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Une philanthropie sur mesure avec un fort ancrage local

Une philanthropie sur mesure avec un fort ancrage local

Promouvoir la philanthropie, soutenir des initiatives pour l’intérêt commun et fournir des conseils sont les principales missions de la Fondation Roi Baudouin. Le résultat? Une philanthropie sur mesure avec un fort ancrage local. La fondation est en phase avec son temps et s’adresse également à la jeune génération.

“La crise sanitaire a placé la philanthropie sous le feu des projecteurs.”

Ludwig Forrest, responsable de la philanthropie à la Fondation Roi Baudouin

La Fondation Roi Baudouin occupe une place particulière dans le secteur de la philanthropie. Quel est votre rôle?

Ludwig Forrest, responsable de la philanthropie à la Fondation Roi Baudouin:

“La philanthropie offre la possibilité aux personnes qui ont une vision, un cœur et des moyens, de contribuer à l’intérêt commun. La Fondation Roi Baudouin a pour mission de promouvoir la philanthropie au sein de la société en Belgique, en Europe et au niveau international, et d’inciter les particuliers à s’engager dans la philanthropie au sens large du terme: donner de l’argent ou du temps, impliquer des individus ou des entreprises, à court ou long terme. En plus de la promotion, nous prodiguons des conseils aux personnes qui désirent se lancer dans la philanthropie de manière concrète. Nous discutons avec elles des formules possibles. Elles sont souvent accompagnées d’un conseiller financier, d’un banquier privé, d’un notaire, d’un avocat ou d’une personne de confiance.”

Jérémie Leroy directeur à la Fondation

Roi Baudouin: “D’une part, nous travaillons effectivement avec des philanthropes, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises. De l’autre, nous aidons les associations et le secteur culturel, pour lesquels nous développons des outils spécifiques. La Fondation Roi Baudouin ne pratique pas de collecte de fonds mais propose un modèle de gouvernance, un instrument de collecte de fonds. Le secteur a réellement besoin de ces outils! Notre activité est complémentaire du soutien des autorités publiques. Dans les circonstances actuelles, force est de constater que les secteurs socioculturels doivent absolument diversifier leurs sources de financement.”

Quelles questions les philanthropes vous posent-ils?

Ludwig Forrest: “Elles sont très variées et portent sur les thèmes qu’ils peuvent soutenir, le moment idéal pour débuter, le fonctionnement concret du système… Peuvent-ils se lancer dans la philanthropie aujourd’hui ou doivent-ils la prévoir dans leur succession? Devraient-ils donner un peu maintenant et beaucoup plus tard? Les possibilités sont légion. Nous expliquons de quelle façon nos fonds fonctionnent, selon quelles règles nous travaillons et quelle expérience nous avons – ou non – avec les thèmes qu’ils proposent.”

Jérémie Leroy: “Outre les questions fiscales, juridiques, philanthropiques et personnelles, on assiste à une nouvelle vague de questions sur la technologie. Comment attirer les petits dons avec certains outils? Par exemple, une personne de 25 ans peut déjà agir avec des micro-dons. Nous cherchons la bonne méthode pour séduire la jeune génération avec de nouveaux instruments et de nouvelles ressources. Nous suivons les tendances liées aux smartphones et aux codes QR, notamment.

Les particuliers nous demandent aussi parfois comment ils peuvent exercer un plus grand levier avec leur argent. Pas uniquement par un soutien financier direct, donc, mais aussi au travers d’investissements à impact. Il s’agit d’une activité en pleine croissance à l’échelle internationale, inspirée par des investisseurs qui ne s’intéressent pas au seul rendement financier de leur capital mais qui souhaitent également avoir un impact social. On remarque une forte créativité autour des nouveaux produits et technologies. À la Fondation Roi Baudouin, nous tenons ces évolutions à l’œil et tentons de répondre à toutes les questions.”

© Frank Toussaint

“Outre les questions fiscales, juridiques, philanthropiques et personnelles, on assiste à une nouvelle vague de questions autour de la technologie. Nous cherchons à attirer la jeune génération vers la philanthropie.”

Jérémie Leroy, directeur à la Fondation Roi Baudouin

La philanthropie est-elle suffisamment connue de la population belge ou reste-t-il du chemin à parcourir en la matière?

Ludwig Forrest: “La Fondation Roi Baudouin n’est heureusement pas la seule organisation à promouvoir la philanthropie. Il existe aussi, entre autres, la Fédération belge des fondations philanthropiques et l’Association pour une éthique dans les récoltes de fonds. La crise sanitaire a placé la philanthropie sous le feu des projecteurs. Une vague de solidarité a vu le jour; de nombreuses personnes souhaitent agir dans l’intérêt commun. Notre rôle est de montrer que la philanthropie est importante et accessible. Il n’est pas nécessaire d’être Bill Gates pour faire de la philanthropie. Chacun peut consentir des contributions plus ou moins grandes. Tout le monde peut faire un geste. C’est vraiment le message que nous voulons diffuser.”

Jérémie Leroy: “On observe en effet une croissance de l’activité philanthropique. La crise sanitaire joue un rôle majeur à cet égard. Les exemples inspirants se multiplient. Avec, pour ne citer qu’eux, Bill Gates et Warren Buffett aux ÉtatsUnis. Davantage de mesures peuvent être prises pour établir un lien entre les personnes qui veulent agir et les besoins de la société. Dans le même temps, les banquiers privés nous rapportent que leurs clients s’intéressent à la philanthropie. Ils s’adressent alors à nous ou à d’autres pour obtenir informations et conseils. Mais il y a encore du pain sur la planche. Par exemple, l’activité philanthropique fait défaut autour de thèmes comme l’environnement et le climat.”

Quels sont, selon vous, les principaux défis pour la Fondation Roi Baudouin et la philanthropie en général?

Ludwig Forrest: “En organisant des événements, nous continuons à souligner le rôle crucial joué par la philanthropie pour l’intérêt général, en Belgique et en Europe. Or, même en Europe, il arrive que la philanthropie soit compromise dans certains pays. Les organisations peuvent faire de moins en moins de choses, les investissements étrangers font face à des difficultés accrues, la liberté du philanthrope est remise en question… Les règles se font plus strictes, avec davantage de contrôle et de compliance.

Les défis de la philanthropie sont aussi ceux de la Fondation Roi Baudouin. Rester disponible à tout moment pour les individus, les familles, les entreprises et les conseillers afin d’apporter les bonnes réponses, travailler de manière adaptée, les écouter et les aider à faire plus et mieux en matière de philanthropie. Au final, cela profite à la société, aux bénéficiaires et plus généralement aux individus eux-mêmes, car ils ont une solution et sont heureux de faire le bien.”

Jérémie Leroy: “Il est important que la Fondation Roi Baudouin maintienne son offre. Notre philosophie est et restera la philanthropie sur mesure, avec un fort ancrage local. C’est l’histoire de la fondation, ce sont nos racines. Malgré notre croissance et le succès de la philanthropie en général, nous ne devons pas oublier notre ADN.”

Maximisez

l’impact de vos donations

De nombreuses personnes sont généreuses et soutiennent des organisations caritatives. Les conseillers en philanthropie des banques aident leurs clients à élaborer un plan de don structuré, de manière à éviter une succession de dons distincts et isolés. “On augmente ainsi l’impact de chaque euro donné”, indique Paul Smeets, professeur de philanthropie et finance durable à l’université de Maastricht.

Qu’est-ce qui motive les gens à soutenir une bonne cause? L’objectif est-il financier ou davantage inspiré par un désir d’impact social?

Paul Smeets: “La philanthropie implique toujours de donner de l’argent, elle n’a donc aucune motivation financière. Un avantage fiscal peut certes être octroyé, mais même dans ce cas, de l’argent sort de la poche du contribuable. Les dons sont motivés par deux raisons majeures: les gens veulent améliorer le monde et éprouver une satisfaction personnelle. Ces deux motifs vont d’ailleurs souvent de pair.”

Comment la philanthropie peut-elle occuper une place plus grande dans la gestion du patrimoine des particuliers et des organisations?

Paul Smeets: “Les personnes fortunées sollicitent généralement leur banquier pour parler d’investissements et de la manière dont elles peuvent gagner plus d’argent. Et si, à l’inverse, vous vouliez donner de l’argent et non en gagner? Ces dernières années, plusieurs banques néerlandaises ont créé un département de philanthropie, où un conseiller aide ses clients à faire des dons à de bonnes causes. ABN Amro et Rabobank, par exemple, ont chacune une équipe chargée de la philanthropie. En outre, il existe deux banques spécifiquement durables aux Pays-Bas: ASN Bank et Triodos Bank (en Belgique, la plupart des banques ont elles aussi développé une expertise distincte en philanthropie, qu’elles mettent à la disposition de leurs clients (très) fortunés, NDLR). Lorsqu’un client les sollicite, ils discutent non seulement de la manière de faire fructifier leurs actifs, mais aussi des options pour soutenir une cause juste. Ainsi, les départements philanthropie des banques néerlandaises accompagnent leurs clients dans l’élaboration d’un plan sur cinq ans, afin qu’ils ne se contentent pas de faire des dons ponctuels mais qu’ils donnent de manière structurée. La banque peut également participer au choix des organisations caritatives qui conviennent au client et dont elle sait, grâce à des recherches scientifiques, qu’elles sont réellement efficaces et ont le plus fort impact.”

Les particuliers sont-ils suffisamment informés des organisations caritatives existantes et du fonctionnement de la philanthropie en tant que telle?

Paul Smeets: “Ils ont fréquemment du mal à identifier les organisations caritatives qui ont le plus d’impact. La plupart donnent encore au feeling. S’ils veulent contribuer positivement à la société, ils choisissent habituellement l’organisation caritative qu’ils connaissent grâce à la publicité qu’ils ont vue, ou à laquelle ils ont toujours fait des dons. Alors même que certaines organisations caritatives sont cent fois plus efficaces que d’autres! Le choix de l’organisme de bienfaisance auquel vous accordez un don peut faire une réelle différence. Sur le site internet doneereffectief.nl, les donateurs trouvent des informations sur la manière de donner de l’argent le plus efficacement possible.” (Le site d’Effective Altruism Belgium (www. eabelgium.org) fournit des conseils pour trouver des organisations caritatives efficaces en Belgique, NDLR.)

Quels critères permettent de déterminer si un organisme de bienfaisance est efficace?

Paul Smeets: “Si des fonds considérables sont consacrés aux frais généraux tels que les salaires des directeurs, on a tendance à en déduire que l’organisme de bienfaisance ne sera pas efficace. Or, il n’y a pratiquement aucun lien entre ces deux paramètres. Et c’est somme toute logique: si vous employez du personnel de qualité, vous le payez davantage; ce sont des fonds bien investis. Bien sûr, il arrive que les choses tournent mal, mais en général, les frais généraux ne changent pas fondamentalement la donne.

Le type de projet auquel vous accordez cet argent pèse nettement plus lourd. Aujourd’hui, près d’un milliard de personnes sur cette planète vivent avec moins de deux euros par jour. Si vous voulez doubler le revenu de ces personnes, cela vous coûtera en moyenne beaucoup moins cher que de doubler le revenu d’un Néerlandais ou d’un Belge! Comptez en effet au moins mille euros pour doubler le revenu d’un Belge, contre deux euros pour celui d’un habitant du Malawi. Si vous faites des dons à des personnes qui résident dans des pays où le niveau de prospérité est très faible, vous aurez en moyenne un impact plus important dans ces pays. Votre argent dispose simplement d’un effet de levier plus élevé.

Par ailleurs, un don à un musée n’est pas comparable à un don à l’Unicef. Ce sont là deux choses bien différentes. En revanche, vous pouvez jeter un coup d’œil à toutes les organisations caritatives liées à la santé et vous demander comment gagner une année de vie en bonne santé. En procédant de cette manière, vous pouvez effectivement comparer les projets entre eux. Tel projet coûtera tant d’euros pour une année de vie supplémentaire, tandis que tel autre pourrait ne coûter que la moitié.”

Quel est dès lors le secret pour maximiser cet impact social positif?

Paul Smeets: “Depuis le début de 2020, j’occupe la chaire de philanthropie et de finance durable au Fonds Elisabeth Strouven. J’y mène des recherches sur les motivations des citoyens à faire des dons à des

“Les départements philanthropie des banques néerlandaises aident leurs clients à élaborer un plan visant à éviter les dons isolés et à les structurer davantage.”

Paul Smeets, professeur à l’université de Maastricht

fonds générateurs de richesse. Ils m’ont demandé de vérifier si les dons aux organisations caritatives aboutissent réellement aux bonnes personnes, ce qu’il advient de l’argent et dans quelle mesure ces organisations sont transparentes. À cette fin, je réalise des évaluations d’impact de leurs projets. Tel projet tourne-t-il comme ils l’avaient espéré? Pouvons-nous y apporter des améliorations pour le rendre encore plus efficace?

Afin d’augmenter l’impact par euro donné, il existe trois règles empiriques. La première consiste à examiner les recherches scientifiques qui ont déjà été effectuées. Le prix Nobel d’économie 2019 a été attribué à trois économistes du développement. Ils ont fait des recherches sur la pauvreté dans le monde et sur la manière dont les pays en développement d’Afrique et d’Asie peuvent améliorer la santé et réduire la pauvreté. Ces trois économistes ont conduit de nombreuses expériences qui nous ont énormément appris sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Deuxièmement, vous pouvez augmenter l’impact social positif en vous concentrant sur la prévention au lieu de répondre aux urgences. Lorsqu’une catastrophe survient, nous mettons souvent la main au portefeuille. Ce geste peut être utile, bien entendu, mais les organisations qui se dédient à l’aide d’urgence reçoivent d’ordinaire davantage de dons que ce qui est réellement nécessaire. Et ce, alors que d’autres problèmes, comme les enfants en situation précaire, bénéficient de beaucoup moins d’attention.

Enfin, il faut aussi penser à résoudre les ‘grands problèmes’. Aider quelques personnes, c’est merveilleux, mais pas autant que d’en aider des millions. Il est toujours plus facile d’étendre un programme réussi que d’en lancer un nouveau. Plusieurs organisations peuvent vous aider à dénicher des organisations caritatives à fort impact. Aux Pays-Bas, il existe le CBF, l’organisme de réglementation des organisations caritatives. Le pays compte dix mille organisations caritatives, dont environ six cents ont été testées par le CBF.”

Existe-t-il des différences internationales en termes de volonté de s’engager dans la philanthropie?

Paul Smeets: “C’est difficile à dire. Les données relatives aux dons ne sont pas disponibles pour de nombreux pays. Geven in Nederland et Giving in the USA, par exemple, enregistrent depuis des années le montant des dons des populations néerlandaise et américaine, respectivement. Aux Pays-Bas, le montant annuel atteint 5,7 milliards d’euros. Pour les autres pays du Vieux Continent, les chiffres ne sont hélas pas disponibles. Les chercheurs ne reçoivent pas suffisamment de fonds pour trouver des informations pour l’ensemble de l’Europe.” (En Belgique, il existe un Baromètre et un Index de la philanthropie qui paraissent tous les trois ans, à l’initiative de la Fondation Roi Baudouin et du think tank Itinera, NDLR.)

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