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ÉVALUATION DES ÉVALUATIONS ─ FRANÇAIS : LE VÉRITABLE ÉTAT DES LIEUX À L’ENTRÉE EN SIXIÈME, par Mireille Grange et Michel Leroux Texte paru dans Le Débat n° 128 de janvier -février 2004, pages 183 à 192, reproduit avec l'aimable autorisation des auteurs et de l'éditeur. Cet article a suscité une réponse de la Direction de la Prospective et de l'Évaluation qui est publiée dans Le Débat n° 130 de mai-juin 2004, ainsi que la réponse à cette réponse par Mireille Grange et Michel Leroux.
Chaque année, au début du mois de septembre, les élèves de sixième subissent des tests d’évaluation nationaux, en français. Il s’agit, aux yeux des concepteurs de cette « passation », d’une « évaluation diagnostique » censée permettre « d’analyser certains savoirs et savoir-faire importants à l’entrée au collège ». Ce serait pourtant gravement en méconnaître les finalités que de regarder ces tests comme de simples instruments d'analyse. Il s'agit sans doute d'y vérifier la maîtrise de certaines compétences et rien n'est apparemment plus légitime que de fonder une évaluation sur des critères clairement définis. Mais c'est la nature et le nombre de ces critères qui doivent retenir ici l'attention. Filets et épicycles Si l'on considère d'abord la nature des compétences mesurées, on découvre qu'il en va de l'évaluation des sixièmes comme de la pêche au filet où la conception du piège et la dimension des mailles prédéterminent les prises. Conçue sur ce modèle, une évaluation risque de ne remonter à la surface que les vérités qu'elle redoute le moins. S'agissant ensuite du nombre des items, on se fera une idée de la démarche des évaluateurs en évoquant les épicycles que la science médiévale empila jadis sur un modèle cosmologique dont la pertinence était chaque jour plus démentie par les faits. Ainsi, à mesure que les productions écrites révèlent l'inefficacité croissante des méthodes actuelles, le nombre de critères que l'on mobilise pour les évaluer s'envole. Toutes ces raisons font que la pesante logistique de l'évaluation de Sixième parait moins témoigner de la volonté de connaître la réalité, que du désir inavoué de l'esquiver. Si l'on voulait vraiment savoir en effet si un élève est apte à écrire un texte cohérent dans sa langue maternelle, cinq lignes pourraient suffire. De là à considérer que les évaluateurs officiels, nourris de cette « sociologie d'État » qui contribue depuis près de trois décennies à la prospérité d'une bureaucratie éducative, s'efforcent d'imprimer à la réalité la couleur de leurs rêves, il n'y a qu'un pas. Ce pas, on est tenté de le franchir en s'avisant que la variante scolaire de la Bureaucratie a hérité de ses devancières cette autre propension qu'est la manipulation du vocabulaire. On ne saurait compter pour rien en effet la disparition de l' épreuve au bénéfice de la passation ou celle, plus révélatrice encore, de l' examen au profit de l'évaluation. Si le premier exemple présente une plaisante manifestation de pudibonderie autoritaire, le second est plus lourd de sens. Examen et évaluation Un examen, en effet, permet d'abord de vérifier des connaissances qu'on estime naturellement inutile de débaptiser au prix de savantes contorsions, et qui, lorsqu'il s'agit de français, relèvent de la morphologie, de la syntaxe et de l' orthographe, sans lesquelles la compréhension d'un texte et la cohérence d'une rédaction sont irrémédiablement compromises. Mais un examen a aussi pour fonction de sanctionner le travail effectué en amont, puisqu'il ouvre ou ferme le passage des candidats à un cycle supérieur. Il n'en va pas de même de l'évaluation qui survient après un
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passage automatique et prive ainsi le système du précieux appoint de l'examen dont l'échéance stimule le travail des élèves comme celui de leurs maîtres. L'évaluation, en revanche, regarde vers l'aval. Elle n'a d'autre ambition que la mise en place d'une « remédiation », laquelle sera ordinairement inefficace du fait de son caractère fragmentaire et surtout anachronique, car le temps perdu, à l'école comme ailleurs, se rattrape malaisément. Notons pour finir que les dégâts provoqués par les multiples dévoiements du système seront généralement imputés au personnel enseignant par des sociologues de l'éducation en proie à la surenchère théorique et dont la verve compassionnelle s'éteint ordinairement à l'approche des estrades. Inlassablement, on brise les thermomètres. Venons-en maintenant au détail de la « passation » de 2003. La « passation » L' évaluation 2003 se présente sous la forme d’un cahier de vingt-trois pages, mis à la disposition de chaque élève. Il comporte quatre « séquences » censées vérifier les « compétences » suivantes : « Comprendre un texte dans son ensemble, construire des informations à partir d’un support écrit, comprendre l’organisation logique d’un texte, prélever des informations ponctuelles, comprendre un message oral, maîtriser les outils de la langue pour lire, maîtriser les outils de la langue pour écrire, maîtriser les contraintes matérielles, créer et construire un texte » Cette dernière compétence semble la plus intéressante à retenir, parce que « créer et construire un texte », représente naturellement le minimum vital pour qui ambitionne de maîtriser l'expression écrite en vue de réussir des examens et des concours. Voici donc le sujet, repris de l'année précédente, proposé en septembre dernier : « Ouvrez vos cahiers aux pages 22 et 23. Sur la page 22, on a reproduit la première page d’un journal avec des photos et une interview réalisée auprès de la famille de Bob. Sur cette page, il manque le récit de l’aventure de Bob et de la découverte du trésor. Vous allez l’écrire, en continuant le texte proposé sous le titre de l’article. » Le professeur est invité à informer les collégiens qu'ils « doivent d’abord écrire leur texte sur une feuille de brouillon pendant trente minutes environ » avant de le « relire, d’y apporter les corrections qui leur semblent nécessaires pour l’améliorer (présentation, mise en paragraphes, orthographe, ponctuation…) puis de le recopier sur le cahier ». Les élèves disposent d’environ une heure trente pour effectuer l’intégralité de ce travail. Voici le résultat obtenu après que le professeur a scrupuleusement respecté les consignes contenues dans le livret de présentation de quarante huit pages, destiné aux professeurs : Les « productions » des sondés Copie 1, intégralité du texte : « Bob appelle sont chien. banbou, banbou net il ne revint pas.alors il vat le chercher, celce ninute il adercu un batar alonge Bob le leve mele batard ce reconcha aussi tôt il avait un patte brisé il etait jéne bob le porta 10 minites il retroves les trotriester du chiens apre il reprar 10 ninutes plus tard il retrouve son acie acote d'une toite en fer sete le tresors. » Copie 2, intégralité du texte : « Bob en le suivant soit perdue. Il trebuchas sur une espespese de grosse pier lourde. En nolent
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en nariere il retenbas une fois de plus. Alors en se dement de quoit peut-il sagire. Il dessidat de crese.En cresent il tapa sur une boite en boie. Il la sorta du trous, la pousa et louvra. Setait si brient qil ne voyé pas les couleurs. Il plonga la main dedent et retira des bijoux en or: des colie, des boucle d oreille et meme des tiament il dessida de lait dens la poubelle pour prendre des plastique. Il en prena 3 et met tout le tresore dans le plastique. Coudin, il entendie un haboiment tout près. Il cria « banbou,banbou » et bonboux revena à lui. Il étais cachais dans les buisons. Grasse au bijoux les parent de bob le retrouva avec leur brience s'est normal et le tresor est mantenent au muse mais bob a gardes cellque bijoux. » Copie 3, intégralité du texte : « Il trifoula dans ce sentier Il renifla pas a pas tout a coup Il aboya donc bob croyai qu'il attaque une persone. Il continua a aboyé, Puis il creusa bob l'edait a creusé Il y avait une boite qui ressemble a un tresor. Il le sorti du trou louvra et vit des bijoux de toutes sortes le pére appelle la police, pendant que bob se fit interview et fit la une du journal. Le propietaire de ce tresor et venu reprendre et donna une recompense au 2 heros du jour. » Copie 4, intégralité du texte : « Il ala le voir, sen que c'est parent sen aperçoivent. Le chien grater et grater, bob se demanda se que le chien avais senti. Alor il décida de grater égalment. Dinseul coup il senti quelque chose de dure. Il suposat ( une pierre, un trésor ) il prena une pêle et enleva la chose très dure en aisayent de ne pas la casser. Il vit tout dabord un cadna ensuite un cofre, il se demandat comment aller l'ouvrir le chien qui ataitent également inteligent luis ramena un pied de biche. Il ouvrer le coffre quand il on sette briance, c'est éclat de lumière, c'est diament il était ereu, il cria de joie. Les parent étaient partit, mais comme il étaient débrouard il sont entré à pied avec le trésore. Arriver a la maison il raconta sa au parent trés inquier. Il allat le donner au muset qui leur a remi une somme d'argent très élever tout la famille aiter ereu. Et grace a cette argent il partir. » Copie 5, intégralité du texte : « Bob lorqu' ils vit un chien sur le sentier. Il disait: -maman on peut prendre le chien? - oui mais va senes n'accupait - Ben, moi! - Tu est sur? - Oui ! alors d'accord! Chouet comme ça on aurer un animal a la maison quelque heure plus il s on arivait a la maison. Le chien fesait pipi tous partout. Je m'ens n'occupait mais il fait quand même. J'ai construit une niche. pour le chien avec des provisions pour chien. Des bois j'avais pas de devoir je jouer au jardin avec lui. Et il vivait toute sa vie dans la niche. Des fois quand ils avait plus de provisions. Il crier: wouh-wouh et je lui en donner et. il, me.Lecher la tête. Et des fois, je le fait rentrer et il regarder la télé avec moi et en mangent des pop orn avec moi. » Copie 6, intégralité du texte : l'élève a recopié ce qui se trouvait dans la marge du cahier d'évaluation. Il ne sait donc pas copier. Il a rajouté quelques mots incompréhensibles, de son cru : « Interview de famille êtes-vous fiers de votre fils ? Nous somme fiers de luiet de son chien
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Bambou sens l'aide duquel le.trésor n'aurai été retrouvé Aquel moment vout ête rendue compte de leur disparaiton ? A fin de la promenade l'orsque nous sommes arrivés à la voiture vous ête vous fait Beaucoup de souci ? oui Bien sûr mais Bob a toujours été courageux et debrouillar. Il se debraille mieux que moit la police la retrouva avec lechien bambou et le trésor il ête comtems de retrouver sa famille. » Copie 7, Le début du texte : « Bob dit revin-ici aller viens le chien parter. Bod alla le chercher Mai le chien n’ atait plus là. Bod chercha très loin mais il na l’avais toujour pas trové. Le chien parten a la recherche du trésor. Et Bod ne l’avait toujour pas trouvé mais il antenda un crie de ouf-ouf. Bod se demanda qui s’aît e il allas voir Bod cria n’on chien ou tu m’a manquer Les parents de Bod était inciter il était tard très tard La mère pleura et la père dit ja vais aller le chercher me tinquitte pas dit ca son pèré il doit pas être si fin son père cria Bod. Bod ou est tu. C’est papa dit Bob il est vénu nous chercher maman doit être inquitte Bod tu est la dit papa papa dit a Bod tu nous aver peur alleon rentron maman dout avoir peur » etc… Copie 8, le début du texte : « Sur un petit sentier de terre et la se trouve une tour il se demande quoi. Puis 5 minutes plus tard il monta et il monta et il monta elle était grande mais grande, il aperçevat des personnes une dizaine. Il monta eux aussi dans la grande tour. Mais il arriva un malheur car dans la tour on ne pouvait que montait par 3. Parce qu’elle n’était pas solide et en plus il était à 13. Alors la tour s’écrasa. 1h plus tard il y avais 2 survivants.et c’était Bob et Bambou les 10 autres était mort. Alors Bob et Bambou alla voir ce qu’il avait dehors il y avait un volcan puis il monta et il trouva des milliers et des millions et des milliers de pièces enor qui brillait de mille feux et c’était le trésor. Puis il reprena la route » etc….. Copie 9, intégralité du texte : « Bob avait été dans une promende en frêêt avec sa famille. Et à la fin de soir. Bob retour chez lui. Bob dit à sa mère quand on sera à la maison je vein dans ma chambre.et son père à dit tu va manger Bob. Et sa mère dit à son mari. Bob va goûter et il avait pris un gâteau. Au flan et un gâteau à la vanille. Et sa mère j’ai tous manger. Et son père dit à Bob il a encore du gâteau Bob il réponse oui il en encore du gâteau. Et a fin Bob va joue dans jardin. Bob joue avec son ballon, sa blançoire et au foot. Et Bob vois vous bazar qui bille dans son jardin et il avance vite pour voir et il voir un trésor. » Copie 10, intégralité du texte : « Il le suivit de arbre en arbre et cria a son chien « Bambou au pied ! « Il continua dans la forêt il tomba ce reléva courru pour rattrapper son chien. Son chien s’arrêta. Il repartie d’arbre en arbre. Il s’arêta et renifal la terre. Aboillay commeca a creusa et bob aussi creusa. Il trouva un coffret au trésor. Il repartie a la voiture et le montra a sa mère. » Copie 11, intégralité du texte : « bambou revien « mais le chien courait toujours. Alors bob le suiva. « ouaf ouaf « des quie bob le ratrapa le chien était entrin de creusé. « mais que fait-tu », soudin un terrible voleur apparu : « ah mais qui est tu ? » - celui qui te cinapé ! mais juste a temp des policier apparer du sentier :
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« Et vous les main en lère ! » - Ouf - Qui a t-il ? il a trouver le trésor valer ! un peu plus tard les parents de bob arivèrent - « bonjours monsieur votre fil a trouver un tresor voler par le bandi qu’on a attraper - ca ne métonne pas de lui. » Copie 12, intégralité du texte : « Bob suivit sont chien qui fléré une piste. Sont chien Bambou cressa plusieur fois mes il trouva de la terre rien que de la terre puis Bambou continua et Bob suivi sont chien aubout de 20 minute toujours rien. C’est parent commencé à s’inciété. tandis que Bambou cresa Bob ce promena plus loin pendant ce tens les parent s’inquité où il peuvent bien être passé ? 10 minute après Bambou trouva quelque choses et il aboilla Bob vien c’était une piece dor et acoté une boite c’était un trésors. Il alla voir c’est parent pour leurs anoncé la nouvelle les parents étas très comptant » L’échantillon dans son contexte. Ces douze copies représentent la moitié d’une classe de sixième. Elles pourraient être complétées par cinq autres copies à peu près équivalentes pour l’incohérence du récit et comportant des fautes moins spectaculaires, mais presque aussi nombreuses. Cinq copies supplémentaires présentent des narrations à peu près compréhensibles, mais contiennent des fautes nombreuses touchant principalement les terminaisons verbales (imparfait écrit é au lieu de ait, participe passé terminé par ait, confusion er/é, accord sujet ― verbe rarement effectué). Deux copies sur vingt quatre sont un peu supérieures. Voici la meilleure : « Bob alla rejoindre son chien. Il appela: « Bambou viens ici on rentre » cria t-il. Le chien ne veut pas. Bob s'approcha et voit Bambou regardait qu'elque chose. Bob dit: « Quest-ce que tu as trouvé ! » s'exlama bob. Il suivit son chien et voit un trèsor dans un trou. Bob cria: « Regarde Bambou un tresor c'est génial ! » Un moment passa. Bambou sentit quelqu'un arrivé, c'était un monsieur. Il s'approcha vers nous et nous demanda. « Quest ce que vous cahez derrière vous ? - Quelque chose! - C'est un trésor! » Le monsieur emmena tout le monde avec lui. Il nous emmena au musée. Il rendit le trésor. Bon Le trésor a été retrouvé. Fin. » L’étude de cet ensemble de copies fait apparaître une méconnaissance préoccupante de la langue écrite par une très forte majorité d' élèves qui arrivent en sixième après avoir fréquenté l’école primaire pendant au moins cinq années. Comment expliquer ce déficit linguistique particulièrement handicapant pour la poursuite des études ? Voici, à cet égard, quelques données sociologiques : – Sur les douze élèves présentés, seuls deux ne parlent pas français chez eux. – Les élèves proviennent de six écoles différentes, situées dans des quartiers populaires. Quatre de ces écoles sont publiques, deux sont privées. – Trois élèves sur douze ont des parents au chômage. Un élève vit dans un foyer. – Les parents des huit élèves restants travaillent l’un et l’autre. – Lors de la restitution des tests aux parents, courant octobre, seize parents sur vingt-quatre se
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sont déplacés et six d’entre eux se sont fortement inquiétés des résultats de leur enfant en examinant la rédaction qu’il avait produite. Ils ont demandé au professeur comment ils devaient s’y prendre pour aider leur enfant, ressentant l’urgence de la situation. Face à ces indications, faut-il incriminer l’origine sociale des élèves, selon une pratique désormais courante dans le milieu éducatif ? Ou l'indifférence parentale ? Ou le fait que les enfants ne parlent pas français chez eux ? Peut-on enfin soutenir qu’une école primaire en particulier est la responsable de pareils résultats ? Nullement. Une telle catastrophe est en réalité le fruit du système lui-même et c’est peut-être cela que l’on maintient dans l'ombre. En tout état de cause, en effet, les élèves ne sauraient connaître ce que l’école ne leur apprend plus, ou leur apprend mal faute de temps et de méthodes appropriées. Il ne serait pas pensable autrement qu'au terme de cinq années d'enseignement primaire, on puisse arriver en sixième dans un pareil état de délabrement face à sa langue maternelle. Il nous reste maintenant à présenter les critères d’évaluation de cette « production écrite », élégamment appelés « items ». Le codage Les items sont au nombre de treize, rien de moins, et ne donnent pas lieu à une notation « traditionnelle » mais à un « codage » particulier : le code 1 correspond à une bonne réponse, le code 9 à une réponse fausse, le code 0 à une absence de réponse ou à une « production » trop courte pour être « évaluée ». Viennent parfois s'y adjoindre les codes 2, 3 ,4, 8 qui sanctionnent savamment des réponses partiellement justes ou partiellement fausses. Négligeant l’inflation des critères d’évaluation et des codages inhérente au système, nous nous contenterons de mentionner ici, item par item, la réponse qui doit, selon les concepteurs, appeler le code 1. DISCOURS 1.: Production d'un récit. Code 1 : « L’élève a produit un récit d’une vingtaine de lignes ». 2: Prise en compte des personnages. Code 1 : « L’élève a utilisé les personnages donnés (Bob, Bambou, les parents). » 3: Prise en compte de la situation donnée. Code 1 : « L’élève a évoqué la découverte du trésor, dans la forêt, et sa restitution au musée. » 4: Choix et cohérence énonciatifs. Code 1 : « L’élève a gardé la même personne (1ère ou 3ème personne) du début à la fin. » 5: Cohérence des temps.(On ne tiendra pas compte de la morphologie verbale) Code 1 : « L’élève a employé les temps du récit de façon cohérente. » TEXTE 6: Progression des informations. Code 1 : « L’élève a produit un texte qui progresse : les thèmes et les propos s’enchaînent. » 7: Cohérence dans l'emploi des substituts pronominaux. Code 1 : « L’élève a employé sans ambiguïté les substituts pronominaux. » 8: Variété dans l'emploi des substituts lexicaux. Code 1 : « L’élève a désigné au moins de deux façons différentes et sans ambiguïté les personnages de son texte, en utilisant des substituts lexicaux. » 9: La ponctuation. Code 1 : « L’élève a utilisé correctement la ponctuation forte pour segmenter le texte en phrases. »
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10: Segmentation en paragraphes. Code 1 : « La mise en page fait apparaître une organisation pertinente du texte en paragraphes. » PHRASE 11: La Syntaxe. Code 1 : « L’élève a produit des phrases grammaticalement correctes. » 12: Accord du verbe avec le sujet (personne, nombre, morphologie ). Code 1 : « L’élève a correctement accordé le verbe avec le sujet (deux à quatre erreurs admises selon la longueur du texte). » 13: L'orthographe. Code 1 : « L’élève a maîtrisé l’orthographe lexicale et grammaticale. »
Perplexité Si l’on se réfère aux copies elles-mêmes et qu’on les confronte aux items d’évaluation, force est de constater l’inadéquation flagrante entre cette démarche et la réalité du terrain. Comment faire entrer dans une telle grille d’évaluation des productions pratiquement incompréhensibles ? On en viendrait à soupçonner les évaluateurs de vouloir tout évaluer sauf la rédaction de textes qui, à proprement parler, n'en sont guère. On reste en effet perplexe face à la tâche prescrite à des correcteurs (ou encodeurs) supposés appliquer à pareil désastre une semblable débauche de critères sophistiqués. À moins que le but ne soit, encore une fois, de pomponner ce désastre au nom d'une « correction » essentiellement politique, en recourant à de savants codages propres à habiller le simplisme de l'opération. Il ne reste plus, dès lors, qu'à simuler l'intervention réparatrice en proposant la « remédiation », néologisme que l'on n'aurait peut être pas songé à forger, si l'on avait vraiment cru qu'il existât un remède. En attendant, les instructions concernant le codage des items enjoignent aux professeurs, et la prescription est formulée en caractères gras, de « ne pas tenir compte, dans l’analyse de la “cohérence des temps”, de la morphologie verbale ». Est-ce à dire que les passés simples les plus fantaisistes deviennent corrects dès qu'ils satisfont l'item : « les temps du récit sont employés de façon cohérente » ? Dans le même esprit, pour « réussir l’item 1 », il suffit d’avoir produit un récit d’une vingtaine de lignes. Peu importent le contenu et la cohérence du propos, seuls comptent le nombre de lignes, fussent - elles incompréhensibles, et le type de texte fourni. L’« item 2 », particulièrement simpliste pour ne pas dire simplet, rapporte un code 1 dans l’escarcelle de l’élève, si ce dernier a héroïquement reproduit le nom de Bob, celui de Bambou et celui des parents. Nous notons avec satisfaction que la présence des trois éléments est tout de même jugée nécessaire. Enfin, l'examen de ces tests fait apparaître que moins d’un quart des items proposés ( trois sur treize), permettent d’apprécier la correction et la pertinence de l'expression : ce n’est donc pas la façon dont les élèves se font comprendre et dont ils réfléchissent qui intéresse les évaluateurs, mais bien le respect formel de consignes dont la formulation savante cache mal la nature minimaliste. Ainsi parvient-on à apprécier positivement des textes qui trahissent une ignorance dramatique du code et constituent parfois un défi au simple bon sens. La contamination des examens Le pire est cependant ailleurs : cette perversion inflationniste des critères d’ analyse au sein de l'
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évaluation se répercute jusque dans les examens, ou du moins dans ce qu’il en reste. C’est ainsi qu’à l'épreuve de français du brevet des collèges, les questions portant sur le texte support, notées sur 15 points, sont devenues plus nombreuses que le nombre de points attribués : le record absolu est, pour l'heure, détenu par le « Groupe Nord » qui, en juin 2001, a proposé dix-huit questions ou fragments de questions à la sagacité des collégiens. Ces questions qui n’en sont pas vraiment, même si elles sont formulées dans un sabir aussi déconcertant que chargé de pédantisme, attirent évidemment des réponses tout aussi parcellaires, et le correcteur, s’il respecte les consignes, est conduit le plus souvent à accorder des points à des copies pratiquement vides. Ce système de démultiplication outrancier permet au candidat de grappiller, sans se fatiguer et sans avoir à réfléchir posément, de précieux points, et aux statisticiens de déclarer que « le niveau monte » puisque le taux de réussite aux examens augmente : l’examen existe toujours, c’est indéniable, mais il a été totalement dévoyé et placé sous la tyrannie d'une pratique comptable. La remédiation est là Pour en revenir à l’entreprise évaluative, elle s’achève tout naturellement avec la « remédiation », prête à prendre le relais. Voici donc comment on la définit dans la première page du « livret de présentation » à l’usage des professeurs : « Rappelons que la prise en charge des élèves en difficulté ne saurait consister en des exercices répétitifs, mécaniques, éclatés, décontextualisés. Elle devra se faire dans le cadre de progressions intégrant des séquences cohérentes qui donnent du sens et une finalité aux apprentissages. » Dans un contexte d’urgence, le ministère demande donc instamment aux professeurs de ne pas pratiquer d’exercices « répétitifs » et « mécaniques ». Or c’est bien de ce traitement de choc que les élèves auraient surtout besoin, si l'on voulait vraiment redresser la barre. Mais cette démarche, selon les prescripteurs, serait dépourvue de sens. L’argument paraît léger, surtout lorsqu'on le met en regard du conseil qui suit : « Tout au long de l’année scolaire, les enseignants pourront recourir aux exercices de la banque d’outils d’aide à l’évaluation pour compléter ou enrichir le diagnostic établi en début d’année scolaire. » Suit l'adresse électronique de ladite banque dûment accompagnée d'un code d'accès et d'un mot de passe. Est-ce à dire que le sens consisterait à ajouter inlassablement les diagnostics aux mesures ? En vérité, une machinerie emballée semble fonctionner ici pour elle-même, sur elle-même, à des lieues de la réalité des classes. L'Oracle pédagogique ingère des rations toujours renouvelées d'évaluations et de statistiques. Entre deux bouchées de données, il prescrit la remédiation. Incrédule, l'usager se demande, lui, quand sonnera l'heure de l'enseignement. Le vrai mépris En présentant toutes nues ces copies que les évaluateurs n’ont jamais sous les yeux, mais dont le spectacle est très dérangeant pour le système en place, nous avons eu le sentiment de pratiquer une transgression, voire de frôler l'obscénité. Mais à nos yeux, et jusqu’à preuve du contraire, l'équité commence par la maîtrise de la langue et l'on ne réussit pas un concours ou un examen en écrivant de cette manière. Loin de nous la volonté d'exhiber des « perles » : nous connaissons trop bien le mépris qui s'exprime dans les « sottisiers ». Il existe cependant une autre sorte de mépris. Il consiste à duper les élèves sur la réalité de leur niveau et à remettre à l'environnement familial et social la tâche de prodiguer les connaissances élémentaires. La détermination sociale de l'échec
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scolaire éclate aujourd'hui aux yeux de tous les observateurs. Il nous a donc paru souhaitable d’exposer la faillite du système actuel, faillite qu'escamotent des évaluations, des statistiques et des concepts mirobolants. La publication de ces pauvres copies doit donc être regardée comme un signal d'alarme. Seuls devraient en tirer bénéfice, à nos yeux, les élèves les plus démunis, ceux qu'abandonne une école de la République désorientée qui ne permet plus à tous d’atteindre le degré de réflexion et d’expression nécessaire à la promotion sociale et à la compréhension du monde et de soi . La générosité ce n’est pas l’indulgence, mais bel et bien l’exigence.
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