Le syndrome de la cedille

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LE SYNDROME DE LA CÉDILLE

ALEXANDRE DELMAR

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LE SYNDROME DE LA CÉDILLE

roman

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Ă€ mes erreurs. Ils se reconnaĂŽtront.

Ă€ ces chansons qui me transportent, me bouleversent et font partie de moi.

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D’Alexandre Delmar : - Prélude à une vie heureuse - Le Garçon qui pleurait des larmes d’Amour - Te Revoir parus aux Éditions Textes Gais

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Garçon, si t’enlèves la cédille, ça fait garcon et gare aux cons, ma fille, gare aux cons. Gare aux cons, gare aux cons qui perdent leur cédille. Koxie, Garçon

J’ai divisé la société en deux catégories : mes amis ou mes cons à moi et les cons des autres que je ne supporte pas. Les cons, ça ose tout, c’est à ça qu’on les reconnaît. Michel Audiard

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Une odeur désagréable You had to win; you couldn’t just pass The smartest ass; at the top of the class Your flying colors; your family tree And all your lessons in history. U2 - Please Comme Lady Di qui ne s’est pas doutée un instant qu’elle allait finir sa journée encastrée dans un pylône du souterrain du pont de l’Alma après un bon gueuleton au Ritz, je n’ai pas vu venir la tuile que j’allais me prendre sur le coin de la tronche. Ni la tuile, ni la totalité de la toiture qui suivait juste derrière. On appelle ça la loi des séries. Le choc ne serait pas assez violent pour m’achever, mais suffisamment pour me laisser de profondes séquelles. Pourtant, aucun indice ne m’aurait permis de deviner que ma vie allait partir en sucette. Seule l’évidence s’imposerait à moi pour m’en convaincre par la force brute. Une saleté d’évidence incarnée par un bip bip… sans le coyote. Pas de bol, car en ce qui me concerne, dans le dessin animé, c’est le coyote que je préfère. Écrasé par une enclume, réduit en bouillie après 11


une explosion de TNT ou électrocuté par un éclair dans le désert, on le découvre sur ses pattes dans la scène suivante, plus déterminé que jamais à choper le road runner. Malgré son air benêt et des idées plus saugrenues les unes que les autres, la ténacité de cette bestiole force l’admiration. J’étais allongé sur le ventre dans mon lit, me félicitant de la vigueur de mon érection matinale. Ma moitié roupillait tranquillement à côté de moi avec une respiration forte, à la limite du ronflement. J’ai ouvert les yeux pour déchiffrer l’heure sur le cadran lumineux du réveil. Il indiquait 7h28. Le timing était parfait. J’ai étendu mon bras pour appuyer sur le bouton off de l’appareil. J’ai toujours détesté les sonneries stridentes. Elles ont le don de m’agacer et de me mettre de mauvaise humeur. Comme le rap. Du coup, je me réveille juste à temps pour désactiver l’alarme avant qu’elle se déclenche. Je remercie mon horloge interne pour sa fiabilité à toute épreuve. J’ai profité encore un instant de l’état second dans lequel je flottais et me suis levé d’un bond à 7h30 précises, satisfait de maîtriser le temps. Certains disent que je suis psychorigide, voire névrosé obsessionnel, en particulier dès qu’il est question de ponctualité. J’en prends bonne note. Nous reparlerons de cela un peu plus tard. Cette journée promettait donc d’être comme toutes les autres, avec ses petits bonheurs et ses contrariétés anodines. J’ai sauté dans la douche et ouvert le robinet. Froide dans les premières secondes, l’eau se réchauffait à mesure que je reconstituais le planning de la matinée : un café avec mon 12


équipe en arrivant au bureau, une réunion avec mon ennemie jurée, Josiane Croupion, une présentation sur un gros projet à finaliser et, cerise sur le gâteau, le point hebdomadaire avec mon chef. Rien de tout cela ne me semblait insurmontable, bien au contraire. Je travaillais dans l’univers bancaire depuis bientôt huit ans. J’évoluais dans ce milieu fait de politiquement correct et de luttes de pouvoir inavouées avec une facilité déconcertante. J’utilisais le système à mon avantage et aussi bizarre que cela puisse paraître, je me sentais dans mon élément. Je me suis glissé sous le jet brûlant et j’ai commencé à me réveiller pour de bon, constatant avec regret que mon érection perdait de son intensité. J’ai savonné chaque partie de mon corps qui méritait de l’être. Et les autres aussi, par la même occasion. Pas question de créer des jalousies. Une fois propre, j’ai enfilé un peignoir de bain et saisi une serviette pour me sécher les cheveux. J’ai chassé la buée du miroir avec le revers de la main et réalisé que j’allais devoir de nouveau faire un des trucs que j’exècre le plus au monde : me raser. Il y a plein de choses que je déteste faire comme aller au supermarché un samedi après-midi, repasser des chemises, regarder un film de Tim Burton ou de David Lynch, dire bonjour à ma cousine Martine (archétype fantasmé de la vulgarité) ou encore aller aux toilettes au bureau. Mais le problème avec le rasage, c’est sa fréquence. Tous les jours. Inlassablement. Je fais parfois l’impasse le dimanche quand j’ai la flemme, je l’admets. J’ai bien pensé à l’épilation définitive au laser, mais hors de question de prendre le risque de laisser des traces de brûlures sur mon visage. Sans compter que ça doit faire vachement mal. Non, je préfère encore me raser. 13


J’ai enduit mon épiderme d’une lotion stimulante à base d’alcool supposée redresser les poils (par quel principe ? Mystère… Mais dans la pub à la télé ça avait l’air super bien sans compter que le mec était canon.) J’ai saisi l’appareil posé sur le rebord du lavabo. Et zou, en avant pour cinq minutes de ronronnement électrique et quatre heures de peau irritée. Enfin prêt, je suis sorti de la salle de bains, toujours en peignoir et plus guilleret que jamais. J’étais de bonne humeur. J’aurais été capable de pousser la chansonnette si je n’avais pas été conscient de chanter faux comme une casserole. J’ai fait un détour par le salon, résolu à consulter mes mails. Et c’est à ce moment précis que j’ai entendu le bruit de l’évidence, que ce bip-bip est parvenu à mes oreilles. J’ai bien failli ne pas y prêter attention et poursuivre mon chemin jusqu’à l’ordinateur. Mais il y avait une couille avec ce bip-bip. Pas de coyote, certes, mais une gigantesque couille. Le bip-bip retentissait à 7h46 (les matheux auront calculé qu’il m’aura tout juste fallu seize minutes pour me doucher, me sécher et me raser) et c’était tout sauf normal. Mon regard s’est alors posé sur la cheminée où trônait le portable de ma moitié avec une petite lumière rouge clignotante qui indiquait la réception d’un sms. Je préviens tout de suite que je ne suis pas du genre à fouiller dans les affaires des autres. La curiosité est un défaut que je n’ai pas. J’ai plutôt tendance à respecter la vie privée des gens qui m’entourent, sans doute parce que j’apprécie tout autant qu’ils respectent la mienne. Je ne demande jamais à mes collègues de travail comment ils s’entendent 14


avec leur copine dans l’espoir qu’ils ne s’aventureront pas sur ce terrain avec moi. Mais, ce matin-là, je me suis senti comme irrémédiablement attiré par ce téléphone. Je ne me posais plus qu’une seule et unique question : qui pouvait envoyer un message à une heure aussi matinale ? Je me suis dirigé sur la pointe des pieds vers l’appareil comme si je n’étais qu’un petit garçon sur le point de braver un interdit. Mon cœur battait un peu trop fort et ma respiration devenait laborieuse. Je crois que j’avais peur de me faire gauler. Je me suis retourné une dernière fois pour vérifier que ma moitié ne s’était pas levée et je me suis emparé du portable en ouvrant le clapet. Et, là, j’ai reçu un choc. L’expéditeur n’était autre que le célèbre présentateur vedette, Pierre-Yves Fistule. Je me suis frotté les yeux pour m’assurer que je n’étais pas en train de rêver. Mais il n’y avait pas de doute à avoir. C’était bien le nom de PierreYves Fistule qui s’affichait à l’écran. J’ai beau ne pas être curieux, il m’était difficile de résister à la tentation de lire le contenu du message. Que pouvait donc vouloir celui que les téléspectateurs appelaient communément PYF à la personne qui partageait ma vie ? Alors, j’ai fait ce que je n’aurais sans doute jamais dû faire : j’ai ouvert le sms. Il ne fallait pas avoir inventé la machine à courber les bananes pour comprendre ce qui était écrit. Le texte était concis et explicite : « Rendez-vous chez moi à 18h, tu me manques, PY. » Mais, au fond, ces quelques mots voulaient dire bien plus que ça. Ils signifiaient que celui que j’aimais et avec qui je vivais depuis presque six ans entretenait une 15


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