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Yoann Lemaire
Je suis le seul joueur de foot homo, enfin j’étais…
avec la collaboration de Alexandre Delmar
Préface de Vikash Dhorasoo
Éditions T. G. 31 rue Bayen 75017 Paris 3
Sur les auteurs Yoann Lemaire et Alexandre Delmar J’ai proposé à Yoann d’écrire un livre sur son expérience dans le milieu du football. L’idée m’intéressait parce que football et homosexualité me semblent aussi miscibles que l’huile et l’eau. Nous avons passé plusieurs heures à retracer son histoire en vue d’un projet éditorial. Rapidement, le chapitrage s’est dessiné. Je donnais à Yoann une structure sur laquelle il pouvait commencer à s’exprimer. Je lui posai néanmoins la question : « Yoann, sais-tu écrire ? » Question impertinente ? Pas tant que ça. L’écriture d’un livre répond à des règles qu’il faut connaître. Une même histoire peut être passionnante ou ennuyeuse selon l’auteur qui la restitue. Je demandai à Yoann de rédiger son autobiographie pour me faire un jugement. Je prévoyais déjà de faire appel un écrivain confirmé qui prendrait la rédaction en main, après avoir interviewé notre jeune footballeur.
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Yoann s’est attelé à la tâche pendant plusieurs heures tous les soirs, me disant son plaisir à retrouver les moments les plus forts de sa vie, qu’ils soient heureux ou difficiles. Lorsque j’ai reçu son
texte par mail, j’ai été bluffé. Tout ce qu’il devait nous révéler était là. Yoann savait exactement d’où partir et où aller. J’avais là un diamant brut ; il fallait le tailler pour le transformer en pierre précieuse. Aussi ai-je demandé à Alexandre Delmar s’il voulait retravailler, affiner le texte pour le rendre parfait. Alexandre est l’auteur de Prélude à une vie heureuse lu par plus de dix mille jeunes lecteurs qui se sont retrouvés dans l’histoire de sa jeunesse. Son ouvrage a été le n°1 des ventes dans la plus grande librairie gaie française durant deux ans. Sa mission : respecter le texte de Yoann au plus près. En lisant sa version, j’ai retrouvé l’intégralité des écrits du jeune Ardennais. Alexandre a su servir le récit en ajoutant juste son talent d’écrivain. Ainsi, le lecteur passe de l’anecdote divertissante à l’émotion la plus intense rendant la vie de Yoann passionnante du début à la fin. Alexandre Delmar a publié aux Éditions Textes Gais : Prélude à une vie heureuse Le Garçon qui pleurait des larmes d’amour Te Revoir Le Syndrome de la cédille (suite de Prélude à une vie heureuse) Pédro Torres, éditeur.
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Préface Mon engagement contre l’homophobie se situe au même titre que la lutte contre toutes les discriminations comme le racisme ou l’antisémitisme. Mes parents sont d’origine mauricienne ; j’ai vécu tout cela quand j’étais plus jeune. Se battre plus spécifiquement sur cette thématique a suscité beaucoup de réactions autour de moi. Pourquoi les homosexuels ? me demande-t-on les yeux écarquillés d’étonnement. C’est un combat aussi important qu’un autre. Quand on m’a demandé il y a quatre ans de devenir le parrain du Paris Foot Gay, je n’ai pas hésité. Cela peut étonner, mais ce club comporte un bon nombre de joueurs hétérosexuels. En quelle proportion ? Je n’en sais rien ! Je ne sais pas qui est qui, je m’en fous, et c’est aussi bien comme ça. Un joueur homosexuel n’a rien de spécifique. Ce qu’on lui demande, c’est de jouer collectif et de marquer des buts. La presse, pour sa part, bouge enfin. Elle s’est massivement emparée de l’affaire de l’équipe du Bébel de Créteil qui a refusé de jouer contre le Paris Foot Gay. Elle a également relayé celle de Louis Nicollin, président du club de Montpellier qui a traité le capitaine d’Auxerre de « petite 7
tarlouze ». Dans ce dernier cas, là où l’on s’amusait il y a quelques mois encore d’une certaine truculence, on y voit aujourd’hui un inexcusable dérapage homophobe. J’ai rencontré Yoann plusieurs fois. J’ai eu plaisir à m’entraîner avec lui dans les Ardennes et au Parc des Princes. On a partagé les douches avec l’équipe du Paris Foot Gay sans aucun problème ! J’ai beaucoup discuté avec lui ; j’ai appris à le connaître et à admirer sa détermination. Il est le premier, et encore le seul en France, à avoir eu le courage de dire ce qu’il a au plus profond de son cœur. Yoann, avec son livre au titre provocateur, fait aussi bouger les lignes. Avec le Paris Foot Gay, c’est un combat que nous menons à ses côtés. On le gagnera ensemble. Vite, très vite ! Vikash Dhorasoo
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Chapitre 1 Chaque matin, quelques minutes avant que papa ne frappe à la porte de ma chambre, je suivais le même rituel. J’ouvrais les yeux et tentais de percevoir la lumière du jour à travers les volets. En hiver, il faisait encore sombre, mais dès le printemps, de fins rayons filtraient parfois, me permettant de deviner le temps dehors. Je commençais par observer le mur situé à gauche, celui recouvert de maillots de foot. Mes préférés étaient ceux de Robert Pirès qui jouait à Metz et de George Weah qui avait été recruté par le Paris Saint-Germain. Je portais ensuite mon regard devant, vers l’espace des fanions et des écharpes des clubs. Ma collection se montait à une cinquantaine de pièces, mais j’en possédais plusieurs de l’Olympique de Charleville-Mézières, mon équipe favorite. Au milieu des années quatre-vingt-dix, ce modeste club professionnel évoluait en deuxième division. Ses joueurs fétiches, moins connus que les stars du ballon rond, étaient pourtant mes idoles. Je vivais dans les Ardennes et il n’y avait rien de plus logique que de soutenir le club du coin, celui qui faisait notre fierté. Et puis la deuxième division, c’était quand même quelque chose.
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Je m’attardais enfin sur le mur de droite, celui réservé aux joueurs qui ont marqué mon époque, des leaders incontestables tels que Marco van Basten, Jean-Pierre Papin, Éric Cantona et Basile Boli. Je pouvais enfin accepter le signal de mon père et me lever pour partir au collège. J’habitais au sommet d’une colline de Vireux Wallerand. Le village se trouve au-delà de Charleville-Mézières, dans les grandes collines boisées qui surplombent la Meuse. On pénètre alors dans une fine avancée française en province belge, appelée la Pointe des Ardennes. Au risque de tout ramener au football, le département était aussi connu pour son club phare, le CSSA Sedan Ardennes, et depuis peu pour Woinic, le plus gros sanglier du monde, cette bête colossale réalisée en centaines de tôles soudées entre elles est postée, tel un gardien de la terre, à l’entrée des Ardennes en venant de Reims. Irai-je jusqu’à dire que les Ardennais et les sangliers ont des traits de caractère en commun ? Par certains côtés, incontestablement. Réputé pour être travailleur, l’Ardennais donne souvent l’image d’une personne un peu bourrue. On lui reproche parfois sa distance et sa méfiance. Il est vrai qu’il ne se livre qu’après avoir obtenu des preuves d’honnêteté dans les intentions. Mis, en confiance, il devient aimable, accueillant et drôle, sans renoncer toutefois aux coups de boutoir… caractéristique des sangliers. J’avais treize ans et j’étais un élève médiocre. J’aurais bien aimé figurer parmi les premiers de la classe ; je pense que j’aurais même pu y arriver si j’avais travaillé davantage. Mais 10
les cours ne m’intéressaient pas. Je ne comprenais pas l’intérêt de toutes ces matières, les liens qu’elles avaient entre elles, ou ce qu’elles m’apporteraient dans ma vie d’adulte. À quoi me servirait le théorème de Pythagore ? J’ai pourtant eu des professeurs compétents qui ont tout fait pour que je m’intéresse à leur matière, mais je les trouvais pour la plupart un peu trop… bizarres. Ils étaient agréables, je ne dis pas le contraire, mais ne vivaient pas dans le même monde que moi. J’en ai aussi eu quelques-uns qui auraient mérité d’intégrer un asile psychiatrique. Je me souviens en particulier de ce professeur de français en classe de 4e, une sorte d’extrémiste religieux, fanatique de l’Église Biblique baptiste. Ce gars-là s’était mis dans la tête qu’il devait sauver nos âmes en perdition. Il appliquait à la lettre les enseignements du Nouveau Testament sans jamais les remettre en question. Les sujets et devoirs qu’il nous donnait avaient systématiquement un rapport avec la religion et nous n’avions aucune chance d’obtenir une bonne note si nous ne montrions pas notre désir d’expier nos péchés. Notre professeur d’histoire avait quant à lui été expatrié plusieurs années au Mozambique avant de revenir en métropole pour obtenir un poste dans notre collège. Il passait une grande partie des cours à grignoter son tube de colle et certains de mes camarades, aux préjugés faciles, affirmaient que la colle de l’administration française avait été un complément alimentaire appréciable pendant ses années africaines. Pour moi, le pauvre prof était juste un peu trop stressé et soulageait ses nerfs sur le tube. Mieux valait la colle que nous. 11
Enfin, il y a eu ce jeune professeur de français de 3e, fraîchement nommé dans les Ardennes. Son défaut ? Manquer de virilité. Il était devenu dès le premier cours la risée de toute la classe. Nous étions une bande d’adolescents immatures, inconscients du mal que nous pouvions lui faire et, hélas, je ne me démarquais pas du lot. Au final, la seule matière qui m’intéressait était la biologie – les sciences de la vie et de la terre comme ils disent aujourd’hui. J’y percevais un côté concret, des choses qui pouvaient m’être utiles dans la vie de tous les jours ou quand je partais chasser avec mon père. Malgré mon intérêt relatif, mes notes n’étaient pas fameuses. Et puis il fallait voir la vérité en face : j’étais davantage passionné par le ballon rond que par les cours. Je prenais régulièrement la porte pour avoir été pris en flagrant délit de bavardage avec mes copains alors que nous débattions sans discrétion du match de championnat de la veille. Nous poussions notre goût pour le foot jusqu’à jouer dans la cour à chaque récréation, bravant ainsi l’interdiction stipulée dans le chapitre 4 du règlement, et même dans les couloirs ou pendant le cours d’arts plastiques. Au fond de la salle de classe se trouvait un cagibi dont la porte constituait la cage. Nous faisions de grosses boulettes de papier, condensées au maximum et scotchées pour les maintenir. Nous pouvions alors commencer notre jeu idiot en compliquant légèrement le challenge : nous devions impérativement frapper avec notre mauvais pied. Tôt ou tard, nous atterrissions dans le bureau du principal qui nous donnait en guise de punition des rédactions sur 12
l’Éducation nationale, la Renaissance et même sur la charcuterie ardennaise. Ça ne s’inventait pas. Les sujets ne nous intéressaient pas, et lorsque nous lui en faisions la remarque, il se désolait de notre manque de curiosité. Puisque le foot semblait être toute ma vie, il m’a conseillé un jour, avec une pointe d’ironie qui m’a échappé à l’époque, d’en faire mon métier. Je l’ai cru sans hésiter. Encore aujourd’hui, mes années de collège figurent en tête du classement de mes meilleurs souvenirs d’adolescent. Nous étions cinq copains de classe, unis comme les doigts de la main, toujours prêts à faire des bêtises, mais conscients de notre rang et du respect dû à nos aînés. Les filles étaient pour nous des déesses aussi mystérieuses qu’inaccessibles. Seuls Thomas et Loïc, les deux plus téméraires du groupe, avaient eu un semblant de relation amoureuse. Ils avaient échangé furtivement quelques baisers avec leur copine. L’un d’eux avait même osé toucher la poitrine de sa dulcinée. C’était toute une aventure. Mais leur histoire n’avait pas duré et ils étaient rapidement revenus dans le giron protecteur de notre bande de potes. Notre manque relatif d’expérience ne nous empêchait pas de tout savoir sur le sexe. Nous maîtrisions le sujet de A à Z. La partie théorique en tout cas. Nous en parlions tous les cinq ouvertement et étions capables de déployer des trésors d’ingéniosité pour approfondir nos connaissances sur le sujet. Rémi, le troisième membre du groupe, était régulièrement investi d’une mission divine : enregistrer les films pornographiques sur la chaîne du câble à laquelle son père était 13
secrètement abonné. Il passait ensuite la cassette à Bruno, le dernier élément de notre bande, qui la dupliquait pour chacun de nous. Le visionnage se faisait le plus souvent en solitaire, dans l’intimité d’une chambre. Les performances de Rocco Sifredi nous inspiraient des délires dans lesquels nous nous transformions en étalons. Nous devenions les idoles de blondes siliconées aux seins gros comme des pastèques. Nous étions un court instant ce que nous ne serions sans doute jamais dans la vraie vie… heureusement d’ailleurs. Les jours suivants, nous échangions nos impressions sur la vidéo. Nous critiquions la qualité d’un scénario mal ficelé, des productions bas de gamme. Nous décernions des médailles aux meilleures actrices. À certains acteurs aussi. Ils le méritaient tout autant. Nous nous prenions pour des experts du porno alors que le seul intérêt de ces films résidait dans les plaisirs onanistes qu’ils nous offraient. Des plaisirs qui, pour être honnête, ne duraient parfois que quelques secondes face à tant d’émotion pour notre si jeune âge. Parfois, il nous arrivait de nous réunir chez Bruno pour mater un film tous ensemble. Ses parents étaient souvent absents le week-end. Nous débarquions chez lui après l’entraînement de foot. Nous prenions un goûter sommaire avant de nous installer côte à côte sur les deux canapés du salon. Bruno insérait la cassette dans le magnétoscope et appuyait sur la touche play. Les images défilaient à l’écran ; les fantasmes dans nos têtes et la gêne laissaient place à l’excitation. Des commentaires fusaient pendant des scènes inédites. Parfois, nous piquions des fous rires. Les premiers temps, nous nous sommes tenus à carreau. 14
Puis, au fil des visionnages, Thomas a pris de l’assurance et a franchi un cap en se déshabillant pour se donner du plaisir. Il a très vite été suivi par Loïc dont il était inséparable. Je n’ai été ni surpris ni choqué. Bruno et Rémi non plus. Nous étions peut-être un peu frustrés de ne pas être aussi audacieux que nos deux camarades. Je ne sais pas pourquoi, mais je m’étais toujours douté qu’ils avaient déjà fait ce genre de choses ensemble. Les fois suivantes, nous avons fini par céder à la tentation. Nous avions l’habitude de nous voir nus sous les douches au foot. Alors, quand Thomas a suggéré que nous nous dévêtissions tous ensemble avant le début du film pour être à égalité, l’idée nous est apparue comme une évidence. Au fil des projections, nous avons pris confiance en nous. Nos doutes se sont envolés et certains ont eu les mains baladeuses. Très vite, les dérives nous ont conduits à tenter de nouvelles expériences, à nous livrer à des jeux inédits. Notre rapprochement avait-il puisé sa source dans l’inaccessibilité que représentait pour nous le sexe faible ? Était-il révélateur de certains penchants inavouables ? Cherchions-nous simplement à donner et à prendre un plaisir unique et interdit ? Je ne me souviens pas qu’un seul d’entre nous ait fait allusion à l’homosexualité. Nous étions des gamins de la campagne, fiers de nos racines et de notre virilité de sportifs. Ces projections secrètes nous ont permis de partager des moments de grande intimité dont nous ne parlions à personne d’autre. Notre camaraderie si particulière était un secret inviolable, scellé par un accord tacite que nous n’avions pourtant jamais évoqué. Après l’orgasme, nous reléguions nos « conneries » au placard jusqu’à la fois suivante. Nous 15