Rapport d'Étude Architecture - Thomas De Rossi

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Le rôle des dents-creuses dans la densification des centres anciens | Le cas de Chambéry

Thomas De Rossi

Enseignant tuteur : Rovy Pessoa

Année universitaire.2018-2019 | e0642.Rapport d’étude | Oral.09/05/19 Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon




Remerciements Cela fait maintenant plus de six mois que j’ai entrepris ce travail de longue haleine et je garde la même passion pour mon sujet que lors des premières recherches. Le thème des dentscreuses en ville dense est peu documenté et c’est avec plaisir que je me suis efforcé d’apporter humblement ma petite pierre à l’édifice. Ces recherches parfois capricieuses n’auraient pas produit ce travail sans les conseils avisés de mon enseignant tuteur Rovy Pessoa, qui a su me pousser en dehors de ma zone de confort et aller jusqu’au bout de mes idées. Je le remercie pour sa patience et sa disponibilité. Je tiens à remercier également mes parents Agnès et Luc De Rossi qui m’ont soutenu tout au long des recherches et m’ont aidé à faire le tri quand est venue la réalisation de ce rapport. Ils m’ont également suppléé dans la compilation des innombrables données récoltées et ont pris le temps de la relecture. Je vous laisse à ces dents-creuses et vous souhaite une agréable lecture.

Thomas De Rossi


Thomas De Rossi

Enseignant tuteur : Rovy Pessoa

Le rôle des dents-creuses dans la densification des centres anciens | Le cas de Chambéry

Année universitaire.2018-2019 | e0642.Rapport d’étude | Oral.09/05/19 Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon



Sommaire Introduction..................................................................................................................................................................................p. 5

I. La ville dense : un modèle aux dents-creuses le centre historique de Chambéry

I.1. Combattre l’étalement urbain.............................................................................................................................p. 9 I.2. Les villes denses............................................................................................................................................................p. 11 I.3. Construire en dent-creuse.................................................................................................................................p. 14 I.4. Tissu ancien et parallèle japonais...............................................................................................................p. 17 I.5. Chambéry.............................................................................................................................................................................p. 18

II. Classification des vides

types et caractéristiques

II.1. Inventaire.............................................................................................................................................................................p. 21 II.2. Familles...............................................................................................................................................................................p. 24 II.3. Relation à l’espace public...............................................................................................................................p. 26 II.4. Rôle et situation dans le tissu dense...................................................................................................p. 27 II.5. Potentiel d’intervention......................................................................................................................................p. 29 II.6. Densité écologique................................................................................................................................................p. 33

III. Un présent et des futurs

ambivalence des vides : entre potentiel de construction et respiration III.1. 9 exemples décortiqués...................................................................................................................................p. 35 III.2. Interventions spécifiques pour des dents-creuses uniques....................................p. 39 III.3. Qualifier la densité par l’intervention................................................................................................p. 40 III.4. Pistes pour faire la ville autrement (et mieux !)......................................................................p. 46 Conclusion.................................................................................................................................................................................p. 49 Bibliographie.............................................................................................................................................................................p. 51 Annexes........................................................................................................................................................................................p. 53 3



Introduction « Dans notre monde l’espace est une ressource et un bien de consommation. »

[Sigurd Larsen, dans la préface du livre Petits espaces Grands standings]

Alors que les scientifiques du monde entier tentent depuis des années d’avertir leurs congénères de la diminution galopante des réserves d’énergies fossiles et de toutes sortes de matières premières indispensables à nos sociétés, la masse des populations et leurs dirigeants commencent aujourd’hui à prendre conscience, se retrouvant désemparés face à une réalité implacable et imminente. Ces manques grandissants de ressources nécessitent une reconsidération de nos modes de vie contemporains et une remise en question de nos techniques et processus de production et de construction. De la même manière, l’espace disponible sur la planète Terre est fini, limité et très convoité. Il est une ressource essentielle à la vie humaine et les sociétés occidentales en sont particulièrement voraces. Cette question d’espace limité est amplifiée par une autre problématique tout aussi importante : la croissance démographique mondiale. La population mondiale est continuellement en hausse et les prévisions des divers organismes scientifiques pour les décennies à venir sont impressionnantes, si ce n’est alarmantes une fois mises en perspectives avec nos ressources et nos modes de vie actuels. A titre indicatif, les estimations au 1er janvier 2019 indiquent entre 7,6 et 7,7 milliards de personnes vivant sur Terre. Au début de l’été 2017, l’ONU projetait nos effectifs à + 1 milliard ou presque par rapport à aujourd’hui, + 2,2 en 2050 et + 3,6 en 2100. Si le taux de fécondité mondial actuel restait inchangé jusqu’en 2100, nos effectifs atteindraient alors 16,5 milliards à la fin du siècle, soit plus du double d’aujourd’hui. Au-delà de tous ces chiffres étourdissants, il est évident que l’augmentation de la population mondiale est une des grandes questions de ce siècle qui, comme la diminution avérée des ressources fossiles, va nécessiter une forte adaptation des pratiques. Et la manière de faire la ville est en première ligne pour plusieurs raisons. Pour éviter une densité forcée et incontrôlée de mauvaise qualité, nous allons devoir rapidement trouver des solutions pour tous cohabiter sur des territoires réduits. Mais la problématique du logement et du périmètre urbain n’est pas la seule. L’Homme a besoin de terres cultivables pour se nourrir, pratiquer l’élevage et produire des matières premières renouvelables. Or, une population grandissante signifie davantage de logements, mais aussi davantage de terres agricoles, d’équipements, d’infrastructures et de réseaux à gérer. Et dans ce cas, le phénomène de l’étalement urbain - largement répandu 5


dans les pays occidentaux - semble montrer ses limites. Nous avons besoin des territoires ruraux dans une dynamique de développement durable, et la production d’une ville détendue et dispersée recouvrant superficiellement toutes les terres disponibles n’est pas la bienvenue. Une mutation des modes de l’habiter paraît indispensable et va fatalement modifier les méthodes de projection de l’urbanisme, les modèles de développement de la ville, les techniques constructives, ou encore le rapport sociologique et culturel que chacun peut avoir à l’habitat. C’est pourquoi une démarche active et prospective est nécessaire pour ne pas subir un changement brutal mais construire volontairement une transition douce qui amènera de nouveaux modèles vertueux. A ce stade de réflexion, il semble que l’avenir ne s’écrive autour de modèles de villes denses et compactes, marquant une limite plus ou moins nette avec le monde rural. Si la densité peut faire peur de prime abord, elle doit être construite avec les capacités et techniques contemporaines, et apporter une plus-value à la vie citadine. La ville dense doit être produite pour ses avantages et ses qualités citoyennes et morales, apportant de nouvelles possibilités d’usages. Car rappelons-le : la ville c’est la densité. L’idée de densité est aujourd’hui systématiquement associée à de l’habitat collectif. Il est souvent question d’un travail à l’échelle du quartier ou de l’îlot. Avec la prise de conscience des limites, voire du danger pour notre société de l’étalement urbain, la problématique de la densité et de la densification de la ville est abordée de manière très professionnelle, dans une dynamique de planification. Mais comme l’explique l’architecte-urbaniste Nicolas Michelin, la densité fait peur. C’est un terme qui renvoie dans l’imaginaire du grand public soit à l’insalubrité des villes médiévales, soit aux immenses barres et tours de béton du siècle dernier. Selon lui, « les élus redoutent plus que tout les séances de concertation dans lesquelles ils doivent expliquer aux riverains la densité prévue pour un nouveau quartier [...] et invoquent souvent la préservation de l’environnement pour justifier le recours à un îlot dense ». Il faut envisager la densité comme un atout et peut-être changer d’échelle pour « inventer de nouvelles morphologies urbaines sur mesure, qui permettent de préserver l’intimité tout en offrant un partage de l’espace ». La ville dense peut se développer plus humblement à partir d’interventions à l’échelle de l’îlot ou de la parcelle et retrouver une dimension humaine. Pour ce faire il est intéressant de se tourner vers les formes de densité spontanées qui résultent d’une construction expérimentale ou vernaculaire, de contraintes spécifiques et de pratiques culturelles. Dans un urbanisme ponctuel de densification de la ville sur elle-même, la dent-creuse est un motif récurrent, porteur d’une ambivalence articulant plein et vide, public et privé : elle se situe entre un potentiel de construction indéniable et une respiration parfois indispensable de la masse bâtie dense. Si l’on part 6


du principe que la densité urbaine n’est pas l’exploitation maximale d’un volume donné, mais un équilibre entre plusieurs paramètres physiques, mathématiques, performatifs et sensibles, le sujet devient d’autant plus riche et complexe. Mais il ouvre aussi plus de perspectives : la densité n’est pas la résultante d’un calcul, elle nécessite intelligence de conception spatiale, créativité, adaptation… Il est intéressant d’étudier les dents-creuses, de les recenser pour essayer de les classer et de les analyser dans le but de mieux les comprendre et les traiter. Peutêtre peut-on établir des règles ou des modèles qui permettent de densifier la ville par les dents-creuses et de planifier leur traitement à l’instar des grands projets urbains. Mon travail de recherche porte donc sur le rôle des dents-creuses dans la densification de la ville contemporaine française déjà relativement dense. Comme les dents-creuses sont des niches du tissu urbain dense, le sujet en tant que thème scientifique semble aussi encore être une niche dans le paysage de la recherche mondiale, dans les domaines spécialisés de l’urbanisme, de l’architecture, de la sociologie et de l’histoire de l’urbanisme et de l’architecture. La documentation sur le thème de la dent-creuse est très généraliste et très périphérique. La notion de dent-creuse elle-même est très large et peu définie. Elle ne fait pas l’objet de travaux scientifiques spécifiques. Si des ouvrages rendant compte de projets de construction en dent-creuse existent, ils ont souvent l’allure de catalogues de réalisations architecturales et sont le plus souvent rédigés par des agences ou des architectes praticiens. Certains ouvrages rapportent plus en profondeur l’expérience des concepteurs/constructeurs et tentent de mettre en perspective de nombreux projets pour développer un discours de fond qui reste toutefois axé sur la pratique empirique et spontanée. Le vrai problème reste l’absence de théorisation sur un sujet ancien (depuis que la ville existe, on a toujours reconstruit à la place de bâtiments détruits dans de petites parcelles), mais qui devient une problématique actuelle et bien plus essentielle qu’autrefois tant la dent-creuse est au coeur des débats, et selon moi un des aspects forts de la ville (dense) de demain. Ma démarche de recherche bibliographique s’accompagne également d’une part pratique sur le terrain. L’objectif est de cibler un morceau de ville et de réaliser un état de ses vides, en cherchant et répertoriant les dents-creuses du tissu urbain. Cet inventaire permet de constituer un corpus à analyser. Pour comparer ces objets et leurs contextes, j’ai besoin de mettre en place une série de critères. C’est d’une certaine manière une collecte de données exploitables de diverses manières, qui peut d’ailleurs avoir un intérêt en soi au-delà de mon propre travail personnel. La suite du processus est la conclusion et l’ouverture sur les qualités de ces vides et leurs potentiels. Car le but est de chercher comment intégrer facilement ces espaces dormants à la ville dense, et de découvrir les 7


meilleures manières de les habiter. Peut-on établir des règles communes à certaines typologies de dents-creuses ? Repère-t-on des similitudes, et que peuton en faire ? Un travail précis, individué au cas par cas comme il est de coutume pour le moment est-il nécessaire ? Que faut-il mettre en place sur ces parcelles, car la construction n’est pas forcément toujours indiquée. La densité urbaine est très différente d’une simple exploitation maximum d’un volume disponible, puisque la notion de qualité d’espaces et de vie entre en ligne de compte. Mon travail s’essaie à rendre compte des rôles multiples de la dent-creuse dans un tissu urbain ancien dense, et surtout dans un processus de densification des villes françaises et européennes, face aux problèmes de l’étalement urbain et dans une recherche de qualité de la densité. Il s’appuie sur l’étude de cas du centre ancien de la ville de Chambéry. La première partie constitue une entrée sur le sujet par l’échelle la plus étendue, la plus globale. Elle introduit des notions essentielles à l’analyse et évoque la dent-creuse et la densité à l’échelle urbanistique. Une seconde partie recense, classe et analyse les dents-creuses de Chambéry à l’échelle de son centre historique, pour caractériser leur relation à l’espace public et leur rôle dans le tissu urbain. La dernière partie s’attache à singulariser les dents-creuses à l’échelle de l’îlot et à spécifier les méthodes d’intervention devant l’ambivalence forte de ces vides : entre potentiel de construction et respiration. Elle ouvre le sujet sur les transformations possibles des dents-creuses et sur des pistes de conception de la ville dense de demain.

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I. La ville dense : un modèle aux dents-creuses le centre historique de Chambéry

I.1. Combattre l’étalement urbain L’espace, une ressource limitée A l’heure d’une société de consommation totale, l’espace est devenu une ressource limitée au même titre que tant d’autres. L’étalement urbain a d’abord longtemps été une question de paysage, puis de nature et d’environnement, avant de remettre aujourd’hui complètement en question nos modes de vie et de développement des villes. Il a également été une solution à l’insalubrité de la densité des villes industrielles. L’urbaniste Christian Garnier nous raconte dans son article Réduire l’étalement urbain : mission (im)possible ? l’évolution des politiques urbaines vis-à-vis de l’étalement de la production de ville. La spéculation immobilière et l’urbanisation banale « cherchent le foncier le moins cher et le plus facile à équiper ». La réponse est simple : il s’agit des espaces naturels agricoles aussi plats que possibles. Fonds de vallées, estuaires, champs d’expansion des rivières, ces zones humides alluviales et terres maraîchères périurbaines sont importantes à l’écosystème, et leur urbanisation massive est plus que problématique. Une politique ministérielle de lutte contre le « mitage » est mise en place dans les années 1970-1980, avec le ministère de l’équipement (DAFU 1977). Elle est principalement orientée vers la protection des paysages ruraux et des considérations topologiques : l’objectif est de combattre un développement urbain dispersé, éclaté, dans des territoires pratiquement vierges de construction. La logique d’implantation du « champignonage » est « à rebours de celles de la ville européenne plutôt dense et resserrée » que je défends dans ce travail. La ville diffuse pose pour les métropoles un défi de mobilité, d’environnement, de qualité de vie, de robustesse, de sécurité et surtout de soutenabilité, puisque la croissance rapide des implantations dispersées d’activités et de commerces engendre un étalement urbain et une fragmentation accélérée des territoires. « Il semble que l’on ne dispose pas aujourd’hui de statistiques ou de méthodes de quantification validées permettant d’analyser ces phénomènes d’éclatement urbain pourtant bien lisibles sur les photos satellitaires et les cartes ». Selon Christian Garnier, il existe ainsi un réel décalage de moyens entre les connaissances sur le sujet et les leviers d’action disponibles, qui doit être rapidement comblé ou contourné par une intervention plus spontanée.

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Un urbanisme à revoir Une municipalité peut encourager une sorte de phasage, progressif, qui maintient ou renforce une compacité urbaine, tout en se matérialisant de manière ponctuelle et ciblée. La densification par « le renouvellement, l’extension ou la construction de dents-creuses » est selon Christian Garnier une solution plus simple et rapide à mettre en œuvre, qui rencontre une bonne acceptabilité sociale et propose une fonctionnalité à la hauteur des enjeux de l’époque, ainsi qu’un coût financier optimisé caractéristique des réponses intégratrices. La lutte contre l’étalement urbain est aujourd’hui un objectif clair et quasiment adopté. Mais la question cruciale reste encore : « comment ? ». Selon Vincent Fouchier, la « densification continue de faire peur ». C’est une tâche exigeante, difficile et de grande ampleur, qui reste confrontée à des injonctions contradictoires et des comportements égoïstes. Cette lutte ne doit pas être une rupture qui bouleverse tout l’équilibre urbain français, mais une transition adaptée et enthousiaste qui gagne peu à peu l’esprit de chacun pour habiter mieux et ensemble. Et comme la ville est riche de sa diversité chaque coin de rue est différent et « chaque contexte doit inventer son modèle ».

Petites et moyennes villes françaises La plupart des petites et moyennes villes françaises affichent des morphologies similaires. Bien évidemment, des caractéristiques propres, des évènements historiques locaux ou encore des environnements et topographies très différents selon les régions peuvent générer des particularités des tissus urbains. Mais bien souvent, ces villes traditionnelles sont composées de centres anciens denses, aux tracés assez aléatoires, aux rues étroites et aux places publiques sur lesquelles donnent quasi-systématiquement une mairie et une église. Les périphéries plus récentes sont très fréquemment constituées de tissus pavillonnaires détendus, comme c’est également le cas à Chambéry, et ce malgré une topographie en cuvette compliquée. Ainsi, il n’est pas étonnant de voir se côtoyer dans une même ville des modèles d’urbanismes complètement opposés, l’un très dense et l’autre diffus, témoins d’époques et de préoccupations successives.

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I.2. Les villes denses Qu’est-ce que la densité ? La densité de la ville est un concept d’urbaniste plutôt large et difficile à définir qui a joui d’un renversement assez récent dans l’imaginaire collectif. La densité est passée en quelques décennies d’un « entassement urbain négatif » à des « normes positives » de compacité et une lutte de développement durable contre l’étalement urbain. Comme le racontent Pierre Clément et Sabine Guth dans l’article De la densité qui tue à la densité qui paye. La densité urbaine comme règle et médiateur entre politique et projet., la notion de densité urbaine est utilisée par les ingénieurs, hygiénistes, architectes et politiciens depuis le XIXe siècle comme un indicateur dans les normes et réglementations. Elle lie mètres carrés et coût foncier pour déterminer la rentabilité puis mettent en rapport l’Homme et la surface de son territoire (ex : hab/hectare). Au XXe siècle, la France développe un urbanisme réglementaire dans lequel la densité a désormais un rôle régulateur direct alors qu’elle ne possédait auparavant qu’un contrôle approximatif de la forme. 1959 marque l’apparition d’un Plan d’Urbanisme Directeur. Une loi très importante met en place le Plan d’Occupation des Sols en 1967, proposant le CUS (Coefficient d’Utilisation des Sols) puis le COS (Coefficient d’Occupation des Sols) comme indicateurs mathématiques du niveau de densité. En 1994, une nouvelle révision du COS favorise la mixité fonctionnelle et « des restrictions quant aux motifs architecturaux et urbains permettant d’obtenir un dépassement de COS sont également l’occasion de réguler plus fortement la forme urbaine » en comblant les dents-creuses. Le POS a donc alors un rôle plus large qui permet entre autre une uniformisation des profils et un impact sur l’organisation de la forme urbaine. La densité est utilisée sous forme de « cosification », perdant sa dimension humaine. Je ne crois pas que la ville doive être ainsi, abstraite dans un paysage tout à fait monotone sans réelle diversité morphologique. Mais c’est ici avant tout une réelle avancée dans la définition de la densité, qui ne détient plus alors comme clé le simple nombre d’habitants. La ville occidentale est marquée aujourd’hui par deux phénomènes : le desserrement du tissu urbain et l’émiettement de la ville (effet de la cosification) avec des zones monofonctionnelles et homogènes. La Réunion annuelle des agences d’urbanisme françaises de 1992 a d’ailleurs pour thème la « tâche d’huile », et publie un atlas de l’évolution du nombre d’habitants et de la surface occupée. Face à la logique économique et financière, on se pose rapidement la question d’une densité qualitative : environnement, pollution, qualité de vie (forte demande de logements individuels), consommation d’espace, il faut désormais 11


cerner de plus près la notion de densité en étudiant ses indicateurs, sa perception et les modes de densification. Dans les années 1970, des formes architecturales appelées « low rise – high density » sont apparues, ne considérant pas seulement la densité bâtie mais aussi le rapport unité-diversité qui fait la ville et cherchant un moyen de rendre acceptable la densité. Car ne l’oublions pas, la ville c’est la densité. Mais elle doit être qualitative et vivante. Car si « la densité, mesure globale de l’ensemble urbain et notion éminemment culturelle, est un réel support de planification, elle n’en est pas le seul instrument ».

Pourquoi la densité ? L’augmentation de la population urbaine associée au changement climatique mène nécessairement à un développement des villes qui se doit d’intégrer une dimension durable. « Afin de protéger l’environnement et de réduire les effets néfastes de l’étalement urbain, une politique cohérente d’aménagement urbain est indispensable », selon Thomas Leveiller et Nathalie Long dans l’article scientifique Vers un développement durable de l’aire urbanisée de la région Îlede-France. Une démarche amorcée. Depuis 1965, trois schémas d’aménagement urbain régional existent : répondre à l’importante demande de logements, intégrer une dimension environnementale et de qualité de vie, et se tourner vers un développement durable. Selon Grenier (2007), la ville durable répond à quelques critères de base : dense, courtes distances, lutte contre l’étalement urbain, mixité sociale, diversité fonctionnelle, transport en commun… En bref, une ville compacte et hétérogène. Au fur et à mesure des différents schémas directeurs, l’aspect qualitatif supplante les besoins quantitatifs. Les enjeux climatiques et énergétiques futurs nous amènent à penser désormais un modèle de ville dense et économe. Mais selon Blassingame (1998), « l’important n’est pas de savoir ce qui est techniquement réalisable, ni économiquement viable, mais avant tout si ce changement de mode de vie est acceptable pour la population ». L’éco-quartier est une vision à long terme qui vise la qualité de vie, avec notamment une mixité fonctionnelle et sociale. La « proximité à la nature » rend « acceptable la densité ». Ce sont des critères qui peuvent tout à fait être repris au cas par cas pour une planification des constructions en dent-creuse. Ces dernières, à une échelle moindre, visent les mêmes sortes d’objectifs avec peut-être pour seule différence une prédisposition particulière aux rotations fréquentes de bâtis et d’usages.

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Densité et qualité Après avoir analysé de nombreux logements qu’ils décrivent dans leur livre Density is HOME, A+T research group ouvre une question assez essentielle dans cette course à la densification qui s’annonce : « avons-nous vraiment envie de vivre dans une ville compacte ? » Chacun possède une image de son logement idéal. Et comme nous sommes tous différents, ces images le sont aussi. Alors comment faire pour que le souhait des citoyens corresponde aux grandes théories qui entourent le concept de densité ? Les auteurs amènent ici l’importance de penser la ville comme une réalité perçue et vécue, de penser la ville comme un milieu vivant et non comme une machine. La rationalisation pure et simple n’est pas suffisante pour construire. Et si l’on veut que nos villes soient agréables, si l’on veut construire une densité qualitative - puisque c’est ce qui nous motive ici, il faut s’intéresser à la perception de chacun. Selon A+T research group : « le besoin doit être converti en désir ». Nous touchons là à un sujet bien plus large que les domaines de l’urbanisme ou de l’architecture. Il s’agit aussi d’une approche sociologique et culturelle : il faut faire évoluer les mentalités, les habitus, ainsi que les propositions spatiales et programmatiques pour que la densité devienne un atout apportant avantages et qualités. Alors, habiter compact sera une demande et non une obligation vainement institutionnalisée. L’article Densité, formes urbaines, consommation d’espace (2014) de la Direction Départementale des Territoires du Rhône explique que la Loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) met en place des mesures de lutte contre l’étalement urbain et en faveur de la densification. L’objectif premier est la recherche d’une consommation d’espace limitée. Des critères intéressants pour l’analyse des dents-creuses sont présentés. Ils restituent les aspects qualitatifs de la forme urbaine : gabarit, implantation par rapport aux limites séparatives, implantation par rapport aux voies, emprise au sol, hauteur. Les directives visent à travailler principalement sur la qualité de la forme. La densité est la résultante de ce processus. Remi Koltirine (dans l’article De l’urbanisme à visage humain) propose une démarche d’urbanisation, testée dans quelques villes, qui consiste à préserver en permanence une population qui maintient en vie le quartier. Le but est de construire, certes, mais au fur et à mesure que des propositions se présentent. Concertation et patience sont les secrets de vastes opérations d’urbanisme sans expropriations, qui se mettent en place sans traumatiser le quartier. Bien sûr, cela nécessite des modifications en cours d’exécution, des délais incontrôlés et même un prix d’achat des parcelles qui reste identique pour les premières 13


comme pour les dernières. Mais ce système assure un investissement à l’instant T toujours faible car réparti, des commerces et habitants qui ne disparaissent pas et des logements plus faciles à vendre puisqu’ils ne se trouvent pas au milieu d’un immense chantier. C’est un peu le principe que l’on retrouve dans la construction de dents-creuses vides. Même si une planification globale est permise, la réalisation est ponctuelle et étalée dans le temps, dans un découpage cas par cas. Si cette méthode n’est pas parfaite, elle reste plus douce et plus humaine. Cette phrase de Koltirine résume un peu son discours : « En acceptant de donner la primauté aux Hommes sur la logique comptable, l’aménageur retrouvera la voie de la démocratie et du respect mutuel ».

I.3. Construire en dent-creuse Densification de la ville sur elle-même « Le tissu construit formant la ville doit être perçu comme un organisme vivant, continuellement adapté et modifié par ses habitants ». Sigurd Larsen, architecte danois, signe la préface du livre Petits espaces Grands standings. Il affirme que la rigidité des lois et réglementations tend à contrarier cette faculté d’adaptation. Jusqu’en 2010 aux Pays-Bas, squatter un bâtiment vide depuis plus d’un an était légal à condition de déclarer cette occupation aux autorités. Cette loi, rare exception en Europe, servait à éviter que des bâtiments de bureaux restent vides, dans une situation de manque immobilier. Cela pose une question réelle de « mutabilité des espaces et d’immobilisme du logement dans une société en pleine mutation ». Sigurd Larsen évoque l’idée d’une démocratisation du logement individuel en introduisant le logement compact en ville. Mais il parle surtout - et c’est ce qui nous intéresse - de construire sur les parcelles interstitielles du tissu urbain, autrement nommées « dents-creuses ». Définie par Annabel Biles et Adam Mornement dans le livre Maisons de ville, la « dent-creuse » est un terme technique utilisé par les architectes et urbanistes. Il s’agit de parcelles, de petits espaces vacants des zones urbaines sur lesquels on peut construire. Selon le CAUE, il s’agit de parcelles ou groupes de parcelles non bâties insérées dans un tissu construit. L’effondrement ou l’obsolescence et donc la démolition des bâtiments existants sont les raisons les plus courantes de l’apparition desdites dents-creuses. Dans les villes denses des pays occidentaux tout est bon à prendre pour construire, qu’importe l’exigence de la forme ou la restriction de la surface au sol. De petits bâtiments contemporains de tous types, de toutes formes apparaissent ainsi constamment, dans un besoin croissant de logements et un attrait pour les cœurs urbains. Dans une certaine mesure, les auteurs du livre proposent ce phénomène comme une réponse à 14


la question posée par les politiques gouvernementales des USA, de l’Europe occidentale ou encore du Japon : « N’est-il pas préférable de réutiliser des terrains urbains plutôt que de construire sur des zones vierges de toute implantation à la périphérie des villes ? » L’évolution typologique des ménages occidentaux a aussi un rôle important dans la demande architecturale contemporaine. Plus restreints, vieillissants, il font globalement progresser les demandes en petits logements en centre-ville. Centres-villes qui attirent aussi par leur concentration en emplois, agréments et divertissements. Dans des centres urbains déjà très denses, la « dent-creuse » est la seule possibilité. Dans ce domaine, les japonais excellent et leurs kyoshi-jutaku envahissent les réseaux sociaux, les revues et les sites d’architecture depuis quelques années. Le territoire japonais est en effet particulièrement propice à ce genre de petites constructions compactes. La densité moyenne des villes japonaises est de 1500 hab/km², mais peut atteindre 13500 hab/km² dans une métropole comme Tokyo. Depuis les années 1990, le Japon possède un parcellaire extrêmement cher et morcelé qui pousse les architectes à s’intéresser au « caractère spécifique de chaque terrain ». Une micro-approche de l’espace urbain se développe alors et on observe une accumulation de petites unités d’habitation qui transforme par la suite le paysage urbain à grande échelle, comme nous l’explique Isabelle BerthetBondet dans son livre 20 maisons nippones : un art d’habiter les petits espaces. Densifier la ville par les dents-creuses permet de limiter l’étalement urbain et d’arrêter d’aller chercher la nature aux limites des villes en la détruisant avec la périurbanisation pavillonnaire. Les maisons urbaines et les dents-creuses permettent de redécouvrir la nature au coeur de la ville et de modifier notre façon d’habiter pour se tourner vers l’économie d’espace et la qualité de vie. Ce processus revalorise la ville et lui redonne un sens tout en enrichissant le paysage urbain. Le Japon peut être selon moi un exemple intéressant de densification de la ville sur elle-même.

Réglementations, planification et procédures Les directives de l’État - à travers le Grenelle - imposant aux collectivités de limiter les extensions comme les lotissements pour préserver les terres agricoles et les espaces naturels, l’objectif était donc de densifier les dents-creuses en zones urbanisées. Cela passe par un inventaires des parcelles exploitables et la modification de réglementations pour permettre leur constructibilité. Des modifications réglementaires récentes des politiques publiques (lois du Grenelle, Duflot, Alur et Macron) semblent en effet inciter à combler ces dents-creuses, parfois en cherchant le moindre recoin disponible. La notion de dent-creuse reste très vague et peu de spécialistes se 15


l’approprient. Souvent considérée comme un espace interstitiel, elle semble à la croisée des domaines, entre privé et public, entre architecture et urbanisme.... On ne sait pas vraiment comment les traiter et seuls de rares courageux s’y aventurent au cas par cas. Je pense que ces éléments singuliers riches de potentiels et indispensables à la ville dense doivent être intégrés au paysage de la gouvernance urbaine. Les dents-creuses ont besoin d’être apprivoisées, étudiées, testées dans le cadre de programmes expérimentaux. Elles ont besoin d’être prises en compte dès la planification urbaine et de bénéficier de conventions et de programmes d’interventions adaptés, comme c’est déjà la cas pour de nombreux autres aspects du développement et de l’entretien de la ville.

Les limites d’un systématisme Mais si construire en dents-creuses semble dans l’air du temps, ce phénomène vise surtout une densification extrême du tissu urbain, oubliant parfois la notion de qualité. Stella Haumont, juriste associée à l’agence Malbrand avertit ainsi des impacts et répercussions de telles extensions de masse sur l’équilibre de la ville : « il faut faire attention de ne pas tomber dans une densification à outrance ». En effet, la production de logements ne suffit pas à faire la ville et la juriste rappelle qu’il est primordial « de réfléchir, lorsque l’on rajoute plusieurs logements à un immeuble par le biais de la surélévation, à l’impact d’une telle construction en terme de transports, d’équipements disponibles (crèches, écoles, etc.) ». Comme l’expliquent également A+T research group dans Why density ?, la densité urbaine est très différente d’une exploitation maximum d’un volume donné. Et certaines politiques publiques pratiquées actuellement dans les périmètres urbains ont besoin d’espaces libres. C’est notamment le cas pour la question de la pénétration de la nature dans la ville. Patrick Clancy, Directeur de la planification urbaine de la communauté urbaine de Lyon, explique que dans les projets contemporains « les constructions n’offrent plus de fronts bâtis parfaitement continus et lisses. L’idée est de trouver des rythmes, des pleins et des vides […]. Les exigences obligent à fractionner le bâti, à créer des dentscreuses, en recul », dans lesquelles on intègre la végétation. Il ressort de ce genre de propos qu’une dent-creuse peut aussi participer à la qualité de la densité d’une ville en étant aménagée sans construction. Quelque chose à prendre en considération non plus à l’échelle de la parcelle mais au niveau du projet urbain dans son ensemble. Ce n’est pas parce qu’il y a un interstice qu’il faut automatiquement le combler. La ville a aussi besoin de respirations.

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I.4. Tissu ancien et parallèle japonais Comme l’histoire est faite de cycles, et comme le passé a toujours été de bon conseil, il se pourrait que la ville ancienne nous réapprenne à habiter. Avec le zonage moderne notamment, le tissu historique a perdu tout élan, considéré comme un méli-mélo malsain. Sa densité a longtemps été mal perçue, apparaissant dangereuse, sombre, vectrice de maladies. Mais ce modèle intéresse de nouveau, rejoignant les préoccupations contemporaines. Avec les innombrables progrès techniques et sanitaires de nos sociétés, la densité ne fait (presque) plus peur. Les centres historiques européens notamment nous donnent quelques leçons en terme de superposition des usages ou de maillage d’itinéraires piétonniers, qui sont des clés du développement durable. Dans certaines villes anciennes, les habitants s’en vont suite à l’augmentation des prix. Les politiques de conservations du patrimoine sont parfois trop strictes et l’intérêt du tourisme trop fort : un chemin direct vers la muséification de la ville, vestiges du passé déshumanisés. Mais certains quartiers anciens compacts et bien connectés sont un modèle d’urbanisme et de densité de qualité, nécessitant simplement des projets de régénération. Le caractère organique des tracés anciens et leur richesse d’espace s’approchent de la conception de la ville japonaise faite de parcours et de paysages. A l’échelle de l’Homme, toute dans la perception et le ressenti, elle est selon moi beaucoup plus proche de la ville durable et compacte du futur que n’importe quel autre modèle. Les qualités des villes japonaises et médiévales européennes doivent être réinterprétées à la lumière de nos pratiques contemporaines pour construire dense et bien. Pour construire vivant. En effet les tissus anciens sont le résultat d’un urbanisme spontané qui s’est construit sans réelle planification, au fil du temps. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ils présentent de grandes qualités de vie pour supporter la densité des villes. Comme la ville médiévale européenne et contrairement aux villes modernes, la ville de Tokyo par exemple n’est absolument pas conçue depuis le ciel. Il n’y a pas d’image urbaine globale. Les tissus anciens européens sont aussi caractérisés par un parcellaire étroit et un bâti compact très aggloméré. En dehors de places plus dégagées qui forment des respirations indispensables, la plupart des vides sont réduits au minimum dans ces masses denses, à l’image des cours en coeur d’îlot, très intelligentes qui optimisent accès, apports en lumière et ventilation naturelle. La forme et le dimensionnement des espaces publics sont directement calqués sur les besoins tant quantitatifs que qualitatifs et apportent une richesse et une gradation d’espaces. Dans Density is HOME, A+T research group parle aussi de la ville recyclée. Cette dernière grandit et se développe sur elle-même. Elle se renouvelle 17


perpétuellement, comblant ses failles, remplaçant ce qui ne sert plus. Pour moi concevoir la densité c’est également optimiser l’espace, pas seulement quantitativement mais aussi et surtout qualitativement, dans la valeur, les usages et le temps. C’est savoir utiliser les nouveaux vides judicieusement. Analyser les dents-creuses, repérer ce qui fait leurs qualités, et savoir que faire en les exploitant. C’est en fait construire un écosystème, proche de l’organisme, capable de s’étirer, se rétracter, varier ses formes et ses dimensions, être entier et cohérent mais multiple et unique en chaque point.

I.5. Chambéry Histoire et morphologie. La ville de Chambéry, commune française située dans le département de la Savoie, en région Auvergne-Rhône-Alpes, accueille la préfecture de la Savoie. Sa population avoisine les 60 000 habitants pour une superficie de 20,99 km². Chambéry affiche une densité de population d’environ 2820 hab/km² pour une moyenne des villes françaises de 165 hab/km², mais son centre ancien aux rues étroites et aux îlots compacts est bien plus dense. A une échelle raisonnable, la ville de Chambéry me fournit de très bons spécimens de dents-creuses. Le vieux centre médiéval est très dense malgré sa modeste dimension (en comparaison avec les grandes villes européennes) et sa construction en lanières de bâti ponctuées d’allées représente un véritable dédale architectural, qui cache bien des trésors d’espaces, cours, dentscreuses et autres jardins. Ville importante de Savoie à travers les époques, elle s’est développée au creux de la partie la plus étroite de la cluse de Chambéry, encaissée entre les massifs des Bauges et de Chartreuse (cuvette naturelle occupée autrefois par des zones humides). Pétrie de contraintes naturelles, une partie du tissu urbain recouvre la rivière de la Leysse et repose sur pilotis audessus d’un ancien marécage. L’architecture est très variée puisque Chambéry a traversé les époques en tant que carrefour européen incontournable et a dû faire face à la reconstruction après la destruction partielle de son centre historique lors des bombardements alliés de mai 1944. Chambéry présente aujourd’hui un centre ancien riche, caractéristique des villes moyennes françaises. Situé à l’origine sur la colline de Lémenc, le « cœur » ancien de la ville s’est déplacé et développé au pied du Château des ducs de Savoie. L’architecture hétéroclite du centre est rythmée par les différents murs de remparts construits à travers les époques. La ville s’est peu à peu ouverte et étendue vers la campagne, et les faubourgs Montmélian, Maché et Nézin font partie d’un centre actuel un peu plus large. Ils ont aujourd’hui perdu 18


leur « rôle d’accueil des voyageurs » mais restent des axes structurants du bassin chambérien. Depuis sa fusion avec deux communes rurales et la création de nouveaux quartiers et zones industrielles dans les années 1950 et 1960, Chambéry connaît un fort accroissement démographique. La présence de l’Université Savoie Mont Blanc, implantée en 1979, a également apporté à Chambéry une importante population universitaire. Aujourd’hui, Chambéry est une ville dynamique démographiquement parlant. Elle compte plus de 14 000 logements locatifs privés et publics selon la convention OPAH, situés principalement dans le centre ancien (54%). Ils répondent à la demande en petits logements d’une population jeune de personnes seules (étudiants et jeunes travailleurs). Alors que le reste de l’agglomération est à vocation plutôt résidentielle et familiale, Chambéry joue un rôle essentiel dans l’accueil des petits ménages.

Politiques et convention OPAH Au vu des types de ménages présents majoritairement à Chambéry, on relève une tendance nette des propriétaires à diviser leurs logements afin d’augmenter les rentes locatives. Seulement, ce phénomène peu encadré dans un patrimoine architectural ancien mène parfois à des cas de logements indécents voire insalubres, par manque d’entretien et de considération. L’étude préliminaire à l’OPAH constate également « une vacance en augmentation dans le centre ancien (16%) », avec des « poches assez préoccupantes sur l’îlot Croix-d’Or (18%), l’îlot Lans Sénat (18%) ou bien le faubourg Nézin (35%) ». Ces situations inquiétantes posent de vraies questions sur la manière de gérer un patrimoine ancien, sur la nécessité d’intervenir essentiellement sur de l’existant et de réhabiliter, selon l’état du bâti ou les besoins fonctionnels. La ville de Chambéry a décidé de programmer différents dispositifs d’action, du plus « incitatif au plus coercitif », afin de résoudre les désordres de l’habitat ancien. La ville n’en est pas à ses débuts en matière de réhabilitation de son patrimoine : plusieurs OPAH ont déjà été mises en place sur le centre-ville depuis les années 1980. Elles ont eu pour objet différentes thématiques mais la lutte contre l’habitat indigne a toujours été le fil rouge des multiples actions menées. La ville de Chambéry a toujours veillé à la requalification de son centre ancien, à la fois pour des raisons de conservation et d’entretien d’un patrimoine historique important, mais aussi pour son rôle de carrefour dans l’essor touristique savoyard et alpin. Elle détient d’ailleurs les labels « commune touristique » et « ville d’art et d’histoire » depuis 2012 et 1985. Ces diverses informations cernent assez bien la situation du centre ancien de Chambéry, l’état de son architecture parfois très abîmée, susceptible d’être démolie et de créer de nouvelles dents-creuses, et le type de ménages 19


qui y habitent. Ce genre de populations est finalement assez récurrent dans les villes françaises moyennes et dynamiques. Il correspond particulièrement bien au mode de vie en ville dense et bénéficie des avantages d’une ville compacte. De petits ménages correspondent également aux catégories de logements qui peuvent résulter de projets de construction en dents-creuses. L’agglomération Grand Chambéry met en oeuvre en 2017 un programme d‘intérêt général nommé « Habiter mieux ». Ce PIG travaille avant tout sur la qualité du parc de logements de la ville. La densité à proprement parler n’est pas le cœur du débat, mais elle va naturellement en découler. Il s’agit d’interventions éparses, ponctuelles à l’échelle de l’îlot ou du bâti, mais un lien est tissé également avec l’espace public et le reste du quartier. L’architecture dialogue très directement avec la forme urbaine. Selon le même principe, les dents-creuses avant et après intervention impactent directement leur voisinage et l’espace public proche. La ville est décrite comme étant « vivante » par les auteurs de la convention OPAH. « Comme une plante, il faut parfois supprimer les éléments morts ». A Chambéry, les autorités prévoient la démolition de bâtiments devenus inutiles et contribuant à l’insalubrité d’îlots entiers. Cet élagage génère de nouveaux vides qui vont être rapidement investis - aménagés ou reconstruits : des dents-creuses. La valorisation du bâti historique et patrimonial est importante dans ce genre de tissus anciens, dans un souci de rythme et de hiérarchisation notamment. Une ville dense ne peut pas avoir la même densité de partout, elle doit parfois se contracter, se dilater, alterner compacité et respirations. La mise en valeur de bâtiments remarquables peut aussi passer par la préservation de vides alentours dans le parcellaire. Ainsi, il apparaît que toutes les dents-creuses ne doivent pas forcément être reconstruites pour une ville dense de qualité. L’amélioration de la qualité urbaine de Chambéry passe notamment par l’aménagement des espaces publics, souvent des vides.

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II. Classification des vides types et caractéristiques

II.1. Inventaire Répartition et catalogue des dents-creuses Mon étude se concentre sur le centre historique de la ville de Chambéry, se basant sur un périmètre défini par la convention OPAH-RU en novembre 2017. Je relève dans cette zone ultra-dense 48 dents-creuses de formes et dimensions diverses, qui viennent accidenter le tissu urbain et impacter la perception de l’espace et de cette densité (cf. Annexe.1). Je considère comme dent-creuse toute faille ou interruption du front bâti d’un tissu ancien organique dense au parcellaire étroit et morcelé, à condition qu’elle possède un lien direct avec l’espace public. Les cœurs d’îlots et cours privées ne sont pas comptabilisés, car considérés comme indispensables au bon fonctionnement des îlots en l’état (apport évident de lumière, ventilation naturelle, accès aux différents corps de bâti…). Elles sont en outre souvent invisibles depuis l’espace public et ont très peu d’impact direct sur la perception des volumes et de la densité pour le passant, à une échelle humaine du paysage urbain. Néanmoins, les cours jouent un rôle important dans la soutenabilité d’une telle densité à une échelle plus globale. Ce sont des espaces particuliers très riches qui méritent une étude spécifique (statuts des espaces, fonctions, usages, morphologies, évolution dans le temps…). Le choix des sites comme dents-creuses est arbitraire selon les critères exposés précédemment et n’engage que moi. Il comporte une part de subjectivité évidente tant la complexité et la richesse de ce type d’espaces découlent d’une insubordination aux statuts et catégories spatiales classiques. Tous les espaces inventoriés se situent plus ou moins à différentes limites de la notion de dentcreuse. Le centre-ville ancien est très dense et compact. Chaque recoin est utilisé et les rues sont étroites, faisant parfois penser au tissu si particulier de Venise. Le tracé organique, parfois sinueux et étroitement maillé, privilégie la circulation piétonne. Par moments les petites rues s’élargissent, laissant apparaître places et courettes de tailles et de formes diverses, qui apportent des respirations à ce tissu finalement jamais étouffant. Certains des interstices sont de petites cours ou reculs de façades qui permettent un apport salutaire en lumière naturelle. D’autres donnent sur des passages ou traboules. La plupart possède un rôle essentiel dans la vie et le fonctionnement d’îlots quasi-saturés de bâti, en relation avec un 21


espace public riche et hiérarchisé. Un catalogue photographique rassemblant toutes ces dents-creuses permet de comparer les morphologies de vides très variées (cf. Annexe.2). Ces 48 dents-creuses sont quasiment toutes situées en périphérie du centre historique, proches de la limite du périmètre. Le cœur de la ville est extrêmement dense à tel point que les îlots sont presque tous saturés. A mesure que l’on s’éloigne du point central, les tissus ont tendance à se détendre légèrement libérant quelques rares parcelles vides. Les dents-creuses inventoriées sont à la limite des anciens faubourgs et du centre-ville plus récent. Cette zone intermédiaire, encore dense avec quelques respirations, n’est pas très étendue à l’échelle de la ville. Pour peu que l’on s’éloigne encore d’un demi-kilomètre, le tissu se transforme immédiatement, devenant beaucoup plus diffus et exclusivement pavillonnaire. Cette métamorphose s’explique principalement par la topographie en forme de cluse qui s’élève assez rapidement sur la périphérie de Chambéry.

| plan schématique de la répartition des dents-creuses dans le centre historique de Chambéry

Critères de qualité En tant qu’architecte, si j’analyse les qualités que la dent-creuse apporte à l’îlot dense, je peux par la suite projeter en préservant ces qualités (contrairement à l’immobilier qui remplit uniquement de manière rentable). 17 critères simples et formels permettent de caractériser selon un même protocole les 48 dents-creuses recensées. Ils couvrent de manière assez complète différents aspects des vides. Un grand tableau (cf. Annexe.3) rassemble la totalité des 816 réponses, chacune retranscrite par une valeur mathématique ou par un mot. 22


Les critères de caractérisation et de comparaison des dents-creuses sont rassemblés en trois catégories qui couvrent la majorité des aspects d’une dent-creuse : la relation à l’espace public, le rôle et la situation dans le tissu dense, et le potentiel d’intervention. Ces catégories servent de thèmes d’analyse pour généraliser la compréhension des dents-creuses, quelle que soit leur situation géographique en France, voire en Europe. D’autres critères mis en place n’ont pas été utilisés dans le tableau, tels que le rapport à la lumière naturelle, le rapport aux vues et au paysage, la perception de la ville depuis la dent-creuse, ou encore le ratio de pignons aveugles et de pignons percés. Ils relèvent d’un domaine d’analyse plus sensible et sont traités autrement dans la caractérisation des dents-creuses.

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II.2. Familles Parmi la masse des dents-creuses relevées durant cet inventaire, il est possible dans un premier temps de dessiner des catégories, des familles qui rassemblent des formes ou des usages similaires. La mise en place des 9 catégories permet aussi d’écarter quatre sites de l’inventaire. Avec un peu de recul, ils ne répondent pas vraiment à la définition de dent-creuse mise en place. Deux d’entre eux sont invisibles depuis la rue et n’ont aucun impact sur l’espace public. Ils s’apparentent en réalité bien plus à des cours en cœur d’îlot. Les deux autres sont presque insignifiants en terme d’espaces interstitiels et se situent à la limite entre la dent-creuse et le simple retrait de façade. Ils sont trop en marge de certains critères, c’est pourquoi ils ne rentrent dans aucune des catégories. L’institution de catégories fortes permet de préciser et de solidifier le domaine de définition de la notion de dent-creuse. La catégorie A rassemble les dentscreuses constituées d’un rez-de-chaussée construit qui accueille le plus souvent des commerces. Les façades des étages sont en retrait par rapport à celle du rez-de-chaussée, et dégagent un volume aérien jusqu’à la hauteur des toits voisins. Ce vide est soit inutilisé au-dessus d’un toit, soit approprié en balcon ou terrasse privée. La catégorie B ressemble à la catégorie A avec un rez-de-chaussée construit, mais il n’y a pas de façade en retrait en fond de parcelle aux différents étages. Les murs latéraux encadrant le vide sont des pignons aveugles qui rendent possible un projet de reconstruction ou de surélévation. La catégorie C rassemble les dentscreuses constituant un élargissement de la rue. Catégorie A pour gagner Plusieurs façades sont mises en retrait en linéaire et capter un maximum de lumière. Ces dents-creuses ont également pour fonction de créer un accès aux différents corps de bâti et parfois de dégager des espaces de stationnement automobile rares dans le tissu dense.

atégorie A

24 Catégorie B

| 9 vues en plans schématiques représentant chaque typologie de dents-creuses associée à une famille

A.

Catégorie A

B.

Catégorie B

C.

Catégorie D Catégorie C


La catégorie D est composée de cours ou courettes alignées directement sur la rue mais A une grille. dissociées de celle-ci par Catégorie un mur ou

Catégorie B Catégorie A

La catégorie E marque un décalage des façades alentours proches pour décoller de la masse bâtie un édifice important et le mettre en valeur. L’effet recherché et le but du système sont ici plus importants que la forme résultante.

Catégorie A

D.

Catégorie D

Catégorie B

A de ruelles La catégorie F estCatégorie composée ou de passages étroits entre murs aveugles. Ce sont des failles discrètes dans le front bâti dont la présence n’est pas totalement indispensable.

Catégorie C Catégorie B

E.

Catégorie D

La catégorie G est constituée de parcelles laissées vides et investies. La façade est en retrait Catégorie A Catégorie B par rapport au front bâti et la poche résultante est transformée en espace public connecté à la rue. Cet espace est souvent déjà aménagé pour servir sa fonction. Catégorie D

Catégorie D Catégorie C

F.

CatégorieFG Catégorie

Catégorie E

La catégorie H Catégorie est composée de parD celles sur lesquelles sont construites des maisons basses anciennes dans un tissu d’immeubles en R+3. Elles représentent un potentiel de reconstruction plus haute ou de surélévation. Les bâtiments concernés sont souvent délabrés, pas loin Catégorie G de nécessiter une démolition.

Catégorie D

Catégorie E

Catégorie E

G.

Catégorie H CatégorieFG Catégorie

Catégorie E

La catégorie I rassemble des dentscreuses en lanières entre deux bâtiments. Ce sont souvent d’anciens hôtels particuliers percés sur toutes leurs façades et qui ne peuvent pas être mitoyens. Dans cette catégorie la dent-creuse est Catégorie unG espace tampon entre deuxCatégorie vis-à-vis,H qui méG à un cœur nage un accès à une courCatégorie arrière ou d’îlot. Il est parfois investi par des espaces de stationnements privés ou de petites constructions précaires (garages, appentis, cabanes, petites extensions...). 25

H.

Catégorie I Catégorie H

I.


Catégorie A Catégorie B Catégorie C Catégorie D Catégorie E Catégorie F Catégorie G Catégorie H Catégorie I

1 ; 2 ; 7 ; 22 3 ; 23 ; 29 ; 38 4 ; 5 ; 6 ; 30 ; 39 ; 40 ; 44 9 ; 17 ; 28 ; 34 ; 35 ; 37 ; 42 ; 45 ; 47 8 ; 10 ; 19 ; 33 14 ; 15 ; 24 ; 25 ; 26 ; 41 ; 46 ; 48 11 ; 12 ; 16 ; 36 13 ; 31 ; 32 ; 43 18 ; 20 ; 21 ; 27

| répartition des 48 dents-creuses dans les 9 familles

La répartition des familles de dents-creuses dans le centre historique de Chambéry ne suit pas de logique. Les familles sont éclatées et mélangées entre elles dans toute la zone. Néanmoins, la répartition des dents-creuses dans les 9 familles est relativement homogène. Si les catégories C, D et F se distinguent particulièrement, les autres rassemblent toutes un même nombre de 4 dentscreuses, ce qui confirme la légitimité de chacune d’entre elles : aucune ne se retrouve en marge.

II.3. Relation à l’espace public La qualité première des dents-creuses est leur richesse. Une multitude d’espaces tous différents et aux statuts variables instituent des phénomènes de hiérarchisation et de gradation. On part de la rue carrossable pour arriver à l’intimité du logement, en passant par une succession d’espaces complexes qui rendent viable la forte densité. C’est un cheminement à travers des paysages qui ponctuent la ville. Tout cela n’a pas été planifié mais s’est construit au fil du temps, grâce au bon sens et à l’expérience des habitants. La relation à l’espace public étant un aspect de la définition de la notion de dent-creuse pour ce travail, les vides inventoriés possèdent tous un linéaire en commun avec la rue. Si quelques-uns sont longs de plusieurs dizaines de mètres (jusqu’à 50 mètres), la plupart font moins de 10 mètres. Cela s’explique par la faible surface d’une majorité de dents-creuses et par la forme du parcellaire ancien en lanières. Si la zone de contact avec l’espace public est réduite, grâce à ce système elle est néanmoins toujours existante. Près de 94 % des dents-creuses de Chambéry donnent sur des rues de toutes tailles, piétonnes ou carrossables. Les autres surplombent principalement des places publiques. La morphologie et le type de limite avec l’espace public de chaque dent26


| graphique représentant le linéaire de chaque dent-creuse en contact avec l’espace public

creuse influe sur son intégration à la ville. Quand la limite de certaines parcelles est construite et préserve le vide de la rue, d’autres volumes sont dans le parfait prolongement de l’espace public, sans aucune rupture. Entre les deux, certaines démarcations sont plus ténues, matérialisées par un changement de revêtement de sol ou une marche. Les dents-creuses recensées à Chambéry sont très bien connectées à leur environnement urbain, avec notamment une distance moyenne aux transports en communs les plus proches de seulement 180 mètres (quand la distance maximum est de 350 mètres).

II.4. Rôle et situation dans le tissu dense Statuts et usages d’un espace ambigu Si la notion de dent-creuse est encore aujourd’hui très vague, son statut et ses usages le sont tout autant. La variété de formes, de dimensions et de typologies de ces espaces y est pour quelque chose : chaque vide est unique et les perspectives qu’il ouvre le sont aussi. Certaines dents-creuses sont investies, appropriées de manière remarquable, avec un usage très précis ou une exploitation particulière de leurs qualités. D’autres, pourtant, portent le fardeau d’un espace interstitiel sans fonction qui reste vide dans tous les sens du terme à l’indifférence générale. 27


Sur 48 dents-creuses, 18 sont privées, 20 sont des espaces collectifs et seulement 10 sont publiques. Les sites publics sont exclusivement des passages ou des lieux d’arrêt assez conséquents (places, jardins, squares) que les autorités savent aménager. En revanche, l’aménagement des 38 dents-creuses privées ou collectives de Chambéry relève de la responsabilité des habitants et les typologies sont beaucoup plus complexes. Des espaces de toutes sortes, de toutes dimensions et surtout de toutes formes accueillent une grande diversité d’usages, de la terrasse au parking en passant par la courette. Beaucoup de dentscreuses servent à accéder aux cœurs d’îlots ou à du bâti (37 sur 48, soit 77%). Mais elles ne sont pas forcément inconstructibles pour autant : des systèmes de traboules ou de porches sont souvent utilisés pour remplir des dents-creuses tout en gardant un accès en rez-de-chaussée à travers le bâti, Chambéry en regorge d’exemples. 25% des dents-creuses sont en partie utilisées comme espace de stationnement (30% en retirant les dents-creuses aériennes). Ce chiffre est révélateur du manque de parking des centres anciens et de la manière dont certains se débrouillent pour conserver leur voiture. Avec le même objectif, certains vides profitent à la construction de garages privés, parfois précaires.

Poumon d’îlot En dehors des cours en cœur d’îlot fréquentes dans les tissus anciens, les dents-creuses sont les seuls vides capables d’aérer parfois des centaines de mètres carrés de bâti aggloméré. En ce sens, si elles sont parfois rendues insignifiantes par la dimension ou la qualité des espaces publics qu’elles côtoient,

| graphique représentant la largeur de l’espace public au droit de chaque dent-creuse 28


elles jouent souvent un rôle de poumon quasi-indispensable pour certains morceaux de quartiers. Le terme de poumon est parfois galvaudé, mais il s’agit ici effectivement d’assurer des fonctions vitales pour maintenir un bout de ville dense en vie. C’est là où l’espace est le plus rare que chacun peut se rendre compte de la valeur et des qualités d’un vide. Lorsque votre regard est systématiquement arrêté par un mur, où que vous alliez dans les rues d’un centre-ville, le moindre recoin d’espace libre vous fait un bien fou psychologiquement. Alors, les dents-creuses toute hauteur qui découpent de grands morceaux de ciel ont un rôle plus important qu’il n’y paraît. Si la moyenne des largeurs d’espaces publics au droit des dents-creuses est d’environ 13,80 mètres, il s’agit en réalité pour la majorité de rues de moins de 10 mètres de large (en dehors de quelques exceptions) avec un minimum de 2,5 mètres (cf. graphique ci-dessous). C’est peu pour un bâti dense d’une hauteur moyenne de trois étages. Au-delà de cette dimension perceptive, les dents-creuses permettent d’apporter de la lumière dans les espaces collectifs et publics, et du soleil dans les sombres et étroites ruelles. Elles jouent aussi un rôle non négligeable de ventilation naturelle essentielle à la salubrité de la ville. Les dents-creuses de plain-pied peuvent parfois endosser la responsabilité de poumon vert de l’îlot ou de la ville. Les centres anciens datant d’une époque où les préoccupations ne concernaient absolument pas l’intégration de nature dans la ville, peu de parcs végétalisés existent. Les rares îlots de verdure se mettent donc à apparaître aujourd’hui là où il y a la place, bien souvent dans les vides interstitiels. Les dents-creuses sont aussi des espaces qui peuvent être habités et être vecteurs d’activité. Dans la ville dense, la polarisation se fait essentiellement par les vides. Et plus ils sont larges, plus ils deviennent des lieux de rassemblement ancrés dans le tissu.

II.5. Potentiel d’intervention Dimensions : mesures de potentiels ou relativité abstraite ? On remarque assez rapidement en comparant les dimensions des dents-creuses que les plus grands vides sont souvent ceux qui permettent le moins d’interventions. Ils sont déjà très aménagés et possèdent un usage particulièrement défini : il s’agit principalement de parcs, de places, de parvis ou de jardins. Les fonctions qui leur sont attribuées les rapprochent très clairement d’un statut d’extension de l’espace public. C’est d’ailleurs cet ancrage fonctionnel fort qui a permis à de si grands vides de subsister au milieu d’une masse bâtie très dense. A l’inverse, de manière générale, les plus petites dents-creuses sont 29


les plus propices à une quelconque forme d’intervention puisqu’elles ont une influence d’autant plus faible sur l’espace public et leur environnement proche. Des fonctions importantes à l’îlot ont plus de mal à se loger dans un vide de taille réduite et toutes ses performances - aussi bien quantitatives que qualitatives - en sont diminuées.

Tissu ancien = bâti fatigué En moyenne, la masse bâtie du centre ancien s’élève à une hauteur équivalente à trois niveaux au-dessus du rez-de-chaussée. Parfois on trouve des maisons beaucoup plus basses qui occupent des parcelles à fort potentiel de construction et de densification. Mais ce sont aussi des respirations qui amènent de la lumière et un bout de ciel dans l’espace public et les logements alentours. Il est alors légitime de se demander comment intervenir sur ces parcelles de la manière la plus appropriée. Ces constructions sont souvent très anciennes et délabrées. Elles ont servi de logements, de granges, d’ateliers ou de garages mais ne respectent plus les normes et semblent fragilisées structurellement. La solution de facilité consiste à démolir l’existant pour le réinvestir sainement par la suite. Mais ces dents-creuses sont privées et les propriétaires ne leur accordent pas toujours le soin et l’entretien approprié. Elle tombent alors dans un état de décrépitude qui détériore la qualité des espaces publics si importants à la ville dense et menacent les bâtiments voisins de dégâts matériels. Les tissus anciens recèlent de très vieilles constructions passées entre les mailles de la modernisation architecturale au fil du temps et nécessitent un entretien particulier et des compétences spécifiques aussi bien pour les propriétaires que pour les autorités locales.

| graphique représentant l’état du bâti autour et sur les dents-creuses de Chambéry 30


Foncier aérien : surélévation facile ? Lorsque l’on rassemble les catégories A et B, on recense un total de 8 dents-creuses aériennes avec un rez-de-chaussé construit. Soit tout de même 1/6 des dents-creuses du centre historique de Chambéry. Cette typologie est très répandue dans les villes très denses, où le foncier est de plus en plus rare et la plupart des dents-creuses de plein-pied déjà remplies. Situées ici systématiquement en périphérie du périmètre ancien, elles sont le symbole d’une zone d’extrême densité qui commence à distiller quelques volumes libres à mesure que l’on s’éloigne du centre. Des volumes souvent en attente d’être investis. Face à la raréfaction du foncier disponible dans les grandes villes européennes, la surélévation de l’existant apparaît comme la solution la plus simple, abordable et efficace. Selon toute logique, pour densifier une ville déjà dense, il faut construire vers le haut. Quand les sols sont saturés, on repousse la seule façade bâtie qui peut l’être : le toit. Cependant, la surélévation n’est pas forcément toujours indiquée, voire seulement possible. Malgré une typologie commune les dents-creuses sont toutes différentes et plusieurs caractéristiques propres peuvent invalider toute construction. Au-dessus d’un rez-de-chaussée souvent commerçant, un vide de plusieurs étages peut permettre la ventilation et l’éclairage naturels de façades percées en retrait. C’est notamment ce qui caractérise les dents-creuses de la catégorie A. Lorsque ce n’est pas le cas, le volume libre peut permettre de cadrer un morceau de ciel ou de paysage dans une masse bâtie compacte. Il peut aussi apporter de la lumière dans un cœur d’îlot étroit, et une surélévation abusive diminuera d’autant la qualité de cet espace. Enfin, comme l’illustrent les dentscreuses n°1, n°7 et n°22, le vide ainsi dégagé peut très bien déjà être investi d’une terrasse ou d’une véranda, et sa suppression fera perdre aux habitants un espace extérieur privé apprécié. Souvent, les parcelles offrant un foncier aérien ont déjà subi le phénomène de construction en dent-creuse pour leur partie basse. Pour la dent-creuse n°22, la partie en rez-de-chaussée semble déjà le fruit d’une extension, ou en tout cas du remplissage d’une dent-creuse, arrêté en hauteur par les fenêtres voisines. Si le bâti ne monte parfois pas très haut, c’est peut-être parce qu’un obstacle l’en empêchait et la surélévation ne sera toujours pas d’actualité. Le vide n°23 présent au-dessus d’un rez-de-chaussée construit est encadré de deux pignons aveugles. Seulement, il fait le lien entre une courette en cœur d’îlot minuscule et une ruelle piétonne étroite. Il semble donc avoir un rôle assez indispensable dans la gestion de la lumière et de la ventilation naturelles du voisinage. Parfois certains vides semblent particulièrement propices à des projets de construction et s’avèrent en réalité intouchables par leur dimension de garant de la qualité urbaine. 31


Malgré ces difficultés, la surélévation reste très fréquente et avantageuse, et une ville comme Paris l’encourage même par le biais de certaines récentes évolutions réglementaires. Dans le cahier HABITER DURABLE - Surélever son immeuble (édition n°1 - septembre 2016), la Mairie de Paris rapporte qu’en 2014 l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) a analysé les capacités de surélévations des immeubles parisiens. Résultat : près de 10 % des parcelles de la ville sont susceptibles d’accueillir des projets de surélévation, une véritable mine d’or. Cette pratique est désormais un thème prépondérant dans la construction « d’un modèle de métropole dense, compacte, aux formes urbaines et architecturales optimisées ». Sans tenir compte des ouvertures des façades voisines et des différents obstacles à la surélévation précédemment cités, remplir simplement les vides des catégories A et B jusqu’aux toits voisins procurerait en moyenne plus de 3 étages et près de 326 m² habitables supplémentaires par dent-creuse. Bien évidemment ces chiffres sont à prendre avec des pincettes puisqu’ils rendent compte d’un remplissage total indifférencié et parfois impossible des volumes libres, mais ils aident à comprendre le potentiel et le formidable intérêt que la surélévation provoque aujourd’hui.

Dent-creuse et patrimoine Dans ce tissu ancien très dense, on remarque de véritables élargissements voire des dents-creuses bien placées au niveau d’édifices remarquables ou importants dans la vie de la ville. C’est un moyen de mettre en valeur certains bâtiments et d’amener une multi-polarisation de la ville avec des espaces publics définis comme points d’activité. Cela participe à faire accepter la densité et apporte de la qualité au tissu urbain : la ville est faite de contrastes. Elle n’est pas dense uniformément, ce qui serait très désagréable au quotidien et peu pratique. Elle est au contraire plus dense par endroits pour pouvoir se détendre plus loin. Certaines dents-creuses viennent donc décoller des monuments et édifices patrimoniaux de la masse bâtie, ou dégager un espace devant leur façade principale pour donner du recul et des perspectives intéressantes. Le cas de la Cathédrale Saint-François-de-Sales à Chambéry est un peu particulier mais rentre dans cette catégorie. La place métropole (dent-creuse n°36) est une place publique pavée qui dégage notamment le parvis de la cathédrale. Elle met en valeur cet édifice monumental, le décollant des autres bâtiments. C’est un lieu de rassemblement, de célébration, qui accueille les façades de commerces et les terrasses de restaurants. C’est aussi un lieu de passage. Morphologiquement, dans ce quartier dense, ce vide vient ouvrir un espace devant la cathédrale à l’image d’une dent-creuse accrochée à l’angle d’une unique rue. Seulement, des passages et traboules traversent la masse bâtie dans toutes les directions et 32


Connexions piétonnes à travers le bâti

| schéma de la place métropole et ses connexions au tissu urbain

lient cette grande dent-creuse aux rues et espaces publics les plus proches. Elle devient ainsi une place essentielle dans l’articulation des espaces en connectant des axes et des fonctions. Le site n°21 n’est pas vraiment une dent-creuse à proprement parler mais plutôt une ancienne dent-creuse qui a été reconstruite il y a une trentaine d’années avec un immeuble plus moderne dont la façade vient se confronter aux fenêtres d’un ancien hôtel particulier. Les deux bâtiments ne peuvent pas se coller et génèrent un espace interstitiel résiduel pas vraiment utilisable. Cet exemple illustre les risques d’une densification ponctuelle peu planifiée, dans les moindres parcelles vacantes et pose une question de préservation du patrimoine architectural. Ici, construire n’était certainement pas le meilleur choix à faire pour tendre vers une densité qualitative. Ou du moins pas construire de cette manière.

II.6. Densité écologique Construire en dent-creuse et plus particulièrement en surélévation permet de limiter la quantité de nouvelles surfaces de sols imperméabilisées. Sur les 48 dents-creuses de Chambéry, seulement 6 possèdent un sol perméable. Mais selon les interventions futures, les parcelles aménagées sans construire pourront facilement être désimperméabilisées pour améliorer l’infiltration des eaux de pluie 33


dans la terre. Désimperméabiliser les sols en ville peut aussi permettre la mise en place d’îlots végétalisés et reconstituer des trames vertes pour la sauvegarde de la biodiversité à travers le périmètre urbain. La végétalisation de la ville est aussi un enjeu actuel de qualité de vie et de paysage auquel peuvent participer certaines dents-creuses. L’aménagement de ces vides interstitiels contribue au développement de villes denses, qui portent un certain nombre d’avantages écologiques. Les villes compactes, ramassées sur elles-mêmes, dégagent beaucoup moins de CO2 par logement que les villes diffuses. Leurs morphologies créent également une certaine proximité entre les sites de production de matériaux et de construction. Cela permet de construire plus facilement avec des ressources locales et de diminuer la pollution due au transport. En terme de transports, une ville compacte limite aussi les besoins de voiture et favorise les transports en commun et les modes doux. Au-delà de l’échelle de l’îlot, les dents-creuses et leurs potentiels jouent un rôle important à l’échelle de la ville et permettent une densité de qualité inscrite dans une optique de développement durable et d’écologie.

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III. Un présent et des futurs

ambivalence des vides : entre potentiel de construction et respiration

III.1. 9 exemples décortiqués Dent-creuse n°22, Catégorie A Cette dent-creuse constitue un foncier aérien non négligeable. Le rezde-chaussée de la parcelle est construit, accueillant une partie du magasin CGS Musique. Au-dessus, le volume libre est utilisé comme terrasse privée par un logement du bâtiment voisin. La partie en rez-de-chaussée semble déjà être le fruit d’une extension, ou du moins du remplissage d’une dent-creuse arrêté en hauteur par les fenêtres voisines. C’est là le seul obstacle à une surélévation, puisque le vide ne touche ni une cour de cœur d’îlot, ni une façade en retrait, ni même une rue étroite à ses pieds. Le bâti mitoyen est systématiquement plus haut, montant en R+2 à l’est et jusqu’en R+4 à l’ouest. Les pignons donnant sur la dent-creuse sont tous les deux percés de fenêtres. La façade aveugle en retrait en fond de parcelle atteint une hauteur de R+2. L’espace public sur lequel donne cette dent-creuse est une rue en double-sens de 12,40 mètres de large, subissant une assez forte circulation automobile. Le volume libre ne sert absolument pas de respiration à la densité de la ville puisqu’à cet endroit le tissu se détend. Les dimensions du vide sont dérisoires par rapport à la largeur de l’espace public. Le site se trouve juste en face du Carré Curial, un pôle important dans la vie chambérienne. Beaucoup de commerces sont implantés à proximité. Cette dent-creuse ne représente pas un gain de lumière naturelle énorme pour les logements qui l’entourent. Située en hauteur, elle ne présente pas de fonctions d’usages particulièrement développées. En revanche, les deux façades percées qui donnent sur le vide proposent quelques vues sur l’extérieur supplémentaires aux logements concernés (malgré un fort vis-à-vis) et augmentent surtout leurs performances en terme de ventilation naturelle, en ajoutant une orientation. Si cette dent-creuse améliore légèrement la qualité des logements voisins, elle n’a aucun impact sur la qualité de l’espace public.

Dent-creuse n°03, Catégorie B Située dans une rue très calme en sens unique, cette grande dentcreuse aérienne fait face à un autre vide plus petit mais similaire de l’autre côté de la chaussée. Les deux dents-creuses aériennes alignées marquent une belle percée dans l’épannelage de ces îlots, offrant un peu plus de ciel à la vue et un 35


apport en lumière optimal pour les riverains. La dent-creuse dégage un grand volume de 14 mètres de long par 6,20 mètres de profondeur au dessus d’un rezde-chaussée construit, constitué de deux commerces et d’une entrée de véhicule sur le cœur d’îlot. Le bâti de part et d’autre du vide s’élève en R+1 au sud-ouest avec un pignon aveugle propice à une surélévation mitoyenne et en R+2 avec une façade percée au nord-est.

Dent-creuse n°40, Catégorie C Cette dent-creuse est située sur la rue piétonne la plus étroite et la plus calme parmi celles qui entourent le bâtiment des Halles. Elle est entourée de nombreux commerces, restaurants, bars. Une place publique très fréquentée se trouve à quelques dizaines de mètres de là et pourtant on n’en perçoit absolument pas le tumulte : les Halles font écran. Cette dent-creuse fend le front bâti ancien sur toute sa hauteur. Elle entretient un rapport à la rue direct puisqu’elle est complètement ouverte, en élargissement de l’espace public. N’importe qui peut y pénétrer physiquement. La seule démarcation avec la rue piétonne est dessinée au sol par les matériaux de revêtement employés. Les bâtiments voisins sont construits en R+4 de part et d’autre et en R+3 en fond de parcelle. Le vide n’a pas un grand rôle d’apport en lumière naturelle directe en raison de son orientation plein nord, mais les logements qui le surplombent ouvrent tout de même des fenêtres pour capter un peu de lumière diffuse bienvenue. Large de 5,45 mètres et profond de 14 mètres, le vide permet également de découper un morceau de ciel. L’usage actuel de la dent-creuse est limité au stationnement d’un ou deux véhicules. Elle ne bénéficie pas d’aménagements particuliers, si ce n’est la présence d’arceaux pour accrocher des vélos. Leur statut est un peu ambigu. Pendant que je les dessine une femme vient y accrocher son vélo pour aller dans un magasin. Si la parcelle est privée, elle semble être utilisée par le public également. Ce vide permet tout de même aux riverains d’accéder à leurs logements. Si le fond de parcelle est entouré de portes, fenêtres et autres portails, la partie avant bénéficie de murs latéraux aveugles propices à une intervention de construction ou d’aménagement, sous réserve de préserver l’accès à l’arrière.

Dent-creuse n°34, Catégorie D Cette grande cour privée lovée au creux d’un bâtiment ancien en U longe une petite rue piétonne. Un mur de pierres marque la limite avec l’espace public. Au niveau du portail d’entrée de la cour, le mur d’enceinte se déforme pour élargir ponctuellement la ruelle de 2,5 mètres à 6 mètres, moyennant une respiration visuelle aussi bien que physique dans la densité ambiante. La cour au 36


sol pavé accueille plusieurs gros arbres et permet le stationnement d’une demidouzaine de véhicules. La différence fondamentale avec beaucoup d’autres cours de Chambéry est son positionnement. Elle n’est absolument pas en cœur d’îlot. Ici, plutôt qu’un système d’optimisation et de mutualisation de l’espace, la cour montre la richesse des propriétaires et s’inscrit comme un grand volume non construit préservé sur la surface de la parcelle. Elle propose un recul conséquent qui met en valeur le bâtiment. Les trois façades donnant sur ce volume libre sont régulièrement percées de fenêtres. La cour permet un apport conséquent en lumière naturelle autant pour le grand bâtiment que pour la ruelle adjacente. Dent-creuse n°19, Catégorie E Ces différents morceaux de parcelles vides permettent d’ouvrir de nombreuses façades du bâti environnant. Mais l’objectif premier est de décoller ces façades de la petite église qui trône au centre. En plus d’être un bâtiment remarquable à mettre en valeur, l’église est un lieu de rassemblement qui polarise un morceau de ville. Cette dent-creuse permet de dégager un parvis devant l’édifice, ainsi qu’un jardin reposant garni de végétation et de bancs. Un petit muret bas sépare la parcelle de la rue. Il suffit à marquer la limite sans pour autant la fermer. Ce volume libre joue un rôle d’espace tampon entre la ville et l’espace de culte. Il libère également les façades latérales de l’église pour les ouvrir de vitraux. Il aère un peu le tissu du quartier, même si ici la rue est assez large (12 mètres) et le bâti ne monte pas au-dessus du R+3 (dernier niveau mansardé compris). Derrière le jardin de la dent-creuse, une petite cour connectée à la rue dessert le bâti voisin et les entrées de garages.

Dent-creuse n°26, Catégorie F Cette dent-creuse est un passage. Percée dans le front bâti d’une architecture très ancienne et très abîmée, parfois en travaux, elle débouche sur une longue rue piétonne commerçante, vivante et populaire. A l’inverse, son arrière s’accommode d’une rue secondaire calme en cul-de-sac, bordée d’immeubles résidentiels plus récents. Peu de fenêtres donnent sur le vide de la dent-creuse. Les murs sales et délabrés oppressent par leur hauteur et l’étroitesse du passage. Il pourrait être aménagé pour que sa traversée soit plus facile et agréable. En gardant un rez-de-chaussée passant il constitue également un potentiel de construction. Mais sa présence reste la bienvenue dans un front bâti continu trop long, et découpe entre les toits un morceau de ciel.

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Dent-creuse n°16, Catégorie G Une rue étroite se fraye un chemin dans un îlot dense. Soudain, elle s’élargit. La dent-creuse n’est pas très grande mais elle constitue une belle respiration visuelle et spatiale dans la masse bâtie d’immeubles de trois étages. C’est une petite place publique récemment aménagée, au sol de pavés et de graviers, avec son arbre central. Elle est très calme, comme une bulle d’air loin de la ville. Des plots de métal marquent sa limite avec la ruelle pour éviter tout stationnement automobile et rétrécissent ponctuellement la largeur carrossable. Elle est peu fréquentée (essentiellement des riverains) mais augmente de manière considérable les linéaires de façades. Elle respecte les mêmes principes que les typologies de cours mais est complètement ouverte sur la rue en prolongement de l’espace public. Autour le quartier vit. Les gens se connaissent, discutent dans la rue, les fenêtres sont ouvertes, parfois les portes aussi. Cette dent-creuse a l’aspect d’une petite place de village confidentielle.

Dent-creuse n°31, Catégorie H Ici le vide est aérien, au-dessus d’un haut rez-de-chaussée construit le volume est libre alors que le bâti voisin s’élève sur trois étages. Le bâtiment de la parcelle est vieux et abîmé. Ce sont certainement d’anciens ateliers, reconvertis en garages et accès au cœur d’îlot. La faible hauteur apporte une lumière limitée aux bâtiments derrière orientés plein nord, mais dégage la vue vers le ciel. La rue est très calme, pas loin du centre. Les murs latéraux sont aveugles sur leur première portion. Au regard de son mauvais état de conservation, le corps de bâti risque d’être démoli ou réhabilité, offrant ainsi l’occasion de combler ce vide aérien.

Dent-creuse n°18, Catégorie I A cheval sur deux parcelles construites, cette dent-creuse enclavée et hétéroclite constitue un espace intermédiaire entre les façades latérales percées de deux grosses maisons. Son usage est peu défini et très disparate, partagé entre plusieurs propriétaires. Un accès jusqu’aux bâtiments du fond longe plusieurs entrées de garages. Des éléments construits s’alignent sur la rue en rezde-chaussée (refends de murs, garage...). Ils marquent la limite de l’espace privé : le passant n’est pas invité à y pénétrer. Les immeubles sont sales et sombres. La forme du vide est complexe : elle est découpée par un agrégat plus ou moins anarchique de constructions précaires. La dent-creuse permet tout de même un accès à la lumière naturelle pour plusieurs façades mais subit un aménagement non-planifié, fruit de constructions et de modifications successives au cours de plusieurs années. 38


III.2. Interventions spécifiques pour des dents-creuses uniques Espaces à forts potentiels Ces parcelles toutes si différentes possèdent chacune leurs caractéristiques et les qualités inhérentes, qu’elles soient factuelles ou sensibles. Des vides interstitiels uniques dans une masse bâtie dense possèdent tous d’énormes potentiels, même si parfois ils semblent difficiles à investir au premier coup d’oeil et restent abandonnés dans un désordre repoussant. D’une dentcreuse à l’autre, le potentiel n’est pas le même. Certaines recèlent des potentiels parfois contradictoires, et il faut choisir le mode d’intervention le plus adapté et bénéfique. Ce questionnement traite complètement de l’ambivalence mise en lumière par l’analyse des dents-creuses du centre historique de Chambéry : d’un côté elles constituent souvent d’énormes potentiels de construction favorisant la densification du tissu urbain, de l’autre elles sont également des respirations, des vides essentiels au bon fonctionnement de la ville dense. Au-delà de l’intérêt du propriétaire qui voit dans sa parcelle libre toutes sortes de perspectives alléchantes, il ne faut surtout pas oublier qu’elle impacte directement l’espace public qu’elle côtoie et influe grandement sur la perception de la densité du piéton. Bien plus que d’importants potentiels, les dents-creuses incarnent de véritables enjeux urbanistiques pour les années à venir.

Interventions « à la petite cuillère » Riches en potentiels, c’est une chose. Mais comment intervenir judicieusement sur ces parcelles si particulières ? Après de nombreuses lectures, un état de ce qui se fait aujourd’hui et l’analyse de dents-creuses existantes, il me semble évident que l’intervention en dents-creuses doive se faire au cas par cas. En effet, après avoir décortiqué les qualités si uniques de chacune d’entre elles et l’importance de la sensibilité du lieu, comment tenter une projection globale au-dessus de l’échelle de l’îlot, comme on fait des lotissements au kilomètre ? Comment tenter de répéter un unique modèle quand les formes, les usages, les dimensions de ces vides se comptent par centaines ? L’aménagement de la dent-creuse est résolument tourné vers une démarche individuée qui considère des qualités locales et investit en profondeur chaque lieu. Ces dernières années, Paris par exemple a pris conscience de son patrimoine villa et se mobilise pour le valoriser. La ville compte environ 12 000 maisons individuelles et développe de nouvelles procédures (enquêtes de situation, relevés d’après photographies aériennes) pour créer des zones protégées. Pas à pas, Paris impose une nouvelle politique urbaine d’îlots. Elle apprend à construire « à la petite cuillère ». Si ce genre de pratique existe pour 39


l’entretien des pleins, elle peut très bien s’adapter au traitement des vides.

Cas par cas, mais... Cependant, avec ce type d’approche la question des dents-creuses disparaît complètement du paysage décisionnel à l’échelle de la planification du territoire et de la ville. Elle risque de n’être portée que par des particuliers motivés et quelques professionnels sensibilisés au sujet, essoufflant vite toute puissance d’action. Je crois qu’une intervention au cas par cas indispensable doit aujourd’hui être couplée avec la mise en place de procédures rodées qui facilitent ces interventions et permettent de s’appuyer sur des aménagement déjà réalisés. Si chaque dent-creuse est bien unique, l’étude de cas de Chambéry nous a montré qu’il est tout à fait possible de tenter de les rassembler en familles cohérentes qui reflètent des préoccupations similaires. Dents-creuses aériennes, ruelles, places publiques... peuvent initier des tendances programmatiques, formelles ou typologiques, tout en gardant cette part essentielle de créativité et de relation à « l’esprit du lieu ». Surtout il semble nécessaire de recenser géographiquement ces espaces cristalliseurs d’enjeux et d’en compiler les données propres, pour en permettre une bonne appropriation de l’élu jusqu’au projeteur, et les intégrer durablement aux débats de la ville.

III.3. Qualifier la densité par l’intervention Construire Aujourd’hui, la surélévation est le moyen le plus avantageux de construire en dent-creuse. Ce principe participe à la limitation de l’étalement urbain par la densification du centre, sans pour autant imperméabiliser de nouvelles surfaces de sols. Dans son cahier HABITER DURABLE - Surélever son immeuble (édition n°1, septembre 2016), la Mairie de Paris présente les évolutions réglementaires qui imposent des gabarits plus souples nécessitant une adaptation et des décisions au cas par cas, selon le potentiel de chaque bâtiment et son impact sur l’environnement proche. Comme pour le traitement des dents-creuses plus traditionnelles, l’individualisation des processus et l’implication totale sur chaque site semblent indispensables et nous proposent peut-être une nouvelle méthode d’urbanisation humaine, loin des planifications mécaniques d’échelles industrielles. Alors que les terrains libres sont rares et chers à Paris, beaucoup se tournent vers le marché florissant du « foncier aérien » et les professionnels n’hésitent pas à se saisir du phénomène. L’agence d’architecture Malbrand 40


spécialisée en surélévation a par exemple développé dent-creuse.com, une plateforme de mise en relation des vendeurs et acheteurs de foncier aérien. Mais la construction en dent-creuse concerne aussi souvent la réalisation d’immeubles ou de maisons urbaines entières ancrées sur des parcelles vides. Si l’appellation « maisons de ville » concerne principalement les maisons en bandes (ouvrières jadis ou à loyers modérés aujourd’hui), dont la répétitivité et la monotonie n’ont pas résisté au temps, cette typologie de maisons ne correspond pas à la construction en dent-creuse, où chaque terrain est unique et pour laquelle on recherche plutôt une architecture riche et diversifiée, qui dessine un paysage urbain contextuel. Les « maisons en ville » en revanche sont beaucoup plus isolées dans leur milieu urbain. Elles s’inscrivent souvent dans des dents-creuses du tissu, en cœur ou périphérie immédiate de la ville et profitent à quelques privilégiés rares. Bénéficier de la liberté, du confort et de l’indépendance d’une maison individuelle en même temps que des commodités de la ville est le rêve de beaucoup de Français. Les parcelles libres restantes aujourd’hui sont souvent exiguës et complexes d’aménagement : c’est pourquoi elles constituent un marché définitivement tourné vers les architectes et leur expertise. Les jeunes praticiens voient là un terrain d’expression et d’expérimentation nouveau, et un bon moyen de se faire connaître pour accéder à la commande publique, puisque les revues spécialisées sont friandes de ces petites maisons urbaines singulières. Mais ce genre de projet est le plus souvent temporaire ou épisodique, car particulièrement ingrat en terme de rémunération et de reconnaissance. Certains n’hésitent pas alors à se faire architectes-promoteurs, réduisant par là le nombre d’intervenants et le coût global de chaque projet. La demande pour les maisons en ville bénéficie d’un fort regain d’intérêt chez les particuliers. Il s’agit pour les clients d’un investissement personnel important, une aventure totale dans laquelle ils se lancent et qui mène le plus souvent à une attitude participative. Ce sont définitivement des maisons surmesure réalisées avec des moyens financiers limités et qui nécessitent un total contrôle de la phase de construction. C’est un exercice très difficile pour l’architecte qui doit gérer des réglementations urbaines draconiennes voire illogiques et composer avec une quantité impressionnante de contraintes. Les clients investissent souvent le maximum de ce qu’ils peuvent, et tout dépassement est impossible. L’architecte doit faire preuve d’une ingéniosité technico-architecturale sans limites. Ce genre de projet est également un passeport pour l’avenir de l’architecte, qui participe ainsi à une refonte discrète et patiente de la ville en perpétuelle mutation. Souvent, lors de constructions de maisons en ville, le budget est réparti pour sa première moitié dans l’achat du terrain et pour la seconde dans le 41


projet en lui-même. Mais selon Annabel Biles et Adam Mornement dans Maisons de ville, lorsque la parcelle est peu enviable, étroite, biscornue, la proportion peut facilement changer et permettre une plus grande attention du détail, plus de moyens pour le projet à coût égal. Il peut néanmoins se révéler compliqué de rassembler un budget raisonnable pour construire en dent-creuse. La rentabilité est trop faible pour les promoteurs et c’est pour cela que beaucoup de parcelles restent vides pendant des années. Elles nécessitent un investissement important et un travail au cas par cas. Des maisons sur ces parcelles sont ainsi plus rares que des projets de petits immeubles avec plusieurs logements : le soutien d’une autorité gouvernementale ou municipale - qui est parfois la seule à avoir les épaules assez larges pour revitaliser un site difficile - facilite la réalisation de logements sociaux par exemple. Une autre solution est de mélanger projets résidentiels et professionnels : les uns financent les autres. Nous avons un exemple intéressant en matière d’occupation des petits espaces avec le Japon. Le pays est aujourd’hui quasiment obligé de travailler le logement à l’échelle de petites parcelles de 30 à 60 m² issues d’un morcellement établi des terrains depuis les années 1990, et constitue aussi un exemple probant de ce que l’on peut construire sur une parcelle étroite. « La maison doit s’adapter aux modes de vie actuels et aux mouvements quotidiens des différents individus dans l’espace, et ce dans un contexte urbain où les terrains sont de plus en plus chers et difficiles à trouver », explique Isabelle Berthet-Bondet dans le livre 20 maisons nippones : un art d’habiter les petits espaces Des espaces réduits obligent le travail du détail pour produire des espaces de qualité, dont la perception est ultra importante. Mais il ressort de cette réalité une approche de l’espace intime ancrée dans une culture particulière et sensible. Les maisons japonaises sont conçues comme des « tableaux en mouvement ». Tous les sens sont sollicités pour percevoir l’espace et exalter l’implication du corps entier. Cette approche sensible revalorise l’espace. La promiscuité est très présente au Japon, donc l’espace visuel est agrandi par une intensification des sensations kinesthésiques (ex : les pas japonais irréguliers mobilisent le regard pour ne pas tomber). D’une certaine manière la maison est conçue comme l’urbanisme. Chaque lieu (espace) associé à un geste (temps) génère un moment. Des ruptures dans le parcours permettent de se préparer à l’évènement suivant (ex : se déchausser à l’entrée). Ces ruptures, ces pertes de repère donnent une impression de grandeur grâce au nombre de microcosmes et de déplacements. La succession de points de vue donne un sens visuel de la distance plus complexe que les lois de la perspective linéaire.

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Préserver Comme le porte l’ambivalence marquée des potentiels établis des dentscreuses, construire n’est pas forcément toujours très indiqué. Beaucoup de vides interstitiels n’ont pas été remplis pour une bonne raison et leur pérennité est essentielle à la vie de l’îlot ou du quartier. Inventorier ces sites et les protéger de constructions abusives est un nouvel enjeu pour les autorités des villes anciennes denses. Des vides même aériens marquent des respirations visuelles. Des jardins, des placettes, des squares forment des poches reposantes d’espaces publics et de verdures. La variété et la richesse formelle, dimensionnelle et programmatique des dents-creuses marquent aussi une hiérarchisation et une gradation des espaces que l’on perd si l’on remplit uniformément les vides. Préserver ces volumes ne signifie pas seulement empêcher toute intervention. Certains sites demandent de l’entretien pour assurer le bénéfice de leurs qualités. D’autres peuvent nécessiter de nouveaux aménagements spatiaux, respectueux de leur rôle particulier.

Investir autrement Cependant l’approche interventionniste des dents-creuses ne peut pas être binaire. De nombreux entre-deux existent entre la construction systématique et la préservation des vides. Ils participent à maintenir la diversité de ces espaces et nécessitent l’esprit créatif d’un concepteur pour trouver le juste équilibre. La transformation de pleins en vides, le changement d’usages, la plurifonctionnalité peuvent rendre un volume plus intelligent qu’il ne l’était. Un vide préservé peut accueillir des constructions temporaires, une construction légère peut être évolutive. Un vide aérien peut devenir l’extension d’un ou de plusieurs logements sans pour autant être complètement construit (terrasse, véranda, jardin couvert...). Parfois, certaines dents-creuses ne peuvent pas être construites mais ne constituent pas non plus des volumes libres indispensables et peuvent être investies autrement. Une alternance réfléchie de constructions et de vides préservés est également une solution pour construire sans supprimer l’apport de qualités pour l’espace public. Le tout est de concevoir intelligemment en trois dimensions des espaces qui profitent au plus grand nombre et optimisent les apports de la dent-creuse à la ville dense.

Quels modes d’intervention pour les dents-creuses de Chambéry ? Il est intéressant de tenter de déterminer simplement quel type d’intervention est le plus approprié pour les dents-creuses de Chambéry, à travers l’analyse multiscalaire qui en a été faite. Le tableau en annexe (cf. Annexe.3) 43


compile les réponses pour chacune des 48 dents-creuses : construire, préserver ou investir (autrement). On relève principalement que contre toute attente l’intervention par construction est la moins appropriée pour les dents-creuses du centre historique de Chambéry. Cela conforte l’idée que la construction est loin d’être systématique et que les dents-creuses peuvent être exploitées autrement. Le nombre élevé de dents-creuses à investir autrement montre qu’une diversité de sites entraîne assez facilement une diversité de modes d’intervention. Les propositions des 9 dents-creuses sélectionnées peuvent être explicitées, suite à leur étude un peu plus approfondie.

| graphique représentant le nombre de dents-creuses concernées par chaque type d’intervention

La dent-creuse n°22 de la catégorie A semble adaptée pour accueillir un projet de construction en surélévation. L’inutilité de son volume vide à l’échelle de l’îlot ou du quartier, avec des murs voisins majoritairement aveugles favorise le remplissage de la dent-creuse, potentiellement jusqu’au toit voisin le plus haut. Cette intervention n’a que très peu d’impact sur un espace public large. La dent-creuse n°3 de la catégorie B est également parfaitement adaptée pour un projet de surélévation qui générerait 2 étages supplémentaires et près de 220 m². Le projet architectural pourrait travailler sur la perméabilité à la vue, jouant de cadrages, de pleins et de vides pour découper des morceaux de ciel comme la dent-creuse découpe un paysage dans cette rupture du front bâti. La dent-creuse n°40 de la catégorie C n’est pas à préserver obligatoirement en l’état mais ne permet pas non plus une construction totale. Elle nécessite néanmoins un aménagement pour profiter pleinement de ses qualités et clarifier son statut vis-à-vis de l’espace public contigu. 44


La dent-creuse n°34 de la catégorie D devrait être préservée. Elle constitue une belle respiration visuelle le long d’une ruelle très étroite (moins de 3 mètres) et donne un peu de recul sur une façade ancienne. Cour privée sous la responsabilité de ses propriétaires elle pourrait cependant être réaménagée, avec notamment une nette désimperméabilisation de son sol pavé et un élargissement de sa poche de végétation. La dent-creuse n°19 de la catégorie E doit également être préservée. Son rôle de parvis et de jardin est indispensable à la constitution d’un environnement reposant et détaché de la rue autour de la petite église. Son rôle d’espace tampon permet de constituer une bulle végétalisée dans l’îlot. La dent-creuse n°26 de la catégorie F nécessite d’être investie autrement que par un remplissage complet de son volume. Elle joue un rôle important de passage piéton à travers le front bâti et les pignons latéraux, pas totalement aveugles, sont percés de quelques fenêtres. Une construction laissant le rez-dechaussée passant et dégageant des espaces extérieurs au niveau des fenêtres est possible. D’autres interventions architecturales ou artistiques originales sont également intéressantes pour valoriser un interstice sombre de l’espace urbain. La dent-creuse n°16 de la catégorie G est un espace à préserver. Son rôle de respiration, en élargissement d’une ruelle, est indispensable aux îlots voisins. La placette est déjà aménagée en tant qu’espace public et ne nécessite pas forcément de nouvelles interventions. La dent-creuse n°31 de la catégorie H propose un vrai potentiel de construction. Le vieux bâti existant est en mauvais état et nécessite absolument une intervention. Il peut très facilement être rénové et surélevé ou reconstruit plus haut, dégageant une surface habitable supplémentaire de près de 150 m². La dent-creuse n°18 de la catégorie I est un espace un peu particulier dont le rôle n’est pas très bien défini. Il a besoin d’une intervention pour retrouver des qualités et alimenter les nombreux bâtiments voisins. La construction totale n’est en revanche pas possible puisque certaines façades sont largement percées et la parcelle permet un accès au coeur de l’îlot. Un aménagement du vide en espace collectif extérieur ou semi-couvert semble intéressant, mutualisant ainsi de minuscules bouts de parcellaire agglomérés.

45


III.4. Pistes pour faire la ville autrement (et mieux !) Le modèle japonais L’urbanisme japonais est décidément bien à part et a encore beaucoup de choses à nous proposer. L’une des particularités est ce besoin d’amener la nature en ville et de coexister avec elle. Dans l’esprit des Japonais la culture est associée à l’architecture de la maison, mais la nature a toujours sa place avec le jardin. Pour ne pas avoir à aller la chercher aux limites de la ville par l’étalement urbain, il est de coutume de toujours préserver sur les parcelles des espaces extérieurs, de préférence avec des sols perméables. Quelle que soit sa taille, chaque construction a son jardin. Sur les toutes petites parcelles des grandes villes la tâche est ardue mais même un arbre peu suffire, comme c’est souvent le cas dans les maisons contemporaines japonaises. Il a une valeur symbolique et amène l’idée de la nature en même temps que celles du temps qui passe, du mouvement, des saisons. Le jardin porte dans cette culture un imaginaire qui occulte sa petitesse. Dans son livre 20 maisons nippones : un art d’habiter les petits espaces, Isabelle Berthet-Bondet évoque la manière qu’ont les Japonais de faire l’architecture et l’urbanisme avec de petits espaces. Autrefois l’architecture était faite par des charpentiers et artisans qui respectaient le lieu. L’habitation constituaient une part du jardin. Au XXe siècle, l’influence occidentale les a séparé en deux entités différentes : la maison et l’Homme d’un côté, le jardin et la nature de l’autre. Selon l’auteure, il faut redonner un sens au lieu, par une micro-approche, au cas par cas. Mais une question se pose : est-ce viable à grande échelle ? Est-ce compatible avec la densification globale de la ville ? La maison en tant qu’espace social rattache l’Homme à sa culture. Aujourd’hui les valeurs symboliques de la maison ont tendance à être oubliées, entraînant un risque de déshumanisation de la conception architecturale. Mais habiter est une relation personnelle entre l’Homme et le lieu : « La qualité poétique du lieu s’exprime à travers l’intensité du regard que l’Homme lui porte ». Ainsi, comme l’analyse des dents-creuses l’a montré, il ne faut pas lire la ville seulement de manière rationnelle en terme de surfaces ou de programmes. La nouvelle génération d’architectes apprend aussi à se satisfaire de l’environnement urbain existant et tente d’investir les micro-paysages qu’il génère. Kengo Kuma disait qu’il faut « aimer chaque lieu en particulier », pour laisser émerger un espace-temps unique. En qualifiant ces petits espaces vides de la ville, les architectes interviennent alors indirectement sur l’espace public.

46


L’évolution dans le temps Vus du ciel, les îlots anciens apparaissent composés d’énormément de petits bâtiments disparates qui s’imbriquent les uns dans les autres et datent de différentes époques. La construction des centres historiques européens comme des villes organiques japonaises s’est faite au fil des siècles. Il semble alors intéressant de réaliser des reconstitutions de l’évolution de l’occupation des sols pour remonter le temps. Grâce à la télédétection et aux bases de données spatiotemporelles, les systèmes d’information géographique (SIG) et des photographies aériennes sur plusieurs années permettent ce genre de choses. Le logiciel SIG ArcGIS, par exemple, traite les données et permet de déterminer les changements en terme de quantité de bâti, ainsi que le mode de développement (densification ou étalement). Observer ce qui est déjà arrivé aux dents-creuses par le passé est selon moi un bon moyen de prévoir ou proposer ce qui pourrait arriver à celles d’aujourd’hui. Et de reproduire les schémas apportant de la qualité dans nos villes contemporaines.

47



Conclusion L’étalement urbain provoquant une ville diffuse ne correspond plus aux préoccupations actuelles. Dans ce contexte la ville dense et compacte semble le modèle le plus adapté pour un développement durable des périmètres urbains. Si la densité fait encore un peu peur et renvoie parfois à des images de mort et d’insalubrité, les progrès technologiques et sanitaires nous permettent aujourd’hui de réinterpréter les tissus anciens des centres historiques européens, riches de qualités et plus proches d’une dimension humaine de la ville. Parallèlement, les tracés organiques des villes japonaises apportent les leçons d’une autre culture, nous montrant comment intégrer la nature à la ville dense, mettre en place des systèmes pour supporter cette dernière et renouer avec une certaine sensibilité spatiale. Les dents-creuses de ces tissus sont désormais un enjeu majeur des politiques de densification et posent la question de leur aménagement face à une ambivalence de potentiels. Si la construction de ces vides interstitiels est alléchante, elle est loin d’être toujours bénéfique à la ville, ceux-ci ménageant des respirations indispensables au tissu dense. A travers l’analyse de toutes ces dents-creuses, si diverses et variées, si multiples et uniques à la fois, une question essentielle se pose : où s’arrêter ? Où se trouve la limite ? Tous les volumes vides qui ressortent du tissu urbain dense doivent-ils être considérés comme des dents-creuses, et donc remis en question, analysés en tant que tel ? Le moindre décalage de toiture est-il un vide investissable ou un potentiel de surélévation ? A quel moment passe-t-on d’une dent-creuse à un simple retrait de façade ? Une place publique peut-elle être considérée comme un vide interstitiel dans la masse bâtie ? Et en réalité, peut-on classer à ce point les espaces, mettre tous les pleins, les vides dans des catégories ? Je crois que les types et les modèles se chevauchent, se confondent et toutes ces familles sont indéniablement liées entre elles. Elles s’articulent dans un tissu complexe, à plusieurs couches, à plusieurs degrés de lecture. Le terme de dent-creuse est finalement assez vague en soi et il peut avoir différentes définitions, avec quelques variantes selon le sujet et la manière dont on l’emploie. Parler des dents-creuses n’est finalement peut-être qu’un prétexte pour évoquer la multitude de formes et de fonctions des espaces publics tous utiles si ce n’est indispensables à la qualité de vie des centres urbains denses. Et peut-être que ces modèles de villes sont ceux qui correspondent et représentent le mieux le genre humain : une densité qui rassemble en société des individus aussi uniques et différents les uns des autres que les espaces qu’ils investissent. 49



Bibliographie lectures et références

Livres - BERTHET-BONDET Isabelle, 2010. 20 maisons nippones : un art d’habiter les petits espaces, Parenthèses Editions, 145 pages. - BLIN Pascale, 2006. 25 maisons en ville, Le Moniteur, 160 pages. - FERNANDEZ PER Aurora, ARPA Javier, MOZAS Javier, 2011. Density is Home : Housing by a+t research group, a+t architecture publishers, 400 pages. - BILES Annabel, MORNEMENT Adam, 2009. Maisons de ville, trad. fr. 2009, Seuil, 240 pages. - Petits espaces, grand standing, 2018. Gestalten, 256 pages. - FERNANDEZ PER Aurora, MOZAS Javier, 2015. Why Density? Debunking the myth of the cubic watermelon, a+t architecture publishers, 256 pages. - CASTEX Jean, DEPAULE Jean-Charles, PANERAI Philippe, 1997. Formes urbaines de l’îlot à la barre, Parenthèses Editions, 196 pages.

Publications scientifiques en ligne - Leveiller Thomas, Long Nathalie, 2013. Vers un développement durable de l’aire urbanisée de la région Ile-de-France : une démarche amorcée. Environnement Urbain, vol. 7, p. c18–a37. URL : https://www.erudit.org/fr/revues/eue/2013-v7eue01621/1027732ar/. consulté le 16.02.2019 - Koltirine Remi, 2001. De l’urbanisme à visage humain. Le Débat, vol. 3, n° 115, p. 74-86. URL : https://www.cairn.info/revue-le-debat-2001-3-page-74.htm. consulté le 04.03.2019 - Clément Pierre, Guth Sabine, 1995. De la densité qui tue à la densité qui paye. La densité urbaine comme règle et médiateur entre politique et projet. Les Annales de la recherche urbaine, vol. Densités et espacements, n° 67, p. 72-83. URL : https://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1995_num_67_1_1879. consulté le 26.02.2019 - Bonneville Marc, Bourdin Virginie, 1998. Planification urbaine et développement commercial : De la réglementation à la concertation. Les Annales de la recherche urbaine, vol. Echanges/Surfaces, n° 78, p. 12-19. URL : https://www.persee.fr/doc/ aru_0180-930x_1998_num_78_1_2152. consulté le 26.02.2019 - Garnier Christian, 2018. Réduire l’étalement urbain : mission (im)possible ?. Annales des Mines - Responsabilité et environnement, vol. 3, n° 91, p. 74-81. URL : https://www.cairn.info/revue-responsabilite-et-environnement-2018-3-page-74. htm. consulté le 04.03.2019 51


Autres publications en ligne - La ville de Chambéry, L’Etat, L’agence nationale de l’habitat, Chambéry métropole-Coeur des Bauges, Procivis Savoie, 2017, Convention de renouvellement urbain sur le centre ancien de Chambéry, Convention OPAH-RU, 27 p. URL : https:// www.chambery.fr/cms_viewFile.php?idtf=8907&path=Convention-OPAH.pdf. consulté le 16.03.2019 - Mairie de Paris, 2016. « Surélever son immeuble », Habiter durable, sept. 2016, n°1, pp. 1-16. URL : https://paris.coachcopro.com/media/download/7010. consulté le 15.01.2019 - Direction Départementale des Territoires du Rhône, 2014. Densité, formes urbaines, consommation d’espace. URL : http://www.rhone.gouv.fr/content/download/20712/123444/file/Presentation_BE_Densit%C3%A9_consoespace.pdf. consulté le 15.01.2019 - Peridy Marie-Noëlle, 2013. Urbanisme : « Densifier les dents creuses ». OuestFrance. URL : https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/les-herbiers-85500/ urbanisme-densifier-les-dents-creuses-889913. consulté le 17.01.2019 - Morleo Bruno, 2016. Urbanistes, soignez vos dents creuses !. urbanews.fr. URL : https://www.urbanews.fr/2016/04/07/50704-urbanistes-soignez-vos-dentscreuses/. consulté le 17.01.2019 - Yvray-Danguis Brigitte, 2004. Evolution de la prise en compte de la nature dans les projets urbains de la Communauté urbaine de Lyon. Millenaire3 - La prospective de la métropole de Lyon. URL : https://www.millenaire3.com/Interview/2004/ evolution-de-la-prise-en-compte-de-la-nature-dans-les-projets-urbains-de-lacommunaute-urbaine-de-lyon. consulté le 17.01.2019

Film - Faure Damien, 2012 Espaces Intercalaires, DVD couleur, Aaa Production, 56 mn.

52


Annexes

inventaire exhaustif des dents-creuses du centre historique de Chambéry

Annexe.1.

Plan complet de situation des 48 dents-creuses et délimitation du centre historique de Chambéry basée sur le périmètre de la convention OPAH-RU 2017

Annexe.2.

Catalogue complet des 48 dents-creuses

Annexe.3.

Tableau complet d’analyse des 48 dents-creuses et de choix du type d’intervention le plus adapté pour chaque dent-creuse

53



Annexe.1. Plan complet de situation des 48 dents-creuses et délimitation du centre historique de Chambéry basée sur le périmètre de la convention OPAH-RU 2017

0 55

30 60

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N



| n° 1, catégorie A

| n° 2, catégorie A

| n° 3, catégorie B

| n° 4, catégorie C

| n° 5, catégorie C

| n° 6, catégorie C

| n° 7, catégorie A

| n° 8, catégorie E

| n° 9, catégorie D

| n° 10, catégorie E

| n° 11, catégorie G

| n° 12, catégorie G

| n° 13, catégorie H

| n° 14, catégorie F

| n° 15, catégorie F

| n° 16, catégorie G

| n° 17, catégorie D

| n° 18, catégorie I

| n° 19, catégorie E

| n° 20, catégorie I

| n° 21, catégorie I

| n° 22, catégorie A

| n° 23, catégorie B

| n° 24, catégorie F

| n° 25, catégorie F

| n° 26, catégorie F

| n° 27, catégorie I

| n° 28, catégorie D

| n° 29, catégorie B

| n° 30, catégorie C

| n° 31, catégorie H

| n° 32, catégorie H

| n° 33, catégorie E

| n° 34, catégorie D

| n° 35, catégorie D

| n° 36, catégorie G

| n° 37, catégorie D

| n° 38, catégorie B

| n° 39, catégorie C

| n° 40, catégorie C

| n° 41, catégorie F

| n° 42, catégorie D

| n° 43, catégorie H

| n° 44, catégorie C

| n° 45, catégorie D

| n° 46, catégorie F

| n° 47, catégorie D

| n° 48, catégorie F

57

© Crédit photos : 2019 Google et Thomas De Rossi

Annexe.2. Catalogue complet des 48 dents-creuses



Annexe.3. Tableau complet d’analyse des 48 dents-creuses et de choix du type d’intervention le plus adapté pour chaque dent-creuse c r i t è r e s

1

2

3

4

5

6

7

8

9

1 0

1 1

5, 6

5

1 4, 5

40

5, 4

5, 8

2 5, 5

1 2

1 3

1 4

1 5

1 6

1 7

1 8

1 9

2 0

2 1

2 2

2 3

2 4

RELA T I ONAL ’ ESP ACEPUBLI C l i né a i r ee nc ont a c ta v e cl ar ue( m)

4, 6

1 2, 5

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1 2, 6

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RELA T I ONAL ’ ESP ACEPUBLI C l i né a i r ee nc ont a c ta v e cl ar ue( m) t y pedel i mi t ea v e cl ’ e s pa c epubl i c l a r ge urdel ’ e s pa c epubl i ca udr oi tdel ade nt c r e us e( m) us a gedel ’ e s pa c epubl i c

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c ons t r ui ti ne x i s t a nt e ma r qué

1 7

9

c ons t r ui t

c ons t r ui t 3, 2 r ue pi é t o nne

8

8, 3

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1 0

1 0, 2

8, 9

1 0, 2

1 2

38

2, 5

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r uepi é t onne

N

S

O

S

i ne x i s t a nt e s e mi c ons t r ui t c ons t r ui t i ne x i s t a nt e i mma t é r i e l l e 4, 2

9 , 8

r uepi é t onne r uepi é t onne

2 0 r ue

5

8, 4

1 , 5 ma r qué e 7 , 2

c ons t r ui t s e mi c ons t r ui ti mma t é r i e l l e 8, 5

6, 5

r uepi é t onne r uepi é t onne r uepi é t onne r uepi é t onne r uepi é t onne

4 c ons t r ui t

ma r qué ec ons t r ui t i mma t é r i e l l e

1 2

1 2

1 2

1 0

2 7

r ue

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RÔL EETSI T UAT I ONDANSLET I SSUURBAI N or i e nt a t i on s t a t ut

c ol l e c t i f publ i c

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oui

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a c c è sv e r sd’ a ut r e sc or psdebâ t i

oui

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oui

oui

non

oui

non

oui

oui

oui

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oui

oui

non

oui

oui

oui

oui

oui

oui

oui

oui

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pa s s a ge

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2 60

2 40

us a gea c t ue l duv i de t r a ns por t se nc ommunl e spl uspr oc he s( m)

c our e t t e j a r di ne t 2 40

350

t oi t

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345

2 8 0

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a c c è s c our e t t e 1 40

1 90

r ue l l e 2 30 1 5

POT ENT I ELD’ I NT ERVENT I ON 2 0, 8

1 5

1 6

9 , 8

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2 4, 5

2 5, 5

1 5

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2 6

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1 9

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2 5, 5

1 0, 5

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1 1

ha ut e urduv i dej us qu’ àl ’ a l i gne me ntde st oi t sv oi s i ns( m)

1 1

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1 0

1 1

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9

1 1

1 6, 5

1 1

1 5

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1 2

9

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6

1 1

8

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1 4

s ur f a c epa r c e l l e( m² )

50

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92

8 2

36

8 9

1 53

84

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2 67

2 34

1 2 8 0

1 66

390

1 1 3

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2 48

61 6

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37

6, 1

52

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pr of onde urduv i de( m)

no mbr ed’ é t a ge se npl usc o ns t r uc t i bl e s

àpa r t i rdel aha u t e u rduv i dee td el aha u t e urd’ uné t a ge( 2 , 7 7 mpa rc onv e nt i o n)

po t e nt i e l des ur f a c eha bi t a bl e( m² )

àpa r t i rdel as ur f a c epa r c e l l ee td un o mbr ed ’ é t a ge se npl usc ons t r uc t i bl e s

s ol pe r mé a bl e

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5

3

5

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3

3

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2

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2

5

1 50

1 50

2 7 6

2 46

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1 7 8

1 53

2 52

4950

8 01

1 1 7 0

3840

830

1 1 7 0

565

336

7 5

7 44

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42 5

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é t a tdubâ t i

v é t us t e v é t us t e v é t us t e a nc i e n a nc i e nr é nov é

t y ped’ i nt e r v e nt i onpr opos é e

i nv e s t i r i nv e s t i r i nv e s t i r i nv e s t i r

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pr é s e r v e r

pr é s e r v e r

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c ons t r ui r e

c ons t r ui r e c ons t r ui r e pr é s e r v e r pr é s e r v e r

59

a nc i e n r é c e nte tv é t us t e i nv e s t i r

i nv e s t i r




Résumé.Abstract L’espace est une ressource limitée. Alors que la population mondiale ne cesse de croître, le moment est venu de restreindre notre consommation d’espace et d’abandonner le modèle insoutenable à long terme de l’étalement urbain. Aujourd’hui, les spécialistes tentent de mettre en lumière les atouts de la ville dense et le futur qui se dessine semble de « vivre compact » dans une optique de développement durable. Les dents-creuses de nos centres anciens européens jouent un rôle essentiel de qualification spatiale dans la densification des villes actuelles. Ce travail décortique l’ambivalence de ces vides interstitiels, entre potentiels de construction et respirations d’un tissu dense, en s’appuyant sur le cas du centre historique de Chambéry. Space is a limited resource. While the world’s population is still growing, we need now to restrict our space consumption and forget the long-term unsustainable urban sprawl model. Today, specialists are trying to highlight the strengths of the dense city, and the future that is emerging seems to “live compact” in a sustainable development perspective. The urban infill sites of our old european city centers play a vital role of spatial qualification in the densification of current cities. This work dissects the ambivalence of these interstitial voids, between construction potentials and dense tissue’s breath, based on the case of the Chambéry’s city center.

Mots-clés : dent-creuse ; densification ; Chambéry ; étalement urbain ; ambivalence ; potentiel de construction ; respiration du tissu urbain ; interstice ; centre ancien ; qualité


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