Arts
et
Culture
de
C o r Ée
vo l . 10, n° 1 P rin t emps 2009
Les tombes royales de la dynastie Joseon ISSn 1225-9101
Âecíà 2009 | Koreana 1
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Beautés de Corée
L’« eollebit », le peigne traditionnel
© Seo Heun-kang
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usqu’à l’époque moderne, le port du chignon étant de mise pour les femmes mariées, celles-ci devaient soigneusement tresser leurs longs cheveux avant de les rassembler et de les nouer sur leur tête au moyen d’une épingle ornementale appelée « binyeo », tandis qu’avant de convoler, elles les réunissaient nettement en une longue natte. Pour les élégantes de jadis, la journée commençait donc par le démêlage des cheveux à l’aide d’un peigne à dents largement espacées dit « eollebit », auquel succédait le lissage avec un second instrument à dents plus serrées, le « chambit». L’exécution régulière de ces opérations leur permettait de maintenir la propreté et la santé de leur chevelure qu’elles enduisaient de quelques gouttes d’huile de camélia pour lui donner plus de brillance, autant de pratiques d’hygiène qui participaient d’une discipline tout aussi physique que morale. Si elles privilégiaient le bois dur du buis pour le premier de ces accessoires, elles lui préféraient la canne du bambou pour le second, afin de conférer à celui-ci la souplesse et la solidité nécessaires. L’« eollebit » aux dents écartées permettait un peignage facile et son bois, qui ne devait offrir nulle résistance aux cheveux, pouvait aussi se composer de bouleau, pin ou jujubier, la couleur rouge sombre de cette dernière essence lui apportant
naturellement un attrait visuel. Les peignes réalisés en pin de l’île de Jejudo avaient la faveur des utilisatrices, qui leur prêtaient des vertus thérapeutiques contre toutes maladies, ainsi que la faculté d’éloigner la malchance. Sous les Trois Royaumes (I er siècle av. J.-C.- VIIe siècle) et la dynastie de Goryeo (918-1392), des « eollebit » décoratifs composés de carapace de tortue, d’ivoire, de corne ou d’argent étaient employés comme parures, les gentes dames appréciant tout particulièrement ceux en forme de demi-lune, surtout lorsqu’ils s’ornaient de symboles de bon augure représentés avec goût. À l’époque Joseon (1392-1910), les femmes voyaient en outre dans le peigne un symbole de fidélité qu’elles ne manquaient pas de placer dans le cercueil de leur mari en témoignage de leur constance, mais elles le considéraient aussi comme un bien précieux et exigeaient aussi qu’il fût enseveli auprès d’elle, tandis qu’en signe de deuil, elles cessaient de l’employer en raison de leur chagrin, de sorte que cet accessoire faisait à tel point partie de leur vie quotidienne qu’un adage affirma longtemps que la plus pauvre d’entre elles, fût-elle dépourvue de dot, en possédait toujours un.
Arts et Culture de Corée
Vol. 10, N° 1 Printemps 2009
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Située dans le canton de Yeoju-gun appartenant à la province de Gyeonggi-do, la tombe double de Yeongneung, qui abrite la dépouille mortelle du roi Sejong et de la reine Soheon, épouse de ce quatrième monarque de la dynastie Joseon, se caractérise, comme toutes les sépultures royales de cette époque, par son genre conventionnel où l’absence de toute extravagance traduit l’affection et le respect du souverain pour son peuple. Cette construction, dont l’assise est dépourvue de dallage, s’entoure d’une clôture en pierre aux gravures d’un style sobre. L’Office du patrimoine culturel fournit de nombreuses informations sur ces monuments funéraires riches d’une histoire cinq fois centenaire, notamment dans un petit film en langue anglaise visible sur son site internet à l’adresse http://royaltombs.cha.go.kr. © Seo Heun-kang
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Les tombes royales de la dynastie Joseon 8
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Immuable splendeur des tombes royales de Joseon Lee Chang-Hwan
18 Spécificité des tombes royales de la dynastie Joseon
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Kim Lena
24 Sagesse philosophique des tombes royales de Joseon Han Sung Hee
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dossIers
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Un trésor de l’art métallique d’époque Goryeo : un vase à eau lustrale à décor incrusté Choi Eung Chon
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La daurade aux nouilles,un grand classique de la cuisine de palais Han Bokryeo
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Sur la tombe d’Ingneung, qui appartient au groupement funéraire de Seooreung édifié en 1680, le tigre de pierre situé au premier plan symbolise la défense des lieux.
Les tombes royales de la dynastie Joseon Véritables espaces verts offrant leur havre de paix aux habitants des villes, les magnifiques tombes de la royauté coréenne connaissent aujourd’hui un regain d’intérêt, comme en atteste l’éloge qu’en a fait l’équipe d’inspection de l’UNESCO, car ces sépultures aménagées sous la dynastie Joseon au cœur de la capitale et dans ses environs représentent non seulement la quintessence des traditions familiales de cette monarchie, mais aussi un patrimoine culturel exceptionnel qui fait autorité, ainsi que l’expression d’une philosophie architecturale traditionnelle fondées sur le respect de la nature, comme permettront de le constater les paragraphes qui suivent. Printemps 2009 | Koreana
Immuable splendeur des tombes royales de Joseon La construction des sépultures royales de la dynastie Joseon fut entreprise à partir de la fondation de cette dernière, en 1392, par Yi Seong-gye, aussi connu sous le nom posthume de Roi Taejo, et exigea un chantier ininterrompu de cinq siècles. Au nombre de quarante-deux, ces tombent dites en coréen « neung » ou « reung » abritent vingt-sept générations de rois, dont certains intronisés à titre posthume, et de reines, Il convient d’examiner de plus près les éléments qui participent de la spécificité architecturale et du caractère pittoresque de ces véritables mausolées dynastiques. Lee Chang-Hwan professeur à l’Université Sangji-youngseo Photographie Institut de recherche national du patrimoine culturel | Seo Heun-kang Photographe
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Au sein du groupement funéraire de Seooreung, la tombe de Gyeongneung obéit à une tradition, qui sous la dynastie Joseon, voulait que ces monuments se cachent dans les montagnes, derrière un bouclier rocheux qui procurait une impression de sécurité et de sérénité.
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ongtemps investies d’une valeur sacrée, les tombes royales qui s’élèvent depuis près de six cents ans sur une superficie boisée de 5 215 hectares et d’un rayon de quatre à quarante kilomètres à partir du centre de la capitale ne comportaient à leurs alentours ni habitations ni cimetières, cet isolement leur ayant permis d’être conservées dans un excellent état tout au long de leur histoire et de préserver le caractère inviolable des espaces verts qui les entourent, à l’instar des célèbres sites de l’Arboretum de Gwangneung, de Hongneung et de sa forêt, à Cheongnyangni, de Seonjeongneung à Gangnam, ainsi que de Heoninneung. Au cours de son histoire cinq fois millénaire, c’est à l’époque de la dynastie Joseon (1392-1910) que la Corée parviendra au plus haut degré de sa culture, dont le genre royal constitue alors le fleuron et demeure de nos jours, par ses palais et tombes, une composante essentielle du patrimoine culturel national. Après avoir été assuré par la famille royale durant plus de cinq siècles, leur entretien relève de l’Office du patrimoine culturel, qui s’en charge avec tout autant de rigueur depuis la fondation de la République de Corée, de sorte qu’en dépit des dépradations commises sous la colonisation japonaise (1910-1945), elles se trouvent aujourd’hui dans un excel-
lent état de conservation qui surpasse celui de toutes les autres sépultures royales subsistant dans le pays. Conscient de l’exceptionnelle valeur que revêtent ces monuments pour le patrimoine mondial, les pouvoirs publics, par le biais de l’Office du patrimoine culturel, s’emploient actuellement à y faire inscrire ceux-ci par l’UNESCO, dont l’équipe d’inspection dépêchée par le Conseil international des monuments et des sites, a achevé son enquête au mois de septembre dernier, et si la décision en était prise lors de la trente-troisième session du Comité du patrimoine mondial qui se déroulera à Séville, les Coréens pourraient enfin avoir la joie de faire connaître ces vestiges uniques en leur genre au reste du monde. Une culture funéraire antique Partout et en tout temps, les hommes ont établi leur demeure à des emplacements bénéficiant d’un climat et d’un cadre naturel agréables, mais en ont aussi recherché qui leur permettent de reposer en paix après la mort et, pour les rois ou reines qui régnèrent sur eux, l’aménagement de ces lieux dut en outre prendre en compte des critères d’ordre institutionnel et idéologique liés à la politique, comme ceux des pyramides, ces tombes de l’Antiquité égyptienne, dont la création reposa sur la croyance
en l’immortalité de l’âme, ou encore celui du Taj Mahal, une construction de l’art musulman indien. Quant aux sépultures royales de la dynastie Joseon, leur construction fut entreprise à partir de la fondation de cette dernière, en 1392, par Yi Seonggye, aussi connu sous le nom posthume de Roi Taejo et exigea un chantier ininterrompu de cinq siècles. Au nombre de quarante-deux, ces tombent dites en coréen « neung » ou « reung » abritent vingt-sept générations de rois, dont certains intronisés à titre posthume, ainsi que de reines, et se composent, pour les deux principales datant du début de cette époque, de celles de Jereung et Hureung situées dans la ville nord-coréenne de Gaeseong, les quarante autres ayant été inscrites sur la liste provisoire de l’UNESCO. Il convient d’examiner de plus près les éléments qui participent de la spécificité architecturale et du caractère pittoresque de ces véritables mausolées dynastiques. C’est depuis des temps très anciens que la chronique historique fait état de la présence de ces sépultures sur la péninsule coréenne, postérieurement à l’âge de pierre et du bronze, qui vit l’édification des dolmens, avec l’apparition de nouveaux procédés d’ensevelissement qui se généraliseront sous les Trois Royaumes de Goguryeo, Baekje et Silla
Nomenclature des tombes royales de la dynastie Joseon Les sépultures royales édifiées à l’époque Joseon sont classées selon trois catégories dites « neung », « won » et « myo », la première d’entre elles désignant celles des souverains régnants ou intronisés à titre posthume, tant hommes que femmes, quarante de ces monuments étant aujourd’hui recensés en Corée, où il font l’objet d’un soigneux entretien, notamment les suivants : Gongsunyeongneung
Donggureung
Jangneung (Paju)
Seonjeongneung
Jangneung (Gimpo)
Heonilleung
Seooreung
Gwangneung
Olleung
Hongyureung
Seosamneung
Yunggeolleung
Jeongneung
Yeongnyeongneung
Taegangneung
Jangneung (Yeongwol)
Uireung
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Au groupement funéraire de Donggureung, la tombe de Wolleung, qu’entoure un muret, est du type dit « jumelle », lequel se caractérise par la présence de deux monticules individuels, destinés dans le cas présent à Yeongjo, vingt et unième roi de Joseon, et à son épouse.
(IVe siècle av. J.C. - VIIe siècle) lesquels allaient chacun se doter de pratiques funéraires propres. Le septième siècle, qui marque l’avènement du Royaume de Silla Unifié, est caractérisé par l’adoption d’une orientation au sud des tumulus, ainsi que par la présence de monuments et statues de pierre édifiés à l’entrée des tombes, tandis que dans les derniers temps de cette époque dynastique qui prend fin au Xe siècle, naîtra la notion de géomancie, que désigne le mot chinois de « feng shui » et qui exigera que les tombes soient aménagées sur des hauteurs montagneuses jouissant d’un bon ensoleillement, d’une épaisse couverture de terre et d’un drainage suffisant. Cet art funéraire royal coréen, dont les principaux aspects ont pris forme sous cette monarchie, allait ensuite se perpétuer en l’état jusqu’à celles de Goryeo et Joseon en se dotant de traits par-
ticulièrement distinctifs au cours de cette dernière dynastie. Choix du cadre naturel idéal Les tombes royales d’époque Joseon avaient pour emplacement des lieux reculés et bordés de hautes montagnes qui leur conféraient tranquillité et isolement, tout en produisant l’impression d’une dénivelée, tandis que le tumulus lui-même s’élevait en un espace bien dégagé où l’ensemble du paysage s’offrait à la vue, de sorte que ces sites devaient bénéficier de la présence propitiatoire d’une montagne à l’arrière, de la protection de contreforts environnants et de perspectives ouvertes sur leur cadre naturel. Leur implantation était conçue de telle sorte que les monticules funéraires soient abrités à gauche et à droite par des crêtes, respectivement dites du « dragon bleu » et du « tigre blanc »,
dont l’altitude s’abaissait pour ménager un étroit couloir d’accès, à défaut de quoi, on optait pour des lieux possédant de petits bosquets ou étangs. Le monticule sous lequel reposait la dépouille funèbre s’élevait à l’extrémité de la crête d’une montagne propice en n’y faisant que légèrement saillie. Des monuments et structures divers s’alignaient face à la tombe, selon un axe rectiligne par rapport au monticule funéraire et une disposition conforme à la hiérarchie confucéenne, dans l’ordre où ils sont cités, des tumulus, lanterne de pierre, sanctuaire en T et porte à flèche rouge, ainsi nommée en raison du motif qui en ornait la partie supérieure, mais si les dimensions du site ne permettaient pas un tel agencement, ces différents éléments décrivaient une ligne courbe mieux adaptée à la topographie. Le tumulus était élevé à une plus Printemps 2009 | Koreana 11
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grande hauteur que le sanctuaire en T, afin d’en mettre en évidence le caractère exceptionnel et inviolable, ainsi que de délimiter les domaines du sacré et du profane, mais sa situation en surplomb du paysage s’étendant aussi loin que portait la vue révélait aussi un souci de symbolisme, outre des considérations liées à l’environnement telles que le niveau d’ensoleillement ou le drainage des sols. Pour se rendre aux tombes, les visiteurs empruntent une allée qui épouse à dessein les sinuosités d’un ruisseau afin qu’ils ne puissent apercevoir dès leur arrivée les lieux sacrés où se dresse le monticule funèbre afin d’en souligner la vénérable nature. Les premières tombes d’époque Joseon furent édifiées sur des sites dont la surface était fixée à cent pas de côté, soit environ cent vingt mètres, tandis que, dès le règne du roi Sukjong (r. 1674-1720), 12 Koreana | Printemps 2009
elle allait être délimitée, sur sa gauche et sa droite, respectivement par les crêtes du dragon bleu et du tigre blanc, à l’arrière, par une montagne propitiatoire, et à l’avant, par une plus petite hauteur, après en avoir débarrassé l’enceinte, en vue d’y aménager un espace paysager, de toutes ses habitations, constructions et tombes familiales d’origine, auxquelles étaient affectés d’autres terrains. L’aménagement de ces sépultures, ainsi que leur entretien par la famille royale durant cinq siècles, puis, jusqu’à nos jours, par l’Office du patrimoine culturel, a permis que nous parviennent dans un bon état de conservation ces lieux d’histoire et de culture que sont, pour n’en citer que les plus célèbres, Donggureung, Seooreung, l’Arboretum de Gwangneung, la forêt de Hongneung et Seonjeongneung, dont le classement en zone protégée et l’inscription au patrimoine culturel fournissent à
la capitale un important apport en espaces verts. Par leur conception, les sites funéraires royaux d’époque Joseon procédaient de l’application bien comprise des relations d’harmonie devant unir l’homme à la nature et inspirant le style architectural traditionnel d’alors, de sorte qu’ils figurent aujourd’hui parmi les espaces verts anciens les mieux préservés, outre qu’ils fournissent de précieuses indications sur la culture funéraire nationale. Diversité architecturale et harmonie avec la nature En vertu de la géomancie et d’une conception de la nature exigeant que les tombes royales s’intègrent au mieux à cette dernière, il importait que leur emplacement et leurs dimensions se conforment à la topographie
1 À Gangnam, arrondissement de Séoul, les tombes des onzième et neuvième souverains de Joseon, respectivement nommés Jungjong à Jeongneung et Seongjong à Seolleung, se côtoient sur le site funéraire de Seonjeongneung. 2 Au groupement funéraire de Seooreung, dominant un sanctuaire en T, les tertres de Myeongneung s’élèvent dans un agréable paysage où la vue des montagnes ajoute à la digne impression qui émane du site, conformément aux idéaux des hommes de Joseon, qui prônaient une coexistence harmonieuse entre l’homme et la nature. 3 Édifiée dans le groupement de Donggureung, la tombe de Gyeongneung constitue un spécimen unique en son genre, dit triple, par l’alignement de ses trois monticules délimités par un muret qui furent élevés pour le roi, sa première et sa seconde épouses.
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de leur environnement montagneux, d’où il résulte une grande variété morphologique comportant les types dits simple, double, jumeau, à « un site et deux crêtes », en triplet, triples ou superposés, les premier et deuxième désignant des sépultures qui abritent la dépouille de rois et reines ensevelis respectivement seuls ou ensemble, tandis que le troisième correspond à des monticules individuels situés côte-à-côte et ceints d’un unique muret. Le quatrième comporte quant à lui l’aménagement d’un sanctuaire en T et de deux monticules funéraires, dont l’un, adossé à une crête secondaire faisant saillie sur la crête principale, se compose d’un ensemble complet de statuaire et de maçonnerie en pierre, alors que le type dit superposé se caractérise au contraire par l’alignement vertical, sur un même versant de colline, des monticules où reposent le souverain et son épouse, laquelle vient se placer audessous de celui-ci. Enfin, les tombes en triplet font se côtoyer roi, reine et concubine sous leurs tertres individuels élevés au flanc d’une même hauteur et dans le périmètre d’un unique muret, par opposition à celles du type triple où ils sont tous trois réunis par un seul monticule. Agencement spatial Sous la dynastie Joseon, la bienséance confucéenne voulait que les tombes royales comportent trois parties
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Plan type du site d’une tombe royale Montagne
Mur incurvé
Forêt en arrière-plan
Monticule funéraire
Sanctuaire en T
Porte à flèche rouge Crête droite
Crête gauche Pièce d’eau
Ruisseau
Sommet avant
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Selon la conception coréenne de la nature, cette dernière englobe jusqu’à la moindre des tombes qu’elle abrite et il importait donc tout autant pour leurs bâtisseurs que celles-ci, par leurs emplacement et dimensions, se conforment à la topographie de leur environnement montagneux qu’aux normes sociales et à l’éthique, d’où la grande variété de ces constructions, qui peuvent notamment être du type simple, double ou jumeau.
principales destinées à l’entrée, aux rites sacrificiels et à l’ensevelissement, selon trois niveaux se répartissant autour du sanctuaire en T qui mettait en présence morts et vivants. La première possédait un caractère profane en raison des visiteurs qui s’y présentaient et la deuxième rassemblait les défunts et les exécutants des rituels ancestraux, tandis que la dernière restait le domaine sacré de la dernière demeure. Quant aux monuments et ouvrages qui s’y élevaient, ils se composaient, à l’entrée, de la porte extérieure dite « à flèche rouge », du sanctuaire rituel, d’un étang, d’une parcelle de terrain nu servant de coupe-feu et d’un pont, puis, dans le secteur réservé aux rites sacrificiels, par-delà cette même porte, de l’allée des visiteurs, de la salle des gardiens, d’une cuisine permettant la confection des offrandes alimentaires et du sanctuaire en T. À ces deux parties, succédait une zone de transition pourvue d’une fosse empierrée et d’une plate-forme servant respectivement à l’incinération des tables mémoriales et des offrandes pécuniaires, un pavillon abritant des tablettes, un autel en pierre élevé au dieu de la montagne et l’allée principale me-
nant à la tombe. Dans sa partie centrale à caractère sacré, se dressait le monticule funéraire, des statues de tigre et de bélier, la plate-forme où reposait l’âme du défunt, plusieurs piliers, une lanterne, des statues représentant des fonctionnaires et officiers d’armée, ainsi que des chevaux, le tout en pierre, et pour finir, un muret. Enfin, un temple et une forêt réservée à la culture de plantes aromatiques et à la production de charbon de bois se dressaient à la périphérie du site en suivant l’axe de ses flux incidents. Dans l’art funéraire d’époque Joseon, la zone réservée à l’ensevelissement occupait une position centrale, notamment par le monticule qui la surmontait et s’entourait, sur les trois quarts de son périmètre, d’un muret bordé d’une haie de pins participant de l’enclavement du site et à l’assise de cette demi-sphère, de douze pierres plates formant anneau et s’ornant chacune d’un motif différent indiquant les douze directions ou branches terrestres. Ce tertre s’élevait sur trois niveaux successifs dont le dernier, qui constituait le point culminant du site, abritait la dernière demeure du défunt, tandis que le suivant, qui en représentait le centre,
comportait les statues des fonctionnaires et leurs chevaux et le dernier, celles des officiers et de leurs montures, l’ensemble demeurant d’un accès strictement interdit aux vivants. Les parties supérieure et inférieure de la tombe différaient par leurs dimensions, notamment en hauteur, et par leur mode de fermeture conçu en vertu des principes du « eum » et du « yang », c’est-à-dire le yin et le yang. Outre qu’il offrait une vue dégagée sur la zone funéraire, 1 ce décalage vertical rehaussait le caractère sacré des lieux. Destinée à l’accomplissement des rites voués aux défunts, la zone sacrificielle possédait en partie un caractère profane, mais permettait aussi de mettre en présence morts et vivants à l’occasion de cérémonies. Une allée rectiligne y menait de la porte à flèche rouge au sanctuaire en T, sur les deux ou trois niveaux qui la composaient, et de part et d’autre de cette trajectoire, desservait la salle du gardien et la cuisine où l’on confectionnait les offrandes alimentaires. Surélevée sur une partie de sa largeur à l’intention de la personne du défunt roi, tandis que l’autre, plus basse, devait être empruntée par les vivants, elle empruntait un par-
1 Un récit célèbre est attaché à la construction de Hongneung, cette tombe du groupement de Seooreung, à savoir que lorsque mourut l’épouse de Yeongjo, vingt et unième souverain de Joseon, on lui édifia une sépulture contiguë à l’emplacement réservé à son mari, qui fut en réalité inhumé aux côtés de la reine Jeongsun, au groupement de Donggureung, de sorte que le lieu qui lui était destiné à l’origine resta à jamais inoccupé.
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2 Dernière demeure du dix-neuvième souverain de Joseon, Sukjong, mais aussi d’Inhyeon et Inwon, ses seconde et troisième épouses, la tombe de Myeongneung, située au groupement de Seooreung, se compose de deux tertres élevés pour ces deux premiers personnages, celui du troisième, qui n’apparaît pas ici, étant gardé par la statue d’un officier de l’armée.
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1 Cette vue aérienne d’Illeung, sur le site funéraire de Heonilleung, permet de constater la parfaite conformité de son implantation aux normes en usage. Aujourd’hui, un entretien méticuleux assure la conservation de ces monuments du patrimoine culturel national qui fournissent aussi autant de précieux espaces verts car, contrairement aux tombes impériales chinoises dont les tertres étaient ceints de hauts murs, celles de Joseon étaient bordées de forêts. 2 À Namyangju, ville de la province de Gyeonggido, repose dans la tombe de Gwangneung le roi Sejo, septième souverain de la dynastie Joseon, sous un tertre dont l’enceinte sacrée est délimitée par un muret s’étendant sur la portion latérale et arrière de son pourtour.
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cours en ligne droite jusqu’au sanctuaire en T, au niveau duquel elle obliquait à l’est, comme cela est le cas aux sanctuaires de Jongmyo et Sajik. Les cérémonies débutant toujours du côté sud-est pour se terminer en sens opposé, cette allée comportait un tournant à angle droit pour respecter l’ordre symbolique des points cardinaux selon lequel le sudest représentait le commencement ou la naissance, et le nord-ouest, la fin. Lieu de concentration de l’énergie du défunt, la zone funéraire se composait de trois parties traduisant l’influence du féodalisme et de l’idéologie dominante confucianiste dans une société de Joseon qui vénérait les trois fondateurs mythologiques de la nation. Destiné à soustraire le monticule funéraire aux regards des marcheurs qui cheminaient sur l’allée à partir de la porte à flèche rouge, le sanctuaire en T présentait une conception propre à assurer le respect de la hiérarchie qui divisait les tombes du monde extérieur, c’est-àdire qui séparait les domaines du sacré et du profane selon un axe transversal en empêchant les vivants d’accéder au tertre lors de l’accomplissement des rituels ancestraux et en les incitant à considérer celui-ci d’un accès difficile. Une architecture paysagère naturelle et symbolique Les pins composent le cadre idéal
d’un site funéraire royal et les lieux sacrés qui s’étendent autour des monticules funèbres sont entièrement bordés de ces arbres, qui constituent l’un des dix symboles de la longévité et expriment dans le cas présent le souhait de perpétuation de la dynastie, tandis que leurs aiguilles éternellement vertes évoquent la loyauté. Cette essence, ainsi que celles du sapin et du chêne de Mongolie, prenait place autour des zones sacrificielles au centre desquelles se dressait le sanctuaire en T, tandis qu’en contrebas, le sol en était planté de styrax japonica, d’azalées royales et communes, puis, sur les zones marécageuses, d’aulnes mieux adaptés à un tel milieu. Les tombes royales furent tout d’abord fleuries de zoysia japonica. A l’époque Joseon, le gazon, après avoir été cultivé, était planté sur les sols qui exigeaient d’être couverts, les semis intervenant le cas échéant en juillet et en août. À cet égard, le monticule funèbre de Geonwonneung est unique en son genre dans la mesure où, selon les instructions du roi Taejo, il fut planté de laîche qui provenait de sa contrée natale de Hamheung et ne fut jamais coupée par la suite. Édifiées en vertu des préceptes confucianistes et largement vouées à la vénération des ancêtes, les tombes royales de la dynastie Joseon attestent du haut degré auquel étaient parvenus l’art
et les techniques de cette époque. Participant d’un patrimoine culturel fondé sur une conception spécifiquement coréenne de la nature et du monde, elles attestent des exceptionnelles particularités d’une culture funéraire coréenne qui se démarque nettement de celles d’autres nations ayant pourtant appartenu à la même sphère d’influence confucéenne. D’un point de vue philosophique, ces ensembles de sépultures reposaient sur les principes directeurs du « eum » et du « yang », de la géomancie, du bouddhisme, du taoïsme, et plus particulièrement du confucianisme, qui représentait la philosophie politique dominante d’alors. En guise de conclusion succincte, il convient de souligner toute la valeur des tombes royales coréennes d’ époque Joseon, qui sont constitutives du patrimoine culturel spécifique d’ une même dynastie riche d’une longue histoire, dont l’édification s’est poursuivie sur une longue période, qui sont parvenues jusqu’à nos jours en excellent état de conservation et sont uniques en leur genre par leurs techniques de construction, les origines anciennes des traditions qui leur sont liées et se perpétuent à l’époque actuelle, de même que par l’existence d’une chronique historique qui offre aujourd’hui encore un remarquable aperçu sur l’histoire. Printemps 2009 | Koreana 1
Le site de Taereung met bien en évidence la configuration caractéristique à trois niveaux dominés par le monticule funéraire, suivi d’un étage intermédiaire destiné aux statues de fonctionnaires, tandis que celle des officiers d’armée se dressent tout en bas.
Spécificité des tombes royales de la dynastie Joseon Tant par la structure de son assise que par l’agencement des sépultures qui la composent, la tombe de Geonwolleung, où repose Taejo, souverain fondateur de la dynastie Joseon, est caractéristique de l’art funéraire officiel que définissaient les traités relatifs aux pratiques rituelles nationales de cette époque, à quelques variations près tenant au contexte politique de l’édification, à la teneur des dernières volontés du roi, aux prédilections de son successeur et aux conditions de réalisation de l’ouvrage, comme c’est le cas des statues en pierre représentant officiers d’armée, fonctionnaires, tigres et moutons, autant de figures bien caractéristiques dont la taille et la posture fournissent des indications sur la situation d’alors. Kim Lena Professeur émérite à l’Université Hongik Seo Heun-kang Photographe
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© Kimchi Gyeonmunnok , Designhouse
i les tombes royales ont mis en œuvre des techniques architecturales différentes, elles s’imprègnent sans exception de cette grandeur que leur conféra la pensée philosophique et la vie spirituelle propres à chaque dynastie, car les vivants s’assuraient que le séjour des âmes se déroule après la mort dans l’opulence et la dignité qu’avaient connues les défunts en ce bas monde en leur édifiant de vastes sépultures ou en plaçant à leurs côtés une grande quantitié de dons, outre qu’ils témoignaient par ce biais de leur piété filiale, voire, symboliquement parfois de leur allégeance à l’autorité du souverain. Les tombes royales de Goguryeo, par les minutieux détails de leurs peintures murales, tout comme celles de Silla, dont les fouilles ont permis de mettre au jour de splendides articles d’orfèvrerie, offrent un aperçu du mode de vie de la classe dirigeante et de ses croyances sur l’immortalité de l’âme à travers des pratiques funéraires qui furent marquées par la pensée du bouddhisme dès l’introduction de celui-ci, à la fin du IVe siècle, même si la vision de l’au-delà dont elle témoignait ne s’écartait pas outre mesure de la tradition populaire. En effet, jusque sous le royaume de Silla Unifié où cette religion allait parvenir à son plus haut degré, la réalisation d’un monticule de grandes dimensions dont l’assise s’entourait de dalles de pierre ornées de bas-reliefs des douze animaux du zodiaque représentant le temps et les points cardinaux et assurant la défense des lieux obéissait à une pratique funéraire ancienne d’origine chinoise qui avait pris son essor en ExtrêmeOrient dès avant que n’y soit apporté le bouddhisme. Alors que ces magnifiques vestiges de Goguryeo et Silla ont donné lieu à d’abondantes recherches, les objets que renferment les sépultures royales de Silla Unifié, de Goryeo et de la dynastie Joseon qui lui a fait suite sont encore méconnus en l’absence de campagnes de fouilles officielles, quoiqu’il soit possible d’imaginer le mode de vie qui caractériPrintemps 2009 | Koreana 1
À Gwangneung, comme sur d’autres sites, cette statue en pierre d’officier d’armée fut vraisemblablement placée face à la tombe, de même que celles des fonctionnaires, pour se tenir prête à répondre aux ordres et appels du roi.
sait ces époques à la seule vue de l’aspect extérieur des tombes. Respect de la géomancie et des traités officiels Conformément à la pensée confucianiste qui régissait la société de Joseon, les pratiques funéraires relevaient des cinq grands domaines rituels d’envergure nationale, à commencer par la sélection de l’emplacement des tombes, laquelle devait être opérée selon les critères de la géomancie et, dans l’idéal, privilégier des lieux où les flux d’énergie naturelle épousaient les contours des montagnes et cours d’eaux afin de prémunir la tombe de tout risque. Le tumulus était situé sur une vaste colline couverte de végétation et adossée à un bouclier montagneux contraignant les visiteurs à élever le regard vers ce tertre afin de leur en imposer spontanément le respect et de leur en révéler la grandeur, tandis qu’à ses pieds, s’élevait un sanc20 Koreana | Printemps 2009
tuaire en T destiné à l’accomplissement de rituels royaux voués aux ancêtres et à partir duquel une allée dallée de pierres larges, mais de faible épaisseur, menait à une porte dite « à flèche rouge ». Ce chemin comportait en son centre une partie légèrement surélevée qui était réservée à l’âme du défunt roi et, de part et d’autre, deux portions plus basses destinées aux vivants, tandis que parallèlement, coulait un ruisseau dont les eaux pénétraient par la porte à flèche rouge et étaient surmontées d’un pont de pierre. Sous la monarchie de Joseon, le roi Sejo fut si profondément attaché à ces principes qu’il rechercha lui-même un emplacement où édifier la tombe du prince héritier Uigyeong (1438-1457), à la mort subite du premier des fils que lui donna la reine Jeonghui, allant jusqu’à visiter en personne cinq lieux différents tant il était désireux de découvrir le plus propice qui soit. Tout comme l’accomplissement des
rituels voués aux ancêtres, la construction des tombes royales participait directement de la continuité du pouvoir des monarques de Joseon en grandissant la famille royale qui héritait de l’autorité du précédent monarque et en influant sur les destinées du pouvoir dynastique. Les funérailles d’État se devaient, sans exception, d’observer le protocole consigné dans les registres officiels, lesquels fixaient également les normes à respecter par les sépultures quant à la structure des tumulus, le style et l’agencement des monuments ou statues de pierre, voire parfois leurs dimensions. Le choix de leurs emplacements et tailles était non seulement fonction de la géomancie, mais aussi des tendances socio-politiques de l’époque, des dernières volontés manifestées par le souverain et des préférences de son successeur en la matière, de sorte qu’au cours des cinq siècles d’histoire qu’a connus cette dynastie, cette
architecture funéraire n’a subi aucun changement d’importance. Implantation des tombes, agencement et style de la statuaire Sous la dynastie Joseon, les tombes vont conserver les structures héritées du royaume de Goryeo, une continuité qui se retrouve également dans la disposition de leurs statues en pierre, comme à celle de Hyeonjeongneung, abritant la dépouille mortelle du roi Gongmin, trente et unième souverain dynastique qui disparut en l’an 1374, tandis que la princesse Nogukdaejang, son épouse, repose près de la ville nord-coréenne de Gaeseong, mais c’est à Geonwolleung, la tombe du monarque fondateur de la dynastie Joseon, Taejo, qu’est visible l’implantation la plus caractéristique des sépultures royales de cette époque. Le tertre n’y est pas impeccablement gazonné, mais fut couvert d’une laîche grossière provenant de Hamheung, la ville natale du souverain, afin d’accomplir le souhait de celui-ci, d’y reposer, mais en partie seulement, puisque c’est dans le groupement funéraire de Donggureung qu’il fut enseveli. Quant aux tombes de Geonwonneung, elles constituent l’exemple de sépultures individuelles destinées à un roi et à son épouse, tandis que nombre d’autres configurations existent par ailleurs, telles que les tombes doubles, où le couple royal repose côte-à-côte, jumelles, à « un site et deux arêtes » ou triples. Il convient de noter que, dans les sépultures jumelles et en triplet pourvues de plus d’un monticule funèbre, le roi repose dans tous les cas sous celui de droite, à l’exception toutefois du tertre de Gyeongneung situé à Goyang, une ville de la province de Gyeonggi-do. Sur ses parties arrière et latérales, chaque tumulus est bordé d’un muret qui délimite la zone funéraire en vue de sa protection, tandis que son assise se compose de douze pierres de soutènement alignées sur tout son périmètre et reliées par des pierres d’angle à leur intersection. Au XVIIe siècle, où l’art funéraire
s’inspirait en grande partie des tombes du roi Gongmin et de Geonwolleung, cette assise en pierre s’ornait de douze signes du zodiaque à corps humain et à tête d’animal qui représentaient les douze branches terrestres sur fond de motifs nuageux, tandis qu’à Geonwolleung comme sur la tombe du roi Gongmin, ce sont les pierres d’angle qui s’agrémentent d’images des deux cloches du culte bouddhiste que sont le vajra-ghanta et le vajradorje, puis, au XVIIIe siècle, des motifs de pivoine succéderont à ces douze figures et, sur les pierres d’angle, feront leur apparition des nuages de bon augure, puis la fleur de lotus caractéristique de l’art décoratif bouddhiste qui demeurait apprécié à l’époque Joseon. Il convient de préciser qu’une telle assise en pierre ne se retrouvait pas sur toutes les tombes de la royauté. Une couverture en pierre venait parfois se superposer à l’assise, alors que dans d’autres cas, celle-ci pouvait être surmontée de douze piliers séparés par des pierres formant balustrade, puis ces dernières disparurent sous l’influence du contexte politique de l’époque ou par la volonté du roi. Sur le pourtour du tumulus, la présence des douze signes du zodiaque représentant les branches terrestres du même nombre répondait à un souhait de protection temporelle et spatiale de celles-ci, entre lesquelles apparaissaient huit trigrammes reproduisant les principes directeurs de l’univers, ainsi que huit des dix troncs illustrant les mouvements célestes, l’ensemble de ces éléments concourant à symboliser les vingt-quatre directions cardinales, qu’allaient par la suite indiquer des idéogrammes lorsque les douze branches terrestres disparurent de cette assise pierreuse, afin de formuler l’idée que la tombe royale occupait une position centrale au sein de son microcosme. À l’avant du tumulus et derrière une lanterne en pierre quadrilatérale ou octogonale de type bouddhiste ou en forme d’élément du mobilier, qui éclairait le site de sa lueur symbolique, se dressait une large plate-forme parallélépipédique destinée à recevoir l’âme du défunt pour
qu’elle y repose en paix. En raison de la croyance selon laquelle celle-ci hantait les lieux en toute liberté, la plate-forme en pierre était flanquée de deux hauts piliers délimitant les fontières du site. La statuaire royale Deux couples de tigres et moutons en pierre, soit au total huit statues d’animaux, cernaient le pourtour du tertre de leurs silhouettes, concentriquement par rapport au muret, afin d’assurer la défense des lieux, les premiers d’entre eux en montant férocement la garde, et les seconds en éloignant le mal par leur piété filiale. L’exécution de ces statues reprend, pour l’essentiel, le style traditionnel de celles qui furent réalisées antérieurement à Geonwolleung, hormis dans certains cas, où elles s’animent d’une expression plus cocasse et vivante mais en règle générale, les tigres sont représentés en position assise et les moutons, debout, avec des détails d’un grand réalisme au niveau des cornes et de l’ensemble du corps. Ces particularités ne sont pas le fruit d’une lente évolution, mais de l’effet conjugué de la conjoncture économique et politique, de l’époque d’exécution de ces statues, du type de granit les constituant et des différents procédés mis en œuvre par leurs créateurs, autant de facteurs ayant plus de poids que le passage du temps. S’il arrivait que ces figures animales se tiennent sur leurs quatre pattes, une grosse pierre venait dans tous les cas s’insérer entre celles de devant et de derrière et leurs flancs étaient gravés de plantes en fleur ou d’orchidées, les premières attestant d’un degré particulièrement élevé de créativité artistique et les secondes, de même que les chrysanthèmes et herbes de jouvence, figurant aussi sur les parois latérales des lanternes octogonales en pierre de Yungneung et Geolleung, qui sont respectivement les tombes édifiées pour le prince héritier Sado et son fils le roi Jeongjo, au XVIIIe siècle, avec un extrême raffinement qui atteste de l’apogée qu’avait alors atteinte Joseon dans sa culture. Printemps 2009 | Koreana 21
Dans la statuaire funéraire royale en pierre, les plus remarquables figures sont celles de ces fonctionnaires et officiers d’armée, suivis de leur monture, qui sont campés de part et d’autre du monticule abritant la tombe, hormis sous la dynastie Joseon, où elles se situaient devant ce tertre pour faire acte de soumission au défunt roi, tout comme du vivant de ce dernier.
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Figures et animaux de pierre gardent également l’entrée de certaines tombes datant du royaume de Silla Unifié, en particulier à celle de Gwaereung se trouvant à Gyeongju, et cette tradition possède d’ailleurs des origines très anciennes en Chine, où l’on recense aujourd’hui encore nombre de ces statues de pierre, notamment au bord de ce Chemin de l’âme qui mène aux tombes impériales des dynasties Tang et Song, mais quelle que soit la diversité des animaux représentés, il ne s’en trouve nulle part, dans l’Empire du milieu, qui entourent complètement le tertre en vue de sa protection, comme cela est le cas des tombes royales de Joseon. La statuaire royale a pour spécimen le plus remarquable les figures de fonctionnaires et d’officiers d’armée qui forment une haie le long du tertre avec leurs montures respectives à leur suite. Tandis que les allées conduisant aux sépultures des empereurs chinois sont bordées de statues d’animaux et d’officiers très divers, les tombes royales de Joseon sont les seules à faire tenir celles 22 Koreana | Printemps 2009
de fonctionnaires à l’avant de leur tertre, comme lorsqu’ils se plaçaient au service de leur souverain du vivant de celui-ci. Si la disposition des figures représentant officiers et fonctionnaires s’apparente ici à celle qui fut retenue pour la tombe de Gongmin, l’un des rois de Goryeo, elles s’en distinguent par la diminution de leur nombre, qui en comporte une paire de moins par catégorie d’officier que dans ce dernier cas. Quant à leurs aspect, dimensions et posture que définissaient précisément les traités officiels relatifs aux funérailles royales, ils présentent, dans le cas des spécimens qui sont parvenus jusqu’à nos jours, quelques légères variations dans leur expression, en fonction du style de chaque sculpteur. Différentes évolutions se manifestent également au fil du temps, puisque, tandis que quelques tombes vont s’en tenir strictement au modèle que représente la sépulture de Geonwolleung, où repose le roi Taejo, elles se doteront plus tard de statues de pierre de plus de trois cents centimètres de hauteur, soit deux fois celle d’une
personne de taille moyenne, d’autres conservant en revanche une représentation en grandeur nature et de telles différences s’expliquant également par le contexte politique et social dans lequel intervenaient les funérailles royales, ainsi que des conditions dans lesquelles étaient édifiées les tombes. Sur les tombes réalisées au XVIIIe siècle pour les rois Yeongjo et Jeongjo, habits de fonctionnaires et tenues d’officiers d’armée s’ornent de motifs très variés tels que grues, nuages et champignons de jouvence, qui ont été gravés avec un art consommé sur la face arrière de ces statues et allaient servir de modèle lors de l’exécution ultérieure de figures mi-animales, mi-humaines. C’est aussi à cette époque que les casques des officiers passent de la forme pointue ou à angle droit à un profil dépourvu de tout angle, à l’instar de ceux que coiffaient les fonctionnaires lorsqu’ils se réunissaient à la cour du roi, comme en témoignent les figures représentées sur la tombe de Yungneung, qui fut édifiée par le roi Jeongjo avec toute
la compassion d’un dévoué fils pour son malheureux père. Tombes impériales de l’Empire de Daehan C’est vers la fin du XIXe siècle que s’amorce le déclin de l’autorité monarchique, alors que les grandes puissances de ce monde luttent pour l’hégémonie et, à partir de ce constat, le roi Gojong (r. 1863-1907, mort en 1919) instaurera en 1897 l’Empire de Daehan, dont il se proclamera empereur, en vue d’entreprendre un programme de réformes d’envergure nationale. À sa mort, puis à celle du dernier empereur nommé Sunjong, les sépultures édifiées en l’honneur de ces souverains reprendront donc en partie les principes de conception de celles des empereurs chinois et s’éloigneront quelque peu des implantations et dispositions jusqu’alors caractéristiques de l’époque Joseon, les plus manifestes de ces changements portant sur l’emplacement des statues de fonctionnaires et d’animaux au bord du Chemin de l’âme menant au tumulus et sur la plus grande variété d’animaux représen2 tés, notamment la licorne de style asiatique, l’éléphant, le lion, le « haetae », cette créature mythologique rappelant un tigre, et le chameau. De dimensions beaucoup plus imposantes que celles qui les avaient précédées, ces tombes ne pouvaient qu’évoquer une influence étrangère aux yeux de Coréens accoutumés à la tradition joseonienne, quoique, par l’ordre dans lequel s’alignaient les statues de pierre, elles aient différé des réalisations chinoises, tandis que tigres et moutons qui gardaient les tombes d’antan avaient désormais disparu au profit de chevaux se tenant par contre deux par deux sur les bords du Chemin de l’âme, et non plus auprès des fonctionnaires. Quant au sanctuaire en T des constructions traditionnelles,
alors qu’il s’était composé d’un pavillon, il allait s’apparenter davantage, par son style, à l’un des édifices d’un palais. En revanche, assise en pierre ceignant le tumulus, balustrade en pierre, plate-forme en pierre surplombant le tumulus du haut de la colline, piliers et lanternes en pierre allaient conserver la même disposition que dans les réalisations antérieures et traduire ainsi le profond respect qu’inspirait le séjour de l’âme du souverain dans l’au-delà et qui demeurait profondément ancré dans la tradition confucéenne. À cet égard, tandis que les tombes des empereurs chinois étaient surdimensionnées pour symboliser l’autorité du défunt empereur, celles de la dynastie Joseon étaient réalisées à une échelle plus humaine et témoignaient de
1 Les deux tertres de Yeongneung abritent les sépultures de Hyojong, dix-septième souverain de Joseon, et de son épouse Inseon, la première se situant sous le monticule visible au loin, tandis qu’un tigre de pierre monte la garde devant la seconde. 2 Suite à l’établissement de l’Empire Daehan en 1897, un style impérial a été adopté pour Hongneung, la tombe de l’empereur Gojong et de l’impératrice Myeongseong (complexe de Hongyureung). Des motifs de fleur sont gravés sur des pierres plates autour de la base du monticule funéraire.
la ferveur que suscitait le précepte de la piété filiale exposé par le confucianisme traditionnel. Édifiées après 1910, c’est-à-dire sous l’occupation japonaise, les tombes des deux derniers empereurs de la dynastie Joseon firent appel pour leur construction à des artisans japonais, bien que ceux de Joseon fussent aussi disponibles en nombre pour la construction de celle de Honhneung, où repose l’empereur Gojong, les premiers ayant participé notamment à la réalisation de celle de Yureung, qui abrite la dépouille mortelle du dernier empereur, Sunjong, disparu en 1926. Sous l’influence de l’art occidental, les sculpteurs japonais y représentèrent ainsi figures humaines et animaux en pierre avec un grand réalisme et un sens aigu des proportions. Si les tombes de Joseon semblent à première vue avoir toujours respecté les principes du confucianisme et les règlements très stricts régissant l’art funéraire, de même qu’elles ne paraissent pas présenter d’importantes évolutions au fil du temps ou en fonction du contexte politique à travers les cinq cents siècles d’histoire de cette dynastie, elles ont néanmoins subi des changements indéniables, comme en témoignent les tombes impériales de l’empire Daehan, dont la disposition et l’implantation traditionnelles ne se conformaient cependant pas aveuglément à celles des tombes impériales chinoises. Jadis construites et entretenues par l’État afin de pérenniser les traditions de la famille royale et la grandeur de la nation, les tombes royales de la dynastie Joseon relèvent aujourd’hui de la compétence de l’Office du patrimoine culturel auquel s’associent les descendants de la famille royale de Joseon, le clan des Yi de Jeonju, en perpétuant, à date fixe, l’accomplissement des rites voués à leurs royaux ancêtres devant chacune de leurs tombes. Printemps 2009 | Koreana 23
Sagesse philosophique des tombes royales de Joseon Au cours de ses cinq cent dix-huit années d’histoire, la dynastie Joseon édifia pour ses rois et reines quarante-deux tombes qui représentent aujourd’hui, non tant la dernière demeure de ces personnages royaux, que les témoins remarquables du système politique, administratif et économique d’une époque également caractérisée par une riche culture. Han Sung Hee Auteur de Secrets des tombes royales de Joseon et journaliste au Paju Journal Seo Heun-kang Photographe
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Sur la tombe de Wolleung appartenant au groupement funéraire de Donggureung, le clan des Yi de Jeonju, qui descend en droite ligne des souverains de Joseon, accomplit les rituels voués aux ancêtres, comme le faisait jadis le souverain régnant sur chaque sépulture.
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ans toute société, les modes d’inhumation et autres coutumes funéraires témoignent d’une certaine vision de la mort et de l’au-delà, telle que celle inspirée du bouddhisme au peuple de Goryeo, pour qui la première arrachait le corps au monde des vivants pour l’anéantir en le réduisant en cendres, tandis que les sujets de la dynastie Joseon, tout imprégnés qu’ils étaient d’une pensée confucianiste prônant le culte des ancêtres et animés d’une grande dévotion pour les défunts, substituèrent l’ensevelissement à l’incinération pratiquée par leurs prédécesseurs et en définirent les modalités avec une telle précision que l’exécution en devint tou26 Koreana | Printemps 2009
jours plus complexe, notamment dans le cadre du protocole. Ferveur nationale En cas de maladie grave, l’état d’urgence était immédiatement décrété, le souverain rédigeait son testament et transmettait son pouvoir au prince héritier, puis lorsqu’approchait sa dernière heure, il faisait l’objet d’une surveillance constante et dès qu’il avait rendu son dernier soupir, était aussitôt lavé et habillé par ses eunuques. À l’annonce de sa disparition, la famille royale et les fonctionnaires de la cour entamaient les préparatifs de ses funérailles et en signe de deuil, princes hé-
ritier ou non, reines, concubines et princesses ôtaient les ornements qui paraient leur coiffure ou vêtements et défaisaient leurs cheveux pour qu’ils retombent naturellement, tandis que la cour déclarait par décret un deuil national entraînant l’interruption de toute activité productive et que le ministère de la Défense instaurait l’état d’urgence en mobilisant des renforts pour assurer la sécurité au palais et aux portes de la ville. Par la suite, la cour transmettait aux organismes d’État et de province les documents officialisant cet événement et définissant les modalités des funérailles nationales. Il s’ensuivait également la fermeture des marchés de détail pen-
2 1 Exécuté à trois reprises, l’acte le plus important du rituel honorant les ancêtres consiste à déposer du vin en offrande sur la table funéaire, comme celle de la tombe de Sureung figurant ici. 2 Sur le site funéraire de Yeongneung, les exécutants du rituel s’avancent jusqu’à l’emplacement destiné à celui-ci sur un chemain réservé à cet effet.
dant cinq jours, la population ne pouvant alors s’approvisionner en produits de première nécessité que par le commerce parallèle, ainsi que, pendant trois mois à compter du décès du souverain, l’interdiction de contracter des mariages, d’assister à des spectacles musicaux ou d’abattre du bétail. Sous la supervision du Conseil d’État, le ministre de l’Intérieur mettait provisoirement en place les trois Offices de la bière, des funérailles et de la tombe royales afin de veiller au bon déroulement de l’organisation des obsèques nationales, le premier d’entre eux s’acquittant des dispositions afférant aux vêtements et tablettes funéraires, ainsi
qu’au cercueil du roi et à la tenue de deuil de ses parents, tandis que les fonctionnaires responsables des funérailles devaient procurer les différents articles de céramique, le mobilier, les instruments de musique, la bière, les objets de culte et les sceaux royaux. C’est l’Office de la tombe royale qui accomplissait l’essentiel des tâches en se chargeant de l’édification de la tombe, depuis le déblaiement du terrain où se dresserait le sanctuaire en T destiné aux cérémonies en l’honneur du défunt à la construction du pavillon où serait enchâssée la pierre mémoriale, de la tombe elle-même et de sa chambre funéraire ainsi que des installations réservées aux gardiens et à la préparation des offrandes alimentaires, le maire de la capitale s’assurant quant à lui du bon entretien des voies et ponts situés sur le trajet menant à la tombe. Le deuil précédant les funérailles À la mort du roi, le corps était revêtu de neuf habits funéraires de soie blanche, auxquels venaient se superposer dix-neuf autres au troisième jour, puis, au cinquième, une dernière tenue
composée de quatre-vingt-dix articles vestimentaires différents, ces opérations étant suivies de la mise en bière, à laquelle succédait la cérémonie de couronnement du nouveau souverain. Dans la société de classes de Joseon, la durée du deuil précédant les obsèques différait grandement selon qu’il s’agissait de monarques ou de fonctionnaires de la cour, en vertu des protocoles correspondants, sachant que dans le premier cas, cinq mois devaient s’écouler entre le décès et la fin des funérailles. Jusqu’à l’inhumation, il importait de maintenir le corps dans un bon état de conservation, notamment durant les mois d’été, au moyen de procédés spécifiques et à cet égard, la Corée bénéficiait d’une bonne maîtrise des techniques de conservation de la glace depuis l’époque antique des Trois royaumes et s’était dotée de deux glacières dans les quartiers de Dongbinggo et Seobinggo respectivement situés dans l’est et l’ouest de Séoul. Tandis que la première fournissait l’eau congelée à l’intention des pratiques mortuaires officielles, la seconde la destinait aux cuisines royales et aux fonctionnaires de la cour qu’elle apPrintemps 2009 | Koreana 2
provisionnait en fonction de leur rang, sous forme de blocs d’une largeur de 1,8 mètre réalisés dans des plaques d’une épaisseur minimale de douze centimètres extraites de la couche de glace recouvrant le Hangang durant la saison froide. Tout au long du deuil observé pour un roi ou une reine, le cercueil en était placé sur une plate-forme composée de ces blocs et surmontée d’un assemblage de cannes de bambou, la glace dont les corps était enveloppés leur assurant une réfrigération adéquate en vue de leur conservation et l’observation d’un rite long de cinq mois devait alors nécessiter l’emploi d’environ quinze mille blocs de cette eau congelée, dont les réserves pouvaient s’en trouver de ce fait épuisées, d’où les précautions qui s’imposaient dans cette éventualité dès que le souverain parvenait à un âge avancé ou présentait les symptômes de quelque maladie grave. La mise en œuvre de ce mode de conservation exigeait par ailleurs d’évacuer l’eau produite par la fonte de la glace au moyen d’un second treillis de bambous recouvert d’algues sèches pour assurer une bonne isolation, une grande quantité de ces végétaux étant donc nécessaire à cet effet. Choix de l’emplacement des tombes Au mois de juillet 2008, la visite qu’allait effectuer un groupe d’architectes paysagers européens, sur plusieurs
tombes royales d’époque Joseon, dont celle de Gwangneung située à Namyangju, cette ville de la province de Gyeonggi-do où repose l’un des plus célèbres monarques de la dynastie, le roi Sejo, allait produire sur eux une forte impression dont atteste le commentaire suivant : « Cette merveilleuse harmonie entre éléments naturels et artificiels qui représente l’idéal vers lequel tendent les jardins paysagers européens avait déjà été réalisée par les tombes royales de la dynastie Joseon. » Après qu’elle fut restée cinq mois durant dans cette chapelle ardente, le moment était venu de placer la dépouille mortelle dans sa dernière demeure dont l’emplacement était sélectionné avec le plus grand soin dans le respect des principes de la géomancie, qui, s’ils sont le plus souvent associés au choix d’un terrain adéquat dans l’esprit des contemporains, sont liés, par l’importance qu’ils accordent au cadre naturel, à l’aspiration populaire à naître sous les auspices d’une opulente nature à laquelle retourner plus tard pour l’éternité, d’où la prise en considération, lors de la sélection de terrains destinés à l’établissement d’un nouveau village, à la construction d’une maison ou à l’édification d’un tombeau, de critères liés aux éléments, comme l’indique l’étymologie du vocable coréen « pungsu » désignant la géomancie et signifiant littéralement en coréen « vent et eau », son équivalent chinois étant « feng shui ». Cette
croyance veut en particulier que, dans ces deux derniers cas, les terrains soient adossés à une montagne qui permette d’« arrêter le vent » et soient bordés d’un cours d’eau assurant le passage d’un flux continu d’énergie terrestre vitale. La géomancie, dont l’apparition en Corée remonte à l’époque des Trois Royaumes, allait exercer une grande influence dès celle du royaume de Silla et poursuivre son essor sous le royaume de Goryeo et la dynastie de Joseon, où elle demeurera en vigueur parallèlement à l’idéologie d’État confucianiste, comme en atteste son application à la réalisation de palais et de tombes royales. Sous cette dernière dynastie, les rois Sejo (r. 1417-1468) et Jeongjo (r. 1752-1800) étaient particulièrement versés dans les aspects les plus complexes de cette discipline, le premier ayant notamment fait œuvre d’innovation en exigeant que les tombes soient pourvues de chambres funéraires plâtrées et non plus empierrées, que la pierre cède la place au bois des cercueils et que l’assise des tumlulus soit dépourvue de dallage. Ces modifications allaient permettre une réduction considérable de la main-d’œuvre nécessaire à l’édification des tombes, puisque les ouvriers embauchés à cet effet aux quatre coins du territoire, les moines bouddhistes palliant ponctuellement les sous-effectifs à la saison des récoltes. La chronique rapporte ainsi que ce sont près de sept mille personnes qui participèrent à
1 À Geonwolleung, qui se situe au groupement funéraire de Donggureung, c’est la poutre transversale du sanctuaire en T qui délimite les domaines du sacré et du profane sur les lieux où se déroulent les rituels aux ancêtres, la configuration du site étant conçue de telle sorte qu’il est impossible de voir directement le tertre.
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2 Le Traité de l’Office des tombes royales définissait les procédures officielles et le protocole à mettre en œuvre en vue de la construction de tombes royales sous la dynastie Joseon, comme lors du déplacement des tombes du roi Sejong le Grand et de la reine Soheon jusqu’à leur site actuel de Yeongneung, où les accompagna cette procession (Archives de Gyujanggak).
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la construction de la tombe de Changneung, qui abrite la dépouille du roi Yejong, tandis qu’environ cinq mille furent prélevées dans le contingent, aux côtés de cent cinquante artisans, pour transférer la sépulture du roi Sejong, ce qui entraîna la consommation de deux cent quarante tonnes de riz et de sept tonnes et demie de sel. Dès l’avènement de leur dynastie, les souverains de Joseon s’employèrent à faire sélectionner, selon les préceptes de la géomancie, les emplacements les mieux adaptés à l’édification de leurs tombes, afin d’assurer la continuité monarchique de génération en génération et les fonctionnaires qui exerçaient à leur cour se montrèrent soucieux d’acquérir un savoir-faire dans cette discipline et d’y former aussi convenablement leurs successeurs. Dans la pratique funéraire, si tout nouveau choix ne pouvait avoir d’incidence sur les sépultures déjà existantes, tel n’était pas le cas lorsqu’il portait sur 30 Koreana | Printemps 2009
une sépulture royale dont la construction exigeait le transfert de toutes celles qui pouvaient se trouver à sa proximité, à telle enseigne qu’après avoir retenu l’emplacement de la tombe du roi Seongjong, il fallut déplacer celle du prince Gwangpyeong, cinquième fils du roi Sejong et grand-oncle de Seongjong (r. 1469-1494). De tels sites funéraires royaux se complétaient en outre, sur un rayon atteignant parfois plusieurs kilomètres à partir de leur pourtour extérieur, d’une zone où la construction et l’accès au public étaient réglementés. Pratiques funéraires Pour les gens du commun, la règle voulait que les tombes se composent d’une fosse d’une profondeur de 1,5 à 1,6 mètre, alors que celle-ci atteignait 3,2 à 3,3 mètres dans le cas de personnages royaux, cette dimension étant apte, selon les géomanciens, non seulement à entourer le corps d’une quantité optimale d’énergie dynamique issue de la
terre, mais aussi à assurer la prospérité au futur successeur du souverain, de sorte que toute personne responsable de son emploi pour la sépulture de simples sujets était passible de la peine de mort. Si l’édification de la sépulture royale entraînait quelques altérations de la topographie naturelle, celles-ci ne devaient pas concerner plus de dix pour cent de ses environs immédiats, une telle interdiction démontrant que les hommes d’alors respectaient la nature et considéraient que la mort faisait partie du cycle de la vie. Aux murs hauts ceignant les tombes impériales des dynasties chinoises, s’opposent les simples bosquets d’arbres qui, dans le lointain, semblaient immerger celles de Joseon dans un océan de verdure ondoyant paisiblement au gré de la brise. D’aucuns affirment qu’il émane des tombes royales de Joseon un genre particulier d’énergie, qui de l’avis des géomanciens, participe d’un afflux positif de « gi », cette énergie vitale appelée
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Tombe de Gongsunyeongneung, à Paju. L’édification des premières tombes royales s’accompagna d’un boisement qui permet aujourd’hui, près de cinq siècles plus tard, de disposer d’un lieu de pique-nique idéal lors de sorties scolaires.
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Aux murs hauts ceignant les tombes impériales des dynasties chinoises s’opposent les simples bosquets d’arbres qui, dans le lointain, semblaient immerger celles de Joseon dans un océan de verdure ondoyant pasiblement au gré de la brise.
« chi » en chinois, en raison du choix d’un emplacement propice, d’où le fait que l’on attribue parfois à celle-ci les interférences qui se produisent souvent avec les communications téléphoniques mobiles au voisinage des tombes royales et palais de Joseon. Grandeur des cortèges funèbres 5 Suite au service funéraire qui s’était déroulé au palais royal, la dépouille mortelle du souverain était accompagnée jusqu’à sa dernière demeure par un imposant cortège composé de cinq à dix mille personnes défilant en un flot ininterrompu sur la route en brandissant des bannières de soie retraçant les hauts faits du souverain, d’innombrables palanquins, dont l’un abritait le cerceuil royal, de chevaux s’avançant au son de leurs cloches ornementales, du nouveau monarque accompagné de ses fonctionnaires, dames et eunuques de la cour, autant de personnages offrant à la vue un magnifique spectacle. Comme nombre de processions funéraires royales débutaient alors au cours de la nuit, il fallait en outre cinq cents autres personnes pour porter les flambeaux éclairant le parcours d’un cortège souvent long de quatre kilomètres qui défilait sous les yeux des sujets endeuillés rassemblés sur le bas-côté
pour saluer une dernière fois leur défunt souverain. Aux funérailles de la reine Inseon, épouse du roi Hyojong (r. 1619-1659), la procession partit le 28 mai 1674 du quartier de Yeongneung à Séoul pour atteindre la ville de Yeoju située dans la province de Gyeonggi-do, au terme d’un périple de trois jours et demi effectué sur le fleuve Hangang par une flottille de cent cinquante embarcations à rames transportant 3 690 marins, la chronique affirmant aussi que les obsèques d’une autre reine, Inyeol, épouse du roi Injo (r. 1595-1649), rassemblèrent quant à elles 6 770 personnes. Transition politique Premier projet d’envergure porté à l’attention de tout souverain venant de monter sur le trône, l’organisation de funérailles nationales relevait d’une colossale entreprise qui exigeait d’importantes ressources financières et humaines et dont le roi témoignait sa reconnaissance, par des félicitations et récompenses, aux fonctionnaires qui y avaient joué un rôle décisif, notamment par la sélection d’un emplacement adéquat pour les sépultures et la mise en application des règles protocolaires au déroulement des cérémonies funèbres, ce qui, dans ces deux derniers cas, devait
leur valoir de se voir promus et admis dans le cercle des conseillers royaux. En privilégiant une interprétation donnée des préceptes de la géomancie, le roi pouvait en outre nommer ses partisans à un quelconque poste de fonctionnaire pour remplacer ceux du régime précédent et renforcer ainsi les assises de son autorité. Ainsi, les monuments historiques que sont les tombes royales de Joseon constituent de remarquable témoins d’une monarchie fastueuse et de la transmission de son pouvoir, lequel, dès le milieu de la dynastie, semble se déplacer de la personne du souverain vers celles des hauts fonctionnaires de sa cour pour se trouver, en fin d’époque, pratiquement accaparé par des ministres et finir par provoquer l’effondrement du régime. Si l’adage selon lequel le règne d’un roi de Joseon « commence et se termine par une tombe royale » semble corroboré par l’édification de quarante-deux sépultures royales qui marqua les cinq cent dix-huit années de ce règne dynastique, celles-ci représentent aujourd’hui non tant la dernière demeure de ces personnages royaux que les témoins remarquables du système politique, administratif et économique d’une époque également caractérisée par une riche culture.
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Assemblée générale de la Convention de Ramsar sur les zones humides en Corée Les « Olympiades de l’environnement » que représente en quelque sorte la Convention de Ramsar sur les zones humides, ce forum international de grande ampleur qui rassemble les bonnes volontés pour œuvrer à la conservation des zones humides du monde entier, tenaient leur session annuelle en Corée du Sud, du 28 octobre au 4 novembre derniers, sur le thème des « zones humides saines pour une population saine ». Choi Man Lim Directeur du groupe de travail Gyeongnam Ramsar COPIO
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2 1 Vol de sarcelles élégantes, une espèce ornithologique rare, au-dessus du Lac de Geumgang, qui constitue la principale halte migratoire en Corée. Lors de sa dernière session, la Convention de Ramsar a appelé à la « promotion de la coopération internationale pour la protection des itinéraires des oiseaux d’eau migrateurs ». 2 Le Centre des conventions et expositions de Changwon (CECO) abritait les sessions plénières de la dixième Convention de Ramsar, qui a réuni des représentants et ONG provenant de ses cent quarante pays membres.
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éunion d’envergure mondiale dans le domaine de l’environnement, la dixième Assemblée générale des parties contractantes à la Convention de Ramsar se déroulait du 28 octobre au 4 novembre derniers à Changwon, une ville de la province de Gyeongsangnamdo où avaient accouru à cette occasion 2 288 représentants et ONG provenant de ses cent quarante pays membres. Parallèlement à ses sessions solennelles consacrées aux débats, elle proposait tout un ensemble d’activités culturelles, de même que des excursions sur le site des zones humides locales que sont le Marais d’Upo et le Lac de Junam, suscitant ainsi la participation de quelque cinq cent mille personnes, dont deux mille quatre cents participants et deux cent mille visiteurs ou habitants de la région.
La Convention de Ramsar Dénommée in extenso « Convention sur les zones humides d’importance
internationale, particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau » et, plus simplement, « Convention sur les zones humides », cette organisation s’est fixé pour principaux objectifs d’assurer la protection des zones humides du monde entier par le biais de la coopération internationale, de mettre en valeur leur potentiel économique, culturel et environnemental et de remédier aux atteintes dont ont fait l’objet dernièrement ces zones d’une importance vitale. Par le rôle essentiel qu’elles jouent dans le bon fonctionnement des écosystèmes, les zone humides constituent une précieuse source de bienfaits naturels pour l’humanité, mais n’en ont pas moins régressé, à raison de près de la moitié de leur superficie totale dans le monde, en raison de politiques forcenées d’exploitation des sols visant à accroître les surfaces agraires, maîtriser les inondations et mettre en valeur de nouvelles terres. Conscients de ces inquiétantes Printemps 2009 | Koreana 33
© Ha Dong-chil
Parallèlement aux travaux de la Convention de Ramsar, les participants et visiteurs ont pu se rendre au marais d’Upo, l’un des sites coréens inscrits sur la Liste des zones humides d’importance internationale.
évolutions, les nations qui en sont victimes ont conclu, sous le titre de Convention de Ramsar, un traité multilatéral ayant pour objet d’assurer la protection de ces zones humides par la mise en œuvre d’une coopération entre ses pays signataires qui se trouvent dès lors responsables de la conservation de celles qui s’étendent sur leurs territoires respectifs. Adopté le 2 février 1971 par un premier groupe de dix-huit nations rassemblées dans la ville iranienne de Ramsar, ce traité prévoit que chacun de ses cent cinquante-huit pays membres actuels procède au classement d’au moins une de ses zones humides aux fins de leur inscription sur la Liste des zones humides d’importance internationale. En adhérant à ce texte au mois de juillet 1997, la Corée allait en devenir la cent unième partie contractante et sélectionner à ce titre, en vue de leur enregistrement officiel, les onze zones humides que constituent les marais de Yong, Upo et Jangdo, la baie de Suncheon, les marais de Muryeongari, Duung et Mujechi, les bassins côtiers de Muan, la colonie de renoncules aquatiques de Ganghwado, ainsi que les zones humides du Mont Odaesan et de Muljangori. 34 Koreana | Printemps 2009
Lors de leurs Assemblées générales d’une périodicité de trois ans, les pays signataires débattent des mesures à adopter pour la défense de l’environnement et des dispositifs indispensables à la mise en œuvre de celles-ci, les réunions ayant fait suite à la première session organisée par l’Iran, qui avait abordé une grande variété de questions liées à la sauvegarde des zones humides.
La déclaration de Changwon Les débats qui se déroulaient en séance plénière comportaient à leur ordre du jour trente-trois points différents dont la discussion allait déboucher sur l’adoption de trente-deux projets de résolutions portant sur « le renforcement de la biodiversité des rizières comme systèmes de zones humides », « la promotion de la coopération internationale pour la protection des itinéraires migratoires des oiseaux d’eau », « le changement climatique et les zones humides », ainsi que « les zones humides et les biocombustibles », la première d’entre elles, il convient de le souligner, ayant proposé le classement des rizières sur la liste des zones humides afin de mettre en valeur leur rôle
écologique et d’en accroître la biodiversité par des pratiques agricoles durables. Le principal aboutissement de cette conférence a incontestablement été l’adoption du texte intitulé « Déclaration de Changwon sur le bien-être des humains et les zones humides », dont le projet est dû à la délégation coréenne et qui s’est par la suite enrichi de l’apport de nombreux spécialistes avant de parvenir à sa version finale. Ce document appelle les organismes gouvernementaux compétents en la matière à définir des stratégies visant à une gestion efficace des « infrastructures aquatiques naturelles » que constituent les zones humides et à prendre des mesures face aux changements climatiques, tout en indiquant, à l’intention de la communauté internationale, les lignes directrices d’une action systématique en vue de la protection des précieuses zones humides que compte la planète. En séance plénière, des communications exceptionnelles ont en outre porté sur des thèmes aussi variés que « la conservation et l’utilisation durable des zones humides de Corée », « les zones humides et la lutte contre la pauvreté » et « la gestion intégrée de l’eau, perspectives
et défis pour la décennie suivante », tandis que se déroulaient en parallèle cinquantequatre manifestations complémentaires telles que le « Forum international sur la gestion des zones humides » et dix-neuf colloques traitant, entre autres sujets, des « zones humides côtières d’Asie de l’Est » en vue d’attirer l’attention sur les questions environnementales liées aux changements climatiques, la biodiversité et les itinéraires migratoires des oiseaux.
Une fête de l’environnement Le 2 novembre, c’était au tour de visites in situ d’attirer les participants sur huit sites naturels, dont deux des zones humides classées coréennes, à savoir le marais d’Upo et l’estuaire du Nakdonggang, tandis que des circuits proposaient différentes autres visites et des activités de découverte de la culture et de l’histoire
coréennes. En marge du programme officiel, les participants se sont également vu proposer différentes excursions qui comportaient une marche matinale en zone humide et une sortie destinée aux personnes accompagnant les délégués. Au Centre des conventions et expositions de Changwon (CECO) qui abritait la plupart des séances de l’Assemblée, les pays représentés disposaient de stands afin de présenter les mesures et politiques de défense qu’ils mettent en œuvre dans leurs zones humides respectives, à l’instar de la Corée, qui sur le thème des « Zones humides et technologies de l’information », informait les visiteurs de l’application possible des technologies de l’information à la protection des zones humides. À l’extérieur de ses locaux, le Centre des conventions proposait aux participants et visiteurs différentes activités
culturelles et de découverte, ainsi que des spectacles, tandis que dans le hall d’exposition adjacent, qui se consacre particulièrement au thème de la croissance verte des zones humides, collectivités locales coréennes et « villes sœurs » de Changwon exposaient différents supports d’information permettant de prendre conscience de l’importance que revêt la défense des zones humides. Enfin, les spectacles et expositions sur la culture coréenne qui se déroulaient sur le parvis du Centre allaient attirer chaque jour près de vingt mille visiteurs, qui allaient notamment pouvoir goûter à la cuisine populaire traditionnelle sur les étals d’un marché et se voir présenter des scènes de la vie quotidienne des Coréens d’antan.
Des mesures durables Cette dixième Assemblée générale de
Cette session a permis l’adoption de la « Déclaration de Changwon sur le bien-être humain et les zones humides » en vue d’inciter les organismes gouvernementaux compétents en la matière à définir des stratégies visant à une gestion efficace des « infrastructures aquatiques naturelles » que constituent les zones humides et à prendre des mesures face aux changements climatiques.
La dixième Convention de Ramsar s’est distinguée par la mise en pratique de pincipes écologiques, notamment par une réduction au maximum des documents imprimés et des objets jetables, ainsi que par ses moyens de transport respectueux de l’environnement.
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1 Des circuits de visite permettaient de découvrir Suncheonman, une baie de la province de Jeollanam-do, qui a été classée parmi les zones humides de la Convention de Ramsar et où l’observateur peut apercevoir différentes espèces d’oiseaux à la recherche d’un refuge sûr sur la bordure côtière. 2 Au nombre des activités proposées à l’intention des jeunes participants pour les sensibiliser à la défense future des zones humides, une exposition en plein air présentait les œuvres réalisées par des enfants du monde entier. 3 En prélude à la manifestation officielle, la Conférence de Ramsar des enfants accueillait les petits représentants des pays hôtes précédents, comme ceux du Canada, d’Italie, du Costa Rica et d’Australie, auxquels étaient proposée une initiation aux procédés de la teinture naturelle.
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Ramsar s’est également distinguée par les considérations écologiques qui ont présidé à son organisation, puisque les participants se sont vu remettre des gobelets réutilisables, et non en carton, afin d’éviter le gaspillage de cette matière, et que la quantité des documents a été réduite au minimum par la fourniture d’informations sur des clés USB (Universal Serial Bus), tandis que les hôtels fournissaient des articles jetables, moyennant paiement et aux seuls clients qui en faisaient la demande, plutôt que d’en pourvoir les chambres gratuitement et de manière systématique, et procédaient de même pour le changement des draps de lit et serviettes. Enfin, les déplacements s’effectuaient au moyen de véhicules hybrides et au gaz naturel, les visiteurs étant en outre invités à recycler tout récipient en matière plastique, autant de mesures écophiles qu’allaient fortement apprécier les participants par leur mise en application du principe de durabilité environnementale. Le Fonds de compensation pour le gaz carbonique : l’Assemblée générale a également donné le coup d’envoi d’une campagne de collecte de fonds destinés à diminuer la production domestique de gaz carbonique, ainsi qu’à mettre en place des ressources consacrées à une réduction d’ensemble des émissions de ce gaz, un stand fournissant toutes les informations nécessaires sur ce fonds appelé à être
géré par le Secrétariat de la Convention de Ramsar, dans le cadre du soutien qu’il apporte à la lutte contre les gaz à effet de serre dans les pays en développement et à la promotion des projets de défense des zones humides. La Conférence des enfants : en prélude à la cérémonie d’ouverture, la ville de Changwon avait organisé une Convention de Ramsar des enfants visant à sensibiliser ceux-ci à la protection de nos zones humides et à laquelle allaient assister de jeunes participants coréens, ainsi que ceux des pays hôtes antérieurs, à savoir l’Italie, les Pays-Bas, le Canada, le Japon, l’Australie, le Costa Rica, l’Espagne et l’Ouganda, dans le cadre d’activités ludiques et éducatives leur présentant ce véritable poumon de la Terre que constituent les zones humides de celle-ci.
Le bilan d’ensemble Première de toutes les sessions organisées jusqu’alors par l’importance de son auditoire et du nombre de projets de résolution adoptés, qui s’élève à trentedeux, la dixième Assemblée générale de la Convention de Ramsar a été saluée par les participants en raison de son organisation efficace, mais aura aussi permis à la Corée de se hausser au rang des nations soucieuses de leur environnement grâce aux différentes actions qu’elle a entreprises pour mieux faire connaître sa
stratégie de « croissance verte » à l’échelle de tout le territoire, ainsi que le haut degré de prise de conscience du grand public en matière d’écologie. Enfin, le pays a fait preuve de sa capacité à tirer parti de cet événement d’envergure mondiale pour éveiller l’intérêt de la communauté internationale quant à ses zones humides d’une valeur inestimable qu’il est essentiel de protéger. Le considérable succès qu’a remporté cette manifestation tient en premier lieu au rôle fondamental qu’y ont joué les bénévoles, lesquels avaient au préalable suivi une préparation complète qui leur a apporté une formation générale ainsi que les éléments techniques ayant trait à leur mission particulière, ce qui leur a valu de recevoir à maintes reprises les éloges personnels de participants à l’Assemblée enchantés par leur aide attentionnée et leur enthousiasme. Enfin, cette conférence a permis de constater une véritable prise de conscience collective de la grande valeur des zones humides, comme en atteste le succès qu’ont remporté ses excursions écologiques en zone humide, puisque le nombre de personnes qui se sont rendues au marais d’Upo et au lac de Junam tout au long de cette session a varié entre quatre et cinq mille en semaine pour atteindre cent trente mille les samedi et dimanche. Printemps 2009 | Koreana 3
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À sa sortie en 1996, Le jour où le cochon est tombé dans le puits , ce film des débuts de Hong Sang Soo, déconcertera totalement la critique coréenne, mais l’échec commercial qu’il subit n’est pas de nature à décourager l’artiste de suivre la voie qu’il s’est choisie, faite d’une audacieuse créativité qui lui vaudra de remporter un succès international au Festival de Cannes. Shin Gi Joo Journaliste à Premiere Film | Photograpie Cine 21
L’autre voie du cinéaste
Hong Sang Soo H
ong Sang Soo perd peu à peu la vue en raison de problèmes aux yeux qui sont apparus alors qu’il travaillait à la mise en scène de La vierge mise à nu par ses prétendants, mais qu’il n’a pas fait traiter comme il aurait dû le faire, mettant au contraire sa vision à rude épreuve lors de chaque réalisation en affirmant avec indifférence : « Nous perdons tous la vue le jour où nous mourons », sans paraître le moins du monde désireux de se soigner. « Je me suis plus ou moins habitué à mon état et je sens même arriver la maladie, ce qui me permet d’en maîtriser les conséquences », confie-t-il, mais ces yeux qui se posent sur le monde ne sont-ils pas les outils du cinéaste ?
Cet invisible vital En ce qui concerne Hong Sang Soo, tel ne semble pas être le cas, puisque ce n’est pas au monde perceptible qu’il s’intéresse, mais à celui de l’invisible qui constitue la face cachée de la réalité, pour concevoir ses films comme une mosaique d’expériences individuelles, déclarant à ce propos : « Je m’intéresse à des fragments de vie. En donnant une importance primordiale aux origines de la vie et en considérant que ses éléments constitutifs ne font que participer de la perpétuation de sa signification originelle, les écrivains ne souhaitent pas les rassembler selon différentes combinaisons car ils les considèrent séparément porteurs de sens, mais je ne partage pas ce point de vue, car si les incidents qui émaillent nos vies s’imbriquaient de manière différente, ils donneraient lieu à d’autres interprétations et il en va ainsi de notre existence ». N’accordant jamais une confiance absolue à ses perceptions visuelles et recherchant sans cesse l’innovation par l’adjonction de nouveaux éléments au fur et à mesure de leur découverte, Hong Sang Soo surprend souvent les acteurs qui travaillent à ses côtés par le caractère peu orthodoxe de sa démarche. « À la lecture du script, je me suis rendu compte qu’il comportait quelques-unes des situations que j’avais vécues et relatées au réalisateur, lors de soirées un peu trop arrosées », se souvient Kim Yong Ho, un des interprètes du film Nuit et jour. 38 Koreana | Printemps 2009
Le cinéaste Hong Sang Soo se distingue par un anticonformisme témoignant d’une grande indépendance d’esprit : « On me demande souvent quel est le sens de mes films, mais cette question ne peut s’appliquer qu’à ceux qui visent à transmettre un message. »
De fait, le cinéaste apporte les précisions suivantes : « J’adapte à mes films toutes les informations que je tiens de différentes sources et desquelles naissent des idées, détails et fragments de vie en tout genre. Quant à l’origine de ces données, elle ne m’importe guère et peut même être tout à fait inattendue ». Ainsi, quand bien des cinéastes accordent la plus grande importance à l’image, Hong Sang Soo cherche avant tout à rassembler d’innombrables fragments de vie dont la combinaison lui permet d’exprimer diverses réflexions et qui font toute l’originalité de sa production par rapport aux autres créateurs, car ce vécu dont elle se nourrit ne provient pas de sensations visuelles, d’où l’indifférence que lui inspirent les défaillances de celles-ci.
L’inspiration créatrice Né d’une mère qui s’illustra dans la production cinématographique des années soixante et soixante-dix, dès sa plus tendre enfance, Hong Sang Soo allait très tôt se familiariser avec le septième art et ses instruments et concevoir celui-ci, en raison de son milieu familial, non en tant que produit commercial destiné au plaisir des yeux, mais que moyen personnel d’expression du Moi, ce qui allait par la suite le conduire très logiquement, comme s’il était prédestiné à le faire, à entreprendre des études supérieures au Département d’études théâtrales et cinématographiques de l’Université Chung-Ang. Déçu par un cursus qui lui semble d’un intérêt limité, le jeune homme l’abandonnera très vite et prendra la décision de partir pour les États-Unis, où la Faculté des arts de l’Université de Californie et l’École des arts de Chicago lui feront découvrir le septième art dans toute sa quintessence. Ces dix années d’études allaient apporter une orientation décisive à sa carrière cinématographique en l’initiant à des principes de réalisation radicalement différents de ceux des films de divertissement classiques, notamment en raison de l’attrait qu’il éprouvait pour les genres expérimentaux moderne et post-moderne en ces années 1980 où l’industrie cinématographique coréenne était soumise à une forte censure qui interdisait pratiquement toute possibilité d’innovation, hormis dans le 40 Koreana | Printemps 2009
Dans Turning Gate (2002), où il évoque les errances provinciales d’un acteur inconnu, Hong Sang Soo a opté pour l’improvisation du jeu pour échapper aux conventions du script.
Hong Sang Soo en compagnie de la réalisatrice française Claire Denis, lors du Festival international du film de Pusan, en 2008. Le cinéaste aspire à imprimer sa marque sur le septième art coréen en s’inspirant de l’exemple de Picasso en peinture.
cadre de quelques films pour adultes tels que Les beaux jours de Youngja et Madame Emma. Dès lors, il n’était guère surprenant qu’à sa sortie en 1996, cette première œuvre que fut Le jour où le cochon est tombé dans le puits déconcerte totalement une critique coréenne habituée à un réalisme alors de rigueur et dont se démarquait résolument le jeune cinéaste par son anticonformisme. « Si Andy Warhol a montré les images de l’Empire State Building qu’il avait filmées pendant huit heures, c’était pour inviter à une nouvelle interprétation de simples fragments de la réalité. Mes films empruntent la même démarche en proposant de nouveaux agencements, dont un seul exemplaire suffit pour moi à explorer l’inconnu », explique-t-il, avant d’ajouter : « Un certain type de film a pour objectif de transmettre un message particulier et l’on me demande souvent quel est celui des miens, alors que cette question ne peut s’appliquer qu’aux productions qui poursuivent cet objectif ». Loin de se cantonner à une description de la réalité, Hong Sang Soo travaille à la réinterprétation du vécu.
Des débuts commerciaux Si le style post-moderne du cinéaste fait manifestement grande impression sur le septième art coréen par l’exposé de processus de déconstruction et reconstruction, Le jour où le cochon est tombé dans un puits fera par contre l’effet d’une tempête dans un verre d’eau, face à un public de cinéphiles tout à fait désorienté et surtout choqué par la fragmentation de scènes ne participant d’aucune intrigue ni d’aucun dénouement, une désaffection qui se traduira par un échec commercial laissant le réalisateur sans ressources pour poursuivre sa création. Celui-ci n’en conserve pas moins une volonté inébranlable dont atteste ces propos : « Un film se fait vecteur de transmission d’un sens et en le réalisant, c’est sur l’efficacité de son expression que l’on se concentre alors. En ce qui me concerne, je vois les choses différemment car si tout un chacun affectionne telle ou telle chose, les spectateurs ne pourront qu’éviter les films qui leur sont difficilement compréhensibles s’ils sont accoutumés à un discours explicite. Dès lors, tout cinéaste se trouve Printemps 2009 | Koreana 41
contraint de formuler un message ou d’exprimer un sens dans ses films, ce qui me semble toujours pesant ». Suite à l’échec commercial de cette première création, Hong Sang Soo s’attellera aussitôt à une deuxième intitulée Le pouvoir de la province de Kangwon, une œuvre tournée avec un faible budget et qui se compose de scènes apparemment sans relation les unes avec les autres, mais toutes situées dans cette région de Corée. Sans fournir au spectateur la moindre orientation ni le moindre élément d’intrigue, il dépeint un homme et une femme unis par une liaison amoureuse complexe et paraissant errer sans but au sein de cette province. Il n’en demeure pas moins qu’elle allait imprimer un élan considérable à sa carrière en lui valant d’être convié à concourir au Festival de Cannes dans le cadre de son volet « Un certain regard », cette participation étant la première à honorer un réalisateur coréen, car la production était jusqu’alors demeurée cantonnée à une situation marginale au regard des œuvres d’Akira Kurosawa et Kenji Mizoguchi acclamées dans le monde entier dès les années soixante et soixante-dix, ou encore de celles, également très appréciées, des Taïwanais Hou Hsiao Hsien et Edward Yang, aussi cette première projection sur les écrans cannois allait-elle représenter une grande percée, non seulement pour son réalisateur, mais aussi pour l’ensemble du septième art coréen.
Un style plein d’innovation L’artiste saura aussi faire évoluer son style, car si Le jour où le cochon est tombé dans le puits et Le pouvoir de la province de Kangwon révélaient chez lui une volonté d’adaptation à l’environnement cinématographique coréen, La vierge mise à nu par ses prétendants allait lui permettre de se découvrir un créneau en matière d’originalité de style en faisant apparaître une démarche résolument excentrique. À cet égard, l’acteur Moon Sung Geun, qui joue dans plusieurs œuvres du cinéaste, fait la confidence suivante : « Aujourd’hui, je m’y suis habitué, mais son comportement m’a d’abord paru très étrange, car il ne fournissait ni explication ni script, et c’est seulement au matin du tournage qu’il nous apportait celui-ci. Alors, nous y jetions un rapide coup d’œil pour tenter de nous imprégner du rôle, auquel nous avions été dans l’impossibilité totale de nous préparer plus tôt ». Le réalisateur s’en explique comme suit : « C’est à dessein que j’interdis aux acteurs et actrices de répéter leur rôle, car leur interprétation procéderait alors d’un calcul. Je leur fournis le moins d’informations possible afin qu’ils réagissent plus spontanément aux changements de situation, et non de manière mûrement réfléchie ». Ces fragments de vie hétéroclites qu’il réunit au sein d’un cadre global pour créer un sens nouveau se composent en partie du jeu des acteurs qui sont constitutifs d’éléments identifiables de la vie et mêlent l’ordinaire à l’exceptionnel, sans que ce subtil mélange ne soit pour autant garant d’originalité. Quant au personnage principal de ses films, il représente invariablement une version de luimême car, s’il s’attache à créer un sens nouveau à partir de fragments de vie anachroniques, il voit en son « Moi » la source même de ce sens, qui à son tour constituera celui des spectateurs, autant de règles et principes qui régissent ses assemblages de fragments selon une conception du film en tant que forme sphérique sur laquelle le public peut arrêter son propre point de vue. « Je réalise mes films selon une démarche sphérique, afin de les différencier de ceux qui ont pour but la transmission d’un message ou d’un enseignement dont l’expression est assurée par chacun de ses éléments constitutifs et je dirais que de telles créations possèdent une forme triangulaire comportant un sommet. À l’inverse, j’ai espoir que les miens se prêtent à de multiples contradictions et interprétations de sorte que chacun soit libre de le comprendre comme il l’entend et qu’ils constituent ainsi un outil de compréhension mutuelle. J’ai reçu un jour un courriel dans lequel une specta42 Koreana | Printemps 2009
trice déclarait avoir trouvé l’un de mes films très triste, tandis qu’il avait beaucoup amusé son amie et qu’une autre encore l’avait jugé misogyne, et ce sont en fait ces réactions très différentes qui me plaisent », affirme-t-il pour illustrer son propos. Hong Sang Soo réalise au cinéma ce que Picasso a poursuivi dans sa peinture en travaillant à la création d’images à trois dimensions rendant compte à la fois de tous les aspects d’un même objet, y compris sa partie arrière normalement inaccessible au regard et permettant à l’observateur de s’affranchir de toutes les contraintes de perspective traditionnelles. De même, Hong Sang Soo entend brosser des portraits universels, comme en attestent ses films qui présentent la particularité d’une intrigue centrée sur une histoire d’amour, car deux personnes amoureuses l’une de l’autre se regardent généralement en face et sont ainsi dans l’impossibilité d’apercevoir leur dos, cet invisible que le cinéaste se propose de scruter aux fins d’une meilleure compréhension mutuelle.
Une curieuse habitude Au cours de ces dernières années, Hong Sang Soo a travaillé à la conservation de son identité artistique et à la recherche d’un moyen de se libérer des entraves que s’impose un cinéma coréen réfractaire à toute pensée s’éloignant un tant soit peu des conventions. Si les éloges que lui a adressés la critique dans les premiers temps de sa carrière se sont aujourd’hui atténués, il s’est fait d’année en année de nouveaux et fervents adeptes parmi lesquels figure l’actrice coréenne Go Hyun Jung qui en est l’admiratrice inconditionnelle et accepte toujours Quand bien des cinéastes accordent la plus grande sans hésiter les rôles qu’il lui propose dans ses films puisimportance à l’image, Hong Sang Soo cherche avant tout que, après avoir observé une parenthèse de dix années à rassembler d’innombrables fragments de vie dont la dans sa carrière en raison de son mariage, c’est avec joie combinaison lui permet d’exprimer diverses réflexions, que la jeune femme a fait son retour sur le plateau de touren partant du principe, tel qu’il le formule, nage d’un de ses films. que « Si les incidents de la vie s’imbriquaient d’une manière différente, ils donneraient lieu à d’autres « Un jour que je me sentais déprimée, je suis allée interprétations ». au cinéma et alors que toutes les salles étaient combles pour les autres films, il restait encore des places disponibles pour l’un de ceux de Hong Sang Soo. J’ai apprécié cette œuvre, qui évoquait une liaison amoureuse entre un homme et une femme d’une manière en même temps divertissante et propice à la réflexion, ce qui m’a donné l’envie de découvrir toutes les autres de ce cinéaste et il ne fait aucun doute que je verrai aussi toutes celles qu’il réalisera à l’avenir », déclare, avec un engouement que partagent aujourd’hui un nombre croissant de cinéphiles, cette interprète de Turning Gate, qui a été couronné de succès au box-office après avoir reçu un accueil mitigé de la critique. Les long et court métrages que Hong Sang Soo a tournés en 2008 seront tous deux projetés lors du Festival international du film qui se déroulera cette année à Jeonju, le premier d’entre eux, intitulé Tu ne connais même pas, contant l’histoire d’un réalisateur et d’un organisateur de festivals. « L’année dernière, j’ai souvent entendu l’expression « Tu ne connais même pas », alors elle m’est restée à l’esprit et j’en ai fait un film », expliquait lors d’un entretien celui pour qui l’assemblage de fragments de vie est devenu une raison d’être au sujet de cette œuvre dont les acteurs et actrices Go Hyun Jung, Kim Tae Woo, Ha Jung Woo et Jung Yoo Mee ont refusé d’être rémunérés pour leur interprétation. S’il s’agit surtout peut-être d’une variation de plus sur la thématique de son œuvre, à la fois par son intrigue et sa sphéricité, c’est au créateur et à ses spectateurs qu’il appartiendra d’en apprécier les analogies et différences, ces derniers étant libres de les comprendre et interpréter à leur guise. « Lorsque je réalise un film, je n’y inclus ni idéologie ni message particulier, car c’est aux spectateurs qu’il revient de juger et comprendre, à partir des éléments que je leur fournis sous forme sphérique, alors ce qu’ils pourront bien en faire ne me regarde pas, car le fait qu’ils l’aimeront ou non ne présente aucune importance pour moi et les concerne exclusivement », conclut-il. Printemps 2009 | Koreana 43
ArtIsAN
Le « yundo », cette boussole gravée de vingt-quatre directions et de plusieurs cercles concentriques en vue de son emploi dans la géomancie, allait longtemps fournir un outil précieux pour le choix de terrains adaptés à la construction de maisons et tombes conformément aux préceptes de cette science.
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Kim Jong-dae fixe l’ordre de l’univers sur ses boussoles Plus qu’un simple instrument d’orientation géographique, la boussole traditionnelle dite « yundo » est souvent dotée, dans ses versions les plus évoluées, de fonctions complexes qui permettent de se référer aux principes directeurs de l’univers et de ses éléments, notamment dans le domaine de la géomancie. Park Hyun Sook Rédactrice occasionnelle | Joo Byoung-soo Photographe
«C
’est en regardant travailler mon oncle que j’ai appris l’artisanat du « yundo », dont je n’ai véritablement entrepris la fabrication qu’en 1962 et qui, aujourd’hui encore, ne cesse de m’émerveiller par la synthèse qu’il réalise entre les principes directeurs de l’univers et ses éléments. Dans notre vie pleine d’incertitudes, cet objet peut nous indiquer la voie à suivre, comme je m’y tiens moi-même pour éviter de me fourvoyer, sans prétendre détenir le secret de quelque remède miracle ».
Un héritage vieux de trois siècles et demi Ce septuagénaire, dont les mains calleuses trahissent un passé voué tout entier à ce métier ancestral en cinquante années d’exercice, se consacre aujourd’hui encore à ses multiples opérations, du polissage de surface des pièces de jujubier à la pose du point d’aimantation de la boussole qu’il avoue exécuter avec une même exaltation, car, en tant que spécialiste d’un artisanat en déclin, Kim Jong-dae éprouve passion et fierté envers celuici en le pratiquant avec un savoir-faire qui lui a valu d’être classé Important bien culturel immatériel n° 110. En souriant à demi, l’artisan se souvient : « Est-il donc possible que le temps passe aussi vite ? Voilà encore deux ans de cela, je me flattais de pouvoir graver sans peine les plus petits idéogrammes, alors que j’éprouve aujourd’hui des difficultés à me concentrer comme il convient en raison de ma vue très faible, ce qui ne m’arrête pas pour autant dans mon travail. Sachant que la fabrication d’un « yundo » de grande taille représente quatre à cinq mois de travail, j’en fabrique en une année une cinquantaine selon différents modèles. Après le polissage de surface, si
le produit exige d’avoir une bonne vue, il me faut l’envoyer à mon fils, qui fait son apprentissage à Anyang pour prendre un jour ma succession, sans m’apitoyer pour autant sur moi-même car le passage du temps est dans l’ordre des choses, alors on ne peut s’en plaindre ». En revenant sur le passé, Kim Jong-dae déclare que le destin voulait certainement qu’il reprenne l’affaire familiale pour suivre la voie de son oncle et de son grand-père, des documents d’archives révélant que l’artisanat du « yundo » s’est transmis, au cours de ces trois cent cinquante dernières années, de la famille des Jeon à celle des Han, puis des Seo, et enfin à son aïeul Kim Gwan-sam, lequel, en compagnie de son fils Kim Jung-eui, lui a à son tour légué cette tradition qu’est appelé à perpétuer son fils de quarante-six ans en répondant à l’appel des siens. Comme il démontrait une habileté remarquable, Kim Jong-dae s’est vu confier l’héritage de cet artisanat familial alors qu’il avait une vingtaine d’années et a dès lors quitté sa place à la Fédération nationale des coopératives agricoles pour se consacrer pleinement à son apprentissage.
Le « heungdeuk paecheol » D’excellentes fabrications firent autrefois le renom de l’oncle de Kim Jong-dae jusque dans les provinces septentrionales de Pyeongan-do et Hamgyeong-do, dont la clientèle attendait patiemment dans une salle contiguë à l’atelier que l’artisan leur apporte les dernières touches et leur prix unitaire pouvait alors atteindre dix « seom » de riz, c’est-à-dire environ huit cents kilogrammes de cette céréale. Suite à l’établissement des commanPrintemps 2009 | Koreana 45
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Aujourd’hui âgé de soixanteseize ans, Kim Jong-dae exerce l’artisanat du « yundo » depuis plus d’un demi-siècle au moyen de pièces de jujubier provenant d’arbres vieux d’au moins cent cinquante ans.
des, l’acheteur attendait autant qu’il le prêtent de longue date de mystérieux pouvoirs, en vue de fallait jusqu’à l’achèvement des articles, s’assurer de la précision de cet instrument, et il se pour lesquels existait alors une impordit en outre que les boussoles d’autres tante demande, comme cela était encore provenances ne fourniraient pas le cas lorsque le jeune homme fit ses vériconvenablement l’orientation tables débuts dans le métier. si on les mettait ainsi à l’essai, « La maison ne désemplissait pas de clients celles de Naksan étant de ce fait venus de tous les coins du pays et exerçant des métiers les seules à pouvoir le faire, ce qui aussi différents que celui de marin, géomancien ou explique vraisemblablement que leur fabrication 1 astronome, ce dernier faisant usage du « yundo » pour s’y soit perpétuée depuis le royaume de Silla Unidéterminer le tracé des constellations, tandis que le deuxième fié, époque à laquelle naquit la géomancie. s’en servait pour le choix d’une parcelle destinée à une maison ou La géomancie et ses applications une tombe, comme l’avaient fait les moines de grands temples tels que ceux de Songgwangsa, Geumsansa et Seonwunsa pour Connus sous le nom de « jinamban », « jinamcheol » ou les emplacements de ces sanctuaires ou du logement de leurs « nagyung », les « yundo » spécialement conçus pour les praticiens adeptes, car au-delà de sa fonction d’orientation géographique, le de la géomancie furent surtout en usage, à l’époque des Trois « yundo » se prête à d’autres applications régies par les principes Royaumes (Ier s. av. J.-C. - Ve s.), pour la sélection de terrains et la du yin et du yang, des Cinq éléments, des Huit Trigrammes, des détermination d’objectifs militaires, tandis qu’à celle de Goryeo Troncs célestes et des Branches terrestres. Les différentes pos(918-1392), ils servaient également à la recherche astronomique. sibilités offertes par cet instrument sont fonction du nombre de Leur fabrication, sous la dynastie Joseon (1392-1910), fut placée « cheung », ces cercles qui apparaissent à sa surface, lequel sous la supervision du « Gwansanggam », un office gouvernepeut atteindre trente-six pour les plus complexes, tandis qu’il se mental chargé des questions relevant de l’astronomie, mais leurs limite à un pour ceux qui ne font qu’indiquer les douze directions emplois très variés dans le domaine de la géomancie, notamment et dont la gravure est d’une exécution assez simple, contraireen tant que cadrans solaires portatifs, attestaient de l’importance ment à celle d’un « yundo » à vingt-quatre « cheung » et près de considérable de cette discipline, les aristocrates en portant sur eux quatre mille idéogrammes, sachant qu’un « cheung » permet une version plus rudimentaire et de petite taille dénommée « seonà lui seul de calculer les flux circulatoires de l’eau et les difféchu » et souvent suspendue aux éventails de ces utilisateurs. rents cycles climatiques de la Terre au cours de ces quatre cent Au « myeonggyeongcheol » pourvu d’un miroir qu’affeccinquante millions d’années. tionnaient les femmes, s’opposaient les articles de conception Dans l’ancien temps, la région du village natal de Kim Heecomplexe destinés aux experts en géomancie, l’oncle de Kim soo, Naksan, qui se situe dans le canton de Gochang-gun apparJong-dae ayant surtout produit des modèles plats, aux côtés des tenant lui-même à la province de Jeollabuk-do, portait aussi le « seonchu » et « myeonggyeongcheol », auxquels Kim Jong-dae nom de Heungdeok et, plus de trois siècles durant, elle allait allait préférer des versions plus artistiques dotées d’un couvercle tenir son renom de la fabrication de « yundo » qui surpassaient gravé de motifs de « sipjangsaeng », ces dix symboles de longévien beauté ceux de tout le pays et qui étaient alors connus sous té que sont le soleil, la montagne, l’eau, la pierre, le nuage, le pin, l’appellation de « paecheol », laquelle allait donner plus tard celle le champignon de jouvence, la tortue, la grue et le cerf, alors que de « Heungdeok paecheol ». Une coutume voulait jadis que l’on son fils et successeur Kim Hee-soo s’essaie à un nouveau style de en déposât un, à sa sortie de l’atelier, dans l’une des sept anfracgravures s’inspirant de la peinture populaire et des arts décoratifs tuosités du Rocher de la Tortue qui se dresse au pied du Mont traditionnels. Jaeseongsan, dans le nord du village, et auquel les habitants Tout « yundo » comporte en son centre une boussole direc-
1 Au petit « yundo » rudimentaire que les nobles de Joseon fixaient souvent à leur éventail, Kim Jong-dae préfère les modèles plus artistiques agrémentés d’ornements tels que ce motif de tortue.
2 La fabrication d’un « yundo » de haute précision comporte
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plusieurs opérations complexes mettant en œuvre pas moins d’une trentaine d’outils et instruments spéciaux différents, dont de gauche à droite, des pinces à aiguilles, un grand « doreumsoe », une règle, deux petits « doreumsoe », des ciseaux, des pinces en bois et un « jeonggandae ». Printemps 2009 | Koreana 4
« J’utilise du bois de jujubier provenant d’arbres d’au moins cent cinquante ans d’âge, car il fournit un matériau à la fois souple et résistant qui s’avère particulièrement bien adapté à la gravure des idéogrammes jusque dans leurs moindres détails et sur lequel je trace un cercle parfait en vue de le découper, puis d’en polir la surface avant d’y graver des cercles concentriques à l’espacement variable et au périmètre divisé en trois cent soixante portions. »
tionnelle à laquelle s’ajoutent, sur les modèles les plus évolués, plusieurs cercles dont la courbure est divisée en portions par des droites décrivant un axe radial et à l’intersection desquelles sont gravés de minuscules idéogrammes disposés en éventail pour indiquer les différentes orientations, ainsi que les Huit Trigrammes, les Dix Troncs célestes et les Douze Branches terrestres, conformément aux principes définis par l’ouvrage intitulé « Livre des changements », une telle complexité de conception faisant de cet objet tout à la fois un bien précieux et l’indispensable accessoire des géomanciens.
Les procédés de fabrication À toutes ses étapes, la fabrication exige de l’artisan une absolue concentration afin de s’assurer de l’obtention d’une haute précision et d’une grande résistance, c’est-à-dire de la sélection d’une pièce de bois convenable à la pose d’une aiguille aimantée, en passant par toutes les autres opérations qui s’y ajoutent. « J’utilise du bois de jujubier provenant d’arbres d’au moins cent cinquante ans d’âge, car il fournit un matériau à la fois souple et résistant qui s’avère particulièrement bien adapté à la gravure des idéogrammes jusque dans leurs moindres détails et sur lequel je trace un cercle parfait en vue de le découper, puis d’en polir la surface avant d’y graver des cercles concentriques à l’espacement variable et au périmètre divisé en trois cent soixante portions. L’obtention d’une haute précision est subordonnée avant tout à la bonne exécution du « junggan », cette division du dernier cercle concentrique en trois cent soixante arcs dont chacun représente un degré, faute de quoi le « yundo » présentera des défaillances se soldant par un manque d’exactitude » explique Kim Jong-dae. L’artisan ne s’en est pas plus tôt acquitté qu’il lui faut affron-
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ter un nouveau défi de taille, à savoir la gravure de tous les idéogrammes les uns après les autres et selon un alignement donné, la moindre erreur commise à ce stade suffisant à altérer l’état de surface et exigeant de recommencer l’ensemble de la fabrication à partir du début. Sur le « yundo », les caractères 震 (« jin »), 兌 (« tae »), 離 (« yi ») et 坎 (« gam ») représentent respectivement l’est, l’ouest, le sud, et le nord, tandis que les quatre signes respectifs que sont 巽 (« son »), 坤 (« gon »), 乾 (« geon ») et 艮 (« gan ») indiquent les directions intermédiaires du sud-est, sud-ouest, nordest et nord-ouest relatives aux Huit Trigrammes. Quant aux Dix Troncs célestes et à quatre des Cinq Eléments, ils figurent sur l’objet sous forme des caractères 甲乙 (« gab-eul ») pour l’arbre et l’est, 丙丁 (« byeong-jeong ») pour le feu et le sud, ainsi que 庚辛 (« gyeong-sin ») pour l’or et l’ouest et, enfin, 任癸 (« yim-gye ») pour l’eau et le nord. Quant au cinquième élément que constitue la terre, à savoir en chinois 戊己 (« mu-gi »), il vient en général se placer au centre du « yundo » sans y être signalé par un écrit. La fabrication de ces instruments étant ainsi liée aux Dix Troncs célestes, aux Douze Branches terrestres et aux Huit Trigrammes, l’oncle de Kim Jong-dae n’a pas manqué de l’encourager vivement à lire et analyser les explications figurant à ce propos dans le Grand Apprentissage comme dans le Livre des Changements, avant que de s’initier aux techniques de la gravure et du polissage du bois. La gravure va de dix jours sur un modèle à neuf « cheung » à plus de quatre mois pour ceux qui en comportent vingt-deux, après quoi il est temps de recouvrir d’encre toute la surface de l’objet, sur laquelle on mettra en évidence les cercles, lignes et caractères au pigment blanc jade et les points cardinaux, à l’aide de pigment rouge. L’aiguille de la boussole s’obtient en
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découpant un morceau d’acier à la forme adéquate, puis en le faisant chauffer à la flamme de charbon avant de le marteler pour lui donner sa forme effilée et enfin, en vue d’assurer la magnétisation de l’objet, de laisser reposer celui-ci trois heures sur un fragment de magnétite, véritable trésor qui, dans le cas présent, s’est transmis trois siècles durant au sein de la famille, puis on fixera sur le pivot en alliage cuivre-étain l’aiguille ainsi obtenue, qui s’immobilisera d’elle-même à l’emplacement prévu. Outre sa pierre d’aimant, Kim Jong-dae a reçu en héritage, entre autres biens familiaux, une trentaine d’outils de gravure comprenant des « doldœ », « baneuljipgae », « hwalbibi », « jeong », « jogakkal », « doreamsœ » et « junggandae », c’est-à-dire, respectivement, des poinçons, pinces à aiguilles, chignoles, ciseaux, burins, instruments permettant de tracer des cercles parfaits et règles. « De même que la bonne conservation de la magnétite exige de la préserver de la chaleur et du froid pour prévenir toute déperdition de ses propriétés d’attraction, il importe de conserver ces outils en excellent état, de sorte que j’en change la lame d’acier dès qu’elle commence à s’émousser. Ma pierre d’aimant et tous ces vieux outils qui me viennent de mon oncle sont à la fois mes maîtres et mes amis qui m’inspirent l’aisance au premier regard que je pose sur eux. Si ce métier ne m’a pas toujours permis de bien gagner ma vie, je ne regrette nullement de l’avoir fait mien car le « yundo » guide notre existence en nous révélant la voie à suivre, où que nous nous trouvions, et si je n’ai jamais fait fortune, ces enseignements m’ont été précieux au quotidien.
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1 Après avoir sélectionné une pièce de jujubier provenant d’un arbre d’au moins cent cinquante ans d’âge, l’artisan découpe le bois en cercles parfaits, puis en élimine les aspérités.
2 Gravure des cercles concentriques à intervalles variables, en partant du centre.
3 Division du périmètre en trois cent soixante portions représentant chacune un degré, avec une maîtrise indispensable à l’obtention d’un haut degré de précision sur le produit fini.
4 Lors de l’inscription des idéogrammes, la moindre erreur suffit à endommager la surface et il faut alors recommencer l’ensemble des opérations depuis le début.
5 L’aiguille de la boussole s’obtient en découpant un morceau d’acier à la forme adéquate, puis en le faisant chauffer à la flamme de charbon avant de le marteler pour lui donner sa forme effilée et enfin, en vue d’assurer la magnétisation de l’objet, de laisser reposer celui-ci sur un fragment de magnétite, véritable trésor qui, dans le cas présent, s’est transmis trois siècles durant au sein de la famille.
6 Après sa fixation sur le pivot en alliage cuivre-étain, l’aiguille aimantée, s’immobilisera d’elle-même sur la position nord-sud.
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CHeFs-d’oeuVre
A
u temps jadis, les bonzes indiens entreprenaient un voyage avec pour tout bagage quelques effets comportant des vêtements de rechange et un récipient à eau connu en sanscrit sous le nom de « kundika », puis en chinois, suite à son introduction dans l’Empire du Milieu, sous ceux de « junchi » (軍 持) ou « junzhijia » (軍雉迦), qui en sont la traduction littérale. Si
son usage se limita d’abord aux aspects quotidiens de la vie des temples, il s’éleva par la suite à celui de récipient cultuel contenant l’eau purifiée destinée au rite religieux, sa représentation aux côtés de Bouddha ou d’un Bodhisattva symbolisant, dans la peinture sacrée, sa participation au salut des âmes et l’expression d’un sentiment de miséricorde envers les hommes, à l’instar des images du Bodhisattva Avalokitesvara, qui se doivent toujours de représenter cet objet présumé renfermer le précieux « amrita », ce nectar de l’immortalité doté du pouvoir de soulager ceux-ci de leurs souffrances.
Principaux traits distinctifs Les premières mentions de ce récipient figurent dans divers documents d’origine ancienne tels que les Récits du bouddhisme provenant des Mers du Sud (南海奇歸內法傳) que rédigea le bonze chinois Yi Jing après avoir parcouru l’Inde au sixième siècle et qui en fait état en ces termes : « Le long col est surmonté d’un mince tube d’une hauteur de deux doigts qui rappelle une baguette de cuivre, tandis qu’au niveau de la partie évasée, s’ouvre un orifice de la taille d’une pièce en cuivre qui fait saillie sur une hauteur correspondant aux deux tiers d’un doigt, ces deux ouvertures pouvant être obstruées par un bouchon, une lamelle de bambou
ou un fragment de tissu pour empêcher la pénétration des insectes et des impuretés. Quant à sa capacité, elle est d’environ deux « doe » d’eau, c’est-à-dire 3,6 litres ». Cette description révèle donc que, contrairement aux bouteilles ou récipients à eau ordinaires, le « kundika » se caractérise par la présence d’un col allongé évoquant un long tube et d’un goulot réservé à son remplissage. Au bronze ou à la porcelaine qui le composent le plus souvent, se substituent plus rarement l’or ou l’argent car, sous une dynastie Goryeo ayant pris le bouddhisme pour religion d’État, les indispensables objets du culte qu’étaient les « kundika » et les encensoirs devaient être produits en quantités importantes. Les premiers d’entre eux à y faire leur apparition conservaient la forme des spécimens indiens d’origine, l’émissaire chinois Xu Jing, qui visita le royaume en l’an 1123 du règne du roi Injong, notant ainsi dans ses Récits illustrés de Goryeo que ce récipient possédait : « un corps arrondi et un court bec verseur, l’extrémité supérieure en comportant un autre de forme allongée, muni en son centre d’un joint d’assemblage circulaire, ce dernier étant surmonté d’un tube aussi fin qu’une épingle à cheveux ou qu’un pinceau de calligraphie. » La chronique historique rapporte également que les gens du peuple faisaient tous les jours usage de bouteilles et fait ainsi supposer que subsistait un emploi quotidien du « kundika », parallèlement à son rôle de récipient renfermant l’eau purifiée et prenant place sur l’autel, tandis que le raffinement des décors incrustés que présentent certains modèles et qui sont identiques à ceux du céladon de la même époque, témoignent d’une destination plus aristocratique, voire royale, par leur caractère artistique.
Un trésor de l’art métallique d’époque Goryeo :
un vase à eau lustrale à décor incrusté Récipient en bronze destiné à contenir de l’eau en vue d’emplois étroitement liés au bouddhisme sous la dynastie Goryeo (918-1392), le «kundika » est aujourd’hui classé Trésor national n° 92 en raison du témoignage qu’il apporte, par ses élégantes formes et incrustations ornementales, sur l’éclat qui caractérisa l’art métallique de cette époque. Choi Eung Chon Professeur à l’École d’histoire de l’art de l’Université Dongguk Photographie Musée national de Corée
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Sa vocation religieuse se révèle par la place qu’il occupait dans le rituel pratiqué en Chine et au Japon, où il abonde sous la forme la plus ancienne qu’en produisit l’art métallique des septième et huitième siècles, tandis qu’en Corée, seul demeure à ce jour le spécimen de bronze qui fut découvert sur le Mont Busosan, près de Buyeo, et dont l’origine remonte aux derniers temps du royaume de Silla Unifié, l’unique objet dont le style lui soit comparable étant un reliquaire à « sarira » en bronze doré datant de l’an 751 et enchâssé dans la pagode de pierre du Temple de Garangsaji. Par les analogies qu’il présente avec lui en raison de son aspect d’ensemble, tandis qu’il en diffère par ses détails, cet objet permet de se faire une idée approximative de celui que présentaient les « kundika » au temps de Silla Unifié. Issus d’une production d’époque Goryeo, les « kundika » coréens sont pour la plupart constitués de métal, porcelaine ou faïence, comme, dans ce dernier cas, ce spécimen du dixième siècle qui fut mis au jour à Samcheok, une ville de la province de Gangwon-do, et qui comporte un tube de plus petites dimensions dans le prolongement d’un col plus large à son évasement, traits distinctifs des fabrications des premiers temps de Goryeo, alors que celles qui suivirent présentaient le plus souvent corps de forme oblongue, long col, bouchon circulaire, long bec supérieur et court goulot en forme de sablier sur leur partie évasée tels que les décrivait Xu Jing. Si le bec s’ouvrant sur le corps de l’objet servait à l’origine au remplissage de celui-ci et le long tube supérieur, à répandre le liquide, le temps allait rendre ces deux fonctions interchangeables. Nombre d’entre ceux qui remontent à l’époque
Goryeo s’ornent de motifs d’argent incrustés représentant de paisibles paysages au bord de l’eau, ainsi que des nuages, grues, dragons, feuillages et fougères où de minces fils d’argent cintrés viennent s’intercaler entre les lignes gravées à la surface.
Des décors incrustés Au Musée national de Corée, le spécimen dénommé « kundika de bronze avec décors d’argent incrustés de saules pleureurs et oiseaux aquatiques » est particulièrement apprécié pour ses formes gracieuses et la sophistication de ses motifs incrustés qui en font l’unique objet de ce type à être classé trésor national. Il se distingue par les élégantes lignes de son corps, son long col svelte et son épais bec verseur fixé à sa partie centrale, tandis que la surface extérieure du récipient se couvre d’une mince couche d’oxydation verte qui semble avoir été créée à dessein alors qu’elle résulte du noircissement des incrustations d’argent au contact de l’air. Le flou verdâtre dans lequel semble noyé le paysage produit une impression d’une grande, mais discrète élégance, mieux que ne sauraient le faire de plus riches ornements. Quant aux incrustations elles-mêmes, elles représentent des îles à l’épaisse couverture côtière de roseaux et autres plantes aquatiques sur laquelle retombent les pampilles de deux saules pleureurs se dressant sur un sol légèrement en pente et que survolent des canards, tandis que d’autres glissent sur l’onde non loin d’une barque de pêcheur et que, dans le lointain, de minuscules oies prennent leur envol sur fond de nuées. Pareils motifs d’oiseaux évoluant entre plantes aqua-
Ce kundika d’époque Goryeo présente un corps arrondi et un long cou surmonté d’un joint en forme de disque sur lequel vient se fixer un fin tube, tandis qu’un goulot destiné au remplissage du récipient se situe sur le corps, dont les délicats motifs en incrustation représentent des oiseaux s’égaillant parmi les roseaux touffus, sous les branches tombantes des saules pleureurs. Printemps 2009 | Koreana 51
Le joint en forme de disque qui s’intercale entre col et tube est recouvert d’un disque métallique dont les subtils ornements ajoutent encore au raffinement de cet ensemble attestant d’un haut degré de maîtrise artistique comme d’un grand souci du détail.
Le corps du récipient s’orne d’un délicat motif incrusté représentant un cadre idyllique où folâtre un couple de canards parmi l’épais tapis de roseaux et fleurs de lotus bordant les rives d’un lac, à l’abri des branches tombantes d’un saule pleureur, l’ensemble formant un paysage digne du paradis tel que les Coréens d’alors devaient s’en faire l’image.
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tiques et saules pleureurs, parmi les fleurs de lotus et roseaux, figurent abondamment sur la vaisselle de porcelaine et les encensoirs d’époque Goryeo et, dans le cas des « kundika », les paysages dépeints s’ornent également d’une telle végétation aquatique où se côtoient iris, quenouille, saule pleureur et bancs de roseau, tandis qu’évoluent dans ce cadre des espèces ornithologiques comme le canard, l’oie ou le héron blanc, à l’image de ceux qui figurent sur les anciennes peintures murales de la dynastie chinoise des Liao, et si d’aucuns affirment que les premiers se sont inspirés de ces dernières, le thème riverain n’était pas récurrent en Chine, alors qu’il constituait l’un des éléments fondamentaux de l’art et de l’ensemble de la production culturelle sous le royaume de Goryeo. C’est aux onzième et douzième siècles de cette dynastie coréenne, où le bouddhisme zen connaît une grande expansion, que ce thème paysager sera le plus en vogue et en viendra à symboliser le souhait des adeptes de cette religion d’atteindre la paix de l’esprit et leur vision du paradis qui attend les hommes dans l’autre monde, les saules pleureurs qui occupent une position centrale au sein de ces paysages riverains participant quant à eux de cette vénération que vouaient les fidèles d’alors au Bodhisattva Avalokitesvara. S’il se peut que ces décors riverains où s’égaillent les oiseaux en toute liberté sous les branches tombantes de saules pleureurs chevelus se veuillent évocateurs de la demeure du Bodhisattva bienveillant, il convient toutefois de rappeler que celuici est en général représenté tenant un « kundika » dans ses mains et une brindille de saule entre les lèvres et qu’en raison des croyances conférant au saule pleureur des propriétés bienfaisantes contre les maladies et les mauvais esprits, un rameau de cet arbre est souvent dépeint dans les mains des Bodhisattva Avalokitesvara qui figurent sur les peintures bouddhistes datant de la dynastie Goryeo. Or, le motif réalisé sur la présente pièce comporte une variété de saule pleureur indigène et si les peintures murales chinoises se trouvent à l’origine du thème paysager riverain, les artisans de Goryeo en ont réalisé une adaptation spécifiquement coréenne.
Un rendu réaliste Le décor paysager incrusté du présent « kundika », quoiqu’il puisse paraître procéder d’un sens conventionnel du pittoresque, révèle à l’observateur attentif une utilisation artistique des espaces vides alliée à des abstractions et effets de contraste, en particulier par la mise en perspective lointaine d’objets sousdimensionnés à cet effet, ou encore par ces motifs géométriques de nuages qui donnent une élégance particulière à l’évasement et à la base du récipient. Le bec fixé sur son corps est quant à lui enjolivé, sous forme également géométrique, de motifs de fleurs de lotus et feuillages, tandis que le col élancé se couvre de nuages et que le fin tube qui se dresse dans son prolongement est lui aussi décoré de feuilles, la présence d’un joint circulaire en argent ne faisant qu’ajouter à l’élégance du col, à sa partie supérieure qu’il vient coiffer. Il en résulte un aspect d’ensemble remarquablement gracieux résultant d’une haute maîtrise artisanale et justifiant le classement de cet objet parmi les trésors nationaux. Par ailleurs, on peut raisonnablement déduire que son origine se situe au douzième siècle de notre ère, époque à laquelle l’artisanat métallique atteint son degré le plus élevé sous la dynastie Goryeo, à partir de caractéristiques distinctives qui en sont le corps bien proportionné, au tube de dimensions modestes, et la représentation esthétique du paysage incrusté qui fait pendant au gracieux joint circulaire d’argent surmontant le col. La chute de la dynastie Goryeo allait se traduire par d’importants changement de ces éléments picturaux, puisque les « kundika » allaient désormais se doter d’un tube beaucoup plus long, d’un corps plus petit et de décors fleuris conventionnels qui lui feront perdre l’originale beauté des proportions et la grâce ornementale de la production antérieure, lesquelles allaient pratiquement disparaître à l’aube de la dynastie Joseon (1392-1910) pour céder la place à un objet ordinaire tantôt situé à mi-chemin entre le vase et le récipient fonctionnel, tantôt évoquant une bouilloire au long bec et à la grande poignée, de sorte que le chef-d’œuvre présenté dans les paragraphes précédents n’en paraît que plus précieux en raison même de sa disparition.
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CHroNIQue ArtIstIQue
Le Festival mondial des théâtres nationaux de Corée
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u 5 septembre au 30 octobre derniers, se déroulait en Corée une manifestation d’art dramatique sans précédent à l’échelle internationale, le Festival mondial des théâtres nationaux dont cette deuxième édition allait s’avérer tout aussi réussie que celle qui avait marqué sa création en 2007, tout en s’en démarquant par la programmation contemporaine des différentes compagnies qui y étaient invitées.
Une envergure internationale
Outre son volet officiel réservé aux représentations des théâtres nationaux norvégiens, français, chinois, moldave, thaïlandais et russe, la programmation de ce deuxième festival mondial comportait une section spéciale à l’intention d’autres pays tels que la Mongolie et l’Allemagne, le Théâtre national de Corée étant représenté dans cette première partie par les Compagnies dramatique nationale, nationale de danse et nationale Changgeuk, ainsi que l’Orchestre national qui lui sont À l’occasion de son Festival mondial des théâtres nationaux, la Corée invite les tous rattachés. À ces spectacles, s’ajoutait plus célèbres compagnies à présenter au public les grandes œuvres de leur tout un ensemble de productions coréendramaturgie nationale lors d’une exceptionnelle manifestation dont l’édition de nes qui après avoir connu un succès international, allait encore ajouter à l’originalité 2008 mettait à l’honneur la Norvège, la France, la Chine, la Moldavie, de cette manifestation. la Thaïlande, la Russie, la Mongolie et l’Allemagne. Lors de la préparation de son édition Lim Sang Woo Responsable de la planification et de la programmation au Théâtre National de Corée inaugurale, les organisateurs avaient eu Photographie Le Théâtre national de Corée le plaisir de voir le Théâtre National de Grèce faire bon accueil à leur invitation en ces termes : « Notre Théâtre National de Grèce effectue depuis longtemps des tournées aux quatre coins du monde, mais jamais il ne nous avait été donné d’apprécier une programmation aussi originale rassemblant un tel aréopage de compagnies nationales et c’est avec joie que nous participerons à ce festival unique en son genre ». S’agissant d’une nouvelle manifestation de pareille envergure, dont la programmation n’allait pas sans quelques doutes pour les organisateurs, on imagine sans mal tout l’encouragement qu’a pu leur apporter un tel message en leur confirmant, forts de leur confiance retrouvée, qu’ils s’acheminaient sur la bonne voie et devaient impérativement opter pour une unité thématique bien conçue. En faisant ainsi appel à la compagnie nationale grecque aux côtés de celles d’Angleterre, d’Italie, de Turquie, d’Inde, de Chine, de Suisse et de Corée, les deux mois de cette manifestation allaient faire d’elle la plus importante en Corée dans le domaine de l’art dramatique.
Les Trois Sœurs Voilà près de vingt ans de cela, au mois de mars 1990, le monde des arts coréens s’était émerveillé des représentations du Bolchoï, jusqu’alors inédites dans le pays et deux mois plus tard, c’était au tour du Théâtre Maly de Moscou de ravir les spectateurs encore sous l’effet de ce premier spectacle, par sa production de La Cerisaie d’Anton Pavlovich Tchekhov (1860-1904), d’autant que ceux-ci, qui avaient eu l’occasion de découvrir une adaptation de son œuvre La Mouette interprétée par une troupe théâtrale 54 Koreana | Printemps 2009
En ouverture du Festival, représentation d’une oeuvre du répertoire classique, Les Trois soeurs, par le Théâtre russe Maly dont le directeur artistique n’est autre que Yuri Solomin.
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locale, étaient impatients d’en apprécier des mises en scène plus authentiquement russes, comme le spectacle du Théâtre Maly leur en offrait la chance exceptionnelle. Près de dix-huit ans après, suite à la normalisation des relations russo-coréennes, cette même compagnie allait faire son retour en Corée au mois de septembre 2008 sous la direction artistique de Yuri Solomin, pour présenter en ouverture du Festival une grande œuvre plus appréciée encore que La Ceriseraie, à savoir Les Trois Sœurs. Ministre de la Culture, de 1990 à 1992 et homme de théâtre le plus renommé de son pays, ce qui lui a valu de se voir remettre la décoration d’« artiste du peuple de l’URSS », Yuri Solomin allait alors livrer une brillante mise en scène de cette pièce moderne grâce au réalisme de son interprétation du texte de Tchekhov, ainsi qu’au jeu talentueux d’interprètes remarquablement formés qui exerçaient au sein de la première compagnie russe, puisque celleci ne compte pas moins de cent vingt comédiens, auxquels s’ajoutent sept cents personnes chargées de fonctions diverses, et figure ainsi parmi les trois meilleures formations au monde, aux côtés de la Royal Shakespeare Company (RSC) et de la Comédie-Française.
Si la Corée n’était pas tenue autrefois pour un foyer international de culture, la possibilité s’en offre aujourd’hui à elle grâce aux efforts entrepris en ce sens dans le cadre du Festival, notamment par le Théâtre National de Corée.
Peer Gynt Au deuxième acte, le rideau se lève sur une Harley-Davidson et une automobile au capot ouvert, dans un rugissement de moteurs faisant aussitôt place aux accents familiers de la « Chanson de Solveig », qui plonge dans la béatitude les spectateurs charmés par le chant lyrique et de fait, on ne pouvait que découvrir avec délices une adaptation aussi originale du Peer Gynt d’Ibsen. C’est en 1903 qu’Anton Tchekhov rédige les dernières lignes de La Ceriseraie, avant de s’éteindre un an plus tard tandis que le Norvégien Henrik Ibsen (1828-1906), qui fut son contemporain, accédera à la notoriété nationale et internationale par ses œuvres Les Revenants et Maison de Poupée , depuis lors devenues de grands classiques qui lui ont valu d’être qualifié de « premier dramaturge moderne » et de « père du théâtre moderne ». Quant à Peer Gynt, qui passe souvent pour la plus créative de toutes ses productions, elle expose toute la futilité de la soif de possession matérielle en montrant comment la quête de la richesse et du pouvoir peut faire courir à sa ruine notre monde moderne, à l’instar du personnage principal de Peer Gynt qui expire dans les bras de sa bien-aimée Solveig, aujourd’hui vieille et grisonnante. L’accompagnement musical de la pièce était dû au célèbre compositeur norvégien Edvard Grieg. Sous l’égide de l’Institut culturel national de Norvège, le Comité organisateur du Festival Peer Gynt met chaque année en scène une trentaine de pièces, depuis 1967, en vue de leur repré-
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1~2 Habituellement destinée à être jouée en plein air, la pièce Peer Gynt a dû faire l’objet de nombreuses adaptations en vue de sa représentation dans la salle principale du Théâtre national de Corée par les comédiens du Nouveau Théâtre d’Oslo.
3~4 Le célèbre Théâtre National de l’Odéon présentait deux œuvres intitulées 1 3 La jeune fille, le démon et le moulin et Eau de vie. 56 Koreana | Printemps 2009
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sentation dans quinze villages de la région de Gudbrandsdalen, qui a su conserver son riche héritage de traditions, et c’est en point d’orgue d’une programmation variée de pièces de théâtre, concerts et manifestations artistiques et culturelles, que se joue toujours Peer Gynt sur une scène à ciel ouvert dressée sur les rives du Lac Gålå. Au Festival mondial des théâtres nationaux, c’est au Nouveau Théâtre d’Oslo qu’avait été confiée la présentation de cette même œuvre, sous la direction de Svein Sturla Hungnes, qui en interprétait également le personnage principal, dans une mise en scène adaptée au cadre de la Grande salle du Théâtre National de Corée et non plus à ses habituelles représentations en plein air. Au sein de l’abondante production du dramaturge, cette œuvre présente en outre la particularité d’avoir la plus grande envergure et dans le cas présent, elle ne réunissait pas moins de soixante-quatorze interprètes, dont quarante-quatre comédiens et musiciens norvégiens, ainsi que trente choristes coréens sélectionnés par Sturla Hungnes en personne.
Le Théâtre National de l’Odéon Célèbre dans le monde entier pour sa production culturelle, la France possède cinq théâtres nationaux, dont celui de l’Odéon, qui est également connu sous le nom de Théâtre de l’Europe en raison de la place qu’occupent les œuvres de ce continent dans la moitié de sa programmation annuelle, dont les six autres mois sont consacrés aux projets de collaboration et représentations à l’étranger. Cet établissement était présent au Festival mondial des théâtres nationaux par le biais des deux adaptations réalisées par le metteur en scène Olivier Fy des œuvres originales intitulées La Jeune Fille, Le Diable et Le Moulin (1992) et Eau de Vie (1999), qui sont en fait des contes de Grimm, au même titre que Blanche-Neige et Les Sept Nains, Hansel et Gretel ou La Belle au Bois Dormant. Dans ces créations où se révélait tout le talent de leur metteur en scène, se déroulait un amusant dialogue ponctué de mots d’esprit, tandis que le développement entraînait les spectateurs dans un merveilleux monde onirique avant de l’émouvoir par sa touchante fin heureuse et, au final, constituait des comédies à la française multipliant effets spéciaux et musiques de fanfares burlesques pour apporter un divertissement original et cocasse, comme en attestait l’hilarité du public.
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Zhang Yimou C’est aux côtés des cent soixante-dix danseurs du Ballet national de Chine que Zhang Yimou, le plus grand metteur en scène chinois, présentait dans le cadre du Festival La Lanterne Rouge , dont le titre évocateur suffit à aiguiser les curiosités, et 1 C’est sur un océan de lampions écarlates que s’ouvrait La lanterne rouge de Zhang Yimou, dans la continuité d’une longue tradition recourant à cette couleur dans le théâtre chinois.
2 À l’occasion du cinquantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Corée et la Thailande, l’Orchestre symphonique de Bangkok interprétait une œuvre mêlant l’art lyrique à des œuvres contemporaines originales de sa création. 58 Koreana | Printemps 2009
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si ce spectacle était inédit en Corée, Zhang Yimou y était quant à lui d’ores et déjà très célèbre pour sa mise en scène épique des cérémonies qui ont marqué les Jeux Olympiques de Beijing l’année passée. L’association de ce grand nom du cinéma à celui d’interprètes mondialement connus de l’art lyrique allait créer l’émotion, même chez ceux des spectateurs qui n’appréciaient pas particulièrement la danse classique, mais étaient impatients de découvrir l’alliance de cette discipline avec le septième art. C’est sur un océan de lampions écarlates que s’ouvre un spectacle où l’Opéra de Pékin et du Théâtre d’ombres chinoises étaient évoqués, entre autres reconstitutions accompagnées par un orchestre de soixante-dix musiciens pour le plus grand plaisir du public et, si le théâtre chinois recourt de longue date aux couleurs dans un but esthétique, cette composante s’imprégnait de tradition chorégraphique occidentale en un effet des plus splendides tel qu’en est coutumier Zhang Yimou. Ce spectacle présenté en clôture du Festival allait ainsi apporter une conclusion parfaite à deux mois de manifestations, tout en rehaussant son prestige international.
Une diplomatie de la culture Dans le cadre des nombreuses festivités qui, l’année passée, marquaient comme il se doit le cinquantième anniversaire des relations coréano-thail andaises, le concert qu’a donné à Séoul l’Orchestre symphonique de Bangkok a reçu un accueil particulièrement enthousiaste du public en proposant à son répertoire plusieurs compositions dues à Sa Majesté le Roi Bhumibol Adulyadej et dont les mélodies interprétées sous la direction d’Usini Pramo ont visiblement subjugué un public qui découvrait une création musicale thailandaise jusqu’alors méconnue. Soucieux d’apporter une contribution à l’essor de la diplomatie de la culture par le biais d’échanges internationaux entre les entités ou les individus, tout en facilitant le dialogue interculturel par-delà des frontières, le Festival mondial des théâtres nationaux fournit au public coréen l’exceptionnelle occasion de découvrir les productions des plus prestigieux théâtres du monde en appréciant les richesses de la diversité culturelle. Pour son édition à venir, les organisateurs prévoient la participation de compagnies artistiques britannique, espagnole, française, philippine et brésilienne, ainsi que deux innovations portant sur la représentation d’un plus grand nombre de pays que lient à la Corée des relations de coopération culturelle et au nombre desquels sera choisi un invité d’honneur. Si, au regard de festivals aussi prestigieux que ceux d’Edinburgh ou d’Avignon, le Festival mondial des théâtres nationaux de Corée n’en est encore qu’à ses balbutiements, il est appelé à connaître un essor rapide qui lui permettra de s’imposer parmi les principales manifestations culturelles du monde et bien que la Corée n’ait pas été autrefois tenue pour un foyer international de culture, la possibilité s’en offre aujourd’hui à elle grâce aux efforts entrepris en ce sens dans son cadre, notamment par le Théâtre National de Corée. Printemps 2009 | Koreana 5
À lA dÉCouVerte de lA CorÉe
Vladimir Saveliev Un grand chercheur russe naturalisé coréen Après deux tentatives infructueuses, Vladimir Saveliev bénéficie enfin de la nationalité coréenne, qui permettra à ce spécialiste de la visualisation des images en trois dimensions, dont la recherche quotidienne de la vérité est dirigée par les préceptes du bouddhisme, de mettre à profit les plus belles années de sa carrière afin que sa seconde patrie se hausse au plus niveau mondial dans cette technologie. Lee Soo Jin rédactrice occasionnelle | Ahn Hong-beom Photographe
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l’âge de 56 ans, le chercheur russe Vladimir Saveliev (Владимир Савельев) vient d’acquérir la nationalité coréenne et, muni du nouveau passeport qu’il s’est vu délivrer par le Ministère des affaires étrangères, il prend désormais place dans la file d’attente réservée aux citoyens coréens à chaque nouvelle entrée sur le territoire, mais s’il en fait aujourd’hui partie, c’est sur un plan tout aussi affectif que légal. Après avoir brillamment accompli plus de vingt années de sa carrière dans un pays qui compte parmi les plus grandes puissances scientifiques au monde, Vladimir Saveliev va pourtant décider de passer le reste de sa vie en Corée dès son premier voyage dans ce pays et la question se pose alors du motif qui a bien pu l’inciter à abandonner sa nationalité d’origine, puisque la Corée n’en autorise qu’une seule chez une même personne. « C’est pour des raisons purement professionnelles que je suis tout d’abord venu en Corée, voilà huit ans de cela, pour y trouver un environnement plus propice à mes études car, si la Russie a atteint un haut niveau dans les sciences fondamentales, la Corée n’excelle pas moins en recherche appliquée. En ce qui me concerne, je travaille à mettre en application les techniques d’imagerie en trois dimensions dans les équipements électroniques grand public, et dans la mesure où la Corée possède un grand savoir-faire dans ce domaine, j’ai pensé pouvoir y élargir le champ de mes recherches ». L’année passée, plus de dix mille personnes ont obtenu la naturalisation coréenne en contractant un mariage avec des citoyens du pays ou à l’issue d’un test écrit d’aptitude à l’acquisition de cette nationalité, que tout adulte étranger travaillant sur le territoire depuis au moins cinq ans est en droit de passer, comme cela était le cas de Vladimir Saveliev. Aujourd’hui ingénieur-chercheur principal au laboratoire Whole Image de l’Institut d’ingénierie électronique et d’informatique de l’Université Hanyang, il s’y consacre plus particulièrement dans ce cadre aux applications de l’imagerie 3D à l’électronique grand public, c’est-à-dire à la conception d’images de synthèse mobiles en trois dimensions.
1~2 Aujourd’hui ingénieur-chercheur principal au laboratoire Whole Image de l’Institut d’ingénierie électronique et d’informatique de l’Université Hanyang, Valdimir Saveliev s’y consacre plus particulièrement aux applications de l’imagerie 3D. 60 Koreana | Printemps 2009
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Dans un pays comptant autant de constructeurs d’envergure mondiale dans le secteur de la visualisation 3D, il a ainsi trouvé un cadre idéal où assouvir sa soif de recherche scientifique, notamment au sein d’un projet commun réunissant l’Université Hanyang et Samsung Electronics en vue du développement de dispositifs pour téléviseurs à trois dimensions de type « haute réalité » et commençant d’ores et déjà à porter ses fruits.
Un point tournant C’est au tournant du siècle que Vladimir Saveliev a fait son arrivée en Corée pour y entrer à l’Institut coréen des sciences et technologies (KIST) en qualité de chercheur invité, après avoir exercé le métier de chercheur plus de vingt années durant à l’Université d’État de Novosibirsk où il avait effectué ses études en sciences physiques et mathématiques appliquées, puis celui d’enseignant de manière plus épisodique, travaillant enfin, pendant les quatre ans qui ont précédé son départ, à l’Institut d’automatisation et d’électrométrie (IA&E), une agence de l’Académie russe des sciences située à Akademgorodok, une ville entourée d’une forêt s’étendant à trente kilomètres au sud de Novosibirsk et souvent qualifiée de « Silicon Valley de la Sibérie » car elle est vouée au développement de l’éducation Dans un pays comptant autant de constructeurs d’envergure mondiale et des sciences. Tout ce que dans le secteur de la visualisation 3D, il a ainsi trouvé un cadre idéal où compte la Fédération russe assouvir sa soif de recherche scientifique, notamment au sein d’un projet comme grands cerveaux dans commun réunissant l’Université Hanyang et Samsung Electronics en vue ce domaine, notamment en du développement de dispositifs pour téléviseurs à trois dimensions de type « haute réalité » et commençant d’ores et déjà à porter ses fruits. mathématiques, y vient étudier et travailler à l’université ou dans les multiples instituts de recherche qui s’y trouvent, de sorte que cette agglomération représente un concentré des sciences et technologies de pointe russes. L’année 1999 sera décisive pour Vladimir Saveliev, puisque, à l’occasion d’une conférence universitaire internationale qui se déroulait à Moscou, il fera la rencontre de Son Jeong-yeong, alors chercheur au KIST et aujourd’hui professeur à l’Université de Daegu, lequel s’empressera d’inviter l’éminent scientifique russe à travailler dans son institut et l’incitera ainsi à s’établir définitivement en Corée pour y entreprendre une vie nouvelle, les deux hommes étant demeurés depuis lors amis et collègues. À la vue du paysage coréen que survole son avion, le voyageur en constatera l’aspect très différent de celui de la Sibérie et tombera aussitôt sous le charme simple de ses petits arbres sombres aux motifs géométriques se détachant sur les montagnes neigeuses et sur les paisibles hameaux aux toits rouges ou verts, mais sa mémoire sensorielle conservait des impressions beaucoup plus anciennes remontant à sa découverte de la gastronomie coréenne au Kazakhstan, auprès de ressortissants soviétiques d’origine coréenne formant une minorité ethnique dont l’implantation datait de près d’un siècle. Aussitôt séduit par cette cuisine, il en éprouvera un réel plaisir gustatif, même s’il allait apprendre par la suite que les plats alors consommés ne représentaient qu’une adaptation locale des recettes authentiques, et aujourd’hui encore, il se délecte des préparations les plus traditionnelles que sont le « haemultang », le « jukkumi bokkeum », le « heukdweji galbi » et le « pogi kimchi », c’est-à-dire, respectivement le ragoût de fruits de mer, la marmite d’encornets, les côtelettes de porc noir grillées et le chou fermenté, tandis que son épouse russe affectionne curieusement plus que tout les petits en-cas des marchands des rues tels que les « twigim », ces beignets de légumes, les « sundae », des tripes de porc farcies ou le « garak guksu », une soupe aux nouilles.
Influence du bouddhisme En matière religieuse, c’est le bouddhisme coréen qui a provoqué son éveil spirituel au hasard de la visite d’un temple, alors qu’il était demeuré jusque là athée, en faisant naître des questions dans son esprit à la vue des moines psalmodiant des soutras ou méditant dans le calme des lieux. La lecture de ces préceptes, auquel il ne comprend pas le moindre mot, va toutefois lui apporter un apaisement tout aussi mystérieux que nouveau. « Même si nous parlons la même langue, que sommes-nous vraiment capables de nous dire ? À ce moment-là, j’ai découvert que la communication pouvait prendre une nouvelle dimension moyennant que l’on garde l’esprit ouvert pour se comprendre, même au moyen d’idiomes différents, car ce n’est pas vraiment ceux-ci qui importent. Dans mon cas, le miracle s’est reproduit plusieurs fois par la suite ». Le bouddhisme allait en fait favoriser son intégration au pays et, depuis lors, il se rend dès qu’il en a le temps au temple de Jeongtosa situé sur le 62 Koreana | Printemps 2009
Valdimir Saveliev affirme que sa foi bouddhiste lui procure une clarté d’esprit qui lui permet de concentrer toute son énergie sur une question donnée afin d’y apporter une réponse.
Mont Cheonggyesan et dirigé par le moine Bogwan, qui lui a donné son nom bouddhiste de « Cheonggo ». « Lorsque je récite les soutras, je sens mon esprit s’éclairer et devenir serein, cette clarté me permettant de concentrer toute mon énergie sur une question donnée afin d’y apporter une réponse, comme je suis constamment amené à le faire de par la nature de mon travail ». Le bouddhisme exerce en outre son influence sur la vie intérieure de Vladimir Saveliev, pour qui l’existence rappelle un long chemin que l’on parcourt en portant un fardeau sur ses épaules, mais qu’un esprit éclairé par les enseignements du bouddhisme peut faire envisager différemment, à savoir que si l’on ne peut en éviter la présence, tout au moins est-il possible d’en alléger quelque peu le poids moyennant de l’accepter. Depuis ces huit dernières années, le scientifique a été le témoin de changements survenus à un rythme étonnant tels que l’extension du réseau du métro par de nouvelles lignes qui se créent chaque année et la construction de grands ensembles qui font partout leur apparition, mais ce n’est pas tant aux progrès de l’urbanisme qu’aux métamorphoses du paysage naturel qu’est sensible cet habitant de Gwangju, une ville de la province de Gyeonggi-do, où il lui est donné d’apprécier, ainsi qu’à son épouse Elena, toutes les subtiles variations d’un magnifique cadre naturel au gré des saisons. L’homme rêve d’être un jour, en Corée, entouré de tous ses enfants, qui vivent actuellement en Russie, en Australie, en Hongrie et en Allemagne, mais alors qu’il a entamé le deuxième chapitre de sa vie, celui du citoyen coréen qu’il est devenu, il entend aussi accomplir l’objectif professionnel qu’il s’est fixé de « contribuer à l’acquisition par la Corée du plus haut niveau technologique mondial dans le domaine de l’imagerie 3D, ainsi que de transmettre ces techniques aux étudiants pour leur faire partager mes connaissances dans ce domaine ». Enfin, il avoue avoir l’intention d’apprendre à jouer du tambour traditionnel coréen en forme de sablier dit « janggu » en s’empressant d’ajouter, avec un sourire, que ses voisins, ainsi que sa propre épouse, souffriraient peut-être du bruit. Grâce à sa naturalisation, Vladimir Saveliev s’intègre toujours plus dans son pays d’accueil, non pas dans la solitude, mais auprès de collègues et voisins qui sont prêts à l’aider avec une affection qui fait vraiment son bonheur. Printemps 2009 | Koreana 63
sur lA sCÈNe INterNAtIoNAle
Lee Bul
ou l’art de la provocation du malaise Les œuvres d’installation de l’artiste de renommée internationale Lee Bul sont présentées dans le cadre de l’exposition itinérante Conteneur d’art contemporain qu’organise le Mobile Art de Chanel à Hongkong, Tokyo, New York, Londres, Moscou et Paris, de janvier 2008 à février 2010. Chung Joon Mo Critique d’art et ancien conservateur en chef du Musée national d’art contemporain de Corée Photographie PKM Trinity Gallery
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i la vie était un voyage, combien de personnes serais-je en mesure de rencontrer, puis de connaître, et quels lieux me serait-il donné de visiter ? Autant de questions que suscite en moi la vision en perspective que révèlent les œuvres de Lee Bul, par-delà leur existence matérielle.
D’étranges compagnons En entreprenant, dans un premier temps, de représenter et construire des espaces théâtraux et narratifs dans des œuvres d’installation aussi différentes qu’une immense structure réalisée à la main avec des ballons publicitaires, un poisson avarié couvert de paillettes, des cyborgs invalides aux membres endommagés, des structures entrelacées et des miroirs, Lee Bul cherche à exprimer son point de vue sur la féminité, la vie, la réalité, le Moi, les langages et l’existence. Se présentent ensuite diverses scènes, à première vue sans lien apparent entre elles, ou éventuellement envisageables en tant qu’étapes de cette poursuite d’un idéal propre à l’art conventionnel, mais tenant davantage du roman bien structuré ou de l’œuvre en plusieurs tomes si on les situe dans la production d’ensemble de Lee Bul en soumettant celle-ci à une analyse plus fine et il arrive alors que l’interprétation de ces créations dérange l’observateur, comme pris au piège et donc incapable d’aller de l’avant, alors qu’un long chemin lui reste à parcourir. Comme tout individu, l’artiste est soumis à de multiples tensions résultant du refoulement de désirs, d’opinions tenues secrètes, d’ambiguités et de contradictions qui lui sont personnelles, ses dernières œuvres s’avérant donc dérangeantes, quoique non moins fascinantes pour autant, tel un compagnon de rencontre aux côtés duquel on voyagerait de nuit et dont la présence serait ressentie comme aussi vitale que gênante. Si nos petites vies et les découvertes auxquelles elles donnent lieu paraissent bien insignifiantes au regard du grand univers, nous demeurons persuadés, aveuglés par notre orgueil, que nous le constituons en totalité et pouvons tout décider, définir et juger en lui. En se sens, l’œuvre de Lee Bul évoque une mèche employée pour allumer le feu de ces nombreuses remises en question qui surgissent en nous à propos de la vie et, unies à notre amour de celle-ci, nous poussent à poursuivre notre chemin.
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Des cyborgs invalides Dans les années quatre-vingts, l’art de Lee Bul fera sensation dans un monde de l’art coréen pourtant très dogmatique, mais qu’il laissera sans voix face à des représentations provocatrices, voire choquantes pour un public qui assaillera leur créateur de questions. Tantôt dénudée et suspendue la tête en bas, tantôt arborant une robe de mariée immaculée et essuyant ses cuisses avec du papier journal, ou encore enceinte, masquée et vêtue de la tenue traditionnelle pour exécuter la danse aux éventails, c’est la femme qui réveille le « Moi » refoulé en chaque spectateur et lui ouvre les yeux aux voies de sa libération. Si une certaine série d’œuvres a attiré des critiques à l’artiste et lui a valu de se voir cataloguer parmi les « féministes », c’est à tort que l’on s’en tiendrait à cette vue simpliste d’une volonté d’affranchissement de la femme des contraintes que font peser sur elle une société et une culture de type patriarcal, car son propos est en réalité d’accabler de son mépris traditions et coutumes, influence sociale et existence routinière jusqu’à l’absurde. Pour Lee Bul, le corps est tout à la fois narrateur vivant d’une œuvre en constante évolution, objet de réflexion et incarnation de l’esprit, la vie n’étant pas telle que nous la menons, mais comme nous l’imaginons, dans cette autre réalité, cet autre Moi que constitue le corps, dont cette artiste révèle ainsi une nouvelle dimension existentielle représentée par la présence, récurrente dans toute sa production, de ces cyborgs que le public perçoit comme de vaillants défenseurs de notre planète et les artisans de la justice qui préservera le monde des guerres et bouleversements. Dans le cas présent, ces figures sont cependant invalides, réduites à l’état de simples
1 Les œuvres de Lee Bul qui seront présentées lors d’une exposition itinérante en Europe, aux États-Unis et en Asie, révèlent l’évolution actuelle de son art (Photographie : Rhee Jae-yong).
2~3 Ces objets en fil de cristal et d’aluminum brillaient de mille feux, tel un lustre, à l’exposition exclusivement consacrée à Lee Bul, sous le titre « À chaque nouvelle ombre », par la Fondation Cartier pour l’art contemporain, voilà deux ans de cela (Photographie : Patrick Gries. Fondation Cartier pour l’art contemporain).
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objets jetables et remplaçables, après avoir constitué de fidèles reproductions de leur modèle d’origine. Pour autant, une défaillance partielle justifie-t-elle de les mettre au rebut, la partie n’a-t-elle d’autre existence qu’au sein d’un ensemble infaillible et fautil délaisser le corps dès lors qu’il souffre d’un handicap ? Après s’être courageusement battus dans l’espace pour repousser l’envahisseur qui menace notre planète, sont-ils voués à la destruction pure et simple en raison de leur invalidité ? Si le passage à l’âge adulte est censé exiger que disparaissent souvenirs et émotions de notre enfance, ces cyborgs estropiés ne symbolisent-ils pas cette métamophose, voire la vie humaine dans son ensemble, le corps représentant alors une autre partie de notre existence en même temps que l’état présent de notre être.
Un fidèle compagnon Le corps représenterait donc, d’une manière certes incommode, le compagnon de l’esprit, comme le laissent entendre ces œuvres récentes où le cyborg de Lee Bul, d’une certaine façon, transforme une cabine de karaoke fermée où l’on chante pour les autres en un espace où l’on chante pour soi ou pour s’oublier. S’il n’arrive que rarement de se rendre seul dans ce lieu de divertissement aujourd’hui apprécié dans le monde entier, c’est en solitaire que l’on y chante, quoique en compagnie, car chacun est trop préoccupé de lui-même pour accorder la moindre attention au chanteur et souhaite avant tout se divertir personnellement, même au sein d’un groupe. Dans son œuvre, il apparaît d’emblée comme une capsule individuelle et s’il n’en existe pas dans la réalité sous cette forme particulière, ceux que l’on trouve présentent avec lui la plus grande ressemblance, tout comme ces voisins et amis que l’on fréquente avec assiduité, mais jamais ensemble au même moment, de même que le corps demeure séparé de l’esprit. 66 Koreana | Printemps 2009
Lee Bul a centré sa production récente sur les liens éphémères qui s’établissent par le biais de réseaux relationnels complexes, structurés, et qu’elle amplifie, un peu comme si, à la réception de la commande « Union ! », cyborg et robot alliaient leur force imposante et leur valeur héroïque en une seule et même entité capable de libérer une formidable puissance.
1 Dans cette œuvre de Lee Bul, le cyborg ne se présente plus comme le défenseur héroïque de la Terre, mais comme un être invalide suspendu au plafond. « Cyborg W1-W4 », 1998. Installation, Biennale de Venise, 1999 (Photographie : Rhee Jae-yong).
2 En exécutant cette danse à l’éventail en costume traditionnel, masque à gaz sur le visage, Lee Bul fait reculer les limites du possible pour susciter une recherche du Moi chez les spectateurs (Photographie : Artoilet installation, 1989).
Si un lieu peut éveiller la curiosité en raison de son caractère insolite, ce dernier peut aussi susciter la peur. Il procure un espace de liberté où la solitude dispense de nous soucier des autres, ainsi qu’une impression douillette résultant de sa fermeture et de son isolement, c’est-à-dire le sentiment de vivre à la fois dans « l’appréhension et la curiosité » ou dans « la solitude et son confort». Dans cette capsule en apesanteur où se bousculent les sentiments, l’existence humaine s’avère aussi instable que l’écran d’un téléviseur, car elle oscille sans cesse entre le désir d’échapper à la vie quotidienne et la crainte de cette nouvelle liberté, comme un refrain rythmant inlassablement une chanson, nul nouveau départ ne pouvant mettre un terme à la concomitance instable de telles émotions.
Un corps sans organes
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Lee Bul a centré sa production récente sur les liens éphémères qui s’établissent par le biais de réseaux relationnels complexes, structurés, et qu’elle amplifie, un peu comme si, à la réception de la commande « Union ! », cyborg et robot alliaient leur force imposante et leur valeur héroïque en une seule et même entité capable de libérer une formidable puissance. Dans l’une de ses dernières installations, elle fait figurer ce discours des plus désordonnés et paradoxaux sous forme de miroirs dans lequel se reflète l’Hydre aux mille têtes pareilles aux tentacules d’une pieuvre, éliminant le « Moi » et son alter ego qu’est le cyborg, de sorte que chez le public, en proie à la plus grande confusion, le sentiment de familiarité le dispute à celui d’étrangeté, comme cela se produit dans tout espace public, puis survient le choc de la confrontation avec les autres structures que lui renvoie le miroir comme autant d’incompréhensibles images. Une œuvre plus récente évoque une situation dans laquelle le Moi disparaît pour céder la place au « sentiment du Moi » et où la tragique absurdité de l’existence humaine s’exprime en des contrastes suggestifs et brutaux, mais agrémentés d’ornements, qui accentuent la gravité de notre instabilité. Dans un espace de modernité où ne subsiste de l’objet disparu que l’enveloppe extérieure aux attraits puérils et standardisés qui ne laissent aucune place au corps, se croisent et se heurtent les hommes, très souvent sans se rencontrer, bien qu’évoluant au sein d’un même espace, mais en se dépassant les uns les autres, avec pour toute forme de communication les regards qu’ils se jettent et le bruit de leurs pas. Par cette démarche, Lee Bul contraint le visiteur à regarder de l’autre côté du miroir pour y entrevoir cet espace où l’Autre demeure hors de portée, et pour ce faire, complète parfois sa création d’un contenu historique portant notamment sur l’époque moderne. De dimensions plus importantes et d’une teneur plus fouillée, ces œuvres recourent principalement au discours narratif, dont l’espace central est occupé par diverses anecdotes constitutives d’une histoire, et, aux côtés de l’Histoire, font aussi intervenir des éléments d’architecture moderne. Toutefois, sachant que toute construction idéale ne représente qu’un outil, les piédestaux en perles de verre, bijoux de cristal et grillages tout à la fois fascinants et redoutables, constituent autant de clés permettant d’imaginer les événements et d’en déduire les incidences, sans pour autant fournir le moindre indice sur leur sens aux spectateurs, qu’ils laissent ainsi libres de les interpréter à leur guise. L’œuvre de Lee Bul reposant sur le constat latent de l’existence de situations théâtrales, c’est du public que parle son art, plus que de sa personne, car il procède de l’idée selon laquelle il faut faire le vide en soi pour pouvoir tout montrer et qu’il incombe donc au public de s’accoutumer à l’insolite et de vivre avec ce « corps sans organe », comme pour se résigner au destin qui est le sien de côtoyer autrui, en dépit des désagréments que cela lui occasionne. À ce titre, il importe de suivre l’évolution de cette aritste, dont les œuvres propices à la réflexion composent cette exposition « nomade » qui s’apprête à parcourir l’Union européenne, les États-Unis et l’Asie. Printemps 2009 | Koreana 6
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Le Mont Maisan tient son nom des deux oreilles de chevaux qu’évoquent, de loin, ses sommets d’Ammai et de Sunmai, qui le printemps venu, troquent cette appellation contre celle de « Hauts de mâts » parce qu’ils semblent émerger d’une mer brumeuse. 68 Koreana | Printemps 2009
Jinan De hautes tours de pierre sur les cimes divines du Mont Maisan Bordée par les massifs montagneux du Noryeong et du Sobaek, la ville de Jinan est arrosée par le Seomjingang, qui y prend sa source, et le cours inférieur du Geumgang, tandis qu’au centre du plateau sur lequel elle s’étend, se dresse le Mont Maisan, dont le nom désigne ces oreilles de cheval qu’évoque la forme de ses deux sommets et qui abrite le Temple aux Tours du nom coréen de Tapsa, l’une des sept merveilles de Corée où accourent les visiteurs tout au long de l’année, mais cette agglomération est aussi le berceau de la fauconnerie coréenne aux nombreux spécialistes aujourd’hui classés biens culturels humains. Lee Yong-han Poète Ahn Hong-beom Photographe
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Statue de Bouddha au Temple de Geumdangsa
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ans le bouddhisme d’ExtrêmeOrient, l’expression « trésor inépuisable» s’applique à l’infinie immensité de la nature, de même, par métaphore, qu’à toute chose qui lui est comparable par ce caractère, comme cela est le cas, dans la province de Jeollabukdo, des régions de Muju, Jinan et Jangsu, aux vastes zones inhabitées semblant interminables, quoique d’une exceptionnelle beauté invitant plutôt à s’y attarder, notamment dans la deuxième d’entre elles, qui en est considérée le joyau en raison de ses multiples attraits.
Maisan, la montagne en oreilles de cheval Cette contrée comporte pour principal repère un mont qui, après s’être successivement appelé Seodasan sous le royaume de Silla, Yongchulsan à l’époque de Goryeo et Sokgeumsan jusqu’à l’avènement de Joseon, porte aujourd’hui le nom de Maisan qui signifie littéralement «1oreilles de cheval » en raison de la 0 Koreana | Printemps 2009
forme de ses deux sommets aux parois dressées à la verticale, le Ammai et le Sunmai, qui s’élèvent respectivement à 686 et 680 mètres tels des « bouts d’oreilles de jument ou de cheval » qu’ils prennent pour appellation en automne, alors qu’ils évoquent tantôt des « hauts de mâts » émergeant du brouillard au printemps (Dotdaebong), tantôt des « pointes de cornes de dragon » en été (Yonggakbong), ou encore des « bouts de pinceaux de calligraphie » en hiver (Munpilbong), autant d’expressions attestant d’une beauté changeante qui leur vaut d’être aussi qualifiés de « chefsd’œuvre de la nature » et d’« œuvre des dieux ». Une légende conte qu’un couple y vivait retiré avec ses deux bambins et lorsqu’il advint qu’il fut rappelé aux cieux, il s’apprêta à quitter ce monde, mais tandis que l’homme souhaitait y monter pendant la nuit afin que personne ne les aperçoive, la femme, effrayée par l’obscurité, le pria d’attendre jusqu’à l’aube de sorte
qu’aux premières lueurs du jour, elle se saisit de ses enfants et commença de s’élever dans les airs en compagnie de son époux, mais c’est alors qu’une villageoise les remarqua en allant puiser de l’eau. Furieux d’avoir été surpris, l’homme arracha les deux enfants à leur mère pour s’en revenir sur terre, où tous trois prirent la forme de cimes montagneuses, comme le fit aussi l’épouse éplorée en les y rejoignant, si bien que le principal sommet est flanqué de deux autres de plus faible hauteur.
Temple aux Tours Au prodige de la nature que représente le Mont Maisan fait pendant l’œuvre d’art humaine du Temple aux Tours qui fait son orgueil. Voilà près d’un siècle, l’ermite et érudit Yi Gap-ryong y fit édifier, entre sa vingt-cinquième année et sa mort, c’est-à-dire durant plus de soixante-dix ans, quelque cent vingt tours de pierre dont subsistent aujourd’hui encore plus des deux tiers, qui dressent
Les versants du Mont Maisan sont creusés de grottes naturelles où les promeneurs construisent de petites tours en empilant des pierres.
contre vents et intempéries leurs murs sans mortier ni ciment, une particularité de construction qui en fait une rare merveille, et dont les deux principales, de forme identique et dites de la Terre et du Ciel (Cheonjitap), s’entourent de celles des Cinq Eléments (Obangtap), le nom du sanctuaire désignant ces divers bâtiments et non plus, comme à l’origine, l’un des pavillons de bois qui s’élevent entre eux. Le Temple aux Tours compte aussi, parmi toutes ses merveilles à découvrir, celle des glaçons en forme de stalagmite qui, lors des prières de l’aube, au voisinage du temple, se forment dans la jatte d’eau et semblent s’élever jusqu’aux cieux. Une théorie, qui ne semble toutefois guère convaincante, veut que ce phénomène rapporté par nombre de témoins oculaires, se produise dans certaines conditions relatives au sens dans lequel souffle le vent et à sa vitesse, à la température ambiante et à la pression atmosphérique.
Temple de Geumdangsa À un peu moins d’un kilomètre et demi du Temple aux Tours, sur la face sud du Mont Maisan, s’élève un autre sancturaire dénommé Geumdangsa et dont le tableau s’intitulant Bodhisattva Avalokitesvara (Trésor n°1266) qui s’y accroche sur cinq mètres de largeur et neuf mètres de hauteur, constitue un véritable chefd’œuvre de l’art bouddhiste. D’aucuns affirment que jadis, lorsque régnait la sécheresse, les moines le suspendaient en vue d’accomplir un rituel propitiatoire par lequel ils appelaient de leurs vœux les précipitations, lesquelles seraient invariablement tombées des cieux à chacune de ces prières. C’est en l’an 814, que Heondeok, l’un des souverains du royaume de Silla, ordonna la construction du Temple de Geumdangsa dont allait faire la célébrité, dans les derniers temps de celui de Goryeo, un moine nommé Naonghwasang qui y pratiqua l’ascétisme, ainsi que, sous l’occupation japonaise, la présence du mouvement de résistance qui s’implanta
à Jinan pour combattre l’envahisseur, la rumeur voulant que la fille du général Jeon Bong-jun, qui, à la fin de la dynastie Joseon, avait pris la tête de l’insurrection contre les fonctionnaires corrompus et les puissances étrangères, s’y soit refugiée dix années durant.
Les deux vallées du Mont Unjangsan Encaissée entre les hauteurs du Myeongdeok, sur la chaîne du Mont Unjangsan, et celles du Myeongdo, qui se dresse au nord de Jinan, s’étend une vallée où coule le Juja, ce ruisseau long de cinq kilomètres qui se fraie un chemin entre de spectaculaires parois rocheuses, et dont les profondeurs, que voilà encore soixante-dix ans de cela, les nuages étaient seuls à franchir, lui onr valu son nom d’Unilam, c’est-à-dire la vallée des nuages et du soleil, quoiqu’elle fût aussi connue sous celui de Banilam, à savoir la vallée du demi-soleil, l’astre du jour n’y étant visible que pendant une demi-journée. De fantastiques formations rocheuPrintemps 2009 | Koreana 1
1 Sur le Mont Maisan, une épaisse couverture végétale succède à un champ de campanules épanouies à la saison estivale, où ses sommets sont appelés « les pointes de cornes de dragon ».
2 Sur la route qui longe le lac Yongdam, non loin du point où prend sa source le Geumgang, le parcours est ponctué de sites panoramiques tels que celui de la « Colline de la nostalgie ».
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2 © Yang Young-hoon
Voilà plus d’un siècle que le Temple aux Tours, orgueil des montagnards de Maisan, dresse contre vents et intempéries les murs sans mortier ni ciment de celles-ci, une particularité de construction qui en fait une rare merveille de sorte que son nom désigne aujourd’hui ces bâtiments et non plus, comme à l’origine, l’un des pavillons de bois qui s’élèvent entre ces derniers.
ses et les eaux limpides de son ruisseau aux subtils parfums font de ce site, dont l’ouverture au tourisme est encore récente, le deuxième par son importance à Jinan, ainsi qu’une destination de vacances très prisée. Autre grande vallée régionale, celle de Baegundong est réputée pour son rocher de Jeomjeon étendant sa dalle sur une centaine de mètres carré, ainsi que pour sa rivière dont les flots aussi transparents et brillants que des pierres précieuses se précipitent d’une hauteur de cinq mètres en une cascade d’une saisissante beauté. Aux azalées dont s’emplit la vallée, le printemps venu, succéderont, deux saisons plus tard, un flamboiement rouge et or qui la métamorphosera, mais le visiteur y trouvera à toute époque un véritable havre de paix propice au repos en raison de sa fréquentation relativement limitée par comparaison à celle du Juja, qui,
de longue date, attire les vacanciers en nombre. C’est à Jinan que prend sa source le Seomjingang, un fleuve méridional coréen de formation très ancienne, au lieudit Demi situé sur le versant nord du Mont Palgongsan (1151 mètres) situé dans la commune de Baegun-myeon proche de Jinan. Comme l’indique ce toponyme, qui peut tour à tour désigner un sommet ou un amoncellement, cette source se trouve au milieu de nombreux amas, le Mont Cheonsangdemi ( 1 080m) y étant en outre adossé, de sorte que les eaux du Seomjingang remontent pour ainsi dire leur cours jusqu’à la cime montagneuse, pour s’élever peut-être même jusqu’au ciel. En sortant de terre, les eaux s’écoulent vers Baegun-myeon, qu’elles traversent à hauteur du Mont Maisan, et poursuivent leur chemin sur près de deux cents kilomètres avant d’atteindre Imsil et Gurye, puis Hadong où elles se jettent dans la mer
par le littoral sud. Le sentier qui mène les randonneurs à Demi depuis la vallée, au terme d’un parcours d’environ une heure, leur offre le spectacle d’un paysage aux multiples beautés et d’une merveilleuse nature, comme s’ils assistaient à une classe de sciences naturelles en plein air . Parmi les splendeurs de la nature que l’on ne saurait omettre de découvrir, figurent celles de la « grotte de vent » et du « ruisseau de glace », certains affirmant que la première, qui s’ouvre sur l’un des versants du Mont Daedusan, renferme en permanence de la glace, c’est-à-dire même en plein été, le courant d’air froid qui s’en échappe ne dépassant de fait guère les 4° C, tandis que le second, qui la jouxte, maintient ses eaux, tout au long de l’année, à une température constante de 3° C, et les gens du village, tirant parti de ces deux réfrigérateurs dont leur a fait don la nature, y conservent le kimchi durant les mois d’été. La répuPrintemps 2009 | Koreana 3
tation de ce ruisseau aux eaux glacées s’étant étendue à tout le territoire, Heo Jun, grand médecin de la dynastie Joseon et auteur du traité Exemples de la médecine coréenne, l’aurait considérée comme une eau médicinale dont il aurait prescrit la consommation à ses patients atteints d’affections dermatologiques ou gastriques pour apaiser leurs souffrances.
La fauconnerie en hiver
1 1 Depuis plus d’un siècle, les vingt-quatre Tours du Ciel et de la Terre dressent contre les intempéries, à l’emplacement le plus élevé du site où fut construit le Temple, leurs murs qui présentent la particularité de ne comporter ni mortier ni ciment et font de cette construction une rare merveille.
2 Non moins pittoresque que celles de Unilam et Banilam, c’est-à-dire respectivement des nuages et du soleil, la vallée de Baegundong abrite une cascade d’une hauteur de cinq mètres dont les eaux limpides et chatoyantes créent un magnifique spectacle.
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Si Maisan et son Temple aux Tours offrent d’exceptionnels attraits, ainsi que le Juja et sa vallée au panorama des plus pittoresques, on ne saurait visiter Jinan sans y assister à une partie de chasse au faucon, car voilà déjà plusieurs décennies que la ville est devenue le berceau de la fauconnerie traditionnelle coréenne pour y avoir été notamment perpétuée par feu Jeon Yeong-tae, ce qui a valu à celui-ci d’être classé à titre posthume au patrimoine culturel humain en 1998, comme allait l’être, neuf ans plus tard, Bak Jeon-go, son digne successeur dans l’art de dresser les rapaces à la chasse au faisan ou au lapin ainsi pratiquée par le fauconnier. C’est au mois de décembre qu’a généralement lieu l’ouverture de la saison,
suite à celle des mues, chaque partie rassemblant un nombre minimal de cinq chasseurs sur un groupe de voyageurs composé de sept ou huit personnes. Le défunt Jeon Yeong-tae se souvenait ainsi des pratiques d’autrefois : « Il y a bien longtemps, à l’époque où l’on cultivait la terre, les hommes se trouvant désœuvrés de la fin des récoltes à celle de l’automne, ils se retrouvaient l’hiver pour encourager les plus jeunes d’entre eux à chasser au faucon et dès que ceux-ci se décidaient, ils s’y accoutumaient tout aussitôt et ne seraient jamais restés couchés, même pour une mauvaise grippe. Qu’il neige ou qu’il vente, il suffisait qu’ils voient dix vols de faisans dans le ciel pour accourir sur les lieux et se démener en suant à grosses gouttes. Dans des temps lointains, la fauconnerie relevait d’un véritable sport national que pratiquaient les rois et leurs sujets, l’aristocratie et ses serviteurs, riches et pauvres, hommes et femmes, jeunes et vieux. La chasse au faucon avait lieu partout et les passants s’arrêtaient pour en admirer le spectacle, poussant des cris lorsque le faucon se lançait à la poursuite d’un faisan... Ah ! Rien n’égalait cela ! »
L’homme et l’oiseau
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À partir de la Guerre de Corée, qui éclata peu de temps après des Trois Royaumes fait ainsi mention de cette activité sous le la libération, la fauconnerie allait connaître un net déclin de sa royaume de Silla, tandis que les peintures murales des tombes pratique, qui survivait déjà non sans mal suite à la substitution du de Goguryeo en représentent également des scènes, autant charbon et du pétrole au bois de chauffage qui s’était opérée aux d’éléments permettant d’affirmer que cet art date au minimum fins de la protection des zones forestières et allait précipiter la de l’époque des Trois Royaumes. Par ailleurs, des écrits signalent baisse de cette activité, dans la mesure où les fauconniers ne poul’envoi de faucons, par l’un des offices royaux de Goryeo, à titre vaient plus parcourir aisément les hauteurs du relief en raison de de tributs destinés à la Chine des Yuan, ce même office ayant leur épaisse couverture végétale, l’apparition du fusil de chasse été chargé de l’entraînement de ces oiseaux et de toute question rendant en outre l’emploi du faucon superflu, mais le facteur déciy ayant trait, de cette époque jusqu’à celle de la dynastie Joseon, sif de cette évolution demeurant la diminution de la ponte chez et ceux qui provenaient de Corée ayant particulièrement bonne cet oiseau en raison de la pollution de l’environnement et d’un presse dans l’Empire du milieu. braconnage endémique. Selon les chasseurs, un faucon permetSur la péninsule coréenne, l’art de la fauconnerie était partout tait de capturer en moyenne trois ou quatre de mise avant la colonisation japonaise, faisans lors d’une seule partie, voire plus de durant laquelle auraient subsisté plus d’un dix dans certains cas, de même qu’il poumillier de fauconniers, ce chiffre attestant à vait aussi fondre sur des lapins, belettes et lui seul du succès d’une activité qui, loin de coléoptères, cette intense activité nécessise limiter à une traque en solitaire, constitant qu’il soit convenablement nourri après tue une véritable forme de loisir à pratiquer chaque partie et pendant toute la semaine en grand nombre. Au sein du groupe de suivante, à raison d’un poulet par jour. chasseurs, c’est le plus expérimenté qui En règle générale, les fauconniers étatient le faucon sur sa main, et s’écrie, à la blissent une distinction entre le jeune faucon vue d’un faisan ou d’un lapin : « Lâchez le provenant de l’élevage, l’oiseau sauvage de faucon! » tout en libérant l’oiseau de son montagne, celui qui a été dressé sur la main attache, cette même cordelette qui a servi et le type commun dit pèlerin, la catégorie à capturer celui-ci. Avant même d’en être la mieux adaptée à la chasse étant, dans la affranchi, cet oiseau intelligent comprend première, celle des autours. Ceux qui sont ce qu’il en est aux seuls mots de : « Voilà un encore couverts de duvet ayant en principe faisan ! » lancés par son maître et dès lors, deux ans d’âge et les autres, au moins trois, c’est au tour des guetteurs de suivre son une fois entraînés, ils seront employés pour envol pour le localiser à l’intention des six la chasse durant quatre à cinq années, ou sept preneurs qui courent à toutes jamCe faucon a appartenu au défunt Jeon Yeongmoyennant qu’ils ne s’enfuient pas, et tout bes dans le sens où il est parti car il importe tae, qui fut classé au patrimoine culturel au plus jusqu’à neuf ans. de lui enlever dès que possible sa proie afin humain pour sa maîtrise de la fauconnerie, un art dont Jinan est le berceau coréen et pour Dans la langue coréenne, la fauconqu’il ne s’envole pas après l’avoir dévorée. lequel les oiseaux de proie y sont entraînés à la nerie a donné lieu à une intéressante Aux fins de la chasse, le fauconnier doit chasse au faisan et au lapin. expression idiomatique provenant d’une capturer les oisillons peu de temps après pratique consistant à graver le nom du propriétaire sur des étil’éclosion des œufs, dont la ponte intervient en général au prinquettes composées de corne de bœuf que l’on fixait à la queue temps, car un dressage précoce permet d’autant mieux d’éviter de l’oiseau pour en revendiquer la propriété et lorsqu’il arrivait toute fuite, la situation des nids à des emplacements très escarque le fauconnier perde celui-ci au cours d’une partie, celui qui le pés rendant toutefois ceux-ci d’un accès particulièrement difficile retrouvait retirait parfois la plaquette d’origine pour la remplacer pour s’en saisir, mais cette capture s’avérant plus difficile encore par une autre à son nom, d’où l’expression « ôter l’étiquette de la dès la croissance. Le fauconnier se placera alors en embuscade queue » qui aujourd’hui encore est en usage au sens de « feindre sur le trajet emprunté par ces oiseaux pour les prendre au filet, l’innocence ». cette tâche relevant de l’impossible pour qui n’est pas doué C’est au premier ou au deuxième siècle avant Jésus-Christ d’une grande habileté. Après cette prise, s’ensuit le dressage qui, que remontent les origines de la fauconnerie, certaines chronis’il a lieu chez le particulier, doit s’accompagner de grandes préques faisant état de sa pratique en Chine dès le deuxième siècle cautions, tout comme cette dernière opération, pour éviter que la avant notre ère, tandis que d’autres évoquent son existence en moindre plume ne soit endommagée, car une fois blessé, l’oiseau Mésopotamie un siècle plus tard. L’ouvrage intitulé Histoire se trouve dans l’impossibilité de participer à la chasse. Printemps 2009 | Koreana 5
CuIsINe
La daurade aux nouilles, un grand classique de la cuisine de palais Si la daurade aux nouilles constitua un mets de choix au temps de la royauté, la conservation de sa recette, grâce aux bons soins des dames de la cour, permet aujourd’hui encore une dégustation qui s’avère particulièrement agréable lors de ces soirées où l’on chante et l’on danse, comme les Coréens affectionnent d’en passer à la moindre occasion. Han Bokryeo Directrice de l’Institut de cuisine royale coréenne Ahn Hong-beom Photographe Kim Hyong nim Conseillère culinaire
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n raison de son prix élevé, la consommation de daurade est, en Corée, réservée à certaines occasions, où le bel aspect de sa forme et de ses écailles claires permet de le servir entier, grillé ou cuit à la vapeur, sur les tables de banquet, de l’offrir à sa future belle-famille avec un succès assuré ou encore d’en faire l’une des offrandes du culte à ses ancêtres, tandis qu’au Japon, où elle est également très prisée, elle doit impérativement figurer au menu des fêtes du Nouvel An et des repas de mariage. Enfin, ce poisson se consomme sous forme d’une soupe que l’on dit être de bon augure à l’arrivée du printemps.
Une délicate chair blanche
La recette de la daurade aux nouilles, ce mets délicat de la cuisine de cour d’époque Joseon, permet de reconstituer la forme de ce poisson en disposant comme il convient les tranches de poisson badigeonnées d’œuf et frites, avant de les faire mijoter dans un bouillon de boeuf aux champignons et vermicelle.
C’est aux premiers mois du printemps que convient le mieux la consommation de daurade, car en s’éveillant d’une longue hibernation qui se poursuivait depuis la fin de l’automne, elle évolue dans des eaux à l’agréable température propice à la ponte et, ressentant soudain un insatiable appétit, engloutit les moindres crevettes, poulpes et moules passant à proximité, de sorte que sa chair s’avère alors d’une texture très dense et d’un goût fort savoureux, comme le souligne le dicton selon lequel: « Même avarié, c’est toujours le meilleur des poissons ». C’est aux alentours des îles de Wando, Jejudo, Chujado, Wido et Geomundo, ainsi qu’au large de Haenam et dans la mer de Dadohae, qu’est principalement pêché ce poisson évoluant surtout dans des eaux aux températures clémentes et dont les dimensions, couleur et saveur varient selon qu’il s’agit de ses variétés dites « chamdom », « mukdom », « hwangdom », « heukdom », « bukkdom », « jaridom » ou « okdom », la première d’entre elles étant la plus appréciée, notamment lors des banquets, en raison de sa forme agréable, de sa taille raisonnablement grande et du brillant de ses écailles. De couleur blanche et d’une consis-
tance ferme, sa chair ne dégage pas cette forte odeur caractéristique du poisson et se prête, précisément du fait de cette texture particulière, à des préparations très variées parmi lesquelles figurent sashimi, soupes, plats à la vapeur accompagnés d’une garniture de cinq couleurs différentes, grillades d’une seule pièce ou en morceaux badigeonnés d’œufs battus, ou encore mitonnée dans une délicieuse sauce. Son goût savoureux lui provient des acides glutamique et inosinique présents dans ses protéines, dont elle possède une importante teneur sans pour autant renfermer de graisse, ces caractéristiques lui conférant des vertus bienfaisantes pour la santé qu’apprécient particulièrement les personnes à la diète ou présentant de hauts taux de cholestérol, tandis que ses acides aminés assurent un complément idéal d’une alimentation à base de céréales pratiquée notamment en Corée et que sa digestion aisée la destine également aux enfants et personnes âgées ou convalescentes. La tête étant la partie de prédilection des amateurs de poisson, en raison de la grande quantité de chair qu’elle contient et de la présence, dans les yeux, d’un certain type de glucose possédant des propriétés contre le vieillissement, les Japonais s’en délectent particulièrement lorsqu’elle a mijoté avec les arêtes dans une sauce de soja sucrée.
Une minutieuse préparation Chez la daurade, la dureté des écailles exige de les retirer avec un soin particulier, car l’emploi d’un couteau ou d’autres instruments de ce type ne ferait que projeter celles-ci en tout sens, et il conviendra donc de procéder soit à l’aide d’une cuillère à soupe que l’on fera remonter de la queue vers la tête en maintenant fermement le corps placé à l’intérieur d’un grand sac en matière plastique, soit au moyen de gros morceaux de radis Printemps 2009 | Koreana
Daurade aux nouilles Ingrédients: 1 daurade, 200 grammes de bœuf (poitrine), 100 grammes de bœuf (jarret), 50 grammes de persil japonais, 50 grammes d’armoise, 4 œufs, 5 tripes de roche, 3 grands champignons shiitake, 20 grammes de champignons noirs ou oreille de Judas, 1 piment, 50 grammes de vermicelle, 3 noix, 1 cuillerée à café de pignons, 1 cuillerée à café de sel, 1 cuillerée à soupe de sauce de soja, 1/2 cuillerée à café de poivre, 4 cuillerées à soupe de farine et d’huile végétale - Assaisonnement de la viande : 1 cuillerée à soupe de sauce de soja, 1 cuillerée à café d’ail émincé, 1 cuillerée à café d’huile de sésame, poivre - Ingrédients des boulettes de viande : 30 grammes de viande (jarret), 20 grammes de tofu, 1/3 cuillerée à café de sel, 1 cuillerée à café de poireau émincé, 1/2 cuillerée à café d’ail émincé, 1/2 cuillerée à café d’huile de sésame, poivre
Préparation: 1 Écailler et éviscérer le poisson. Trancher la chair transversalement en lamelles de quatre centimètres de longueur, saler et poivrer, ainsi que la tête et la queue encore attachées à l’arête. 2 Faire cuire la poitrine de bœuf dans huit verres d’eau pour en atténuer le goût, puis couper la viande en lanières et faire mariner celle-ci dans la sauce. Saler le bouillon et relever avec la sauce de soja. 3 Découper le jarret de bœuf en morceaux et le faire mariner de la même manière que la poitrine. Émincer trente grammes de jarret et broyer le tofu. Mélanger la viande et le tofu avec les autres ingrédients et façonner des boulettes de viande d’environ un centimètre de diamètre. 4 Faire tremper les tripes de roche dans de l’eau chaude, retirer la mousse de leur base et émincer. Faire tremper les champignons shiitake et retirer les queues. Séparer chaque lobe des champignons noirs ou oreilles de Judas. Couper le piment rouge en deux et retirer les graines. 5 Séparer le jaune du blanc des deux œufs et saler. Diviser le blanc d’œuf en deux et en faire frire la moitié en une mince couche, puis mélanger les oreilles de Judas avec l’autre moitié et faire aussi frire celle-ci en couches minces, ainsi que le jaune d’œuf. 6 Retirer les feuilles de persil japonais et couper la queue à longueur égale avant de les placer sur les brochettes, puis de les fariner, de les badigeonner avec les œufs restants et de les faire frire des deux côtés. Procéder de même avec les morceaux de poisson et boulettes de bœuf. Faire tremper les noix dans de l’eau chaude et les peler. Étêter les pignons. Découper le jaune et le blanc d’œuf frits, le persil frit, les champignons shiitake et le piment rouge en morceaux de 2,5 centimètres sur 4. 8 Dans une grande casserole, placer le bœuf mariné et cuit, puis la viande crue marinée, les champignons shiitake et les Oreilles de Judas, puis reconstituer une forme de poisson en disposant les morceaux de poisson frits entre la tête et la queue. Décorer avec l’œuf frit et les morceaux de persil, les boulettes de viande, les noix et les pignons. Verser le bouillon et porter à ébulition. Plonger le vermicelle dans l’eau chaude, couper les nouilles et l’armoise en courts tronçons et ajouter dans la casserole après que le bouillon est arrivé à ébullition.
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chinois dans lequel s’inscrusteront ces écailles. Si l’on aime souvent à servir la daurade entière pour tirer parti de son bel aspect, celui-ci ne survivra pas au premier coup de baguette et il est donc préférable d’opter pour un prédécoupage qui facilitera le détachement des portions. Dans la province de Gyeongsangnamdo, la ville de Tongyeong a pour spécialité celle de la daurade à la vapeur, dont l’impressionnante préparation exige de trancher le poisson en deux le long de son arête dorsale puis d’en retirer les viscères, après quoi on fera mariner ces morceaux dans de la sauce de soja préalablement à leur cuisson à la vapeur. S’ensuit alors le retrait des arêtes qui cèdent la place à une farce composée de légumes variés, coquillages et miettes de tofu qui redonneront au corps son volume d’origine, puis l’adjonction de la garniture aux cinq couleurs et un nouvel étuvage précédant la présention aux convives. Outre cette recette de la gastronomie régionale, existe aussi un plat très fin accompagné de nouilles, le « seunggiatang », dont les antécédents royaux le destinent aujourd’hui aux tables de fêtes et dont la recette m’a été enseignée par
Dans sa variante à la vapeur, la préparation s’avère plus simple, mais le résultat n’en est pas moins délicieux et figure parmi les plats les plus prisés de la gastronomie côtière.
Très appréciée pour la riche texture de sa chair, la daurade se prête à de multiples préparations pour figurer en bonne place sur les tables de fête, notamment accompagnée de nouilles, grâce à ses qualités visuelles et gustatives qui en font un plat véritablement royal.
ma défunte mère Hwang Hye-seong (1920-2006), qui fut de son vivant classée trente-huitième bien du patrimoine culturel immatériel en raison de son savoirfaire dans l’art culinaire royal d’époque Joseon et l’avait elle-même acquise de Han Hui-sun (1889-1972), la dernière dame de cour auprès de laquelle elle exerçait dans les cuisines du palais royal.
Un plaisir sans égal Après avoir découpé la daurade en minces tranches que l’on badigeonne d’œuf battu pour les faire rapidement revenir, on place une marinade de viande et champignons au fond d’une casserole, puis on la recouvre de la carcasse frite comportant les arêtes, ainsi que la tête et la queue qui lui sont encore attachées et enfin des tranches de poisson que l’on aura entre-temps fait griller, de manière à reconstituer la forme initiale de celuici. Après avoir parsemé cet ensemble de divers ingrédients, on le mouille au bouillon de viande préalablement à la
cuisson, au cours de laquelle tête et arêtes, en alliant leur saveur particulière à celle du poisson, procureront une exceptionnelle richesse gustative que les mots ne suffisent pas à décrire, car les dames de cour qui conçurent cette recette connue de très peu de Coréens visaient à créer un plat d’une qualité sans pareil à l’intention de leur souverain. Si la chronique royale fait état de la présence de « seunggiak-tang » aux festins donnés par les monarques en 1848, 1877 et 1887, ce mets substituait alors à la daurade le mulet gris, que l’on faisait cuire sur une sorte de réchaud placé à même la table, et c’est en 1901 que la daurade aux nouilles serait apparue lors d’un tel banquet, sous son nom actuel de « seunggiaktang » évoquant un plaisir gustatif bien supérieur à celui de la danse ou du chant et traduisant ainsi la place exceptionnelle qu’il occupe dans la gastronomie. Le traité culinaire intitulé Joseonyorihak (Préparation de la cuisine de Joseon) fut rédigé par Hong Seon-pyo
et édité en l’an 1840 du règne de Seongjong, où la dynastie Joseon vit les tribus mandchoues envahir sa province de Hamgyeong-do et en persécuter la population. Afin d’assurer la défense des villages frontaliers, le roi aurait détaché sur les lieux une armée commandée par le général Heo Jong, lequel, à son arrivée à Uiju avec ses hommes, allait y être chaleureusement accueilli par les habitants et se voir offrir un festin comprenant de la daurade. Comme le militaire, enchanté par la remarquable saveur de ce poisson, souhaitait connaître le nom de sa recette, il lui fut répondu qu’il n’en existait pas, car elle avait été créée exclusivement à son intention, alors souhaitant leur rendre le compliment, il affirma qu’elle lui avait été plus douce que la boisson, le chant ou les évolutions des danseuses et de ces mots allait naître le nom de « seunggiaktang » qui signifie « victoire sur le chant et la danse », une étymologie chargée d’histoire qui fait d’autant mieux apprécier cette préparation. Printemps 2009 | Koreana
reGArd eXtÉrIeur
Réflexion sur le temps qui passe Maryse Bourdin
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I
l est des chiffres qui donnent le vertige. Est-il possible que j’aie déjà passé près de vingt ans ici ? Je fais et refais mes calculs, en m’embrouillant un peu... Voyons : je suis partie, puis revenue. Retranchons trois ans et demi par-ci. Ajoutons-en deux parlà. Et puis, quelle importance ? Après tout ce temps, une seule date m’est restée en mémoire : celle du 25 août 1986. Le jour de mon arrivée en Corée. Cette date, je la célèbre chaque année comme un anniversaire. J’avais tant besoin d’échapper à mon quotidien d’alors, je l’avoue, que je m’engouffrai avec délices dans cette porte qui s’ouvrait sur un inconnu plein de promesses. Comme dans les histoires, j’eus pour cet inconnu un véritable coup de foudre, même si j’ignorais que notre histoire d’amour naissante allait engager ma vie entière. Après une longue lune de miel, notre relation connut quelques orages : la promise avait finalement un nez bien long. Après examen de ma chevelure, quelques audacieux me classèrent parmi les blondes. On me fit passer le test redoutable du hanbok. Mon nom, jugé imprononçable, fut parfois tant revu et corrigé que j’eus souvent du mal à le reconnaître. On tenta donc, sans grand succès, de m’affubler d’un patronyme qui fit couleur locale. Tantôt on s’extasiait de mes premiers balbutiements en coréen, tantôt on me reprochait ma mauvaise prononciation de l’anglais. Malade, je me voyais prescrire des remèdes de cheval, sous prétexte que ma constitution d’Occidentale avait besoin de doses plus fortes. Le traitement échouait-il ? C’était justement la faute de ma constitution différente. Pour qu’un chauffeur de taxi m’emmène à destination, je devais décliner mon âge, mes revenus, ma religion, ma situation de famille. Célibataire ? Il fallait que je songe à me marier au plus vite. Me fixait-on un rendez-vous au quatrième étage ? J’attendais au troisième, mais jusqu’à 17 heures seulement, puisqu’on m’avait promis qu’on arriverait jusqu’à cette heure-là – donc pas après. On se retournait sur mon passage. Sous le
regard bienveillant de leurs parents, les enfants me pointaient du doigt en m’appelant « l’Américaine ». Avec patience et humilité, j’appris à surmonter ces petites épreuves de la vie quotidienne. Après tout, me disais-je, je ne faisais qu’essuyer les plâtres de l’ouverture tardive de la Corée sur le monde. Il était normal que j’explique, que je justifie, que je désamorce les malentendus, que je redresse les a priori... Puisque j’étais venue, moi, de mon plein gré, il fallait que je laisse à la Corée le temps de venir à moi. Il faut dire aussi qu’au fil de ces questions, de ces discussions, de ces explications, je me découvrais pour mon pays natal, sa langue, sa culture, ses us et coutumes, un intérêt totalement insoupçonné jusque-là. Au fur et à mesure, je prenais de plus en plus la mesure de mon identité, et du plaisir que j’avais à faire partager ces révélations à un public avide. Nous riions de nos différences autant que nous nous étonnions de nos ressemblances. En Corée, je devais expliquer comment, à Paris, des gens pouvaient survivre dans des appartements étroits et vétustes dépourvus de climatisation, sans même la possibilité de se distraire le dimanche en allant faire ses courses. De retour en France, je devais à l’inverse tenter – sans grand succès d’ailleurs – de faire comprendre à mes proches ce qui avait bien pu me faire préférer à nos paisibles horizons cette foule pressée et bruyante. Et que diable m’était-il arrivé pour que je livre désormais mes fragiles papilles à des plats qu’on eût dit sortis de la cuisine de Lucifer ? Je m’offusquais de constater qu’aucun journal français n’était capable d’écrire correctement un nom coréen. Et je mettais autant d’énergie à découvrir à Paris un bibimpap à moins de 17 euros que j’en avais dépensé à Séoul pour trouver une baguette capable d’évoquer le goût du pain. Et nous voici, des années plus tard. Bien d’autres ont comme moi peu à peu oublié leur propre condition d’étrangers, et de leur union avec cette terre sont nés des enfants qu’elle ne revendique qu’à moitié, et qui font à leur tour les frais de la nouveauté de leur
condition. Comme on s’étonnait de nos grands yeux, on remarque leur accent. Quand on s’émerveillait de notre connaissance, même rudimentaire, de cette langue, on s’agace des lacunes de leur vocabulaire. Si l’on s’intéressait aux coutumes en vigueur dans nos pays d’origine, on leur reproche de mal connaître les usages locaux. Alors qu’on s’extasiait paradoxalement de voir à quel point nous savions nous fondre dans la masse – « Vous avez tout l’air d’une Coréenne ! » était l’éloge suprême -, on accuse ces moitiés de Coréens d’importer des mœurs et des modes non orthodoxes. Corée, que vas-tu faire de nos enfants ? Y aura-t-il une place pour eux ici ? Si au fil du temps, nous avons, nous, leurs parents, pris la mesure de notre nouvelle identité, sorte de mélange à composition variable de deux sensibilités, qu’adviendra-t-il d’eux, qui sont presque partout perçus comme des Coréens, sauf dans ce pays ? Mais le temps continuera de passer, comme il a passé jusqu’ici : vite, très vite, de plus en plus vite. Si l’on s’inquiète pour nos enfants, il est désormais trop tard pour s’interroger sur notre avenir à nous. D’ailleurs, seuls les liens du passé, de plus en plus ténus, nous retiennent avec le pays où nous avons vu le jour : n’avons-nous pas amèrement constaté, à chacun de nos retours, à quel point notre absence avait été vite comblée ? À quel point – si heureux que nous ayons été de nous replonger, ne fût-ce que temporairement, dans cette atmosphère qui avait bercé notre enfance – nous étions finalement impatients de « rentrer à la maison » ? La maison, m’y voici. La passion des débuts a fait place à une relation plus sage, mais aussi plus solide. Comme un vieux couple, qui se chamaille encore de temps en temps, mais qui, finalement, sait parfaitement qu’il restera uni jusqu’au bout.
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VIe QuotIdIeNNe
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Feu vert pour les femmes dans l’armée Fortes de leur nouvelle assurance et animées d’un enthousiasme débordant, les femmes ont permis à l’armée d’ouvrir un nouveau chapitre de son histoire, qui jusque dans les années quatre-vingt-dix, les cantonnait souvent dans des tâches administratives, tandis qu’elles assurent aujourd’hui les mêmes fonctions que leurs confrères masculins toutes Motorcycle couriers dans providepresque prompt delivery to les armes de l’armée, notamment anywhere in Seoul. Although these services are more l’infanterie de marine. costly than regular mail and express parcel delivery.
Yu Yong Weon Journaliste au Chosun Daily
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P
remières femmes brevetées pilotes d’avions de chasse par l’École de l’Armée de l’Air coréenne, en 2002, les lieutenants Park Ji-yeon, Park Ji-won et Pyeon Bo-ra, que leurs camarades masculins surnomment collectivement le « trio des pilotes féminins », ont tourné une nouvelle page de l’histoire militaire coréenne en subissant avec succès une épreuve des plus sélectives, puisque son taux de réussite est d’un poste pour vingtdeux candidats, grâce aux brillantes notes par lesquelles elles se sont distinguées à chaque séance d’un rigoureux entraînement comportant des vols de nuit dans toutes les conditions atmosphériques, y compris sous la neige, ainsi que le pilotage du T-38 et du T-59, ces avions-école supersoniques de haute technologie, mais aussi en faisant preuve d’exceptionnelles capacités de commandement et de l’excellente condition physique indispensable à leur profession.
Des femmes aux commandes d’un avion de combat En ce 22 novembre 2007 où elle foule la piste de la Vingtième unité aérienne de combat de Seosan, dans la province de Chungcheongnam-do, le lieutenant Ha Jeong-mi s’apprête à faire date dans l’histoire, puisqu’elle sera la première femme à piloter un chasseur à réaction KF-16, cinq ans après avoir accédé au grade de second lieutenant de l’armée de l’air, qui allait lui permettre de voler pendant un an sur un A-37 et par la suite, de passer
l’examen de pilote d’avion-chasseur, puis de se former sur un KF-16. Cet apprentissage allait s’avérer extrêmement ardu, puisque cet appareil peut voler à mach 2, c’est-à-dire une fois et demie plus vite que l’A-37 dont elle avait l’expérience et lors des accélérations ou changements brusques de cap, son corps subissait une prodigieuse pression de neuf g, soit neuf fois la force gravitationnelle normale et elle se souvient des terribles ecchymoses que lui laissaient ces soudaines manœuvres sur les cuisses et les bras en raison des ruptures de vaisseaux capillaires qu’elles provoquaient. Dès sa deuxième année au lycée, Ha Jeong-mi rêvait de prendre les commandes d’un tel avion depuis la campagne d’information qu’avaient effectuée des officiers de l’Armée de l’Air dans son établissement à l’intention des futures recrues de leur École militaire et qui allait éveiller en elle cette envie de voler bien plus attrayante que de monotones études universitaires. C’est après y avoir été admise, en 2001, alors cadette, qu’elle allait se rendre dans la Vingtième unité aérienne de combat où les majestueuses évolutions du KF-16 allaient produire sur elle une impression qui allait motiver sa vocation de pilote de chasse. « J’ai décidé d’être la meilleure pilote de l’Armée de l’ Air et rien ne saurait m’arrêter ! », déclare-t-elle avec enthousiasme. L’Armée de l’Air a devancé les deux autres armes par sa féminisation puisqu’elle allait ouvrir ses écoles aux femmes, dès
1 L’unité de parachutistes du Commandement spécial de guerre de l’Armée de terre compte dans ses rangs une femme, l’adjudant-chef Kang Myung-suk, qui posssède à son actif plus de quatre mille sauts.
2 Voilà déjà longtemps que la Marine coréenne affecte des femmes officiers sur ses bâtiments destinés à des opérations côtières (Photographie : Marine de la République de Corée).
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Seule femme au sein de son unité chargée du déminage, une mission qui, pour un militaire, compte parmi les plus dangereuses qui soient par les graves conséquences qu’elle peut occasionner à la moindre distraction, le sergent-chef Kim Ji-yeong se prépare toujours au départ en se répétant par trois fois qu’elle doit garder son sang-froid.
1997, et diplômer les premières d’entre elles cinq ans plus tard, de sorte qu’en 2007, vingt-quatre diplômées de sexe féminin, sur ses quelques mille neuf cents pilotes, y manient aujourd’hui des hélicoptères, avions de transport et chasseurs à réaction.
Parachutiste dans les forces spéciales L’adjudant-maître Kang Myung-suk appartient à l’Armée de Terre coréenne depuis plus de vingt ans, où elle est habilitée à exercer dans le cadre de son unité d’élite dite du commandement spécial de guerre (CSG), dont le 707ème bataillon de rattachement rassemble les plus brillants éléments. Disposant de quatre mille deux cents sauts en parachute à son actif, Kang Myung-suk se place en deuxième position parmi ses camarades féminines après avoir subi un entraînement intensif au cours duquel elle a effectué jusqu’à dix descentes quotidiennes, cette formation astreignante lui permettant de ravir le deuxième prix des Jeux militaires mondiaux qui, en 1998, ont rassemblé en Croatie des participants venus de quaran-
te-trois pays différents. C’est à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Séoul, en 1988, que la jeune femme allait effectuer son saut le plus mémorable en se posant sur la pelouse du Stade olympique de Jamsil. « Vu du ciel, le stade ressemblait à un cœur immense qui battait au même rythme que le mien », se souvient cette jeune femme, autrefois de constitution frêle et d’un tempérament plutôt réservé, mais, grâce au parachutisme, possédant aujourd’hui un caractère expansif et plein d’assurance, s’apprêtant toujours à relever courageusement de nouveaux défis, avec cette agilité et ce physique râblé qui lui ont valu d’être surnommée « Atom », du nom du personnage de la bande dessinée japonaise Astro Boy .
À l’équipe de déminage Une femme soldat participait pour la première fois, l’année dernière, aux opérations de déminage qui avaient lieu près de Yeoncheon, Cheorwon et Goseong, villes appartenant respectivement aux provinces de Gyeonggi-do et de Gangwon-do, pour les deux dernières, en vue de débar-
rasser de ces dispositifs les zones situées le long de la ligne de démarcation et d’assurer ainsi la sécurité de leurs riverains civils, en la personne du sergent-chef Kim Ji-yeong affecté à la deuxième unité de commandement et de logistique de l’Armée de Terre. Après avoir débuté sa carrière militaire en 2005, c’est deux ans plus tard que la jeune femme aspirera à entrer dans ce corps d’armée où sa promotion ultérieure au grade de sergent-chef lui permettra, aux côtés de quatre femmes, de se voir confier le maniement des dispositifs explosifs jusqu’alors réservé aux hommes et c’est le haut risque inhérent à cette fonction qui exercera un attrait sur celle qui confie aujourd’hui avoir toujours souhaité acquérir une spécialisation dans un domaine que la plupart dédaignent. Aujourd’hui, elle est chargée de procéder en toute sécurité à l’élimination des engins posés dans les champs aux fins de manœuvres militaires, mais qui n’ont pas encore explosé, ainsi que de tous ceux qui subsistent depuis la Guerre de Corée. Pour un militaire, le déminage compte parmi les missions les plus dangereuses qui soient par les graves conséquences qu’il peut occasionner à la moindre distraction et le sergent-chef Kim Ji-yeong se prépare toujours au départ en se répétant par trois fois qu’elle doit garder son sangfroid, comme elle l’a fait des mois de juillet 2007 à mars 2008, lors de la soixantaine d’opérations auxquelles elle a pris part.
Dans l’Infanterie de marine
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C’est en 2006, près de cinquantequatre ans après sa création, que l’Infanterie de marine coréenne, surnommée « l’équipe des tueurs de fantômes » et renommée pour l’âpreté de l’entraînement physique auquel elles soumet ses soldats, allait confier un premier poste de commandement à une femme au sein d’une unité de combat et c’est ainsi que le capitaine Kim Yun-jeon allait en prendre
la tête, au deuxième régiment de sa première division. Dès l’année 2001, la jeune femme s’était distinguée par son accession au rang d’officier de marine et dès lors, allait remarquablement s’acquitter de ses trois rôles de commandant, d’épouse d’officier et de mère d’un bébé de dix-sept mois. Passé la première surprise des camarades de sa compagnie face à cette situation pour eux sans précédent, elle n’allait pas tarder à s’attirer leur respect par son autorité toute en retenue. Exactement comme les autres, elle s’était prêtée à tous les exercices réalisés en mer lors de sa formation, que ce soit sous un soleil de plomb ou par gros temps, démontrant même sa supériorité sur ses compagnons lors des séances d’entraînement au tir, au débarquement amphibie, à l’atterrissage en hélicoptère et aux manœuvres défensives en cas d’attentats chimiques et bactériologiques. Dans cette Infanterie de marine qui n’a jamais dérogé à sa règle pour cette jeune femme, celle-ci n’a à aucun moment bénéficié de quelque traitement de faveur que ce soit, si ce n’est du privilège de disposer à elle seule de toilettes et d’une chambre à coucher séparées, et à la question de savoir pourquoi son choix s’est porté sur cette arme, plutôt que sur l’Armée de Terre ou de l’Air, elle répond tout simplement que c’est parce qu’on y trouve les meilleurs soldats.
Les femmes et l’armée La féminisation de l’armée régulière a débuté, en 1948, par l’intégration de trente-deux femmes officiers diplômées d’écoles militaires et qui, pour ce faire, se devaient d’être célibataires, âgées de dix-huit à vingt-cinq ans et titulaires d’un certificat des collèges, c’est-à-dire des actuels lycées, et subir une épreuve d’aptitude écrite et tous les examens médicaux nécessaires. Au nombre de ces femmes d’exception figurait Kim Hyeonsuk, cette native de Pyeongyang qui allait 2 la première obtenir le grade de lieutenant puis s’élever au rang d’officier, ainsi que le commandant de peloton Kim Jeong-
rye, par la suite parlementaire et ministre de la Santé et des Affaires sociales. Quand éclatera la Guerre de Corée, au mois de juin 1950, se créera trois mois plus tard le Centre d’entraînement des engagées volontaires, qui constituera la première unité militaire exclusivement féminine. L’année 1969 marque l’envoi d’un premier détachement de femmes dans le cadre d’un déploiement aéroporté sans précédent et près de vingt ans plus tard, celles-ci se verront accorder le droit de poursuivre leur carrière après une grossesse, tandis qu’une décennie plus tard, c’est-à-dire en 1997, 1998 et 1999, les écoles militaires de l’Armée de l’air, de l’Armée de Terre et de la Marine leur ouvriront leurs portes. Dans la foulée des premières affectations de femmes pilotes auxquelles procédera la première, dès 2002, la deuxième verra la même année sortir sa première promotion d’officiers de sexe féminin qui rejoindront, en tant que commandants de peloton, les unités d’artillerie situées sur la zone frontière, puis en 2003, ce sera au tour des premières femmes marins de monter à bord des bâtiments de guerre et de mettre ainsi fin à l’exclusivité qu’en avaient jusqu’alors toujours eu les hommes. À l’École de l’Armée de l’Air, la cadette Hwang Eun-jeong est passée à la postérité par la première place qu’elle y a occupé, tant à l’entrée qu’à la sortie, au sein de sa promotion.
Une concurrence acharnée L’École des femmes soldats, qui avait succédé au Centre d’entraînement des engagées volontaires, fêtait en novembre 2002 ses cinquante-deux années d’existence, et allait recevoir le renfort de l’Agence pour le soutien aux femmes soldats rattachée au Ministre de la défense nationale, qui par cette création participant du développement d’un réseau de soutien, avait souhaité récompenser l’institution militaire du recrutement d’un nombre croissant de femmes dans ses rangs et du rôle toujours plus grand
1 En devenant la première femme à piloter le chasseur supersonique KF-16, le lieutenant de l’Armée de l’air Ha Jeong-mi allait, grâce à la possibilité sans précédent qui lui en a été donnée, réaliser son rêve le plus cher (Photographie : Ministère de la Défense nationale).
2 Dans le cadre de manœuvres organisées par le Commandement de la Défense de la Capitale, les femmes de ce commando se voient ordonner de sauter rapidement d’une hauteur de onze mètres.
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qui leur y est accordé. En plus d’un demisiècle, cet établissement a d’ores et déjà formé plus de mille cinq cents officiers et six mille sous-officiers de sexe féminin. Depuis quelques années, ces écoles se font toujours plus concurrentielles pour les candidates qui s’y présentent, puisqu’à celle de la Marine seulement sont admises une candidate sur quarante, la lutte étant plus âpre encore dans les établissements de Terre et de l’Air, où le taux est inférieur à celui des hommes, un rapport publié en novembre 2008 révélant en outre que les femmes représentaient cette année-là un tiers des sous-officiers diplômés de l’École des sous-officiers de l’Armée de Terre. Au mois d’août 2008, le nombre de femmes faisant carrière dans l’armée coréenne s’élevait à 4 910, dont 2 618 officiers et 2 292 sous-officiers, mais à l’exclusion de soldats de deuxième classe. Ce chiffre se décomposait par armes, en 2 067 officiers et 1 563 sous-officiers pour l’Armée de Terre, 252 officiers et 224 sous-officiers pour la Marine et enfin, 299 officiers et 505 sous-officiers pour l’Armée de l’Air. Dans la première d’entre elles, la proportion d’ensemble de cet effectif féminin, qui est de 2,7%, s’avère toutefois plutôt plus faible par rapport à celle de pays comme les États-Unis (14,6 %), la Russie (8,5%), le Japon (4,6%) ou la Chine (3,6%), et à partir de ce constat, le ministère de la Défense nationale entend porter le taux
de femmes officiers à 5,6% d’ici à environ 2020, dans le cadre du projet 2020 de réforme des armées, les chiffres relatifs aux femmes officiers et sous-officiers devant quant à eux respectivement passer de 3,9% et 2,1% à 7 et 5%. Dans cette même arme, le plus haut gradé féminin est un brigadier-général, une femme général étant affectée, tous les deux ans, au poste de directrice de l’École d’infirmières des trois armes. Enfin, les femmes officiers supérieurs comptaient, au mois de juillet 2008, un brigadier-général, huit colonels, soixante lieutenant-colonels et deux cents douze commandants.
Les défis à relever En 2007, une enquête réalisée sur le site internet Women Net (www.womennet.net) du ministère de l’Égalité des sexes et de la famille apportait des informations tout à fait intéressantes sur l’opinion que se font les femmes de la carrière militaire, puisque 52,3% des jeunes femmes interrogées ont affirmé l’envisager comme une nouvelle possibilité qui s’offrait à elles ou qu’elles étaient prêtes à tenter. Par ailleurs, une remarquable étude qui, sous le titre « Analyse des indices de compétence par sexe », a été réalisée sous les auspices du Programme des Nations Unies pour le développement, et a rendu publique une évaluation des aptitudes des Coréennes dans le civil, situe ce niveau au soixante-
troisième rang mondial, alors que celui des femmes militaires s’apparente à celui des pays avancés. Du fait d’une importante diversification de leurs affectations, les femmes servant dans l’armée coréenne bénéficient d’un statut assez proche de celui des grandes puissances de ce monde, comme les États-Unis ou les pays de l’Union européenne, les premiers ne nommant en fait pas de femmes à des postes de commandement militaire et le Royaume-Uni réservant aux hommes les missions au front. Quant à l’attrait croissant qu’exerce l’armée sur les jeunes femmes, il résulte principalement des mutations récentes de l’environnement militaire, dont la plupart des personnes interrogées soulignent la plus grande ouverture et les possibilités d’évolution et de promotion en son sein, évoquant notamment celle d’y acquérir différentes qualifications telles que l’acquisition d’une ceinture noire de taekwondo ou d’un certificat de recherche sur internet que peu d’hommes obtiennent lors de leur séjour dans l’armée. « La carrière militaire présente un certain nombre d’avantages pour les jeunes femmes actives, car elles peuvent en tirer de grandes satisfactions professionnelles dans la mesure où elles ont moins à souffrir de la discrimination fondée sur le sexe que dans beaucoup d’autres milieux de travail », estime un officier du Ministère de la défense.
Les cadettes font un élégant salut lors de la cérémonie de nomination à l’École d’infirmières de l’Armée coréenne de Daejeon.
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Aperçu de la littérature coréenne
© Park Jae-hong
JO Kyung Ran
À travers son œuvre maintes fois récompensée par des distinctions, l’écrivain JO Kyung Ran, qui atteint aujourd’hui sa quarantième année, scrute l’âme de ses contemporains condamnés à l’ errance, car dépourvus de toute emprise sur le réel. Par-delà les frontières nationales, elle a su s’attirer une large audience en présentant ses écrits lors de séances de lecture organisées aux États-Unis, en Allemagne et en France de sorte qu’en 2007, elle allait signer avec de grandes maisons d’édition américaines et européennes plusieurs contrats portant sur son dernier roman intitulé La langue . Dans la nouvelle J’avais acheté des ballons , elle exprime, en optant pour une énonciation directe par la voix de sa protagoniste, l’idée que le sentiment d’angoisse étant inhérent à sa vie, l’homme doit s’accoutumer à sa présence et savoir en tirer parti pour se sentir galvanisé.
CrItIQue
JO Kyung Ran À la recherche des possibilités d’une nouvelle vie Cha Mi-ryeong critique littéraire
C
onnaissez-vous le vocable « oktap bang », ce néologisme signifiant « chambre sur le toit » car il désigne l’anachronique assemblage de ces deux lieux sous forme d’une minuscule pièce construite en surélévation avec des moyens de fortune. À la fois constitutive de l’habitation et située hors d’elle, elle fournit un hébergement éphémère aux jeunes citadins trop désargentés pour s’offrir un logis digne de ce nom, mais désireux de disposer de leur propre lieu de vie, de sorte que le terme évoque à lui seul une image de pauvreté, de volonté d’indépendance et de précarité qui caractérise leur existence. C’est l’un de ces réduits que JO Kyung Ran a occupé à Séoul, près de vingt années durant, dans le quartier de Bongcheon-dong où son père exerçait le métier de charpentier, au temps où naissaient les premières œuvres de sa création littéraire et, à la lecture des romans et nouvelles qui la composent, on imagine tout à fait l’auteur lisant et écrivant inlassablement dans la solitude de cette pièce exiguë. La remise de plusieurs prix littéraires coréens, dont ceux des auteurs décerné par l’éditeur Munhak Dongne (1996), du jeune artiste d’aujourd’hui (2002) et de littérature Hyundae (2003) et Dongin (2008), viendra asseoir la renommée de cet écrivain qui scrute l’âme de ses contemporains condamnés à l’ errance, car dépourvus de toute emprise sur le réel avec l’élégance de la souffrance muette qui ne perd jamais tout espoir et n’a de cesse de découvrir comment vivre dans la dignité en toute circonstance. Conçue dans le même esprit, la nouvelle « J’avais acheté des ballons », qui appartient au recueil éponyme publié l’année passée, dépeint une jeune femme de trente-sept ans venant à peine de rentrer d’un séjour d’études de dix ans à Heidelberg, mais que n’attendent à son retour au pays ni la réussite universitaire, ni la sécurité de l’emploi, pas plus que l’affection de sa famille, mais un sentiment de malaise résultant de cette longue absence au terme de laquelle elle ne reconnaît plus Séoul, de même que l’épais brouillard qui semble entourer ses perspectives d’avenir, et l’achat du luxueux sac à main de marque française qui fait fureur chez ses jeunes compatriotes révèle à la fois son sentiment de désarroi dans la ville et son manque total de confiance en elle-même, alors quelles issues à cette crise s’offrent-elles à elle ? Parmi les deux personnages masculins qui font irruption dans le récit, figure tout d’abord, sous forme de réminiscences, celui de Thomas, ce médecin et ami rencontré en Allemagne qui l’a aidée à surmonter ses crises de panique en lui prescrivant, en guise de thérapie, de gonfler des ballons de baudruche, mais qui, en dépit de toutes ses attentions et de l’aide précieuse qu’il lui apporte, n’envisage pas pour autant son avenir avec optimisme, comme en atteste ce dernier message empreint d’amertume, adressé avant son départ pour Séoul, dans lequel il la juge condamnée « éternellement à une vie de solitude » en raison de son incapacité à communiquer. Vient ensuite celui dont elle fait la connaissance à Séoul alors qu’elle enseigne au centre culturel d’un grand magasin, le jeune J. qui est aujourd’hui son élève après avoir joué dans l’équipe nationale de handball. Sentant naître une attirance réciproque, ils décident d’une première sortie, mais la jeune femme
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découvrira bien vite que, malgré son apparence joviale, son partenaire est sujet à de graves troubles provoqués par l’angoisse et alors qu’il approche de ses vingt-huit ans, l’âge auquel son père s’est donné la mort, un nouvel épisode de panique annihile ses forces au point que l’issue de la crise semble incertaine. L’auteur centre ici son œuvre sur l’étude de l’angoisse et de la peur qui menacent de plonger ses contemporains dans un gouffre, mais peut-être ces sentiments contre lesquels luttent à grand peine les deux amis ne se limitent-ils pas aux malades atteints de ce trouble. Optant pour l’énonciation par le biais de sa protagoniste, JO Kyung Ran affirme par sa voix qu’il est impératif de les combattre dès lors qu’ils restreignent l’existence et y enferment les sujets, tout en soulignant les bienfaits qu’ils peuvent aussi en retirer, à savoir que s’ils sont inévitables, la capacité que l’on peut acquérir de s’y accoutumer peut même permettre de se sentir galvanisé par eux, car il faut accepter peines et souffrances, voire les faire siens, en tant qu’éléments constitutifs de la vie. Cette nouvelle traite du combat que mène une femme pour sortir de l’isolement qu’elle s’est ellemême créé et changer résolument le cours de sa vie, mais aussi des efforts qu’elle consent pour trouver le bonheur auprès de J., un objectif jugé impossible par Thomas, mais si l’un et l’autre ne parviendront peut-être jamais à chasser définitivement l’angoisse de leur existence, tout au moins auront-ils appris à y faire face tout en acceptant qu’elle fasse des aspects négatifs de celle-ci, qui n’apparaît que plus belle encore du fait de l’imperfection des hommes, une révélation qui laisse peut-être entrevoir la possibilité de l’amour, comme l’évoque ce passage : « par le truchement de la philosophie, j’étais prête à assumer mes propres faiblesses, pour préserver ce à quoi je tenais par-dessus tout ». « Au loin dans le ciel, volaient encore les ballons... « J., pour surmonter sa peur, il ne faut pas regarder en arrière, mais aller toujours de l’avant, ce qui exige peut-être quelque changement... », avais-je suggéré, puis, imaginant la vie à l’image de ces formes bombées par l’air, à supposer qu’elle possédât un quelconque sens ayant jusque là échappé aux hommes, je m’étais haussée un soupçon sur la pointe des pieds afin que mon front lui arrivât à hauteur du menton. » Dans cette scène finale des retrouvailles après une longue séparation, les deux personnages lâchent ces ballons dont ils ont fait usage pour soigner leurs troubles et qui prennent leur envol, comme porteurs d’un message d’espoir, ces globes dont la forme symbolise l’acharnement à vivre : « imaginant la vie à l’image de ces formes bombées par l’air, à supposer qu’elle possédât un quelconque sens ayant jusque là échappé aux hommes » et les deux sphères qui s’élèvent dans le ciel font transparaître la possibilité d’une nouvelle vie au terme d’une longue période de désespoir et d’errances pour cette jeune femme qui s’envole à son tour, libérée du nœud qui enserrait son âme.
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Publications de la Fondation de Corée Abonnement et achat de numéros
Koreana
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Revue trimestrielle créée en 1987, « Koreana » a pour vocation de contribuer à une meilleure connaissance du patrimoine culturel coréen par la diffusion d’informations à caractère artistique et culturel. Au thème spécial dont traite chaque numéro en profondeur et sous différents angles, s’ajoute une présentation d’artisans traditionnels, d’aspects de la vie quotidienne et de sites naturels, ainsi que de nombreux autres sujets. Tarif des abonnements (frais d’envoi par avion compris) 1 an 2 ans 3 ans Corée 18 000 wons 36 000 wons 54 000 wons Japon, Hong-Kong, Taı¨an, Chine 33$US 60$US 81$US Autres 37$US 68$US 93$US (Numéros précédents disponibles au prix unitaire de 7$US, plus frais d’affranchissement par avion.)
Korea Focus
Webzine mensuel (www.koreafocus.or.kr) et revue trimestrielle, « Korea Focus » offre des analyses politiques, économiques, sociologiques et culturelles relatives à la Corée et complétées de questions internationales connexes. Créée en 1993, elle apporte ces informations essentielles selon un point de vue objectif tout en cherchant à favoriser une meilleure compréhension de la Corée sur la scène internationale et l’essor des études coréennes dans les établissements universitaires étrangers à travers une sélection d’articles extraits des principaux quotidiens, magazines d’actualité et revues scientifiques. Tarif des abonnements (frais d’envoi par avion compris) 1 an 2 ans 3 ans Corée 18 000 wons 36 000 wons 54 000 wons Japon, Hong-Kong, Taı¨an, Chine 28$US 52$US 71$US Autres 32$US 60$US 81$US (Numéros précédents disponibles au prix unitaire de 5$US, plus frais d’affranchissement par avion.)
Korean Cultural Heritage
Il s’agit d’un recueil d’articles et photographies issus des précédents numéros de « Koreana » sous forme de quatre tomes bien distincts. Ceux-ci fournissent une présentation complète et systématique de la culture coréenne par des études fouillées et une photographie en couleur de haute qualité. (Tome I Beaux-arts, Tome II Pensée et religion, Tome III Arts du spectacle, Tome IV Modes de vie traditionnels) Prix du tome : 40$US (frais d'envoi non compris).
Fragrance of Korea
Rédigé en langue anglaise et abondamment illustré, le catalogue « Fragrance of Korea : The Ancient GiltBronze Incense Burner of Baekje » est consacré à l’Encensoir en bronze doré de Baekje, un chef-d’œuvre ancien classé Trésor national coréen n° 287 et admiré pour sa délicate beauté qui témoigne d’un savoir-faire accompli dans le travail des métaux tel qu’il fut pratiqué en Extrême-Orient. Cet ouvrage de 110 pages illustrées de photographies et dessins comporte trois essais intitulés : « Signification historique de l’Encensoir en bronze doré de Baekje », « Dynamiques culturelles et diversité : du Boshanlu taoïste à l’encensoir bouddhique de Baekje » et « Le site du temple bouddhique de Neungsan-ri à Buyeo ». Prix du tome : 25$US (frais d'envoi non compris).