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Ghassam Salamé

OBJECTIF BURUNDI

Le chef de l’État lors de son investiture, à Gitega, le 18 juin 2020.

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POLITIQUE Présidence sous surveillance

Un an après son accession à la tête de l’État, Évariste Ndayishimiye afche une volonté d’ouverture diplomatique et économique pour sortir le pays de l’ornière. Mais l’aile radicale du parti au pouvoir ne l’entend pas de cette oreille.

OLIVIER CASLIN, ENVOYÉ SPÉCIAL

Le 18 juin 2020, Évariste Ndayishimiye a officiellement été investi président de la République du Burundi. C’était tout sauf une surprise.«Ilétaitdifficiled’imaginerque le prochain chef de l’État puisse être d’un autre parti que le CNDD-FDD [Conseil national pour la défense de la démocratie-Force de défense de la démocratie, aupouvoir depuis 2005], qu’il remporte ou non l’élection », estime un diplomate.

Ce n’est pas Agathon Rwasa, le leader du Congrès national pour la liberté (CNL), qui dira le contraire. Arrivé deuxième à la présidentielle du 20 mai 2020, l’opposant continue, un an plus tard, de revendiquer une victoire qu’un certain nombre d’observateurs burundais et étrangers semblentprêtsàluiaccorder,mêmeà demi-mot. Dès le 4 juin 2020, la Cour constitutionnelle a mis un terme aux contestations, en validant la victoire du CNDD-FDD, plus tout-puissant que jamais après avoir également remporté les élections législatives et communales, organisées le même jour que la présidentielle.

Plus étonnant peut-être, le nom de l’heureux élu, pourtant annoncé depuis janvier 2020 par la direction du CNDD-FDD. En effet, Évariste Ndayishimiye n’était alors qu’un général parmi d’autres au Burundi et sa nomination à la candidature entérinait surtout la décision bien plus surprenante, prise dès 2018 par le président Pierre Nkurunziza, de ne pas se représenter à un quatrième mandat. « Le parti était alors toujours profondémentfracturéparlesévénementsde2015.Lechefdel’Étatn’était pas certain de disposer des soutiens suffisantspourunenouvellecandidature », explique un journaliste local.

Selon d’autres sources, certains caciques du CNDD-FDD lui auraient même clairement signifié qu’il devait passer la main. Il accepte, mais veut voir Pascal Nyabenda, alors président de l’Assemblée nationale, lui succéder. Refus des « généraux » qui contrôlent le parti. « Pour eux, l’héritier devait forcément être passé par le maquis », poursuit le journaliste burundais. Pourtant, soutenu cette foisencoreparsesplusprocheslieutenants, Alain-Guillaume Bunyoni et GervaisNdirakobuca,alorstousdeux aux commandes de l’appareil sécuritaire burundais, Pierre Nkurunziza lâche son favori. Exit le civil Pascal Nyabenda, place au major général Évariste Ndayishimiye, alias Neva.

Militarisation express

En plus de présenter des états de services qui rassurent les dignitaires d’un parti lui-même en voie de militarisation express, il est le seul officier supérieur à avoir démissionné de l’armée – en 2016, pour devenir secrétaire général du CNDD-FDD –, comme l’exige le code électoral du pays. Disponible donc, et ne faisant l’objet d’aucune sanction internationale, contrairement à certains de ses pairs, Évariste Ndayishimiye se retrouveaudébutde2020,à51ans,en première ligne pour représenter aux mieux les intérêts de la petite caste à laquelleilappartient,maisdontilasu se démarquer à l’occasion.

« Pas tout à fait comme les autres », insiste Évariste Ngoyagoye, l’ancien archevêque de Bujumbura, qui, depuis les années 2000, a plusieurs fois eu l’occasion de côtoyer ce catholique très pratiquant avant qu’il devienne président. Neva était l’agent de liaison de la rébellion avec l’Église, avant que les deux hommes ne se retrouvent dans le cadre des négociations de paix qui ont précédé les élections de 2005. Car Évariste Ndayishimiye, qui a fui l’université pour rejoindre les rebelles hutu des FDD dès le milieu des années 1990, se fait suffisamment remarquer lors des opérationsmenéessurleterrainpour gravir un à un les échelons du mouvement. À la tête d’une compagnie de combat, il s’affiche « comme le moins brutal et le moins cupide des commandants », affirme un ancien vétéran. Promu un peu plus tard chef del’instancedisciplinaireinterneàla rébellion, il devient l’un des visages les plus présentables des FDD, puis de leur branche politique créée en 2003, le CNDD-FDD, qu’il représente notammentauseindelacommission de suivi des accords d’Arusha signés en 2000 par les différentes factions burundaises.

Aussi à l’aise en uniforme qu’en costume-cravate, il entre dans le premier gouvernement CNDD-FDD, à la tête du portefeuille de l’Intérieur et de la Sécurité publique (2006-2007). Il devient ensuite chef du cabinet militaire de la présidence, puis, à partir de 2015, du cabinet civil. Évariste Ndayishimiyefaitpartiedesquelques généraux qui, pendant plus d’une dizaine d’années, gravitent autour de Pierre Nkurunziza. Sans être le plus influent ni le plus intrigant d’entre eux, il contribue néanmoins, comme les autres, à mettre en place un véritable système CNDD-FDD sur l’ensemble du territoire.

C’est d’ailleurs à ce fidèle parmi les fidèles que le président confie la reprise en main musclée du parti au lendemain de la fronde de 2015, durant laquelle un certain nombre de hauts responsables s’opposent au troisième mandat présidentiel. Pas lui. « C’est la première chose à savoir sur Évariste : il suit et respecte toujours le chef, quel qu’il soit », témoigne un ancien responsable du CNDD-FDD.Maintenantqu’iloccupe lui-même la fonction suprême, sans avoir à rester dans l’ombre tutélaire de son prédécesseur, disparu prématurément quelques jours seulement avant son investiture, Évariste

Il a encore six ans pour regagner la confiance de la communauté internationale, qui n’attend que cela.

Économie

La transition vers l’eco aura un impact tant sur les grands équilibres économiques que sur les transactions du quotidien.

KO ULA/EP A/MAXPPP LEGNAN La galaxie dorée de Naguib Sawiris Banque et développement CDC Group persiste et signe en Afrique Interview Nicolas Terraz, patron Afrique subsaharienne de TotalEnergies Banque Georges Wega, premier de cordée au sein de Société générale Start-up Un quintuplé gagnant de la healthtech

MONNAIE Franc CFA, le flou d’après

Banquiers, économistes, gestionnaires de fonds… Les financiers de la zone Uemoa font face à la révolution monétaire en cours avec plus ou moins d’appréhension.

ALAIN FAUJAS

Après un nouveau report du lancement de la monnaie unique de la Cedeao, qui devait voir le jour en 2020, la date putative de la transition est fixée à 2027 par les quinze chefs d’État et de gouvernement concernés. Est-ce que cette fois sera la bonne? Le doute est légitime, car le délai pour créer l’eco est très court. Les huit pays membres de l’Uemoa tardent à ratifier l’abandon de l’anachronique franc CFA. Le Nigeria boude cette démarche des pays francophones.Onvoitpeud’amélioration de la convergence entre les États candidats à l’union monétaire. Le cours de l’eco sera-t-il fixe ou flexible? Sa Banque centrale sera-t-elle vraiment indépendante?

Les acteurs économiques sont nombreuxàsepréoccuperduflouqui entourecette révolutionmonétaireet l’expriment dans un éventail d’analyses qui va de l’optimisme à l’inquiétude la plus vive. Représentants de ces deux extrêmes : Jean-Luc Konan, directeur général de Cofina (spécialiste de la mésofinance), et Luc Rigouzzo, cofondateur de la société de capital-investissement Amethis. L’Ivoirien Jean-Luc Konan constate cette inquiétude chez ses partenaires qui sont habitués à la sécurité du franc CFA, mais il ne la partage pas. « J’ai travaillé au Ghana et j’ai constaté que le change flexible était parfaitement gérable, rappelle-t-il. Il nous force à anticiper les gains et les risques de nos opérations, à renforcer nos compétences en matière de gestion du risque de change. Nous quittons d’ailleurs le confort de l’arrimage à l’euro à chaque fois que nous faisons des transactions en dehors de la zone, notamment avec la Chine ou les États-Unis. Les techniques de change ne bougeront pas. »

Pas de changement majeur donc, mais des précautions à prendre. « Entre le moment de la commande d’un bien à l’étranger et celui de sa

Dossier Agroalimentaire

Cosumar, le géant marocain, a réalisé un tiers de ses ventes de sucre hors du royaume, en 2020, essentiellement sur le continent.

STRATÉGIE Les sucriers repassent à l’ofensive

Au sud du Sahara, où l’on importe la moitié de la consommation de sucre, une poignée d’industriels, le français Somdiaa en tête, veulent relancer la production locale.

Produit de baseessentiel, ingrédient clé de l’industrie desboissons, objet de réglementations du marché plus ou moins efficaces, l’or blanc se rappelle au bonsouvenir desconsommateursetdes dirigeantsafricains. Et pour cause. «Après une longue phasedeprix bas, on retrouve descoursmondiauxau plus haut depuis trois ans en raison notammentd’une récoltemoyenne au Brésil, pays qui domine de très loin le commerce mondial », souligneTimothéeMasson, économiste et secrétairegénéral de l’Association mondialedes planteursdebetterave et de canne àsucre.

Àlafin de juin, le prix mondial s’affichait à0,38dollar le kilo,soit un bond de 54 %enunan, selon les données moyennes trimestrielles de la Banque mondiale.Dequoi creuser le besoin de devises dansles pays très dépendantsdesimportationset,pour lespaysproducteursducontinent, trouver uneraisonsupplémentaire de relancer ce secteur,par ailleurs pourvoyeur d’emplois.

S’afranchir des importations

Des industrielsqui musclent la stratégie d’indépendance sucrière ivoirienne,leprésident sénégalais Macky Sallqui exige une meilleure maîtrise du marché intérieur face àune Compagnie sucrière sénégalaise(CSS) fragilisée, le Gabon, la Tanzanie,oumême le Tchad, qui affichent desprojetsd’investissements… Depuis un an,lesecteur du sucreest doncl’objet de toutes lesattentions.D’autant que la crise liéeau Covid-19 aremis àla mode le thèmedelasouverainetéalimentaire. La Tanzanie,avecIllovo Sugar –de loin le leader en Afrique avec environ 1,7milliondetonnes produites –, est le premier pays du continent àêtre passéàl’offensive. Basé en Afrique du Sud et actif dans cinq autres pays (dont le Malawi et la Zambie), ce groupe, contrôlé par le britannique ABF,alancé àlami-mai avec l’État tanzanien, actionnaireà25%, un plan majeur d’expansion de sa filiale Kilombero. Le projet d’usine, maintes foispromis, semble,cette fois,bien engagé :ABF l’aconfirmé à JA.Pour construire l’usine,legroupe doit investir 238,5millions de dollarspour une capacitéde144 000 t et ambitionne la contractualisation de 7000 planteursdecanne supplémentaires pour l’approvisionner. ObjectifdelaprésidentedeTanzanie, Samia Suluhu Hassan: l’indépendancesucrièredupays(où trois autresacteursexistent) d’ici à2025 en révisant au passage le régime des importations.

La même approche prévaut en Côte d’Ivoire, où lesindustriels en place,Sucrivoire(Sifca) et Sucaf-CI (Somdiaa), ont conclu un contrat de plan avec le gouvernementle1er mai (lireencadrépagesuivante). Objectif : accroîtrelaproduction et s’affranchir desimportations. Pour cela,dansce pays qui produit autour de 200000 t paran, soit un taux d’autosuffisance d’environ 80 %, le gouvernement apromisdemaintenir une stricte limitation desimportations, et les industriels, eux,sesontengagés,à parité, àinvestir 230millions d’eurosencinq ans. Benoît Coquelet, directeur général déléguédugroupe Somdiaa, de loin le principal groupe sucrierenzone francophone (près de 400 000 t), s’inscrit pleinement dans ce plan gouvernemental. «Nous allonspoursuivreles efforts pour moderniser nosdeuxusines de Ferkessédougou (danslenord du pays), mieux mettreenvaleur lesterres agricoles, développer les infrastructures ou encorelaproductiond’énergie,notammentàpartirde la bagasse,car lessucreriessont

On retrouvedes prix mondiaux au plushaut depuis trois ans en raison notamment d’une récolte moyenne au Brésil.

DES COURS DOPÉS PARLA CRISE

(cours du sucre roux àNew York, en cents/livre)

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Février 2020 Juillet 2021 5

La Compagnie sucrière sénégalaise (CSS), àRichard Toll.

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