L'Afrique à l'apogée de la colonisation (1914-1939)

Page 1

Les sociétés coloniales : Afrique, Antilles, Asie (années 1850 – années 1950) L’Afrique à l’apogée de la colonisation 1914-1939

Introduction 1914 : Conquête / prise de possession récentes ; pacification pas encore achevée. 1919 : Le règlement de la paix (traité de Versailles) ajoute un nouveau chapitre au partage colonial avec la mise en place du système des mandats. Les colonisateurs font appel à l’Afrique et associent ses habitants à une guerre entre Européens dont les effets contribuent indirectement - à renforcer la mainmise étrangère et a contrario - à lui retirer sa légitimité

I. Les colonies africaines dans la 1ère guerre mondiale II. L’administration des colonies africaines

1


I. Les colonies africaines dans la 1ère guerre mondiale A — Les colonies enjeu de la lutte entre puissances européennes 1°) Les colonies africaines intégrées à la guerre Au moment où éclate le conflit, les belligérants ne semblent pas prêts à faire des colonies un lieu de combats. Ce constat vaut particulièrement pour l’Afrique, en dépit des sourdes tensions qui l’ont affectées depuis la fin du XIXe. Pourtant… En août 1914, le continent africain est vite intégré à la guerre, devenant rapidement un enjeu de la lutte entre puissances européennes. En fait, le maintien de l’Afrique hors de la guerre apparaît bien illusoire compte tenu des raisons qui poussent les forces en présence à se heurter : les alliés espérent mettre la main sur le Togo (« colonie modèle » du Reich) ; l’Afrique du Sud souhaite monnayer son engagement contre le Sud-Ouest africain auprès des Britanniques ; la France a une revanche à prendre depuis « le coup d’Agadir » ; côté allemand enfin, le rêve d’une Mittelafrika, qui viendrait parachever la puissance de l’Empire est toujours vivant et pousse à de nouvelles conquêtes. C’est enfin sur le continent noir que les frontières entre les belligérants de 1914 sont les plus étendues.

2°) Les colonies africaines en guerre - Les combats Même si les opérations militaires dans les colonies ont été réduites, elles n’en ont pas moins affecté le domaine colonial, devenu enjeu du conflit. L’Afrique = le continent hors Europe le + affecté par les combats. Là, les affrontements sont précoces et reposent sur une entente entre alliés (sur le partage des dépouilles alldes). Les attaques menées par les colonnes armées françaises et britanniques surprennent les Allemands qui comptaient sur une victoire rapide en Europe pour diriger — ensuite seulement — leurs troupes vers la Mittelafrika. - En Afrique occidentale, le Togo est attaqué dès le 5 août et capitule le 26. - Au Cameroun, où les forces allemandes sont plus importantes, les combats durent 19 mois jusqu’à la fin de décembre 1915. Dans les deux cas, les territoires sont partagés entre la France et la Grande-Bretagne en attendant la paix. - Dans le Sud-Ouest africain, la campagne est conduite par les forces de l’Union sud-africaine (généraux Smutts et Botha) qui obtiennent la capitulation allemande le 9 juillet 1915. - En Afrique orientale allemande, les combats sont plus longs. La guerilla conduite par von Lettow Vorbeck tient les alliés (Britanniques, Belges et Sud-Africains) en échec jusqu’à la fin de 1917.

- L’Afrique intégrée à la formulation des buts de guerre Un certain nombre d’objectifs coloniaux figurent au nombre des buts de guerre que les différents belligérants sont amenés à préciser dans le cours du conflit : En Allemagne, extension continentale et coloniale sont considérées comme indissociables. Le projet colonial se déploie en direction de la Mittelafrika et du Moyen-Orient tandis que le lobby marocain souhaite remettre en cause l’accord de 1911. Chez les alliés, la conquête de l’Afrique occidentale allemande attise les ambitions coloniales. Les colonies allemandes, une fois conquises, sont partagées (Togo, Cameroun) et leur rétrocession à l’Allemagne après la fin des hostilités est clairement exclue.

- Au lendemain du conflit : le partage des dépouilles de l’Allemagne L’Allemagne, condamnée moralement, est dépossédée de toutes ses possessions coloniales, lesquelles sont redistribuées sous forme de mandats (pour l’Afrique, voir carte 3, fascicule II). Le système, entériné par le traité de Versailles (articles 22 et 23 du Pacte de la Société des Nations), permet d’assurer l’administration d’un territoire sous l’autorité d’un pays européen. La puissance tutélaire agit comme déléguée de la SDN à laquelle elle rend compte de son administration et le mandat doit déboucher sur l’indépendance. Dans les faits cette perspective n’est envisageable que pour les mandats de type A. Pour les mandats de type B et C il y a quasi annexion. 2


Le Royaume-Uni reçoit une petite partie du Cameroun et du Togo ainsi que l’Afrique orientale allemande (Tanganyika). De ce fait les possessions anglaises d’Afrique se trouvent réunies. Les dominions, anciennes colonies anglaises, deviennent à leur tour des foyers de colonisation : à l’Afrique du Sud échoit le Sud-Ouest africain, à l’Australie la Nouvelle-Guinée et les iles allemandes voisines, à la Nouvelle-Zélande les îles Samoa. La France de son côté reçoit une partie du Togo et l’essentiel du Cameroun Avec l'inscription du conflit dans la durée, les empires représentant d’importantes réserves en hommes et en matières premières, vitales dans le cadre d’une « guerre totale ».

C — Les colonies d’Afrique outil de la victoire alliée La contribution militaire à la victoire alliée Les colonies françaises et anglaises fournirent aux deux grandes puissances coloniales alliées des renforts militaires importants. Le recours aux troupes coloniales est antérieur au conflit, mais le recrutement restait limité par le système du volontariat et la répugnance des métropoles à employer ces effectifs hors des territoires coloniaux. Qu’il s’agisse de la France, de l’Angleterre ou de l’Allemagne, les troupes indigènes sont perçues comme des instruments de conquête et de maintien de l’ordre local mais ne sauraient jouer un rôle dans la défense du territoire métropolitain. Pourtant, en France, le colonel Mangin publie en 1910 La force noire, dans lequel il préconise la levée annuelle de 10 000 hommes pour former une armée régulière — la « force noire » — à même de renforcer le potentiel militaire français. L’idée séduit en métropole et donne lieu à un début de réalisation dès 1912 en AOF. Mais il s’agit là d’un cas isolé. Pendant la guerre le recrutement s’est accentué progressivement. Il est d’abord rendu difficile par la désorganisation de l’administration coloniale du fait de la mobilisation. Dans le cas britannique on note de surcroît une réelle réticence à utiliser le potentiel humain des colonies africaines : ce n’est qu’en 1916 qu’une armée d’Afrique de l’Est est mise sur pied. C’est dans les deux dernières années de la guerre que l’apport colonial est le plus marqué pour les alliés.. Partout on a d’abord recours au volontariat puis à diverses mesures incitatives : avantages financiers pour les familles en AOF ; promesses d’une évolution du statut des colonisés (cf. le rôle du député du Sénégal Blaise Diagne). Peu à peu les avantages mis en avant ne suffisent pas et le recrutement se fait de plus en plus par la violence et par la force. En Afrique, tantôt l’administration procède à des rafles dans les villages, tantôt elle coopère avec les chefs indigènes qui se débarrassent des indésirables.

D — Une domination coloniale dont la légitimité est remise en cause 1°) Des populations coloniales entre loyalisme et résistance Les ponctions effectuées sur les empires, si elles témoignent de la profondeur des liens unissant les Etats européens et leurs colonies, d’un véritable loyalisme du monde colonial à l’égard de la métropole, ont aussi généré des tensions palpables. D'abord, celles-ci se traduisent par des mouvements de résistance au recrutement en Afrique. Les formes en sont diverses : refus de comparaître ; présentation par les villageois d’inaptes au service ; fuite ; automutilation ; désertions massives. Ces mouvements peuvent déboucher sur de véritables soulèvements, comme la révolte de « l’Ouest Volta » : entre novembre 1915 et juillet 1916 la France perd le contrôle d’une région de 60 000 km2 peuplée de 500 000 habitants. C’est seulement au terme d’une pacification de plusieurs mois (plusieurs milliers de morts, 110 villages détruits) que les militaires recouvrent le contrôle de cette zone.

3


Les tensions générées par l’appel aux colonies ont alimenté les nationalismes. Partout, en contrepartie de l’effort demandé et aussi pour favoriser le recrutement indigène (cf. la mission Diagne pour le cas français), la puissance coloniale promet des réformes.

2°) Le pouvoir blanc en question Dans la mesure où elle bouleverse l’image du blanc et le fait tomber de son piédestal (les colonisés sont confrontés au spectacle des déchirements entre Européens), la guerre modifie durablement le rapport entre Européen et colonisé. L’enrôlement d’Africains dans les armées européennes, en brisant un tabou fondamental (le fait qu’un noir puisse attenter à la vie d’un blanc) va dans le même sens. L’effort de guerre, en déplaçant, dans de vastes proportions, des populations coloniales des campagnes vers les villes confronte ces dernières à des idées nouvelles, des sentiments nationalistes qui jusque là ne les atteignaient pas. Pour beaucoup, le service des armes sur le territoire métropolitain s'est aussi traduit par un début d'instruction. Ces nouvelles relations sont prises en compte par les colonisateurs eux-mêmes qui formulent de nouveaux modèles pour l'administration des colonies. Frederik Lugard en Grande-Bretagne, avec la théorie du « double mandat », ou Albert Sarraut pour la France avec « l'association » s'y emploient dans l'immédiat après-guerre.

3°) Les remises en cause de la domination Elles sont d’abord le fait de la propagande des alliés. Ces derniers, en effet, ont eux-mêmes défendu le principe d’autodétermination. Comment expliquer que ce qui est valable pour l’empire d’Autriche-Hongrie ne peut être appliqué à tous les autres empires ? Elles découlent des « Quatorze points » énoncés en janvier 1918 par Wilson. Parmi ces derniers, se trouve en effet, énoncé clairement, « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». II. L’administration des colonies africaines Elles sont confortées par la mise en place des mandats sur les anciennes colonies allemandes. Si le système retenu renforce les anciennes puissances coloniales, il institue en même temps un contrôle international (la tutelle coloniale est remise en cause par cette ingérence) et se donne pour finalité l’évolution des régions concernées vers le « self government ». Bilan : A bien des égards, la première guerre mondiale représente l'apogée de la domination coloniale. Au point que, dans la lutte des impérialismes, l'accès à d'immenses empires coloniaux a été un des facteurs déterminant de la victoire alliée. Néanmoins, la guerre a en même temps introduit de profondes modifications dans les relations entre métropoles et colonies, sapant les fondements de la domination coloniale. Cette dualité traversera toute l'entre-deux-guerres. Tournant, la première guerre mondiale a laissé une marque profonde dans la mémoire collective. Les campagnes de recrutement ont laissé des traces douloureuses.

4


II. L’administration des colonies africaines On s’intéressera ici à la façon dont les Européens ont administré leurs conquêtes africaines compte tenu de la faible place des colonies de peuplement dans leurs empires. La période de l’entre-deux-guerres apparaît comme le moment où se mettent véritablement en place les systèmes d’administration des colonies conquises à la fin du XIXe siècle A l’issue de la première guerre mondiale, les transformations que le conflit a générées dans les relations entre colonisateur et colonisé sont telles qu’il apparaît nécessaire de formuler un cadre théorique concernent les modes d’administration des colonies. Les années de l’immédiat après-guerre sont d’abord un temps de débat durant lequel s’opposent différents formes d’administration (A). Néanmoins, un postulat est partagé par tous les théoriciens de la colonisation : celui qui énonce la supériorité de la civilisation européenne et l’incapacité des colonisés à se prendre en charge. Il débouche sur une pratique de la sujétion (B). Enfin, on doit insister sur les divergences entre les pratiques et leurs évolutions : évolutionnisme anglais vs immobilisme français (C).

A — L’administration coloniale : débats et pratiques Les relations entre les gouvernements coloniaux et les populations colonisées ont fait l’objet de nombreux débats relancés après la guerre. Ils opposent - assimilation et association. La doctrine de l’assimilation considère les colonies comme des provinces métropolitaines pour lesquelles il est envisageable, à terme, d’appliquer aux colonisés un traitement identique à celui dont bénéficient les métropolitains. Cette doctrine repose sur - la certitude que la civilisation métropolitaine est la meilleure, - un principe d’égalité entre tous les hommes (capables d’accéder à cette culture idéale), - la non prise en compte des cultures traditionnelles, locales (elle conduit à l’acculturation) La doctrine de l’association quant à elle prône la conservation par les colonisés de leurs institutions coutumières ainsi que leur participation à l’action du gouvernement colonial par l’intermédiaire des autorités traditionnelles. En réalité, entre ces deux termes la démarcation est plus floue qu’il n’y paraît. En France, on prône successivement l’assimilation puis l’association. En fait, ni l’un ni l’autre ne furent entièrement pratiqués et l’on retrouve partout l’assujetissement (une sorte de despotisme éclairé à l’échelle des colonies, qui voit les colonisés comme des sujets ne participant pas aux décisions les concernant). - centralisation et décentralisation - direct rule et indirect rule

1°) L’ indirect rule Son défenseur le plus connu est Lord Frederick Lugard (1858-1945). Ancien officier de l’armée des Indes, devenu administrateur en Ouganda puis au Nigeria, il acquiert au contact de la culture indienne un respect des civilisations non européennes et du bon fonctionnement de leur mode d’organisation traditionnel. Il met au point la théorie de l’indirect rule et la teste au Nigeria dès avant 1914. Son livre The Dual Mandate in British Tropical Africa (1922) connaît un succès retentissant dans les milieux coloniaux. L’indirect rule est fondé sur quelques principes : - Les peuples colonisés ne sont pas désorganisés : ils ont leurs propres modes d’administration, leurs institutions et leurs chefs. - Leur organisation, originale, est adaptée à leur culture, et elle est déjà en place : le colonisateur peut s’appuyer sur ce existant, sur des chefs traditionnellement reconnus. - Les administrateurs coloniaux accompagnent les chefs, gouvernent avec eux et, en théorie, ne peuvent apporter que de légères modifications aux fonctionnements existants. En fait, Lord Hugard importe en Afrique ce qu’il a vu fonctionner en Inde, dont le gouvernement (le Raj) fournit l’illustration alors la plus achevée de l’indirect rule. Dans les Indes hollandaises on observe un modèle similaire : la domination coloniale s’exerce par l’intermédiaire de notables indonésiens, commerçants et propriétaires chinois (les « régents »). 5


2°) L’association ≠ l’assimilation - L’association : une doctrine déclinée par Albert Sarraut Ancien gouverneur d’Indochine, plusieurs fois ministre des colonies dans l’entre-deux-guerres, A. Sarraut a laissé deux ouvrages : La mise en valeur des colonies françaises (1923) et Grandeurs et servitudes coloniales (1931). Même si son point de vue présentes diverses analogies avec l’indirect rule, une divergence essentielle apparaît. Elle concerne le « devoir de civilisation » des pays européens.

- L’assimilation Elle n’a plus beaucoup de partisans au XXe s. en raison des difficultés qu’elle a suscitées, de son caractère irréaliste aussi. Elle avait été longtemps considérée comme le moyen le plus sûr de mener les territoires colonisés à la « civilisation » mais donnait lieu à de longs débats sur la notion d’égalité : les indigènes pouvaient-ils être considérés comme les égaux des métropolitains ? pouvaient-ils le devenir ? et comment ? Au XXe siècle ces questions ne semblent plus d’actualité pour au moins trois raisons : - en Afrique les populations ont développé une forte résistances à la colonisation au point d’être considérées comme « inassimilables » - les réticences des administrateurs à traiter les indigènes comme des citoyens de plein droit - les difficultés soulevées par la mise en place d’un mode de vie uniforme entre métropole et colonie

3°) Choix politiques et pratiques empiriques - Chacune des grandes puissances coloniales a opté plus ou moins clairement en faveur d’un système d’administration érigé en politique officielle - Indirect rule pour la Grande-Bretagne et la Hollande - Association pour la France - Administration directe empreinte de paternalisme pour la Belgique (volonté de faire oublier, après 1908, les exactions léopoldiennes) - Assimilation pour le Portugal salazariste à partir de 1935 avec adhésion aux théories fasciste et nationaliste de l’« Etat Nouveau ».

- Des choix politiques à nuancer ; des pratiques empiriques —> Les métropoles ont d’abord du composer avec les réalités locales, d’abord géographiques (opposition entre les bords de mer et l’arrière-pays) mais aussi politiques et culturelles (opposition entre les zones où existe une structure religieuse ou politique avec des chefs respectés et les espaces peu ou pas organisés). —> L’administration coloniale est aussi affaire d’individualités : les choix politiques viennent de la métropole mais les fonctionnaires en place détiennent le véritable pouvoir. Ils connaissent le terrain et l’éloignement / métropole leur confère une marge d’autonomie non négligeable. —> Enfin, l’opposition entre la France est la Grande-Bretagne est à nuancer : - Les Français recourent à l’indirect rule lorsqu’ils le jugent utile / nécessaire (le Maroc sous Lyautey, entre 1912 et 1925) - Les Anglais sont souvent conduits à pratiquer une administration à la française lorsqu’ils ne peuvent pas s’appuyer sur une structure politico-religieuse préexistante (cf. le cas du Nigeria avec l’opposition entre N et S)

- Reste l’essentiel : la faible participation des colonisés aux prises de décision Tout au plus ont-ils un rôle consultatif limité dans les instances locales. - Cf. le cas de l’Algérie, emblématique. Depuis 1898 y existe une instance représentative, les délégations financières dont les compétences sont consultatives en matière d’impôts. Elles forment une assemblée unique, divisée en trois sections représentant chacune des intérêts différents (colons ; contribuables français ; musulmans). La section musulmane est composée de représentants élus par un suffrage très restreint ou bien désignés par le gouverneur général. - En Afrique orientale, les colons s’emploient à ne laisser aucune place à la représentation des populations indigènes.

6


B — L’encadrement colonial Les métropoles ont procédé à l’organisation intérieure de leurs colonies à mesure qu’elles progressaient dans la conquête territoriale. La création d’une administration coloniale leur permettait aussi de disposer de ressources propres. Surtout, la volonté d’encadrer la population a incité le colonisateur à intervenir dans tous les domaines, et d’abord dans celui du découpage administratif. 1°) Un encadrement administratif hiérarchisé L’AEF et l’AOF constituent un bon exemple de structure administrative hiérarchisée. A la tête de chacune de ces deux fédérations, on trouve un gouverneur général qui fait office d’interface entre le ministère des colonies et les différentes composantes de la fédération. Il est assisté par un Conseil de gouvernement (dont les compétences sont consultatives) composé de responsables administratifs, des différents gouverneurs, des représentants des maisons de commerce et de quelques notables locaux. Dans le cas de l’AOF il dispose d’un budget particulier alimenté par les droits de douanes et des taxes diverses perçues au sein des colonies composant la fédération. Dans chaque colonie un Lieutenant gouverneur (puis gouverneur après 1937) est responsable du gouvernement local et de ses services. Il dirige en outre le Conseil d’administration de la Colonie au sein duquel sont pris les arrêtés locaux. Chaque colonie est enfin divisée en circonscription, les cercles avec à leur tête un commandant de cercle. Tous ces administrateurs sont des fonctionnaires français contrôlés environ tous les cinq ans par un Inspecteur général des Colonies dépendant du ministère. 2°) L’encadrement judiciaire - dans les colonies d’administration directe L’encadrement judiciaire = la marque la plus forte de l’assujetissement des populations colonisées. De fait, les colonisés tombent sous le coup d’un droit et de juridictions d’exception qui ne sont pas ceux des Européens et assimilés, lesquelles reposent sur la loi métropolitaine. Cette justice, par essence inégalitaire, renvoie aux larges pouvoirs réglementaires dont dispose le gouverneur (pas de véritable législation spécifique). Dans le cas français, l’Algérie sert de modèle avec le système de l’indigénat. Mis sur pied en 1881, le code de l’indigénat avait été édicté pour maintenir aux administrateurs les pouvoirs répressifs exceptionnels accordés auparavant aux militaires à l’égard des populations insoumises. Cette législation particulière, applicable exclusivement aux indigènes et qui vient se surajouter au droit coutumier, présente trois caractéristiques : il s’agit d’une justice - entre les mains du gouverneur, lequel dispose d’une grande latitude d’action (le gouverneur peut interdire aux non-citoyens certaines manifestations ou activités non prévues par la loi pénale ; il peut être armé de pouvoirs étendus en cas de faits troublant la sécurité publique) - Cette justice apparaît ainsi largement arbitraire et discrétionnaire. - expéditive : le règlement des délits dans les territoire français s’effectue en dehors de toute cour, sans aucun jugement, par simple décision de l’administration. - mal comprise en dépit des tentatives de clarification

- dans les colonies régies par l’indirect rule La justice traditionnelle continue à fonctionner. Tout au plus les administrateurs interviennent-ils pour freiner les abus de pouvoir, supprimer les condamnations les plus lourdes ou conseiller les chefs, lesquels disposent d’une assez large autonomie.

7


3°) L’encadrement politique Il se traduit par l’absence de droits politiques pour le colonisé : là, l’inégalité colonisateur / colonisé est foncière car liée à la domination coloniale elle-même. - L’absence, la pénurie de droits politiques pour les colonisés Elle est générale, même si on peut distinguer l’attitude anglaise de celle des autres colonies. Dans le cas français : — Absence de toute vie politique à l’échelle de chaque colonie. Liberté d’association, de réunion ou syndicale restent épisodiques dans l’entre-deux-guerres, liées au bon vouloir du gouverneur, qui dispose de pouvoirs discrétionnaires. — L’indigène reste un « sujet », dans le meilleur des cas un citoyen mineur. Ainsi les musulmans d’Algérie ne votent pas, ne sont pas représentés à la chambre des députés. — L’accession à la citoyenneté française, en théorie possible depuis la loi du 4 février 1919, est rarissime tant les exigences sont restrictives. La Grande-Bretagne, de son côté, a admis bien plus tôt la constitution de forces politiques. Ainsi l’Indian National Congress tient sa première réunion à Calcutta en 1885.

- Une représentation politique embryonnaire Le pouvoir colonial encourage une représentation indigène, mais qui reste fragmentaire, embryonnaire. Elle prend deux formes : — l’instauration de corps locaux nommés ou élus permettant la participation de certains éléments indigènes (notables) à l’administration locale (assemblées de notables auprès des chefs traditionnels en Afrique ; Djemaa des notables assistant le caïd en Algérie ; municipalités élues en Inde à partie des années 1880) — la représentation d’intérêts divergents auprès de l’administration centrale. Dans tous les cas il s’agit de faire jouer les équilibres entre les différents éléments de population au service du colonisateur (délégations financières en Algérie ; Conseil législatif en Inde)

4°) Ecoles et missions : les auxiliaires de l’administration coloniale - Le rôle des missions Il est particulièrement sensible en Afrique, mais pas seulement. —> Au Congo belge, elles entretiennent des relations étroites avec l’administration coloniale au point qu’on parle de « trinité coloniale » composée de l’administration, des grandes compagnies et des missions, chaque élément collaborant avec les deux autres et contribuant à l’établissement de la puissance coloniale européenne. —> Ailleurs, c’est un peu moins net (cf. la question de la laïcité en France) mais tout se joue au niveau local et non dans les capitales européennes. En règle générale, la politique de nationalisation des missions l’emporte (par exemple au Cameroun, après la première guerre mondiale, les missionnaires français se sont employés à effacer les traces du passage des missionnaires allemands). On note toutefois quelques cas — isolés — d’opposition des missionnaires au travail forcé. Les missions s’apparentent à de véritables microsociétés, avec leur hiérarchie, leurs fonctions diverses, leurs règles de vie et rites propres. La répartition des tâches au sein des missions permet de distinguer — les catéchistes (rôle clé : entretiennent la foi dans les villages) — les religieuses missionnaires (s’occupent de l’école pour filles, du pensionnat, du dispensaire, de l’hôpital, de l’œuvre d’assistance maternelle…) — les Frères (des écoles chrétiennes, de la charité qui pratiquent l’enseignement) — les Pères (s’occupent de l’apostolat — ie de l’administration des sacrements) Si les missionnaires catholiques sont nommés par la Congrégation sacrée pour la propagation de la Foi (organe du Saint-Siège) tandis que les missionnaires protestants sont choisis par leurs Eglises respectives, dans les deux cas il s’agit de volontaires. Avec la guerre, les missions tendent à perdre l’esprit pionnier et aventureux qui les animait jusque là. Elles se tournent vers l’économie, deviennent de petites unités de production fonctionnant avec une main d’œuvre bon marché.

8


- L’école Elle apparaît comme le moyen d’acculturation par excellence, d’abord parce que tout autre système éducatif que l’Européen est ignoré, ensuite parce que la politique éducative coloniale a pour objet principal le maintien et le développement du système colonial. Cf. E M’Bokolo : « L’enseignement devait permettre à l’indigène d’assimiler les fondements de la culture occidentale, de les respecter et d’en reconnaître la supériorité. Il devait également permettre de fournir à l’économie les hommes dont elle avait besoin : techniciens, employés, auxiliaires, contremaîtres » Afrique noire. Histoire et civilisation, t. II, p. 397. Par dessus tout, il s’agissait d’éviter que l’enseignement ne devienne un outil permettant au colonies de s’élever dans la hiérarchie sociale, de contester la domination européenne. Quelques grands principes apparaissent dans l’enseignement dispensé : — Part prépondérante des travaux manuels — Importance des filières techniques et professionnelles — Sélection rigoureuse ou barrage pour l’accès aux filières générales — Ségrégation indigènes / Européens — Faiblesse de l’enseignement féminin — Orientation européocentriste des programmes et poids de la religion, de la morale Néanmoins, au-delà de ce socle commun aux différentes administrations coloniales, des divergences existent, particulièrement sensibles sui l’on se place dans la diachronie.

C — Evolutionnisme anglais vs immobilisme français 1°) L’évolutionnisme anglais Il s’agit d’un trait de la colonisation britannique souvent mis en avant. Mieux et plus rapidement que les autres puissances coloniales, les Anglais auraient accepté l’évolution des rapports politiques entre métropoles et colonies. Le poids des colonies de peuplement, dont les revendications étaient plus faciles à admettre serait ici en cause . - Les colonies autres que colonies de peuplement Le pouvoir y appartient au gouverneur, entouré de deux conseil (législatif et exécutif). Partout, la tendance est au gonflement des attributions des deux conseils tandis que le mode de recrutement évolue avec une généralisation des procédures électives (contre la simple nomination). Néanmoins les rythmes de cette évolution générale diffèrent selon les espaces : En Afrique, la mise en place d’institutions représentatives est entravée par hétérogénéité des populations.

2°) Un immobilisme français ? Il tient d’abord au poids de la doctrine de l’assimilation. Cette dernière stipule que la seule transformation envisageable en théorie est la transformation du sujet français en citoyen. Or cette transformation ne peut être que lente en vertu de la dénivellation entre peuples colonisateurs et peuples colonisés. Si les choses évoluent dans l’entre-deux-guerres avec la doctrine de l’association, les représentations, quant à elles, perdurent. Il renvoie ensuite à l’absence de colonie de peuplement substantielle. Là où existe une communauté française, elle n’est pas suffisamment importante pour revendiquer l’autonomie (elle réclame plutôt la protection de la métropole, un renforcement des liens tissés avec elle). Outre le cas de quelques vieilles colonies pour lesquelles on prévoit l’assimilation (Sénégal) la diversité des situations l’emporte. En Afrique noire et dans les protectorats, on observe une extension progressive des droits politiques aux indigènes, non par diffusion de la citoyenneté mais par généralisation du système du double collège, sur le modèle algérien. Ce système cantonne les sujets africains et malgaches dans un rôle de simple auxiliaire de l’administration. La situation française apparaît ainsi à mi-chemin entre modèle hollandais et modèle belge. 9


Le cas hollandais présente une administration décentralisée appuyée sur les régents puis un conseil du peuple (le Volkraad) créé en 1918 et dont les attributions sont considérables (impôts, immigration, douanes…) Le cas belge est quant à lui marqué par le refus d’octroyer toute forme de représentation politique aux Africains.

Conclusion Au bilan, l’entre-deux-guerres apparaît bien comme l’apogée de l’administration coloniale, le moment où l’encadrement des colonies semble déboucher sur un ordre colonial sans faille. La mécanique de l’encadrement colonial est fondée sur un principe fondamental : celui de l’inégalité entre colonisateur et colonisé. Les premiers mouvements nationalistes ne s’y trompent pas qui placent au cœur de leurs revendications l’égalité de traitement entre colonisateurs et colonisés. Mais les outils de la domination coloniale sont aussi ceux de la libération. L’école, auxiliaire de l’administration coloniale, est aussi ce par quoi une nouvelle élite, de lettrés, d’intellectuels, émerge, puis joue un rôle actif dans la promotion des nationalismes, et ce en dépit des précautions prises par le colonisateur.

10


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.