Koreana Spring 2005 (French)

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Fe

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BEAUTÉS DE CORÉE

Escarpins brodés

L

e terme «suhye» désigne des escarpins de soie aux

Leu r fabrication consistait à recouvrir l'empeigne de

élégants motifs brodés également connus sous le

plusieurs couches de chanvre auxquelles se superposait

nom de «kkotsin » ou souliers fleuris. Très en vogue dans

une étoffe de soie r ouge ou bleue . A ces opérations

le royaume de Silla [57 av. J.-C. - 935 ap. J.-C.]. ils furent

succédait l a réalisation de gracieu x dessins de

aussi particulièrement prisés des Coréennes jusqu'à la

chrysanthèmes, pins, bambous et feuilles de vigne brodés

Dynastie Joseon [1392 -1910].

avec des fils de soie de couleur. Une paire de «suhye»

Portés par les femmes de la classe dirigeante dite

supe r bement décorés de la sorte représentait un acces-

«sadaebu», ils n'en étaient pas l'apanage puisque celles

soire indispensable pour les élégantes d'alors, certaines

du peuple avaient l'occasion de les chausser le jour de leur

exigeant même l'exécution du motif fleuri de leur choix. Une

mariage, ainsi qu 'en certaines circonstances ou lors de

fois les escarpins chaussés, les longues robes ondoyant à

sorties. Elles constituaient ainsi un article vestimentaire

chaque pas en laissaient discrètement entrevoir la pointe,

très apprécié des roturières.

expression du charme et de l'élégance des belles. 1.:.1


Koreana

Arts et Culture de Corée Vol. 6, N' 1 P r intemps 2005

,,

Forteresses coreennes 8

La Forteresse Hwaseong de Suwon Création coréenne de génie 1

Kim Dong-uk

Koreana sur Internet

http://www.koreana.or.kr

Beauté et originalité des forteresses coréennes 1

18

Cha Yong-geol

Forteresses de montagne, avant-postes de la défense nationale 1

Yu Jae-chun

Citadelles, lieux de refuge des populations 1

Hur Kyoung-jin

© Foundation de Corée 2005 Tous droits réservés. Toute reproduction intégrale, ou partielle, faite par quelque procédé que ce soit sans le consentement de la Fondation de Corée, est illicite. Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles des éditeurs de Koreana ou de la Fondation de Corée. Koreana, revue trimestrielle enregistrée auprès du Ministère de la Culture et du Tourisme (Autorisation n° Ba-1033 du 8 août 1987), est aussi publiée en chinois, anglais, espagnol et arabe.


34

DOSSIER

2005, année de la Corée pour un rapprochement coréano-allemand 1

38

Kwon Young-min

ENTRETIEN

Kim Seok-chul ou l'urbanisme futuriste

I LeeSang - hae

ARTISANAT

Maître Jang Ju-won : toute une vie dédiée à la passion du jade 1

52

Ryu Min

Couverture : Les rois coréens et leurs sujets unirent leurs efforts pour émailler la péninsule de milliers de forteresses constituant autant de lieux de refuge sûrs. Construite en 1624, la Forteresse de Namhansanseong assu rait la défense du sud de Séoul.

Photo: Chai Jin-youn

CHEFS-D'ŒUVRE

Pagodes en pierre à trois étages du Temple Gameunsa 1

56

Kim Seung-hee

CHRONIQUE ARTISTIQUE Park Soo-Keun, premier peintre populaire coréen

Retour aux sources de son œuvre 1

60

Publication trimestrielle de la Fondation de Corée

Kwon Sung-ah

1376-1 Seocho 2-dong, Seocho-gu, Séoul 137-863 Corée du Sud

A LA DÉCOUVERTE DE LA CORÉE

La typographie métallique aux origines de la civilisation moderne 1

66

Kim Hong-yeong

ESCAPADE Jinhae

CO MITÉ DE RÉDACTION Choi Jaan -sik

I Chung ll-keun

VIE QUOTIDIENNE Les foules éclair

Une déclaration d'indépendance culturelle de la jeunesse 1

78

Joung Yoon-soo

SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE Professeur Hwang Woo-su k

Han Kyung-koo, Han Myu ng-hee, Kim Hwa-ypung, Kim Moon-hwan, Kim Young-na , Rhee Jin-bae ABONNE MENTS

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Pionnier de la recherche sur le clonage thérapeutique et les Cellules SOUCheS I Lim So-hyung 82

Kim Hyeh-won

REDACTRICE EN CHEF Chai Jung-wha DIRECTEUR ARTISTIQUE Chai Seang-su DESIGNER Hwang Dong-seok RÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT

Chung Bo-young, Park Ok-soon

Bruissements d'avril près de la Mer du Sud 74

ÉDITEUR Kwan ln Hyuk DI RECTEUR DE LA RÉDACTIO N

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Le «seolleongtang», une invitation au partage

I YoonSook-ja

La Fondation de Corée 1376-1 Seocho 2-dong. Seocho-gu. Séoul 137-863 Corée du Sud Tél, 82-2-3463-5684 Fax, 82-2-3463-6086 PUBLI CITÉ

85

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Jeong Gueoi-rhi IMPRIMÉ AU PRINTEMPS 2005 PAR

Quelques jours à Mujin

I

Traduction:KimJeong-yeonetSuzanneSalinas

Samsung Moonwha Printing Co. 274-34, Seongsu-dong 2-ga, Seongdong-gu, Séoul Tél, [02) 468-0361/5




La Forteresse Hwaseong de Suwon Création coréenne de génie Fruit d'une rigoureuse conception scientifique, la Forteresse Hwaseong représente la quintessence de ce type d'architecture en Corée ainsi qu'un héritage tout à la fois imposant et gracieux. Kim Dong-uk Professeur d'architecture à L'Université Kyonggi Suh Jai-sik Photographe

·est en 1997 que l'UNESCO allait classer cette place forte au patrimoine culturel mondial et déclarer qu'elle constituait un «remarquable spécimen d'architecture militaire bénéficiant des avancées les plus importantes réalisées dans cette science tant en Orient qu'en Occident». Construite au XVIIIe siècle, elle constitue pour ainsi dire le dernier ouvrage fortifié d'un pays au passé millénaire et les experts y voient une remarquable percée technique et technologique dans le domaine de l'architecture. On ne saurait toutefois la réduire à sa fonction militaire car elle possède une dimension autrement plus profonde faite de piété filiale, valeur morale qui régit longtemps les coutumes et usages de la Corée. Elle est enfin le produit de l'école pragmatiste du XVIIIe siècle dite de «Silhak», dont les principes s'appliquèrent à la construction.

C

chant, à l'instar de l'école de Silhak et contrairement à des démarches purement théoriques, à apporter des progrès concrets dans la vie quotidienne, existèrent de tous temps et dans tous les pays, mais elles prirent un sens particulier dans la Corée du XVIIIe siècle. Tout occupés qu'ils étaient jusque là à débattre de philosophie confucéenne, les lettrés coréens s'intéressèrent alors aux modalités par lesquelles ils pouvaient mettre leurs théories en pratique pour améliorer l'ordinaire des gens du petit peuple. Dans toutes les sphères de la société apparurent des germes de changement et on salua dans la Forteresse Hwaseong le plus grandiose accomplissement de ce mouvement. La mise en œuvre par cet ouvrage de multiples expérimentations scientifiques sans précédent et de procédés technologiques des plus avancés procède en grande partie d'un tel pragmatisme, qui y concrétisa l'éthique de piété filiale et le mode de pensée «silhakien».

L'esprit des bâtisseurs

Si respect et gratitude envers les parents constituent des valeurs universelles, la Corée est l'un des rares pays où cette piété filiale s'instaure en norme dans la vie quotidienne, telle trne vertu cardinale profondément ancrée dans la société. Aujourd'hui encore, quand vient la récolte automnale, chacun délaisse son travail pour repartir dans sa région natale retrouver ses parents et rendre hommage à ses ancêtres, obéissant à une tradition qui représente le temps fort de l'année. C'est en découvrant les nombreuses tombes aménagées sur des collines d'où l'on a par ailleurs une excellente vue que les touristes étrangers réalisent à quel point les Coréens vénèrent leurs aïeux. Cette piété filiale indissociable de la coréanité a motivé dans une large mesure la construction de la Forteresse Hwaseong. Des approches architecturales pragmatistes cher8 Koreana I Printemps 2005

Naissance d'une cité nouvelle

La mise en chantier de la Forteresse H~ aseong fut ordonnée par le roi Jeongjo [r. 1776-1800]. vingt-deuxième de la Dynastie Joseon, pour y créer le site le plus adapté à recevoir la sépulture de son père, car si le pays en comptait déjà trois destinés à cet usage, deux d'entre eux abritaient déjà d'autres tombes royales, seul le dernier restant disponible et c· est à l'été 1789 que le monarque y fit élever le tombeau de son géniteur. Ce dernier, le prince héritier Janghyeon [1735-1762]. s'étant attiré les foudres paternelles, connut une fin tragique enfermé vivant dans un coffre à riz. Ce terrible châtiment aurait résulté d'intrigues ourd ies par des hauts fonctionnaires désireux de l'écarter du trône. Lorsque Jeongjo y succéda à son aïeul, il résolut, pour être en paix avec son âme, de faire édifier la tombe de son père,


Le Hwaseongseongyeokuigwe décrit par le détail les dispositifs défensifs dits «gong simdo n» qui dotent les ailes nord- est et nord -ouest de la forteresse. 2 Structure ovale à trois étages, le «gongsimd on» nord- est !tour de guet) constitue l'un des principaux attraits de la Forteresse Hwaseong . D'ét roites meurtrières ménagées au deuxième éta ge permettaient aux défenseurs de diriger leurs armes sur les envahisse urs, et un pavillon situé au troisième étage, de surveiller étroiteme nt les mouvements ennemis.

nommé à titre posthume Prince héritier Sado, à l'emplacement le plus propice qui soit. Comme le meilleur qui subsistât alors se situait sur un versant de colline, dans une localité du nom de Suwon, et non en montagne, il n'y avait d'autre choix que de déplacer la ville pour élever la tombe à l'e mplacement retenu. Cet été-là, le peuple de Suwon reçut ordre d'élire domicile dans une cité nouvelle établie plus au nord puisque la sépulture royale prendrait place sur les montagnes avoisinantes, ce qui fut fait aux confins de la vieille ville en application d'un édit royal, la Nouvelle Suwon surgissant aux pieds du Mont Paldalsan. Cette dernière fut dotée d'une administration locale et des quatre coins du pays, de nouveau x arrivants vinrent se joindre au x premiers habitants. Si un tel projet peut à première vue sembler le fruit de l'esprit dérangé d'un monarque puissant et tyrannique, il se fondait intégralement sur un raisonnement politique dont la logique n'apparaît pé;ls immédiatement. Lors de l'accession du roi au pouvoir, la Cour était en proie à des divisions factionnelles qui empêchaient ce dernier de régner comme il l'entendait, les mêmes qui auparavant avaient conduit son père à sa perte. Fermement résolu à mettre en place un système politique et à asseoir durablement son autorité, il lui fallait disposer de ressources économiques. Carrefour entre la capitale et la partie méridionale du pays, Suwon recevait les marchandises en provenance de celle-ci, mais les montagnes qui l'entouraient rendaient les transports difficiles. Le roi conçut donc l'idée de la déplacer dans une région de plaines pour y attirer marchands et hommes d'affaires et en faire ainsi la plateforme de son soutien économique à la Cour, où le projet ne manqua d'ailleurs pas de susciter les objections de cerPrintemps 2005 1Koreana 9


La forteresse Hwaseong fut révolutionnaire par sa structure affranchie des limitations que connaissaient les constructions antérieures. Son édil':ication fut possible sous l'effet conjugué du travail inlas~able d'un groupe de créateurs privilégiant des préoccupations concrètes et de l'ambition d'un roi cherchant à renforcer le pouvoir monarchique tout en faisant acte de piété filiale envers son père. tains officiers. Soucieux d'étouffer toute prostestation,

effectivement de toutes les constructions précédentes,

Jeongjo argua de sa piété filiale, qui aurait motivé sa

sans pour autant s'inscrire à l'opposé de toute tradition.

volonté sur le site le plus avantageux du pays et qui ne

Ses murailles s'élevant à flanc de rocher sur le Mont

souffrait aucune critique.

Paldalsan, à l'Ouest, et s'étendant en surfaces planes

Lorsque surgit la nouvelle cité, les premiers résidents

partout ailleurs, possédaient un pourtour ovale de 5,4

de Suwon s·y établirent, bientôt rejoints par de nouveaux

kilomètres ponctué d'entrées à chaque point cardinal et de

venus auxquels le monarque avait promis non seulement

quarante-huit ouvrages défensifs.

la prospérité, mais aussi l'attribution de nombreux pri-

Ces derniers comportaient postes de garde, case-

vilèges. La ville s'étendait donc rapidement et trois à qua-

mates pourvues de canons et tours de guet [«gongsimdon

tre années plus tard, sa population s'accrut au rythme de

»] permettant de surveiller les mouvements ennemis.

ses nouveaux quartiers. A la cinquième année, le roi

Nombre d'entre elles ne figuraient dans aucune autre

ordonna de faire ceindre la ville de la plus belle et plus

forteresse coréenne et les plus novatrices en étaient

solide des forteresses de Joseon, qui allait prendre le nom

indéniablement les postes de garde, tours de guet et

de Hwaseong, lançant ainsi le plus important chantier de

«oseongji», douves en forme de cinq étoiles placées à

cette Dynastie Joseon.

l'avant des remparts pour prévenir les incendies. D'une

Fruit du génie scientifique de Silhak c· est à Jeong Yak-yang [1762-1836]. alors conserva-

donc pas particulièrement hauts, étaient d'une construction très s·olide pour résister aux assauts d'artillerie, grâce

teur de la bibliothèque royale, que Jeongjo confia la tâche

à des sacs de sable empilés sur leur face intérieure pour

de concevoir la Forteresse et d'en organiser la construc-

amortir les chocs.

hauteur de quatre à sept mètres, ces murs, s'ils n'étaient

tion. L'homme ne possédait pourtant guère d'expérience

Elaborée au XVIIe siècle, cette technique de construc-

dans cet art, pas plus que dans celui de la stratégie mili-

tion, ainsi que les dispositifs défensifs anti-artillerie, cons-

taire, n'étant pas un guerrier, mais un savant prometteur

tituent l'une des particularités de Hwaseong. Par com-

qui avait passé avec succès les difficiles concours adminis-

paraison avec les ouvrages antérieurs co_mposés de

tratifs nationaux dits gwageo. Parce qu'il voulait que la

quelques remparts percés d'entrées et comptant quatre

place forte fût différente des autres, Jeongjo lui en confia

ou cinq casemates, cette place forte a marqué un tournant

cependant la réalisation et lui remit à cet effet les derniers

dans ce domaine de l'histoire architecturale coréenne en

traités rapportés de Chine, notamment sur les sciences et

ponctuant les remparts de dispositifs défensifs à intervalle

technologies occidentales décrites par un missionnaire

d'une centaine de mètres pour permettre l'installation

allemand. Ainsi commandité par le roi, Jeong Yak-yang

d'armes telles que canons et fusils .

entreprit alors l'étude approfondie de documents relatifs

La présence d'un dispositif aussi important s'explique

aux forteresses coréennes mais aussi chinoises, ainsi que

par la situation de la Corée en ce XVIIIe siècle. Les forte-

de plusieurs ouvrages portant sur les technologies occi-

resses se limitaient alors à de simples remparts édifiés

dentales avant de soumettre un projet de construction

sur des terrains montagneux très accidentés, les zones

particulièrement adapté à la ville nouvelle de Suwon.

peuplées s'étendant dans des plaines délimitées par des

L'édification allait débuter, conformément à ses

murailles, et lors d'invasions, elles se vidaient de leurs

plans, dès le printemps 1794 pour s'achever deux ans et

habitants, qui partaient guerroyer sur les premières. Il

demi plus tard, à l'automne 1796 et le résultat en différa

s'agissait d'une tactique militaire spécifiquement coréenne

10 Koreana I Printemps 2005


,1: 1 Le Suwonneunghaengdo est un e série de huit ta blea ux représenta nt la Forte resse Hwas eo ng.

Celui-ci évoque les festivités que donna le roi Jeongjo à Suwon pour le soixantiè me a nniversa ire de sa mè re !Musée d'a rt Leeum de Sa ms ungl. 2 Cette a utre scèn e du Suwonneunghaengdo est celle de manoeuvres militaires nocturnes réa lisées à l'ouest du poste de co mma nde me nt de la forteresse . 3 Ouvrage de référence , la chroniq ue dite Hwaseongseongyeokuigwe fo urnit des info rmatio ns très précises su r la construction de la Forte resse Hwaseong, ainsi que la chronolog ie des princi pa les étapes du projet, les no ms des age nts de l' Etat ven us s uivre so n déro uleme nt quotidi en et des illustrations détaillées des bâtisses et matériels de construction. 4 Nouveaux a ppareils, tel le «geojunggi », sorte de pouli e destin ée a u levage des pi erres, et matéria ux de constr uc tion améliorè rent considérab le me nt la productivité lors de la construction de la Forte resse de Hwaseon g.

qui avait été mise au point au fil des incursions chinoises

agglomération . Tel fut le principe sur lequ el reposa la

repoussées avec succès, ou de celles de tribus nomades

structure conçue par son architecte, à savoir qu· en temps

venues du nord . Avec la stabilité sociale et la prospérité qui

de guerre, il convenait que les habitants ne soient pas con-

caractérisèrent le XVIIe siècle, la population douta du bien-

traints de gagner la forteresse de montagne, mais au con-

fondé d'abandonner les villes en temps de guerre pour se

traire combattent l'ennemi de l'intérieur de la ville.

réfugier dans les fortins car l'essor urbain dissuadait des citadins toujours plus nombreux de le faire. Destinée dès ses origines à devenir zone d'activité

Il en résulta donc l'édification de remparts d'une hauteur adaptée à la défense et l'implantation, sur toute leur longueur, de divers dispositifs défensifs inexistants dans

économique, Hwaseong accueilli t de nombreu x

les forteresses précédentes et à cet égard, Hwaseong est

marchands qui créèrent toujours plus de richesse et la

bien le produit de son siècle . Bien qu'il ne fû t pas

réalisation de sa forteresse exigea it des techniques de

expé rimenté dans l'art militaire , Jeong , savant de l'école

construction évoluées à la hauteur d'une telle

pragmatiste, était au fait des évolutions en cours et donc Prin te mps 2005 1 Koreana 11


Reconstitution d'une séance d'exercices militaire à la Forteresse Hwaseong. 2 Des feux allumés successivement permettaient d'acheminer des messages vers les rég ions environnantes. 3 À l"ouest de la Forteresse Hwaseong, la porte de Hwaseomun présente un «ongseong», échauguette semi- circulaire en brique faisant saillie pour assurer une protection supplémentaire des accès. 4 La tour polygonale nord-est abrite un pavillon d'où l'on pouvait aussi bien surveiller les environs qu'en contempler tranquillement les paysages pittoresques. 5 Les noms des envoyés royaux préposés à la surveillance du chantier de Hwaseong furent gravés sur des tablettes de pierre.


en mesure de créer un ouvrage d'un type nouveau qui les reflète. De ce fait, Hwaseong représente bien l'aboutissement d'études visant une amélioration considérable de la vie quotidienne.

Technologies et matériaux nouveaux

c·est de brique que sont constituées des dispositifs défensifs tels que tours de guet et casemates, chose rare à une époque où la pierre ou la terre battue composaient les murs des places fortes coréennes. Si ce premier matériau fut couramment utilisé en Chine, tel ne fut pas le cas en Corée en raison du manque d'argile de bonne qualité nécessaire à leur fabrication. En revanche, des roches dures comme le granit étaient disponibles en abondance sur tout le territoire, d'où son emploi très fréquent dans l'édification de murs d'enceinte. Au XVIIIe siècle, certaines contraintes en limitaient

pour faciliter te chargement et le «nongno», autre poulie créée pour le seul transport des pierres.

toutefois l'utilisation, notamment les opérations d' extraction et de transport jusqu'aux chantiers, qui mobilisaient

Archétype de la forteresse coréenne

une nombreuse main-d'œuvre. Dans le cadre de grands

A l'automne 1795, la construction battant son plein, le

travaux, l'Etat imposait alors la rémunération journalière

roi Jeongjo effectua un voyage à Hwaseong en compagn ie

de la main-d'œuvre qualifiée ou non, alors que peu de

de sa mère dont il célébra le soixantième anniversaire par

fonds étaient disponibles pour couvrir de telles dépenses.

un grand banquet. L'espérance de vie moyenne étant alors

Toute corvée étant désormais bannie, il ne restait alors

beaucoup plus courte en Corée, cette fête acquérait une

d'autre option que de réduire la main-d'œuvre.

va l eur parti'culière et donna it lieu à des festins . Ces

Or, l 'emploi de briques exigeant moins de main-

derniers étant restés extrêmement rares durant les cinq

d' oeuvre que l'extraction et le transport du granit issu des

siècles de la Dynastie Joseon, celui qui se donna en

montagnes, un four fut installé sur le chantier pour y cuire

l'honneur de la reine douairière face au tombeau de son

des briques de dimensions régulières, sur les lieu x même

défunt mari allait revêtir une signification d'autant plus

où s· édifiaient les murs, ce qui permit de réduire efficace-

grande et fut aussi l 'express ion de la piété filiale de

ment les dépenses. Restait encore à produire des briques

Jeongjo.

de qualité et c·est là qu'intervinrent les savants de Silhak.

Hwaseong comporta de nombreux aspects originaux

En se fondant sur les traités de technologie chinoise, ils

par rapport au x constructions d'antan, innovations

allaient mettre au point un nouveau four et faire venir sur

résultant des efforts entrepris par les savants de Silhak

le chantier des techniciens qualifiés spécialisés dans

pour satisfaire au x demandes d'une époque en pleine

cette fabrication . C"est ainsi que ce matériau, absent des

évolution . Plus qu'une simple forteresse de pierre et de

forteresses précédentes, put faire son apparition à

brique, elle représente un ouvrage tout imprégné de la

Hwaseong.

piété filiale d'un monarque s'acquittant dûment de ses

L'emploi de machines améliorant la productivité du

obligations familiales ainsi que du génie des savants de

travail contribua aussi largement à la baisse des coûts.

Silhak et à ce t itre, occupe une place privilégiée dans

Après avoir longuement consulté les tra ités techniques

l ' histoire nationale . Une dimension qu ' elle conserve

occidentau x, Jeong conçut divers dispositifs adaptés à

aujourd 'hui encore dans l'ancienne configuration comme

l'emploi en Corée, dont le «geojunggi», sorte de poulie

dans la moderne et qui justifie pleinement de son classe-

destinée au levage des pierres, le «yuhyeongeo», chariot

ment au patrimoine culturel mondial par l'UNESCO. ~

de transport de matériau x possédant une faible hauteur Printemps 2005 1 Ko reana

13


Beauté et originalité ,, des forteresses coreennes Par leur intégration à l'environnement naturel, les forteresses coréennes mettent remarquablement en valeur cours d'eau et relief. Œuvres d'un pouvoir monarchique et d'un peuple forts, ces remparts de protection débordaient aussi d'une vie intense. Cha Yong-geol Professeur d'a rc héologi e histo rique coréenne à l'Université Nationale de Chungbuk Choi Jin-youn Photog raphe

n recense quelque 2 600 places fortes coréennes

toutes deux de l'Age du Bronze, elles allaient acquérir une

vieilles de près de trois millénaires dans une zone

spécialisation fonctionnelle, les premières assurant la

s'étendant de la Mandchourie à la Péninsule coréenne,

défense des régions où la population vaquait à ses activités

voire jusqu'aux confins occidentaux de l'Archipel nippon.

quotidiennes alors que les secondes permettaient d'entre-

Elles varient par leurs dimensions, qui dépassent vingt

poser munitions et provisions en temps ordinaire pour

kilomètres de circonférence pour les plus longs remparts à

offrir un refuge en temps de guerre ou d'invasion. C'est ce

moins de cent mètres pour les fortifications plus modestes.

dernier emploi qui illustre le mieux la tradition coréenne

0

C'est à l'époque des Trois Royaumes (l•r siècle av. J.-C.

car il tirait judicieusement parti des particularités

- VII· siècle ap. J.-C.) que leur construction connut le plus

géographiques des nombreuses montagnes, mettant ainsi

grand essor, ainsi qu'à celles de Silla unifié [676-935) et de

à profit la topographie naturelle.

Balhae [698-926). qui déployaient leurs territoires jusqu'à la

La réalisation d'ouvrages de fortification bénéficia

Mandchourie et à l'Extrême-Orient russe. De la Dynastie

surtout des luttes pour le pouvoir qui opposaient les trois

millénaire de Goryeo [918-1392) à celle de Joseon [1392-

royaumes .de Goguryeo, Baekje et Silla. Ceux des plaines

191 O). leur construction fut destinée à doter les monarques

se combinèrent alors avec les remparts d'altitude en de

de boucliers de protection, les villes de province d'ouvrages

nouvelles constructions constituées d'un bastion et d'une

défensifs et les frontières nationales de murs de sépara-

citadelle complétés de divers éléments tels que hauts

tion. Ce faisant, ces ouvrages allaient contribuer à la

murs fortifiés, portes en tous genres, pièces d'eau,

perpétuation et à la sauvegarde du peuple de Corée.

écluses, remparts ou redans et donjons. Les frontières se doublaient aussi de longues murailles ponctuées de casernes. Quand les combats fai-

Repères historiques Les premiers ouvrages fortifiés coréens remontent à

saient rage, la population des villes de province trouvait

l'Age du Bronze, sous forme de tertres entourés d'une

refuge dans la forteresse de montagne d'où elle pouvait

ceinture de cavernes ou de terrains plats creusés de

mieu x défendre ces agglomérations . Dès la fin du

fossés à intervalles réguliers, présents dès le

x•

siècle

deuxième siècle avant J.-C., les rois de Goguryeo [37 ans

avant J.-C. Cinq siècles plus tard furent découverts les

av. J.-C. - 668 ap. J.-C.) qui régnaient sur la partie septen-

vestiges d'une haie bordant des tranchées, auxquels

trionale de la péninsule et sur une partie de la

allaient succéder les murs de terre battue, puis les fortifi-

Mandchourie élevèrent d'imposantes forteresses en mon-

cations constituées de murailles de pierre.

tagne pour endiguer les incursions des armées chinoises

Les forteresses coréennes évoluèrent alors d'une

unifiées, ceu x de Silla [57 av. J.-C .-935 ap. J.-C.) et de

manière très spécifique. Elles se répartissaient en deux

Baekje [18 av. J.-C.- 660 ap. J.-C.) recourant aux mêmes

grandes catégories selon qu· elles étaient édifiées sur un

méthodes défensives. Dans l'ouest du Japon, les vestiges

terrain plat arrosé par un cours d'eau situé à l'avant ou sur

des forteresses édifiées par les exilés coréens qui s·y

une formation montagneuse dominant la plaine. Datant

installèrent après la chute de Baekje permettent

14 Korea na I Printemp s 2005


Edifiée à l'époqu e des Trois Royaumes, la forteresse de montagne Geumseongsanseong fut reconstruite en 1409. Ses murailles épo usent la topographie montagneuse pour s 'intègrer à l' environnement naturel.

d'apprécier l'ampleur de ces ouvrages et les techniques mises en oeuvre pour leur construction.

leur apparition sur les reliefs les plus escarpés. Tirant les enseignements de l'histoire, les fondateurs

A partir du Moyen-Age, les forteresses coréennes ne

de la Dynastie Joseon dotèrent Hanyang, la Séoul

vont cesser de s'agrandir et d'évoluer en fonction des

d'aujourd 'hui qu'ils avaient prise pour capitale, d'une

besoins. A la fin du

x• siècle,

qui vit l'invasion des Khitans

citadelle de style ancien, et firent de même dans les

de Liao, des ouvrages de grande envergure furent ainsi

grandes villes de l'intérieur et du littoral. Des fortifications

édifiés dans tous les lieux stratégiques situés tant en zone

délimitèrent les bassins fluviaux de Valu et Tumen alors

rurale que dans la capitale d'alors, Gaeseong. Vieille

que citadelles et remparts s'élevaient sur la côte méri-

forteresse et citadelles évoluèrent vers plus de fortifica-

dionale. Des barricades bordées d'étroits sentiers furent

tion. Dressée à la frontière nord, une importante muraille

dressées en des points stratégiques au creux des vallées et

du nom de «Cheollijangseong» permit d'écarter

ravins pour parer à tout échec militaire aux frontières.

envahisseurs Khitans et clans de Jurchi. Quand firent irruption les Mongols au XIII° siècle, les fonctionnaires de

Une beauté changeante

Goryeo furent envoyés construire et gérer des bastions aux

La Corée possède plusieurs sortes de forteresses

quatre coins du royaume et de vastes forteresses firent

dont celles de montagne, présentes sous les royaumes

Printemps 2005 1Koreana 15


Les lieux fortifiés sont des ouvrages empreints d'histoire dont la réalisation fut fonction des époques et des lieux. Témoins discrets des temps anciens, ils perdurent là où disparut souvent l'écrit, brûlé ou égaré. Datant du début de Baekje, la Forteresse en terre battue Mongchontoseong est ceinte d'une palissade en bois et de douves. 2 La Forteresse en pierre Namdoseokseong fut éd ifiée à l'époqu e des Trois Royaumes. Une rivière ca ptée en amo nt ap provisionnait en eau cette place forte, qui compte deux impressionnants ponts voûtés en plein ceintre. 3 La Forteresse de montag ne Gaksansa nseong remonte au roya ume de Goryeo. Da ns le loi ntain , ses murs bas forment sur le relief une lign e dont on aurait pein e à croire qu 'elle correspond à un tel site. 4 Construite au temps des Troi s Royaumes, la Forteresse de montagne Gyeonhwonsanseong met pleinement à profit la topogra phie naturelle. Dressés au faîte de parois roch euses, ses murs atteignent quatre à cinq mètres de hauteur.

successifs, se distinguent par leurs spécificités fonction-

délicieu x repas destinés à retarder sa fille dans ses

nelles et leurs matériaux. Contrairement au x ouvrages

travaux au profit de son fils. Ainsi, lorsque se jouait la vie

rectangulaires des plaines chinoises ou rectilignes et

des concurrents, la fille était-elle toujours vaincue.

angulaires, comme dans le Japon moderne, ceux de Corée

Si l'on attribuait plutôt une physionomie maternelle

possèdent un pourtour sinueux épousant les courbes.

aux forteresses de montagne, il arriva qu 'une «forteresse

Sans forme fixe, elles adaptent leur emplacement à la

vieillard » fît face à une «vieillarde». Chaque village dis-

topographie naturelle et leur exécution met en œuvre

posant de la protection d'un Dieu, ses habitants trouvaient

diverses techniques qui ont évolué avec le temps.

paix et réconfort dans les rites qu'ils accomplissaient pour

Leur construction est entourée d'innombrables

ces divinités tutélaires. Souvent élevées au sommet d'une

légendes mettant en scène une vieille mère et ses enfants

montagne, les forteresses rappellent un bandeau ceignant

rivau x. Le frère et la sœur y font ainsi le pari que l'une

le front d'un homme . Elles portent aussi le nom de

transportera des pierres jusqu'à un emplacement pour y

«sirume» fait de l'a,lliance des vocables «siru» désignant

édifier une forteresse et, que l'autre, chaussé de souliers

un vase en terre cuite percé de trous et «me» signifiant

de fer, se rendra à Séoul et en reviendra, le perdant étant

montagne . Elles évoquent ainsi l'image de ces jarres

puni de mort. Arbitre de cette joute, la mère prépare de

d'argile emplies de gâteaux de riz traditionnels que l'on


plaçait dans un chaudron , en comblant le vide séparant

temps et d'énergie pour escalader leurs versants mon-

ces deux récipients avec de la pâte de riz pour retenir la

tagneu x et quant il parvenait enfin sur place, il était

vapeur. Dans les régions de haute montagne, on appelait

accueilli par les jets de pierre de leurs occupants. Une

«forteresses de garde en acier» les places fortes qui se

telle conception réduisit ainsi au minimum les dommages

nichaient au plus profond des vallées.

occasionnés à l'environnement.

Foyers d'histoire

des techniques de construction faisant appel au sol, à

Les fouilles archéologiques attestent de l'avancement Dotées de murailles sinueuses épousant les contours

l'instar de la forteresse «Samnyeonsanseong», construite

des chaînes de montagnes, les forteresses coréennes for-

en 470, qui se dote de murailles constituées de cent cou-

ment au loin de minces lignes tracées sur le relief, dans

ches de pierres entassées comme des planches sur une

lesquelles on aurait peine à reconnaître un mur. Au gré de

hauteur de vingt mètres et une largeur de douze. Véritables

la topographie naturelle, ces parois tortueuses se confor-

nids d'aigles plantés sur d'abrupts pans de rochers ou

maient aux faîtes et falaises pour produire un ouvrage aux

perchés sur des pics rocheu x, ces grandioses remparts

excellentes qualités défensives qui, pour autant, ne com-

avaient de quoi dissuader tout assaut. La plupart de ceux de

portait pas beaucoup d'autres dispositifs. Les cours d"eau

la Dynastie Joseon furent cependant anéantis à force

qui les traversaient souvent permettaient à leurs nom-

d'invasions japonaises, ne laissant que quelques portes.

breux occupants d'y survivre longtemps. Leur édification

On aurait tort de n'y voir aujourd 'hui que le sanctuaire

sur des terrains escarpés et les écluses de leurs cours

de gloires et défaites passées, car il faut se souvenir

d'eau rendaient inutile la présence d'un corps de garde

qu 'elles constituent une mine d'informations précieuses

pour en défendre les portes. Sur leur face externe, les

portant sur des vérités historiques oubliées, alors que

murs se composaient d'un empilement de roches con-

seule subsiste une infime quantité de manusèrits his-

cassées alors qu'ils étaient lisses à l'intérieur et leurs

toriques après que la plupart d'entre eux furent brûlés ou

interstices, colmatés par de la terre et des gravats, limi-

détruits au cours de l'histoire. Un lointain passé sommeille

tant ainsi le recours à la main-d 'œuvre. Les vestiges de

donc en ces lieux.

quelques constructions de ce type subsistent au pied des

Constructions de pierre étagées qui ont résisté à

montagnes sous forme de piliers en pierre épars. Ainsi vus

l'usure du temps, les forteresses coréennes apparaissent

de l'extérieur, de tels ouvrages peuvent ne paraître guère

peut-être sous leur plus beau jour lorsqu'elles se couvrent

impressionnants et l'on douterait de leur efficacité à

d'une couche de neige. Dans leur enceinte souffle encore

défendre la vie et les biens de leurs habitants.

l'esprit et l'histoire du peuple coréen et leur beauté est à

Leur construction se fondait néanmoins sur des tech-

l'é gal de la culture coréenne, faite de discrétion, de calme

niques militaires permettant de contrer les dispositifs

et de persévérance, reflétant le dur labeur et la sagesse du

attaquants, mais leur principal trait spécifique et atout

peuple coréen . Derniers remparts de protection, leur

résidait dans le sol. Tirant le meilleur parti du cadre

charme tient aussi aux larmes inconnues qui y furent sou-

naturel, elles faisaient perdre à l'ennemi beaucoup de

vent versées. t.t Printemps 2005 I Korea na 17




défense de la porte opposée] » et mit en œuvre un génie

Royaumes ci-dessus poussa chacun d'entre eux à se doter

civil évolué. Par leur localisation idéale et leur technologie,

de systèmes défensifs de plus grande envergure et mieux

les forteresses de montagne de Goguryeo eurent une

organisés que ceu x des autres nations ou groupes en

influence décisive sur l'histoire architecturale.

présence, modifiant ainsi profondément la nature de la

Le Royaume Baekje [18 av. J.-C. - 660] se signale

guerre. D'une plus grande récurrence, celle-ci prit aussi

aussi par ses nombreuses constructions de montagne ,

plus d'ampleur en mobilisant des troupes toujours plus

dont la Forteresse Masuseong et les Palissades

nombreuses lors de fréquentes et importantes batailles

Byeongsanchaek réalisées en 11 av. J.-C. Datant du début

dont le corollaire fut l'extension, le renforcement et la

de la monarchie, ces ouvrages concentrés de part et

diversification des ouvrages défensifs. La construction de

d'autre du Fleuve Hangang allaient par la suite s'étendre

forteresses fut alors à son apogée en Corée, en particulier

jusqu 'à Ungjin et Sabi, plus tard capitales.

dans les régions montagneuses, à tous les points

Nombre de chroniques font aussi état de l'édification de forteresses sous le Royaume Silla [57 av. J.-C. - 935]

stratégiques et à toutes les fontières délimitant les différents royaumes.

telles celles de Gyeongseong, réalisée en 37 avant notre ère, de Geumseong et de Wolseong, à Gyeongju, aux-

Pierre angulaire du système défensif national

quelles s'ajoutent les palissades du Parc Dalseong de

Les premiers temps de la Dynastie Goryeo [918-1392],

Daegu, qui datent de la dynastie. La troisième abrita l'un

réalisatrice de l'unité nationale, virent la défense se recen-

des palais royau x et ses dépendances derrière une

trer sur la capitale, Gaeseong, dont la forteresse royale fut

enceinte fortifiée semi-circulaire.

réaménagée . La décennie suivante allait être marquée par

L 'exacerbation des antagonismes entre les trois 20

Kor ea na I Prin temps 2005

la construction, sous Goryeo, de la Grande Muraille de


1 La Forteresse de montagne Bukhansanseong se déploya sur les crêtes escarpées du Mont Bukhansan à l'époque de Baekje et subit des restaurations sous les dynasties de Goryeo et Joseon. 2 Si on ignore la date exacte à laquelle fut achevée la Forteresse de montagne Ondalsanseong, on affirme que le Général Ondal de Goguryeo l'aurait fait édifier pour se préserver des attaques de Silla. 3 Surplombant de manière stratégique le détroit de Ganghwa, la forteresse du ca p de Gapgot disposait d'importants moyens d'artillerie. De violen ts combats s·y déroulèrent lorsque la flotte française y accosta en 1866.

Les forteresses de montagne caractéristiques de la période de Goguryeo sont disséminées dans diverses régions de la Corée du Nord et de la Chine actuelles, à raison respectivement de plusieurs dizaines en Corée du Nord et d'une centaine dans les seules provinces de Jilin Sheng et Liaoning Sheng.

mille ri, qui s'étendait de l'embouchure du fleuve Yalu jusqu'à Yeongheung, à travers des zones montagneuses situées en aval du Cheongcheongang et du Daedonggang, à l'est. Par la suite, le royaume allait parsemer tout son territoire de tels ouvrages, en s'employant du mieux qu'il le put à les entretenir, reconstruire et restau-rer pour repousser les attaques étrangères et en dépêèhant des envoyés préposés à leur inspection. A son avènement, la Dynastie Joseon [1392-1910) prit pour capitale Hanyang, la Séoul d'aujourd'hui. Les Ming de Chine se trouvant alors en position de force au nord, Joseon réorganisa son système défensif pour s 'en prémunir, bâtissant les citadelles de Hanyang et restaurant les forteresses déjà existantes dans tout le pays. En butte aux incursions des pirates japonais et devant la montée en Asie du Nord-Est des tensions qu'alimentaient les Ming chinois par une pression constante sur les Tatars et les clans de Jurchi, le Roi Taejong, troisième souverain de Joseon, fit édifier des forteresses à des emplacements stratégiques, dans les zones montagneuses du nord, ainsi Printemps 2005 1 Koreana

21


©

Suh Jai-sik

que d'autres, plus massives , dans Les provinces de

© Choi Jin-youn

©

Simong Photo Agency Jeon Seong -yeong

tagne sous La monarchie de Goguryeo, durant Laquelle

Gyeongsang-do et Jeolla-do respectivement situées au

ceu x-ci furent à Leur zénith. Si Les spécimens qui en sub-

sud-est et au sud-ouest.

sistent se trouvent surtout en Corée du Nord et en Chine, il

Le règne du Roi Sejong [r. 1418 - 1450] vit toutefois Les

est impossible de déterminer avec exactitude Le nombre

citadelles succéder aux fortifications de montagne au

de ceu x situés dans ce premier pays, qui en compterait

coeur du système défensif et ces dernières tombèrent en

une douzaine des plus célèbres, comme ceu x de

désuétude, Le pays n· en conservant plus que quarante et

Daeseongsanseong et Baengmasanseong à Pyeongyang.

une au milieu du XVI' siècle. Bien que construits en plaine,

C'est au milieu du Ill' siècle que fut entreprise La cons-

Les nouveaux ouvrages tenaient plus de forteresses trans-

truction de La forteresse de montagne Daeseongsan, qui

plantées, tout en n'en méritant pas Le nom, à l'instar de

s'étend à 270 mètres d'altitude et sur sept kilomètres de

ceu x de Chine ou de Japon. Ils procédaient en effet d'une

Longueur dans La ville de Pyeongyang . Elle allait acquérir

volonté d'adapter à L'architecture sur terrain plat Les avan-

une importance décisive sur Les plans politique et militaire

tages offerts par celle de montagne , à savoir La surveil-

Lorsque cette ville devint capitale en 427, mais tomber en

lance de L'ennemi pour s'en protéger et Les besoins assez

ruine postérieurement à Goguryeo, La porte, La fontaine,

faibles en main-d'œuvre Lors de La construction.

Les hangars à vivres, La caserne et L'arsenal demeurant

À son déclin, La dynastie Joseon fut secouée par de

aujourd 'hui encore. Situé au sud de La forteresse de mon-

vastes conflits, telles Les invasions japonaise, en 1592, et

tagne Daeseongsanseong, le Palais Anhakgung est une

mandchoue, en 1636, qui allaient radicalement remettre

résidence royale fortifiée d'une Longueur de 2 488 mètres

en cause Le système défensif d'alors . De vifs débats

construit en terrain plat. Cet ensemble d ' ouvrages

s·ensuivirent sur Le rôle des citadelles et sur l'entretien

défensifs succédait, à Pyeongyang, à ceu x de Gungnae-

des forteresses frontalières, dont celles de Namhan-

seong, L'ancienne capitale.

sanseong, Bukhansanseong, Tangchundaeseong et

La Forteresse Baengmasanseong se dresse, à 410

Hwaseong, à Suwon, allaient être reconstruites ou

mètres d'altitude, sur Le mont du même nom dans La

adaptées. La première Le fut en prévision d'une éventuelle

province nord-coréenne de Pyeonganbuk-do. Construite à

situation d'urgence où Le gouvernement, dont Le roi ,

L'époque de Goguryeo, elle allait rester en usage et subir

n'aurait Le temps de fuir ni dans L'ile de Ganghwado ni au

de constantes restaurations sous toute La dynastie Joseon .

sud du fleuve Hangang. Avec La montée des tensions

Elle se compose d'une double enceinte Longue de 2,6

provoquée par Les incursions de puissances occidentales à

kilomètres à L'intérieur et de 2,4 à L'extérieur, mesurant six

La fin du XIX' siècle, on assista à La remise en état des

mètres en hauteUr et dotée de part et d'autre de quatre

forteresses de montagne situées sur Le cordon Littoral,

portes cintrées. Situé à un emplacement d'une importance

notamment dans L'ile de Ganghwado.

stratégique à La frontière sino-coréenne, point de jonction avec L'Asie continentale, cet ouvrage fournissait en tous

Forteresses de montagne nord-coréennes et chinoises

sens une excellente vue et permettait donc d'observer par-

de Goguryeo

faitemen t Les mouvements ennemis ou de couper toute

Observons maintenant Les ouvrages édifiés en mon22 Koreana I Printemps 2005

retraite. Lorsque L'armée des Qing se Lança à son assaut


Construction de l'époque Joseon, La Forteresse Gwanmunseong située à Joryeong comprend trois portes se succédant du sud au nord dans La vallée et flanquées de part et d'autre d'un mur d'enceinte. 2 Elevée à l'époque de Baekje. La Forteresse de montagne Gongsanseong conserve aujourd 'hui son plan d'eau bordé d'un talus rectangulaire à gradins. 3 La Forteresse de montagne Onyeosanseong aurait été La première édifiée par Le patriarche de Goguryeo , Le roi Dongmyeong, après qu'il eut fondé La nation.

Principales forteresses de montagne coréennes Forteresse Ondalsanseong Cet ouvrage en pierre s'étend sur 682 mètres au sommet du Mt. Seongsan, à Yeongchun-myeon, dans la ville de Danyang-gun située dans la province de Chungcheongbuk-do. Si on ignore la date exacte de sa construction, on affirme que le

en 1627, elle n'en vint pas à bout.

général Ondal de Goguryeo [?-590] l 'aurait entreprise pour se

En Chine, une centaine de forteresses de montagne

préserver des attaques de Silla. En se fondant sur les diverses

de l'époque Goguryeo subsistent à ce jour dans les seules

légendes qui l'entourent et sur la toponymie des régions avoisi-

provinces de Jilin Sheng et Liaoning Sheng, mais il en existerait beaucoup d'autres. Parmi les plus importantes figurent celles d'Onyeosanseong à Huanren, de Sanseong-

nantes, ainsi que sur les vestiges présents à ce jour, il est probable qu'elle fut bien édifiée à cette époque, puis assiégée et reconstruite sous Silla.

jasanseong, de Bonghwangsanseong et de Yeonjuseong,

Forteresse Gongsanseong à Gongju

d'ores et déjà célèbres en Corée du Sud.

Située dans le quartier de Sanseong-dong de la ville de Gongju,

La Forteresse Onyeosanseong aurait été la première

dans la province de Chungcheongnam-do, alors capitale de Baekje

édifiée par le patriarche de Goguryeo, le Roi Dongmyeong ,

sous le nom d'Ungjin, cette place forte fut construite sous l'ancien

après qu'il eut fondé la nation. Il est écrit sur le monument

Baekje et resta en usage à l'époque Joseon. Elle possède une

dédié au Roi Gwanggaeto que celui-ci «construisit une forteresse et fonda une cité sur le versant ouest de Holbon, dans la vallée de Biryugok», fait que mentionne

longueur de 2 200 mètres, dont 1 810 en pierre et 390 en terre battue, le premier tronçon datant bien de Baekje. Bordé d'un talus rectangulaire à gradins, son plan d'eau en est le plus célèbre vestige.

aussi le Samguksagi [Histoire des Trois Royaumes]. Ce lieu fortifié prend place à 820 mètres d'altitude sur un

Forteresse Gwanmunseong à Joryeong

vaste plateau long d'un kilomètre du nord au sud et de

Située à Mungyeong-eup, dans la ville de Mungyeong, dans la

trois cents mètres d'est en ouest, sur les contreforts du Mt. Onyeosan . Malgré sa situation élevée, il disposait de provisions alimentaires et en eau assez abondantes et,

province de Gyeongsangbuk- do, cette construction de l'époque Joseon comprend trois portes se succédant du sud au nord et flanquées de part et d'autre d'un mur d'enceinte. Elle s'étend au long d'une vallée finissant au Mt. Juheulsan, de 1 106 mètres d'altitude,

étant flanqué d'abruptes falaises sur trois côtés, on peut

à Mungyeong, ville qui jouxte à l'ouest celles de Chungju et_Goesan.

dire qu'il s'agissait d'une forteresse naturelle.

Cette forteresse naturelle ne possède aucune autre voie d'accès.

Connue sous le nom de Forteresse Baegamseong sous Goguryeo, la Forteresse Yeonjuseong fut édifiée en

Forteresse Bukhansanseong

montagne sur les rives du fleuve Taizihe, qu'elle jouxte à

Cet ouvrage fortifié se dresse sur le Mont Bukhansan, au x confins

l'est par un versant escarpé. Réputée pour ses impres-

de Séoul et de la ville de Goyang, dans la province de Gyeonggi-do.

sionnantes murailles et la taille de ses fortifications d'une

Construite à l'époque de Baekje et subissant des restaurations de Goguryeo à Joseon, elle mesure environ 8,4 kilomètres de long et

exécution élaborée, cette construction illustre à merveille

la hauteur de ses murs varie en fonc tion du relief, puisqu e les

le niveau d'évolution atteint à cette époque dans cette

zones escarpées limitent les besoins défensifs, s'adaptant ainsi de

architecture. En 645, elle fut le théâtre de violents combats

manière optimale à la topographie. Les éléments constitutifs en

avec les envahisseurs Tang dont le roi victorieux se lança à

sont une forteresse centrale, trois portes, dix poternes, un palais

l'attaque de la Forteresse Ansiseong, mais fut repoussé

temporaire, un poste de commandement, des entrepôts, 99 puits et

par les troupes de Goguryeo au terme d'une résistance de

26 plans d'eau .

trois mois. t..t

Pri ntemps 2005 1 Ko reana 23




L

e mot «forteresse» évoque des images de bastions,

résidence pour agents de l'Etat en mission [«gaeksa»J,

portes, soldats, armes et batailles qui s'appliquent

d'offices où trava i llaient les employés et de divers

bien dans le cas d'ouvrages édifiés en montagne et

bâtiments tels qu·entrepôts et prisons. La résidence com-

dépourvus d'habitat. La forme la plus courante en Corée

prenait une grande salle parquetée flanquée de part et

en était toutefois la citadelle, construction vouée à la

d'autre de deux chamb res pourvues d'une installation de

création d'espaces de vie plus qu'aux activités militaires.

chauffage par le sol [«ondol»] et de trois portes d'entrée. C'est là qu'étaient gardés les insignes royaux [«jeonpae»]

Brassage des gens du peuple et de guerre

auxquels le gouverneur et les agents d'Etat, t~urnés vers

Le mot «citadelle» a pour équ ivalent coréen «eup-

le palais, rendaient les honneurs au prem ier et au

seong», c· est-à-dire littéralement mur [«seong»J assurant

quinzième jour du mois. La conservation des emblèmes de

la protection d'une ville [«eup»l. L'idéog ramme chinois

la souveraineté conférait à ces lieux plus d'importance, à

correspondant à ce dernier vocable désignait lui-même

certains égards, que le siège même du gouverneur. Les

une telle construction, puisqu'il figurait à l'origine une

inspecteurs provinciaux qui y étaient de passage dans le

muraille. Souvent édifiés sur des dorsales montagneuses,

cadre d'une mission de contrôle y donnaient des banquets

ces ouvrages suivaient un tracé sinueux épousant la

et y présidaient aux concours administratifs locaux. Ils y

topographie. Ils étaient dotés de portes aux quatre points

croisaient parfois des savants régionaux en compagnie

cardinaux et d'une voie routière traversant la cité de part

desquels ils composaient des poèmes dont on accrochait

en part pour relier celles-ci d'ouest en est. Au nord, pre-

longtemps les meilleurs aux murs de la résidence.

naient place l'administration locale, et au sud, marché et habitations.

Les jours de marché constituaient un moment de · convivialité pour le peuple des citadelles. Ces foires d'une

La première se composait du siège du gouverneur

périodicité de cinq jours attiraient aussi ceux qu i, vivant

[«dongheon»J, de sa résidence privée [«naea »], d'une

hors les murs, venaient vendre ou acheter des produits,

26 Korea na I Printe mps 2005


mais on y accourait aussi tout simplement pour se retrouver, palabrer et boire.

La citadelle Naganeupseong est un spécimen de ville fortifiée construite au début de la dynastie Joseon sur une plaine entourée de petites collines basses s'étendant d'est en ouest en une configuration rectangulaire. Derrière ses murs assez bien conservés vit aujourd'hui une population de quelque deux cents âmes.

Toute citadelle possédait sa fontaine à laquelle on s'approvisionnait en eau potable pour les besoins de la vie quotidienne, mais aussi, lors des nombreux sièges, pour survivre jusqu'à l'arrivée de renforts. Cet aspect primordial

pour un approvisionnement continuel en eau fraîche et

explique que dans les descriptions de citadelles figurant

pour rester en bonne santé. La fontaine ne servait pas

dans les index géographiques locaux, il soit fait mention

seulement à la consommation pour boire ou fai ~e la cui-

non seulement de la hauteur et de la longueur de celles-ci,

sine, mais était aussi lieu de socialisation, car lorsqu·elles

mais aussi du nombre de fontaines qu'elles renfermaient.

venaient chercher l'eau ou laver leur riz, les villageoises

Tel est le cas de la citadelle de Nag·an, dont on rapporte

échangeaient des nouvelles et bavardaient. On y partageait

que ses villages de Dongnae-ri et Namnae-ri étaient dotés

événements heureux et malheureux entre voisins, en

de fontaines où s'abreuvaient les habitants et si elles ne

même temps que les commérages et les médisances et

dépassaient guère un mètre de profondeur, jamais elles

ainsi ces lieux, à l'instar des marchés, participaient-ils de

ne tarissaient, même lors de sécheresses et leur eau était

la convivialité.

d'un goût délicieux. On affirma aussi que celle de Namnae-

La construction des citadelles mobilisait aussi la po-

ri avait pour surnom «la grande fontaine» parce que le

pulation des régions et provinces avoisinantes, comme

gouverneur y faisait tirer de l'eau.

celle de Gochang, dans la province de Jeollabuk-do, qui

Le peuple la fêtait au troisième jour du premier mois

manda les hommes jeunes éligibles pour la conscription et

lunaire, et celui de Dongnae-ri, au quinzième, qui était le

les travaux obligatoires prescrits par la loi . Chaque com-

premier jour de pleine lune de l'année . Ces festivités

mune se voyait octroyer un tronçon de muraille dont la

étaient des offrandes sacrificielles par lesquelles on priait

longueur variait en fonction de l'abondance de la récolte Printemps 2005 1Koreana

27


Les citadelles tombèrent à l'abandon avec la modernisation du pays, l'extension du réseau routier exigeant la démolition des murailles pour ne laisser que les portes, comme autant de discrets témoins de l'évolution de ces ouvrages.

annuelle. La première pierre posée au début d'un chantier

et qu· en faisant deux fois le tour de la citadelle, on pourrait

rappelait le nom des bâtisseurs par des mentions telles

vivre vieux et en bonne santé, ou trois fois, que l'on irait au

que «Sunchang si» ou «Namwon si», à savoir respective-

paradis. Cette pratique avait ceci de particulier que les

ment «ici commencèrent les habitants de Sunchang» et

marcheurs portaient sur la tête des pierres de la grosseur

«là commencèrent les habitants de Namwon». Tout en

d'une main qu'ils entassaient après avoir effectué trois

commémorant le début d'un ouvrage, ces inscriptions

tours et être revenus à leur point de départ devant la porte.

rendaient les villageois responsables de tout vice

Quant aux femmes, elles auraient participé à l'édification

d'exécution dans les travau x en cas d'effondrement des

des murs en apportant poignées de terre ou pierres sur

murailles moins de cinq ans après l'achèvement de ceux-

leur tête et c·est le trépignement de toutes ces porteuses,

ci. Les nombreuses pierres gravées subsistant à

qu i par leur poids encore accru par celui des pierres,

l'extérieur des murs attestent ainsi de l'excellente qualité

aurait ainsi consolidé les murailles. Ces mêmes pierres

de ces réalisations.

auraient aussi pu s'avérer utiles en cas de siège en servant de projectiles. En outre, de telles marches effectuées des

Jeux et légendes des citadelles

heures entières à vingt pieds de hauteur avec un seul bras

On raconte que la citadelle de Gochang aurait été

pour tout balancier devait supposer un intense effort

bâtie par des femmes, les hommes s'étant chargés de

physique ayant un réel effet thérapeutique préventif. Cette

celle de Seosan car deux ouvrages devaient être simul-

coutume de «galoper» sur les murailles se perpétue

tanément édifiés dans la région . La concurrence fit rage

aujourd ' hui encore à Gochang une fois par an, au

entre les deux chantiers car celui qui finirait le premier

neuvième jour du neuvième mois lunaire, que l'on a

accorderait aux villageois l'honneur d'accueillir des ser-

déclaré Jour des Habitants de Gochang.

vices administratifs. Sous-évaluant les capacités de leurs rivales, les hommes passaient leur temps à boire et à

Des portes pour seul vestige

chanter alors que celles-ci, travaillant sans relâche, trans-

Passages obligés des périples effectués au départ et

portaient des pierres et élevaient des murs, de sorte que

à destination des citadelles, les portes se dressaient sou -

c'est Gochang qui termina d'abord les labeurs et qui abrita

vent en leurs quatre points cardinau x, dont elles portaient

les bureaux administratifs. Pour célébrer l'événement et

généralement le nom, ou encore celui des quatre vertus

immortaliser la légende, les femmes de Gochang défilent

confucéennes que sont le «in » [bienveillance), le «ui »

chaque année autour de la citadelle, lors d'une fête dite de

[droiture), le «ye» [bienséance) et le «ji» [sagesse) comme

la «galopade» sur la muraille, un rituel destiné à chasser

dans le cas des portes dites de Heunginjimun [augmenta-

les maladies, assurer une longue vie ou ouvrir les portes

tion de la bienveillance), Donuimun [rétablissement de la

du parad is, avec d'autant plus d'efficacité lorsqu'il est

droiture), Sungnyemun [vénération de la bienséance) et

accompli lors d'une année bissextile, car les portes de

Hongjimun [accroissement de la sagesse). Des combles à

l'enfer sont alors ouvertes.

deu x niveau x aménagés au-dessus de la porte servaient

On croyait jadis qu'il permettait de guérir les maladies 28 Koreana I Prin temps 2005

de tou r de guet ainsi que de caserne lorsque la citadelle se


Village folklorique de la citadelle Seongeupseong. Cinq cents ans ap rès sa fondation, cette dernière abrite toujours la préfecture de Jeongui-hyeon depuis 1423. Ses murs se composent de basalte provenant de l"île de Jejudo. 2 Edifiée sous la dynastie Joseon, la citadelle Haemieupseong présente un état de conservation exemplaire . Cet ouvrage en pierre au pourtour de 1,8 kilomètre s· étend en plaine.


La porte de Sungnyemun ou Namdaemun, c'est-à -dire du sud, illustr e bien L'architecture du réseau de citadelles de Séoul. Si La modernisation coréenne fit disparaître La plupart de ces constructions, nombre de Leurs portes subsistent aujourd'hui encore. 2 Construites sur terrain plat, de nombreuses citad elles séouliennes ont aujourd'hui cédé La place à des rues, mais des tronçons en ont été entretenus ou re staurés par endroits. 3 Vestiges de La Forteresse Tangchundaeseong, construite pour relier Le réseau de citadelles de Séoul à La forteresse Bukhansanseong. Sous La Dynastie Joseo n, une nouvelle place forte fut élevée à cet emplacement pour succéder à L'ancienne construction. 4 Le Doseongsamgunmunbungyejido est un e ca rte géographique indiquant L'emplacement, au sein des citadelles, des quartiers rés ervés aux troupes qui assuraient La défense de Séoul. Ces places fortes formaient un ce rcle concentrique au massif montagneux entourant La capitale. Impression sur planche de bois réalisée en 1751, propriété du Musée de L'Université féminine de Sungshin.

situait dans des marches. Les portes étant affectées à la défense d'une zone donnée, on retrouvait aussi cette fonction dans leurs appellations sous forme de vocables tels que «surveillance» ou «protection», à l'instar de celles de Jinnamnu [surveillance de la tour de guet sud) et de Suseongnu [protection de la tour de guet de la forteresse). Quand éclatait une guerre, ces tours faisaient office de postes de commandement des troupes, tandis qu'en temps de paix, le gouverneur y surveillait ses administrés en position dominante, même si agents gouvernementaux et habitants s'y côtoyaient par ailleurs librement. Lorsque l'inspecteur provincial se rendait dans une commune pour y effectuer des contrôles , il enquêtait sur les comptes de celle-ci, ainsi que sur divers documents pour s'assurer de la bonne administration des lieux. Il s'avérait toutefois plus rapide de le faire du haut d'une tour de guet puisque, les bâtiments de l'époque n'étant pas à étage, on pouvait y embrasser du regard l'ensemble de la ville. Après avoir ainsi scruté maisons et activités quotidiennes , embarcadères et ponts, chemins et rizières, plans d'eau et forêts , l'inspecteur partait retrouver le gouverneur de la commune pour traiter des affaires gouvernementales. Si nombre de citadelles disparurent avec l'essor du réseau routier qui marqua les débuts de la modernisation, bien des portes demeurèrent et constituèrent des points de repère pour nommer des quartiers selon qu'ils se situaient en deçà ou au-delà de leur seuil ou des murs d'origine. Dans les agglomérations fortement peuplées où subsistaient des portes, on construisit à leur proximité de nouvelles routes pour en détourner la circulation. Comme l'attestent les plus célèbres d'entre elles à Séoul, telles celles de Sungnyemun, également connue sous le nom de Namdaemun et classée Trésor national n° 1 ou de


Heunginjimun, dite aussi de Dongdaemun et déclarée

quant à elles à l'extérieur du village clanique. Les sites

Trésor n° 1, ces accès constituent souvent d'impression-

propices offrant une vue agréable étaient ainsi inexistants

nants ouvrages d'architecture ainsi que les témoins dis-

au sein des citadelles, ce qui permettait aussi de ne pas

crets de l'histoire des citadelles.

entrer en conflit avec le gouverneur.

Si de nombreuses habitations à toit de tuiles abri-

L'entrée des citadelles se pare souvent de stèles dites

taient des agents gouvernementau x dans la capitale,

du « bon gouvernement» («seonjeongbi » ), q·ui furent

comme on peut le constater sur les photographies datant

élevées par le peuple en reconnaissance de la gestion effi-

de la fin de la période Joseon, les villes de province se peu-

cace accomplie par leur gouverneur. Si tel était le cas,

plaient surtout de chaumières à l'intérieur de leurs murs,

quand celui-ci arrivait au terme de son mandat, on gravait

à l'exception des bâtiments administratifs. A la tête d'un

dans la pierre son nom et la liste de ses bienfaits. Pour

important patrimoine foncier, les nobles de la classe des

être bien en vue, ils se dressaient à proximité des routes

«yangban » préféraient vivre hors les murs dans les vil-

très fréquentées et des bâtiments administratifs, leur con-

lages rattachés à leur clan et attenants à leur domaine. Ils

struction étant parfois imposée par le gouverneur sortant,

y firent donc bâtir de vastes résidences à toits de tuile en

probablement avec l'argent extorqué au x plus pauvres.

conformité avec les principes de la géomancie, c·est-à-

Attestant elles aussi avec discrétion de l 'histoire des

dire sur des terrains bien ensoleillés, bordés de mon-

citadelles, ces stèles rappellent ainsi les vicissitudes des

tagnes à l'arrière et d'un cours d'eau à l'avant et situés à

vies qui se déroulaient sous l' œil bienveillant et protecteur

proximité des maisons des parents proches ou éloignés,

des citadelles. 1..1

les huttes à toits de chaume de leurs serfs se cantonnant Printemps 2005 1 Koreana 31




DOSSIER

2005, année de la Corée Pour un rapprochement coréano-allemand La Corée et l'Allemagne ont déclaré 2005 Année de la Corée, de nombreuses manifestations étant prévues dans ce cadre sur tout le territoire allemand pour y faire découvrir la culture du Pays du tviatin Calme. won Young-min A,Pt.ass, deur de C.oree er, A,tef'1 ine

A

près avoir été retenue comme pays vedette de la Semaine Asie-Pacifique qui se déroulera à Berlin en septembre prochain, la Corée s'est donc vu nommer invitée d'honneur de la Foire du Livre de Francfort, dont le coup d'envoi sera donné un mois plus tard. A cette occasion, il a été décidé de désigner 2005 Année de la Corée et de multiplier les actions correspondantes aux quatre coins de l'Allemagne. Ces deu x manifestations occupant une

34 Koreana I Prin temps 2005

place de premier plan dans la promotion des pays étrangers en Allemagne, une telle sélection concomitante offre une occasion rêvée à ne pas manquer. Une riche programmation s'étalant sur toute l'année et s'étendant à l'ensemble du territoire assurera donc une présentation exhaustive de la Corée, avec pour objectif de rehausser notablement et durablement l'image du Pays du Matin Calme tout en renforçant la coopération entre les deux pays.


1 La cérémonie d'ouverture de la Semaine Asie-Pacifique se tieniira au Konzerthaus iie Berlin. 2 Une affiche du prochain Festival du film coréen qui aura lieu au Musée d'histoire allemande 3 La Semaine Asie-Pacifique de Berlin comportera une exposition et un symposium international s ur les peintures murales des tumulus de Goguryeo, sous les auspices de la Fondation de Corée et de l'U niversité Lib re de Berlin [Freie Universitat Berlin). 4 Lors du Comité coréano-allemand de coopération culturelle qui se tenait à Berlin le 22 septembre 2004, les représentants des deux pays ont officiellement déclaré 2005 Année de la Corée.

Promotion de l'image de la Corée

au projet afin qu'il soit couronné de succès. A la veille de

La signature du Traité coréano-allemand de 1883 sur

cette annonce of f icielle, la société de distribution

le commerce, l'amitié et la navigation a permis une multi-

cinématograph ique allemande 3L-Filmverleih avait déjà

plication des échanges conduisant progressivement à plus

importé dix films coréens dont Old Boy, Taegukgi : frater-

de compréhension et de confiance mutuelles entre deux

nité de la guerre et Silmido et entrepris, à compter de sep-

nations qu'unissent des affinités du fait de leur histoire

tembre 2004, de mettre à l'affiche de 150 salles, dans 71

semblablement marquée par la réussite économique en

villes différentes, un film par mois en ve rsion doublée .

dépit de leur partition .

Trois mois plus tard, un festival de musique coréenne

Malgré ces liens de solidarité anciens, les Allemands

classique et moderne proposant près de vingt spectacles

connaissent pour la plupart assez peu la culture et la

différents était organisé dans quatre villes. Ainsi débutait,

société coréennes et en réalité, amalgament encore le

avec un an d'avance, cette Année 2005 de la Corée.

pays avec des images négatives telles que la Guerre de

Cell e-ci allait auss i partic iper en tant qu'invité

Corée, la division nord-sud, les conflits sociaux ou la ques-

d'honneur, par le biais de la province de Gyeonggi-do et de

tion nucléaire nord -coréenne. Si l'organisation réussie de

l'O r gani sation nationale du tou r isme coréen , au Salon

la Coupe du Monde 2002 de la FIFA y a ajouté celle d'un

international Cara vane-moteurs-tourisme 2005 de

pays passionné par cette discipline sportive, la vision d'en-

Stu ttgart [Internationale Ausstellung für Garavan, Motor,

semble qui en résulte n'est pas pour autant très positive.

Touristik] qui avait lieu au mois de janvier dernier et la

La prépondérance de telles représentations ne peut

première allait également coorganiser avec l ' Etat de

qu'entraver le développement des relations bilatérales et

Baden-Wü rttemberg une réunion de consultation sur les

c· est précisément dans cette optique que se conçoit cette

exportations ainsi qu 'une Journée de l'économie coréenne.

année 2005 de la Corée , qui se destine à favoriser une

La Corée devait aussi être à l'honneur au Festival du film de

coopération concrète entre les deu x pays dans les

Berlin avec une rétrospective des oeuvres d'lm Kwon-taek.

domaines du commerce et de l'investissement, avec pour

Le mois d'avril prochain sera quant à lui marqué par un

condition préalable de diffuser une information fiable su r

concert réunissant l'Université Nationale de Séoul et la

la Corée et de résoudre ses problèmes d'image.

Mannh eim Musikschule, ainsi que par le Technomart Garavan qui se déroulera jusqu 'en mai à Dresde et dans

Echanges culturels C'est lors de la réunion du Comité coréano-allemand

d'autres villes à l'initiative de l'Institut coréen des technologies industrielles et de l'Institut de recherche Fraunhofer.

de coopération culturelle qui se tenait à Berlin le 22 sep-

A l'occa sion du bicentenaire de la mort de Ferdinand

tembre 2004 que les représentants des deux pays ont offi-

Canning Scott Schiller, toujours en mai , divers organismes

ciellement déclaré 2005 Année de la Corée et annoncé que

allemands proposeront des manifestations commémora-

leurs gouvernements respectifs apporteraient leur soutien

tives dans la ville de Weimar. Un festival coréen se trouve Printemps 2005 1 Korea na 35


aussi au programme des festivités du 816éme anniversaire de la création du port de Hamburg, ce même mois, et le suivant, trois croiseurs coréens participeront à la Kieler Woche pour gagner Hamburg et d'autres ports allemands, des manifestations culturelles étant prévues à chacune de leurs escales. Le Cebit de Hanovre, salon de l'informatique et des télécommunications, et celui de l'électronique grand public [IFA Berlin). le plus grand au monde dans ce domaine, offriront aux industries coréennes, respectivement en mai et septembre prochains, de nombreuses possibilités de renforcer leur présence et leur coopération avec les entreprises allemandes de haute technologie, favorisant ainsi les échanges bilatéraux. Enfin, un orchestre militaire coréen effectuera de septembre à octobre une tournée dans diverses localités allemandes pour exécuter des œuvres musicales traditionnelles et populaires.

Une abondante programmation culturelle Point d'orgue de cette Année 2005 de la Corée, la Semaine Asie-Pacifique de Berlin et la Foire du Livre de Francfort se dérouleront successivement en septembre et octobre . D'une périodicité bisannuelle, les premières offrent au pays qui en a l' honneur l'opportunité de présenter son héritage culturel dans la capitale allemande à travers plus de cent manifestations. Sa cérémonie d'ouverture se tiendra le 19 septembre 2005 au Konzerthaus de Berlin en présence du Président de la République fédérale et d'un millier d'invités de marque issus du monde politique, financier, culturel et des moyens de communication allemands, ainsi que de per36 Koreana I Printemps 2005

sonnalités étrangères. A cette occasion, sera donné un concert de gala dont la Corée aura la vedette en présentant un panorama de sa culture classique et moderne. Outre cette manifestation, qui aura lieu dans le Konzerthaus, des spectacles de rue du répertoire folklorique et populaire seront présentés par un orchestre militaire et un ensemble de percussions qui donneront aux spectateurs et médias allemands un avant-goût exotique de la culture coréenne. Après cette grandiose ouverture, le Théâtre national de Corée interprétera la composition Fantaisie coréenne suivie d'autres représentations tant à Berlin que dans d'autres villes allemandes dont Düsseldorf. La Semaine Asie-Pacifique comportera quant à elle une exposition et un symposium international sur les peintures murales de Goguryeo organisés sous les auspices de la Fondation de Corée et de l'Université Libre de Berlin [Frei~ Universitat Berlin). Figurent également au programme la cérémonie d'ouverture du Jardin de Séoul aménagé par cette municipalité dans son quartier de Marzahn, un concert de l'Orchestre de musique traditionnelle de la Ville de Séoul et des expositions de photographies retraçant l'histoire de la capitale sud-coréenne et du projet de réhabilitation du cours d'eau Cheonggyecheon, autant d'occasions de promouvoir la coopération entre les deu x capitales. Le ministère de l' Environnement et l'Agence coréenne de coopération internationale se sont par ailleurs joints à l'Agence allemande de coopération technique [GTZ) pour organiser une série de conférences économiques et commerciales sur l'environnement et la coopération scien-


1, 2 La société de distribution a llemande 3L-Filmve rle ih a importé di x films coré ens, dont Old Boy et Taegukgi : fra ternité de la guerre, à l'a ffi che de 150 salles da ns 71 villes a llemandes. 3 Article d'un journa l a llemand consacré à la artici ation de la Corée au CMT 2005 (Sa lon inte rn atio nal Ca rava ne -moteu rs -tourism e] en ta nt qu'invitée d'honn eur. 4, 5 Invitée d'honneu r à la Foire du livre de Fra ncfort, la Corée souhaite y te nir son ra ng de septiè me édi teu r mondia l e n prése nta nt cen t des plus gra nds chefs-d'oeuvre de s a littérature .

tifique, ainsi que divers échanges rassemblant des participants sud-coréens et allemands. Premier salon mondial du secteur de l'édition, la Foire du Livre de Francfort accueille nombre de manifestations qui lui ont valu le surnom d'Olympiades de la culture. Invitée d'honneur de cette exposition, la Corée y présentera les traductions d'une centaine de chefs-ci' oeuvre, justifiant de son classement au septième rang mondial dans ce domaine. Dans ce cadre, dix grandes oeuvres coréennes seront sélectionnées en vue d'une tournée qui, des mois de mars, lors de la Foire du Livre de Leipzig, à septembre, visera à faire découvrir tout le génie de cette littérature au moyen de symposiums et conférences scientifiques. Cette action mettra aussi en lumière l'alliance d'une culture traditionnelle toute en finesse avec le dynamisme de celle d'aujourd 'hui, qui fait appel aux hautes technologies. En dern ier lieu, la Commission scientifiqu è et technologique coréano-allemande, créée en 2003, tiendra sa troisième conférence au mois de novembre. Réaffirmant l'esprit de cette Année 2005 de la Corée, elle s'emploiera à rechercher, à l'intérieur de son aire de compétence, de nouvelles modalités de coopération entre les deux pays. Nul doute que la Corée saura tirer partie de cet ensemble de manifestations lancées le 1·' janvier dernier, ainsi que du statut de nation avancée que lui a accordé l'Etat allemand, pour présenter au pub l ic de ce pays l'image d'une «Corée propre et prospère, celle d'un peuple oriental tout de blanc vêtu » qui devrait avoir des incidences concrètes sur l'étendue et le volume des échanges commerciaux et des investissements directs. t..t Printem ps 2005 1 Ko reana 37


38 Koreana I Printemps 2005


Kim Seok-chul ou l'urbanisme futuriste

Kim Seok-chul, l'un des grands noms de l'architecture coréenne, mène depuis trente ans une activité centrée sur l'urbanisme. Celle-ci vise aujourd'hui à jeter les bases d'une communauté de la Mer de l'Ouest reposant sur ses projets d'Aquacité et dïCité respectivement conçus pour les villes chinoise et sudcoréenne de Qufu et dïncheon. Lee Sang-hae Professeur d'architecture à l'Université Sungkyunkwan

L

·architecture d'Asie orientale recherche le rap-

témoignent des réalisations qui jalonnent ces trente

prochement de l'Homme et de la Nature constitutive

dernières années, tels le plan d'aménagement de l'île de

de notre planète. Cette approche repose sur le concept

Yeoido à Séoul, en 1972, le Centre des Arts de Séoul, en

philosophique, fondamental dans cette région du monde,

1988, et des projets récents comme l'Aquacité de Qufu et

d'unité entre ciel et humanité. Elle y correspond à une

lïCité d'lncheon.

importante métaphysique selon laquelle Homme et

« Les projets d'Aquacité et d'iCité sont nés lors

Nature ne font qu'un, en harmonie et en relation avec le

d'ateliers de création que j'animais avec le Professeur Wu

cosmos et toute créature vivante, tout en conservant leur

Liangyong à l 'Université chinoise de Tsinghua, de l'idée

individualité au sein de cette entité fusionnelle . Une telle

que la Chine, la Corée et le Japon sont tous trois des pays

vision explique la spécificité organique de l'architecture

d'Extrême-Orient employant des signes d'écriture chinois

d'Asie orientale et son caractère indissociable de la

et possédant une culture et une civilisation fondées sur le

Nature, ce qui sous-entend que cette discipline ne cons-

confucianisme», explique Kim Seok-chul.

titue pas pour l'Homme un simple instrument de confort, mais un facteur d'éveil spirituel.

Depuis fort longtemps, ces trois pays entretiennent d'actives relations commerciales dans la zone qui s'étend du littoral est chinois au Golfe de Bohai et à la Mer de

Création d'une Communauté de la Mer de l'Ouest A partir d'une réflexion poussée sur les relations

l'Ouest et représente aussi un trait d'union culturel et civilisationnel. Le port de Qufu constitue la capitale spirituelle

homme-nature, Kim Seok-chul conçoit et planifie l'avenir

de ['Extrême-Orient, pour ainsi dire son Athènes ou sa

humain à travers l'architecture et l'urbanisme, comme en

Jérusalem, puisqu'il s'agit de la ville natale de Confucius, Printem ps 2005 1Korea na

39


Kim Seok-chul oriente sa réflexion vers une architecture représentative de l'aveni r humain, fondée sur un paradigme urbanistique novateur de fusion entre ville et architecture, infrastructure et milieu urbain.

2

3

4 5

L'iCité est une ville maritime ova le de 300 hectares reliée à l'aéroport international d'lncheon, qui occupe une position centrale en Mer de l'Ouest, par un pont de 12,3 kilomètres. Le projet d'iCité d' lncheo n prévoit d'ova li ser les digu es maritimes rectilignes situées au larg e de la Zone franche ind ustrielle de Songdo afin d'y insérer des terrains su pplémentaires. Le plan d'occupation des sols de l'i Cité intégrera le front de mer, l'i nfrastructure et les superstructures urbaines en une ville dont le génie civil, les in stallations et l'architecture seront numérisés. Le projet d'Aquacité de Qufu vise à resta urer et préserver le foyer d'histoire et de culture qu'est Qufu tout en lui ouvrant des perspectives au XX I' siècle. L'Aquacité de Qufu repose sur le principe des cinq éléments [métal, bois, feu, eau et terre) qui sont à la base de toute vie.

40 Koreana I Printemps 2005

et à ce titre, sans nul doute, un symbole spirituel de la région de la Mer de l'Ouest. Il se situe en outre sur l'artère routière menant aux deux grandes métropoles chinoises de Pékin et Shanghaï. «Les projets d'Aquacité et dïCité ont pour objectif la réalisation de centres urbains emblématiques des origines historiques et culturelles communes de la Chine et de la Corée. Ils reposent sur le concept de création d'une force centrifuge autour de laquelle s'instaurera le nouvel ordre extrême-oriental du 21 " siècle. Le premier prévoit, au nord du fleuve Yihe, le maintien des quartiers de Qufu qui cons-


titueront la cité historique, le sud étant dédié à l'aménage-

Nouveau paradigme urbanistique

ment de la ville nouvelle qui symbolisera la Communauté

Le projet iCité d'lncheon prévoit d'ovaliser les digues

de la Mer de l'Ouest. Au cœur de celle-ci, l'aéroport

maritimes rectilignes situées au large de la Zone franche

international d'lncheon constituera une plateforme de dis-

industrielle de Songdo afin d'y insérer des terrains

tribution aérienne, et l'iCité, un nœud mari-time reliant

supplémentaires. Là où une démarche urbanistique clas-

lncheon aux Provinces du Liaoning et du Shandong »,

sique aurait voulu que l'aménagement de tels espaces

déclare Kim Seok-chul.

précède l'implantation d'infrastructures, suivie de la con-

L'Aquacité et l'iCité se conçoivent donc comme des

ception et de la réalisation des constructions, Kim Seok-

maillons unissant ces deux régions chinoises à la côte

chul innove en effectuant cette première étape en

coréenne de la Mer de l'Ouest au sein d'une communauté

complément des infrastructures existantes afin d'assurer

économique.

une harmonieuse intégration de celles-ci dans le paysage

Printemps 2005 1 Koreana 41


urbain. Ce concept inédit s'inscrit donc résolument à contre-courant de la norme dominante de l'architecture moderne, à l'instar du nouveau paradigme urbanistique de son créateur, qui ambitionne une symbiose entre ville et architecture, milieu urbain et infrastructures. A cet effet, il prévoit d'adjoindre à la digue un pont qui s'incorporera aux équipements urbains pour redéfinir l'espace. Ville d'histoire et de culture fondée voilà plus de trois mille ans, Qufu a vu naître Confucius et constitue donc le berceau d'une philosophie représentant l'essence même de la pensée et de la spiritualité de l'Asie orientale. Le projet de l'Aquacité vise à lui conserver ce statut dans la vision qu'il en propose pour le 21 • siècle, puisque la ville ne constituera pas seulement la pierre angulaire de la futu re communauté de la Mer de l'Ouest, mais aussi un foyer de culture confucéenne et de géomancie, une agglomération centrée sur l'homme, emblématique de la richesse culturelle chinoise, et fondée sur un principe de développement durable susceptible de résoudre les problèmes d'une métropole moderne. «Nous projetons d'édifier au sud du fleuve Yihe un mur d'enceinte de 2,5 kilomètres de diamètre et de mettre en place un réseau de transport spécifique desservant la ville intra-muros par une liaison ferrov iaire à grande vitesse . L'Aquacité repose sur le principe des cinq éléments [métal, bois, feu, eau et terre] qui se situent à l'origine de toute vie puisque ce projet prévoit de drainer vers Qufu les eaux en provenance du nord pour qu'elles s 'écoulent en zone urbaine avant de se jeter dans la mer. En outre, des piles solaires placées sur les murs d'enceinte fourniront une source d'énergie renouvelable illustrant la volonté de créer une ville sans pollution, conçue pour ses habitants», indique Kim Seok-chul. La présentation de ces deux projets a eu lieu en 2004 à l'occasion de la 9•m• Biennale internationale d'architecture de Venise, dans le cadre de l'exposition «Cités sur l'Eau» et lors de cette manifestation, le jury a formulé visà-vis d'eux une appréciation très favorable en y percevant une démarche novatrice issue d'une coopération transfrontalière à l'échelle des deu x villes . Ces modèl es d'urban isme progressif appliqué à une agglomération aux structures tant historiques que contemporaines et mettant l'accent sur l'utilisation de l'eau se sont vu accorder la mention honorable par les jurés.

42

Koreana

I Printemps 2005


A Jeju, le Mu sée du Cinéma de Shinyoung paraît de nature organique avec ses co urb es ondulant librement dans le cadre d'un thème géométrique. 2 Vue panoramique du multiplex CineCity. La ville se mble s· étirer tout autour des baies de cette construction de quinze étages. 3 Les locaux de la maison d'édition Changbi constituent un exemple de fusion d'une construction dans la ville et inverseme nt.

Pri ntemps 2005 1Ko rea na

43


1 Le Centre des Arts de Séoul offre au sein d'un espace culturel et artistique d'envergure mondiale un opéra, une salle de concert, un musée d'art et un théâtre en plein air. 2, 3 Le Centre d'études Hanssem, version actua lisée de l'habitat traditionnel co rée n.

Convergences homme-nature

A Séoul, Kim Seok-chul se consacre en parallèle à un projet de réhabilitation urbaine portant sur le quartier

inversement, concept récurrent des productions de l'architecte, comme au Musée du cinéma de Shinyoung, sur l'île de Jeju, ou à l'atelier Hanssem Sihwa.

résidentiel de Bukchon, qui date de l'époque de la Dynastie

« La ville du XX· siècle était incompàtible avec

Joseon . Il s'agit d'en intégrer les habitations tradition-

l'homme et l'accent étant mis aujourd'hui sur la fonction-

nelles à toit de tuile dites «hanok» dans la ville moderne

nalité et la productivité, elle s'avère un échec et doit donc

en créant de nouveaux espaces urbains et à cet effet, de

évoluer au XXI· siècle. Il convient en particulier que celles

réinterpréter la venelle de Bukchon qui unit les palais de

des pays en développement rapide ne prennent pas en

Gyeongbokgung et Changdeokgung tout en cherchant à la

exemple de tels échecs», affirme le créateur. Sa pensée

réimaginer . L'architecte a déjà à son actif plusieurs

urbanistique s'exprime dans divers projets en cours de

réalisations individuelles alliant le contexte historique de

réalisation, notamment ceux de l'Aquacité de Qufu et de

Bukchon avec la modernité de Séoul, tels le Centre

réaménagement d'une autre ville chinoise, Chongqing .

d'études Hanssem (design au-delà de l'est et de l'ouest).

De constantes hausses de production axées sur le

siège de son cabinet d'architecte Archiban composé de

profit entraînent une consommation effrénée contribuant à

deux «hanok» réaménagées, et la maison d'édition

des dommages écologiques et à l'aggravation de la pollu-

Changbi . Ces projets constituent un exemple type de la

tion . Pour enrayer ce processus destructeur à l'aube du

possibilité de fusion des constructions dans la ville et

XXI· siècle, il importe de s'intéresser de près à l'homme et

44 Koreana I Printemps 2005


à son environnement naturel, de revaloriser une culture et une civilisation humaines que le siècle dernier avait reléguées au second plan. En Asie orientale, la conception de la Nature, selon laquelle celle-ci, l'Homme et toutes choses de cet Univers font partie intégrante d'une même entité , doit également évoluer afin de dépasser une création urbaine relevant de l'anthropocentrisme. La démarche urbanistique de Kim Seok-chul apporte à cet égard une solution alternative fondée sur la synthèse entre matière et esprit, le respect des réseaux relationnels reliant tout dans un monde où coexistence et symbiose sont possibles, ainsi que sur le refus de l'égocentrisme . Elle se veut annonciatrice d'une ère où toute région et tout autre lieu de la Terre occupent une position centrale, tout en reconnaissant le caractère individuel de chaque forme de vie. t;t


Maitre Jang Ju-won : toute une vie dédiée à la passion du jade Matériau noble aux délicates teintes, le jade ravit l'homme depuis des temps ancestraux, parfois à l'égal d'un trésor, comme en Orient. Jang Ju-won lui donne vie par de splendides créations artisanales reflétant une passion et un dévouement remarquables. Ryu Min Rédactrice occasionnelle Oh Jong-eun Photographe

46 Koreana I Printemps 2005


S

i l'or est tout aussi apprécié en Occident qu'en Orient, le jade est plus particulièrement lié à ce dernier, qui

lui accorde une grande valeur. L'aspect à la fois translucide et miroitant de cette pierre ne cesse d'enchanter ceux qui la portent, outre qu· on lui attribuait jadis une pureté immaculée symbolique des vertus prêtées au x grands lettrés confucéens ou «seonbi».

Fatidique rencontre Classé n° 100 au patrimoine culturel immatériel, le maître artisan Jang Ju-won réalise des jades de toute beauté grâce à son talent artistique et au savoir-faire acquis au fil du temps. Ses ouvrages ont reçu un accueil dithyrambique, d'aucuns affirmant que, par son sens esthétique et le perfectionnement de sa technique, il surpassait ses prédécesseurs coréens mais aussi chinois, ces derniers ayant longtemps fait figure d'experts incontestés dans cet art. «L'art du jade possède des origines anciennes en Corée, comme en témoigne la découverte d'un site artisanal néolithique le long du bassin fluvial de Namgang à Gyeongju. De la période des Trois Royaumes à la Dynastie Joseon, les accessoires, bagues, boutons et breloques de

Encensoir en forme de Mont Bongnaesan !jade blanc, 200 x 260 x 700mm) : le corps du récipient. le dragon tenant un cintamani dans sa gueule et la chaîne double. tous gravés sur une pièce de jade unique .

jade étaient très appréciés des femmes de la haute société. Si la Corée parut alors en arrière de la Chine par ses procédés artisanaux, il n'en est rien aujourd 'hui. Je suis fier d'apporter la démonstration que ces techniques ont évolué, et je dirais même plus, que la Corée est actuellement le pays créateur par excellence dans ce domaine». Né en 1937 à Mokpo, dans la province de Jeollanamdo, Monsieur Jang a consacré la plus grande partie de sa vie d'adulte à l'art du jade après s'être découvert une véritable passion pour cette pierre et en accord avec sa famille. Comment s'explique cette fascination vieille de quarante-trois ans? «Le jade accepte tous mes défis sans la moindre réserve. Que je le taille finement ou l'incruste en profondeur, il se laisse façonner à ma guise. Sa beauté sereine est une source d'émerveillement sans cesse renouvelée». Joyau tout à la fois solaire, par son éclat diamantin, et lunaire, par son charme subtil empreint de dignité, il suscita une telle admiration chez Jang Ju-won, lorsqu'il le découvrit à l'âge de vingt ans, qu'il se sentit comme noyé dans un clair de lune. Déjà renommé dans le quartier Printemps 2005 1Koreana 4 7


séouljen de Jongno pour ses talents de joaillier, il reçut un jour la visite d'une pe rsonne qui, ayant eu vent de cette notoriété, venait le solliciter pour la restauration d'un encensoir de jade. Jang Ju -won se souvient encore très bien du vertige et des maux de tête qu'i l ressentit alors à force de chercher comment et par où il commencerait. Décidant par la suite de se consacrer à cet art et découvrant sans tarder que nul n'était en mesure de le lui enseigner, il résolut d'assurer autant que possible sa propre formation, laquelle allait l'emmener dans une centaine de pays, notamment Taïwan . Après l'établissement de relations diplomatiques entre la Corée et la Chine, ses voyages sur le continent chino is se firent plus fréquents. Dès qu'il butait sur un obstacle ou éprouvait le besoin de se renouveler, il repartait ainsi contempler les objets d'art ou d'artisanat en jade des musées ta·1wanais ou chinois et une fois nanti d'une nouvelle inspiration, rentrait en Corée. Quand surgissait une idée, il restait cloîtré dans son atelier au mépris du temps, passant des nuits blanches pour ne pas interrompre le fil conducteur de sa passion artistique, travaillant en chemisette dans son studio sans chauffage pour chasser la fatigue sans jamais ressentir le froid . «L'homme a une surprenante force d'esprit. On me 1 Encensoir au phénix ljade blanc, 150 x 150 x 220mm] : Parés d'ajours exquis, les encensoirs et récipients superbement exécutés par le maître Jang Ju-won sont aujourd'hui sans pareils . 2 Théière en forme de gourde ljade vert. 200 x 150 x 170mm]: Jang Ju-won aime particulièrement à réaliser ces motifs de cigales. dont il a appris l 'humilité. puisque ces insectes restent à l'état larvaire pendant sept années pour ne vivre qu·un été à l'âge adulte.

demande souvent pourquoi j'ai consacré ma vie au jade et la seule raison en est que je l'aime. Je ressens ce lien en prenant conscience que le jade s'allie en essence au vouloir de l ' homme pour produire un chef-d'oeuvre . Toutes les pièces sont différentes et j'y découvre fréquemment des fissures imprévues en effectuant une incrustation sur un grain irrégulier. Si je parviens à y passer outre pour réaliser un bel objet, j'ai l'impression qu'il se crée avec lui une certaine intimité».

Une ovation mondiale Suite à l'extraction du jade, il convient d'éviter toute exposition directe de celui - ci à la lumière du soleil car, de même que l'oeil humain a besoin de temps pour passer de l'obscurité à la lumière, cette pierre restée enfouie sous terre pendant des centaines de millions d'années nécessite aussi un temps d'adaptation à son nouvel envi ronnement en surface. Il faut en outre le placer dans un sac de boue jaune porté e à une température de 800 à

1 000° C pour prévenir les fissurations. Il présente un grain aux motifs variés et une couleur bleue, blanche, jaune ou marron clair en fonction de sa provenance. 48 Koreana I Pri ntemps 2005


Dès son tout premier ouvrage, le jade allait conquérir Jang Ju-won, éveillant en lui un inaltérable engouement. Lorsqu'il découvrait un beau morceau de pierre brute, il pouva it passer des mois, voire des années en admiration devant lui avant que ne prenne corps l'idée d'une composition.

3 Jang Ju-won contemplant son œuvre. L"exécution d"une pièce peut prendre un à deux ans. voire des décen ni es

Pri ntemps 2005 J Koreana

49


Jang Ju-won connaît une absolue extase lorsqu'il met la main sur un jade exceptionnel, puis des mois, voire des années, peuvent s· écouler avant qu'il ne décide de sa destination et ne lui fera franchir le seuil de son studio que pour entamer la réalisation de l'œuvre dûment conceptualisée. «En Chine, les artisans commencent souvent par tailler séparément les différentes pièces qu'ils assemblent ensuite. A l'inverse, j'ai pour habitude de partir d'une pièce unique d'où proviennent tous les éléments d'une même production, par exemple le récipient, le dragon incrusté, la perle qu'il tient dans sa gueule et les chaînes qui l'entravent». Jang Ju-won sculpte ses créations au moyen d'une scie de précision spéciale, cet outil de découpage étant fabriqué par dépôt de grains de sable d'une dureté de 8 ou 9 degrés sur un fin fil de soie. Pour percer un trou dans le jade, l'artisan y enfonce délicatement un cordon fi xé à une pointe afin d'obtenir la forme souhaitée . Enfin, il polit l'objet obtenu à l'aide d'une fine poudre d'oxyde de fer rouge. A chacune de ces étapes est ainsi réalisée une opération lente et minutieuse que l'on ne peut écourter en aucune manière et son exécutant se doit donc de faire preuve d'une infinie patience. Tel ouvrage entrepris par un père peut donc être repris par son fils, voire son petit-fils, pour mener à bien sa réalisation. S'efforçant toutefois de réduire ces temps d'exécution, mais aussi et surtout de mettre en valeur les subtils détails de ses créations, Jang Ju-won associe les techniques artisanales traditionnelles à des dispositifs modernes tels qu·outils à main et appareils motorisés. Il réalise des encensoirs et bouilloires parés d'ajours exquis que l'on dit sans pareils dans le monde, ainsi que des chaînes doubles taillées sans fissuration dans une même pièce, ce dont il a l 'exclusivité . Parmi ses productions récentes figure un flacon de parfum en forme de gourde et

à l'ouverture de la taille d'un trou d'épingle dont l'exécution a représenté une nouvelle prouesse. Une exposition qui se déroulait aux Etats-Unis en 2001 a permis de faire apprécier ces véritables chefs-d' œuvre de perfection artistique et d'élégance extrême, cet accueil élogieux consacrant la créativité et le dévouement ardent de leur auteur.

1 Au cours de ces quarante-trois dernières années, Jang Ju-won s·est à tel point dévoué au métier que l'on peut parler à Juste raison de fascination pour le jade. 2 Jang Ju-won s·attache aussi à populariser son art . le,. un pendentif traditionnel orné d'un flacon de parfum gravé selon une technique classique.

50 Ko reana I Printemps 2005

Une déontologie exemplaire

Souhaitant doter chacune de ses créations d'un contenu philosophique, Jang Ju-won orne la moindre bouilloire de motifs élaborés de feuilles de vigne entrelacées,


sauterelles, fourmis et abeilles. Il exprime ainsi toute une symbolique de la complexité des affaires de ce monde représentées par l'entrelacement de la vigne, de l'oisiveté totale, par les sauterelles, des durs labeurs, par les fourmis, et de l'intégration harmonieuse au sein d'une équipe, par les abeilles. Enseignant à l'Université de Kyonggi depuis 1999, il exhorte sans cesse ses étudiants à travailler avec zèle et assiduité. «Si je me trouve aux origines de l'art du jade coréen, il incombe à mes étudiants d'en inaugurer l'âge d'or. Pour exceller, il faut accomplir ce que d'autres n'ont pu faire, c'est-à-dire élaborer un art du jade spécifiquement coréen . A l'instar du «hwimori jangdan », ce cycle quadrimétrique rapide représentant les battements du coeur d'un sujet coréen, nous devons faire appel à notre passion et à notre sensibilité pour réaliser des ouvrages que le monde entier appréciera». Depuis ses premiers pas dans le métier, jamais il n'a oublié que l'art du jade procédait d'un combat contre soimême ni n'a cédé au besoin instinctif de manger, boire ou même se soulager au détriment d'une intense concentration tant sa fascination pour le jade est puissante. En dépit de sa réputation de meilleur artisan au monde dans ce domaine, son ardeur créatrice demeure intarissable, persuadé qu'il est, au terme de méditations métaphysiques sur l'univers, que ses travau x ne font qu'imiter les grandioses accomplissements du Créateur. «Je décore souvent mes jades de motifs de cigales, car celles-ci demeurent à l'état larvaire pendant sept années pour ne vivre qu'une saison, certaines y restant même paraît-il vingt-sept ans en Chine . Je trouve cela attristant et considère que mon travail n'est rien auprès de l'endurance de ces insectes». Le maître Jang s'attache actuellement à l'accomplissement des projets de toute une vie que sont la

Fantaisie coréenne à laquelle il travaille depuis vingt-trois ans et les 501 Figurines entrepris voilà dix-neuf ans. Le premier retrace, sur une pièce de jade unique pesant trois tonnes, toute l'histoire de la Corée de l'époque de Dangun, père fondateur légendaire de la nation, au x

Etapes de la réalisation d'un encensoir de jade A Déco upe de la pi èce de jade dans la masse au moyen d' une scie et de carbure de silicium . B Exécu tion du motif sur la p1ece de jade et gravure des lignes au poinço n. C Réa li sati on du pied à l'aide d'un ma rt eau tubulaire. D Taille du réc ipi ent à la m eule. E Taille et gravure à la m eule de l' in téri eur du cou vercle. F Ultime gravure au moye n d' une lam e de diam ant G Gravure des motifs sur le réc ipi ent. H Pi èce fini e. Photographies: Institut national de recherche sur l'héritage culturel

temps contemporains, alors que le second consiste en une sculpture représentant les cinq cent un personnages ayant contribué à infléchir le cours de l'histoire coréenne dans divers domaines, et parmi eu x, l'un des maîtres du jade à son atelier. ~ Printemps 2005 1 Koreana

51



~

s

ignifiant étymologiquement «entasser», le terme sanscrit

stupa allait désigner par la suite une sorte de tombe construite en terre ou en briques pour abriter les cendres du défunt. Lorsque le vénérable Sakyamuni quitta ce bas monde, le sens du vocable évolua considérablement. Selon les préceptes du Bouddha historique, de nombreuses tribus procédèrent à l'enchâssement de

sarira, ces restes calcifiés par l'incinération, dans les stupas édifiés

à pro ximité des temples voisins . Outre sa fonction funéraire, le stupa a valeur d'objet de culte symbolisant les enseignements de Bouddha et représente

a1ns1

une

figure

emblématique de l 'expansion du bouddhisme . C'est groupé·s autour d'elle que les fidèles méditaient sur la substance de l 'univers, tout en priant avec ferveur pour la réalisation de leurs souhaits. Sous sa forme la plus cou rante en Inde, le stupa évoque un empilement de jattes plac ées à l 'envers, mais la bouddhisation de la Chine en a altéré la conception dans la plastique comme dans les matériaux, conduisant communément à des structures à neuf ou treize gradins réalisées en bois ou en brique. Lors Printemps 2005 1Koreana

53


C'est lors du démontage de ces édifices réalisé en 1956 et 1996 en vue de leur entretien que furent successivement mises au jour deux reliques dites sarira. Ces vestiges, qui témoignent d'un haut niveau de savoir-faire et d'excellence dans l'art de la sculpture et dans l'exécution d'ouvrages métalliques, ne font qu'ajouter à la richesse du temple Gameunsa.

rocheuse s'enfonçant dans la Mer de l'Est. C'est sur le flanc de montagne menant à cette sépulture qu'allaient être édifiées, en l'an 682, les pagodes en pierre à trois étages du Temple Gameunsa. Construit parallèlement aux pagodes, le pavillon dit Geumdang fut équipé d'une canalisation d'eau placée au-dessous du parquet et débouchant à l'extérieur sous un mur de soutènement en pierre afin de permettre au souverain, réincarné en un dragon, de circuler aisément entre ce sanctuaire et le lieu où il 2

de leur apparition en Corée, ils

monarque Munmu [r. 661 - 6811,

reposait sous la mer. Pagodes en pierre coréennes

présentaient une exécution analogue

chercha à asseoir son autorité et à

Les pagodes de Gameunsa

qui évolua cependant par la suite vers

mettre en place une nouvelle forme

tirent leur renommée de l'exception-

des constructions plus élégantes et

de gouvernement. Il espérait avant

nelle valeur historique et artistique

simples, principalement en pierre et

tout réaliser l'unité idéologique du

qu· elles possèdent en Corée. C'est en

pays grâce au rayonnement du boud-

effet de leur construction, avant

à trois gradins.

dhisme qu'il s'efforçait de favoriser

laquelle chaque temple n'en compor-

pour gagner la confiance du peuple. Il

tait qu'une seule occupant une posi-

allait toutefois succomber avant

tion centrale parmi les différents

[Goguryeo, Baekje et Silla] et de

d'avoir vu se réaliser son rêve le plus

édifices, que date la pratique d'en

l'Antiquité coréenne, celui de Silla [57

cher grâce à son fils Sinmun [r. 681 -

élever deux

av. J.-C. - 935 ap. J.-C.] fit du boud-

692] qui, durant son règne, s'acquitta

enceinte. Si les raisons d'un tel

dhisme la religion d'Etat après avoir

de cette tâche en faisant élever le

changement demeurent inconnues, il

unifié avec succès la péninsule

Temple Gameunsa et ses pagodes en

se voulut certainement le symbole du

coréenne en 676 en expulsant ses

pierre à trois étages.

Quand le rêve devint réalité

Dernier des trois royaumes

dans

une

même

pouvoir monarchique centralisé et

anciens alliés les Tang. Désireux de

Conformément à ses souhaits,

des aspirations populaires. Les

consoler ses sujets de décennies de

le roi Munmu fut incinéré et ses cen-

pagodes de Gameunsa sont en outre

souffrances dues à la guerre, le

dres furent conservées sur une arête

le fruit d'une prouesse architecturale

54 Koreana I Printemps 2005


1, 2 Les récipients renfer ma nt les «sa r ira» découverts dans les pagodes de Ga meunsa se compose nt de coffrets intérieurs et exté ri eurs contenant des jarres . Ces reliqu es remarquables attestent de la splend eur de l'artisanat à l'époque de Silla Unifié (Institut national de recherche su r l'héritage cu lturel) . 3, 4 Les Quatre divin ités tutélaires figurant sur des récip ien ts r ituels et un coffre de bronze destin é à ab rite r les «sarira» furent déco uve rts lors du démontage des pa godes de Gameunsa en vue de leu r entretien (Musée national de Co rée!.

qu'attestent leurs proportions, ainsi que l'équilibre et l'harmonie de leurs structures appariées. Il conv ient en outre de noter qu 'elles occupent une place particulière dans l'histoire de l'art coréen puisqu'il s'agit des premiers édifices de ce type en pierre, dotés de formes

à la fois simples et majestueuses . Leur construction marque une r upture avec l'ancienne pratique consistant à adapter la pierre à la reproduction de structures de bois . L'abondance du maté r iau et l'allègement des structures autorisèrent

4

une rapide généralisation de tels dans des jarres de cristal logées

extrême atteints par la civilisation de

niveaux assurent stabilité structurale

dans un récipient de bronze doré en

Silla dans le trav.ail des métaux et la

et beauté des proportions propices à

forme de gourde, l'ensemble prenant

sculpture. La vitalité et la hardiesse

la piété.

place dans des palanquins ornés de

des hommes de Silla, qui réalisèrent

repr ésentations

mus1c1ens

l 'unité de la nation coréenne, sont

acquérir ainsi une dimension sacrée,

célestes et enfermés dans de grands

aujourd'hui encore source d'admira-

une pagode se doit de renfermer les

coffres en bronze doré à l'effigie des

tion, à l'instar de l'exquise beauté de

authentiques sarira de Bouddha sans

Quatre divinités tutélaires. La tradi-

ces reliquaires.

lesquelles elle ne saurait constituer

tion bouddhiste voulait alors que les

C'est une réplique de ceu x-ci qui

un stupa. La présence de ces ves-

sarira fussent répartis dans quatre

abrite actuellement les sarira, à

tiges en constitue donc l'essence

ou cinq récipients que l'on enchâssait

l'emplacement qui leur était réservé

même.

dans

à

dans les pagodes, les or i ginau x

l'intérieur du troisième gradin de

provenant des pagodes ouest et est

pagodes de Gameunsa, en 1956 et

chaque pagode, les sarira témoignent

étant respectivement exposés au

1996, pour en effectuer l'entretien,

ainsi d'une stricte observation des

Musée National de Corée et à celui

des sarira de Bouddha furent

pratiques funéraires bouddhiste s.

de Gyeongju . 1..1

découvertes dans chacune d'elles .

Ces différents réceptacles révèlent

Ces reliques avaient été déposées

aussi tout le savoir-faire et la finesse

édifices, dont les fondations sur deux

Pour devenir objet de culte et

Lorsque furent démontées les

le

st upa.

de

Découverts

Printemps 2005 1Koreana 55


CHRONIQUE ARTISTIQUE

Considéré sa vie durant comme le plus coréen des maîtres de la peinture de style occidental, Park SooKeun affectionne les scènes de la vie quotidienne des gens du commun. A l'occasion du deuxième anniversaire de son inauguration, le Musée Park Soo-Keun, situé dans la ville natale de l'artiste, lui consacre une exposition commémorative jusqu'au 31 mars 2005. Kwon Sung-ah Conservatrice du Musée Park Soo-Keun

anggu et ses hivers précoces évoquent les œuvres de

Y

ci le met en vedette pour en représenter avec virtuosité les

Park Soo-Keun [1914-1965) ou sont-ce plutôt ces

reflets brun-or selon une perspective qui permet de les

dernières qui s'imprègnent de cette morne saison ? Voilà

voir sous la meilleure lumière possible.

déjà deux ans que cette localité où naquit et grandit l'artiste abrite un musée qui lui est dédié.

Bien que la technique de la matière n'y soit pas évidente, le Chariot vide, situé en 1960, véhicule mieux

c· est en 1997 que se regroupent ses adeptes, animés

qu'aucune autre la qu iétude d'esprit qui inonde les œuvres

du seul désir d'honorer sa mémoire, pour mettre sur pied

de l'artiste. Représenté au moyen de lignes se composant

un projet. Fruit de six années d'efforts et de persévérance,

d' entailles exécutées avec un outil pointu sur des touches

le Musée Park Soo-Keun ouvrait ses portes le 25 octobre

brutes de couleur, ce Chariot vide suscite une sensation

2002 à Jeongnim-ri, agglomération de la ville natale de

d'exacerbation, de lassitude de la vie.

l'artiste, Yanggu-gun. Alors qu 'à l'inauguration, aucune

Tout comme l ' ensemble de son œuvre, ses

collecte de fonds n'avait encore été réalisée pour acquérir

aquarelles s'intéressent à des sujets ordinaires. Al' excep-

ses œuvres, deux années allaient suffire à se doter d'une

tion de quelques paysages, l'artiste privilégie la nature

collection de cent deux créations composées de peintures

morte où figurent des objets de la vie quotidienne tels que

à l'huile, aquarelles, pastels, estampes et croquis.

cartables d'enfants, escarpins brodés, -crayons et

De la matière à l'estampe

compositions très simples . Dans l'œuvre intitulée

gommes, peintures ou vases quelconques disposés en des Les peintures à l'huile exposées datent toutes des

Couleurs, deux pinceaux et des étuis ronds renfermant

années 1960, telle Deux hommes assis, réalisée en 1965,

une palette de douze gouaches de la marque «Nouveau

année du décès de l'auteur. Placés de dos, ces deux per-

cosmos » aujourd'hui disparue apparaissent en tant que

sonnages illustrent une technique de représentation des

tels, sans aucun repère de fond ou d'espace.

figures humaines qui est propre à l'artiste, dont les épais

S'il ne fut guère un graveur de génie, Park se passion-

coups de pinceau révèlent une maîtrise parfaite de sa

na pour la discipline au point de compter parmi les mem-

recherche sur la matière.

bres fondateurs de l'Association des graveurs de Corée

Parmi ses rares natures mortes figurent les

créée en 1958 et il devait laisser nombre d'estampes dont

Ombrines séchées [1962), où deux poissons sont disposés

le Musée a fait l'acquisition en presque totalité, c·est-à-

l'un sur l'autre sans que l'on sache où ils se situent. Ce

dire à raison de dix-sept, à l'exclusion des copies. Y sont

sujet est présent dans d'autres œuvres, mais seule celle-

également conservés trois originaux de ses plaques

56 Koreana I Printemps 2005


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Après avoir consacré sa carrière de peintre à la vie quotidienne des gens du commun, Park Soo-Keun est considéré comme le plus coréen des maîtres de la peinture de style occidental. Arbre et deux femmes. estampe sur blocs de bois, 26 x 19,5cm 2 Deux hommes assis [20,3 x 24,2cm, huile sur panneau dur, 1965) illustre parfaitement la technique de représentation des figures humaines propre à t·artiste.

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Printemps 2005 1 Korea na

57


Par un graphisme aux lignes et formes épurées, Park Soo-Keun s'attache à révéler l'esserce des obJets qu'il représente. Par un travail sur la matière, il produit de~ surfaces tactiles à la rugosité du gran·t pour extérioriser la sens1b1l1té du peuple coréen, engendrant ainsi ur sens archétypal de la beauté coréenne.

ces traits inlassablement retracés et effacés révèlent, dans l'optique de sa technique de travail, le soin et la méticulosité apportés à son œuvre, les lignes bien nettes conférant quant à elles une dimension plus imposante aux objets. Pauvre et d'un caractère casanier, nul doute qu'il pouvait difficilement disposer d'un important matériel et qu'il tendait naturellement à récupérer les bouts de crayon délaissés par les enfants. Il souffrit en outre longtemps de

gravées car en dépit d'une règle tacite voulant que les

la cataracte et perdit la vue d'un œil en 1963, sa vision ainsi

plaques soient détruites suite à l'impression d'un nombre

altérée ne lui permettant plus désormais de rendre rapi-

donné d'exemplaires, les supports originels de ses petites

dement ses impressions sur le papier. Ainsi, toutes choses

œuvres nous sont parvenus. Elles durent servir à

étant prises en considération, il est tout bonnement

imprimer les cartes du Nouvel An envoyées aux amis et

impensable que ses croquis n'aient constitué qu'une pro-

connaissances de l'artiste. fvfarchand d'huile, Arbre et

duction éphémère, fortuitement préservée et si des

deux femmes, Musique rurale, Vache allongée et Sur la

artistes prolifiques ont pu laisser des croquis assimilables

route sont des estampes présentant les mêmes thèmes et

à de simples ébauches ou sommaires gribouillages, les

compositions que ses peintures à l'huile. Représentant un

siens tiennent davantage d'œuvres d'art autonomes.

sujet en mouvement, la création intitulée Tigre constitue une exception dans l'œuvre de Park Soo-Keun.

Le Musée expose également les œuvres que Park réalisa pour ses enfants, sous forme d'illustrations des livres rédigés par son épouse Kim Bok-soon, ou de jour-

Une riche collection de croquis

naux et revues comme Le monde des cosmétiques,

Les croquis composent l'essentiel du fonds d'œuvres

Electricité de Corée, Transports et La gazette de l'industrie

conservé par le Musée. Bien que ceux-ci aient longtemps

minière, de la fin des années 1950 au début des années

été considérés comme une simple ébauche d'ouvrages en

1960, et que l'auteur allait lui-même reproduire dans un

préparation, fonction qu'ils continuent par ailleurs d'assu-

recueil intitulé Illustrations de Park Soo-Keun.

rer, le monde de l'art en est venu, depuis les années 1980,

L'exposition actuelle «Retour aux sources des œuvres

à reconnaître leur valeur intrinsèque en tant que manifes-

de Park Soo-Keun» se propose de présenter au public les

tations des talents improvisationnels de l'artiste, et donc

œuvres acquises par le Musée au cours des deux

comme des œuvres d'art à part entière.

dernières années. Elle constitue l'aboutissement des

De multiples traits effacés et réeffacés sont visibles

différentes étapes qu'ont. été la mise à disposition d'un

sur bon nombre de ces productions, l'auteur procédant

espace consacré à l'artiste dans son village natal, le don

par tracés assurés et énergiques, plutôt que légers.

d'œuvres soigneusement conservées par -ceux qui le

Maints d'entre eux s'apparentent à ses peintures à l'huile

chérissaient et les acquisitions réalisées par le musée. Les

et ont souvent été réalisés au crayon, facile à corriger, d'où

visiteurs pourront y découvrir les alentours du village qui

le déni du statut d'œuvre d'art qui leur est parfois opposé.

inspira tant ses ouvrages, ainsi que sa tombe, afin de

L'artiste les aurait-il vraiment conçus comme de purs avant-projets précédant l'exécution à l'huile ? Avant tout,

Park Soo-Keun et sa ville natale

mieux connaître ce créateur qui mena en ces lieux une existence simple, honnête et passionnée. t:.t

Né en 1914 dans l'agglomération de Jeongnim-ri située dans le canton de Yanggu-eup, à Yanggu-gun,

dans la province de Gangwon-do, Park Soo-Keun, après avoir manifesté des talents depuis sa plus tendre enfance, aurait décidé de devenir peintre suite à la forte impression que lui fit L 'Angélus de Millet à l'âge de douze ans. Plus tard, malgré des difficultés familiales qui le réduisirent à la pauvreté, il ne renonça pas pour autant à son rêve de rapporter la vie ordinaire des gens du peuple. c·est à Yanggu que prirent corps sa passion et ses projets de peintre, vocation à laquelle il allait consacrer toute une vie. La ville se fait omniprésente dans son abondante production de croquis figurant arbres, paysans occupés au labeur, femmes cueillant des légumes sauvages, lavoirs, et c·est pourquoi y a ouvert un musée à sa mémoire, en ce mois d'octobre de l'année 2002. 58 Korea na I Printemps 200 5


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Les oeuvres de Park Soo-Keun reproduise nt de mani ère simple et honnête la vie quotidienne des gens du peuple contemporains du peintre. Marchand d 'huile, 33 x 20,5c m, estampe sur bois. Park Soo-Keun procède ici en appliquant des touches brutes de couleur, puis en entaillant la su rfac e peinte au moyen d'un outil pointu. Ce chariot vide évoque un sentiment de lassitude suscité par la vie. Chariot vide, 21 x 30c m, huile sur pannea u dur, années 1960. Ombrines séchées [15,5 x 29cm, huile sur pann ea u dur, 1962) figure parmi les quelques natures mortes de l'artiste. Les nombreux croqu is réalisés au crayon sont appréciés en tant qu·oeuvres d'art à part enti ère. Trois marchandes de fruits, 9,6 x 17,5cm, crayon sur papier. Inauguré dans la ville nata le de l'a rti ste en octobre 2002, le Musée Park Soo-Keu n abrite cent deux peintures à l'huile, aquarelles, pastels, estampes et croquis.

Printemps 2005 1Koreana 59


S

uite au lancement, en 1984, du projet d'aménagement d'une zone résidentielle dans le quartier d'Uncheon-dong , à Cheongju, des fouilles réalisées l'année suivante pour déceler la présence éventuelle de biens culturels sur ce site mirent au jour les vestiges d'un temple construit au IX' siècle et entièrement détruit par un incendie au XV' . Ces recherches permirent la découverte d'un fragment de bronze sur lequel étaient inscrits les mots «Temple Heungdeoksa » corroborant l'idée qu'il s'agissait de l'édifice où fut imprimé le Buljojikjisimcheyojeol [Anthologie des enseignements bouddhistes des grands maîtres zen],

dont l'abréviation est Jikji, et conduisant à déclarer ce sanctuaire site historique n° 315. Quelle valeur possédait donc cet ouvrage pour que son lieu d'impression justifie d'un tel classement ? Pourquoi sa technique d'impression allait-elle influer sur l'évolution du monde et comment fut réalisé le

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moulage de ses caractères? Diversité

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typographie

métallique

La fabrication des caractères mobiles métalliques s· effectuait alors en Corée par l'un des trois procédés de moulage à la cire perdue, au sable et sur une seule surface respectivement en usage dans les temples, l'administration centrale de l'Etat et les fonderies privées. En dépit de ces variations, la production se déroulait toujours selon les sept étapes suivantes, à savoir la sélection du style et du mode de réalisation des caractères, la fi xation des formes de caractères, la réalisation des poinçons, la fabrication du moule, la coulée du métal fondu , le retrait des caractères métalliques et leur agencement. La technique de la fonderie à la cire perdue consiste à recouvrir la pièce moulée à la cire perdue de terre battue puis à la chauffer pour faire fondre la cire et à couler du

métal fondu dans le moule ainsi obtenu pour créer un caractère. Dans les temples, les bonzes taillaient les caractères en relief dans la cire perdue, recouvraient celle-ci qu'ils chauffaient pour produire un moule. Ils y coulaient ensuite le métal fondu, puis retiraient le caractère métallique une fois refroidi, pour effectuer sa taille et sa finition. Comme le poinçon de cire fond lors de la cuisson du moule, le caractère obtenu est à chaque fois différent, puisque produit séparé-ment. Adapté à la reproduction de formes et styles comple xes de ca-ractères, ce procédé convenait peu à la production de série. Durant la période de Joseon [1392-191 O]. c· est par la technique du moulage au sable que l'administration centrale de l'Etat faisait fabriquer des caractères mobiles métalliques. Une anthologie des écrits de Seong Hyeon comporte la description suivante : « Dans le moulage des caractères métalliques,

A LA DÉCOUVERTE DE LA CORÉE

La typographie métallique coréenne Origines de la civilisation moderne Si l'Allemagne a produit la fameuse Bible à 42 lignes, dite aussi Bible de Gutenberg, la Corée a donné naissance au Jikji, le plus ancien texte au monde imprimé à l'aide de caractères mobiles métalliques figurant parmi les grandes découvertes de l'histoire de l'humanité. Kim Hong-yeong Conservateur en chef du Musée de lï1nprimerie ancienne de CheongJu Lee Gyeom Photographe

60 Koreana I Printemps 2005



Joseon, le procédé de moulage sur une seule surface est exposé dans le Donggukhusaengsinnok : « On étale

l'arg ile de pottier sur des planches de bois encadrées au x quatre coins. On laisse la planche ainsi recouverte d 'argile sécher partiellement au soleil. On inscrit les caractères souhaités sur une fine feuille de papier , en plusieurs formats . On retourne celle-ci et on la dispose sur la planche pour servir de modèle, puis on taille les caractères dans l'argile . Lorsque les formes taillées sont sèches, on coule le métal fondu dans les moules et on le laisse refroidir et durcir, puis on retire le caractère métallique, alors amovi ceu x-c i sont tout d'abord taillés en

supérieure, on y coule du cuivre

ble ». Ce procédé d'une e xécution

relief dans du bois, puis recouverts

fondu pour obtenir un caractère ». Il

simple était jugé plus évolué que le

d' une fine couche d'argile d'origine

est à noter que cette méthode, d'une

moulage à la cire perdue car il per-

côtière. Si l'on applique sur celui-ci la

m ise en œuvre plus simple, permet-

mettait la fabrication de caractères

surface de bois sur laquelle ont été

tait la production de caractères plus

uniformes en plus grande quantité.

gravés à la main les caractères, il se

uniformes que la fonderie à la ci re

produit un creu x qui servira de

perdue employée dans les temples.

moule . Après avoir joint les deu x

Utilisées à des fins privées

moules perforés d'un trou à la partie

jusqu 'à l'achèvement de la période

Invention d'une importance capitale, la typographie métallique allait ouvrir la voie à la révolution de l'information et aux progrès de La civilisation moderne, jetant ainsi Les bases de L'actuelle ère de l'information fondée sur L'internet et Les technologies numériques.

1 A l"é poqu e J oseon, l' Etat fit réalise r des ca ractè res mobiles se lon la technique du moulage au sa ble . le i, un poinçon produi t par ce procédé.

Etapes de la fab rication de caractères mobiles métalliques par fonderie à la cire perdue Sé lecti on des types de caractè re et fixation à la cire.

A B C D

Fabrication des poinçons et insertion da ns le mo ule où est coulé le métal. Ret ra it du ca ractère mo bi le su ite à la s olidification du méta l. Triage et agen ceme nt des ca ractè res mobiles dans un e boîte.

62 Ko reana I Printemps 2005

Inscription au Registre Mémoire du Monde de l'UNESCO L'imprimerie à caractères


mobiles métalliques compte j procédé de fonderie au sable . Les véritablement parmi les trésors les f différences de fabrication de ces gyemi avec celle employée pour plus précieux qui soient. Les techniques de moulage de la période de l'impression du Jikji posait toutefois Goryeo [918 - 1392] sont dignes d'être ! problème et il s'ensuivit une longue polémique entre savants sur les connus partout dans le monde. Les questions relatives à ce procédé. Le débats concernant leur authenticité se sont apaisés depuis 2001, lorsque maître fondeur O Guk-jin, déclaré le Jikji a été déclaré être le texte le Bien culturel immatériel important n° 101, allait mettre un terme à ces plus ancien au monde imprimé à l'aide de caractères mobiles 1 controverses en reconstituant avec succès tous les caractères utilisés métalliques et inscrit au Registre Mémoire du Monde de l' UNESCO. pour l'impression du Jikji à l'aide du Dans ce contexte, que savons-nous procédé de moulage à la cire perdue. La Corée n'est malheureusede la réalisation de cet ouvrage ? La technique du moulage à la ment pas en possession de ce docu cire perdue est généralement 1 ment puisqu'au début des années évoquée, mais en réalité aucun sup1900, Collin de Plancy, chargé d'affaires français en Corée, en fit port écrit ne retrace l'origine de ce l'acquisition et l'emporta en France. procédé. Après l'impression du Jikji, en 1377, la typographie métallique C'est la Bibliothèque nationale de France qui en conserve un second faisait appel à des caractères appelés volume, unique en son genre, à la gyemi, du nom attribué à 1403, année de leur création. Vingt-six ans après division orientale de son département des Manuscrits. En Corée ; la l'impression de cet ouvrage, l' Etat population de Cheongju s 'est mofaisait mouler des caractères mobiles métalliques au moyen du bilisée pour mener des recherches

1

l

1

permettant d'en localiser d'autres exemplaires. Le Jikji et Gutenberg Par quoi les caractères mobiles métalliques coréens se différencientils de ceux de l'Allemand Johannes

Gutenberg ? L'élaboration de cette typographie est d'origine religieuse car bouddhisation et confucianisation engendrèrent d'énormes besoins en écrits imprimés aux fins de la transmission des textes sacrés et de l'enseignement des dogmes religieu x. De même la mise au point des techniques d'impression occidentales correspondit-elle à l'essor du christianisme. De part et d'autre, le développement de ces techniques autorisa aussi une large diffusion des connaissances et informations qui eut un fort impact sur la société et la culture des deux pays. L'invention de la typographie métallique permit l'impression des textes sacrés bouddhiques durant la Dynastie Goryeo, à raison seulement,

Pri nte mps 2005 1Ko rea na 63


I

Les techniques typographiques à ce stade de la technique, de moins coréennes et allemandes présende dix pages par composition . Plus tard , les monarques de Jeoseon taient plusieurs différences. Dans le premier cas, le moulage était réalisé prirent le confucianisme pour relisur du cuivre donnant un corps de gion officielle et persécutèrent les bouddhistes, ce qui explique lïmpor- 1 caractère assez fin et dans le second, ta nte production de textes ! du plomb produisant un type plus gros. Quant au papier coréen, confecconfucéens qui marqua leur tionné à parti r d'écorce de mûrier avènement. En parallèle, l'évolution [Broussonetia kazinoki]. il se cades techniques typographiques allait ractérisait tout à la fois par sa finesse porter à plusieurs dizaines le nombre et sa résistance, alors que le pard'imprimés réalisables à partir d'une même composition sous le règne du 1 chemin allemand éta it constitué de peau de mouton traitée. Roi Sejong [r. 1418-1450]. c· est dans Il résultait de ces différents une Allemagne médiévale où la lecture de la Bible, recueil de saintes matériaux des variations de taille de écritures exposant la doctrine 1 caractère et de procédé d'impreschrétienne centrée sur le Pape, était 1 sion. Afin de réaliser celle-ci sur pa rréservée aux membres du clergé et 1 chemin, les Allemands mettaient en œuvre de hautes pressions au xde la noblesse qu'éclata le mouvequelles seuls des caractères épais ment de la Réforme pour dénoncer la pouvaient résister. Par ailleurs, les corruption au sein de l'Eglise. Dans Coréens employaient un mélange ce contexte social, l'invention de la d'encre de Chine et d'huile, tandis typographie métallique contribua à la que les Allemands mêlaient celle-ci à progression de ce courant en milieu de l'encre occidentale . Enfin, les rural par la diffusion d'écrits méthodes de reliure différaient imprimés.

i

l

64 Ko reana I Printemps 2005

également, puisque celle-ci était réalisée en corde chez les Coréens et à l'aide d'adhésif en Allemagne. Contenu du Jikji

Cet ouvrage réalisé par typographie métallique se composait à l'origine de deux tomes dont seul le second subsiste aujourd ' hui , encore que sous forme incomplète, puisque la première page manquant, il n'en reste que trente-huit. En 1378, soit un an après sa première édition, il allait être réimprimé sur planche de bois au Temple Chwiamsa de Yeoju, dans la province de Gyeonggi-do. Les deux volumes de ce xylographe étant demeurés intacts, ils permettent de se faire une bonne idée de l'organisation et du contenu intégral de l'original, qui aurait comporté deux tomes, une préface et un épilogue. Ils sont l'œuvre du moine Baegun Hwasang, qui révisait des textes bouddhiques variés et les annotait souvent de ses propres commentaires . Plutôt que de


procéder par simple compilation d'extraits choisis dans des ouvrages antérieurs du genre, Baegunhwasang opéra une soigneuse sélection d' oeuvres accompagnées de ses propres pensées, exégèses et interprétations, dans l'espoir d'arien- 1 1 ter les nouveaux convertis. Le Jikji rapporte ainsi les paroles et actes de vénérables bonzes sous forme d'un dialogue portant sur l'enseignement et la méditation bouddhiques, auquel

l 1

s'ajoutent les louanges des hau t es 1 vertus de Bouddha. Les médias internationau x et d'éminents scientifiques s'accordent

à considérer que cette invention constitue un événement considérable qui a préludé à l'ère de l'information et a

capables de structurer et systémati -

désormais. Tout le mérite en revient

le plus largement contribué à la

ser ces pensées. La troisième allait

à

spectaculaire évolution de la culture

naître de l'invention de l'impression à

découverte la plus géniale de

humaine. Faisant suite à la première

caractères mobiles métalliques, en

l'histoire des civilisations et mère de

révolution de l'information qu 'a cons-

procurant les moyens d'une large dif-

l'ère moderne de l'information

tituée la découverte du langage en

fusion des connaissances et infor ma-

qu'incarne la cybertechnologie. 1.t

permettant aux hommes d'échanger

tions et en contribuant à des progrès

des idées, la deuxième a résulté de

culturels rapides, et c·est au seuil de

l'invention de l'écriture, qui les rendit

la quatrième que nous nous trouvons

la

typograph i e

métallique,

1 Le deuxième tome du Jikji, le plus ancien texte du monde reproduit par typogra phie métallique, encore

existant aujourd'hui. Il fut imprimé en 1377. soit 78 ans avant la Bib le à 42 lignes dite de Gutenbe rg. E Disposition des ca ra ctères mo biles sur la plaque dïmprimerie. F Fixatio n des ca ractè res mobiles da ns la cire pe rdue ramollie par la cha leur, puis nivè lement.

G Dépôt d"une co uche d"encre s ur les caractères. puis appui d"une feuille de papier. Printemps 2005 1 Koreana 65




s¡ les voyage>

permettent d d

qu lr r,1 oi de ceux qu l s hab nature c;t belle

CO


onnaissez-vous Jinhae ? En parcourant des yeu x le littoral méridional sur une carte de Corée, on la trouve aisément à 128°50'34" de longitude Est, comme la ville chinoise de Harbin, et 35°10'34" de latitude Nord, à hauteur d'Oklahoma City et de Tokyo. La péninsule coréenne est baignée par les Mers de l'Est et de l'Ouest, entre lesquelles le soleil décrit sa course, et celle du Sud, aux eaux émeraude . Si les Coréens associent la première aux mythes, dont les plus illustres la prirent pour décor, et la deuxième aux larmes, puisqu'elle inspira les plus merveilleuses ballades, qu'en est-il de la troisième ? Toujours elle vous accueille, pareille à un jardin au sortir de la maison, et c'est pourquoi on la baptise aussi «Mer de l'Homme». Débordante de vie, d'activité, d'amour et de saveurs, Jinhae s·étend le long de cet hospitalier jardin. y

Trains et autobus desservent la ville, que l'on peut aussi gagner plus aisément, au départ de Séoul, par un vol à destination de l'aéroport international de Gimhae, près de Busan, d'où une navette vous conduira dans la ville par son entrée est. Sur le trajet unissant ces deu x agglomérations, se situe le petit village de pêcheurs de Yongwon, dont la visite s'impose en raison de la merveilleuse légende qui s·y attache. En l'an 48 avant Jésus-Christ, y aurait débarqué, en provenance d'Inde, une jeune fille de 16 ans prénommée Heo qui allait plus tard régner sur une mosaïque de petits territoires regroupés sous l'appelation de Gaya (42 - 562 av. J.-C.l. Après avoir sillonné mers et océans, cette demoiselle fut en effet prise pour épouse par le Roi Suro de Gaya (r. 42-99). prodigieux personnage né d'un oeuf qui tomba du ciel. Di x enfants naquirent de cette première union internationale célébrée en terre coréenne. Suro fut à Gimhae le patriarche du clan des Kim, l'un des patronymes coréens les plus répandus. Deux de ses enfants allaient néanmoins prendre le nom de leur mère, véritable prouesse dans une société éminemment patriarcale où prédominait le nom du père. Ainsi vit le jour le clan des Heo de Gimhae , avec lequel toute alliance est aujourd'hui encore proscrite avec celui des Kim . Le littoral de Yongwon est ainsi tout imprégné de

1 Passants flânant sous de spectaculaires voû tes de cerisiers en fleur. Aujourd'hui deve nu une importante ma nifestation culturelle, le Fest iva l portuaire et nava l attire chaque année to ujours plus de touristes étrangers. 2 Les festivi tés se po ursuivent jusque dans la nuit, le marché proposant une gran de va r iété de produits. 3 Les visiteu rs acco urent des quatre coin s du pays pour admirer le spectacle des ce ri siers en fleur de Jinhae.

Printemps 2005 1Ko reana

69


légende. L'accostage même d'un bateau venu d'Inde laisse penser que la ville se situait sur la Route de la Soie et on avait alors déduit sa provenance de la présence à son bord d'une pagode faite d'une pierre inexistante en Corée, qui s'avéra en effet issue de ce pays et corrobora ainsi les faits . A

1 L'Acad émie Navale coréenne qui fo rme les héritie rs du légendaire amira l Yi Sun-sin constitu e l'une des différentes fa cettes de Ji nhae. Ici, une reproduction du célèbre navire tortue de ce héros. 2 Elèves offi ciers receva nt des instruc tions à l'Acadé mie nava le. 3 Fri nga nte marche à l'Acad émie navale su r fon d de port.

70 Ko reana I Printemps 2005

Guère plus de vingt-six kilomètres séparent Yongwon du centre-ville de Jinhae et si vous partez pour cette dernière entre la fin mars et le début avril, vous y découvrirez un festival de fleurs . Jinhae constitue à ce titre une capitale dont toutes les artères se bordent de ces arbres, d'ailleurs présents partout ailleurs au point que l'on en dénombre près de 300 000, soit deux fois plus que la population. Sur les quelque deux cents variétés de cerisiers qui pousseraient dans le monde à l'état naturel, celle de Jinhae donne la plus splendide floraison, outre qu·elle est d'origine non pas japonaise, comme on tend généralement à le croire de ces arbres, mais authentiquement coréenne, puisqu ·elle s'implanta sur l'île de Jejudo. Dans ce domaine, l'histoire locale remonte à l'annexion de la Corée au Japon et à la création d'un port militaire qui en résulta . Quand le pays secoua le joug colonial, en 1945, la population entreprit d'abattre les cerisiers, comme autant de vestiges de l'impérialisme , mais lorsqu'il s'avéra qu'ils provenaient de Jejudo, elle y renonça et se mit à les chérir, la Corée redevenant ainsi le pays d'origine de ces arbres dont s 'enorgueillit tant le Japon . D'une durée de dix jours, la fête du port militaire de Jinhae, qui coïncide avec leur floraison, se déroule ainsi entre les mois de mars et d'avril. Cette manifestation se tient à intervalles réguliers depuis sa première édition de 1963 dans le cadre de cérémonies commémoratives en l'honneur du héros de la marine coréenne, l'Amiral Yi Sunsin (1545-1598]. Par son patriotisme inébranlable et son génie de la stratégie, il repoussa les invasions japonaises de la fin du seizième siècle et prit ainsi place parmi les grandes figures héroïques nationales. Il allait en effet neutraliser la flotte dépêchée par le premier unificateur du Japon, Toyotomi Hideyoshi, et si les Japonais furent les constructeurs de la cité moderne de Jinhae, c'est le vainqueur de

'


leur oppression que célèbrent les festivités d'aujourd'hui.

Naissa cc e

ma ·ne oréen e

Si la voûte fleurie des cerisiers offre au mois d'avril un

Elevée en bronze en 1952, la statue d'Yi Sun-sin qui

spectacle fascinant, d'une beauté à couper le souffle, le

se dresse sur le rond point de Bogweon fut la toute

spectacle est tout aussi merveilleux lorsque tombent leurs

première en son genre en Corée. La ville s'associe étroite-

pétales. Pareils à des flocons de neige flottant dans le vent,

ment à la personne de l'amiral, puisque c'est sur ses côtes

ils créent l'impression d'un Noël en plein avril.

qu'il prit la tête de la marine de Joseon pour chasser

Né à Jinhae, j'ai grandi à l'ombre de ces arbres dont

l'envahisseur. Aujourd 'hui fief de la marine, elle-abrite le

je suis tombé amoureux à leur floraison et c'est appuyé

camp d'entraînement des nouvelles recrues ainsi que

sur leur tronc que j'ai donné mon premier baiser. J'aimais

l'Académie où sont formés les officiers et accueille un port

leurs jeunes feuilles, d'un vert tendre, qui perçaient après

militaire où stationnent les bâtiments de guerre du pays.

la chute des fleurs et jamais je n'oublierai ces douces

Les héritiers du grand amiral y reçoivent une formation

c·est la seule ville du

mains, agréablement vertes, s'ouvrant au monde pour la

rigoureuse à la défense nationale.

première fois . Que s'épanouissent les fleurs ou que

pays où se rencontrent un peu partout des marins en uni-

poussent les feuilles nouvelles, j'entendais sans cesse ce

forme et avec un peu de chance, on pourra prendre un

bruissement d'arbres qui fit de moi un poète.

verre en compagnie des successeurs de Yi Sun-sin.

Ces derniers ne nous charment pas seulement en

L'un de mes poèmes comparait Jinhae à une «mer

avril, car l 'été, c'est leur épais feuillage vert qui vous

sur une assiette», car toujours les eaux y sont paisibles et

accueille, l'automne, leurs feuilles colorées et l'hiver, leurs

même frappées de plein fouet par un typhon , ne s'agitent

troncs aussi lisses que le crâne d'un bonze. De tout leur

pas pour autant grâce au bouclier qu'opposent au vent

être, ils tiennent aussi d'un recueil de poèmes lyriques.

leurs nombreuses îles. Printemps 2005 1 Koreana 71



La mer, ici, n'en compte en effet pas moins de vingtsix qui, alliées au paysage maritime et montagneux, font vraiment de la ville un lieu béni des dieux. Sur près de 107 kilomètres, la côte aux eaux pures et limpides y épouse aussi une forme accidentée de type ria . Ce littoral est tel un jardin offrant ses plaisirs tout au long de l'année, puisque la température moyenne y oscille l'hiver entre 2,3 et 4,7°C. Garante de fraîcheur estivale et de douceur hivernale, omniprésente dans la ville, la mer, si transparente que l'on en voit le fond, accueille perpétuellement le visiteur.

Je suis né à Jinhae et c'est aussi là que j'ai rencontré ma femme et que je suis devenu poète. Si je les ai quittés à l'âge d'environ trente ans, je retourne en ces lieux exceptionnels chaque fois que l'occasion m'en est donnée et me suis réservé le plaisir de les présenter en dernier lieu. Jungwon se situe au carrefour de huit routes et à cette croisée des chemins, l' œil est toujours attiré par un groupe de bâtisses de style russe et d'immeubles datant de l'ère coloniale au nombre desquels se trouve le «Café noir et blanc». Ouvert en 1955, cet établissement assurant la diffusion de musique classique figure parmi les hauts lieux de Jinhae depuis voilà cinquante ans et fut inauguré par un peintre dont la fille en assure aujourd'hui la gestion. Aujourd'hui lieu de rencontre incontournable du monde des arts, il réunit tout ce que Jinhae compte de poètes, compositeurs, peintres et acteurs et en alimente

Esca liers menant au so mmet du Mont Sirubong qui offre une vue d'ensemble de la ville et de l'océan. 2 Le «Café noir et blanc», rendez-vous des arti stes locaux depui s cinquante ans. 3 Le rond point de Jungwon est de ceux qui furent construits sous l'occupation japonaise.

les rêveries. Âgé de vingt ans, j'y passai aussi des moments qui me furent précieux et c'est non sans soulagement que je retrouve aujourd'hui, tel qu'en luimême, ce sanctuaire où chérir d'aussi merveilleux sou-

municipal de Jinhae, à l'adresse www.jinhae.go.kr, que

venirs.

vous parliez anglais, japonais ou chinois.

Je recommanderai tout particulièrement à ceux qui

Si les voyages permettent d'admirer des lieux ma-

s·y rendent d'y faire jouer la symphonie numéro 5 en ut

gnifiques, ces derniers ne sont souvent que le miroir de

mineur de Beethoven dite « Le destin». Et peut-être

ceux qui les habitent et ce «Café noir et blanc» est l'un

lorsqu'en retentiront les premières mesures, les célèbres

d'eux, qui vous convie à la rencontre de ses créateurs, car

«tta-tta-tta-ttam» qui feront battre nos cœurs, aurons-

à Jinhae, l'homme est aussi bon que la nature est belle.

nous la joie de nous y retrouver grâce à la destinée ! On y

Soyez tous heureux

I t;.t

peut aussi sinon découvrir quelques jeunes artistes en proie aux tourments de la création, du moins en percevoir l'essence. Bien d'autres lieux méritent aussi la visite, comme vous pourrez le découvrir sur le site internet du Conseil Printemps 2005 1 Koreana 73


VIE QUOTIDIENNE

Les foules éclair Une déclaration d'indépendance culturelle de la jeunesse

Les foules éclair, traduction de l'anglais «flashmob», constituent un nouveau divertissement issu de l'internet et font aussi de nombreux adeptes parmi les jeunes Coréens. Tentons d'identifier les facteurs sous-jacents qui ont déterminé l'apparition de ce nouveau phénomène social. Joung Yoon -soo Editorialiste à OhmyNews Choi Hang-young Photographe

P

ar une soirée d'automne 2002, très exactement à

qu i éclataient avaient pris la place du ballon rond . Ces

20h00, plusieurs dizaines de jeunes gens portant le

tenues et cris d'encourag ement identiques avaient suffi à

T-shirt des supporteurs de l'équipe de football coréenne,

réveiller la fièvre qui avait enflammé la Corée entière à

les «Démons rouges», se rassemblaient spontanément

cette époque, sous le regard perplexe des flâneurs et gar-

devant le COEX Mall, l'un des centres commerciau x les

diens d'immeubles accourus sur les lieux. Un coup de sif-

plus fréquentés et les plus en vogue du cossu quartier

flet allait donner le signal de dispersion de cette foule,

séoulien de Gangnam. Pour la plupart des passants, il

qui disparut aussi rapidement qu 'elle s'était rassemblée,

s'agissait à l'évidence d'une commémoration de la Coupe

car elle constituait un attroupement éphémère de type

du Monde qui venait d'avoir lieu, même si les baudruches

«flashmob».

74 Koreana I Printemps 2005


En vog ue dans le monde entier, les foules éclair font aussi des adeptes au centre-vi lle de Séoul, comme à Daehangno où font irruption des jeunes coiffés de bonnets de Père Noël en entonnant des chants de Noë l. 2 L'univers num érique de l'internet rep rése nte pour la jeune génération coréenne un support prévilégié de comm unication culturelle. A cet égard, le phénomène des «foules écla ir» est un exemple d'activités hors ligne nées de technolog ies en ligne. J Mini-sites personnels et blogs sont aux yeux des jeunes autant d' oasis où se réfugier pour fuir l'impersonnalité du milieu urbain actuel.

3

Signe de dynamisme culturel

Contraction des termes «flash crowd », qui désigne une situation d'affluence soudaine sur un site internet, et «smart mob» ou foule intelligente, qui se réfère à un large public partageant des points de vue analogues sur un sujet donné, le vocable « flashmob» correspond à un phénomène public par lequel un grand nombre d'internautes non spécialisés se rassemblent en un lieu et à une heure précis· pour exécuter des actions communes dont les participants sont prévenus par courriel ou SMS. Cette pratique rencontre un succès croissant chez les jeunes Séouliens et revêt une dimension ludique inédite et vivante. Rendez-vous aux objectifs fugaces, actions brèves et loufoques et appels .à participation pourraient bien relever d'un art du spectacle ou d'une activité culturelle èollectifs. Bien qu 'elles ne constituent guère plus qu'un divertissement instantané aux yeux de leurs jeunes adeptes, ces pratiques ludiques d'un nouveau genre n'ont rien de commun avec des passe-temps d'autrefois tels que toupie et «ciseaux- rocher-papier». Pour découvrir les composantes occultes de ce jeu insolite, il faut s'intéresser à l'histoire coréenne contemporaine et à la culture jeune qui y plonge ses raclnes. L'analyse des foules éclair ne saurait se limiter à la question de savoir si elles représentent une forme d'art particulier ou tout simplement un nouveau divertissement, dans la mesure où elles ne sont pas ancrées dans la culture coréenne traditionnelle et ne revêtent pas un aspect Printe mps 2005 1Korea na

75


culturel inédit dans l'histoire. Toute manifestation du type

défiance, à l'agitation et à l'espoir, seuls avaient leur place

«jeune homme en colère » procède de sentiments

des divertissements au x finalités purement ludiques, les

d'oppression et d'agressivité envers les aînés, ainsi que de

lieu x publics cessant alors d'être de simples espaces

déceptions et refus des prérequis coutumiers et sociaux,

ouverts pour se transformer en arènes dotées de leurs

ou encore d'ébauches de défi ou de fuite face à l'ordre

dynamiques culturelles et historiques propres.

établi. Provocation, expérimentation, ambition et destruction caractérisent les dynamiques culturelles engendrées

L'ère des communications individuelles

par une telle jeunesse et incompréhensibles pour l'an-

Tel est le cas aujourd'hui encore, comme en témoigne

cienne génération qui recherche la sécurité dans les

la

normes sociales et usages préétablis. Il apparaît d'ailleurs

Manifestations originales attirant nombre de jeunes inter-

que les manifestations antérieures de ce type s·opposaient

nautes, les foules éclair sont perçues dans les pays occi-

nouvelle

génération

d'activistes

en

herbe .

à l'ordre coercitif et répressif que leur imposaient les

dentaux où elles sont nées comme un simple divertisse-

générations précédentes.

ment, certes un peu excentrique, qui vise à révéler «le

Confrontée aux défis de l'histoi re contemporaine, la

sens de l'i nsignifiant» alors qu'elles ont acquis en Corée

péninsule coréenne a généré un ensemble de synergies

une dimension innovatrice dans le cadre des échanges

culturelles. Ebranlée par les bouleversements successifs

culturels et sociaux.

de la division et de l'affrontement idéologique qu'ont sup-

L'industrie numérique, qui y connaît un essor rapide

posés la Guerre de Corée et la dictature contre la

depuis quelques années, offre à la jeune génération un

démocratie , ainsi que par une fulguran t e croissance

champ de création illimité. Au-delà des technologies de

économique, la jeunesse coréenne a tenté de tirer le

l'information, le cyberespace numérique lui permet de

meilleur parti des dynamiques culturelles au sein

donner libre cours à ses besoins de communication cul-

desquelles elle évoluait. Dans un environnement en proie

turelle. Pour ces jeunes Coréens soumis à des emplois du

au x changements et au x résistances, au x défis et à la

temps scolaires draconiens et à de strictes règles de con-

76 Koreana I Printemps 2005


L'internet fournit

à la jeune génération un forum favorisant Les échanges culturels par Le bia is de supports

de communication individuels tels que mini-sites personnels et blogs. Dans ce cadre, les foules éclair Lui permettent de réaffirmer son droit

à des moyens de distraction non conventionnels.

Les quelque vingt mille cybercafés que compte la Coré e sont assidûm ent fréquentés par la jeunesse.

duite dans leur vie quotidienne, l'univers virtuel oppose

samment de temps libre pour jouer avec leurs amis et

peu de barrières à une libre expression dans les multiples

réaliser des activités en famille. Or, ils consacrent

modes qui s'offrent à leur choix.

aujourd 'hui le plus clair de leur temps à l'étude en institut

De telles tendances se manifestent également par le

ou en bibliothèque, isolés au sein d'une vaste conurbation.

succès du téléphone portable, puisque la Corée se classe

Si l'on sait combien il est difficile de mener une existence

au premier rang mondial par le nombre de ses usagers. Il

dépourvue de communication inte r personnelle et

en va de même pour les cybercafés, omniprésents dans le

d'échanges, la téléphonie mobile et l'i nternet n'auraient

pays. Comment s'explique une croissance aussi rapide ?

jamais remp0rté un tel succès et permis une telle mobilité

Elle est due en grande partie, d'un point de vue commer-

en Corée si la vie quotidienne y avait été moins fortement

cial, à la politique de soutien constant des pouvoirs publics

structurée et les enfants, plus libres de jouer avec leurs

à l'industrie des technologies de l'information et de la

amis après l'école, de pratiquer des activités extérieures,

communication, conjuguée aux efforts de développement

de faire du camping ou du sport le week-end .

du secteur privé et à une perpétuelle expansion du

En un mot, la limitation des dialogues et échanges

marché. Elle résulte en outre, sur le plan culturel, du désir

humains imposée par l'impersonnalité du milieu urbain

insatiable de communication qui se manifeste dans

cantonne les jeunes dans diverses formes de m·onologue

l'ensemble de la population et plus particulièrement chez

destinées à rompre l'isolement du quotidien . C'est là

les jeunes.

qu 'i nterviennent les supports de communication indivi-

L'attrait de supports individuels tels que sites personnels et blogs (journaux intimes sur internet] constituerait

duels, tels des oasis à l'intérieur desquels ils peuvent s·exprimer.

un facteur supplémentaire de cette expansion. Ils fourni-

Les foules éclair résultent ainsi d'un détournement des

raient des moyens d'expression individuelle constructifs et

technologies en ligne vers une interaction hors ligne et sont

tournés vers l'avenir en permettant au x internautes de

à ce titre de nature essentiellement ludique. Contrairement

faire part à autrui de leur expérience et de leurs réflexions,

à l'art, qui se fonde sur des principes complexes, de tels jeux

mais à y regarder de plus près, ils n'offrent rien de plus

n'e xigent ni tension ni effort de st ructuration, ma is

que la possibilité d'un monologue.

représentent l'affirmation d'un «droit au divertissement»

Les enfants devraient grandir dans un environnement

dans un conte xte où les jeunes n'ont d'autre choi x que

qui leur offre la possibilité d'une communication plus

d'affronter et surmonter les difficultés qu'ils rencontrent, ce

intime et plus personnelle avec les autres ainsi que suffi-

qui laisse fort peu de place aux loisirs.

i.;t

Printemps 2005 ·I Koreana 77


d'être le premier à extraire des cellules souches d'un embryon humain. Ce petit garçon , qui occupe aujourd'hui une chaire de médecine vétérinaire à l'Université Nationale de Séoul, n'est autre que le Professeur Hwang Woo-suk. L'espoir renaît face aux pathologies graves

Implantation d'un noyau de cellule somatiqu e dans un ovule humain . Quatre à cinq jours après ce tte opérati on, l 'ovule est cultivé en éprouve tte afi n d'obtenir des cellules sou ches emb ryonnaires hu maines.

T

out co~mence à Daejeon, où vit un petit garçon vouant une affection particulière aux vaches . Alors qu'il achève ses études au lycée de la ville et bien qu'un de ses professeurs souhaite l'orienter vers la médecine, il décide de s'inscrire au département des sciences vété-

78 Korea na I Prin te mps 2005

rinaires de l'Université Nationale de Séoul. Près de vingt-huit ans plus tard, il réalise une première en Corée avec le clonage de la vache Younglong et il poursuivra sur cette voie en se distinguant par ses recherches sur le clonage, qui lui permettront, grâce à une véritable prouesse,

La revue médicale de renommée mondiale Science, dans son numéro spécial du 17 décembre 2004, fait figurer en tro isième place au classement des di x principales avancées scientifiques de l'année passée le prélèvement de cellules souches à partir d'embryons humains, juste après la découverte de traces d'eau sur Mars et la mise au jour du plus petit fossile humain. Elle consacre ainsi pour la première fois une réalisation scientifique


coréenne au plus haut niveau

prélevé avec succès des cellules

personnes atteintes de pathologies

puisque le professeur Hwang, après

souches sur un embryon clon é en

jusqu 'alors incurables reprennent

avoir créé une vache immunisée con-

implantant des cellules somatiques

alors espoir grâce au professeur

tre ['Encéphalopathie Spongiforme

dans un ovule humain . Cet exploit

Hwang .

Bovine et un porc destiné à fournir

plonge dans la stupeur toute la com-

L ' équipe que dirige le pro-

des organes de transplantation, a

munauté scientifique, qui en grande

fesseur Hwang a administré à seize

pris la tête de la recherche mondiale

partie jugeait une telle opéra t ion

femmes donneuses non rémunérées

irréalisable à partir d'embryons de

des hormones qui leur ont permis de

L' œuf fécondé issu de la fusion

primates humains ou non . Les

fournir 242 ovules, ce qui est con -

d' un ovule et d' un spermatozoïde

médias internationaux s'en saisissent

sidérable. Après avoir énucléé ces

s'engage dans un processus conti-

à leur tour en le qualifiant de «percée

derniers, les chercheurs y ont

sur le clonage.

nuel de division cellulaire qui permet

historique apportant une première

implanté les cellules somatiques des

la formation des organes internes

confirmation du potentiel du clonage

donneuses afin de produire des

tels que le coeur et le foie, ainsi que

d ·embryons humains à des fins

embryons contenant les nouveau x

des os. Les cellules souches sont à

thérapeutiques ». Les nombreuses

gènes . Les embryons ainsi clonés

l ' origine de tous les tissus biologiques et voi là plusieurs décennies, les scientifiques ont démontré qu· elles avaient la faculté de produire 210 types cellulaires constitutifs du corps humain. Facteur clé du traitement des maladies graves, la division des cellules souches entraîne inévitablement la dest r uction des cellules atteintes et permet ainsi d' enrayer la dégénérescence de diverses pathologies. Elle peut ainsi permettre le renouvellement des cellules nerveuses chez les patients souffrant des maladies d'Alzheimer et de Parkinson, des tissus cardiaques des personnes sujettes au x troubles coronaires et des globules rouges des leucémiques. C'est lors d'une conférence de presse qui se tient le 13 février 2004 à Seattle que le professeur Hwang et son équipe annoncent qu'ils ont


Les travaux menés par l'équipe du professeur Hwang ont relancé les débats sur la bioéthique, un embryon cloné pouvant être réimplanté dans un utérus humain en vue de la reproduction, ce que le scien tifique coréen juge toutefois techniquement infaisable.

allaient par la suite atteindre le stade

Professeur Hwang, qui a en outre

Le scientifique écarte quant à lui

de développement auquel apparais-

mis au point un nouveau procédé de

cette éventualité, arguant que les

sent les cellules souches, dont on a

retrait du noyau de l'ovule. Ce

expérimentations animales ont

alors effectué le prélèvement.

dernier, étant pourvu chez l'homme

démontré la non-faisabilité d' une

L"e xtraordinaire nouveauté du

d'une surface extérieure visqueuse,

telle opération sur l'homme.

procédé résidait dans la possibilité de

peut à tout moment éclater lors de

Son équipe allait d'ailleurs

réimplanter ces dernières dans

l'insertion d'une pipette de verre pour

annoncer, le 20 octobre 2003 , la

l'organisme des donneuses sans le

l'énucléer. L'équipe du professeur

reprise des recherches qu· elle avait

moindre risque de rejet immunitaire

Hwang a résolu ce problème en

entreprises sur les cellules souches

puisque prélevées sur elles.

perçant un trou microscopique dans

embryonnaires humaines, puis provi-

l'ovule, puis en y exerçant une pres-

soirement suspendues en raison du

sion suffisante pour expulser le

débat sur la bioéthique. Elle se pro-

Si nombre de scientifiques ont

noyau, comme un grain de raisin

posait alors d'employer un grand

implanté des cellules somatiques

hors de sa peau. De l 'avis du

nombre d'ovules afin de réaliser une

humaines dans des ovules animaux,

Professeur Gerald Schatten, un

campagne d'essais visant à définir

Impossibilité du clonage humain

le professeur Hwang est le premier

spécialiste du clonage de l'Université

les conditions de faisabilité du clo-

qui a mené à bien cette opération

de Pittsburgh : «Un procédé original

nage embryonnaire, tandis que l'ob-

dans un ovule humain . S'il est vrai

d'énucléation de l ' ovule et la

jectif est aujourd 'hui de le réduire

qu'avant lui, le Docteur José Cibelli,

réimplantation des cellules soma-

afin d'accroître le rendement des cel-

de l'entreprise américaine Advanced

tiques des donneuses dans leurs

lules souches.

Cel/ Technology (ACT]. avait déjà

propres ovules ont permis ce

cloné avec succès un embryon

succès».

Il convient de rappeler que le clonage embryonnaire ainsi réalisé

Les travaux du Professeur

l'a été à partir des cellules soma-

parvenu au stade d'apparition des

Hwang font toutefois l'objet d'une

tiques des différentes donneuses et

cellules souches.

vive polémique relative aux questions

qu'il s'avère de ce fait impossible de

La disponibilité d'une importante

éthiques entourant le clonage et

traiter quiconque autre que celles-ci.

quantité d'ovules et la culture

notamment aux inquiétudes que sus-

En

humain en 2001, celui-ci n'était pas

conséquence,

l'équipe

de

indépendante du fluide nutritif des-

cite nt les possibilités de clonage

chercheurs s'attache désormais à

tiné à ces derniers ont joué un rôle

reproductif par implantation d'un

produire des cellules souches utili-

capital

embryon cloné dans l'utérus humain.

sables sur des tierces personnes.

dans

la

80 Koreana I Prin te mps 2005

réuss ite

du


Vers une nouvelle révolution

Selon le Professeur Hwang, il doit être possible d'obtenir des oeufs fécondés à partir de cellules somatiques pour prélever sur ceux-ci des cellules souches sans recourir au x techniques de clonage. Tel est bien évidemment l'objectif de recherche qu'il s·est fixé.

Il prévoit toutefois que la réalisation des applications thérapeutiques des cellules souches n'interviendra pas avant une dizaine d'années et les chercheurs poursuiven t donc sans relâche leurs travaux en laboratoire. La journée commence, avant l'aube, par la collecte d'ovules frais de vaches et truies sur les marchés à bestiaux

de Garak-dong . Quoique la vie de vétérinaire praticien eût été plus facile, les membres de l'équipe ont préféré se consacrer à la recherche sur le clonage et cette motivation leur vaut toute la sympathie du Professeur Hwang. Ce dernier se passionne telleme nt pour ses recherches qu'il affirme en avoir fait son passetemps, mais c'est la vulgarisation scientifique à l'intention du grand public qui suscite en lui le plus d'enthousiasme. Tout scientifique se doit d'encourager les vocations dans ce domaine chez les étudiants et d'assurer une bonne assimilation des connaissances de base par le grand public, telle est son intime conviction. A ceu x qui \ui demandent s'il ne pécherait pas par excès de dynamisme, il rétorque : «La promotion des sciences dans la population revêt autant d'importance que la publication d'articles dans une revue scientifique». C'est donc avec impatience qu ·est attendue la prochaine révolution biotechnologique à laquelle travaille l'équipe du Professeur Hwang, _ce petit garçon de Daejeon qui aimait tant les vaches. 1.t

Le professeur Hwang et son équipe de chercheurs au trava il dans leur la boratoire. Le professeur Hwang Woo-su k. en parvenant pour la premi ère foi s au monde à extraire des ce llules souches à parti r d'e mbryons hum ain s clon és. fait figure de bienfaiteur aux ye ux des pe rsonn es atteintes de ma ladies diffi cilement guérissables.

Printemps 2005 1 Koreana

81



Spécialité culinaire séoulienne composée d'un bouilli de bœuf exigeant une très lente cuisson, le «seolleongtang» a gagné les faveurs de tous les Coréens par ses qualités nutritionnelles et sa rapidité de consommation. Yoon Sook-ja Directrice de l'Institut de gastronomie traditionnelle coréenne

L

a pause déjeuner marque un moment de détente privilég ié qui permet de refaire le plein d'énergie après une dure matinée de travail. Un bol de «seolleongtang » peut alors s'avérer tout aussi bénéfique qu 'un grand festin par sa richesse en éléments nutritifs, outre qu'il fournit un repas à plat unique adapté à une consommation rapide. Sa préparation consiste à faire très longuement mijoter dans de l'eau portée à ébullition divers morceaux de bœuf tels que l'os éthmoïde, les pieds, la tête, les côtes, le jarret et les intestins . Il en résulte un important apport de protéines et de calcium, puisqu'un bol de «seolleongtang» représente 540 kilocalories, 25 grammes de protéines, 12 grammes de matière grasse, 28 grammes d'hydrate de carbone, 57 U.1. de vitamine A, 11 milligrammes de vitamine Cet 45 milligrammes de calcium. Sachant que les besoins nutritionnels quotidiens d'un Coréen moyen s 'élèvent à 2 500 kilocalories et 75 grammes de protéines, force est de constater qu'une portion de cet aliment satisfait à un tiers des exigences quotidiennes d'un sujet adulte en bonne santé. Un peu d'histoire culinaire

Plus savoureux dans les restaurants dont il est la spécialité qu'en cuisine domestique, parce que devant être confectionné en grande quantité et mijoter longtemps, le «seolleongtang» voit ses qualités gustatives et sa teneur en nutriments accrues pa r la décomposition des protéines en acides aminés libres et en hexane dans l'eau portée à ébullition. Il s'avère donc plus succulent dans la cuisine de

restauration par la possibilité d'une préparation abondante destin ée au partage. Quelle est donc l'origine de ce mets et de son appellation ? Lors de la fête de Sangsin, au deuxième mois du calendrier lunaire, les monarques de la Dynastie Joseon (1392-1910] se rendaient devant le Seonnongdan , autel dédié aux illustres pères chinois de la civilisation qui, entre 2800 et 2600 av. J .-C., inventèrent l'agriculture et le mercantilisme, tel Shennong, la chasse, la pêche et l'écriture, comme Fu His. Là, dans le quartier séoulien de Dongdaemun, ils demandaient par leurs prières que l'année à venir soit propice aux récoltes et, au terme d'une cérémonie rituelle mettant en oeuvre riz cru, millet, boeuf et viande de porc, le souverain travaillait lui-même la terre sur une parcelle royale dite «jeokjeon ». Suite à l'accomplissement de ce rite, on faisait cuire riz et millet dans une grande marmite, le boeuf servant à la confection de la soupe, et le porc, du «pyeonyuk», c·està-dire un plat de viande étuvée et émincée. Le roi conviait souvent à sa table le bouvier qui avait conduit l'animal de labour ainsi que les personnes âgées de plus de soixante ans choisies dans l'assistance. La soupe au riz se servait dans un large bol ou «ttukbaegi », accompagnée de poireaux, faute de «kimchi » et substituant le sel à la sauce de soja, l'usage moderne de ces deux derniers ing rédients remontant donc à cette époque . Son appellation allait évoluer de celle de «seonnogtang », qu'elle porta tout d'abord par analogie avec la soupe rituelle, au vocable «seolleongtang » d'une prononciation plus aisée. Printemps 2005 1Koreana

83


Le secret du «seolleongtang» réside dans l'alliance savoureuse d'un épais bouillon blanc généralement accompagné d'un «kimchi» de radis l«kkakdugi»J, croquant sous la dent, qui chasse les relents de viande de l'haleine et facilite la digestion.

Un goûteux bouillonnement

bœuf, dans une seconde marmite emplie d'eau froide pro-

Composé d'eau dans laquelle on cuit os de boeuf,

pre que L'on fera aussi bouillir. On assaisonne le tout d'ail,

poulet ou poisson ainsi que légumes et épices, le bouillon

de gingembre et de poireaux pour supprimer tout effluve

de type occidental est considéré le plus savoureu x pour

désagréable de La viande, pu is on dégraisse et on écume.

relever soupes et sauces. Exclusivement à base d'os, il est

En fin de cuisson, retirer les os et émincer la viande, puis

dit blanc, et brun, quand on a préalablement fait griller

verser la soupe dans un bol avec Le riz et La viande. Servir

ceux-ci. Si ces deux fonds de soupe ont pour dénominateur

les poireau x finement coupés accompagnés de piment

commun une lente cuisson, leur emploi diffère radicale-

rouge en poudre, poivre noir et sel.

ment car, tandis que La soupe coréenne se consomme

Plus il cuira Longtemps, plus Le «seolleongtang »

seule, Le bouillon occidental s·agrémente de divers

s'avérera délicieux et nutritif, l'idéal étant donc de le lais-

ingrédients pour confectionner sauces et soupes. Tel est Le

ser doucement mijoter suite à l'ébullition. Il convient par

cas , parmi ces dernières, des soupes au x pommes de

ailleurs de doser L'eau correctement au départ car tout

terre et à L'oignon où ces deux légumes sont respective-

ajout ultérieur gâterait la saveur et produirait une odeur de

ment ajoutés au bouillon .

rance . Le secret de La recette réside donc dans un dosage

En règle générale, et à l'instar du seo/leongtang, La

adéquat de L'eau et dans un bon réglage de La température

soupe coréenne appelée «guk» contient généralement du

de cuisson . L'ajout de poireau x, d'ail et de-gingembre

riz contrairement à son équivalent occidental qui est suivi

chassera d'autant plus efficacement L'arrière-goût

d'autres plats.

déplaisant de La viande qu'il interviendra après que les

Une longue ébullition permet l'obtention d'un liquide

protéines coagulées auront été retirées du bouillon.

opaque, de couleur blanchâtre, à base de moelle, le

Enfin, on prendra soin de présenter aux convives un

seo/leongtang comportant plus d'os que le «gomtang »,

«kimchi » de radis coupés en dés et bien fermentés dit

autre soupe de boeuf devant bouillir plus longtemps

«kkakdugi » car celui-ci débarrassera la soupe de tout

encore. On y ajoute sel ou épices juste avant de le con-

fumet âcre tout en apportant une consistance croquante,

sommer.

outre qu'il renferme divers enzymes facilitant La digestion

Examinons maintenant de plus près Les étapes de sa

des protéines et graisses présentes en quantité dans Le

préparation. Après avoir porté de l'eau à ébullition dans

«seolleongtang ». Consommé en nombreuse compagnie,

une grande marmite, on y ajoutera Les os et la tête de

L'ensemble ainsi obtenu sera garant de bonne santé et

boeuf préalablement nettoyés, que l'on retira suite à la

chassera la fatigue du printemps. t.t

cuisson à point pour les placer, avec les côtes et jarrets de 84 Koreana I Print emps 2005


APERÇU DE LA LITTÉRATURE CORÉENNE

Kim Sung-ok

Printemps 2005 1Koreana 85


CRITIQUE

Genèse de la sensibilité et des illusions chez le sujet moderne L'œuvre de Kim Sung-ok occupe une place particulière dans la littérature coréenne. Elle se caractérise par un sens aigu de l'observation, une rigoureuse construction de l'intrigue, la mise en parallèle de mouvements de sensibilisation et un registre sensoriel qui, de l'avis général, ont «révolutionné la sensibilité» et prennent valeur de norme dans le roman coréen contemporain. Jeong Gueoi-rhi Professe ur de langue et litté rature coréennes à l'Unive rs ité Yon sei

N

é en 1941, Kim Sung-ok figure parmi les principaux écrivains de cette génération dite «du 19 avril» qui, en 1960, joua un rôle capital dans l'effondrement du régime dictatorial de Rhee Syngman. Elle prit ainsi le nom de la révolte étudiante qui fit prendre conscience au x Coréens qu'ils pouvaient être maîtres de leur destin et, par-delà, mener une existence autonome douée de «subjectivité créative». Un «rétablissement du soi qui », en littérature, se traduisit par l'emploi d'une langue réellement novatrice. Pour le critique littéraire Kim Hyun, la génération du 19 avril se compose de ceux dont «l'éducation, la réflexion et l'écriture se firent en langue coréenne». La langue maternelle devenait ainsi vecteur de culture, ainsi que moyen de découvrir la vie et développer les perceptions. Ne se limitant pas à un outil de communication, elle fournit aussi le cadre dans lequel s'expriment les aspirations et sentiments du peuple coréen. De même que l'oeuvre de Marivau x témoigna de l'apparition de l'individualisme dans la littérature française, celle de Kim Sung-ok introduisit l'idée d'autonomie de l'homme. A l'instar du jugement porté par Georges Poulet sur l' écrivain français, elle annonça une «naissance de la sensibilité» en Corée, avec des expressions, jusque là inédites, comme «les rayons du soleil automnal se tortillent à la pointe de mes escarpins vernis [Répétition de la vie) ». Comme le 19 avril ma rqua une révolution pour la démocratie , de tels écrits en représentèrent une pour la sensibilité. Par l'apport de celle-ci dans la langue, ils 86 Koreana I Printemps 2005

contribuèrent à l'esprit d'indépendance des Coréens modernes. En se situant à l'intérieur de ce qu'il appelle le «monde du soi», l'auteur en recherche le sens et en révèle la futilité, procédé qu'illustre particulièrement la nouvelle Quelques jours à Mujin. Comme l'indique le nom de la ville, qui signifie «baie dans le brouillard», l'ensemble du texte est plongé dans une atmosphère brumeuse représentant le désespoir et le dégoût de soi d'exclus de la société, l'ambition et les complots de ceux qui s'agitent pour la dominer, ainsi qu'une amertume faite de sentiments pénibles, tenaces et désespérés nés de l'échec d'intrigues. C'est dans une telle brume qu· évoluait le na rrateur et protagoniste de la nouvelle, mais il a fui Mujin pour s'installer à Séoul, où il s'est marié avantageusement avec la fille du patron d'un laboratoire pharmaceutique dont il est devenu cadre supérieur. C'est toujours là cependant qu'il va se réfugier pour «fuir Séoul suite à un revers de fortune ou s'apprêter à quelque nouveau départ». Et cette fois encore, le voilà reparti se «détendre » à Mujin, sur les conseils de sa femme et de son beau-père, dans l'attente d'une promotion au poste de directeur général. Il y retrouve un ami d'enfance, Cho, aujourd'hui directeur des impôts, ainsi qu'une enseignante venue de Séoul, Hah ln-sook, et un second ami d'enfance, Pa rk, amoureux de cette dernière. Ces trois personnages ne font que renvoyer l'image complexe de Mujin . Pour le premier, sa ville n'est guère différente de Séoul. Il y a fait ses études, poursuit une brillante carrière et figure parmi les notables. Mademoiselle Hah y voit en revanche un repaire de marginau x, elle-·


même ayant été mutée de Séoul suite à son limogeage. Elle entreprend alors, pour se tirer d'affaire, de se faire épouser par Cho, puis de séduire le narrateur, dont elle vient de faire la rencontre, afin de retourner à Séoul. Park représente quant à lui la léthargie de cette ville provinciale où il est né et a obtenu un certificat pour entrer dans l'enseignement, mais dans l'établissement où il professe, les diplômés de l'unive-rsité lui font constamment ombrage, tandis qu'à l'extérieur, Cho exerce sur lui une domination qui l'empêche d'avouer son amour à Hah. Les déux hommes encadrent le narrateur, et personnifient les raisons pour lesquelles ce dernier ne pouvait que fuir la ville, à savoir respectivement que celle-ci n'est qu 'une pâle imitation de la capitale et qu'un monde sépare ces lieux. Mademoiselle Hah, enfin, alter ego de celui que fut le protagoniste, est prête à tout pour quitter les lieux, mais a sa propre conduite en horreur. Au fil de lamentables épisodes, l'auteur évoque tant la vie quotidienne du Coréen moyen des années 1960 que la condition humaine moderne. Demeurent cependant quelques interrogations, notamment sur les raisons qui , dans l'adversité, poussent le protagoniste à revenir. Après avoir lutté si désespérément, mais avec succès, pour s·en évader, n'aurait-il donc plus aucun motif de retour ? Si sa femme et son beau-frère y voient un havre, Séoul ne serait-elle alors qu'un tumultueux champ de bataille ? La question se pose de manière plus complexe pour le narrateur puisque, loin de trouver le moindre répit à Mujin, il ressent le besoin de fuir toujours plus loin . Pourquoi alors revenir, si ce n'est pour raviver cet

ardent désir de fuite, même si la ville le renvoie à cette évidence confusément pressentie par sa femme qu'à Séoul la concurrence est farouche et le combat sans fin ? En outre, malgré la distance, Mujin n'est-elle pas une reproduction de la capitale à échelle réduite ? Dès lors, en y affrontant une version condensée et simplifiée de l'ambition qui règne à Séoul, le protagoniste se prépare au x batailles à mener dans la grande cité, comme on s'inoculerait un vaccin . Par ailleu rs, transparaissent dans ses relations avec les autres personnages toute la futilité des ambitions personnelles ~t fau x-fuyants. Car si l'on fuit Séoul tout autant que Mujin, où donc aller vivre ? La première permet certes de s'élever dans la hiéra rchie sodale, mais quel est l'aboutissement d'une telle. ascens ion ? La présidence d'une grande firme pharmaceutique, peut-être, voire plus? Il ressort du propos, concrétisé par les vies des principaux personnages, que tout fuyard est fatalement voué à faire de son évasion l'objet même d'une perpétuelle poursuite ne le menant nulle part; et que nonobstant l'ampleur de sa réussite, son besoin de parfaire celle-ci demeurera inassouvi. L'auteur présente un bref état des lieux de la Corée des années 1960, caractérisée par l'affirmation de la volonté d'autonomie et l'apport des influences universelles de la modernité. Dans Quelques jours à Mujin, cette importante thématique est formulée en une langue où la sensibilité se mue en réflexion, c'est-à-dire dans une écriture véhiculant avec vitalité l'authentique nature de la société coréenne. t.t

Printemps 2005 1 Koreana 87


Subventions accordées aux programmes d'études sur la Corée à l'étranger

The Korea Foundation Seocho P.O. Box 227 137-863 Séoul, République de Corée Tél : 82-2-3463-5684

Fax: 82-2-3463-6086

La Fondation de Corée offre des aides financières à des universités, instituts de recherche, bibliothèques et particuliers étrangers pour soutenir les efforts qu'ils consacrent à l'étude de thèmes sur la Corée dans le domaine des sciences humaines et sociales ou dans celui de l'art. Nous vous invitons à vous référer aux programmes suivants et vous à adresser au service concerné de la Fondation : Service des études coréennes

Service des bourses

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@ Bourses pour la recherche en Corée

@ Publication et distribution régulières de

@ Bourses pour les cours de langue coréenne.

@ Aides en faveur des instituts de. recherche. Tél : 82-2-3463-5612 Fax: 82-2-3463-6025 Mél : studies@kf.or.kr

@ Bourses post-doctorales. @ Bourses pour la recherche de haut niveau.

@ Bourses pour les études de 2ème et 3ème cycles.

documents de référence.

@ Envois sur demande. Tél : 82-2-3463-5684 Fax : 82-2-3463-6086 Mél : publication@kf.or.kr

@ Programmes d'aide à la publication. @ Aides à la constitution de matériel pédagogique. Tél: 82-2-3463-5614 Fax: 82-2-3463-6075 Mél : fellow@kf.or.kr

Pour toute demande concernant nos programmes d'aide ou pour de plus amples informations, merci de contacter les sections concernées ou de visiter le site web de la fondation : www.kf.or.kr

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A partir du 31 juillet de l'année précédant celle au cours de laquelle le projet est prévu. Jusqu'au 15 janvier de l'année au cours de laquelle le projet est prévu. Jusqu'au 31 janvier de l'année au cours de laquelle le projet est prévu Demander directement. Jusqu'aux 31 mars et 30 septembre de l'année concernée. Jusqu'aux 31 mars et 30 septembre de l'année concernée

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