Jeune architect(ur)e en temps de crise_
Etat des lieux et perspectives d’une profession désorientée. BONNARDEL Thomas_
Mémoire HMONP_ENSA Montpellier.
Avril 2017.
Jeune architect(ur)e en temps de crise_
Torres de agua_Ciudad Abierta_Ritoque_Chili
Etat des lieux et perspectives d’une profession désorientée.
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BONNARDEL Thomas -Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de MontpellierMémoire d’Habilitation à la Maitrise d’Oeuvre en Nom Propre Directeur d’études : Pascal Perris_ Tuteur : Patrick Hernandez_ Session de soutenance : Avril 2017_
J’apprends tous les jours mon métier mais j’ai quand même aussi l’impression d’être « gratteuse ». Chloé G. M. _26 ans.
« Je trouve regrettable qu’il faille s’inscrire en auto entrepreneur pour accéder à un emploi ; on a le sentiment d’être « décrédibilisé ». » C. d. V. _24 ans.
« Je juge l’enseignement déconnecté de la réalité du métier, de l’acte de construire. » Daniel Colin_28 ans.
« 300 candidatures, un seul entretien. »
Daniel Colin_28 ans.
« Je ne fais pas de conception mais je passe 90% de mon temps sur ordinateur. » Elsa Dupont_30 ans.
« Nous n’avons pas assez communiqué sur notre métier. »
Sorour Omidi_33 ans.
Hélène Suire_27 ans.
« J’ai beaucoup galéré pour trouver un travail car les agences, auxquelles j’envoyais mes candidatures, exigeaient systématiquement 2 ans minimum d’expérience. »
« J’avais le sentiment de ne rien « représenter », de ne rien « valoir » et de ne pas être vraiment considérée comme une architecte. » L. P. _25 ans.
« La mission ne me convient pas, ce n’est pas ma façon de travailler, ce n’est pas épanouissant et c’est frustrant. »
Sorour Omidi_33 ans.
« Je suis optimiste sur l’avenir si on reconsidère la manière de travailler des architectes. » Sorour Omidi_33 ans.
« Je ne m’épanouis absolument pas dans ce travail. » Elsa Dupont_30 ans.
« Je suis passionné d’architecture mais pas par le métier. » Pierre Szmul_24 ans.
« Je suis assez démotivée. » O. T. _26 ans.
« Les architectes vont-ils disparaître ? » O. T. _26 ans.
* Témoignages extratis de La feuille de DpA n°13_Numéro spécial, La parole aux Jeunes Architectes_Juillet 2016.
AVANT-PROPOS
Venise, le 18 Octobre 2016, Ayant entamé mes études d’architecture huit ans auparavant, études par ailleurs achevées il y a deux ans, je n’avais pourtant jamais assisté à la Biennale d’architecture de Venise. Certains y verront là un désintérêt ou une faute, le fait est que l’occasion ne s’est jamais présentée. Dans un sens, c’est dommage, il y avait sans aucun doute somme d’enseignements à tirer et de projets à découvrir. Surtout, mon impasse me met dans l’incapacité de pouvoir formuler une juste analyse, faute de référentiel de comparaison. La Biennale de Venise est-elle donc chaque fois si percutante, si pertinente ? Est-ce un hasard ou une coïncidence? Si tel est le cas, il devient évident que j’ai fait une erreur en déconsidérant les cuvées précédentes. Il aura fallu attendre qu’un chilien - pays d’adoption pour lequel j’ai une affection toute particulière – en soit le commissaire pour que je me décide à m’y rendre. On a beaucoup reproché à Alejandro Aravena le double discours qu’il entretient dans sa production, et la manière dont il porte en bandoulière l’architecture dite « sociale » à des fins de reconnaissance. On lui reproche, à raison, de n’avoir rien inventé, et d’être capable de passer de la construction de logements sociaux à celle d’établissements universitaires privés pour lesquels le budget n’est certainement pas social, et pour lesquels il est retenu par ses partenariats financiers. On lui reproche en effet, encore à raison, qu’Elemental compte à son capital Copec, premier groupe pétrolier du Chili. En terme d’altruisme, on a c’est vrai vu mieux.
Mais force est de constater que s’il n’est pas le seul à s’intéresser aux sujets qu’il propose à l’Arsenal, son équipe présente néanmoins une exposition riche et variée, peuplée d’initiatives et d’acteurs du monde entier, dont la prédominance sud-américaine est d’ailleurs rafraichissante. L’exposition présente un état des lieux de la société autour des questionnements et enjeux actuels de la profession, et les solutions que les architectes ont développé pour y faire face. Des projets à moindre coût espagnols aux solutions d’habitat d’urgence, les architectes se rassemblent derrière ce qui semble être le slogan d’une époque, more with less. Ces nouvelles du front sont ancrées dans une réalité, et pour une fois, l’architecture laisse de côté sa grandiloquence et son snobisme pour s’arrêter sur des problèmes ingrats. Pertinent ou hypocrite, chacun son avis. Il n’empêche que ces pratiques sont une vraie bouffée d’air frais pour les jeunes praticiens que nous sommes. Il n’est en effet pas aisé d’être nouvel architecte par les temps qui court. Les difficultés, nous les affrontons au quotidien, et les perspectives sont sombres. A l’heure où ma pratique professionnelle connaît elle-aussi son premier grand changement – j’ai intégré une nouvelle équipe depuis quelques semaines -, j’ai l’impression qu’est venu le temps pour moi de présenter mes propres nouvelles du front. Parce que ce nouvel environnement m’offre finalement ce référentiel et ce recul nécessaires au bilan de mon expérience. Et parce que cette Biennale me donne envie de m’interroger sur la façon dont nous aussi, nous évoluons au front.
Thomas Bonnardel_
Schéma de réponses aux batailles de la Biennale d’Architecture 2016.
«Dans son voyage en Amérique du Sud, Bruce Chatwin rencontra une vieille dame marchant dans le désert transportant une échelle en aluminium sur ses épaules. C’était une archéologue allemande qui étudiait les lignes de Nazca. (...) Maria Reiche n’avait pas les moyens de louer un avion pour étudier les lignes d’en haut. Mais elle était suffisamment créative pour quand même trouver un moyen d’atteindre son but. (...) Sa modeste échelle est une preuve que l’on ne devrait pas considérer la dureté des contraintes comme responsable de notre incapacité à faire notre métier. Contre la pénurie : l’inventivité.» Alejandro Aravena, Introduction au catalogue de la Biennale d’Architecture 2016. Bruce Chatwin / Trevillion Images.
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Introduction
INTRODUCTION
Entamer un travail de réflexion sur la pratique architecturale n’est pas un acte anodin, surtout pas pour le jeune professionnel que je suis, et l’architecte que j’aspire devenir. J’ai le sentiment de me retrouver à la confluence de deux époques, aussi distinctes l’une de l’autre que fondamentales. Celle de la pratique étudiante, celle de la pratique professionnelle. Ce travail d’analyse a la particularité d’être en équilibre sur ces temps. Synthèse d’une période, il est aussi l’ouverture d’une autre, d’une odyssée plus vaste, plus complexe aussi, mais qui n’aurait pu exister sans sa genèse. Il doit rendre compte d’enseignements et d’expériences, d’anecdotes et de références, mais ne doit pas se limiter à un travail de compte-rendu, ou de rapport de stage. Il est l’ultime espace de réflexion offert à l’étudiant. L’occasion d’un bilan personnel, d’un regard sur un parcours. Il doit aussi permettre de définir les contours d’un futur, et d’une pratique singulière à laquelle on aspire, dans le réel cette fois, que ces enseignements viendront enrichir.
Introduction
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Il est impossible pour un jeune étudiant ou un jeune diplômé en architecture de faire fi de ce que ces témoignages, apparus par hasard un beau jour sur ma boîte mail, mettent en lumière. Profondément conscient des difficultés de notre temps, j’avais malgré moi laissé ces questionnements en suspens, trop absorbé sans doute par ma pratique quotidienne ou mes examens théoriques. Ils me sont revenus de plein fouet. Venise et Aravena ont achevé de me convaincre de la nécessité de reprendre cette réflexion là où je l’avais laissé, lorsque j’interrogeai jusqu’à la pertinence de mon domaine d’étude. Il m’apparaissait faux, déconnecté de la réalité et parfois hypocrite. J’étais comme chacun très surpris de la réalité du métier que je découvrais, et de son éloignement profond avec les promesses de l’école, et avec les problématiques actuelles. Il me semblait malgré tout que l’architecture, par la multiplicité des domaines qu’elle convoque, avait le pouvoir de plus grands accomplissements. Seulement voilà, comment pouvions-nous espérer changer quoique ce soit, à l’heure où certains d’entre nous peinaient encore à intégrer la profession et à s’émanciper de la tutelle financière du foyer parental ? Je compris alors le parallèle évident entre nos propres difficultés et celles de la société actuelle. Peut-être plus que d’autres, nous sommes frappés de plein fouet par cette crise économique. Parce que notre profession est plus fragile, plus utopique aussi, et que c’est d’ailleurs cet utopisme qui l’a fragilisée. Nous semblons désorientés, désabusés, dépendant d’une pratique qu’il nous semble devoir modifier, ou réinventer. Au moment d’entamer de ce travail de réflexion, il m’est apparu pertinent, à la lumière de ces constats, de s’arrêter sur la manière dont nous, jeunes architectes, évoluons au quotidien et affrontons le contexte actuel. S’interroger aussi sur notre contribution réelle, sur notre rôle. De naturel pessimiste, je me suis aperçu que nous pouvions tirer avantage de certaines des difficultés, en sortir grandis, et meilleurs. Sans prétention aucune, mais avec sincérité, je présente ce qui constitue mon parcours, et mon expérience professionnelle d’architecte jusqu’à aujourd’hui, avec ses doutes, ses embuches mais aussi ses réjouissances. Par ce biais, j’interroge les chances d’un jeune d’espérer vivre de son métier aujourd’hui, et les moyens qu’il met en œuvre pour y arriver. Au travers de ma pratique, je dresse de nouveaux constats, et tente d’imaginer des solutions, ou du moins des perspectives d’avenir, qui nous donneront l’envie et la motivation nécessaires à affronter les épreuves qui se proposent chaque jour à nous.
Et s’affirmer comme que jeune architecte en temps de crise.
Sommaire
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Avant-propos _
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Introduction_
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I_ Orientations, cadre et contexte _ Une ouverture d’esprit_ 13 1_ Des décisions fondatrices_
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2_ De la difficulté d’intégrer le monde du travail_
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3_ Patrick Hernandez, Architecte_
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4_ L’antichambre de la profession libérale_
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5_ Sur L’HMONP_
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II_ Une pratique, des défis _ Lutter pour la singularité_
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1_ La Plantille, le défi administratif_
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2_ Le Jardin Public, le défi technique_
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3_ Les Blancs-Manteaux, défis d’égos_
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4_ Des agences, des structures, le défi de la gestion _
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III_ Et maintenant ? _ Réflexions sur un futur
à (ré)inventer_
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1_ Des constats_
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2_ Des idées_
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3_ Des perspectives_
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4_ Un architecte_
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IV_ Annexes
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I_Orientations, cadre et contexte
Une ouverture d’esprit
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I_Orientations, cadre et contexte
Superposition de la constellation Cruz del Sur sur le continent sud-amĂŠricain, Amereida Vol.1, Grupo Ciudad Abierta, 1967.
I_ Orientations, cadre et contexte
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1_Des décisions fondatrices_ C’est tout naturellement que j’ai choisi d’ouvrir ce travail par un retour sur mon parcours. D’une part car je considère effectivement ce temps du mémoire comme celui du bilan. Ensuite parce que j’ai maintes fois repensé à ces orientations, à ces choix qui m’ont conduit à écrire ces quelques lignes. Pourquoi es-tu là ? Pourquoi architecte ? Où serais-tu si tu n’avais pas pris telle direction, tel chemin ? As-tu fait le bon choix ? Il n’était écrit nulle part que je deviendrai un jour architecte. Polyvalent mais scientifique dans l’âme, je ne pense pas que mon profil se destinait à un cursus dont la composante artistique est si forte, un cursus si vaste, si subjectif. J’ai choisi cinq moments, qui remplissent forcément une bonne partie de ma courte vie, mais que je considère comme fondateurs. Ces expériences, ont fait la personne que je suis, l’étudiant, le jeune diplômé, et l’architecte que j’espère devenir.
1.1_ Des sciences au Lycée de l’Image et du Son La première décision paradoxale mais naturelle sur le moment a été de choisir d’étudier les Sciences de l’Ingénieur1 dans un lycée à orientation artistique, où se côtoient essentiellement des étudiants en filières littéraire, théâtre ou audiovisuel. Le choc des cultures pour le petit collégien de campagne que je suis. Se côtoient là des individus extravagants, adeptes de musique, de cirque ou de film, et des jeunes plus lambda, suivant un cursus classique. Le fait d’y vivre toute la semaine, pour des raisons logistiques avant tout, a eu un effet phénoménal sur ma personne. Je pense vraiment qu’une grande part de moi est née ici, et s’est nourrie de cette dualité. J’y ai développé mais adouci ma rigueur scientifique tout en découvrant des pans de culture qui m’étaient jusqu’alors inconnus, et qui n’ont fait qu’accélérer mon éveil. J’y ai appris l’ouverture d’esprit, tellement fondamentale, que je n’ai eue de cesse de cultiver et de revendiquer.
1. SI : Baccalauréat scientifique qui délaisse les sciences de la vie et de la Terre pour celles de l’ingénierie, mécanique et électronique en tête.
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I_Orientations, cadre et contexte
1.2_ Bribes d’ingénierie Ayant effleuré l’idée d’entamer des études d’architecture, c’est néanmoins par la « voie royale » tant prônée par l’Education Nationale que je poursuis mes études, celle de la classe préparatoire scientifique PCSI-SI2. Victime d’un système ou conformiste ? Possible. C’est un vaste sujet, qui nécessiterait un mémoire à lui tout-seul. J’ai pourtant un profil qui correspond plutôt à l’étudiant de prépa scientifique. Cartésien et rationnel, sérieux et appliqué, j’ai tout de la panoplie du petit ingénieur. Mais quelque chose en moi fait que, malgré ma bonne volonté, cela ne fonctionne pas. Les résultats suivent difficilement, mais la motivation s’effrite avec les jours qui passent. L’expérience ne sera pas concluante, mais bénéfique sur bien des points. J’ai vu ce que je ne voulais pas. J’ai acquis une méthode, emmagasiné des connaissances, et affronté une charge de travail à faire pâlir une charrette d’architecte. Autant d’éléments qui ont grandement facilité mon entrée dans le monde de l’architecture.
1.3_ Le choix de l’architecture Une évidence ? Non. Une vocation ? Encore moins. Dans les faits, rien ne m’y destinait, même si je découvris par la suite que mon profil pouvait correspondre, et que devant l’infinité de manières d’être architecte, je devais pouvoir avoir la mienne, et avoir mes cartes à jouer. Le passage d’études scientifiques aux études d’architecture est un petit séisme. Il convient d’apprendre à remettre en question la quasi-totalité des connaissances acquises jusque là. S’en servir certes, mais accepter l’idée qu’il n’y a pas (plus) de vérité, pas une seule réponse, une seule démonstration. C’est aussi intégrer des notions qui nous dépassent de prime abord car nonpalpables et non-quantifiables. Jamais je n’aurais en tout cas imaginé qu’elles puissent me faire à ce point grandir. C’est comme ouvrir les yeux sur le monde, et s’interroger sur des sujets variés, qui semblaient opposés mais s’avèrent intimement liés. Au travers de l’apprentissage, (critiquable à bien des niveaux, nous y reviendrons), on se construit une opinion, et surtout un regard sur les choses, que mon enseignement passé avait rechigné à développer.
2. PCSI-SI : Physique Chimie Sciences de l’Ingénieur option Sciences de l’Ingénieur (!)
I_ Orientations, cadre et contexte
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1.4_ Echange et découvertes J’ai coutume de dire que ce fut la meilleure décision de ma jeune existence. Simple en apparence, puisque je ne me suis pas interrogé outre mesure au moment de la prendre, elle eut des répercussions telles sur ma personne qu’elle en devint fondatrice. D’abord parce que même si j’ai toujours jouit d’une grande liberté depuis mon enfance, que j’ai pu m’émanciper rapidement dès mon arrivée au lycée, et que j’ai eu l’occasion de changer plusieurs fois de ville, rien de tout cela n’équivaut à l’idée de partir un an à l’autre bout de la planète. La perspective est alléchante, mais nécessite sa dose de courage, car dans l’optique d’affronter ces découvertes et les difficultés quotidiennes qu’elles impliquent, il convient tout de même de faire preuve d’une certaine motivation. Mais au-delà du refrain habituel sur la découverte et l’appréhension d’une autre culture, d’une autre langue et d’une autre Ecole, c’est moi-même qu’il me semble avoir (re)découvert. Ou plutôt d’avoir découvert un autre moi dont je ne soupçonnais pas l’existence. J’en suis revenu apaisé, calmé, et profondément heureux. J’ai compris la tolérance, accepté la différence. Mon ouverture sur le monde s’est encore accentuée, et ma pratique de l’architecture s’en est retrouvée enrichie.
1.5_Architecture humanitaire «Un Techo para Chile»3 c’est une expérience humanitaire, c’est le bénévolat, c’est la réalité du terrain, la réalité de notre monde. C’est faire face aux injustices, tenter d’apporter un soutien, de venir en aide. C’est travailler et faire projet avec peu de moyens à disposition. C’est construire à bas coût. C’est l’architecture participative, l’auto construction. L’apport d’un architecte dans le processus d’accession à la propriété est minime, mais déterminant. Les possibilités sont faibles et le défi de taille. On y découvre le travail de l’architecte dans son aspect le plus primaire, et le plus concret. Faire le maximum avec le minimum. Il n’y a pas de place pour l’utopie, pas de place pour l’architecture conceptuelle, folle, et insensée que l’on nous laisse explorer à l’école. TECHO vient en aide aux populations des campements soit directement, offrant de l’aide et du matériel, soit en aidant à monter un dossier et en dessinant un projet qui facilitera la validation de leur candidature par le gouvernement. La population, au travers d’activités, participe à la conception du logement et du quartier qui sera le sien. Courte mais intense, cette expérience n’est pas fondatrice parce que la pierre que j’ai apportée à l’édifice a eu un quelconque impact, elle est significative par le fait qu’il m’ai été donné de voir une réalité différente, et des gens qui luttent pour qu’elle change. Si eux trouvent des solutions dans leur contexte, en trouver dans le nôtre devrait être une évidence…
3. http://www.techo.org/paises/chile/
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I_Orientations, cadre et contexte
Travesia entre Punta Arenas et Santa Cruz de la Sierra, Grupo Ciudad Abierta, 1965.
I_ Orientations, cadre et contexte
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2_ De la difficulté d’intégrer le monde du travail_ La remise des diplômes sonne le glas de cette première phase de développement, qui aura eu pour objectif de former l’étudiant au processus de projet, à la recherche spatiale, ou encore à la réflexion, à la construction d’une personnalité. A ce stade, sa capacité à concrétiser ses idées dans un environnement réel est moindre, en tout cas pour la grande majorité. S’ouvre alors une nouvelle page, celle de la vie professionnelle, qu’il conviendrait de considérer comme une seconde période d’apprentissage, du réel cette fois. Le jeune diplômé devra surmonter de nouvelles difficultés, la première étant de trouver un poste.
2.1_Un démarchage complexe Sans famille dans la profession ou réseau étendu, la recherche du premier emploi peut s’avérer lourde et fastidieuse. Une solution consiste à effectuer la totalité de ses stages dans la ville de ses études, éventuellement au même endroit, et d’y travailler les congés dans l’espoir d’obtenir un poste. Il existe sinon la possibilité que le professeur de master ait bien effectué son repérage, et nous enrôle dans son équipe. Je précise que je n’ai absolument rien contre ces manières de faire, et que j’aurais été le premier a en profiter si l’occasion s’était présentée. Je pointe simplement qu’on ne part pas tous sur le même pied d’égalité, comme souvent. Pour les autres, reste la solution la plus basique, le démarchage. En effet, une des particularités de notre profession est d’être détachée de Pôle Emploi. Pas réellement, mais dans les faits. Le fonctionnement des architectes et leur mode de recrutement font qu’il est quasiment impossible d’obtenir un emploi par ce biais. Les annonces sont rares, les recruteurs quasi-inexistants. L’Ordre des Architectes possède bien un onglet « Petites Annonces » sur son site internet qui pourrait remplir ce rôle, mais son rayonnement est limité. Non, le plus simple pour obtenir un emploi reste de solliciter soi-même les agences. Par expérience, je pense qu’il n’y a pas de démarchage plus efficace que le démarchage physique, le « porte à porte ». Le flot d’emails se déversant chaque jour dans une boîte mail d’agence
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I_Orientations, cadre et contexte
d’architecte est tel que votre candidature soigneusement rédigée a vite fait de passer inaperçue, coincée entre deux publicités ou dans les spam. Se présenter directement dans une agence, c’est d’abord faire preuve de motivation, voire de courage. Oser pousser la porte pour quémander du travail montre la détermination du candidat, et est souvent bien perçu. J’en avais plus ou moins conscience quand j’ai commencé, et j’ai fonctionné de la sorte. Mais c’est Patrick qui m’a par la suite convaincu des bienfaits de cette méthode, et qui m’a expliqué comment les gérants d’agence le percevaient, ou comment ils devraient selon lui le percevoir. C’est une méthode que j’ai depuis appliquée systématiquement et conseillée à ma compagne lorsqu’elle s’est installée en France. Car il est une constance dans la recherche d’emploi difficile à maitriser, celle d’apparaître au bon moment. Les anglais ont un mot pour ça, l’happenstance, dont j’ignore l’équivalent français, entre hasard et coïncidence. L’architecte a cette particularité de souvent chercher du personnel du jour pour le lendemain. Ce n’est évidemment pas un choix lié à un quelconque plaisir de faire les choses à la dernière minute, bien que la désorganisation ou le débordement permanent n’y soient pas pour rien. Dans la majorité des cas, c’est bien la conjoncture qui pousse les employeurs à attendre d’avoir la certitude absolue du besoin pour recruter. Nous aurons l’occasion d’y revenir plus en détails. Ce qui est sûr, c’est qu’il devient dès lors difficile pour le jeune diplômé, qui bien souvent ne dispose pas encore d’indic’ dans le milieu, de savoir anticiper cette « coïncidence ». Un exemple tout récent me vient en tête, qui me touche directement puisqu’il concerne l’obtention de l’une de mes dernières missions. Même si ma situation est un peu différente aujourd’hui, ayant de l’expérience et un micro-réseau, il illustre bien ces questions d’inégalité et de coïncidence qui nous venons d’évoquer. J’ai été contacté par une amie dont la proche cherchait un architecte en soutien pour un gros rendu. J’ai été embauché pour le travail, avec la quasi-certitude que les associés n’ont regardé ni mon CV, ni mon portfolio. Une mission qui devait durer trois semaines a duré quasiment quatre mois. Tout bénéfique pour moi me direz-vous. Dans ce sens, oui. Mais pensons aux candidats qui se sont à coup sûr présentés à cette agence les semaines précédentes. La candidature qu’ils ont laissée n’a eu absolument aucun effet. Pis, la personne retenue les a doublé, et a en quelque sorte court-circuitée le processus de recrutement. C’est malheureusement souvent le cas, particulièrement dans le milieu bordelais, ou le relationnel et le copinage font des ravages.
Ces quelques lignes mettent l’accent sur la complexité de la recherche d’emploi, et ont de ce fait une teneur un peu négative. Mais il me semble important de parler de ces difficultés. Et de mettre en lumière cette période importante de la carrière d’un jeune architecte. Ce premier emploi peut conditionner son évolution et son développement. La structure qui accueille peut engager dans une voie dont il peut être difficile de sortir par la suite, faire prendre de mauvaises habitudes, apprendre de la mauvaise manière. Dans le bon comme dans le mauvais, un premier emploi n’est jamais anodin.
I_ Orientations, cadre et contexte
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2.2_Le contexte : l’année 2014 Si j’ai une analyse acerbe de la situation, c’est pour plusieurs raisons. La première, c’est que j’ai côtoyé suffisamment de personnes en recherche d’emploi pour en affiner mon regard. La seconde, c’est parce que j’ai entrepris ma première recherche d’emploi (post-diplôme du moins) pendant le second semestre de l’année 2014, que l’on pourrait assimiler à la Grande Dépression dans le monde de l’architecture et du bâtiment bordelais. Avec du recul, il semble réellement que cette période récente ait été l’une des plus compliquées pour le milieu. J’ai pour preuve nombre de témoignages ou d’expériences de personnes licenciées économiquement cette année-là, ne trouvant de poste, ou alors dans des conditions compliquées. Difficile de savoir si les agences avaient du travail cette année-là. Ce qui est sûr, c’est qu’elles ne recrutaient pas, bien au contraire. La situation a depuis évolué, et j’ai le sentiment que les choses se sont doucement améliorées. Rien de faramineux pour l’instant, mais à l’heure où j’écris ces lignes (septembre 2016), il semblerait que les agences recrutent plus aisément. C’est du moins une tendance qui se confirme doucement, à la vue des récentes recherches d’emploi auxquelles j’ai pu assister. Mes compagnons d’infortune et moi-même avons néanmoins fini par émerger du brouillard de la Grande Dépression, et je n’ai aujourd’hui aucun proche qui soit sans emploi. J’ai moi-même fini par obtenir mon premier poste, plutôt bon par ailleurs. 2.3_La rencontre tant espérée Patrick me contacta à une période où je commençais sérieusement à désespérer. Quatre mois de recherche, une cinquantaine de portes poussées, le double de mails, pas de réel entretien, pas d’ouverture. Nous nous étions rencontrés une première fois lors de ma présentation PFE, Patrick étant membre extérieur invité du jury. Il avait alors apprécié notre travail et, sensible au sien depuis toujours, j’avais décidé de tenter ma chance. Nous avions discuté un moment mais il n’avait rien à m’offrir, et j’étais reparti avec mon portfolio sous le bras. Je me demande encore aujourd’hui quelles ont été les raisons qui l’ont poussé à se tourner vers moi plutôt qu’un autre. Probablement le fait de m’avoir « vu à l’œuvre », et sans doute une part de hasard, ou de facilité de son côté. Peu importe, j’ai saisi ma chance et évidemment accepté l’entretien. Rapidement, j’ai su que le poste serait pour moi, qu’il n’y avait pas d’autres postulants, et qu’il n’avait pas prévu d’étudier en détail mon CV ou ce portfolio si bien préparé. Il voulait simplement discuter, me proposer ses conditions et savoir si j’acceptais. Il se trouve que j’ai donc finalement eu la chance de débuter ma carrière professionnelle dans l’agence de Patrick Hernandez, qui est à mes yeux une référence à Bordeaux. Tout est bien qui commence bien…
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I_Orientations, cadre et contexte
Jeux poĂŠtiques sur la plage, Ciudad Abierta, Ritoque, Chili.
I_ Orientations, cadre et contexte
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3_Patrick Hernandez, Architecte_ (Annexe 1) 3.1_ L’architecte littéraire La relation qu’entretient Patrick Hernandez à sa profession est à l’image de sa personne et de son parcours, comme souvent. Littéraire dans l’âme, rejetant les sciences au profit du dessin et de la philosophie, c’est assez naturellement qu’il entame des études de Sciences Politiques. Il tire son épingle du jeu sans trop se poser de questions, bien que commence à naître au fil des mois une forme d’ennui ou de lassitude. Les sujets sont intéressants mais le cadre lui convient beaucoup moins et ses congénères l’irritent facilement (tendance qui se confirmera par la suite). De plus, les perspectives qu’offre ce genre de cursus ne lui plaisent guère. Il ne se voit en aucun cas dans l’administration, encore moins dans la politique. S’interrogeant sur une alternative et une voie à suivre, c’est une professeure qui lui suggère de se lancer dans des études d’architecture. Elle lui dit qu’elle a une intuition, qu’il a un profil compatible, intellectuel, pluridisciplinaire avec un penchant certain pour l’art. Il est d’ailleurs plutôt bon dessinateur. Lui rétorque qu’il n’a rien contre, mais qu’il craint que ses carences en mathématiques et en sciences ne soient un problème, Elle lui répond qu’il n’y a rien d’insurmontable, et que cela viendra naturellement s’il y trouve un intérêt. Il décide de suivre son conseil, et grâce à son aide, intègre l’Ecole d’Architecture de Bordeaux, encore liée aux Beaux Arts à l’époque. S’en suit un cursus des plus réjouissants, tel que pouvaient l’être les études d’architecture à cette époque, sous la houlette de maîtres locaux tels que Claude Ferret, alors directeur des études à l’école de Bordeaux, chantre du mouvement moderne et du fonctionnalisme, à qui l’on doit d’ailleurs les locaux de l’actuelle école, ou encore une partie de la reconstruction de Royan, pour laquelle il était urbaniste en chef. Patrick Hernandez achève finalement ses études à Paris, las de la vie bordelaise dont il est pourtant originaire, son père y étant négociant de vin. C’est d’ailleurs par le biais d’une relation familiale qu’il obtiendra son premier projet construit, une résidence secondaire sur la pointe du Cap Ferret. Déconstruite, s’enroulant autour des arbres et semblant faite de bric et de broc, la maison Lillet rappelle les constructions qui émaillent la plage de Ritoque au Chili, là où les membres fondateurs de l’Ecole de Valparaiso créèrent la Ciudad Abierta4, manifeste construit d’une doctrine qu’ils avaient ébauchée, à la rencontre de l’architecture et de la poésie. Sans pousser le processus de réflexion si loin, cette villa lui octroiera tout de même le prix de la Première Œuvre 1988 décerné par les Editions du Moniteur. Profitant d’une époque encore florissante, Patrick Hernandez peut se permettre de travailler pour les projets qui l’intéressent. Il ne sera d’ailleurs jamais employé dans une agence, à l’exception des charrettes étudiantes bénévoles, pratique courante en ces temps. C’est une rencontre qui
4. La Ville Ouverte de Ritoque, qui a constitué par ailleurs mon sujet de mémoire. Pour référence : Ann Pendleton-Jullian, The Road That Is Not a Road, The MIT Press.
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I_Orientations, cadre et contexte
lui offrira la possibilité d’un projet à Islamabad au Pakistan, où il travaillera quelques temps, entre allers retours en France, à la construction d’une école française pour le Ministère des Affaires Etrangères. Projet partiellement réalisé, interrompu par un quelconque changement gouvernemental il me semble. Il dessine par la suite différentes maisons de vacances, un entrepôt de stockage de vin, et divers petits projets, jusqu’à sa rencontre avec Philippe Raoux, qui lui offrira les projets qui permettront son ascension. Dans l’intervalle, il construit le groupe élémentaire André Meunier avec Françoise Bousquet, alors son épouse, nominé au prix de l’Equerre d’argent 1997, ou encore le Restaurant du Centre d’Aide pour le Travail Jacquemart (Annexe, 1_), nominé lui aussi en 1999. Pour DomoFrance, il réalise un ensemble de 34 logements locatifs sociaux à Pessac-Candau, sur le principe d’une médina, qu’il décrit comme « une solution de densité naturelle maximale pour des maisons individuelles »5. Singulier, ce projet est une référence incontournable pour les étudiants se confrontant aux questions de logement et de densité. Il participe également à l’expérience des Diversités, où se côtoient 8 architectes pour 8 lots sur une même parcelle, autre travail sur la densité et l’habitat collectif, réfléchi dans un souci d’alternative à la cité voisine du Grand-Parc, grand ensemble de 4000 logements des années 70. Parmi ses projets fondateurs, je citerais enfin le bâtiment d’accueil de la grotte de Pair-non-Pair à Prignac-et-Marcamps (II_), près de Blaye, sur la rive droite de la Dordogne. Constitué de chêne massif et de béton issu du même bois, ce volume simple de constitution rugueuse et modeste est un sas, « qui transmet imperceptiblement le vertige d’un temps lointain, mais présent »6. Mais c’est bien sa collaboration avec M.Raoux, vrai admirateur de l’architecte, qui s’avère rétrospectivement déterminante dans la carrière de Patrick Hernandez. Pour ce qu’elle a produit, et pour ce à quoi elle a conduit.Elle s’initie au début des années 90, et mène à la réalisation de différents projets autour de son domaine viticole d’Arsac, sur la route du Médoc, au nord de Bordeaux. C’est d’abord le cuvier qui subit une cure de jouvence, dont Patrick Hernandez suggère de repeindre la façade en Bleu-Klein (!). Puis c’est autour du château lui-même, dont le corps central se voit coiffé d’ardoises de verre, conférant à l’espace orné d’un majestueux escalier central en bois une atmosphère déconcertante (III_). S’en suit la construction d’une maison d’hôtes, une architecture de bois et de structure métallique, caractéristique de sa production. Cette collaboration avec Philippe Raoux s’achèvera avec fracas, autour d’un projet qui aurait du être emblématique, pour l’un comme pour l’autre. Celui de la Winery, complexe vinicole destiné au tourisme et au commerce œnologique (IV_). Malheureusement, les conflits d’égo et la mégalomanie du client couplés à des manquements contractuels conduiront à une rupture inéluctable, qui se soldera par un procès important, qui failli mettre un terme à la carrière d’architecte de Patrick Hernandez. Si terme il n’y eut, il ne s’en trouva pas moins freiné dans son élan, et dans une ascension qui aurait du le conduire à une reconnaissance nationale, et à la production qu’il méritait selon moi.
5. http://hernandez-architecte.fr/ 6. idem.
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3.2_ L’architecte créateur J’aime l’idée selon laquelle il existe trois types d’architectes : le créateur, le constructeur, et le vendeur .Si tenté que telle affirmation soit exacte, Patrick Hernandez appartient clairement à la première catégorie. Il est un bâtiment, ou plutôt un ensemble de bâtiments, que j’ai volontairement omis dans cette courte rétrospective, et qui plus que tout autre synthétise la production architecturale de Patrick Hernandez. Il s’agit du 175, Rue du Jardin Public à Bordeaux (V_). Derrière ce morceau de mur en pierre bordelaise doté d’un grand portail en inox et surmonté d’une curieuse structure de poutres métalliques rouges se trouvent les locaux de l’agence, son logement, et des bureaux en location. Construit morceau après morceau par adjonctions d’éléments les uns aux autres, cet ensemble architectural possède aujourd’hui un caractère unique, et une atmosphère insoupçonnable de l’extérieur. Passé le portail en inox, on découvre une cour intérieure paysagée, à la végétation rampantes et retombantes, très dense, encerclée par trois maisons de matérialités différentes. Les cheminements au sol sont réalisés avec des traverses de récupération, et une cuve métallique suspendue aux passerelles du niveau supérieur attire notre attention. A gauche et face à nous en entrant, se trouve la maison de verre, réhabilitation d’un bâtiment existant mais croulant, dont la charpente fut conservée mais remontée, permettant la création des deux niveaux de l’ancienne agence. Le parquet est d’époque, les lattes manquantes sont remplacées par des plaques métalliques. Les menuiseries portant la façade vitrée sont surmesure, et créent de fines bandes verticales qui la rythment. Au centre, une façade de pierres surmontée d’un fronton constitue la maison du même matériau. C’est la façade d’un ancien chai du XIXe, long de quelques 150m de long, qui a été scindé et dont la partie du fond a été vendue puis démolie. L’intérieur est traité en béton brut, tant la structure poteau/poutre que les murs ou le sol. Au fond, des ouvertures en pavés de verre lui confèrent une luminosité d’atelier. Ces locaux sont aujourd’hui ceux d’une agence immobilière spécialisée dans les biens singuliers, et qui comprit assez vite les intérêts qu’elle pouvait avoir à faire de ce lieu la vitrine de son fond de commerce. A droite enfin, se dresse une maison en bardage bois, qui semble de construction précaire et ancienne, à l’exception des baies métalliques qui composent sa façade. C’est un ancien hangar à tabac réhabilité en locaux et en logement. Le bâtiment est d’une grande simplicité mais très efficace, chaleureux, lumineux, et modestement dimensionné. Cet ensemble réunit autour de la cour paysagère du rez-de-chaussée est exclusivement composé de locaux loués en partie basse. En haut, l’agence, le logement, le studio et le cabanon sont connectés par un dédale de passerelles métalliques et constituent la sphère privée du lieu autour de son élément le plus singulier, la piscine. En effet, cette cuve métallique suspendue se trouve en fait être une piscine accessible depuis le niveau supérieur ! Construite sur-mesure et installée au moyen d’une grue par dessus la façade, elle est une pièce unique, et s’insère naturellement dans le continuum métallique que compose sa structure et celle des passerelles, ainsi que les structures secondaires disséminées ça et là, supports de plantes grimpantes ou abris contre la pluie.
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175, rue du Jardin Public, Bordeaux_Patrick Hernandez.
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Le 175 Rue du Jardin Public est un lieu en perpétuelle évolution, à l’intérieur duquel le temps semble figé. Un lieu de bois, de métal et de verre, où la végétation jouit d’une liberté totale, et se propage à une vitesse dingue, sans entretien ou presque. Un lieu inachevé, qui ne le sera probablement jamais, mais si singulier. Ce projet synthétise à la perfection la capacité d’inventivité de Patrick Hernandez, son génie créatif, et son parti-pris. Les matériaux employés, la place accordée à la végétation, au vieillissement, à la marque du temps. Ce côté parfois de bric et de broc, brillant dans son concept mais souvent imparfait dans sa réalisation, ou semblant inachevé. Pour preuve, cette curieuse structure métallique rouge qui surmonte le portail d’entrée. Elle est le squelette de la quatrième maison, entreprise il y a une dizaine d’années sans doute. La maison de métal, stoppée pour les raisons évoquées, et dont l’idée qu’il se fait du projet évolue sans cesse. Elle est destinée à devenir un espace d’atelier et de démonstration, autour du mobilier et du design, autre centre d’intérêt de Patrick qu’il partage avec sa femme, Florence Lopez, antiquaire à Paris spécialisée dans le mobilier contemporain du XXe siècle. A eux deux, il ont orné les intérieurs de l’agence et de l’appartement des plus belles pièces, signées des plus grands. Patrick a par ailleurs lui-même dessiné nombre de meubles, bureaux, tables ou canapé. C’est un des domaines vers lesquels il souhaite s’orienter maintenant, par plaisir et non par obligation.
3.3_ L’architecte maître L’agence Patrick Hernandez Architecte est donc composée de son seul fondateur lorsqu’il fait appel à moi pour l’épauler. En effet, les évènements énoncés ci-avant, et particulièrement le procès (toujours en cours) de la Winery ont consommé une grande partie de son temps et de son énergie, conduisant à la réduction progressive de l’activité de l’agence, et donc de son effectif. Il continue cependant à exercer et obtenir des projets, qu’il ne peut mener à bien seul. Un projet de logements assez important vient de se débloquer, et c’est tout naturellement qu’il a du faire appel à quelqu’un. La perspective d’être l’unique collaborateur et donc de passer mes journées entières seul à seul avec l’architecte éveille en moi des pensées diverses. Je pense que la première fut l’aspect positif de la situation. J’ai d’abord pensé que c’était une chance incroyable d’être au contact d’un architecte de ce calibre et de cette expérience, et que le fait d’être le seul collaborateur me permettrait sans doute d’obtenir un « enseignement personnalisé », d’être plus au contact, plus concerné, voire d’avoir plus de responsabilités. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser à l’effet inverse. Seul collaborateur signifie être au centre de l’attention en permanence, d’être le seul sur lequel se reposer, le seul à qui l’on s’adresse pour produire un document de dernière minute, le seul responsable en cas d’erreur…
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Les choses se mettent en place naturellement et il se trouve que cette situation n’est pas pour me déplaire. Plutôt calme de nature, assez peu sociable par moment, je me découvre ces traits de caractère en commun avec Patrick. Cela ne pose donc pas de problème si certaines journées sont calmes et silencieuses, et si chacun travaille de son côté dans une apparente sérénité. Je suis considéré d’une manière qui me convient tout à fait, en collaborateur débutant, mais aussi en égal. Patrick a mis un point d’honneur à me tutoyer dès le départ, et m’a incité fortement à en faire de même, et ce dès la fin de notre entretien et la confirmation que nous allions travailler ensemble. Répondant que je ferai de mon mieux pour y arriver progressivement, il insista à peu près en ces termes : « Tu dois te forcer à me tutoyer et je vais t’expliquer pourquoi. Tu n’es aujourd’hui plus étudiant ni stagiaire mais architecte. Tu dois t’affirmer, te considérer comme tel et amener les gens à en faire de même. Le vouvoiement crée une distance entre les gens quand le tutoiement permet un traitement d’égal à égal. Dès lors, que ce soit avec un ouvrier ou un grand patron, le fait de tutoyer la personne lui montrera que tu la considères comme ton égal, et facilitera les relations. » Les mots n’étaient pas exactement ceux-là quoique cette tirade m’ait marquée. Je me suis donc forcé à tutoyer une personne de plus de 60 ans que je ne considérais absolument pas comme mon égal sinon comme une référence. Le fait est que nos relations s’en retrouvèrent probablement facilitées, plus familières ou dans une certaine mesure plus complices. J’ai souvent imaginé la poursuite de mon apprentissage du métier d’architecte à la manière de ce qui se faisait jadis. Sous la coupe d’un maître, le jeune assistant collaborateur travaille ses gammes, et continue d’apprendre au contact du sachant. Assez nostalgique des temps passés, je suis en effet convaincu que le diplôme ne marque qu’un temps un de l’apprentissage, difficilement quantifiable certes, mais en aucunement une fin en soi. Et je pense d’ailleurs que l’enseignement dispensé à l’école d’architecture est toujours basé sur cette analyse, peut-être même plus qu’avant, les études s’étant réduites avec l’avènement du système LMD. On y concentre les efforts sur l’apprentissage du penser l’architecture, davantage que sur le faire architecture. Ceci étant d’ailleurs entendable, bien que systématiquement au cœur des débats sur l’apprentissage du champ de l’architecture. Nous en reparlerons sans doute. Ce que je veux dire par là, c’est que j’ai rapidement compris que ma situation au sein de l’agence d’architecture Patrick Hernandez pouvait en tout point ressembler à ce genre d’enseignement, et à ce type de relation, de maître à élève. C’est d’ailleurs ce que j’avais indiqué rechercher dans ma lettre de candidature spontanée, datée du 8 décembre 2014, relançant M. Hernandez après une première entrevue en septembre :
« Je cherche à travailler chez un architecte expérimenté, reconnu, qui saura me faire évoluer et progresser. Nous ne maitrisons par la réalité du métier, mais nous en avons conscience. Les composantes techniques et administratives nous échappent, et seul la collaboration avec un professionnel aguerri pourra nous l›inculquer, dans une relation de maitre à élève. »
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4. L’antichambre de la profession libérale_
Je l’ai dit, une des conditions à ma collaboration avec Patrick Hernandez était de travailler sous le statut d’auto-entrepreneur, puisque sa fragilité financière ne lui permettait pas d’avoir un collaborateur sous contrat. Mais alors qu’il aurait pu tirer profit de mon inexpérience, Patrick choisit de me conseiller sur le statut, et me permit d’en avoir une vision plus globale, pour me prémunir, mais aussi pour essayer d’en tirer avantage. 4.1_ Eclairages Auto-entrepreneur : Personne qui crée son entreprise, grâce à un régime juridique simplifié, pour exercer une activité professionnelle indépendante, à titre principal ou complémentaire. Larousse. Le statut d’auto-entrepreneur a été créé par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, applicable le 1er janvier 2009. Il vise à favoriser la création d’entreprise. L’auto-entrepreneur relève d’un régime fiscal simplifié, celui de la micro entreprise : son chiffre d’affaires ne doit pas dépasser un certain seuil (32 900 € en 2016 pour des activités de services). Il paie des charges selon un taux forfaitaire sur son chiffre d’affaires réalisé. Il est exonéré de la TVA, et facture donc des services HT. Il ne peut en revanche pas déduire de frais ni bénéficier de tarifs professionnels. Il est par ailleurs affilié à la Sécurité Sociale, valide des trimestres de retraite, doit relever d’une caisse d’assurance maladie, et est éligible au RSA. Quelques chiffres : - 982 000 auto-entrepreneurs recensés en 2015, - 51% des entreprises créées depuis 2009 sont des micro-entreprises, - 550 700 entreprises créées en 2014, - 38 ans d’âge moyen, les plus représentés étant les -30ans et les +60ans, - 13% des micro-entreprises appartiennent au domaine de la construction.
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4.2_ Un statut qui fait débat L’auto-entreprise est donc un statut simplifié visant à encourager les personnes désireuses de lancer un négoce ou une entreprise, en leur proposant un fonctionnement simplifié et en leur conférant des avantages fiscaux (le principe du « zéro chiffre d’affaires : zéro charges » prôné à l’époque par Nicolas Sarkozy). A cela s’ajoute l’Aide au Chômeur Créant ou Reprenant une Entreprise (ACCRE) qui offre à l’entrepreneur une exonération partielle ou totale des ses charges pendant les premières années d’activité. Cette ACCRE se manifeste plutôt par une augmentation progressive des charges dues, de l’ordre de 6% la première année, 12% la seconde, 18% la troisième, jusqu’au taux plein, d’environ 24%. Sur le papier donc, rien de particulièrement alarmant, et une manière comme une autre de se lancer sur le marché. Ce statut est d’ailleurs probablement bénéfique à des personnes désireuses de tester un marché ou de tenter une activité nouvelle. Il est en effet cumulable au salariat, et peut donc être mis à l’épreuve pendant qu’une personne conserve son emploi, ou un mi-temps. Ce qui est plus discutable, c’est l’utilisation détournée ou abusive qu’en font les entreprises, au bénéfice de leur rentabilité. La nouvelle tendance pour maintenir une activité consiste en effet à basculer des salariés vers le régime de la micro-entreprise, ou d’en contracter directement, au lieu de salarier. Cette méthode permet d’éviter le paiement de charges sociales de plus en plus lourdes à porter pour les entreprises. En clair, elles sous-traitent à des gens qui sont de fait leur propre patron, mais se retrouvent en réalité dans une situation bâtarde, mi-patron mi-employé, ou salarié déguisé. Ces questions sont plus que jamais d’actualité, et rejoignent les débats du moment autour de la libéralisation du travail, personnifiée par Mme El Khomri et sa loi travail, portée par le gouvernement de MM. Hollande, Valls et Macron, ou encore par les modèles économiques des « start-ups » en vogue, Uber et les livreurs Deliveroo ou Take It Easy en tête. Même si tous les cas ne se ressemblent pas, le principe est le même : chaque employé est son propre patron. Dès lors, l’entreprise s’exonère de charges sociales colossales, ce qui crée une concurrence déloyale avec les modèles classiques. Cette exonération permet en effet de réaliser des bénéfices bien plus intéressants, de palier à la fluctuation du marché, et de n’avoir que peu d’employés à charge. L’employé en revanche, se retrouve dans une situation relativement précaire, ou du moins instable : certains jours ou mois peuvent être florissants, et d’autres quasi-nuls. Pas d’assurance de salaire donc, la possibilité d’être remercié à la moindre baisse d’activité, et l’impossibilité de tabler sur le long terme. (les cas des livreurs à vélo sont un peu particuliers puisque relevant bien souvent du job étudiant, ou complémentaire). De plus, l’auto-entrepreneur se retrouvant sans emploi n’aura pas droit à l’assurance chômage pour laquelle il ne cotise pas. Il cotise certes pour la retraite mais de manière moindre, et ne gagne évidemment rien pendant qu’il est en vacances, ou malade. De fait, affilié au RSI, il faut être sacrément malade avant d’espérer être indemnisé (jours de carence variable selon les cas, mais bien souvent supérieurs à sept…). Peu de garanties.
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4.3_ Savoir en tirer profit Soyons clair et honnête : la grande majorité des jeunes architectes qui ouvrent un statut d’autoentrepreneur ne le fait pas dans un objectif d’indépendance ou de création de structure. Elle le fait car c’est actuellement une des solutions permettant de trouver un emploi et d’exercer sa profession. Mais elle est majoritairement affiliée à une seule agence, et donc en situation de salarié déguisé si l’on veut. Mais le cas de l’architecte est encore une fois un peu différent, et l’on peut malgré tout trouver des avantages à ce régime, et à cette manière de travailler.
> travailler facilement_ D’abord, lorsque la recherche s’avère infructueuse et que surgit une proposition de la sorte, il convient de l’étudier attentivement. Elle permet en effet d’avoir d’acquérir un emploi et dans le même temps de commencer à gagner de l’expérience. Si l’on refuse pour des raisons d’éthique par exemple, qui sont plus qu’entendables, quelqu’un d’autre l’acceptera à notre place. Vue les difficultés du marché, c’est (malheureusement ?) à considérer. > préparer la suite_ Ensuite parce que la majorité d’entre nous aspire à terme à travailler à son compte, en indépendant, ou par le biais d’une société. On peut alors voir le statut d’auto-entrepreneur comme une façon de se confronter dès le départ aux contraintes de l’exercice libéral. L’autoentrepreneur doit en effet gérer sa comptabilité qui, même minime et basique, constitue un premier exercice. Il doit aussi apprendre à gérer son affaire, à faire des factures, discuter des tarifs avec ses clients7, et dégager du profit. Il doit enfin se soucier de son avenir proche et anticiper sa recherche de missions, et donc commencer à se constituer un carnet d’adresses, garder contact avec les architectes, relancer de temps à autre, démarcher. Bref, le quotidien de la profession libérale. > une flexibilité appréciable et appréciée_ Cette solution confère au jeune architecte une certaine flexibilité dans son emploi du temps. Libre à lui de se retrouver « coincé » la semaine entière avec le même architecte ou dans la même agence. Libre à lui de se dégager un ou deux jours pour ses travaux personnels, ou pour son temps libre. Cette liberté a du bon et permet d’être réactif et opportuniste dans son quotidien. Elle est surtout très appréciée des agences. Une des rengaines qui revient systématiquement dans les conversations avec les architectes, même gérants de grosses structures, est le suivant : « nous n’avons pas de visibilité suffisante ». Réalité ou mauvaise foi, parfois sans doute un peu des deux. J’ai néanmoins pu constater
7. Par client, j’entends l’architecte avec lequel on travaille, et non un maître d’ouvrage.
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de ma courte expérience le dur quotidien des agences d’architecture actuellement. Du jour au lendemain, une agence peut gagner trois projets, en perdre deux autres, voir un contrat suspendu, retardé, impayé. Elle doit bien souvent rendre des productions importantes avant même d’être payée, ne toucher ses honoraires en totalité qu’à la fin complète des opérations, etc… Dans ces conditions, maintenir un effectif cohérent à sa charge de travail du moment devient un casse-tête. On embauche pour six mois, l’activité baisse subitement et on se retrouve dans une situation complexe, qui plus est quand on sait que beaucoup d’agences ont des trésoreries plus que limitées. C’est sans doute à anticiper, et certaines le font très bien, mais il semble quand même que cela devienne une constante. Dès lors, l’indépendant aura une vraie carte à jouer de part sa disponibilité et sa flexibilité. A condition d’être respecté et que les conditions de son « recrutement » soit claires et définies au préalable. >gagner de la confiance Enfin, un autre aspect peut aussi être les relations entretenues avec l’architecte avec lequel on travaille. La relation employeur/employé est dépassée au profit d’une relation d’architecte à architecte. Et ce « courage » relatif que constitue votre manière d’exercer peut vous donner un certain aplomb et une certaine crédibilité. J’ai l’impression que ce statut m’a permis de passer un cap de confiance plus rapidement que si j’avais été salarié. Pour la bonne raison que ne l’étant pas, on vous perçoit différent, et que vous vous devez d’être perçu différemment sous peine d’en perdre tout profit. Fini donc de s’exécuter bêtement et de dire amen à tout, un collaborateur indépendant n’est pas un salarié, et se doit de s’affirmer comme tel.
4.4_ Des enseignements pour un exercice viable On l’a déjà un peu évoqué, mais ce statut peut devenir réellement précaire voire dangereux si l’on ne prend pas un minimum ses précautions, ou si l’on tombe sur des personnes mal intentionnées. Se protéger est impératif pour ne pas sombrer. >calculer ses tarifs Cela peut paraître évidemment, mais appliquer des honoraires corrects est primordial pour être respecté et pour s’en sortir. Malgré tout, trop d’auto-entrepreneur travaillent à un tarif dérisoire, non-choisi ou imposé par le client. De plus, le fait de sortir de la vie étudiante fait qu’on a souvent tendance à dévaloriser son travail, ou à ne pas avoir réellement conscience du coup de celui-ci. On regardera alors seulement son bénéfice net sans le rapporter à un taux horaire, soustraire les congés, les impôts ou encore l’épargne, nécessaire dans ce statut (voir par la suite). Le site de l’auto-entrepreneur.fr tente de conseiller ses membres. Il expose par exemple la règle de calcul à suivre pour définir ses tarifs : (Rémunération mensuelle voulue + frais éventuels + 10% pour les congés + cotisations sociales) / nombre d’heures travaillées dans le mois = tarif horaire.
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La difficulté réside dans le fait de fixer un tarif honnête, juste balance entre nos compétences et nos prétentions, et de le faire accepter au client. Ou encore de le revaloriser en cas d’augmentation des cotisations. Il peut être important de se renseigner sur le coût de revient total d’un salarié pour une entreprise, et de comparer. C’est un bon argument de négociations. > le contrat (m)oral L’auto-entrepreneur travaille souvent sans contrat écrit, puisque c’est justement ce qui fait son intérêt pour une agence. On peut néanmoins trouver des moyens de définir les conditions de notre mission auprès de l’architecte. Je me suis pour ma part toujours contenté d’un contrat moral. J’entends par là que la plupart des architectes qui solliciteront vos services sous cette forme ne sont pas forcément des ingrats qui veulent faire du profit en vous précarisant. Ils ont parfois peu d’alternatives. Il est donc intéressant de convenir avec eux d’une durée de départ, et de mettre en place une sorte de préavis. On s’engage à prévenir de notre départ à l’avance, et lui en fait de même sur la fin de votre mission. C’est un premier moyen de se prémunir. L’idéal serait de le valider par écrit, et de mettre en place un contrat de sous-traitance. Sans trop m’avancer, je pense que ce type de document doit pouvoir être compatible avec la situation. > l’auto-gérance Une des constantes que j’ai pu remarquer chez mes camarades, c’est la difficulté de tenir une comptabilité (pourtant basique) saine. Le premier problème rencontré concerne l’émission des factures et leur fréquence. Au mois ? Au trimestre ? A la mission ? Tout dépend des cas. Je pense pour ma part qu’une facture mensuelle est le meilleur moyen de s’y retrouver. Il est en effet possible (et préférable selon moi) de régler ses cotisations à l’Urssaf chaque mois. Ainsi on perçoit une rémunération chaque fin de mois à laquelle on soustrait immédiatement les cotisations. Tout devient plus clair et, à la manière d’un cahier de comptes, on sait où l’on en est. L’autre souci récurrent avec la facture est d’oser la soumettre. Si les choses sont définies en amont, présenter sa facture et être payé n’est qu’une formalité. Enfin, un des éléments prépondérants est l’épargne, et la nécessité de mettre une partie de l’argent gagné de côté. Rappelons en effet qu’un indépendant n’a pas le droit à l’assurance chômage en cas d’arrêt de son activité ; il est donc primordial d’anticiper cette éventualité. Sans parler de cessation, un mois plus difficile n’est jamais à exclure. >de la prudence L’auto-entrepreneur est un sous-traitant pour l’agence ou l’architecte pour lequel il travaille. De plus, dans mon cas, il n’est pas titulaire de l’HMONP, pas inscrit à l’Ordre, et donc pas assuré. Dans ces conditions, il faut savoir rester à sa place, et ne pas s’engager sur des éléments pour lesquels nous ne sommes pas habilités. Le nom sous lequel on exerce avec cet architecte est déjà un premier point à prendre en compte. Nous sommes des sous-traitants, en aucun cas des co-traitants. Nous sommes payés et embauchés par la maitrise d’œuvre, pour une mission de services, en interne bien souvent. Pas question donc d’apparaître sur le moindre document sans que ceci ne soit vérifié ni certifié au préalable. J’ai choisi de ne pas apparaître du tout, afin d’éviter tout mauvaise surprise.
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En dehors de l’activité de sous-traitance, même combat. Hors de question de signer des plans ou des documents en qualité d’Architecte D.E., c’est illégal. Cela n’exclut pas de dessiner pour conseiller ou proposer, mais en veillant à préciser sur ces documents qu’ils ne font en aucun cas office de plans d’exécution, de plans de quoi que ce soit. J’ai pris le parti de rester extrêmement prudent vis-à-vis de ça, peut-être trop, mais il me semble préférable pour l’instant de ne pas risquer les conflits, qui plus est à une époque où le moindre litige finit devant la Cour. >oser s’affirmer On compile ici des notions déjà évoquées dans d’autres sujets, mais ces enseignements que j’ai tirés de ma jeune pratique me semblent importants et utiles, aussi pour l’avenir. Il faut apprendre à assumer le statut de professionnel, et plus d’étudiant ou de stagiaire. C’est le propre de la profession, mais c’est souvent difficile au début, par timidité, par peur de déranger, d’être insistant, voire impoli. J’ai néanmoins appris que rien ne vient à celui qui attend, et qu’il faut en permanence aller le chercher. Dès lors, pas la peine d’attendre sur sa chaise qu’on vienne vous proposer un emploi (c’est néanmoins possible), une semaine de congé (peu probable) ou une augmentation des tarifs (quasiment impossible). Il faut faire preuve de courage, et d’aplomb. Savoir être cordial mais ferme, savoir réclamer ce qui est du, oser demander ce qui semble légitime. Il en va de même pour la recherche de missions. Savoir se vendre et être convaincant sont des compétences importantes dans cette profession. On se rend alors souvent compte que l’on obtient ce qu’on réclame, en étant parfois le premier surpris. J’ai souvent failli ne pas demander, par peur ou lâcheté, des choses que j’ai finalement obtenues. Et au-delà de ça, un architecte sait très bien ce que sait que de réclamer et de se vendre puisque qu’il le fait aussi dans son quotidien. De ce fait, il saura reconnaître, voire apprécier le geste. C’est un travail sur moimême que je poursuis encore aujourd’hui, n’étant pas dans ma nature, mais que je sais ô combien important quant à la suite de ma carrière.
4.5_ Limites du statut On peut néanmoins s’interroger sur les limites d’un fonctionnement de la sorte, et sur sa pérennité. Ce sont mes questionnements actuels, et il n’est d’ailleurs pas à exclure que la situation est w lorsque je soutiendrai ce travail. Je ne suis pas prisonnier de ce statut, ni le porte en étendard. Je n’ai jamais tenté de convertir qui que ce soit à ce mode d’exercice. J’ai simplement tenté de faire évoluer certaines mentalités figées, par l’argumentation tenue ci-dessus. Je suis malgré tout conscient des limites de ce système. La première qui me vient à l’esprit parce qu’elle m’a concernée dernièrement, c’est le risque de se condamner à n’être qu’un « bouche –trou », un super dépanneur, que l’on contacte en renfort, qui rend service et repart aussi sec, ou alors se contente de produire la partie ingrate du projet. Le fait que l’on n’investisse pas autant en vous qu’en un salarié, puisque vous pouvez partir du jour au lendemain ou presque. Face à ce risque réel, j’hésite encore sur la marche à suivre. Mais la perspective de responsabilités de longue durée sur un projet intéressant est un des aspects qui pourraient me faire accepter un contrat dans une agence.
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L’autre sujet, c’est celui des avantages fiscaux qui diminuent progressivement à mesure que s’écoulent nos années d’exercice, et avec elles l’allègement fiscal que j’ai évoqué précédemment (ACCRE). Se pose alors la question de savoir vers quel statut évoluer, en sachant qu’aucun n’est aussi tolérant sur l’absence de revenus que celui d’auto-entrepreneur. Mais peut-être que d’ici là j’aurais les commandes suffisantes à porter un vrai statut de libéral. En attendant, je pense avoir le recul pour décider en conscience de rester ou non dans l’antichambre.
5._ Sur l’HMONP_ 5.1_ Le choix d’effectuer la formation Quelques mois après avoir pris mes marques auprès de Patrick et ayant intégré nos méthodes de fonctionnement et le calendrier à venir, je décidai de lui soumettre la possibilité d’effectuer l’Habilitation à la Maîtrise d’Oeuvre en son Nom Propre (HMONP) à ses côtés. J’avais saisi l’opportunité, converti l’expérience avec succès, et notre collaboration semblait sur de bons rails pour la suite. La charge de travail était suffisante à l’apprentissage mais pas insurmontable au point de m’empêcher de m’absenter quelques semaines. Les projets permettaient de balayer un nombre intéressant d’échelles, de sujets, de procédés constructifs et de programmes. Je me tournai naturellement vers Montpellier, Bordeaux préférant fermer les yeux sur la réalité du métier et ne pas accepter de statut d’auto-entrepreneur. De plus, les inscriptions étaient closes le lendemain de la rentrée de septembre. La perspective de découvrir un autre enseignement dans un autre contexte me plaisait, et je n’eus jamais à le regretter. Au contraire, ce fut même un grand bol d’air frais ainsi que pour mes camarades qui firent le même choix. J’ai pleinement conscience que la période à laquelle on choisit d’effectuer cette formation finale est un autre sujet à débats récurrents. Initialement mise en place pour conseiller et former le jeune praticien désireux de s’installer, l’HMONP est aujourd’hui validée à différents moments de la carrière de l’architecte. On note même une tendance, considérée comme fâcheuse par certains, à effectuer cette formation à la suite des études, en continuité directe avec le master. Je pense que chaque sujet est discutable, mais surtout que chaque cas est entendable. Il me semble que le critère devant primer dans la décision est bien la qualité de la structure d’accueil, avant le moment. En effet, l’HMONP n’a d’intérêt que si l’on offre la possibilité à l’étudiant/architecte de balayer une multitude de champs de la pratique professionnelle, de toucher à des cas et des aspects différents du métier. Dès lors, je rejoins l’idée que tenter de valider son habilitation en restant cloué sur son fauteuil au fond de la salle, essayant tant bien que mal de placer le rectangle handicapé entre la paroi et la cuvette n’est pas la meilleure solution. Tout en précisant néanmoins qu’il n’est souvent malheureusement pas du ressort de l’élève de décider de la qualité de sa structure d’accueil. Je renvoie ici à mon chapitre sur le démarchage, on prend bien souvent ce qui s’offre à nous. J’ai eu l’intuition qu’il pouvait être judicieux d’entreprendre cette validation auprès de Patrick Hernandez et à ce moment-là de ma vie professionnelle. Que j’avais besoin d’apprendre tout cela, et que la structure qui m’accueillait me semblait adéquat pour y parvenir.
I_ Orientations, cadre et contexte
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5.2_ Critique d’un système Pour le reste, j’aimerais tout de même me positionner dans le débat qui oppose les partisans d’une HMONP effectuée au sortie de l’école à leurs détracteurs. D’abord, je voudrais dire que je suis à la base plutôt d’accord avec l’idée de cette formation. Les raisons de sa mise en place me semblent valables, et les enseignements reçus utiles, bien que donnant facilement dans l’absorption démesurée de quantités de données difficiles à retenir. Mon opinion sur ce sujet n’est donc pas fondée sur un quelconque rejet de cette habilitation (bien que l’on puisse tout de même s’interroger sur les réelles motivations d’une formation qui, une fois encore, se monnaie). Ce que je déplore, c’est que ce qui devait être un service rendu aux jeunes architectes et à la profession se transforme aujourd’hui en une contrainte, et un frein dans le développement et la carrière. Et qu’aujourd’hui, les émissaires administratifs qui s’érigent en défenseur de cette habilitation ne fassent pas l’effort de comprendre les gens que cela concerne. Notons encore une fois que bien souvent, les défenseurs de l’HMONP n’ont pas eu à valider quelque habilitation, puisqu’à l’époque, cet enseignement était en partie intégré à leur cursus, et en partie inexistant. Notons aussi que pour ces gens, sortir de l’école et trouver un emploi n’était pas un parcours du combattant, puisqu’emploi il y avait. Sans être plus brillant que la moyenne, il était autrefois possible, via de petites commandes, de tenir un négoce, et de vivre normalement de son métier. Passons. Il me semble nécessaire que les défenseurs d’une HMO « censée », validée dans une période précédant une installation, et donc dans une démarche porteuse d’un projet professionnel clair et défini, comprennent que nous prenons ces décisions par nécessité, mais aussi par anticipation. En effet, selon le protocole en vigueur, il nous faudrait donc apprendre au sein d’une agence, en bon petit soldat, s’en émanciper progressivement, tel que c’est toujours le cas, jusqu’à considérer l’installation plausible, viable et donc envisageable. Cette viabilité, qu’on se le dise, est amenée par un projet ou une commande dont on estime les bénéfices suffisant à supporter une installation. Il faudrait donc à ce moment-là, à en croire ces gens, tout interrompre pendant 8 mois (et donc très certainement laissé filer ledit projet), chercher un « CDD de MSD » de 7 ou 8 mois, apprendre la réalité de la gestion d’une agence, et reprendre notre parcours là où on l’a laissé. Invivable, sans parler du fait qu’au-delà des architectes présents dans les conseils décisionnaires, la majorité d’être eux reste tout de même relativement frileuse voire réticente à l’idée d’embaucher des HMONP. C’est tout le paradoxe d’une formation que j’estime jusqu’à aujourd’hui utile et globalement intelligente. Peut-être mon avis changera-t-il lorsque je découvrirai que j’ai oublié les enseignements théoriques de HMONP que j’ai, en revanche, intégrés sur le terrain. L’avenir le dira. Ce qui me semble sûr, c’est que rajouter des bâtons dans une roue qui tourne déjà de plus en plus mal n’aidera pas son propriétaire à gravir la pente. Et qu’aujourd’hui, il faut bien le dire, les conditions de validation (et même d’intégration !) de l’HMONP sont drastiques, et que l’on s’éloigne à mon sens un peu trop de la réalité du terrain et de l’objectif initial d’une formation qui devait, comme je l’ai dit, servir la profession, en comblant les lacunes de ses jeunes représentants.
II_Une pratique, des dĂŠfis
Lutter pour la singularitĂŠ_
II_ Une pratique, des défis
Faisabilité ESQ APS APD (PC) PRO DCE ACT_VISA_DET CHANTIER
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Patrick Hernandez La Plantille_30 logements en accession Timbaud_Restructuration d’un loft parisien Lagun_Appartement parisien Gilbert_Restructuration villa Jardin Public_Atelier et logement Escource_Réhabilitation d’une grange en logement Escource_Reconstruction à l’identique d’un chalet Cukier_Création d’une cour anglaise Blancs-Manteaux_Agencement appartement parisien Lanoire & Courrian Tivoli_280 logements neufs et réhabilitation Lormont_97 logements neufs St-Eloi_SDIS Missions complétées Missions partiellement complétées, ou observées
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Le métier d’architecte engage des responsabilités lourdes et multiples. Pour y faire face, une débauche d’énergie importante est nécessaire, physique comme intellectuelle, afin de porter au quotidien le combat de la singularité et de la qualité architecturale. Combat, c’est justement le mot qu’a choisi Rudy Ricciotti pour son dernier pamphlet1. Provocateur comme à son habitude, chacun de nous a pourtant compris instantanément à la lecture de ce titre où il voulait en venir. Le terme de « combat » est peut-être exagéré. Un jeune novice et qui se doit d’être optimiste lui préfèrera celui de « défi ». J’ai choisi de raconter ma courte pratique au travers de ces défis, qui sont apparus lors de projets fondateurs ayant émaillé mon parcours jusque là2. Par leurs particularités, leur complexité ou leurs contraintes, ces projets ont dressé devant nous des embuches qu’il nous a fallu surmonter, à la manière de défis donc. Ces éléments sont à considérer comme des moments de la vie d’un projet. Ils sont fondés sur une analyse des forces en présence, et sur mon interprétation de leur déroulement.
1.Rudy Ricciotti, L’architecture est un sport de combat, Textuel, 2013. 2. Si les projets sont d’abord issus de la collaboration avec Patrick Hernandez, l’analyse que j’en fait est enrichie d’expériences similaires dans d’autres structures, notamment avec Lanoire & Courrian.
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Perspective projet La Plantille pignon sur rue.
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1_ La Plantille, le défi administratif_ 1.1_ Logements collectifs en promotion La Plantille est un futur quartier résidentiel sur la commune de Blanquefort, en banlieue bordelaise, dans une commune de la Communauté Urbaine de Bordeaux (CUB, aujourd’hui Bordeaux Métropole). Située à l’extérieur de la ceinture de la rocade, Blanquefort se retrouve aujourd’hui au cœur du développement urbain de la métropole bordelaise, porté par les opérations urbaines qui l’ont métamorphosée (tramway, réhabilitation des quais), mais surtout par l’arrivée future de la Ligne à Grande Vitesse, qui reliera dès 2017 Bordeaux et Paris en 2h. La ville de Blanquefort a lancé la construction d’un programme de logements dans un quartier proche du centre-ville, sur des parcelles majoritairement inoccupées jusqu’alors. La parcelle qui nous intéresse concerne la construction d’une soixantaine de logements, en locatif social et en accession, sur deux bâtiments. Il s’agit d’une opération initialement menée par le bailleur social Domofrance, qui s’est associé à Vinci Immobilier pour les logements en accession. Domofrance réalise donc un bâtiment recevant les logements en location avec l’agence bordelaise Latour Salier, et Vinci celui de l’accession avec Patrick Hernandez. Il s’agit donc de leur seconde collaboration. Ce projet est la raison principale de mon intégration à l’agence de Patrick Hernandez. Stoppé quelques mois plus tôt, il redémarre début 2015, et Patrick a donc besoin d’un collaborateur dédié. A mon arrivée, le projet est déjà esquissé dans ses grandes lignes, que nous ne manquerons pas de modifier et d’adapter aux évolutions programmatiques. Il s’agit d’un bâtiment d’une trentaine de logements, du T2 au T4. Construit en R+3 et attique, le bâtiment est légèrement courbe, afin de maximiser son implantation et de tirer profit des limites du terrain. Le rez-de-chaussée reçoit un parking semi-enterré, traité par des talus diminuant l’impression de hauteur, à laquelle l’attique en retrait contribue également. Les longs balcons filants profilés semblent flotter sur ce talus, et accueillent des celliers en bois qui viennent rythmer la façade. Les circulations verticales sont positionnées à l’extérieur du bâtiment, telles des cylindres rapportés, recevant des escaliers en colimaçon. L’attique est traité avec une toiture en bardage métallique courbe, qui contribue aussi à adoucir l’ensemble. Le corps du bâtiment est en enduit blanc, avec des ouvertures verticales disposées en quinconce, et des garde-corps en barreaudage métallique simples.
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1.2_ Le frein règlementaire Il devient très vite nécessaire d’intervenir le bâtiment en tant que tel. D’une part parce que nos modifications esthétiques extérieures en ont quelque peu altéré l’enveloppe, mais aussi parce que le programme et les exigences ont évolué entre-temps. Commence alors mon exploration du grand champ de la réglementation française. (toujours d’actualité aujourd’hui…). Règlement d’urbanisme et d’implantation, règlement d’accessibilité, règlement de sécurité incendie, autant d’éléments alors complétement inconnus et pourtant essentiels à maîtriser pour espérer esquisser quelque projet que ce soit. C’est là un premier vrai choc par rapport à la pratique que l’on a pu développer à l’école. En effet, comment esquisser un projet sans en connaître les contraintes ? J’ai coutume de dire que cela revient à jouer à un jeu sans en connaître les règles. C’est impossible, ou inutile. Pour La Plantille, ma chance a été que l’esquisse était déjà debout. Il me suffisait donc de modifier sensiblement le projet sans en altérer les grandes lignes. Mais même ainsi, comment savoir ce qui est modifiable et sous quelles conditions, et ce qui ne l’est pas ? Il m’est arrivé encore récemment d’intervenir sur un projet et de devoir déplacer la porte d’entrée de l’appartement, sans réfléchir à la distance maximale entre celle-ci et l’escalier. Evidemment, cela ne passait pas. En corrigeant le sous-sol, je m’aperçus après discussion avec des collègues que les halls qui avaient été dessinés n’étaient pas suffisamment généreux, que le fameux cercle handicapé ne passait pas devant la porte. Agrandir le hall empiète sur le parking, qu’il faut modifier, déplaçant la trame qui conditionne la structure et la répartition des étages supérieurs, etc… Tout est à reprendre, même si l’on finit toujours pas trouver des solutions, mais des solutions qui viendront perturber la fluidité ou la simplicité du concept initial. L’erreur a été commise par un débutant, comme moi à l’époque de la Plantille, qui ne possédaient pas toutes les cartes dans son jeu. Le premier constat autour de ce frein règlementaire est donc bien de se rendre compte qu’on ne possède pas les connaissances nécessaires à dessiner seul un projet. Une déconvenue en soit avouons-le, même si quelques mois d’expérience et de tâtonnement suffiront à nous octroyer les bases nécessaires. Les bases seulement, puisque j’en découvre encore tous les jours, et ma collègue de quinze ans d’expérience aussi… Et au-delà de ça, les règlementations évoluent tellement souvent que mieux vaut peut-être ne pas trop en apprendre d’un coup. Pour les calculs de surfaces, dont les définitions changent tous les quatre matins, Patrick ouvrait son petit fascicule du Moniteur et cherchait la manière de procéder. Il disait qu’il refusait de s’encombrer et se polluer l’esprit avec ce genre de choses. Quel luxe… Le second est une rengaine maintes et maintes fois entendues mais que je me dois néanmoins d’évoquer lorsque l’on aborde la question de la réglementation. Elle concerne la manière dont elle se répercute sur le dessin et la création architecturale. Cette réglementation est à l’image de ce qu’est notre pays et son administration à l’heure actuelle : une « usine à gaz ». Un sac de nœud législatif et administratif qui ne cesse de croitre et que plus personne ne contrôle aujourd’hui. Un enchevêtrement de textes, produits en quantité astronomique, qui viennent compléter, abroger, réfuter ou affiner le précédent, et que plus personne n’arrive à suivre. Pour rappel, on a produit
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en 2015 plus de 5000 textes de lois, et toujours dans un but humaniste bien évidemment. Pour protéger l’ensemble des individus, pour augmenter les égalités, pour ne pas discriminer, pour l’embellissement du paysage. Autant d’intentions certes louables mais qui ont pris le pas sur le bon sens, et rendues dubitatifs jusqu’aux professionnels du Droit. Lorsque l’on fait la somme des contraintes règlementaires applicables à notre projet, celui-ci est quasiment fait. Pour peu qu’il soit commandé par un promoteur, il ne reste plus qu’à dessiner les façades.
Deux observations là-dessus :
1- il est important de ne pas confondre égalité avec équité. Ce n’est pas en équipant chaque logement de France d’une salle de bain de la taille de la chambre - toute surface utilisée à la construction de ladite salle de bain doit en effet être récupérée ailleurs – que l’on mettra fin aux discriminations. Parquer les personnes à mobilité réduite au rez-de-chaussée n’est pas une solution non plus. Mais il est possible d’aller au-delà du « tout ou rien ».
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2- le méli-mélo législatif français est directement lié à la qualité du paysage architectural français, que l’on se passera de commenter. Prenons pour exemple la justesse des aménagements extérieurs urbains espagnols (élévateurs à l’air libre mis part) ou la pureté des constructions portugaises. Ont-ils pour autant plus de personnes tuées par basculement de toiture ou chute d’escalier que chez nous ? Pas sûr.
Images de synthèse_ Auteur inconnu.
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« On évoque souvent un manque d’audace dans l’architecture française. Qu’en pensez-vous ? Rudy Ricciotti : Que les architectes français sont les meilleurs au monde. Ce sont de très grands professionnels parce qu’ils sont rompus à la culture du combat, à l’absence de budget et à la perversité démoniaque d’une bureaucratie qui a compris qu’en fabriquant de la nuisance, elle renouvelle son territoire existentiel. En France, il y a un excès règlementaire qui n’a pas pour but de créer de la qualité et du bien en commun, mais de fabriquer du lobbying économique.»3
Le franc-parler théâtral de Rudy Ricciotti a de quoi irriter j’en conviens. J’apprécie néanmoins son investissement à défendre la profession. Et force est de constater que sur ce coup là, on ne peut qu’acquiescer. Je pense néanmoins que des perspectives existent. La législation évolue, parfois même dans le bon sens. J’ai l’impression que l’on commence à se rendre compte qu’on a poussé la question des normes PMR trop loin, et qu’on tend aujourd’hui vers un assouplissement des règles, ou vers des règles plus intelligentes. Il semble que ces obligations puissent évoluer en préconisations par moments, ou du moins ouvrir à discussion. Dans ce domaine, les pompiers sont plus clairvoyants, acceptant le dialogue et les compromis réfléchis. C’est une tendance malheureusement récurrente que celle de basculer le cursus d’un opposé à l’autre pour finalement comprendre l’équilibre. Gageons qu’il en soit de même pour les réglementations liées à la construction, sans quoi l’architecte n’aura bientôt plus de marge de manœuvre et de création.
1.3_ Le calcul promotionnel La Plantille marque aussi ma découverte du monde de la promotion immobilière, incarnée ici par Vinci Immobilier. C’est un moyen pour le jeune architecte d’aborder les questions de budget et surtout de rentabilité. Un promoteur est en effet un commerçant avant tout. Il restera propriétaire de son bien très peu de temps après son achèvement, à la différence d’un bailleur social par exemple. La rentabilité est donc son maître mot. Tous les promoteurs ne fonctionnent sans doute pas de la même façon, et certains cherchent probablement à faire du qualitatif. Ce n’est néanmoins pas vraiment l’expérience que j’en ai. Ils ne s’en cachent d’ailleurs pas, comme nous l’avais un jour expliqué un représentant d’une de ces sociétés. Ils avaient essayé, au début, de promouvoir des projets architecturalement intéressants, novateurs, innovants. Rapidement, ils ont cessé devant les contraintes de leur métier ou les chiffres imposés par la direction. Dès lors, le dialogue avec eux s’appauvrit considérablement, avec notre marge de manœuvre. D’abord parce que le programme que l’on vous donne est bien
3. http://www.cite-ideale.fr/rudy-ricciotti-larchitecture-sans-concession/ 29 juillet 2016.
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souvent basé sur une faisabilité réalisée au préalable, je ne sais par qui, je ne sais comment. Ce que je sais, c’est qu’entre les possibilités que laisse entrevoir cette faisabilité, et la mise en forme du projet, le décalage est conséquent. Je fonde cette analyse, au-delà de La Plantille, sur un projet d’une centaine de logements en accession sur lequel j’ai travaillé ces derniers temps. Ce projet est censé être qualitatif, du moins plus que la production habituelle de ce promoteur. Une première faisabilité avait abouti au nombre de 85 logements répartis sur la parcelle, en plots me semble-t-il. Projet validé par la mairie, sur de bons rails. Le promoteur se rendit un jour compte, par je ne sais quel calcul savant, qu’il était sans doute possible d’en « rentrer » 105. Ce terme « rentrer » bien qu’entre guillemets, est pour moi révélateur de ce langage de promoteur. Rentabilité maximale, profit maximal. Peu importe le reste. A partir de là, loger 105 logements au lieu de 85 s’avère très complexe. Pas qu’il soit impossible de les caser, mais parce qu’il devient extrêmement difficile de trouver une architecture intelligente, un peu innovante et en adéquation avec le site. Une fois que l’on a tenu compte des exigences du promoteur et de sa répartition, des limites de site et des gabarits, et du reste de la réglementation, on se retrouve de nouveau avec un projet sans âme, que le dessin des façades aura du mal à porter. L’architecture (et l’architecte ?), le promoteur s’en soucie peu. Il a besoin d’un architecte pour esquisser un bâtiment et le signer. Sans ça, il s’en passerait. Il n’a pas besoin de lui pour le construire, et préfère autant que la mission s’arrête au DCE, et aux plans de vente. Les architectes, ayant souvent vécu l’expérience douloureuse de ce genre de chantier, se font à l’idée. Patrick devait donc livrer ce projet au stade du DCE, et laisser Vinci construire comme bon lui semble. Il a suivi le chantier sur Quai-Ouest, la précédente opération, il me semble. Le projet a été « massacré » selon ses propres termes. Des altérations mineures et en apparence sans importance, mais qui ont perturbé le dessin du projet. Des choix financiers en somme, devant le reste. Il en va de même pour l’intérieur des appartements. Pour le dernier promoteur en date, les exigences étaient les suivantes : T2=42m2, T3=62m2, T4=82m2. Pas plus, pas moins. Certains appartements trop grands ont du être diminués au profit des circulations, ou des gaines ! Rendez-nous quand même compte de l’absurdité qui réside dans le fait de chercher où enlever 1,42m2 à un appartement pour le rétrocéder au couloir, parce qu’il sera sinon trop cher, ou trop peu rentable. C’est l’angle financier qui commande. Si le T2 est trop grand, il est plus cher, n’entre pas dans les cases. J’aime les images, vous le savez. Pour le promoteur, l’image est celle du tableau Excel. Ce n’est pas une personne que l’on a en face mais un tableau Excel. Si les cases sont vertes, tout va bien. Si elles sont rouges, on change. Peu importe le reste. Pour la Plantille, il fallait systématiquement changer les typologies et la répartition, transformer deux T3 en trois T2, augmenter les T2, diminuer les T4, déplacer les T3… Nous avons même travaillé sur des T4 qui seraient transformés en T2, à la suite du dépôt de PC il me semble ! Ces changements successifs complexifient peu à peu le découpage intérieur, toujours pensé le plus rationnellement au départ, et rendent l’aménagement des appartements fastidieux. Il est déjà juste de concevoir un T2 de 42m2 avec les règlements. S’il est crénelé ou tordu comme une
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pièce de Tétris, c’est quasiment impossible. Et ce sans compter les préconisations du promoteur, reflétant soi-disant les demandes des futurs acquéreurs. Une entrée bien marquée avec placard, une porte entre le couloir la pièce de vie, une cuisine US, un meuble bar, des portes à la française. Le manque de marge de manœuvre est une chose. L’appauvrissement du logement et le manque d’innovation en sont une autre, là encore symptomatique de la production des promoteurs. L’appauvrissement spatial d’abord, au travers de ces demandes, mais aussi l’appauvrissement constructif et qualitatif. A trop vouloir tirer sur les prix, on construit des bâtiments insipides, où le diptyque menuiserie PVC/enduit est roi. Mais ceci n’a que peu d’importance puisque dans le corpus décisionnel du projet, l’architecte est seul face à ses convictions. Et si le propriétaire était là, il ne dérogerait pas à la règle. On construit des T2 à la pelle, support d’investissements de défiscalisation par la loi Pinel (entre autres), dans lesquels bon nombre de propriétaires ne mettront jamais les pieds. Les appartements sont achetés par des fonds d’investissement, et il arrive que les propriétaires ne sachent même pas où est ni à quoi ressemble le fameux T2. A Bordeaux, les appartements du nouveau quartier des Bassins à Flots ont été achetés à près de 70% par des investisseurs qui n’y vivront jamais. Pourquoi faire de la qualité ? Pour faire moins de profit ? Surtout pas. A la fin des dix ou quinze ans, le propriétaire revendra, et peu lui importe l’état constructif de son bien. A Bordeaux, certains biens ont augmenté de plus de 50% de leur valeur en moins de 10 ans. Tout au bout de la chaîne du montage financier, c’est le malheureux locataire qui fera les frais de ces choix. Analyse acerbe encore une fois, trop peut-être ? A la différence des sujets de réglementation, j’ai ici bien du mal à entrevoir du positif. Que ce soit pour l’architecte, pour l’avenir de sa profession, mais pour le marché immobilier en général. Il est extrêmement démoralisant pour un jeune architecte de travailler avec un promoteur. On y trouve certes un intérêt initial, puisqu’au travers de ces projets, on apprend les contraintes, les règles. C’est une maitrise d’ouvrage comme une autre, et c’est déjà bon à prendre. Mais on perd peu à peu la motivation et jusqu’à l’envie de faire. Il est extrêmement dur de faire passer une idée un peu innovante, un matériau original, quelque chose de nouveau. Tôt ou tard, le béton blanc deviendra de l’enduit, la menuiserie bois du PVC, le volet coulissant un volet roulant. Ce constat fait, il faut faire preuve d’abstraction et de beaucoup de motivation pour ne pas proposer le projet lambda dès le départ. J’admire la faculté de mes « supérieurs » à ce heurter sans relâche au mur du refus, et leur persévérance à chercher un compromis, un projet dont ils puissent être fiers. Et encore, je ne suis que collaborateur et donc pas directement touché par les répercussions financières. C’est là le principal problème, la conjoncture contraint les architectes à se tourner vers ce genre de commandes, que j’appelle alimentaire, faute de mieux. Ces commandes font tourner la boutique, bien que signées à des pourcentages dérisoires. Quant à l’échéancier, le premier versement n’intervient bien souvent qu’au dépôt de PC, et le dernier qu’après livraison, et ce même si l’architecte n’a pas de mission chantier. L’agence travaillait dernièrement sur un gros projet de logements qui ne cesse d’être modifié, et dont le PC n’est jamais validé. L’architecte n’est pas rémunéré tant que ce dernier n’est pas déposé. Tout l’enjeu devient donc de réussir à maintenir une trésorerie suffisante à payer les collaborateurs durant ces laps de temps qui peuvent, parfois, s’éterniser.
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1.4_ La toute-puissance politique Enfin, puisqu’il est le projet de toutes les premières, c’est au travers de La Plantille qu’il m’a été donné de découvrir les réunions de rencontre avec les élus et leurs services. Nous avons présenté des évolutions du projet, convenu d’une esthétique générale et de gabarits, qui leur confèreraient l’offre de logements dont ils ont besoin sans se mettre à dos les riverains et les électeurs. Car c’est là que réside toute la complexité du travail de l’élu et de sa position. Blanquefort a probablement besoin de ces logements. La mairie doit donc porter le projet, et essayer d’obtenir un résultat final qui convienne à tout le monde. Pas simple. En effet, chaque acteur décisionnaire (et même non décisionnaire si l’on prend en compte les riverains) a son avis sur la question architecturale. Trop haut, pas assez, trop blanc, trop moderne, trop rétro. Les allers retours s’avèrent à peu près aussi fréquents qu’avec les promoteurs. A mon arrivée sur le projet, j’ai travaillé à l’harmonisation des pignons sur rue du bâtiment DomoFrance avec le nôtre, par la création de locaux poubelles et d’un porche visant à les lier. La mairie trouvait effectivement les deux projets trop disparates. Mais il semblerait selon les architectes qu’initialement, ils avaient manifesté le souhait de travailler en collaboration sur un seul et unique projet. Idée refusée par… la mairie. Chacun partit donc développer son bâtiment dans son coin et revint avec des esthétiques pas opposées, mais évidemment pas ressemblantes. Volteface de l’élue, il faut harmoniser, ce qui implique perte de temps, complications, et pas forcément d’amélioration du projet, au contraire. J’ai bien conscience de la difficulté du travail des élus, et je trouve ce sujet bien plus complexe et intéressant que les difficultés rencontrées avec les promoteurs par exemple. Bien que le pouvoir politique soit à peu aussi responsable que le financier des maux de notre temps, il personnifie néanmoins des idées et des hommes. En bon architecte, il nous faut accepter qu’il n’y a jamais une réponse, une architecture. Les goûts et les couleurs en somme. Il n’y a qu’à observer la composition de nos banlieues ou de nos campagnes, pour se rendre compte que l’idée que les gens se font d’un bâtiment ou d’une maison n’est pas tout à fait la même que la nôtre. La profusion du modèle pavillonnaire sur l’ensemble de notre territoire, dont nous ne débattrons pas maintenant les conséquences, n’est pas uniquement due aux avantages financiers des solutions proposées par les lotisseurs. Elle est aussi due, et il nous faut l’accepter, à la conception que le citoyen moyen se fait de son foyer. Il en va de même avec l’architecture collective ou publique. On ne peut pas systématiquement imposer des idées et choix esthétiques, sous prétexte que l’on sait mieux qu’un autre ce qui est beau, ou bien. Le béton brut ne fait pas rêver autant les gens que les architectes. L’acier Corten n’est pas tendance pour eux, et les cubes blancs ne sont pas des maisons. On aborde ici un sujet complexe que celui du rôle de l’architecte. Doit-on, sous couvert de ce que l’on vient d’exposer, se contenter d’offrir aux gens et aux élus la solution qu’ils attendent ? Sans doute pas. L’architecte a un devoir de proposition et d’innovation. Un devoir d’ouverture des esprits et des consciences, de planificateur. C’est son rôle que de proposer des écritures et
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des concepts nouveaux, c’est ce pourquoi on le paie, ce pourquoi il vit. De la même manière, c’est le rôle du maire de protéger les intérêts de ses concitoyens, et de défendre leur vision et leurs idées. Ce qui est complexe, c’est de poser des limites et des critères aux idées de chacun. On peut regretter le fait que l’avis d’un architecte, un professionnel donc, ne pèse pas autant dans la balance que celui d’un élu dont ce n’est pas le domaine de prédilection. Regretter au fond le (trop) grand pouvoir des instances dans des décisions de ce type. Ce pouvoir peut être positif ou négatif, et l’action d’un maire et de son équipe suffit parfois à métamorphoser une ville, ou la figer dans l’immobilisme. Les transformations de Bordeaux d’il y a quinze ans en sont un bon exemple (tramway, quais), celles d’aujourd’hui beaucoup moins (Cité du Vin, Cité municipale, entre autres…). Quid de celles de demain ? Bordeaux reste tout de même une ville extrêmement conservatiste quand il s’agit d’architecture et d’espace urbain. L’uniformité des ses façades et pavement est une grande fierté. Elle cultive ce côté ville-musée, rénovée, ravalée, presque artificielle, même si elle semble vouloir évoluer doucement. De même à Arcachon, le maire est un fervent défenseur d’une architecture soi-disant régionale, que l’on définit comme néo-vernaculaire, balnéaire ou de style basco-landais. Il réfute toute innovation architecturale pour protéger son paysage. Cet obscurantisme conduit à la construction d’architectures néo-régionales, pastiches modernes des quelques éléments qui constituaient ce style. Pour gagner un projet sur la commune, il faut accepter de présenter de l’architecture pastiche. Le paysage en ressort-il grandit ? Absolument pas. C’est donc tout le paradoxe de ce système qui confère à un représentant et ses adjoints le pouvoir de décider de ce qui bien, et de ce qui ne l’est pas. C’est le principe de la démocratie me direzvous. C’est une arme à double-tranchant, qui peut conduire aux plus grandes évolutions comme au pire immobilisme. A l’architecte de convaincre sans doute…
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«Pensar con las manos, construir con la cabeza» «Penser avec les mains, construire avec la tête» Albert Campo Baeza, Croquis, 2007.
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2_ Le Jardin Public, le défi technique_
2.1_ Innovation constructive personnelle J’ai choisi de nommer Jardin Public le complexe de bâtiments crées par Patrick Hernandez au 175, rue du Jardin Public, que j’ai précédemment décrit dans sa présentation4. Je présente donc ici un projet dont le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre ne sont qu’une seule et même personne, qui plus est l’architecte avec lequel je collaborais. Choix discutable peut-être mais que j’assume complètement, tant il fut formateur. En effet, libérés de toute complication pouvant être liée à la divergence d’opinion entre ces deux entités, nous avons pu développer une idée complexe jusqu’à son terme, économisant un temps précieux par le simple fait que Patrick était son propre client. Je ne dis pas par là que la relation avec le client est un frein à la conception d’un projet. La relation avec le client et sa satisfaction sont l’essence de notre métier. Mais il est vrai que de temps à autre, s’affranchir d’un intermédiaire offre des possibilités plus étendues. Souvenons-nous de cette façade inachevée, amas de poutres métalliques laissé en suspens, et censé être le squelette de la maison de métal, destinée à recevoir un atelier/lieu d’exposition et une habitation. C’est ce projet que Patrick a choisi de poursuivre avec moi, parce que l’occasion s’est présentée et qu’il l’estimait bon sujet d’apprentissage. L’esquisse existante a été reprise, modifiée, affinée, un nouveau permis de construire a été déposé, et nous avons entamé le descriptif de cette complexe structure de métal et de verre. 2.2_ Dépasser l’esquisse Autant la confrontation avec les contraintes réelles que sont le règlementaire et la maitrise d’ouvrage fut perturbante, autant celle avec le domaine technique fut douloureuse. Ici, bien que la structure se base effectivement sur le système poteaux/poutres classique, la somme de pièces sur-mesure et de solutions à inventer rend l’ensemble compliqué à appréhender. Un premier projet étant existant, et une première phase déjà réalisée, il convient avant tout de reprendre le relevé et de le corriger en prenant en compte les différences dues à la construction, afin de repartir sur une base saine. La proximité du chantier rend l’opération simple et facilite le dessin des éléments en place. Je me rends d’ailleurs compte des écarts, et du fait qu’il est évidemment impossible de réaliser un ouvrage à la précision diabolique d’Autocad. Si les plans d’exécution ont été suivis, certaines zones ne sont pas exactes. C’est un enseignement intéressant à tirer pour la suite.
4. I_3.2. L’architecte créateur.
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Coupe et perspective du projet du Jardin Public
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La façade est constituée d’une alternance de bandeaux vitrées et en aluminium dépoli. Patrick tient à ce que l’ensemble soit d’une grande pureté, donc composé du minimum de pièces possibles, et sans raccords apparents. Cette volonté minimaliste oblige à trouver des solutions pour augmenter la portée des éléments, et pour masquer les raccords et joints inévitables. L’idée générale, c’est que l’ensemble de la façade semble naitre de la jardinière installée au dernier niveau, de profil triangulaire. Celui-ci permet d’augmenter la sensation d’espace et l’entrée de lumière naturelle au niveau inférieur. Les bandeaux vitrés et aluminium sont tenus par des éléments en U de chaque côté de la façade, qui accueillent les descentes d’eau pluviale. Ces éléments doivent s’intégrer dans l’existant et se juxtaposer aux pierres en saillie des façades voisines. La mise en œuvre devra être précise, et les détails techniques tout autant. Chaque panneau de verre est pincé entre un potelet métallique et un plan de serrage, lequel est installé dans le plan direct de la façade, et agit donc en prolongement des bandeaux aluminium. On descend la façade sur ce principe vitrage/aluminium/vitrage/aluminium, jusqu’au niveau sur rue, composé d’une vitrine laissant apparaître la cour intérieure. Celle-ci se juxtapose au portail existant, et se termine par un socle aluminium sur-mesure, recevant les boites aux lettres et un espace banc, ou peut-être une jardinière. Par expérience et parce que la liberté de la commande le permettait, nous avons choisi de poursuivre le développement du projet de la phase PC à une phase mixte, mélange de dossier PRO et de DCE, avec des détails proches des plans EXE. Patrick me donnait une idée de ce que devait montrer le détail, ou de la solution à mettre en place, et j’avais bien souvent le temps de faire mes expériences, ou de digérer mes errances. J’avais par exemple beaucoup de mal avec les ensembles de menuiserie. Ce qui appartenait au cadre, à l’ouvrant ou au dormant, ce qui devait être répété ou au contraire ôté. Comment positionner les parcloses. Comment dessiner les retours d’isolant correctement, de quel côté positionner le pare-pluie. Autant de questions qui me coûtèrent beaucoup de temps et d’énergie, mais qui furent profondément bénéfiques dans mon appréhension du domaine constructif. Il m’est apparu qu’un bon projet ne peut l’être sans une réflexion poussée de sa mise en œuvre constructive. Il est en effet relativement aisé de dessiner de jolis espaces épurés. Encore faut-il être capable de les mettre en œuvre avec la même pureté. Et celle-ci tient dans des détails qui semblent à première vue secondaires.
C’est la somme de ces petits détails, du bon calepinage des joints avec la structure secondaire, de l’alignement de la parclose avec le bardage, du bon dimensionnement des éléments, qui confère finalement à l’ensemble sa cohérence. On devrait d’ailleurs réfléchir dès le départ aux solutions constructives, et au dimensionnement des espaces en fonction de leur habillage. On peut ainsi prévoir ces soucis postérieurs, et limiter les découpes ou reprises évitables par exemple. Anticiper cette mise en œuvre, tel est à mon sens la marque de l’expérience.
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2.3_ Parler le même langage C’est cette même expérience qui a conduit Patrick à être aussi pointilleux sur le développement de ce dossier PRO. En effet, il sait très bien que sa demande est complexe et veut minimiser les incompréhensions. Le carnet de détails sera donc extrêmement détaillé, et le projet passé au crible dans son ensemble. Une somme importante de détails est à réaliser, dans le but que chaque situation constructive différente soit explicitée et dessinée. Tout l’enjeu de cette phase réside dans cette capacité à parler un langage commun. La question de l’agencement du dossier devient donc centrale. Devons-nous organiser le carnet de détails étage par étage, telle que fut notre idée première, ou au contraire fonctionner par façade : la façade avant, de haut en bas, ou de bas en haut, puis la façade arrière ? La question de la présentation et du graphisme des plans est ici primordiale, et ce qui peut paraître clair pour nous, dessinateurs, ne le sera peut-être pas pour un ouvrier ou un chef de chantier, même chevronné. Il en va de même pour les choix purement graphiques. L’épaisseur des traits, le choix des couleurs, le traitement des projections, des éléments vus. Autant de choix esthétiques qu’il convient de définir au début autour d’un détail type et qui permettront d’éviter des malentendus nuisibles. Patrick est de l’ancienne génération, et sa relation à l’informatique plutôt correcte pour son âge. Il l’utilise néanmoins de la manière la plus basique possible et fournit des dessins très simples : peu d’épaisseurs de trait différentes, des couleurs standards. Des dessins que je trouvais presque naïfs ou grossiers au départ, ou du moins pas assez élaborés, mais qui s’avéraient finalement ne montrer que l’essentiel, dans un graphisme si limpide qu’il était impossible d’y voir deux choses différentes. Il se fichait du rendu de ses dessins, mais surtout pas de leur signification. Malgré tout, les incompréhensions sont inévitables. Elles sont selon moi d’abord liées à la grande différence de profil entre les intervenants, qui même s’il exerce dans un domaine commun, la construction, ont des caractéristiques très différentes. Le meilleur architecte du monde ne sera jamais artisan, et vice-versa. L’architecte a dessiné ce qui lui semble bien sûr être évident et d’une grande clarté, mais le nez sur sa feuille, il aura oublié de prendre le recul nécessaire. Un artisan même très qualifié n’est pas formé à la lecture de plans, à la manipulation de fichiers informatiques, dessins 2D ou modèles 3D, et n’a pas le même regard que l’architecte. Chacun y voit en effet des enjeux et priorités différents. Un détail important pour l’un apparaît dérisoire à l’autre, et inversement. J’ai été très surpris sur la question d’un garde-corps d’escalier qui avait été dessiné et paraissait pourtant simple. Il a fallu pas moins de quatre actualisations du dessin (nous finîmes par fournir une 3D) pour que l’artisan fasse le devis correspondant à ce que l’on souhaitait. A l’inverse, sur un projet si complexe, toute notre assiduité ne fut pas suffisante à empêcher les erreurs de notre part, les solutions constructives mal évaluées ou les détails oubliés. Nous avons eu la chance de travailler avec une entreprise jeune, moderne et très compétente dans le domaine de la chaudronnerie/tôlerie/ferronnerie. Des artisans compréhensifs et pour qui ce projet représentait aussi un moyen de s’offrir une belle carte de visite. Derrière ces intérêts communs s’est donc installée une belle collaboration .
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Maison Laligne_Patrick Hernandez
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3_ Les Blancs-Manteaux, défi d’égos_ 3.1_ Florence Lopez, antiquaire Le troisième projet que j’ai choisi d’exposer me permet d’illustrer un autre pan de mon expérience auprès de Patrick Hernandez, celui de la commande particulière haut de gamme. J’ai en effet eu la chance de collaborer dans le même temps avec sa femme, Florence Lopez, antiquaire et décoratrice reconnue établie à Paris. Florence Lopez est originaire de Bordeaux, ville qu’elle a quitté pour Paris à 17 ans, pour suivre les Beaux-Arts. Elle partit ensuite aux Etats-Unis où elle travailla dans diverses agences d’architecture d’intérieur. De retour en France, elle devint le bras droit de Jacques Garcia et ouvre, en 1992, une galerie d’antiquités rue du Dragon, et se spécialisa dans le mobilier et les objets du XXème siècle. Elle développe une activité d’antiquaire couplée à de la décoration intérieure qu’elle conçoit autour du mobilier, dans un travail de mise en scène. Précurseur dans sa manière de travailler, sa particularité réside en effet dans le fait qu’elle ne possède pas de local professionnel en dehors de son logement, dans lequel elle reçoit ses clients pour leur faire découvrir ses nouvelles tendances. Elle vit dans ce décor, qu’elle renouvelle périodiquement, et qui constitue sa vitrine, sa marque de fabrique. C’est ce décor qui se retrouve ensuite publié dans les revues d’intérieur et qui participe de sa reconnaissance. Electron libre, coloriste et scénographe, Florence Lopez est une personnalité unique. 3.2_ Autour d’une collaboration Patrick et Florence ont pris l’habitude dernièrement de collaborer autour de commandes qui émanent de cette dernière. Son activité lui offre en effet une visibilité et un relationnel incomparable avec celui d’un architecte. Par les revues ou le bouche à oreilles, les clients font appel à elle pour des services allant du conseil au remodelage d’intérieurs entiers, en passant par la vente de pièces de mobilier. Lorsque la commande est lourde et implique des travaux importants, elle sollicite son mari pour prendre en charge la partie architecture du projet, qu’elle ne maitrise pas. C’est ce type de collaboration qui a été convenu pour le projet de la rue des Blancs-Manteaux, dans le IVème arrondissement de Paris. Il s’agit d’une maison/appartement bourgeoise qui se déploie en L autour d’une cour intérieure paysagée. L’ensemble a été acheté par un couple qui prévoit d’y déménager. La commande consiste à repenser les espaces communs, essentiellement la cuisine, le grand salon et le petit salon, dans le principe de ce que fait Florence habituellement : quelques pièces de mobiliers choisies au préalable, et un scénario à inventer autour. Les espaces sont vastes, très haut sous plafond, et les possibilités nombreuses. Florence assurera l’aspect décoratif du projet, couleurs, matériaux, disposition. Nous dessinerons les meubles sur-mesure en collaboration avec elle, et prendront en charge la partie technique.
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Perspective d’aménagement du projet Blancs-Manteaux
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C’est une chance incroyable pour moi que de travailler sur une commande aussi noble. Le budget est conséquent, les clients semblent avertis, et les acteurs avec lesquelles je collabore sont des références. J’apprends beaucoup de leur manière de percevoir un espace ou un lieu, et de le mettre en scène. Le choix d’installer la cuisine dans un espace tout en longueur ouvert sur la cour par de larges baies est fort par exemple, et n’appartient qu’à eux. Patrick souhaite renforcer ce volume intérieur singulier en travaillant la paroi latérale et le plafond en continuité, sur le principe d’une orangeraie, l’ensemble ne formant qu’un plan s’ouvrant sur le dehors. Les parois du petit salon sont tapissées d’une bibliothèque sur-mesure toute hauteur, que nous devons dessiner au mieux afin qu’elle colle avec les dimensions de la pièce. Souvent en conflit lorsqu’il s’agit de se positionner, Florence et Patrick ont néanmoins cette culture et ce goût en commun qui leur permettent d’avancer dans la même direction, en étant dans le fond sur la même longueur d’onde.
3.3_ La complexité de la relation client Les clients sont des gens importants. L’adage « le client est roi » est bien connu de tout commerçant, et à respecter vous diront-ils, même si cela amène parfois à ravaler sa fierté. Ceuxci le sont réellement, socialement parlant. Ils exercent dans des milieux à responsabilités et sont haut placés. Ils ont choisi Florence suite à une visite chez une connaissance, où ils ont adoré l’intérieur qu’elle a réalisé. Ils semblent passionnés par son travail, et avoir une réelle volonté de bien faire les choses. Tout démarre d’ailleurs facilement, malgré la complexité de l’équipe de maitrise d’œuvre, composée notamment d’un autre architecte proche du couple et en charge du reste de la maison, et des ajustements plus techniques. Un premier projet est établi, et ravit les clients. Ils sont enchantés par les choix de l’équipe, que ce soit dans la répartition, le choix des couleurs, les meubles à acheter, et ceux à faire fabriquer. Quelques désaccords semblent apparaître dans le budget, comme toujours, mais rien d’insurmontable. Patrick et Florence ont en effet tendance à viser l’excellence, et les premiers devis sont souvent salés. Des compromis sont néanmoins trouvés, un contrat est signé, que j’ai pu parcourir dans les grandes lignes, sans avoir eu le temps d’en étudier les subtilités. Des acomptes sont versés, sur la réservation de meubles d’une part, sur le lancement des études de conception et le chiffrage des éléments d’autre part. Nous entamons donc la phase PRO. J’ai eu la chance de travailler dans un contexte d’une grande transparence, dans lequel j’avais accès à l’unique boite mail de l’agence, et à un certain nombre de documents pouvant me permettre de maitriser le projet. Mon analyse de la suite des évènements n’est malgré tout basée que sur ce que j’ai vu et sur les dires de Patrick et Florence, et donc forcément orientée. J’ai néanmoins cherché à être le plus clairvoyant possible pour me faire ma propre idée de la situation.
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La cliente a souhaité modifier en profondeur le projet, lorsque nous avions quasiment achevé les détails techniques du projet, et que les meubles étaient achetés ou en passe d’être lancés. Les changements étaient tels qu’ils remettaient jusqu’à la répartition des pièces en cause, sous couvert de l’avis d’un conseiller extérieur, qui avait par exemple déclaré que la pièce en longueur était trop étroite pour recevoir la cuisine, ou que le passage entre la table et le mur était insuffisant. Selon eux, lorsqu’ils ont pris possession des lieux (des clefs), ils se sont aperçus que le projet ne convenait pas au lieu, et ont souhaité reprendre les études depuis le départ. Sans débourser un centime de plus évidemment, estimant que les honoraires de conception valait pour une conception définitive, et qu’il n’avait jamais réellement validé celle-ci, même si c’était signé. Il en allait de même pour les meubles, dont ils ne voulaient plus. Florence a refusé. Comme rien n’allait conduire à de nouvelles études, les clients ont purement et simplement réclamé le remboursement de l’ensemble de l’argent qu’ils avaient versé, études et acomptes, sans quoi ils l’attaqueraient en justice. Nouveau refus de Florence justifié par le fait que des acomptes ne se remboursent jamais. Elle a proposé de reprendre légèrement le projet, de trouver des compromis en faisant évoluer le projet en place et afin de répondre à leurs craintes, rien à faire. Ils ont choisi la voie judiciaire, invoquant l’erreur de conception, et la faute professionnelle. A l’heure où j’écris ces lignes, les procédures sont en cours, soit vers un compromis qui semble peu probable, soit vers un procès. Ce mémoire n’a pas pour but d’étaler les déboires professionnels de Patrick et Florence, et encore moins d’entrer dans les détails. Je pense d’ailleurs que personne n’est à l’abri de ce genre de revirement de situation, même celui qui se prémunit du mieux possible. Car c’est un des enseignements que j’ai pu tirer de mon analyse de la situation, le manque de protection. Patrick est un artiste, un idéaliste. S’il a pu et du se compromettre à des obligations administratives contraignantes lorsqu’il traitait avec des commandes publiques ou importantes, il n’a pas eu la rigueur nécessaire à se protéger correctement. Pour avoir vu passer certains documents, je ne pense pas qu’ils soient suffisamment étayés pour une époque comme la nôtre. Patrick a vécu l’âge d’or, obtenu des PC avec un croquis comme il dit. Mais les temps ont changé, et quiconque entreprend quelque chose aujourd’hui doit envisager la pire issue possible, et s’en protéger. A sa défense, les arguments avancés étaient des choses aberrantes, basées sur des subtilités que nous ignorions mais que les clients connaissaient pertinemment. Car si la perspective de se retrouver trainé devant la justice à la moindre erreur a quelque chose de peu encourageant, voire d’effrayant, la complexité caractérielle de nos interlocuteurs, en l’occurrence des clients, l’est tout autant. Dès le départ, certains agissements auraient du nous alerter sur leurs manières de procéder. Ces gens appartiennent à un monde qui n’est pas le nôtre, dans lequel les codes ne sont pas les mêmes, et les solutions aux problèmes non plus. Des gens à qui le pouvoir a conféré un droit à se considérer au-dessus des obligations, et qui savent très bien comment naviguer dans une affaire pour s’en sortir à la fin. Jusqu’à prévoir le coup. Il semblerait en effet que lieu où le contrat a été signé ait eu une importance que nous avions complètement négligée, parce que nous l’ignorions. Madame a insisté pour signer le contrat chez elle et non à l’atelier comme habituellement. Il
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semblerait que ceci lui confère des droits de rétractations supérieurs, si le contrat ne le stipule pas. Si cela s’avère exact, qui est aussi pervers pour réfléchir ainsi ? Nous avons d’ailleurs vite découvert que des gens qui semblaient au départ alertes et connaisseurs en matière de design et de décorateurs n’étaient là que pour suivre ce qui se faisait, ce qu’on leur avait dit qui était tendance, et qu’ils ne comprenaient rien à la manière de faire de Florence ni n’y étaient sensibles. Mettez en face les uns des autres une procureure, un PdG, une décoratrice du caractère de Florence et un architecte comme Patrick et le drame était à prévoir. Car là-dessus, même si les clients profitent de leur prestige et de la situation pour faire des caprices, Patrick et Florence n’agissent pas à mon sens en personnes très conciliantes, et on peut sans doute leur faire somme de reproches à eux-aussi. Le simple fait de proposer son mari comme collaborateur n’est à mon sens pas la meilleure idée, ou du moins par présenté comme ça. Et ensuite, lorsque l’incompréhension et les tensions commencent à apparaître, Patrick a cette tendance à agir en incompris et à camper un peu sur ses positions. Les clients avaient probablement raison sur certains points, et un compromis auraient été trouvé facilement dans d’autre cas. La proportion qu’a prise cette affaire n’est due qu’aux caractères des protagonistes qui l’ont montée. Un projet qui avait tout pour réussir, qui aurait offert une visibilité formidable à Patrick et Florence et un lieu de réception singulier et réussi aux clients s’est transformé en épisode judiciaire qui mettra sans doute un certain temps à se résoudre. J’ai dit que la rigueur administrative et la protection contractuelle étaient un des enseignements à tirer de cette histoire. Je pense que le second, c’est que l’architecte doit faire attention à sa position vis-à-vis du client. Dans la majorité des cas, conjoncture oblige, c’est le financier qui aura le dernier mot. Mais on voit bien que pour des gens aisés, c’est avant tout une question de principe. L’architecte sera contacté pour des idées, des conseils, une expertise. On le choisira lui plutôt qu’un autre pour ses références et ses goûts. Mais le rôle de l’architecte artiste, qui crée selon son idée en faisant fis des remarques n’est plus à pourvoir.
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Hangar H14_Lanoire & Courrian.
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4_ Des agences, des structures, le défi de la gestion_ Les passages d’une agence à une autre sont toujours bénéfiques dans ce qu’ils offrent de comparaison et de recul sur une méthode. Au-delà de la manière de faire l’architecture, c’est la composante gestionnaire qui m’a d’abord sauté aux yeux. Ma seconde longue expérience, chez Lanoire & Courrian, structure différente de la première par sa composition, offre le terrain d’exploration nécessaire à l’analyse de la gestion d’une activité d’architecte.
4.1_ Lanoire & Courrian (Annexe 2) « Jean-Philippe Lanoire et Sophie Courrian travaillent ensemble depuis 1996. Cette collaboration a pris la forme d’une SARL d’architecture : “Lanoire et Courrian” en 2001. Ils se sont fait connaître en remportant en 1997 le concours de la rénovation du Hangar 14 qui obtint le prix de la première œuvre du Moniteur en 2000 puis en étant Lauréats de la conception du design du tramway de la CUB en 1998. Ces deux projets “fondateurs” de l’agence Lanoire & Courrian traduisent une volonté de diversité qui les caractérise et qu’ils revendiquent. » 5 Lanoire et Courrian font partie des acteurs reconnus du paysage architectural bordelais. Leur savoir-faire les a conduit à répondre à des commandes dans des domaines variés, du logement collectif au domaine vinicole, de l’urbanisme au domaine de l’éducation. Caractérisée par une production très éclectique à mon sens, cette agence possède dans ses références, outre le Hangar 14 et le tramway de la CUB, quelques projets qui se détachent par leur dessin ou leur capacité d’innovation : - la Gare maritime de Marseille (VI_), - la Médiathèque de Saint-Ciers/Gironde (VII_), - la salle de dégustation et belvédère du Château Gruaud-Larose (VIII_). L’agence est aujourd’hui composée, outre les deux associés, d’une secrétaire, de cinq architectes permanents et d’une chargée de communication. Des profils similaires au mien viennent en renfort dans les périodes de surcroît d’activité.
5. http://www.lanoirecourrian.com/agence/
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Locaux de l’agence d’architecture BIG_Copenhague.
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4.2_ Gérer les ressources humaines Une des raisons qui m’ont guidé dans le choix d’opter pour cette nouvelle expérience était celle d’intégrer une structure plus conséquente par le nombre de ses collaborateurs. L’intimité de l’exercice chez Patrick me plaisait, mais je sentais qu’il était nécessaire pour mieux appréhender la pratique de découvrir une agence plus grande. Lanoire & Courrian m’offrait cette possibilité. La hiérarchie est ici un aspect fondamentalement nouveau pour moi. Je quitte en effet une agence portée par son seul créateur pour intégrer une structure composée de deux associés. Ce que l’on pourrait voir comme une différence minime - et laquelle je n’avais d’ailleurs pas porté attention a en fait une répercussion sur le travail plus importante. Je ne réponds plus aux sollicitations d’un « client » mais de deux, qui doivent s’accorder entre eux et avec lesquelles je dois entretenir des relations semblables. Bien qu’étant spécialisés dans des domaines différents, plutôt dans la gestion et la représentation/communication ou plutôt dans le processus de projet, leurs avis ont tendance à différer régulièrement, et il devient parfois complexe de savoir quelle direction emprunter. Cet aspect de la gestion d’une agence permet d’aborder de manière plus générale celui du défi de la gestion du collectif, l’un étant le reflet de l’autre. C’est un volet qui n’est absolument pas enseigné dans notre formation théorique, y compris en HMONP, où le séminaire de comptabilité ne balaye qu’une infime partie de la complexité de gérer un groupe. Je pense en effet qu’au-delà de la dimension contractuelle de l’association (Contrat à Durée Déterminée, ou Indéterminée, auto-entrepreneur, stagiaire, etc…), la véritable difficulté réside dans le fait de définir un statut pour chaque collaborateur, et donc un statut pour le groupe de travail. Une agence d’architecture n’est ni plus ni moins qu’une somme d’individualités, de singularité, réunit dans un objectif commun, un peu à la manière d’une équipe de sport collectif. Et on sait à quel point la vie d’un groupe et de ses égos est primordiale au succès. C’est exactement pareil dans l’agence d’architecture. Il s’agit d’assembler des manières de faire et de penser, des profils et compétences différents, dans un système qui permettre à chacun d’être dans la position où il s’exprimera le mieux, et où il apportera le plus à l’équipe. La production individuelle est dépassée au profit d’une prestation collective. De cette synergie découle la réussite de la production. Et c’est au gestionnaire d’agence qu’il incombe de la mettre en place, par une juste appréhension et utilisation des profils et des forces en présence. Cette mise en place n’est pas chose aisée, et c’est encore une fois autour de la hiérarchie que se trouvent une partie des réponses. La manière dont je perçois la relation aux « patrons » de l’agence est symptomatique. Il en va de même pour chaque choix opéré. La hiérarchie est par définition un système vertical, en haut duquel trône le patron, en bas de laquelle se débattent les employés. Ces systèmes sont néanmoins issus de modèles de production très différents de celui de la production architecturale. Rien n’indique que ce fonctionnement soit le meilleur pour une agence, et on peut au contraire penser qu’un système plus horizontal sera plus efficace. Je le répète, une agence d’architecture est constituée d’une somme de profils. Certains sont certes par leurs responsabilités censés émerger du groupe, mais il semble que chaque collaborateur ait quelque chose à apporter, peut-être plus qu’ailleurs. Les jeunes sont plus rapides, plus au vent
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des tendances, plus à l’aise avec les outils. Les moins jeunes ont l’expérience, la technique, la rigueur. Les patrons sont responsables, et portent à travers le projet leur signature. J’ai cependant l’impression que l’efficacité d’un management dépend surtout de la capacité d’appropriation du collaborateur, qu’il se crée, mais surtout que l’on lui confère. C’est d’abord le meilleur moyen d’intégration, mais aussi celui qui lui permettra de dépasser son statut, d’améliorer ses compétences. Or, on voit trop souvent des employés s’épuiser à petit feu et se décourager parce qu’ils n’aspirent plus à grand chose. Ils sont arrivés en haut de leur échelle de progression, et n’ont pas de perspectives autres. Il est important de maintenir certaines composantes de ce système, dans un souci de préserver une place pour chacun. On s’aperçoit néanmoins qu’un processus de réflexion puis de production n’est jamais aussi efficace que lorsqu’il réunit tous ces profils autour d’une même table, dans un rapport d’égalité. Ce n’est en aucun cas chose aisée, mais la qualité de la production dépend tellement de la manière dont on gère son collectif que je trouve surprenant de ne pas y consacrer plus d’importance.
4.3_ « Trouver du travail » L’accès à la commande est un volet considérable de la profession d’architecte. Maintenir une activité viable et une équipe compétente n’est pas chose aisée, surtout par les temps qui courent. Il m’a été donné de le constater chez Lanoire & Courrian. Suite à quelques déboires internes que la conjoncture n’a fait qu’accentuer, l’agence s’est retrouvée il y a quelques temps dans une position délicate. Son activité redémarre actuellement, essentiellement autour de commandes de logements collectifs pour des promoteurs privés. Des commandes peu stimulantes intellectuellement, dans lesquelles les enjeux budgétaires que nous avons évoqué rendent le travail ingrat, et l’épanouissement difficile. Ce sont néanmoins ces commandes, que l’on pourrait qualifier « d’alimentaires », qui ont évité à l’agence une mort certaine. Le futur proche s’annonce plus optimiste, mais le retour à l’accès à des commandes publiques ou plus intéressantes se fait au prix d’une débauche d’énergie et de temps très importante. On remarque souvent dans les agences organisées autour de plusieurs associés une tendance de l’un à s’orienter plus naturellement vers un travail de représentation à l’extérieur. La part d’exposition et de relationnel est en effet indissociable de la profession, et on note souvent dans les différences de caractères une facilité de l’un à aller au contact de l’environnement, à démarcher, prospecter, relancer, dans l’espoir d’obtenir des opportunités de commandes ou de candidatures. Chez Lanoire & Courrian, mais pas seulement, cette démarche s’accompagne d’un travail important sur la communication de l’agence en général. Pour redevenir un acteur du paysage architectural bordelais et reconquérir cette visibilité nécessaire, tous les moyens sont utilisés. Une chargée de communication a d’ailleurs été embauchée dans ce but. Actualisation du site internet, rafraichissement de la charte graphique ou encore appropriation des nouveaux moyens de communication (réseaux sociaux,…), rien n’est laissé au hasard. Cet engouement autour de la communication, très visible lors de mon passage chez eux, m’a conduit à questionner
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cet accès à la commande. Comment se fait-il qu’une agence réputée pour des projets d’envergure, qu’ils soient publics ou privés, dans le domaine de la culture ou du vinicole (très présent à Bordeaux), une agence forte de vingt années d’expérience, ait encore besoin d’user de ce genre de solutions pour obtenir de la commande ? Obtenir ne serait-ce que le droit de concourir est un défi du quotidien, et une activité quasiment à plein temps pour les associés. On remarque d’ailleurs la part du travail de la secrétaire consacrée uniquement aux réponses et envois de candidature.
Ce qu’il faut selon moi entrevoir dans ce cas de figure, c’est comment l’activité des agences semble s’éloigner peu à peu du processus architectural classique, à savoir la mission complète, de l’esquisse à la livraison. De plus en plus, l’architecte se transforme en un prestataire de services de toute sorte, le plus courant étant l’étude de faisabilité sans suite. C’est effectivement peu stimulant, mais la conception architecturale et sa pratique se sont-elles pas d’abord de l’ordre du service ? Si tel est le cas, il conviendrait donc d’adapter cette pratique aux services recherchés. Ce que fait l’agence actuellement pour assurer sa pérennité dans un contexte économique tendu. Ce que sont les prestations de service pour les promoteurs, prestations intellectuelles facturer au prorata du travail effectué, sans réalisation à la clé. J’ai conscience de la frustration que cela crée chez l’architecte qui a connu les autres types de commande, les budgets confortables et les maitres d’ouvrage compréhensifs, pour qui l’argent n’était pas le seul argument de discussion. Pour un aspirant architecte, il ne faut sans doute pas négliger ces prestations de services. Ce sont peut-être elles qui permettront petit-à-petit la création d’un réseau de contacts professionnels, inhérents à la pratique. Tâchons de répondre du mieux possible à ce type de services, dans l’espoir qu’un service de qualité conduira peu à peu à l’opportunité d’une œuvre de qualité. C’est un des combats existentiels de l’architecte, tiraillé entre la nécessité d’obtenir du travail, de maintenir ses finances à l’équilibre, et l’envie d’exprimer sa singularité au travers de projets de qualité. Ces défis du quotidien, sélectionnés parmi tant d’autres, mettent en lumière la complexité de la pratique professionnelle, bien loin des idéaux initiaux et des utopies développées dans la pratique académique. Ils montrent une vision parfois acerbe de la réalité et de ses enjeux, ou du moins une certaine âpreté du métier, ingratitude même. Ils reflètent surtout cette difficulté d’ancrer ses idées dans une réalité, de dépasser le concept pour le matérialiser en quelque chose de palpable, d’existant. Ils amènent à s’interroger sur le pourquoi exerçons-nous, mais surtout sur le pour qui ? Nombre de ces combats impliquent un architecte pris en étau entre ce à quoi il aspire, et ce pour quoi on l’engage. Ils questionnent le rôle de l’architecte, sa place dans la société. Autant d’éléments nécessaires au développement d’un futur professionnel et de la pratique à laquelle on aspire.
III_Et maintenant?
Réflexions sur un futur à (ré)inventer_
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« Mon projet professionnel, c’est… »
Il semble donc que nous soyons arrivés au fameux enjeu de ce travail, celui d’exposer un projet professionnel clair et défini, qui confortera les décisionnaires dans leur choix de nous habiliter ou non à exercer l’architecture. Au-delà de l’impossibilité avérée de prévoir le futur, il me semble délicat et parfois même absurde de demander à un jeune architecte en devenir d’exposer la manière dont il compte exercer son métier. Comment demander à un jeune adulte la façon dont il compte vivre sa vie, les aléas professionnels en plus ? C’est impossible. Mais si telles sont les règles, tâchons de nous prêter au jeu. Ce questionnement sur l’architecte que j’espère devenir est pourtant plus que légitime. La convergence de notre parcours, de la pratique et de nos aspirations suffit probablement à constituer une réponse satisfaisante. Néanmoins, malgré la légitimité certaine de l’interrogation, il me semble impossible de formuler une conclusion aux réflexions engagées précédemment, pour la simple et bonne raison qu’elles sont en cours, et en devenir. Nous pouvons par contre dresser des constats, interroger les possibles, tracer les contours d’une vision de la profession, et d’une manière dont on souhaiterait la pratiquer.
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Franck Gehry répondant aux critiques sur son «architecture spectacle», Oviedo_24.10.2014.
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1_ Des constats « La profession d’architecte est une profession en voie de disparition, un peu comme l’ont été les tailleurs de pierre. » Antoine Bonnardel, étudiant ingénieur Génie Civil. 1.1_ Une profession qui s’est automutilée La profession d’architecte est un paradoxe. On l’a évoqué dans le rapport de lutte qu’entretient l’architecte avec ses clients, ses commandes ou sa production. Le paradoxe est peut-être encore plus fort dans la vision qu’a de l’architecte le reste de la société. Je n’ai pas connaissance d’une profession dont laquelle les gens ont une vision à ce point erronée, biaisée. L’architecte véhicule une espèce d’aura autour de lui et d’une profession catégorisée noble, au même titre que les médecins et les avocats. Je n’invente rien en disant cela, j’ai eu le loisir de le vérifier plus d’une fois, et je peux même le comprendre aisément. Il fut un temps où l’architecte était un maître, un sachant, un intellectuel dont le savoir et les compétences participaient à le maintenir au rang qui était le sien. On remarque d’ailleurs une tendance dans la société à imaginer que l’architecte jouit d’un niveau de vie très confortable. Pas plus tard que la semaine dernière, à propos des revenus de Mme Fillon à l’Assemblée Nationale, mon voisin d’une soixantaine d’années m’a lancé la chose suivante : « 5000 euros par mois ! Enfin, 5000 euros, moi je n’ai jamais gagné ça de ma vie, mais j’imagine que pour vous ce n’est pas grand chose ! ». Il faut dire que M. Lacroix est particulier dans son genre, mais très alerte. S’il savait… S’il savait que j’aurai probablement du mal à atteindre ce niveau de revenus dans toute ma carrière, que le revenu médian de l’architecte est aujourd’hui estimé à 2200 euros1 ! Si l’idée est encore bien ancrée dans la société, la nouvelle génération n’est plus dupe, et bien consciente de la précarité de la profession. Répondre « Je suis architecte » lorsqu’on nous demande notre métier aujourd’hui suscite davantage la compassion que l’admiration. Mais comment pourrait-il en être autrement ?
La première défense derrière laquelle nous nous abritons tous, c’est la crise. La conjoncture est terrible, c’est un fait. Les difficultés financières actuelles, bien que découlant d’un système que nous avons mis en place et qui nous dépasse aujourd’hui complètement, ont effectivement considérablement affaibli le monde du travail. De plus, les crises frappent en priorité le domaine de la construction, c’est bien connu. Les grands projets d’aménagement sont les premiers à être mis en attente lorsque les difficultés surviennent. Nous nous retrouvons donc directement
1. http://www.architectes.org/l-essentiel-des-chiffres-de-la-profession
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dans l’œil du cyclone. Mais nous ne sommes pas les seuls. Seulement les grands groupes du BTP, par leur puissance, ou les autres acteurs de la filière, par leur organisation, trouvent des solutions compensatoires et sont plus prompts à réagir. La faiblesse de la structure de l’agence d’architecture, et de la profession elle-même, conduit à subir en les foudres plus fortement, et plus longtemps. Parce que l’architecte, en bon idéaliste, a longtemps fait fis des problèmes, ou fait mine de ne pas s’y intéresser. Rêveur dans l’âme, utopiste revendiqué, l’architecte est un être en lévitation au-dessus du monde, qui réfléchit à des problèmes autrement plus existentiels que l’augmentation des points de PIB ou les accords transatlantiques. Ce trait de caractère et ce désintérêt ont conduit à l’affaiblissement progressif d’une profession incapable de surcroît de se regrouper derrière une institution puissante capable de porter haut et fort ses revendications, à l’image de ce qu’est l’Ordre des Médecins ou celui des Pharmaciens. Incapable de se regrouper, incapable de s’entendre, car trop égoïste, ou trop égocentrique, les architectes ont avancé chacun dans leur coin. L’égo est à mon sens un de nos problèmes les plus importants, nous architectes, et un autre de nos paradoxes car il est nécessaire, je n’ai plus de doutes là-dessus. Je me suis souvent interrogé pendant mes études et ensuite, sur certains de ces traits de caractère que je retrouvais chez la quasi-totalité des architectes que je rencontrais. Parmi eux, cette tendance à l’égo surdimensionné, à être meilleur que les confrères, et incompris par les profanes qui n’ont pas l’ouverture d’esprit nécessaire à la juste reconnaissance de notre génie créatif. Cet égo est pourtant une composante essentielle de notre caractère d’architecte, je m’en rends compte. Il faut en effet une belle force mentale pour assumer ses idées, et avancer contre vents et marées, en faisant face à une assemblée dont les préoccupations divergent souvent des nôtres. Je conçois donc très bien qu’il faille maintenir un certain égo et une confiance en soi. Le problème autour de cette question, je l’ai dit, c’est qu’elle est à mon sens la principale responsable de l’affaiblissement de notre profession. Trop longtemps confortablement installé sur notre piédestal d’artiste, le même qui a conduit à l’image erronée qu’ont les gens de la profession, nous vivons aujourd’hui une période de redescente que nous avons bien du mal à digérer. Un peu comme un retour sur Terre après un trip sous psychotropes… Voyant que les grandes commandes publiques, qui pullulaient dans les années de croissance assurant du travail aux architectes, s’amenuisent, voyant que les primes de concours se suffisent plus à faire vivre une agence, que 200 agences nationales répondent à l’appel d’offres pour la construction d’une médiathèque de campagne, nous réagissons. Voyant que l’on choisit MVRDV pour la restructuration des Halles de Pau, Herzog & de Meuron, BIG ou OMA à Bordeaux plutôt que des agences locales, nous nous révoltons. Voyant que se multiplient les procédures de marchés publics, et avec elles les moyens de contourner le recours à l’architecte, de l’exploiter, ou de faire du dumping d’honoraires, nous nous insurgeons. Réagissons, révoltons-nous, insurgeons-nous oui, mais faisons preuve de bonne foi. Le seuil des
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170m2 en est le parfait exemple. Pendant des années, les architectes ont délaissé la commande particulière et la maison individuelle, pas assez lucratives, pas assez glorifiants, pas assez capable de laisser exprimer leur singularité. Aujourd’hui, voyant que le monde de la construction s’organise peu à peu pour se débarrasser des architectes ou les exploiter, on s’insurge contre un règlement certes aberrant et inadapté, mais pour les mauvaises raisons. Si la profession n’était pas en crise, si les commandes d’ampleur suffisaient à faire vivre les 35000 architectes de France, peu nombreux seraient les militants à la suppression de ce seuil. Nous avons créé la situation dans laquelle nous sommes. A nous d’en sortir. A nous de nous réinventer. Difficile, mais pas impossible. Allons nous donner raison à Antoine Bonnardel et ses confrères ingénieurs, qui se voit déjà récupérer la part de l’architecte, persuadés que celui-ci n’est qu’un doux rêveur ? Nous avons envie de croire qu’il existe des moyens de regagner nos lettres de noblesse, de trouver notre place dans une société qui aura toujours besoin des architectes, et de qualité architecturale. Mais peut-être plus sous la même forme qu’avant, aussi prestigieuse fut-elle.
1.2_ Macro-architecture vs Micro-architecture Un des premiers éléments qui me dérangent profondément dans la pratique de l’architecture que j’entretiens aujourd’hui, c’est son absence de contact avec le monde réel. Cette idée rejoint celle fustigée précédemment : les architectes ont trop longtemps snobé le domaine de la commande particulière et celui de la maison individuelle. Les raisons sont entendables, je ne cherche à pas dire que nous aurions fait mieux ou qu’il n’est pas plus intéressant de travailler sur des projets de plus grande ampleur. Qui n’a jamais rêvé, qui plus est au sortir de l’école, de construire un musée, un théâtre ou même une école. C’est le désir de tout architecte. La réalité, selon moi en tout cas, c’est qu’il me semble qu’il sera de plus en plus difficile d’accéder à des commandes de ce type. Les projets sont rares, la concurrence rude, renforcée par la globalisation et l’accessibilité numérique, qui permet à des agences étrangères reconnues de postuler puis de travailler à distance. La préférence nationale ne suffira pas... La profession semble suivre, avec un peu de retard, la voie de « l’ultra professionnalisation ». Peut-être le terme est-il maladroit ou mal-employé, mais il fait sens à mon avis. J’entends par là que le marché va progressivement se retrouver dominé par des mégastructures entreprises, à la manière de ce qui existe déjà par exemple outre-Manche. Une étude réalisée par Le Moniteur2 indiquait en 2012 que l’agence d’architecture française ayant effectué le plus gros chiffre d’affaires (AIA, avec 57M€) n’arrivait même pas dans le top 20 des bureaux d’études français, qui sont pourtant bien souvent leurs cotraitants. (le 20e émarge à 58M€). Imaginez alors vis-à-vis des groupes BTP. Le constat est le même à l’international où selon « Building Design », la plus grande agence d’architecture du monde, Aedas, comptait en 2012 1360 employés. AIA arrive très loin derrière…
2. Conjoncture 2013, Les Classements, Le Moniteur, 14 décembre 2012.
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Kengo Kuma & Associates_Small Architecture research genealogies Biennale Venise 2016
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Les agences d’architecture semblent devoir accepter l’idée d’augmenter en taille pour pouvoir continuer d’exister et d’aspirer à de grosses commandes. Pour peser face aux acteurs de la construction donc, mais aussi pour pouvoir répondre aux appels à projets. En effet, les rythmes et la production ont considérablement augmenté ces dernières années, et seule une structure conséquente sera en capacité de formuler une proposition pertinente dans les temps impartis. Elle sera également en mesure de payer pour des visuels de qualité, qui prennent de plus en plus de poids dans la décision. A cela s’ajoute le développement du BIM, qui lorsqu’il sera obligatoire pour candidater, finira l’écrémage des agences capables de porter ces évolutions, ou non. Cette numérisation du travail risque comme souvent de sacrifier la moyenne échelle au profit des grosses boites. Dès lors, la progression dans le milieu de l’architecture risque petit à petit de se rapprocher des autres domaines d’activités : intégration d’une structure existante selon le niveau d’études (dans notre cas en qualité de dessinateur projeteur, plutôt en bas de l’échelle) pour travailler à la réalisation de gros projets impersonnels, dans lesquels notre travail se résume à celui d’un collaborateur lambda, et anonyme. Sortant du lot au prix de nombreux efforts et d’heures supplémentaires gracieusement offertes, on escaladera petit-à-petit le système pyramidal jusqu’à envisager l’association ou le rachat de part. Cette voie, on pourrait la qualifier de voie de la macro-architecture. Pas forcément excitant à priori, quoique peut-être motivant pour les carriéristes. Après tout, ce modèle est dominant partout ailleurs et beaucoup semblent y trouver leur compte. Je suis moins sûr d’en être capable. L’alternative à cela serait d’imaginer se concentrer sur les commandes que ces ogres de la construction continueront de délaisser car trop peu lucratives. La micro-architecture en quelque sorte. Petits projets publics de municipalité, ou commande particulière, il existe tout un pan de la construction aujourd’hui délaissé qui pourrait probablement offrir du travail aux architectes. Encore faut-il se le réapproprier, et s’y rendre utile.
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Relevé d’une maison traditionnelle chilote_Ile de Chiloé_Chili_2012.
« C’est dans les contextes de crise que naissent les innovations. »
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2_ Des idées 2.1_ Se (re)mettre au service de la société « L’Architecture doit être au service de l’Homme. » Alvar Aalto.
L’architecture doit participer d’un service rendu à la communauté. Elle doit être le fruit d’un échange entre un demandeur et un professionnel, entre un client et son architecte autour d’une problématique précise et afin de répondre à un besoin. Bien qu’elle existe malgré tout, j’ai l’impression que la part de besoin et de service rendu soit minime dans l’exercice que je fais de mon métier actuellement. Parce qu’une fois de plus, les enjeux dépassent largement la réalité. J’aime à penser qu’un retour à l’essence même de la pratique soit possible. Que l’on puisse envisager d’offrir un service réel à un interlocuteur véritable, sur des thèmes aussi liés et variés que ceux énoncés précédemment. Pour cela, je pense qu’il nous faut accepter l’idée de nous remettre au service de la société. Quitte à laisser un peu de prestige en route. L’architecte ne fait aujourd’hui pas partie du quotidien des gens. Triste constat mais bien réel. Il n’y a qu’à voir les productions auxquelles on attribue le terme de « maisons d’architectes », ou « villas d’architectes » par ici. Des demeures modernes, blanches et parfois insipides, bien souvent luxuriantes voire de mauvais goût. Mais pour les gens, c’est ce que construit un architecte. Des maisons chères et inaccessibles, ou alors des stades et des musées. Entre les deux, rien. Le vide intersidéral. L’architecte n’intervient que sur 25% de ce qui se construit en France. En 2012, seules 5% des maisons neuves construites avant pour maître d’œuvre un architecte. Effectivement, le seuil de 170m2 ne nous rend pas service. Mais encore une fois, c’est bien le déni des architectes pour ce champ d’action trop peu lucratif qui a laissé une situation comme celle-ci s’installer. On nous dit toujours qu’il n’est économiquement pas rentable de ne faire que de la commande particulière. Je ne suis personne pour dire le contraire. Mais peut-être est-ce parce que nous nous y prenons mal ? Peut-être qu’habitué à dessiner des bâtiments plus grands ou plus nobles, l’architecte applique ses méthodes à la maison individuelle et qu’elles ne sont pas adaptées ? N’est-il pas possible d’imaginer une pratique proche du quotidien des gens et donc, de fait, au service de la société ?
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2.2_ L’architecte de proximité > réexposer la profession Je me suis souvent demandé pourquoi l’architecte ne possédait pas sa vitrine dans le bourg du village, à la manière du boucher et du boulanger, du médecin et du comptable. Parce que ceux-ci répondent à des besoins quotidiens, presque primordiaux. Certes. Mais pour ceux qui ont encore la chance d’en avoir, on trouve dans les bourgs de villages ou de villes toutes sortes de commerces et services, dont certains ne répondent qu’à des besoins exceptionnels pour un ménage. Et pourtant, la somme des besoins exceptionnels des ménages constituant le bassin de population environnant suffit bien à les faire vivre. Il doit donc y avoir de la place pour la devanture de l’architecte sur la place du village. A la manière des professions évoquées, on consulterait l’architecte pour des besoins divers et variés, le premier étant bien sûr la construction d’un bâtiment ou d’une maison. Mais on peut très bien imaginer venir consulter un architecte pour des questions concernant l’agencement intérieur, l’extension ou la réhabilitation. Les chiffres sont d’ailleurs effarants sur ce dernier point. Si nous intervenons peu dans l’ensemble de l’habitat individuel, nous le faisons essentiellement sur du neuf. La réhabilitation est un domaine qui nous échappent presque complètement. L’architecte pourrait répondre à des questions de l’ordre de l’expertise technique, sur des procédés constructifs, des solutions thermiques, sur l’orientation, le confort, l’acoustique. Cette consultation aboutirait à la formulation d’une réponse, sous forme d’un compte-rendu ou d’un mini-projet, qui pourrait ensuite déboucher sur quelque chose de plus important. Le tarif serait défini à l’avance, sur la base d’un taux horaire ou d’un forfait, à la manière des autres corps de métiers. > répondre à des interrogations concrètes La priorité à mon sens consiste à réintégrer le quotidien des gens. Pour cela, il faut arriver à faire comprendre aux gens que l’architecte est en mesure de les aider sur un sujet précis. On remarque aujourd’hui que ce n’est pas le cas, et qu’on trouve les réponses sur internet, dans les fascicules Leroy Merlin ou en regardant D&CO sur M6. Il faut donc arriver à replacer l’architecte au cœur de la construction dans l’inconscient collectif. Pour ce faire, il faut d’abord que la société oublie l’idée qu’un architecte est forcément hors de prix et qu’il dispense des prestations évitables. Il faut donc en quelque sorte revaloriser la profession auprès du grand public. Un des aspects les plus fondamentaux concernera notre capacité à apporter une réelle plus-value, qui soit palpables. Avant de commencer à vouloir parler de concepts architecturaux incompréhensibles pour la majorité des clients et donc de retomber dans la caricature, il faudra d’abord à mon sens asseoir sa crédibilité. Et cette crédibilité ne passe pas par notre faculté à dessiner un joli garde-corps à motifs floraux ou à installer une double hauteur dans le salon. Elle passe d’abord par notre capacité à répondre à des questions concrètes : économiques, techniques, et judiciaires. Une fois cette confiance gagnée, il sera sans doute plus simple de parler librement d’architecture.
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> reconquérir les territoires délaissés Une des manières d’accéder à ce statut serait peut-être d’aller à la rencontre des territoires laissés pour compte, un peu l’équivalent des déserts médicaux de l’architecture. J’observe une tendance à Bordeaux comme ailleurs sans doute à s’entasser dans une ville qui certes subit un développement important et donc probablement plus porteuse de projets que d’autres, seulement la concurrence en devient telle qu’il est difficile de tirer son épingle du jeu. Un peu comme les médecins encore une fois, qui voient certains de leurs confrères en ville manquer de patients, quand d’autres croulent sous le travail en campagne. Le cas de l’architecte est un peu différent pour les raisons que nous avons évoquées. Il n’empêche que l’horizon bordelais semble relativement bouché, qui plus est avec l’arrivée de la LGV et de nombre de parisiens désireux de retrouver le calme de la province… En revanche, s’implanter dans des zones moins prisées pourrait avoir un réel intérêt dans ce sens. De plus, la numérisation du travail fait qu’il est aujourd’hui possible de travailler à distance. Rien n’empêche donc de continuer à postuler pour des projets de moyenne échelle, dans les territoires porteurs. Et le reste du temps, tenter de reconquérir ces zones du territoire où les architectes n’existent plus. > délaisser une part du prestige Si tenté que l’on soit intéressé par cette perspective de reconquête du quotidien, il convient cependant d’accepter une pratique un tant soit peu différente de celle que l’on nous a fait miroiter à l’école. Accepter des missions moins glorieuses, et s’asseoir sur une part du « prestige » (quoique relatif) que l’on accordait à l’architecte. Cela ne veut pas dire que parce que l’on choisira d’explorer l’architecture du quotidien, on n’aura pas la possibilité de réaliser de beaux projets, bien au contraire. Un beau projet ne tient pas qu’à son budget, et il est possible d’envisager obtenir des commandes intéressantes. Ce que j’entends par là, c’est qu’il faudra là-aussi accepter des missions basiques parfois peu glorieuses et peu rémunérées, dans la perspective d’offrir ce service d’architecture de proximité. Mais quand on voit à quoi est bien souvent réduit le travail d’architecte dans la commande de plus grande échelle, est-ce vraiment un problème ? Ca l’est probablement dans le sens où ces missions seront financièrement encore moins lucratives que les commandes de promoteurs. En contrepartie, on devrait pouvoir avoir l’impression d’agir pour quelque chose.
Alain Keler_La Chaîne des Pyrénées_Reportage La diagonale du vide_2013.
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2.3_ Repousser la pluridisciplinarité « L’architecte sait un peu sur beaucoup de sujets. L’ingénieur sait beaucoup sur peu de sujets. » J’aime la pluridisciplinarité de l’architecture. Je ne saurais dire si c’est une des raisons qui m’ont inconsciemment dirigé vers ce domaine, mais je sais en tout cas que c’est ce qui me conforte dans mon choix. Je suis pluridisciplinaire moi aussi. Ce qu’on appelle un touche-à-tout. Un touche-àtout à prédominance scientifique naturelle, à l’esprit rationnel, mais capable d’apporter et de tirer rapidement son épingle du jeu dans des domaines très différents. Quelqu’un qui n’excelle en rien, mais qui s’y connaît un peu en tout. Où est-ce que je veux en venir ? Au fait que je pense que « l’ultra-professionnalisation » décrite précédemment s’accompagne inexorablement d’une « ultra-spécialisation » des acteurs, et qu’à l’architecte se dérobent peu à peu les composantes qui faisaient l’unicité de sa profession. Je trouve cela dommage, et j’aimerais penser qu’il est toujours possible d’être cet architecte pluridisciplinaire. L’architecture est construction, mais elle est artistique, en même temps qu’elle est scientifique, technique. Elle est sociologie, philosophie, anthropologie. Elle est urbanisme, économie, ingénierie. Elle est à la confluence de tous les domaines. Si j’aime mon métier et la composante créatrice qu’il en émane, je me prends souvent à rêver d’une pratique autre, dans laquelle l’architecte, passé un certain stade, « lâcherait sa souris pour sa truelle ». C’est une image bien entendu, et j’imagine que beaucoup s’y sont déjà cassés les dents. Il n’empêche, cette idée ouvre un champ de perspectives intéressantes sur lesquelles j’aimerais m’arrêter. J’ai grandi dans un milieu rural, ce qui explique mon goût pour l’authenticité et les perspectives futures que j’essaie ici de développer. J’ai donc toujours eu l’habitude du travail manuel. Relatif certes, mes parents n’étant pas artisans. Mais mon père, médecin de campagne, aimait et aime à s’échapper des tracas de sa semaine par le travail manuel, en même temps qu’il prend l’air. J’ai grandi en développant ce goût pour les longs après-midis passés dans l’atelier à bricoler, régler, réparer. Je l’explique par le fait que j’ai besoin de me mouvoir, de faire fonctionner mes mains et se sentir un contact avec la matière. Tout ce que mon quotidien ne me permet (actuellement) pas. Mes activités sont multiples et consistent en des choses simples : réparation et customisation de bicyclettes ou de motos, rénovation de meubles, création d’objets. Récemment, ma compagne et moi-même avons naturellement injecté un peu de notre culture professionnelle, d’architecte donc, dans notre réalisation. Si notre production reste limitée, les perspectives qu’elle propose sont nombreuses et motivantes. Nous nous plaisons à imaginer une pratique collective de l’architecture autour d’un atelier pluridisciplinaire, juste association de profils, d’horizons et de compétences différentes. Un lieu dans lequel nous-même pourrions donner vie à certaines de nos créations, ou alors avoir un regard précis sur sa réalisation, puisqu’elle s’effectuerait en son sein. Ce genre de pratique n’est pas
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nouveau, à l’image du collectif Ciguë3 à Montreuil, collectif d’architectes de La Villette regroupé autour de l’architecture et de la menuiserie. Cette analogie ne m’est apparue que récemment, mais force est de constater qu’elle se rapproche de cette utopie que nous cultivons, et que je me reconnais dans leurs aspirations. « Choisis un travail que tu aimes, et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie. » Confucius. Sans aller jusqu’à dire que j’aime plus le travail d’atelier que l’architecte, il est possible le travail de mes rêves soit une combinaison un peu utopique de ces pratiques. Le premier bénéfice serait donc purement égoïste, mais après tout, pour qui travaillons-nous sinon pour nous-même ? Mais au-delà du bien-être quotidien, j’y vois des intérêts qui me paraissent être en phase avec la réalité actuelle. D’abord la multiplicité des compétences au sein d’une même structure, qui me semble de plus en plus nécessaire à la pérennité d’une activité. L’architecte a à mon sens tout intérêt à cultiver les nombreuses facettes de son métier et à les exploiter au gré des opportunités. Concepteur et constructeur, il se mue déjà à l’occasion en urbaniste, paysagiste ou scénographe. Il peut donc très bien se transformer en graphiste à l’occasion, travailler sur des mises en page, des visuels, des chartes graphiques. Sans avoir la prétention de dire que l’architecte peut exercer des métiers qui ne sont pas les siens, il peut intégrer des domaines différents, et apporter sa pierre à l’édifice. Dès lors, pourquoi ne pas l’imaginer tester directement la matière et construire à la manière dont on faisait des maquettes ? « Au-delà de l’enseignement théorique de l’école d’archi nous voulions fabriquer des choses avec nos mains. On s’est donc acheté des outils et fondé une SARL de menuiserie. Depuis, nous savons vraiment dessiner une porte ou un escalier ! » Hugo Haas, de Ciguë.
Cela nous amène à l’autre atout majeur d’une structure de la sorte, qui est de mieux dominer le processus de conception/réalisation d’un projet. Sans parler d’une entreprise d’architecture et de construction, trop complexe. Mais réaliser au sein de l’atelier le mobilier sur-mesure que l’on a dessiné par exemple ? Un des problèmes du processus de projet actuel tient selon moi dans la somme d’intermédiaire entre l’esquisse et la livraison. Si l’on parvenait à absorber certains postes, le travail gagnerait en qualité, et probablement en rentabilité. La structure facturerait en effet un ensemble, qu’elle répartirait comme elle l’entend en interne, mais sans que le client ait l’impression de payer huit fois pour la même chose. Utopique dans sa mise en forme et peut-être difficile dans sa viabilité, je pense néanmoins qu’un projet comme celui-ci aurait sa place. Sans doute pas pour une activité à plein temps au départ. Mais couplé à une activité plus classique d’architecture, il pourrait permettre l’ouverture d’esprit, la diversification et le recul nécessaire au développement d’une pratique nouvelle.
3. http://cigue.net/fr/info/about/
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Le MAGASIN_Centre d’Art Contemporain de Grenoble_Patrick Bouchain.
« Est-ce qu’on peut demander à un metteur en scène de cinéma de faire le film avant de l’avoir tourné? Il le tourne, c’est tout. Avec le risque que cela ne marche pas. (...) L’architecture devrait être faite comme ça. » Patrick Bouchain_L’architecture en partage, France Culture_2017.
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2.4_ Faire autrement J’aimerais enfin m’arrêter sur les manières alternatives de faire de l’architecture, celles qui sont apparues avec la crise chez nous, celles qui luttent contre la pauvreté ailleurs. Je l’ai mentionné dans mon cursus, j’ai eu la chance durant mon expérience chilienne d’intégrer un collectif associatif dont l’activité était justement de venir en aide aux plus démunis, en les accompagnant dans le processus technico-administratif de la construction de leur propre logement. Si les contextes et les enjeux sont profondément différents, et si d’ailleurs tout n’était pas irréprochable dans leur manière de faire à mon sens, les enseignements à tirer de ce genre d’expériences sont nombreux. Plus largement, c’est précisément ce thème du social qu’Alejandro Aravena a choisi de mettre en lumière cette année à Venise, Biennale par laquelle j’ai ouvert ce mémoire en même temps que son écriture, et à laquelle son titre fait allusion. L’idée n’est pas d’exposer une pratique ni une manière de construire autrement, claire et définie. L’idée est de montrer qu’il existe des alternatives à la manière conventionnelle de faire de l’architecture, celle que l’on nous apprise à l’école, celle que nos prédécesseurs exercent, celle que les institutions, par leurs procédures, leurs contraintes et leurs règlements, veulent nous faire exercer. Réfléchir à de nouvelles manières de travailler, plutôt que de subir la dérégulation de plus en plus forte de la profession.
2.4.1. Inventer/anticiper la commande Cette méthode, c’est celle que Patrick Bouchain et ses disciples essaiment au travers de leurs projets : l’invention d’une commande. «Non pas en définissant un programme, mais en comprenant un besoin. Soit un manque qu’il est possible de pallier en construisant et surtout en reconstruisant; soit en réfléchissant à l’usage d’un bâtiment existant promis à la démolition ou à la vente», explique-t-il4. L’idée, c’est quelque part de prendre les devants sur la réflexion, et de ne pas attendre le concours ou la consultation publique pour proposer une idée à un client. Patrick Bouchain a fait de la réutilisation/reconstruction son cheval de bataille et, porté par sa singularité et appuyé des bons soutiens, a réussi à en faire son modèle. Force est de constater pour autant que ses disciples ont plus de mal à en tirer bénéfice. Son cas est donc particulier. Sans aller jusqu’à anticiper des programmes de l’ampleur de ceux de Bouchain, il semble pour autant logique de penser qu’une suggestion d’un bon projet à un client ou un élu puisse conduire à l’obtention de la commande. En effet, bien des clients ou des collectivités n’ont pas les moyens de consulter comme ils le souhaiteraient des conseillers à l’aménagement prompts à définir des orientations de développement futures, comme c’est le cas dans les grandes villes. On pourrait donc imaginer prendre les devants, voir dans tel ou tel lieu un potentiel autre, développer une idée et la soumettre. Difficile car non-rémunérée, cette méthode pourrait faire sens mais ne se suffit pas à elle-même, et ne peut donc prétendre exister qu’en supplément d’une activité plus « alimentaire ».
4. Catherine Sabbah, Et si on réinventait aussi la commande ? larepubliquedelarchitecture.com, 12.10.16.
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Table de travail dans le campement Nuevo Amanecer, San Bernardo_Santiago_2013. CrĂŠdits personnels.
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Je m’interroge sur les manières pour l’architecte de prendre les devants. Il est interdit me semblet-il qu’un architecte soit en même temps promoteur de ses projets, et contraire à l’éthique. De plus, je crois qu’une pratique de la sorte est assez mal perçue par les architectes eux-mêmes, qui ne se privent pas pour autant de faire de la valorisation de biens, sous d’autres formes peutêtre. Sans avoir pour ambition de devenir un requin de l’immobilier, je vois dans cette méthode un moyen pour l’architecte et ses collègues d’essayer de porter des idées qui sont les siennes et de les concrétiser. Si personne, aucune collectivité ni aucun promoteur n’est prêt à se lancer dans l’aventure et à relever le défi, pourquoi l’architecte ne pourrait-il pas le faire ? S’il trouve son financement et un mode de fonctionnement légal ? Après tout, on parle ici d’expériences nouvelle et non de spéculation immobilière. Les risques sont importants et la perspective de voir l’architecte s’enrichir spectaculairement est assez mince, alors pourquoi ne pas tenter le coup ? Catherine Sabbah parle dans son article du bâtiment de l’agence franco-brésilienne Tryptiques qu’elle a construit en 2007, innovant et adapté au lieu, et qui s’est transformé en une opération financière et médiatique intéressante pour eux. Elle poursuite même en se demandant « pourquoi ne pas acheter des terrains et inverser le propos en organisant des appels d’offre pour les promoteurs, jugés par des architectes devenus maîtres d’ouvrage. » Sans aller aussi loin, je trouve qu’il existe une forme de logique et de courage à cette perspective, qui permet d’agir au lieu de subir, et de proposer soi-même, littéralement soi-même, et non à travers d’une procédure, d’un appel à idées ou d’un promoteur, des formes nouvelles de faire, d’habiter, de construire.
2.4.2. Développer de nouveaux modes La Biennale de Venise est remplie d’innovations et de solutions simples à des situations complexes. Nombre de sujets font face à des contextes critiques, incomparables à nos difficultés actuelles. Ce qui compte, c’est la façon dont un acteur peut modifier un processus qui paraissait figé, et provoquer avec lui un changement dans la société. Des initiatives existent en France et ailleurs et qui vont dans ce sens. Il convient de distinguer l’innovation réelle et ses plus-values, dans un monde débordant de néologismes et d’anglicismes à vocations écologique et sociale. Eco-friendly, Co-working, fermes urbaines, rue bioclimatique (entendu chez un promoteur concurrent !), potagers partagés, etc…, difficile d’y voir clair. > l’habitat participatif J’ai volontairement laissé le sous-titre comme inachevé pour illustrer la pluralité des domaines dans lesquels il est possible de développer des modes de fonctionnement nouveaux. Nous avons eu l’occasion d’étudier les questions d’habitat participatif pendant notre expérience à Un Techo para Chile, ou à l’Atelier Provisoire de Bordeaux, au travers du projet VIM par exemple. Dans ce type de procédé, la personne intervient en amont de la création du bâtiment, dès la phase de réflexion. Si la mise en pratique s’avère plus complexe que sa réflexion théorique, il est intéressant de voir comment la responsabilisation de l’habitat et sa consultation dans le dessin de son futur logement sont positives pour tous. Contre la répétition et la standardisation, pour l’appropriation, parce que nous vivons tous différemment, et parce que nous voulons un
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logement qui ait une identité, nous pensons que l’habitat participatif devrait se développer et devenir plus récurrent qu’il ne l’est aujourd’hui. La participation atteint son paroxysme lorsqu’elle touche jusqu’à la construction du projet. C’est utopique mais possible. Cela répond aux difficultés financières actuelles, en réduisant de fait les coûts, et aux besoins qu’ont les gens de se rattacher à des choses simples, dépassés qu’ils sont par le monde actuel. La mise en place d’un processus de la sorte reste néanmoins compliquée et ce genre de pratiques en est encore au stade de l’expérimentation. Le film « Bienvenue à la Ruche »5sur le projet d’habitat participatif du même nom de l’agence d’architectes bordelaise Dauphins à Bègles illustre bien les difficultés rencontrées dans l’organisation et la logistique d’un projet de la sorte, dans les discussions et les compromis (il s’agit là en plus d’un habitat partagé), et le fait que les architectes n’ont probablement pas gagné le moindre centime dans cette affaire…
> l’habitat partagé La Ruche permet d’aborder rapidement un autre sujet d’intérêt très évoqué actuellement, celui de l’habitat partagé. Peut-être plus sceptique là-dessus que sur les autres points, et le film est là pour montrer combien il est difficile de faire cohabiter des gens ensemble, et ce même s’ils l’ont choisi, je vois néanmoins des perspectives innovantes dans ce mode d’habiter, à la mode certes, mais à cause de contraintes bien réelles. S’il me semble utopique de croire que l’on peut faire vivre n’importe qui ensemble, l’échec des politiques de mixité sociale le montre bien, il est à considérer que les mentalités semblent évoluer légèrement, et qu’après s’être enfermés dans leurs pavillons cerné de grillages et de haies, les français semblent aujourd’hui disposés à en ressortir. Parce que la convivialité disparaît petit-à-petit dans la société, parce qu’il est difficile (et inutile et peu judicieux) de vouloir subvenir à ses besoins en complète autonomie/autarcie. Le partage peut prendre différentes formes, et il n’est pas nécessaire de partager son salon. On peut commencer par partager une perceuse et un taille-haie, que l’on utilise deux fois par ans. On partagera peutêtre ensuite l’atelier, ou le garage, évitant la surconsommation de biens inutiles. On en viendra peut-être à partager le potager, et peut-être un jour une salle commune ou un studio pour les visites. Mais il semble important pour les gens de se sentir chez soi. Dans le film d’Ila Bêka et Louise Lemoine sur la 8-House de BIG à Copenhague6, une habitante explique qu’elle vivait étant jeune dans une communauté, et qu’elle ressentait dans ce bâtiment la même convivialité, le même vivre-ensemble, mais l’intimité en plus, qui n’existait pas dans la communauté. Il est important que les gens partagent s’il le souhaite. Il l’est tout autant qu’ils puissent fermer la porte si besoin. C’est le principe de la vie en colocation, autre mode de vie en vogue, que nous autres étudiants dominons bien.
5. Bienvenue à la Ruche, Jean-Paul Lascar, Périphéries Productions, 2016. 6. The Infinite Happiness, Bêka & Lemoine, Bêka & Partners, France, 2015.
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> l’habitat évolutif Notre pratique professionnelle et son étude théorique nous a conduit à réinterroger la question de l’habitat évolutif. Au travers de la thèse de master de ma compagne7 nous avons étudié des modèles d’habitat social, dont les aujourd’hui célèbres demi-maisons de la Quinta Monroy d’Alejandro Aravena. Un des enseignements tirés est celui de l’habitat évolutif. J’entends deux définitions légèrement distinctes à évolutif. D’abord celle que les maisons d’Aravena matérialise parfaitement : la base de la maison achevée mais à personnaliser, et surtout, anticipant les perspectives d’agrandissement et d’extension futures. Concept qui n’est pas nouveau du tout par ailleurs, mais qui continue à avoir du sens. Christophe Hutin s’y est essayé à Floirac sur les Hauts-plateaux, le temps nous permettra de juger de sa réussite ou non. La seconde m’intéresse plus, ou du moins semble plus adapté au contexte dans lequel nous exerçons. Elle concerne l’évolutivité d’un logement ou d’un bâtiment au gré du temps qui passe, et sa modularité. Le noyau familial a toujours évolué à mesure que les enfants grandissent, et avec eux leurs besoins. Il n’a en revanche jamais été aussi sujet à changements qu’à notre époque ou les familles décomposées, séparées, recomposées sont devenues la norme. L’habitat devrait pouvoir anticiper ces changements de besoin. Le nombre de chambres, la taille du salon, des salles de divertissement, et même le nombre de logements dans le logement ! J’ai eu vent d’un projet de concours dernièrement où le logement initial était un T5 ou T6, scindable dans le futur pour offrir un studio à l’adolescent en quête d’indépendance, puis à nouveau séparable en T3+T2 une fois les enfants partis, afin de louer le T2. Ces exemples sont la preuve qu’il existe toujours des solutions à inventer. Et ces perspectives, pour le coup, sont réjouissantes, et motivantes.
Extension effectuée_Renca_Elemental. 7. Maria Francisca D. Durães F., Habitation pour tous – Processus de dessin, répétition et identité (traduite du portugais) ; Thèse de master, FAUP Porto, Portugal, 2015.
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Piste dans le désert d’Atacama_Chili_2013. Crédits personnels.
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3_ Des perspectives Je réitère l’imprévisibilité inhérente à la vie de tous. Mais si je devais définir une ébauche de parcours futur, qui sont finalement des souhaits et orientations, ce serait en trois temps. Une vision à court, moyen et long terme. Les années indiquées ici n’ont d’autres buts que de donner une échelle à ces trois temps, un ordre de grandeur.
HMO < court-terme < 3 ans / Capitaliser Alors que je m’apprête je l’espère à valider cette formation HMONP, je considère avoir rempli les objectifs fixés, et avoir répondu à mes attentes. Ma situation actuelle me semble en accord avec mon âge, mon expérience et mes capacités. La formation théorique m’aura permis de combler les lacunes administratives et économiques que le diplôme n’enseigne pas. Elle m’aura permis de capitaliser de la confiance qui se matérialise au quotidien dans mes collaborations en crédibilité. Cette quête était l’une des raisons du choix d’effectuer la HMONP à ce stade de ma pratique. Peut-être ne suis-je pas encore aguerri dans le domaine technique et que ma connaissance du chantier reste précaire, mais les séminaires m’auront fait économiser un temps précieux d’apprentissage et gagner en réactivité, ainsi qu’en légitimité. Il me semble important pour qui exerce sous le statut qui est le mien de justifier de cette habilitation. Nous l’avons choisi (ou poursuivi) pour des raisons d’indépendance et pour un exercice autonome, au gré des associations et des opportunités. Celles-ci sont de natures différentes, et prennent parfois la forme de projets de notre échelle, que nous pourrions mener à bien seuls. Sans cette habilitation, impossible de se risquer à quoi que se soit, ni même d’être considéré comme architecte. Dans la quête de développement et d’autonomie qui est la nôtre, il est primordial de pouvoir être habilité à la maitrise d’oeuvre en nom propre. Je sais néanmoins que je ne suis pas tout à fait assez expérimenté pour me lancer seul du jour au lendemain dans une aventure indépendante. Je peux en revanche continuer d’exercer comme je le fais aujourd’hui, au contact d’acteurs expérimentés qui sauront m’apporter les cordes nécessaires à mon arc d’architecte à son compte. Par le biais de mes contacts et de mon statut, j’ai la chance d’avoir pu me constituer un tout petit réseau mais qui constitue un début. Je peux compter sur ces gens pour collaborer, pour découvrir de nouvelles facettes de mon métier, et continuer à apprendre. Nous allons poursuivre ensemble les projets entamés, terminer les chantiers, en démarrer d’autres, rendre des esquisses et valider des permis. Mon habilitation me permettra de sauter quelques étapes et d’accéder plus vite au savoir et aux responsabilités nécessaires à la validation de paliers de progression. Il est important je pense de s’assurer de l’évolution permanente de notre situation, si possible dans le bon sens. La stagnation est l’ennemi dans un milieu où l’on peut vite se retrouver catalogué à telle ou telle tâche et éprouver par la suite des difficultés à en sortir.
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Travailler avec les autres est primordial, pour ce qu’ils ont à nous apprendre. S’enfermer seul dans son local et « monter sa boîte » serait à mon sens une énorme erreur. Qui peut aujourd’hui avec mon expérience avoir la prétention de croire qu’il va démarrer un négoce seul ? Pas moi en tout cas, qui plus est sans proche dans le métier. Par contre, les architectes avec qui je collabore et avec qui j’ai développé une relation de confiance, ceux-là sont en mesure de participer à une transition douce qui ne me sera que bénéfique. Cette transition se matérialise d’une part par une autonomie grandissante dans les missions qui me sont données de gérer, ainsi que dans une augmentation du temps de ma semaine consacré aux projets personnels. Cette balance collaboration/projet personnel sera progressive s’ajustera selon mes besoins, qu’il soient financiers ou de l’ordre de la diversité de projets. Concrètement, je vois aujourd’hui les structures que je côtoie en mesure de m’offrir cette transition. Patrick Hernandez, Jean-Philippe Lanoire et Sophie Courrian semblent disposer à poursuivre l’aventure et à développer encore un peu cette collaboration. Dans des domaines différents, à des échelles et avec des manières différentes, ce qui n’aura pour effet que d’enrichir ma pratique, et de capitaliser sur mes connaissances, dans tous les sens du terme.
+3 ans < moyen-terme < 6 ans / Se réunir L’émancipation interviendra je pense progressivement, et je l’espère naturellement. Le temps deux consiste en effet, c’est l’ambition et l’objectif, à asseoir cette indépendance, et à réussir à ce qu’une partie de notre production nous soit propre. Si le temps un est celui de la capitalisation, le temps deux sera celui de la réunion. Le terme réunion possède ici un double sens. Je vois d’abord une suite logique à la pratique du temps un qui est celle de la sous-traitance. Si l’évolution suit son cours, la pratique du temps deux devrait être celle de la co-traitance, et donc d’une association plus directe avec les architectes. L’autre sens de la réunion, et qui me semble plus intéressant à développer ici, est le sens propre du terme, à savoir le regroupement. Pour toutes les raisons qu’on a évoqué précédemment, je conçois difficilement ma pratique sans l’apport à mes côtés de camarades, associés et/ou amis, dans une mise en commun du savoir et des capacités de chacun. Il me semble en effet que chaque profil diffère, dans le positif comme le négatif, et qu’il n’est que plus judicieux d’arriver à constituer une équipe efficace par sa diversité de caractères. Je sais par exemple que le relationnel n’est pas mon point fort, et que certains le font beaucoup mieux que moi. Les parcours de chacun, leurs lots d’enrichissement et d’enseignements, seront mis au service d’un collectif, dont la mise en place reste bien entendu à définir, et pouvant prendre des formes d’association différentes, et avoir jusqu’à des activités différentes.
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Dans son mémoire, mon ami Karim El Ajlani parle d’être seul à plusieurs8. Il a tout dit. Viendra également la question du territoire que nous choisirons d’explorer et dans lequel nous voudrons intervenir. J’ai pour ma part une attirance avouée pour le territoire rural, de par mon histoire familiale, et les enjeux qu’il convoque. La difficulté d’y exercer de manière viable pose aujourd’hui problème, j’ai néanmoins espoir de trouver un moyen, dans la suite de mes aspirations précédemment développées. La vraie question, c’est de savoir quand et avec qui interviendra ce regroupement. Nous avons des pistes au stade de la réflexion et du développement, et qui tournent autour d’un lieu commun aux activités multiples que nous sommes sur le point de concrétiser, en réponse à cette idée de pluridisciplinarité qui me tient tant à cœur. Une collaboration sans prétention, qui sera professionnelle autant qu’elle ne le sera pas, qui sera rentable ou non, mais qui devra nous enrichir. Son but premier sera l’épanouissement de chacun, pas la rentabilité ni la viabilité. Mais c’est peut-être par le biais de cette association informelle de biens et de profils que naitra naturellement ce qui deviendra notre modèle de fonctionnement.
+10 ans : long terme / Préserver la cohérence Dix ans, c’est loin et proche à la fois. C’est beaucoup dans une vie, peu dans une carrière d’architecte. Dix ans d’expériences ne suffisent pas à la maturité, pas encore. Je veux me retourner dans dix ans sur ce parcours et pouvoir en valider la cohérence. Je souhaite ne jamais regretter d’avoir fait le choix de l’architecture. Pour ce qu’elle m’aura fait grandir, je pense que cela n’arrivera pas, que je l’exerce encore ou pas. Je souhaite que les curseurs qui constituent notre cadre professionnel reviennent à l’équilibre, et qu’il soit possible d’exercer ce beau métier d’une manière décente. Je veux croire au fait qu’il soit possible d’exercer la profession d’architecte et d’en vivre correctement, sans prétentions démesurées. Je ne suis pas en quête de reconnaissance, plutôt en quête de connaissances. Je n’ai pas la prétention de devenir renommé, ni l’envie, et probablement ni la hargne nécessaire. J’espère donner du sens à ce que je fais, et le faire du mieux possible. Faire les bons choix au bon moment et suivre les bonnes personnes, dans un souci de perspicacité. Et surtout, être capable de porter une production réfléchie, qui préservera la cohérence de son propos. J’ai confiance en la personne que je suis, pas forcément toujours en l’architecture que je suis. Je crois cette humilité nécessaire.
8. Karim El Ajlani, Le pourquoi et le comment être architecte, Mémoire de HMONP, ENSAPBx, 2015.
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« Celui qui cherche la sagesse est un sage. Celui qui croit l’avoir trouvée est un fou. » Sénèque.
4. UN ARCHITECTE On pourra s’interroger mille fois sur les tenants et aboutissants du parcours qui a conduit à la rédaction de ce travail. On remettra en question des orientations, critiquera une formation trop théorique, trop laxiste, ou trop utopiste, ou des choix parfois discutables. On minimisera une expérience, sous prétexte qu’elle n’aurait pas rempli toutes les attentes et aspirations qu’elle était censée convoquer. On la réduira à une production, orpheline de réflexion, visant à satisfaire des acteurs dont les ambitions vont à l’encontre de l’idéal que l’on voudrait cultiver. On remettra en cause le décor où prend part l’action, et avec lui les règles du jeu et les armes dont on dispose. On pourra jusqu’à fustiger le monde dans lequel on vit, chaque jour plus instable et déroutant. A la fin, il reste quand même un architecte, moi en l’occurrence, dont la trajectoire est ce qu’elle est, imparfaite mais profondément honnête et empreinte de sincérité. Et le futur de cet architecte, il reste à inventer, et son histoire à écrire. Gageons qu’elle s’inscrive dans la continuité de la trajectoire dessinée depuis huit années, Afin d’un jour clamer avec fierté, « je suis architecte ».
IV_ Annexes
Patrick Hernandez Lanoire & Courrian Bibliographie Curriculum Vitae
102 IV_Annexes
Patrick Hernandez Architecte_
I_ Restaurant CAT, Artigues_1999.
II_ Pavillon dâ&#x20AC;&#x2122;accueil Grotte Pair-non-Pair_Prignac-et-Marcamps_2008.
IV_Annexes 103
Patrick Hernandez _Architecte
III_ Rénovation corps central, Château d’Arsac_2000. IV_ Winery_Arsac_2007.
104 IV_Annexes
V_ 175, rue du Jardin Public Bordeaux_en cours.
Patrick Hernandez Architecte_
IV_Annexes 105
Lanoire & Courrian _Architectes
VI_ Gare maritime, Marseille_2005.
VII_Médiathèque, St Ciers s/ Gironde_2004.
VIII_ Château Gruaud-Larose, St Julien de Beychevelle_2014.
IV_Annexes 107
Bibliographie Ouvrages_ Biennale Architettura 2016 Exhibition Catalogue_Auteurs divers_2016, Pas de toit sans toi, Réinventer l’habitat social_Collectif Construire_Actes Sud_2016, Manual de vivienda incremental y diseño participativo_Aravena&Iacobelli_Hatje Cantz_2012, Contre l’architecture_Franco La Cecla_Arléa_2011, La désobéissance de l’architecte_Renzo Piano_Arléa_2009, Jacques Hondelatte, des gratte-ciel dans la tête_Patrice Goulet_Norma_2002, The Road That Is Not a Road_Ann M. Pendleton-Jullian_The MIT Press_1996.
Films/Radio_ Bienvenue à la Ruche_Jean-Paul Lascar_Périphéries Productions, 2016, The Infinite Happiness_Ila Bêka & Louise Lemoine_Bêka & Partners_2015, Patrick Bouchain, L’architecture en partage_Raphaël Bourgeois_France Culture_2017.
Articles_ Et si on réinventait aussi la commande?_Catherine Sabbah_ www.larepubliquedelarchitecture.com/_2016, Architectes : péril en la demeure_Catherine Sabbah_ www.larepubliquedelarchitecture.com/_2015, Que manque-t-il pour supprimer le seuil des 170m2?_ www.defenseprotectionarchitecte.fr/_2011,
Mémoires/Thèses_ Habitação para todos - Processo (d)e desenho, repetição e identidade_ Maria Francisca D. Durães F._Thèse de master_FAUP Porto, Portugal_2015, Le pourquoi et le comment être architecte_ Karim El Ajlani_Mémoire HMONP_ENSAPBx_2015.
108 IV_Annexes
Curriculum Vitae
_Expérience professionnelle
(Auto-entreprenariat en architecture depuis le 26 janvier 2015)
LANOIRE & COURRIAN Architectes_
Octobre 2016/Aujourd’hui
_Tivoli 280 logements_VINCI_Bordeaux, _Lormont 97 logements, LP Promotion _ SDIS Poitiers, Concours.
Patrick HERNANDEZ Architecte_
Janvier 2015/Aujourd’hui
_La Plantille 38 logements_VINCI_Blanquefort, _Atelier et logement_Jardin Public_Bordeaux, _Appartement parisien_Paris, _Interventions sur bâtis landais_Escource, _Cour anglaise et agencement_Paris, Esquisses diverses, dessin de mobiliers.
Missions diverses Architectes_
Mai 2015/Aujourd’hui
Mars/Juin 2013
_Lina Singer Landscapes, _Christian Larroque Architectes Associés.
Fondation Un TECHO para Chile_
Septembre 2010
Août 2009
Bénévolat, Santiago
CAUE de la Charente_
Stagiaire, Angoulême
Entreprise de maçonnerie Bonnaud & Fils_ Ouvrier maçon, Paizay-Naudouin
IV_Annexes 109
BONNARDEL Thomas_Architecte D.E. Né le 11 juillet 1989_Grenoble (38) Nationalité française 9, Place Saint Pierre_33000 Bordeaux thomas.bonnardel01@gmail.com 06.89.64.16.19 SIRET : 809 273 188 000 23
Formation universitaire_ HMONP_ ENSAM Montpellier_
2016-2017
Diplôme d’architecte D.E._ ENSAPBx Bordeaux_
2013-2014
Echange universitaire_ Facultad de Arquitectura y Urbanismo FAU_
2012-2013
Master d’architecture_ ENSAPx Bordeaux_
2011-2012
Licence d’architecture_ ENSAPx Bordeaux_
2008-2011
Cours théoriques et préparation mémoire.
PFE_El Rio Mapocho : rendre le fleuve à la ville, Santiago_Chili.
Universidad de Chile, 2 semestres cours, 1 semestre stage, Santiago_Chili. Domaine A_Architecture située_Xavier Leibar. N.Franck_Olivier Brochet.
Classe préparatoire scientifique_ Déodat de Séverac Toulouse_ Physique Chimie Sciences de l’Ingénieur option SI (PCSI-SI).
Baccalauréat scientifique_ Lycée de l’Image et du Son Angoulême_ Option Sciences de l’Ingénieur (SI).
2007-2008
2004-2007