certains ont lu budo dans ce nom en lieu et place de buto(ku). Ce n’est pas le cas : Bu signifie « combat » et toku signifie « vertu ». 21. Michel Brousse, Les Racines du judo français : histoire d’une culture française, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2005, p. 36.
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où ils étudient le fonctionnement des sociétés occidentales. Or, comme l’écrit Michel Brousse, « c’est la version du jujitsu revisitée par le nationalisme nippon et non la méthode de Kano que les Japonais exportent vers les États-Unis et l’Europe22 ». À partir d’alors, le jujitsu se pose, aux côtés de la boxe anglaise, comme une seconde forme de combat codifié en expansion géographique hors de son lieu de codification. En ce tournant de siècle, l’idée qu’une activité sportive puisse servir de catalyseur nationaliste est encore nouvelle. Sport moderne et nationalisme sont encore des phénomènes largement disjoints et les rencontres sportives internationales rarissimes. Les premiers Jeux olympiques modernes datent de 1896, les premiers matches de football-rugby et football-association entre Britanniques et non-Britanniques datent des années 1900. Avant cette décennie, on n’agite encore que peu de drapeaux sur les terrains de football, alors que certains combats codifiés symbolisent déjà pleinement les confrontations internationales. Performance physique et nationalisme se combinent historiquement pour la première fois aux cours de combats codifiés. Dès le milieu du XIXe siècle, et peut-être avant, Français et Anglais (en tant que représentants de nations) s’affrontent déjà sur des rings : en 1845, à Paris, un combat oppose ainsi Pleignier, représentant la boxe française (alors activité d’enseignement) à Cootes, pratiquant de boxe anglaise (version activité professionnelle de spectacle et de paris). Ce combat symbolise alors pleinement la confrontation et la rivalité franco-britanniques qui se jouent dans le domaine de la politique internationale23. Le face-à-face de deux hommes réalise la synthèse, voire la caricature des affrontements géopolitiques de l’époque. Les combats codifiés, peut-être davantage que d’autres activités physiques, s’avèrent être porteurs d’une indéniable dimension d’identification et de symbolisation. De fait, le combat met explicitement en scène des aptitudes guerrières : une valeur combative, un goût pour la confrontation et la rage de vaincre. La dimension symbolique des combats rencontre un écho particulier en cette époque de montée des nationalismes, d’exacerbation des tensions internationales et de constitution des États-nations. La création de ces Étatsnations s’accompagne en effet d’inventions d’« identités nationales » auxquelles une « psychologie des peuples » alors très en vogue attribue une « essence », une « âme » censée la singulariser radicalement des autres nations. Selon cette vulgate, le « génie » de chaque peuple (Volksgeist) s’exprime et se déploie à travers son « folklore ». Et parmi les activités de ce folklore, les luttes, boxes et autres activités de combat symbolisent les aptitudes à la guerre des membres de ces nations. C’est donc assez
logiquement que les nations impliquées dans les rivalités internationales cherchent à promouvoir une forme de combat codifié qui leur serait spécifique, une forme de combat qui puisse, par métonymie, représenter la nation, les caractéristiques de l’une affichant celles de l’autre et plus profondément l’identité de l’une devenant celle de l’autre. Des États-nations naissants se dotent ainsi de combats-nations. Au Brésil, en Thaïlande, au Japon et ailleurs, les diverses variantes de la capoeira, du muay thai et du jujitsu subissent alors une forte pression à l’unification et à la « synthèse ». La variante élue par ces projets de rénovation à connotation nationaliste tend à être codifiée et/ou « mise en méthode ». De manière assez originale, c’est elle (et non pas les combattants qui la pratiquent) qui va représenter la nation : c’est la capoeira qui est porteuse de l’identité brésilienne, davantage que le capoeiriste. Idem pour le jujitsu (puis le judo) au Japon, comme plus tard pour le pencak silat en Indonésie ou le taekwondo en Corée. Contrairement à ce qui se passera avec le football, où tout le monde joue au même jeu (avec éventuellement de très hypothétiques styles nationaux), dans les combats codifiés, c’est la façon de se battre qui est en elle-même représentative de la nation [voir encadré « Sportivisations hors nationalisme », p. 14].
L’équation métonymique du combat-nation fonctionne idéalement pour la « méthode japonaise » : en 1905, une armée asiatique remporte pour la première fois une victoire militaire contre une armée européenne. Comment les Japonais, que l’on se représente alors frêles et malingres, ont-ils fait pour terrasser l’ogre russe ? Sans doute disposent-ils d’un secret, d’un art, d’une méthode ? Jigoro Kano sait alors tirer profit de la situation pour faire valoir le judo. Le débat sur les méthodes nationales s’exprime alors en termes de « races », que Darwin a décrites en compétition : on en craint la « dégénérescence » et on cherche donc à les « raffermir ». Les activités physiques de l’époque sont convoquées pour remplir cette fonction et diverses « méthodes » nationales naissent dans ce contexte. On considère ainsi en France que la méthode de gymnastique allemande (Turnen) explique la victoire des troupes de Bismarck de 1870. La « méthode suédoise » (de Pehr Henrik Ling) fait concurrence à cette école, comme le fera plus tard la « méthode naturelle » de Georges Hébert. Plus largement, le débat d’idées est encore largement marqué par une « querelle des méthodes » (Methodenstreit) qui agite les sciences à la même époque. Les militaires, notamment les officiers supérieurs, occupent une place centrale dans la transformation des formes de combat en « méthodes nationales ».
22. M. Brousse, op. cit., p. 37. 23. J.-F. Loudcher, op. cit., p. 74-75.
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Sportivisations hors nationalisme folklorique ou spirituel, lié à la nation française. La raison tient au fait que leur sportivisation se soit déroulée sous la houlette de Pierre de Coubertin qui, aux antipodes de tout repli nationaliste et dans le droit-fil de la philosophie des Lumières, considérait que culture française et universalité étaient synonymes.
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APPROPRIATIONS IMPROBABLES : ces timbres témoignent de la diffusion planétaire des pratiques martiales.
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L’escrime et la lutte dite gréco-romaine ont largement échappé à cette influence nationaliste et à tout arrimage symbolique à une nation. Ces deux formes de combats codifiés ont vu leur transformation en sports se faire à partir de leurs formes françaises. Mais elles sont pourtant dépourvues de tout référentiel, culturel,
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Ils sont souvent nombreux parmi les premiers élèves des maîtres des versions codifiées et euphémisées enseignées en salle, aux côtés d’étudiants, journalistes, pédagogues et autres médecins engagés à la fois dans ces apprentissages en salle et dans le courant nationaliste. Les nouvelles versions nationalistes qu’ils conçoivent concernent au moins autant la dimension technique de l’activité que le discours qui l’accompagne24. Et le discours qu’ils élaborent alors est plus soucieux de sa portée politique que d’exactitude historiographique. Les premières traditions inventées sur diverses formes de combat codifié se formulent dans ces conditions et elles encombrent aujourd’hui encore les manuels techniques et les sites internet du monde des combats. Les officiers militaires de la fin du XIXe siècle ne se contentent pas de fréquenter les salles des premiers maîtres, ni de concevoir des récits des origines conformes à leurs idéaux : ils sont souvent également à l’origine des initiatives d’institutionnalisation (création de fédérations) de « leur » forme de combat. Tout au long du XXe siècle, cette catégorie socioprofessionnelle reste un agent prépondérant du champ des combats codifiés : dans de nombreux pays, ils contrôlent encore souvent aujourd’hui la fédération nationale, voire la fédération internationale de la forme de combat de leur pays. En même temps que le nationalisme, le monde des combats rencontre celui des médias. Et la rencontre est extrêmement bénéfique aux trois. Les journaux font vibrer la fibre patriote de leurs lecteurs en mettant en scène non pas des combattants, mais des « méthodes ». Ce n’est pas Dubois qui rencontre Ré-Nié à Courbevoie en 1905, mais les luttes françaises qui se confrontent à la fameuse « méthode japonaise25 ». La défaite de Dubois fait le succès de la méthode de son opposant et, du même coup, garantit le succès commercial de la salle d’enseignement de « méthode japonaise » ouverte fort à propos par l’organisateur de ce combat singulier26. De même à Rio de Janeiro en 1909, quand les journaux font leurs titres sur le combat qui oppose capoeira et jujitsu en les personnes de Ciriaco « Macaco Velho » (Vieux Singe) et Maeda Kosei, le « Comte Koma ». Dans la presse de l’époque, de tels événements garantissent de bien meilleurs tirages que les rencontres sportives habituelles (aviron, turf ou colombophilie) ; la portée politique de ces combats élargit le lectorat au delà des sportsmen, l’étendant à l’ensemble des patriotes. 24. Les « méthodes nationales » conçues par les militaires français, japonais ou autres sont également déclinées en des versions adaptées à la formation des troupes, dans des formes de « gymnastiques martiales » où le face-à-face individuel dis-
paraît. Sociologiquement, ces versions innovent en diffusant le combat parmi des non-spécialistes, initiant les premières formes de pratique de masse. 25. Georges Vigarello, Une Histoire culturelle des sports, techniques d’hier et
Quelle que soit l’issue de ces premiers combats nationalistes médiatisés, l’opposition à la boxe anglaise ou à la « méthode japonaise » peut toujours être tournée de façon bénéfique pour la « méthode » des patriotes locaux. Celle-ci est perçue comme l’expression d’une spécificité nationale, d’une volonté de résister au péril de l’invasion ou de la domination étrangère. D’ailleurs, ce type de combats singuliers a lieu dans des pays dont la position traditionnelle est menacée sur le plan géopolitique : la France face à l’Empire britannique ; la Thaïlande, unique pays de sa région à échapper à la colonisation ; le Brésil, indépendant politiquement mais largement dépendant des Britanniques sur le plan commercial et financier. Les rapports de domination politique, économique et militaire se dédoublent en compétitions et confrontations plus symboliques, via des pratiques de combat différentes. Début XXe siècle, la Thaïlande se targue d’être le seul pays de son hémisphère à ne pas avoir été colonisé. La modernisation du vieux royaume du Siam passe par la création d’une identité nationale, dont le muay thai est un des éléments constitutifs27. De manière symbolique, chaque Thaïlandais est ici considéré comme un boxeur en puissance, ce qui permet d’expliquer le destin singulier du pays par cette combativité de la nation. Une telle construction idéologique se formule progressivement dans les premières décennies du XXe siècle, en même temps qu’une synthèse des diverses formes de combat locales est créée, à l’initiative d’officiers supérieurs, sous le nom de muay thai. La boxe anglaise leur sert de modèle d’inspiration (ring, reprises, points, arbitre, gants), même s’il faudra attendre le lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour que soit rédigée une codification formelle de cette sportivisation. Le muay thai n’est pas la seule forme de combat à subir, de la part de nationalistes, des velléités de sportivisation sur le modèle de la boxe anglaise. À Rio de Janeiro, un certain Maître Zuma conçoit une capoeira qui adopte les attributs de la boxe : bottines, ring, cordes, etc. (voir infra article sur la capoeira, p. 52). À Rio de Janeiro comme à Bangkok, la boxe est perçue de manière paradoxale : elle sert à la fois de repoussoir dont il faut se distinguer et de modèle à imiter. D’une part, elle symbolise l’étranger, voire l’envahisseur culturel. De l’autre, elle impressionne par son niveau de structuration, l’ampleur de sa codification, la rationalité de son organisation. Tout y est quantifié, mesurable : la durée des reprises, la taille du ring, le d’aujourd’hui, Paris, Robert Laffont, 1988, p. 153. 26. M. Brousse, op. cit., p. 104-111. 27. Stéphane Rennesson, « Violence et immunité. La boxe thaïlandaise promue en art d’autodéfense national », L’Homme,
182, avril 2007, p. 163-186 et « Muay Thai, une ethnographie de la filière de la boxe en pays issane (Nord-Est thaïlandais) », thèse d’ethnologie, Université Paris X-Nanterre, 2005, non publiée.
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28. Jean-François Loudcher, « La boxe française aurait-elle pu devenir sport national ? Histoire d’une occasion manquée (19031910) », in André Terrisse (dir.), Recherches en sports de combat et en arts martiaux.
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État des lieux, Paris, Éd. Revue EPS, 2000, p. 35-46. 29. Abel Aurélio Abreu Figueireido, « A institucionalizão do karaté », thèse de doctorat en sciences du sport, Universidade Técnica
La transformation des bujutsu en budo Les pratiques de combat japonaises traversent une dynamique très spécifique entre les années 1880 et 1940 : sans être transformées en « sports de combat », elles subissent une standardisation et une codification qui les mènent à devenir des activités pédagogiques de masse au service du nationalisme nippon. Cette évolution se réalise sous la houlette centralisatrice de la Dai Nippon Butokukay, à partir d’un modèle qui est celui du judo de Jigoro Kano, dans une perspective de « disciplinarisation » des corps et des esprits. Jigoro Kano n’est pas un traditionnaliste (contrairement à de nombreux professionnels de l’enseignement qui se réclament de lui). Son ambition pour la synthèse qu’il invente sur une base de bujutsu (le judo) est de fonder une méthode éducative « soucieuse de la santé physique et morale du peuple japonais et [qui participe] à l’élan général du Japon de Meiji vers l’Occident et la modernité30 ». S’il emprunte le concept de do à la tradition martiale des samouraïs, il en altère néanmoins le sens : sa « voie » (do) fait moins référence au bushido, le code de valeurs des samouraïs, qu’à une ambition pédagogique de formation adaptée à la nouvelle époque. En ce sens, Kano est plus proche de Coubertin ou de Georges Hébert que des combattants du Japon médiéval. À l’opposé du jujitsu qui est un art au sens ancien du terme (celui de technique de l’artisan), le judo de Kano est un logos31. En effet, sa volonté pédagogique le mène à formaliser son enseignement en créant des séquences motrices standardisées et hiérarchisées, les katas 32. Assisté par quelques autres maîtres, il élabore une gradation des étapes de l’apprentissage, qu’il nomme Gokyo, qui décompose la progression pédagogique en groupes de mouvements (kyu ou kyo) classés par ordre de difficultés et correspondant à des niveaux menant au dan, la ceinture noire. Cette mise en méthode s’accompagne bien sûr d’une élimination des mouvements dangereux. Le travail de pédagogisation et de codification du judo par Kano rencontre un relais institutionnel majeur dans la Dai Nippon Butokukay. Cette institution est, dès sa fondation, pensée comme un outil de centralisation, de contrôle et standardisation des pratiques de combat : elle est chargée d’organiser et de classer les styles et écoles des divers bujutsu dans un cadre légal et officiel. Un comité d’experts spécialement constitué reçoit mission d’authentifier les grades et titres des maîtres33. Jigoro Kano devient rapidement (1899) président de Lisboa, 2006, non publiée, p. 349. 30. M. Brousse, op. cit., p. 35 (souligné par l’auteur). 31. J.-L. Boilleau, op. cit., p. 238-239. 32. Florence Braustein, Penser les arts
martiaux, Paris, PUF, 1999, p. 176. 33. Gabrielle et Roland Habersetzer, Encyclopédie technique, historique, biographique et culturelle des arts martiaux de l’ExtrêmeOrient, Paris, Amphora, 2000, p. 77.
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poids des gants, les points attribués à chaque coup, etc. Cette façon d’organiser le combat peut être assimilée à ce que Norbert Elias nomme sportization : un mode d’organisation technique, réglementaire et institutionnel typique des sports modernes anglo-saxons et dont la notion cardinale est la compétition évaluée selon des critères objectifs et quantifiés. À Rio de Janeiro comme à Bangkok, la tentation est forte d’adopter ce modèle et de dépasser la stricte portée nationale pour accéder à l’universalité des sports à règlement britanniques. Cette universalisation laisse entrevoir une diffusion internationale, une augmentation du nombre de pratiquants, du prestige, mais aussi plus prosaïquement des ressources financières et du pouvoir pour les dirigeants des institutions sportives naissantes ou en projet. Pourquoi les deux formes de combat boxisées (muay thai et capoeira de Maître Zuma) n’ontelles par connu la même postérité ? En premier lieu parce qu’au Brésil, la capoeira sportivisée est vivement concurrencée par d’autres versions de capoeira, notamment celles des écoles bahianaises des Maîtres Bimba et Pastinha, qui contestent sa légitimité et se construisent en opposition aux versions nationalistes de Rio de Janeiro. En second lieu parce que, à partir des années 1910 puis 1920, le football y remplace les combats dans le rôle de vecteur du nationalisme. Le déclin de la version boxisée de la capoeira correspond aux années 1930-1940, au moment où le football brésilien devient professionnel (1932) et accède au statut d’activité physique de représentation nationale. Ce transfert de l’investissement patriotique du combat vers le football explique peut-être en partie la quasiabsence de formes de combat nationales dans l’Europe du XXe siècle, tout entière convertie au football pour le règlement symbolique de ses rivalités internationales. Les conflits symboliques ne se règlent plus dans le cadre de combats singuliers entre « combats-nations », mais sur les terrains de football. En France, la boxe française disparaît au moment même où les premières rencontres internationales de football sont organisées. La boxe française passe à côté d’une évolution qui aurait pu la mener à devenir un « sport national28 ». Dans d’autres régions du monde, le football n’est pas parvenu à déloger les combats de leur rôle (sans doute déjà fermement établi) de vecteur du nationalisme. Outre la Thaïlande, c’est le cas du Japon, comme le montre la persistance de combats singuliers de type « boxe contre judo » organisés sur l’archipel jusque dans les années 192529.
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de la Butokukay34. Si à l’origine le projet pédagogique de Kano ne se confondait pas avec les ambitions nationalistes de l’Empire, il s’en rapproche alors fortement. Dans les années qui suivent, Kano réunit à la Butokukay des représentants de ruyha (écoles) de jujitsu pour en réaliser une formalisation sous forme de katas, sur le modèle du judo35. Puis ce sont gekken (sabre) et le kyujutsu (arc) qui suivent le même mouvement d’unification et de standardisation36. L’influence du modèle fourni par le judo est telle que durant cette première décennie du XXe siècle, la plupart des pratiques martiales (jutsu) commencent à être conçues comme des méthodes d’éducation physique et morale (do). Jigoro Kano se révèle ainsi être bien davantage que le simple inventeur du judo : il est plus largement le mentor de la transformation de l’ensemble des bujutsu en budo. Parmi les principales caractéristiques de ces nouvelles formes de combat, il y a l’unification des variantes sous un nom unique, l’abandon des gestes mortels, l’adoption d’une gradation des étapes de l’apprentissage, l’adoption d’une tenue d’entraînement uniforme, mais surtout la subordination du geste à une ambition pédagogique, moralisatrice puis plus tard, idéologique. Dès les années 1910, les maîtres cessent peu à peu de travailler de manière autonome pour devenir les diffuseurs de pratiques standardisées par la Butokukay. Le processus se démultiplie grâce au ministère de l’Éducation nationale qui, dès 1911, rend obligatoire l’enseignement du judo ou du kendo aux garçons des écoles secondaires37. En 1913, l’entraînement physique des élèves des écoles primaires se calque sur celui des fantassins de l’armée de terre38. Dans le même temps, l’Empire s’empare du contrôle de la corporation des maîtres en créant une Bujutsu Semmon Gako, école professionnelle des techniques martiales, dont le but explicite est d’« administrer l’accréditation nationale, la certification et l’entraînement professionnel de toutes les techniques du combat du Japon39 ». Cette école militaire fondée par la Butokukay sur injonction et avec des financements impériaux instaure une typologie des titres d’enseignants (Hanshi, Kyoshi et Renshi) applicables à toutes les pratiques : Ken (sabre), Ju (mains nues), Kyu (arc), Naginata (hallebarde). Selon Habersetzer, « les plus grands maîtres se mirent à y enseigner, une manière de ne pas se trouver exclus d’un cadre officiel de la pratique40 ». En 1919, cette école professionnelle passe sous la direction d’un dirigeant de l’administration policière, Hiromichi Nishikubo, connu pour ses articles en 34. F. Braunstein, op. cit., p. 176. 35. Serge Mol, Classical Fighting Arts of Japan. A Complete Guide to Koryû Jûjutsu, Tokyo-New York-Londres, Kodansha Inter-
national, 2001, p. 222. 36. A. Figuereido, op. cit., p. 268. 37. D. F. Draeger, op. cit., 1974, p. 35. 38. Masayasu Funakochi, « Notes pour un
faveur d’une requalification des bujutsu en budo. À partir d’alors, les publications de la Butokukay accompagnent ce changement de terminologie et parlent de budo, kendo, judo, et kyudo plutôt que de bujutsu, gekken, jujutsu et kyujutsu. Le ministère de l’Éducation suit le mouvement et, en 1931, le mot budo commence à désigner l’instruction idéologique obligatoire dans les écoles publiques. De fait, l’extension de la terminologie en do ne se fait pas sans un certain glissement sémantique du terme. Pour Nishikubo, qui s’inspire de l’idéalisation mythifiante de Nitobe Inazo dans son célèbre ouvrage Bushido, l’âme du Japon, la nouvelle voie (do) assignée aux pratiques de combat reste certes, comme chez Kano, celle d’une activité d’enseignement, mais elle doit se destiner à la formation de sujets obéissants, dotés de forts sentiments patriotes et prêts à donner leur vie pour l’Empereur. La voie a bifurqué. Elle vise toujours à inculquer une « formation morale », mais celle-ci est maintenant comprise comme vouée au service de l’empereur et de ses ambitions militaires. En 1939, l’institutionnalisation des pratiques de combat japonaises s’amplifie : pour être reconnu par la Butokukay, toutes les écoles de combat doivent désormais être formellement enregistrées sous une appellation standardisée, avec une forte pression en faveur d’un nom terminé par le suffixe do, garant d’une portée « morale ». De même, la reconnaissance officielle dépend de la stricte description par écrit des aspects techniques de la méthode41. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les pratiques de combat nippones n’existent donc qu’en tant que pratiques « moralisantes » (au sens où l’entend le régime), standardisées, codifiées et contrôlées bureaucratiquement, à l’intérieur d’institutions centralisées (ministère de l’Éducation, Butokukay, Senmon Gakko). Elles jouent un rôle de premier plan dans l’entreprise institutionnelle d’inculcation et de diffusion de la volonté belliqueuse du régime à l’échelle d’une population entière. Jigoro Kano, qui refusait que son judo devienne un sport, ne peut empêcher qu’il soit transformé en propédeutique guerrière. Après guerre, les bujutsu et les budo sont interdits par l’administration américaine et la Dai Nippon Butokukay est dissoute. La compromission des formes de combat nippones avec le régime du Grand Japon entraîne leur mise à l’index et, plus profondément, leur remise en cause en tant que nouveaux budo : comment ces combats peuvent-ils perdurer alors qu’ils ont été conçus et développés comme des vecteurs d’un code moral (le bushido) désormais proscrit ? La transformation mémoire sur les arts martiaux », Daruma – Revue d’études japonaises, 8-9, spécial Arts martiaux, automne 2000-printemps 2001, p. 132.
39. D. F. Draeger, op. cit., 1974, p. 35. 40. G. et R. Habersetzer, op. cit., p. 77. 41. A. Figuereido, op. cit., p. 306.
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La codification des pratiques martiales
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LUTTEURS DE KOKOWA, Niger.
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en « sports de combat » ne commence à devenir séduisante pour les Japonais qu’à partir des années 1950, quand apparaît la portée symbolique du sport compétitif des compétitions internationales.
Sportivisations nationalistes
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Dans les années 1950, une vague de sportivisation traverse le champ des combats. Elle survient dans le contexte de la guerre froide, quand les rivalités internationales se déplacent du terrain militaire vers des formes de confrontations plus symboliques. Les activités sportives (re)prennent alors une place toute particulière parmi les préoccupations de nationalistes de nombreux pays. C’est dans ce contexte que l’on voit apparaître une nouvelle génération de « combats-nations ». Parmi les premiers instigateurs de cette nouvelle vague de « combats-nations », on trouve un Breton, le Docteur Charles Cotonnec (1876-1935), qui conçoit une sportivisation du gouren breton dès les années 1928-1930. Cotonnec est moins nationaliste qu’« utopien breton », mais son approche du combat reste analogue : le gouren est pour lui à la fois une expression de la « bretonnité » et le symbole de sa combativité42. Cotonnec n’est pas pour autant un traditionnaliste. En coulant le gouren dans le moule du sport compétitif moderne, il veut montrer que les Bretons sont en phase avec leur époque et que l’on peut appliquer des caractéristiques de la modernité (objectivité, quantification, rationalisation) à une activité issue de la tradition : serment (de type coubertinien) des lutteurs, création d’une fédération attribuant des licences, présence d’un arbitre homologué par la fédération, délimitation de la durée des combats, création de catégories de poids, comptage de points avec possibilité de victoire aux points, standardisation des aires de combat. En se fondant dans le moule sportif, le gouren est-il devenu une activité universelle, comme tout sport moderne ? Un nonBreton peut-il accéder aux plus hauts titres attribués dans les compétitions sportives ? Pour le gouren des années 1930, il semble que la question ne se pose pas et que le gouren bénéficie de l’aura de sa structuration en sport moderne sans en subir les inconvénients. En Thaïlande non plus, l’éventualité qu’un combattant étranger vienne s’emparer des titres les plus prestigieux des rencontres de muay thai reste très réduite, du moins jusqu’aux années 1970 et même 1980. Ainsi, la tendance à la sportivisation, déjà amorcée avant la Seconde Guerre mondiale se parachève-t-elle en 1945 avec la rédaction d’un règlement régissant tous
les combats se déroulant dans le plus fameux stade de boxe de Bangkok, le Rajadamnoen. Cette initiative de codification intervient dans un contexte politique particulier : l’occupant japonais vient de perdre la guerre et quitte une Thaïlande impatiente de recouvrer une indépendance dont elle était si fière. La codification du muay thai en 1945 peut donc être vue comme l’une des premières réactions sportivo-nationalistes à l’effondrement de l’empire du Grand Japon. En Indonésie, où les pratiques de pencak et de silat sont alors beaucoup moins unifiées que le muay thai en Thaïlande, l’occupation japonaise a également eu des conséquences : dans la capitale, les Japonais suscitent et soutiennent une version structurée selon des principes « modernes » qui, in fine, servira de référence à une partie des formes compétitives de pencak silat des années 1980-1990 (voir infra article, p. 112). Ici aussi, comme en Thaïlande, des initiatives de structuration de l’activité précèdent et anticipent l’indépendance politique du pays43 : en 1948, une fédération de pencak silat est fondée, alors que l’indépendance définitive n’est acquise qu’en 1949. À Helsinki en 1952, la première participation de l’URSS à des Jeux olympiques place les compétitions sportives au cœur de la guerre froide, leur conférant une portée politique et symbolique majeure. Sur la même logique d’opposition internationale par le sport, le Japon et la Corée prolongent leur historique rivalité militaire et coloniale dans la sphère des combats codifiés en luttant pour la reconnaissance de leurs pratiques de combat dans le monde du sport international. Ce sont les Coréens qui prennent l’initiative de cette course à la reconnaissance internationale, mais ils sont pressés dans ce sens par la sportivisation croissante du judo qui se déroule en Europe. Le judo occupe une place à part car il a été sportivisé hors de son pays de création. Dans l’après-guerre japonais, la transformation du judo en sport est loin d’être à l’ordre du jour, bien au contraire. Les judokas japonais regardent avec une certaine inquiétude l’évolution de leur forme de combat en Europe. La sportivisation y est alors déjà grandement engagée : des judokas d’Allemagne, de Grande-Bretagne et de Suisse s’étaient réunis dès 1932 pour fonder une Union européenne de judo (UEJ) et réaliser en cette occasion la toute première compétition internationale de judo. Deux ans plus tard, cette UEJ avait promu son premier Championnat d’Europe, à Dresde44. Un second Championnat d’Europe, d’une portée plus large, se déroule à Paris en 1951, alors même que l’UEJ se transforme en Fédération
42. Aurélie Epron, « Le docteur Cotonnec, “utopien” breton, apôtre de la culture physique et rénovateur du gouren », Mémoires de la société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. LXXXV, 2007, p. 253-279. 43. Jean-Marc de Grave, « Un champion issu du palais royal : l’histoire de RM Harimurti », Hommages à Denys Lombard IV, Archipel 60, 2000, p. 141-166. 44. M. Brousse, op. cit., p. 266.
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Benoit Gaudin
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internationale du judo (FIJ) grâce à l’adhésion de l’Argentine. Ces compétitions se déroulent selon un règlement très largement inspiré de la version de judo de la méthode dite Kawaishi, conçue et développée en France pour l’enseignement aux Européens. Le judo était en effet devenu un sport de combat au cours d’un processus dans lequel les Japonais étaient largement absents. Conséquence logique de la création de la Fédération internationale de judo, l’organisation d’un Championnat du monde, en 1956 à Tokyo, ne passe pas inaperçue sur la scène sportive internationale. Ce n’est sûrement pas un hasard si cette sportivisation précède de peu celle du taekwondo, qui précède elle-même celle du karaté. En quelques années, une dynamique de rivalité régionale aboutit à la sportivisation de ces trois formes de combat. Dans la Corée des années 1950, le ressentiment anti-japonais est à son comble, suite à une colonisation longue et implacable, doublée d’une politique de japonisation forcée. Le départ de l’occupant honni se prolonge par la Guerre de Corée qui, faute d’aboutir, laisse le pays exsangue, divisé et sur le pied de guerre. Mais au moment où la guerre prend fin, en 1953, certaines nouvelles du Japon ravivent de vieilles blessures : la Butokukay vient de rouvrir. Il s’agit certes d’une Butokukay dénuée de toute référence au Grand Japon, mais c’est quand même un symbole fort. Dans le même temps, le monde des budo japonais renaît : des fédérations nippones de sport amateur ont été créées en judo (1949), kendo (1952) et naginata (1954)45. La réaction coréenne vient dès 1955, quand un officier supérieur, le général Choi Hong Hi, réunit diverses écoles locales de combat pour fonder une synthèse, qu’il nomme Tae Kwon Do 46. Cette synthèse est d’emblée conçue comme une activité sportive, dotée d’un règlement et orientée vers la compétition, ce qui lui permet de revendiquer rapidement une place dans le mouvement sportif international. Le taekwondo offre ainsi à la Corée une visibilité internationale indéniable et, dans le domaine des sports de combat, se pose en concurrent direct du judo. En revanche, l’adoption du modèle sportif induit que cette forme de combat soit dépouillée de tout référent à la culture coréenne : l’excellence en taekwondo n’a donc aucun lien avec le fait d’être coréen, de connaître la culture ou la philosophie coréennes, ni même d’avoir été l’élève d’un enseignant coréen. Bon nombre de médailles iront d’ailleurs à des non-Coréens. 45. Ikuo Abe, Yasuharu Kiyohara et Ken Nakajima, “Sport and physical education under fascistization in Japan”, International Journal of the History of Sport, 9(1), avril 1992.
46. F. Braunstein, op. cit., p. 208. 47. A. Figuereido, op. cit., p. 339. 48. Kenji Tokitsu, Histoire du karaté-do, Paris, SEM, 1993, p. 73.
En karaté, « la tentative de rapprochement et d’uniformisation technique et institutionnelle a été brisée par la Seconde Guerre mondiale47 ». Dès 1946, les Américains autorisent la reprise de la pratique, alors que les autres budo sont encore prohibés : les forces armées nord-américaines souhaitent en effet utiliser le karaté pour la formation de leurs pilotes et officiers. Cette préparation militaire n’est pas alors assurée par des maîtres d’avant-guerre, peu nombreux et réticents, mais par une nouvelle génération d’instructeurs, qui transmettent un karaté qui s’avère plus standardisé (moins riche, selon les puristes). Ce karaté pour militaires américains se voit ainsi codifié en une méthode structurée, sur le modèle du judo, en étapes systématiques d’apprentissage et d’évaluation. Placées symboliquement sous la supervision de Gichin Funakochi, fondateur de l’école Shotokan, ces formations militaires sont en fait encadrées par une association, la Nihon Karate Kyokay (ou JK A, Japan Karate Association), fondée avant-guerre par des anciens élèves de la filiale Shotokan de l’Université de Takushoku, « dont la tendance d’extrême-droite nationaliste est bien connue au Japon48 ». C’est cette version de karaté, adaptée à l’instruction des militaires américains, qui donne lieu à l’élaboration de règles compétitives, dès que le vieux maître Funakochi passe de vie à trépas, en 1957. Quelques mois seulement après son décès, les premières compétitions nationales de la JKA ont lieu. Elles se réalisent selon des règles rédigées par Masatoshi Nakayama, qui s’est inspiré des règlements de compétitions de sumo, kendo, judo et boxe49. La sportivisation du karaté par la JKA est rendue pressante par le contexte international, mais également national : une organisation concurrente mais de moindre importance, la Zen Nippon (Japon Entier) Karatedo Renmei (Fédération) organise en effet elle aussi son propre championnat national de karaté depuis 195550. L’invention par les Coréens d’un taekwondo sportif cette même année n’est sûrement pas étrangère à cet attrait soudain des karatekas nippons pour la compétition. Cette rivalité sportivo-nationaliste entre Corée et Japon se prolonge dans les années 19801990 autour de la question de la reconnaissance du taekwondo et du karaté par le Comité international olympique (CIO), les avancées de l’un et les reculs de l’autre correspondant de manière troublante aux dates de prise de fonctions dans les instances sportives internationales du Coréen Un Young Kim51. 49. A. Figuereido, op. cit., p. 369. 50. Ibid., p. 364. 51. Vyv Simson et Andrew Jennings, Main basse sur les JO, Paris, Flammarion, 1992.
Les combats sportivisés qui ont intégré le CIO sont la lutte (1896), l’escrime (1896), la boxe (1904), le judo (1964) et le taekwondo (2000).
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La codification des pratiques martiales
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Gouren, muay thai, judo, taekwondo, karaté : la vague de sportivisation du milieu du X Xe siècle prend fin quand un véritable coup de gong retentit dans l’univers des nationalistes : la victoire d’un étranger, en 1961, en la personne du Néerlandais Anton Geesink. Le fait que cette victoire survienne en judo ne restreint pas la portée symbolique de cet événement à ce seul sport, mais va avoir des répercussions majeures sur l’ensemble du champ. Quand Anton Geesink (108 kg, 1,98 m) décroche le titre de champion du monde toutes catégories à Paris et qu’il renouvelle son exploit en devenant champion olympique toutes catégories cette fois-ci sur le sol nippon en 1964, les Japonais apprennent à leurs dépens que la sportivisation a un coût : celui de la perte de l’ancrage national de l’excellence. En devenant codifiée selon des règles qui s’appliquent à tous, une activité peut ainsi mener à la victoire d’un non-national. Anton Geesink démontre, par l’exemple et au Japon, qu’il n’est pas nécessaire d’être Japonais pour être le meilleur dans une forme de combat pourtant largement perçue comme nationale. Les Thaïlandais sont confrontés au même problème quand Ramon Dekker (lui aussi Néerlandais) s’impose sur la scène thaïe en décrochant un titre mondial en 1989 puis en dominant les compétitions au point de recevoir des mains des officiels du muay thai le titre de Boxeur de l’année, en 1992.
Réactions passéistes La victoire de Geesink sonne le glas de cette vague de sportivisation et renverse les positions des Japonais dans leur appréciation du mouvement sportif. Ce revirement nippon apporte un soutien indéniable aux critiques contre le « judo sport de combat » qui s’élevaient déjà en Europe depuis les premières compétitions et l’encadrement de l’activité par des institutions sportives. Le Collège des ceintures noires français dirige cette fronde depuis 1947, arguant que « le judo ne doit pas être uniquement un sport ; […] il doit être classé parmi les arts et les disciplines intellectuelles52 ». Le discours critique qui s’élabore progressivement à partir d’alors contre le modèle sportif est un discours de type nostalgique, qui se lamente d’un éloignement d’une norme historique située dans un passé plus ou moins précis (le do du bushido médiéval ? le do du judo de 1883 ? ou celui de la Butokukay de l’entre-deux-guerres ?). Les critiques portent aussi sur les catégories de poids et les ceintures, qui sont décrites comme des « dénaturations » ou sur la recherche de la victoire à tout prix, qui détournerait les judokas du « vrai » but du judo. Elles portent enfin sur la subordination de l’esthétique à la pragmatique et plus généralement sur la perte d’un « esprit ».
Encore une fois dans l’histoire des combats, le judo occupe un statut particulier, celui de pratique novatrice qui sert ensuite de modèle. Dans l’opposition entre le judo sportif et le judo non-sportif, tous les termes de la rivalité serviront ensuite à d’autres dans leur argumentation contre le mouvement sportif : à l’objectivité des critères d’évaluation de l’excellence sportive, on oppose la subjectivité de l’appréciation d’un maître quant à l’orthodoxie d’une gestuelle et surtout d’une attitude. À la rationalité des progressions pédagogiques des méthodes d’enseignement « à l’occidentale », on oppose les démarches complexes et individualisées de l’initiation caractéristique de la relation maître-disciple. À la modernité du sport, international et déterritorialisé, on oppose une tradition ancrée localement. L’ouverture à la diffusion mondiale est contrecarrée par un repli national ou communautaire. À la quantification de la mesure des performances, on oppose l’esprit d’une activité ancrée dans une culture. Et, pour exprimer le tout, on oppose au vocable sport celui d’art. Ce terme s’impose à partir d’alors pour qualifier la plupart des combats qui veulent se distinguer du sport compétitif. Objectivité/subjectivité, modernité/tradition, ouverture/repli, quantification/esprit : la tension entre universalité sportive et particularisme des « arts » de combat s’articule autour de ces notions. Ces paires de concepts structurent les débats entre versions concurrentes de bon nombre de combats après les années 1960 ; elles servent également de pôles de positionnement à partir desquels se formulent de nouvelles « synthèses » ou se redécouvrent des formes de combat « oubliées ». Par exemple, les Coréens se sont redécouvert une « pratique ancienne », le Hankido, qui répond étonnamment bien à des inquiétudes très contemporaines. Han signifie « pays », Hanki « esprit profond de la Corée53 » et le Hankido serait ainsi un art martial propre aux Coréens et donc inaccessible aux non-nationaux, ce qui leur permettrait de déplacer la défense de l’honneur national dans cette activité dans l’hypothèse où un éventuel Geesink viendrait à s’imposer dans les catégories les plus prestigieuses de « leur » taekwondo. De même en Thaïlande, l’exhumation d’un Muay Boran (lutte ancienne) est légèrement postérieure aux hauts-faits compétitifs du Néerlandais Ramon Dekker. L’opposition au modèle sportif qui se développe dans le champ des combats n’est ni concertée, ni uniforme : elle donne lieu à des initiatives diverses, qui sont formulées en référence et souvent en opposition à l’une ou l’autre des caractéristiques du sport moderne évoquées ci-dessus. De ce fait, l’opposition au modèle sportif enclenche des dynamiques d’affirmation qui partent dans des directions divergentes. La structuration
52. Cité par M. Brousse, op. cit., p. 264. 53. Edmond Dominé, « L’autre art martial du pays du matin calme », TaeKwondo Choc, 32, juillet-août-septembre 2001.
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Benoit Gaudin
La codification des pratiques martiales
la simple recherche de la victoire, sont vues ici comme un appauvrissement. On refuse de réduire une pratique de combat à ses dimensions quantifiables et mesurables et on reproche au sport de « dénaturer l’esprit » de l’activité. La dénonciation d’un tel appauvrissement implique cependant que l’on précise quelle est la dimen sion qui fait défaut à la version sportive : est-ce une dimension pédagogique, religieuse, philosophique, rituelle, éthique ou autre ? Selon les cas, on voit ainsi s’élaborer des discours s’appuyant sur l’une ou l’autre de ces dimensions, leur point commun étant de se formuler à l’aide de la notion d’esprit.
Spiritualisation des combats On ne peut pas reprocher au sport son manque d’efficacité ; la victoire est même son unique but. Par contre, on pourra lui reprocher sa pauvreté dans la palette des gestuelles mobilisées ou un manque d’esthétique. Par exemple, les tenants du « beau judo » déplorent les « batailles de chiffonniers » des compétiteurs de leur forme de combat54. Ainsi sont-ils amenés à dévaloriser le geste et à le subordonner à un but supérieur, qui serait un « esprit » ou un « message ». Le geste mènerait à l’esprit, véritable but de l’initiation. Face au judo sportif, les déçus du modèle compétitif cherchent historiquement à développer un « beau judo » avant de franchir le pas et de changer d’activité. Ils se sont tournés vers l’aïkido. Ce n’est pas un hasard. Fondé par Morihei Ueshiba (1883-1969), l’aïkido est historiquement la première activité à s’appuyer sur une conception introspective du do. Alors que depuis 1923 Ueshiba enseignait une forme de combat qu’il nommait aïkijutsu, c’est sous le nom d’aïkido qu’il enregistre son activité à la Butokukay en 194255. Il vient alors d’être touché par sa « troisième vision » qui lui inspire une nouvelle acception du do : il s’agit d’une voie qui mène non plus à la formation d’un citoyen adapté au monde moderne (Jigoro Kano) ou à l’instruction d’un sujet obéissant et dévoué à son Empereur (Hiromichi Nishikubo), mais d’une voie dont le but est l’épanouissement de la personnalité de l’individu par le dépassement de ses pulsions d’agression. Avec Ueshiba, le concept de do est réinterprété, la voie change (encore) de destination. À ce titre, Jean-Pierre Giraud écrit : « Novateur, il [Ueshiba] sut rompre, au bon moment, avec l’image du guerrier terrifiant des mythes ou des légendes, engendrant ainsi une sorte de néo-budo visant avant tout à une prise de conscience tant corporelle que spirituelle56 ».
54. Jean-Paul Clément, « La force, la souplesse et l’harmonie », in Christian Pociello, Sport et société, Paris, Vigot, 1981. 55. F. Braunstein, op. cit., p. 163. 56. Jean-Pierre Giraud, « L’image du guerrier dans les mythes et légendes du Japon », Daruma – Revue d’études japonaises, 8-9, spécial « Arts martiaux », automne 2000-printemps 2001, p. 51 (souligné par l’auteur).
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du champ des combats prend, à partir d’alors, un aspect buissonnant. Pour les maîtres, voir des étrangers accéder aux plus hauts titres sportifs suscite certes des réactions d’honneur. Mais cela menace également des positions hégémoniques sur le marché du travail. Être dépossédé de sa position d’excellence, c’est aussi être dépossédé de sa domination sur le marché de l’enseignement ou du spectacle. Les réactions d’opposition au modèle sportif ne peuvent pas être analysées en faisant abstraction des enjeux professionnels qui commencent alors à peser fortement sur le champ des combats : à partir des années 1960, l’enseignement de combats « exotiques » en Europe et aux États-Unis commence à constituer un marché du travail important, qui représente d’ailleurs des filières d’émigration prestigieuses pour les maîtres de nombreux pays. Si la critique du modèle sportif se révèle relativement facile, la formulation de versions concurrentes à ce modèle s’avère plus ardue. Contrairement à la structuration en sport de combat (compétitions, règles objectives, points, arbitrage, etc.) qui se présentait tel un prêt-à-porter, facile à adopter, l’élaboration de versions alternatives reste largement à inventer, notamment au niveau du discours de légitimation. Ce travail d’élaboration discursive est une tâche complexe et longue. La difficulté provient d’abord du fait qu’elle nécessite des compétences ne relevant pas spécifiquement de l’activité physique (conceptualisation, argumentation), mais également de la nécessité de se distinguer d’un corpus de discours antérieurs (notamment ceux qui accompagnaient les « combats-nations » ou, dans le cas nippon, le do guerrier du Grand Japon), tout en se revendiquant d’une spécificité, à l’opposé de l’universalité sportive. Une première option consiste à présenter le monde sportif comme relevant du domaine des « influences extérieures » et la pratique de combat locale comme une activité menacée dans son « authenticité » et qu’il faudrait « protéger » contre ces influences taxées de « modernes » ou d’« occidentales ». Autant qu’un repli sur une culture souvent nationale, il s’agit également d’un retour en arrière, d’une plongée dans l’histoire, qui s’amorce à partir de cette critique. Cette quête s’appuie bien souvent sur les publications de folkloristes ou de concepteurs de « méthodes nationales » du début du XXe siècle. Et, en cas de lacune documentaire, l’invention de traditions reste un recours possible. Une seconde option consiste à reprocher à la version sportive du combat une perte d’« esprit ». La recherche de la performance et de la victoire à tout prix, voire
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Cette nouvelle interprétation du do est le point de départ du développement d’une vague d’activités introspectives de type ascétique, des disciplines, dénuées de tout utilitarisme guerrier et dotées d’une dimension philosophique tournée vers le développement de la spiritualité et la mise en valeur de la personnalité du pratiquant. Au Japon, ce nouveau do offre à de nombreuses activités de combat le double avantage de perpétuer la terminologie du do tout en offrant une alternative à la codification sportive. Pour les Occidentaux en outre, elle ouvre la voie à une sortie du dualisme cartésien en promouvant une conception asiatique, de type moniste, du fonctionnement de l’être humain. Les disciplines introspectives qui se développent dans le sillage de l’aïkido se caractérisent notamment par une progression basée non pas sur une pédagogie explicite et méthodique, mais sur une « découverte » de type initiatique fondée sur la dynamique de la relation maître/disciple. Un tel mode de transmission individualisé provoque une multiplication des variantes, styles et écoles à l’intérieur de chaque discipline : en effet, chaque maître fonde sa propre version basée sur sa conception spécifique de l’activité. Cette dynamique de développement des combats génère donc un foisonnement d’initiatives. Le champ des combats, qui était jusqu’alors soumis à des pressions unificatrices et standardisantes, se trouve désormais soumis à une puissante dynamique centrifuge, qui est l’un des facteurs d’explication de la situation d’extrême éparpillement qui prévaut aujourd’hui. Ce mouvement de spiritualisation des pratiques de combat n’est pas limité au Japon : le même phénomène se déroule à la même époque parmi les capoeiristes brésiliens, qui ressuscitent la version Angola, alors moribonde. Et d’une manière générale, cette tendance à l’individualisation des pratiques physiques se retrouve dans bien d’autres activités, en dehors des combats : elle est liée à un contexte social et à la fin d’une époque (la première moitié du XXe siècle) au cours de laquelle les activités physiques s’adressaient avant tout aux masses.
Ancrage dans une culture Le discours sur l’« esprit » n’est pas ici une conceptualisation abstraite, de type philosophique : outre son insertion dans une conception moniste du corps en mouvement, il est contextualisé, ancré dans une tradition ou une culture. Les combats qui s’appuient sur un « esprit » arriment généralement cet esprit à un terroir. Sûrement est-ce là une spécificité de ces philosophies : elles ne se conçoivent pas comme de purs systèmes de pensée, mais comme à la fois des pensées en action et des formes d’expression d’une culture ou d’une communauté. 24
Pour un groupe qui traditionnellement domine « sa » forme de combat (les Japonais dans le judo, les Brésiliens dans la capoeira, les Thaïlandais dans le muay thai), la menace d’être destitué du contrôle de l’activité diminue sensiblement quand un combat passe d’une forme « sport de combat » à une forme « spiritualisée ». Le risque persiste cependant toujours avec l’éventualité qu’un disciple étranger accède aux plus hautes distinctions (« maître ») et fonde ainsi sa propre école, voire sa propre version de la pratique, comme c’est le cas notamment en France dans les années 1980 (cf. article infra, p. 28). La menace disparaît quand le combat se trouve explicitement associé à des pratiques culturelles spécifiques. Les discours qui imposent ce type de caractéristiques culturelles apparaissent historiquement à l’occasion de l’exportation des diverses formes de combat, c’est-à-dire quand l’éventualité de voir émerger des experts étrangers, potentiellement hors contrôle, devient réelle. La parade contre ce risque de perdre le contrôle de l’activité (et du marché de l’enseignement) consiste à inscrire sa pratique dans un terroir précis : d’abord une région, puis une ville, puis éventuellement un quartier. On assiste ainsi à un référencement de plus en plus explicite de l’activité dans un mythique foyer originel, systématiquement localisé le plus loin possible des lieux d’acculturation et/ou de modernité. Pour la capoeira, c’est l’État de Bahia, puis Salvador, puis le quartier du Pelourinho. Pour le wushu, le temple de Shaolin. Pour le judo, le Kodokan. Pour le karaté, les îles Ryûkyû, etc. Là, loin des influences jugées néfastes, se trouverait la source du « véritable » et du « traditionnel ». Même si, quand on se rend sur place, on découvre que cette pureté appartient à un passé révolu. Face à la menace des étrangers, une réaction sous forme d’union sacrée rassemble des groupes locaux autrefois rivaux. À partir des années 1980, toutes les versions de capoeira qui sont en concurrence au Brésil se rejoignent sur un point : affirmer que pour être maître, il faut être brésilien (ou éventuellement fortement brésilianisé). De même à l’échelle du monde malais, Javanais, Sundanais, Sumatranais et Malaisiens jusqu’alors en concurrence se retrouvent pour codifier des jurus (type de katas) explicitement ancrés dans une tradition malaise. Tout concourt à renforcer une nouvelle norme selon laquelle, pour accéder au plus haut niveau de l’expertise, philosophique ou corporelle, il faut aller « boire à la source », faire le voyage initiatique dans le pays concerné et, plus spécifiquement, se rendre sur le lieu « originel » de l’activité. Un tourisme martial se met ainsi en place, avec ses circuits, ses stages, ses intermédiaires, ses services annexes, bref ses marchands du temple. Il semble difficile de faire abstraction de ces activités commer-
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Benoit Gaudin
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LA LÉGENDE DE KUNG FU, Théâtre rouge de Pékin.
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ciales et professionnelles de tourisme martial quand on analyse les discours culturalistes qui se formulent à la même époque. Ces discours culturalistes, en imposant un ancrage territorial à l’excellence, ne présentent aucune contradiction avec les discours nationalistes qui les précédaient historiquement. Ces versions culturalistes répondent également au goût pour l’exotisme de leur clientèle principale : les catégories sociales supérieures urbaines et diplômées des pays développés. Cet ethnotropisme génère une demande spécifique sur le marché de l’enseignement et renforce la légitimité de ceux qui y répondent. Autant d’éléments qui incitent à considérer avec la plus grande circonspection les références à l’authentique, au traditionnel ou au foyer originel d’une mythique pureté des activités culturalisées. Pour peu que soit déniché un ouvrage d’un folkloriste du début du X X e siècle ou d’un voyageur du XIX e, chaque terroir, chaque culture peut voir revivre sa pratique « traditionnelle ». Les années 1980-2000 sont ainsi le cadre d’une véritable vague de renaissance de pratiques de combat oubliées ou disparues : le gouren breton qui avait périclité après la mort du Docteur Cotonnec en 1935 ressurgit dans les années 1980, la capoeira, le muay thai et le pencak silat percent sur les marchés européens et nord-américains à la même époque en empruntant des circuits étonnamment similaires (la salle Wagram à Paris…), suivis par les luttes les plus exotiques (kokowa nigérien, lutte sénégalaise, moringue réunionnais, etc.), mais aussi par l’« exotique intérieur » : la savate française (en moustache et redingote sur la colline de Montmartre)57 ou le bâton des salles d’armes portugaises, etc. Paradoxe : ces combats fortement teintés de culture s’offrent parfois le luxe d’une sportivisation. Le risque est faible en effet de voir la victoire d’un étranger dans les compétitions de lutte turque, de kokowa ou de moringue tant le dispositif rituel et/ou culturel est imposant et hors d’accès pour des non-natifs de ces cultures. Ces activités sportivisées prennent alors le titre de « sports traditionnels » car, de fait, elles sont structurées autour de compétitions de type sportif, mais s’entourent d’une série de caractéristiques culturelles (et souvent nationales) spécifiques. Cette dimension culturelle porte parfois sur les rituels attachés au salut précédant le combat, mais elle peut aussi prendre la forme d’un impératif d’utilisation d’éléments périphériques au combat : telle tenue est la seule légitime, telle langue est la seule appropriée, tel instrument de musique est le seul adéquat pour accompagner les combats, tel aliment est spécifiquement recommandé dans le régime alimentaire lié à l’entraînement,
tel onguent est le seul apte à recouvrir le corps des lutteurs, etc. La conformité des combattants vis-à-vis de ces éléments culturels, qui sont à la fois périphériques, non-formalisés, mais fondamentaux, ne se prête pas à une évaluation objective : en dernière instance, elle est évaluée selon des critères subjectifs dont l’appréciation n’appartient qu’aux seuls représentants de la culture en question. Les étrangers sont pour le moins en situation de handicap, même si aucun dispositif formel n’interdit leur participation aux combats. Ces « sports traditionnels » rejoignent sur ce point les sports de spectacle pratiqués par des professionnels que sont le muay thai et le sumo. Leur point commun est, comme pour les combats-nations du début du XXe siècle, de créer un lien fort entre une forme de combat et une communauté. Dans ces deux groupes de sports de combat (« sports traditionnels » et sports de professionnels), l’ampleur de l’investissement communautaire est telle que des dispositifs de défense ont été élaborés pour les protéger de l’éventualité de victoire d’un étranger. Une première stratégie pour éviter une telle déconvenue consiste à jouer sur l’appariement des combattants : un combattant étranger trop fort sera confronté à un combattant local de second rang ou en fin de parcours, de façon à pouvoir présenter la victoire de l’étranger comme dénuée de mérite. Un autre stratagème, en ultime recours, consiste à présenter le champion étranger comme quelqu’un d’acculturé, qui n’est plus vraiment étranger, qui est « devenu thaï » (ou japonais, ou autre) et que c’est en raison de son acculturation qu’il est parvenu à devenir champion. Par cette pirouette, l’équation qui lie le combat et sa communauté s’en trouve même renforcée. Le sumo connaît ainsi de grands champions originaires de Mongolie ou d’Hawaï (Akebono, 2 m 04 et 235 kg/Musashimaru, 1 m 91 et 223 kg). Mais leurs origines sont occultées, leurs noms japonisés et leur intégration à la culture nippone soulignée. Ici, on se persuade que la compétence ne peut venir que de la culture locale. L’héritage des « combats-nations » pèse de tout son poids.
Les combats culturalisés hors de leurs cultures Quels sont donc les risques dont cherchent à se protéger ceux qui contrôlent les combats culturalisés ? La maîtrise du marché de l’enseignement est un enjeu majeur, mais ce n’est pas le seul. L’enjeu principal est bien plus symbolique : il s’agit du contrôle de la définition légitime de l’activité. Or, sur ce point, les étrangers sont particulièrement menaçants. Pas forcément de manière
57. Josette Normandeau, À la recherche des grands maîtres, Québec, Éd. de l’Homme, 2004.
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préméditée, ni consciente d’ailleurs : leur méconnaissance partielle de l’activité les entraîne parfois dans des innovations les plus hardies. En capoeira par exemple, l’imagination des Européens est sans limites et les années 1980-1990 les voient danser au son de flûtes, de violoncelles ou de djembés, chanter en français58 et même se faire la courte échelle pour réaliser des sauts périlleux, c’est-à-dire interagir en coopération et non plus en confrontation. Plus généralement, l’ensemble des combats « importés » est soumis aux mêmes tendances d’évolution que les sports et autres activités physiques contemporaines. Outre la compétition et la tentation récurrente de la sportivisation, une des dynamiques majeures qui touchent les activités de combat est la spectacularisation, c’est-à-dire la transformation en performance, au sens anglais du terme. Le combat devient spectacle, souvent bien au-delà de sa dimension compétitive ; les types de spectacles les plus variés voient ici le jour, en réponse à des demandes elles aussi les plus diverses, qui vont de l’exotisme à l’esthétisme, en passant par le sensationnalisme (casse d’objets) ou des attentes plus voyeuristes de vigueur virile et/ou de débordements de violence. Aux côtés de ce dernier type de spectacles, dont le principal attrait est la transgression des normes de contention de la violence, la plupart de ces nouveaux types de spectacles de combats (non compétitifs) s’appuient sur leur dimension esthétique. C’est particulièrement le cas en Amérique du Nord, autour d’activités connues sous le nom de katas artistiques ou artistic martial arts dans lesquels la confrontation a tout simplement disparu. En pencak silat, des versions artistiques (pencak silat seni) sont codifiées à l’époque même où l’activité s’exporte en Occident, c’est-à-dire au moment où l’activité rencontre un public demandeur d’une esthétique exotique. Dans le même esprit, des chorégraphes s’approprient la capoeira et l’adaptent au gré de leur inspiration : on voit ainsi des capoeiristes évoluer non plus en face-à-face mais en ligne, sur une scène où se mêlent d’autres danses « ethniques ». Dans ces appropriations, on quitte l’agôn pour se consacrer au spectaculaire et, éventuellement, au médiatique. Dans leurs pays d’exportation, les combats se trouvent ainsi soumis à des influences et des appropriations différentes de celles qui les travaillaient dans leurs pays d’origine. Le nombre de versions alternatives s’accroît d’autant. Une seconde tendance liée à l’importation de combats « exotiques » dans les pays riches concerne l’abaissement notable du niveau de violence interpersonnelle parmi les pratiquants en salle. Cette euphémisation de la violence découle du profil sociologique des
pratiquants de ces pays-là : un public essentiellement urbain et diplômé (de manière moindre pour les sports de combat du type muay thai ou taekwondo), qui comptent une proportion non marginale de femmes (ce qui constitue une nouveauté), voire de personnes d’âge mûr. C’est sous l’influence de ces publics que les combats en percussion se voient dotés de protections corporelles (coquilles, plastron, casques, etc.) ou que des versions limitées à « la touche » se développent. Par exemple, de véritables combats de capoeira se déroulent au Brésil, avec coups portés (entraînant blessures et accidents), alors qu’en Europe les coups sont rarement appliqués, et toujours avec retenue. L’hygiénisme est une autre tendance forte d’évolution des pratiques de combat, comme le montre l’essor d’activités du type « wushu thérapeutique », taïso (gymnastique présentée comme une remise en forme pré-judo), batuka (aérobic inspiré de la capoeira au son de musique latino) et autres « Capoeira Tonic ». Ici le spectre des adaptations va du simple exercice d’aérobic mâtiné d’exotisme musical ou vestimentaire à la pratique thérapeutique intégrant la vaste famille des médecines alternatives. Dans tous ces cas, l’agôn a bel et bien disparu. Les possibilités d’appropriation ne se limitent pas, loin s’en faut, aux quelques tendances évoquées ici ; il semble bien qu’elles soient tout simplement infinies. C’est pour éviter les effets déstructurants de telles forces centrifuges que des gardiens du temple érigent des doxas dans toutes les formes de combat, traçant la frontière de ce qui leur semble le véritable et l’authentique et jetant l’anathème sur ce qu’ils décrètent dénaturé.
Retour à l’agôn Une autre tendance au « retour aux fondamentaux » porte sur la question de l’agôn. Un mouvement de balancier semble ici guider la dynamique du champ. Le modèle sportif, fortement agoniste, avait suscité dans certaines formes de combat une opposition qui avait in fine mené à délaisser la recherche de l’efficacité combative au bénéfice d’autres préoccupations (spirituelles, folkloriques, esthétisantes ou autres). En retour, un mouvement inverse se dessine maintenant pour revenir vers davantage d’agôn, de confrontation directe et d’efficacité combative. Cette dynamique, qui se développe depuis le dernier quart du XXe siècle, concerne des activités génériquement connues sous le nom de self-defence. Parmi celles-ci, certaines sont relativement anciennes, telles le full contact, le close combat ou le jujitsu brésilien. Ces
58. Simone Pondé Vassalo, « Ethnicité, tradition et pouvoir : le jeu de la capoeira à Rio de Janeiro et à Paris », thèse de doctorat en anthropologie sociale et ethnologie, Paris, EHESS, 2001, non publiée.
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La codification des pratiques martiales
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59. F. Braunstein, op. cit., p. 45 et 160.
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et programmes télévisés pay-per-view) et se décline en diverses formules : Ultimate Fight Combat, Vale Tudo, combats en cage, No Hold Barred, etc. (voir articles p. 32 et p. 46) Ces combats singuliers revendiquent en effet une absence de règles et un déroulement où tous les coups seraient permis. L’absence de catégories de poids, de victoire aux points, de temps limite ou de reprise, la possibilité de porter des coups généralement prohibés (coups de tête, clefs de bras, coups contre un homme à terre, y compris avec les pieds, tirer les cheveux, etc.) : tout porte à faire croire que ces combats sont « réels » et se déroulent en dehors des cadres du combat codifié. Johan Heilbron et Maarten von Bottenburg parlent à ce propos de « dé-sportivisation » pour qualifier ce processus dans lequel, à l’inverse des observations de Norbert Elias, les combats se caractérisent par moins de règles et plus de violence. Encore une fois, le modèle du sport compétitif constitue la référence à partir de laquelle se construit un sous-groupe d’activités. Il faut prendre acte du fait que les interactions entre le monde sportif et les diverses formes de combat, y compris non-européennes ou non-occidentales, sont non seulement anciennes, mais que leurs apports mutuels sont constitutifs de leurs configurations actuelles. C’est en relation avec les autres combats que chaque activité a gagné sa configuration actuelle. C’est également par rapport aux positionnements des autres formes de combat que chacune continue à s’adapter aux dynamiques du champ. Il n’y a pas d’immuabilité dans les combats codifiés, pas plus qu’il n’y aura de retour en arrière vers un « avant » dans lequel le sport n’existait pas ou dans lequel chacun aurait été un isolat ethnologique. Les appellations telles que « arts martiaux », « sport de combat », « sport traditionnel » ou « do » ont été forgées dans le cadre de conflits d’intérêts entre des acteurs sociaux en lutte pour le contrôle des enjeux spécifiques du champ : enjeux commerciaux (les paris et les droits d’entrée ou de diffusion des combats-spectacles, les services et produits dérivés du tourisme martial, etc.) et enjeux professionnels (postes d’enseignement – « maîtres » – et de combattants professionnels pour les spectacles, voire d’artistes chorégraphes). Un autre enjeu, plus symbolique, porte sur la hiérarchisation des sous-catégories du champ, qui tendent à se considérer mutuellement comme des « dénaturations » ou, à l’inverse, comme des fumisteries. Poussée à son extrême, cette logique de hiérarchisation mène à dénier toute unicité au champ et à naturaliser les catégories distinctives : ici, « arts martiaux », « budo », « sports traditionnels »
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activités traditionnelles d’auto-défense ne semblent alors pourtant pas suffire à étancher la demande sécuritaire des citoyens car de nouvelles formes de combat apparaissent sur le marché de l’enseignement. Parmi elles, on trouve des pratiques de combat qui, à l’origine, avaient été mises au point dans le cadre plutôt confidentiel de formations militaires (tel le sambo russe) ou de formation de troupes d’intervention de services spéciaux, à l’exemple du krav maga israélien. Ces combats ont ainsi quitté le secret-défense pour intégrer la famille marchande des self-defences. Dans les activités japonaises ou d’inspiration japonaise, cette époque de durcissement et de retour au combat se traduit par un regain d’intérêt pour certains bujutsu, tel le jujitsu qui est revenu sur le marché international de l’enseignement dans les années 1990. Certains « experts » (comme sont nommés les maîtres qui ne sont pas natifs du pays d’origine de l’activité) n’ont pas non plus hésité à prendre des initiatives et à inventer des formes de combat nouvelles. Ainsi Alain Floquet fonde-t-il un Aïkibudo en 1982 et Jacques Quero crée-t-il, l’année suivante, un Wa Jutsu qu’il présente comme une synthèse du judo, de l’aïkido et du karaté59. Les vocables « bu » et « jutsu » servent ici à signifier ce retour à la recherche d’efficacité combative, aux antipodes de toute spiritualisation esthétisante symbolisée par le do. Dans le sillage de ces innovations, les années 2000 voient également éclore de nouvelles versions de combat, sur la base d’activités anciennes auxquelles on adjoint le préfixe « self » pour signifier leur efficacité combative : self aïkido, self jujutsu, self penchak, self jeet kun do, self krav maga, etc. Cette profusion d’innovations sur le marché des services dits martiaux s’appuie sur une demande très probablement liée au sentiment d’insécurité et à la perception d’une montée de la violence urbaine. Cette vague de retour à l’agôn suscite en outre une sorte de radicalisation qui se manifeste avec l’organisation de combats singuliers entre combattants d’activités différentes : jujitsu brésilien, lutte, sumo, karaté, taekwondo, etc. Ces combats nous rappellent étrangement les combats singuliers qui se déroulaient un siècle auparavant, à la différence majeure qu’ils sont dénués de tout investissement politique : l’enjeu tourne ici autour de la seule question de l’efficacité combative. Tout se passe comme si, après avoir connu une tendance à spiritualiser et à folkloriser les formes de combat, la question de leur efficacité se posait et qu’il faille la résoudre à l’occasion de combats qui seraient dépouillés de toute codification. La formule connaît un certain succès commercial (vente de cassettes vidéo
La codification des pratiques martiales
sociaux qui dominent un champ et imposent leurs visions du monde comme s’il s’agissait d’évidences. Si les maîtres sont habilités à enseigner leurs formes de combat, ils le sont beaucoup moins pour produire des analyses objectives. Les sciences sociales doivent également prendre acte de cet état de fait et ne pas se départir de leur ambition critique face à des discours certes séduisants, mais qu’elles qualifieraient plus aisément de mythiques si bon nombre de leurs représentants n’étaient pas eux-mêmes sous le charme en raison d’une expérience personnelle dans l’une ou l’autre de ces formes de combat.
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et « sports de combat » sont présentés comme des mondes distincts, des compartiments étanches, ayant toujours existé comme tels. L’analyse des combats codifiés doit se détacher des discours véhiculés par les experts et maîtres qui entretiennent, de manière indéniablement séduisante, ce type d’illusions par le biais de récits mythiques totalement exempts de toute référence à des contingences bassement prosaïques (ressources financières, contrôle des institutions et du marché des postes de travail, etc.). Il faut replacer leurs discours dans la position qui leur revient : celle de discours propres aux groupes
LES TENUES UNIFORMES, LE PLUS SOUVENT BLANCHES, font partie des normes qui s’imposent au XXe siècle.
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LES DÉTOURS DU NATIONALISME. À l’issue de son combat contre le Nord-Irlandais Freddie Gilroy pour le titre de champion d’Europe 30 des poids coq à Londres en 1960, Alphonse Halimi déclara « Aujourd’hui, j’ai vengé Jeanne d’Arc ! ».
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Halimi, qui est né et a grandi en Algérie, revendiquait aussi clairement son appartenance à la communauté juive et faisait coudre 31 une étoile de David sur ses shorts.