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Relever les défis communs grâce à la blockchain
© Frank Toussaint
Koen Vingerhoets, Blockchain Evangelist - Fujitsu La blockchain ne déstabilisera pas le secteur bancaire, estime Koen Vingerhoets, Blockchain Evangelist chez Fujitsu. À ses yeux, l’essor des projets blockchain est une évolution plutôt qu’une révolution: “Elle sert principalement à améliorer les processus.”
La blockchain souffre parfois d’une connotation négative en raison de son association au marché des cryptomonnaies. Ce dernier suggère en effet que le secteur bancaire sera bientôt superflu, du fait que le marché des cryptomonnaies peut transférer une valeur d’une personne à une autre sans nécessiter l’intervention d’une banque. “C’est là une vision pour le moins réductrice du rôle des banques: il ne se limite pas au transfert d’argent”, nuance Koen Vingerhoets, Blockchain Evangelist au sein du Track & Trust Solution Center de Fujitsu.
Si les banques ont d’abord considéré la blockchain comme une menace potentielle, elles réalisent aujourd’hui qu’elle peut servir leurs intérêts. “Dans le contexte bancaire, on voit désormais la blockchain comme un moyen d’améliorer les processus. Il s’agit d’une nouvelle façon d’aborder la complexité du monde financier.”
Le secteur financier s’intéresse également aux activités des fournisseurs de cryptomonnaies tels que Binance et Kraken. “Si le concept paraît à première vue un peu fou, il semble fonctionner au moins sur le plan technologique. L’efficacité du système – toujours en ligne, 365 jours par an – est particulière.”
Une évolution, pas une révolution
Koen Vingerhoets insiste sur le fait que la blockchain ne provoque aucune disruption. “C’est juste une façon différente de penser et de travailler. La collaboration entre les institutions financières, voilà ce qui fera la différence! Elles font face à des défis communs qu’elles peuvent relever ensemble – c’est, selon moi, la véritable évolution apportée par la blockchain.”
Reste à savoir si les banques sont prêtes à collaborer. “Elles rechignent très logiquement à s’échanger des données. Les institutions financières se livrent concurrence sur un marché hautement réglementé et acceptent difficilement qu’on s’immisce dans leur cuisine interne. C’est pourquoi les projets blockchain entre entreprises sont souvent menés par un seul grand opérateur, dans le secteur financier comme en dehors d’ailleurs. Un leader montre la voie, les autres suivent. Or, ce n’est pas parce que vous travaillez sur une solution blockchain commune que votre entreprise vous devez y intégrer totalement votre organisation. La blockchain n’est généralement que la couche inférieure d’une solution: une base de données spéciale qui permet de connecter des systèmes existants afin d’échanger des données, et sur laquelle personne ne dispose de regard direct.”
Grâce à la blockchain, il est aussi possible de simplifier les processus administratifs, d’effectuer plusieurs petits investissements au lieu d’un gros, et d’ainsi mieux répartir les risques. “De cette façon, certains investissements ou placements qui étaient hors de portée deviennent à nouveau accessibles.”
Amélioration des processus
Kube, initiée par Isabel, est l’une de ces collaborations. Les grandes banques belges collaborent afin d’améliorer la vision KYC (know your customer) des entreprises. “Pour une PME ou une entreprise en Belgique, c’était auparavant un processus relativement lourd”, indique Koen Vingerhoets. “Toute entreprise entretient des relations avec plusieurs banques et, chaque année ou tous les deux ou trois ans en fonction de son profil de risque, ses données doivent être mises à jour. La saisie de ces données prend un temps considérable. Or, toutes les banques obtiennent théoriquement les mêmes données et appliquent les mêmes processus car elles adhèrent à la même législation. En soi, il est ridicule qu’une entreprise puisse modifier une de ces données le lendemain de cette procédure et doive ensuite attendre trois ans pour transmettre la modification. Avec Kube, une seule banque se charge de l’effort ‘KYC’, tandis que les autres parties la remboursent ou l’épaulent. Dès que les données d’une entreprise changent, le système les transmet immédiatement aux banques concernées. L’efficacité des processus est prioritaire; l’accent est placé sur le client.”
Une autre approche concerne la finance durable. Lorsque les banquiers privés conseillent à leurs clients des investissements verts, cela représente fréquemment un risque car il est difficile d’obtenir suffisamment de données “durables” pour qualifier les produits de “verts”. “L’un des produits sur lesquels nous travaillons est une plateforme de collecte de données ESG (environnementales, sociales et de gouvernance). Elle s’appuie sur la blockchain pour démontrer l’authenticité des déclarations de durabilité. La blockchain est un outil intéressant pour obtenir une plus grande sécurité juridique et une certitude sur la durabilité de l’approvisionnement.”
Nouveau vocabulaire
Les banquiers privés doivent s’avoir s’adapter. Ces dernières années, de nouveaux clients se sont lancés dans les cryptomonnaies. “Ils peuvent aussi poser des questions sur les nouvelles classes d’actifs comme les NFT. Le moment est-il venu d’en acheter? Est-il préférable de posséder une voiture ou un NFT de voiture?”
Prédire l’évolution de la blockchain n’est pas chose facile. Koen Vingerhoets luimême s’en tient généralement à une année de prévisions tout au plus. “Ces derniers mois furent assez intenses, dans l’univers des cryptos comme pour les projets blockchain entre entreprises. J’ai été surpris par l’échec de certaines plateformes blockchain comme we.trade, CHESS et TradeLens. Même les projets sur lesquels Belfius avait l’habitude de travailler via The Studio se poursuivent sans la technologie blockchain. Les nombreux projets en cours adoptent parfois une approche différente. L’objectif est dorénavant d’améliorer les processus et l’efficacité.”
L’abandon de certains grands projets blockchain permet néanmoins de tirer d’utiles enseignements. Koen Vingerhoets compare cette situation à celle de Napster, le logiciel populaire d’échange de musique. “Ce n’était pas légal mais c’était une bonne idée. La technologie peer-to-peer sousjacente est encore utilisée dans toutes sortes d’applications. Quelque part, on a toujours besoin d’un use case initial. L’évolution se fait par à-coups.”
Réputation entachée
L’expert est frappé par l’influence de l’univers de la crypto sur la blockchain d’entreprise, “alors que les deux n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Plus le prix du bitcoin augmente, plus je reçois de questions sur les projets blockchain au sein des entreprises. Quand la réputation des cryptomonnaies est entachée, ces projets en subissent les conséquences. C’est pourquoi je pense qu’un nombre croissant de projets vont simplement abandonner le terme ‘blockchain’. Ce qui me surprend le plus, c’est que, même dans l’univers des cryptomonnaies, il est encore d’usage de hisser une personne sur un piédestal et d’en faire une sorte d’icone. Le cryptomonde critique souvent les banques traditionnelles; pourtant, seules les banques ordinaires sont punies et condamnées à des amendes, précisément parce qu’elles sont soumises à des règles. Le monde de la crypto, en revanche, ne connaît aucune règle: soit tout va bien, soit c’est la débandade. L’ensemble de ce marché prend des proportions gigantesques. Toutefois, sa valeur intrinsèque est difficile à quantifier. Les fournisseurs de cryptomonnaies peuvent continuer à se présenter comme des pseudo-banques avec une relative impunité. Ils utilisent les mêmes termes qu’une banque – aucune mesure n’est prise pour les en empêcher. Une protection renforcée du consommateur serait réellement utile.”