Collige rosas

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Collige rosas   Anne Ransquin



Collige rosas


Photographies / Fotografía / Photos © Anne ransquin, 2013 Marot Editions ISBN 000 00000 000 Remerciements / Gracias / Acknowledgements Jorge Luis Alvarez Pupo, Alice, Catherine et François Ransquin, Nicolas de Borman, Thierry Julliand, le collectif Caravane, Paris Berlin>fotogroup, Carole Coen, Carine Dolek et l’association Fetart, Brigitte Huart, Alice Piemme, Corine Clarysse ainsi que ses nombreux amis qui, chacun à leur manière, ont soutenu ce projet et ont permis que ce livre voie le jour. Cet ouvrage ne peut être reproduit, même partiellement, par quelque moyen que ce soit sans l’autorisation de l’éditeur


Collige rosas Anne Ransquin


Collige rosas Cueille les roses / Recoge las rosas / Pick the roses

Variation poétique sur les événements biographiques venus interférer dans les projets de couple et de famille. La maladie qui emporte en peu de temps mère, père, enfant. Livre d’heures tristes, intenses, riches et initiatrices. En cours de route, des images glanées au fil des événements, comme autant de cailloux en poche que l’on sème en chemin ou que l’on garde précieusement. Images-stigmates, images-fétiches, images-miroirs… En attendant des jours meilleurs… Anne


Variación poética sobre los acontecimientos biográficos que interferieren en los proyectos de pareja, de familia. La enfermedad se lleva en poco tiempo a una madre, un padre, un hijo. Libro de horas tristes, intensas, enriquecedoras, iniciadoras. En el camino, las imágenes se van recogiendo, como las piedras que guardas en el bolsillo : algunas las vas sembrando y otras las vas atesorando. Imágenes estigmas, imágenes fetiches, imágenes espejos… Esperando días mejores… Anne Poetic variation about the biographical events that interfere in a couple’s family project. The disease that takes away in a short time a mother, a father, a son. Book of sad hours, intenses, rewarding, revealing. Along the way, images are gleaned, like the pebbles you keep in your pocket, some you sow along the way some you will treasure. Images-stigma, images-fetishes, mirror images… Awaiting better days… Anne



Préface PAR ALICE PIEMME

Collige Rosas c’est avant tout l’empreinte émouvante d’un voyage intérieur. Un fulgurant poème qui met le coeur et la tête en mouvement. Plus qu’un face-à-face, une véritable confrontation. Un regard qui court vers l’infini… En photographie, l’image est fondatrice, elle est matrice : c’est une donne. Anne Ransquin l’a bien compris. Elle nous livre autant d’ouvertures creusées dans la réalité, que de soupiraux par lesquels il est désirable de se glisser pour atteindre le fol espoir du monde sensible. Réalistes et audacieuses, ses images reflètent la multiplicité des instants qui fondent la vie. Elles sont une célébration joyeuse et triste à la fois, un effet que le noir et blanc accentue. Certaines d’entres elles sont presque théâtrales tant elles font apparaître la scénographie des vies. A la façon des corps emboîtés, ajustés aux lignes directrices d’un horizon naissant ou à l’enchevêtrement des mèches comme un stigmate dans l’espace. Les sujets photographiés par Anne sont autant d’objets disparates qui ne déterminent pas l’image, mais se laissent advenir par le regard qu’elle porte sur eux. Ainsi, elle les révèle et les rend vivants. La combinaison surprenante des scènes, offre alors au lecteur une disparité maîtrisée : au début, l’image surgit comme la vague sur le sable. Un glissement sur le sol, puis, elle se fige, là, dans sa

parure de scintillements. Une prise de vue dans l’interlude de l’apparition et de la disparition comme le pouls du déclenchement. Un peu plus loin ce sont deux visages brouillés par le temps comme si les images se mêlaient à l’espace solennel, aux éléments rituels. En regard, du tissu fleuri, tel un linceul qui viendrait couvrir de son opacité apaisante, les sourires éternels. Un baiser vient couronner la pensée, une caresse au félin et la matrice du monde nous engloutit. Le manège résonne encore des rires des enfants qui ont délaissé Pégase, tandis qu’un kaléidoscope lui fait écho : c’est la roue du temps qui tourbillonne. Au vibrant de l’envol on perçoit l’espoir perdu d’une cigogne… Ici, même le souffle est narratif. C’est une œuvre qui livre un cri à voix basse. Une intimité dévoilée avec délicatesse et subtilité. Toute en nuances. Les images absorbent. Elles se déposent à la frontière. Au lieu de passage. Dans une beauté presque sauvage. C’est un état d’urgence. Celui de vaincre. Le temps passe avec voracité. Et dans la lutte, Anne cherche à traverser, c’est une mission. Une transmission. Une transe-mission? Une volonté continue de regarder le visible au fond, la réalité “vraie”. Elle ne tourne pas le dos à l’ombre, elle la regarde en face. Elle construit cette nuit du regard. Et personne ne se passe de la nuit pour voir. Alors, le noir s’inscrit dans les images, un filtre infrarouge ponctue le voyage comme une rémanence. Ce filtre d’inversion ne laisse passer que la lumière visible comme l’impression d’un négatif en positif, qui rend lunaire le solaire, et étrange la terre. Un filtre qu’elle aurait sans doute aimé appliquer à la fin de sa vie pour briser, dissoudre ou inverser la fatalité.

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Introduction PAR JORGE LUIS ÁLVAREZ PUPO

Collige Rosas, c’est une histoire d’amour, une petite idylle écrite à travers des images où l’auteur partage avec nous, subtilement et avec force symboles, toute un amalgame de sentiments, du rêve à la peur, en passant par la passion et la nostalgie. Anne, en grande rêveuse, avait une soif inépuisable de vie, tout comme une capacité unique pour contourner les obstacles et aller de l’avant. Elle a dû faire face au dilemme de l’imprévu, du non-désiré, au simple fait que la vie lui joue un mauvais tour en lui faisant voir trois choses qu’elle n’avait jamais approchées de si près. Elle l’a mise au défi de les ressentir dans sa propre chair : la maladie, la frustration et la mort. Cette œuvre est le fruit du courage, une nouvelle preuve de force, cette force que seul celui qui ne renonce pas peut trouver, celui qui est capable de contrarier son propre destin pour continuer à rêver. C’est là que l’auteur décide de se regarder en face et a le courage de mettre sa vie à nu à travers un imaginaire poétique. D’une manière à la fois simple et sophistiquée, qui ne prétend pas nous dire ce que nous devons penser mais qui tout simplement nous ouvre une porte pour nous faire partager ses sensations. Anne, ma femme, ouvre les portes de son cœur et nous le fait partager, avec tout l’amour et l’espoir que j’ai eu le privilège de découvrir, une après-midi de printemps, à la Havane. Sous la magie du soleil de Cuba, j’ai vu ses yeux couleur de ciel au contact desquels il est presque impossible de ne pas être séduit. C’est à partir de ce moment-là que nous avons décidé d’entreprendre ce voyage ensemble, pour nous donner la possibilité d’échanger nos univers réciproques, bercés par la musique ; poussés par la soif de découvrir des paradis occupés par la simplicité de la vie que nous immortalisions par des images ou simplement dans notre mémoire. Collige Rosas trace un périple à travers de subtiles images codifiées, qui marquent les moments importants d’une période où nous avons pu partager ce que nos rêves avaient de plus précieux. Ces rêves, nous les avons exprimés dans notre désir de préserver et de profiter de la famille ou simplement dans notre passion pour la découverte de l’inconnu. Ce livre raconte une partie importante d’une aventure faite d’amour et de poursuite du bonheur. Parfois, nous nous débattions entre l’utopie et l’incertitude de la distance, luttant contre les obstacles bureaucratiques et contre la maladie ou la mort. Mais toujours avec cette volonté inébranlable de continuer le chemin jusqu’au bout. C’est un poème inachevé à la vie, « écrit » par quelqu’un qui n’a pas eu le temps de le conclure..

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Anne ou l’histoire dans l’Histoire PAR MARIELLE TAGBE

Il est tôt ce matin dans le hall de l’aéroport de Bruxelles et j’attends des gens que je ne connais pas encore mais avec qui je vais partager un extraordinaire voyage. Parmi ceux-là il y a Anne. Ce sont d’abord deux yeux bleus suivis de deux sacs, ou peut être l’inverse, et un appareil photo. Elle arrive tout juste d’Australie, en partance, de retour, chargée d’histoires qu’elle colporte, qu’elle photographie, qu’elle incarne. Elle est dans l’instant mon amie, ma sœur, mon héroïne tant son amour et son intérêt pour le monde qui l’entoure l’animent à chaque instant. Photographe, elle traque les traces indéfectibles d’une humanité en laquelle elle croit profondément et dont elle dévoile pudiquement les gestes, les sentiments, les espoirs comme s’ils étaient siens. Bamako-gare, Anne se balade sur les rails, sur les quais, voyageuse discrète et toujours prête à bavarder avec tout un chacun, attentive aux petites histoires comme aux grandes. Elle est toute imprégnée de cette Afrique, de son Histoire, de ces histoires, de ces multiples routes croisées, de ces regards échangés avec cet Alter qui devient l’Ego dans les images noires et blanches qu’elle cueille comme des roses, fragiles. Nous dormons, nous bavardons, nous dormons, nous rêvons, nous bavardons encore. Alternance de moments d’échanges intenses et sérieux et d’autres plus incertains, plus modestes, emplis d’espoirs, moments furtifs où le rire se mêle au désespoir puis à l’espoir encore. Miramar…c’est d’abord le bleu des yeux dans lequel on se perd, c’est ensuite ce littoral de la Méditerranée, ce petit bout du monde où lagunes, terres et mers se mélangent et qu’elle photographie de l’avion. C’est enfin cette limite infinie, cet horizon d’espoirs qui lave les plaies, eau bénite dans laquelle elle baigne une statuette de bois sombre portant ses vœux d’amour et de maternité. A Piémanson, Anne épouse le rêve d’une existence où les histoires et l’Histoire se mélangent enfin sur une seule et même ligne d’horizon. De purs instants d’amour, de liberté se sont concentrés pour venir mourir sur le bord de la plage, entre terre et mer. C’est le lieu ou les espoirs de chacun rencontrent ceux de la grande Histoire ouvrière qui passionne tant Anne l’Historienne. Elle aime à photographier les lieux de divertissement populaire dont elle collectionne les signes tragi-comiques d’une chance qui pourrait tourner.

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La photographe qu’elle est regarde le monde avec les yeux d’un enfant curieux et parfois grave, cherchant toujours, même dans les pires instants, cette grâce infinie et légère dont seule la nature sait laisser des signes. Ses images sont autant de stigmates de cette nature qui fait un clin d’œil puis qui se détourne comme si de rien n’ était. « C’est Dieu qui prend, c’est Dieu qui donne », dit-on en Afrique ; c’est de cette sagesse que tes œuvres sont inspirées. Parfois, les images aspirent à ce grand souffle qui englobe une harmonie du monde qui dépasse nos espoirs, nos peines et nos colères tandis qu’à d’autres moments, elles nous disent à quel point le combat pour vivre est terre à terre, nous ramenant à la matière même qui nous résiste et qui nous échappe. Les yeux portés vers l’horizon mais la main plantée dans la terre, prenant à la matière les traces chromatiques que la vie lui refuse, Anne est une maïeute des images. Les siennes sont bel et bien le fruit du lien qu’elle tissait entre le ciel et la terre, entre la lumière et l’obscurité, entre son idéal et la réalité qui fait la moue. Ses images font la nique au temps et à ces vieilles lois qui divisent de façon indéfectible les éléments. Ses photographies sont des draps tissés de deux fils, le premier est clair tandis que le second est sombre. Le drap entoure le corps de celui qui vient au monde comme de celui qui quitte celui-ci, le premier linge et le linceul se recoupent de noir et de blanc et deviennent dans l’image ce tissu refermé sur un corps, entre la vie et la mort. Des suaires. Les images d’Anne sont imprégnées de ces mouvements du corps sacré et tabou. L’image photographique rejoint son essence : une empreinte de lumière sur un papier humide. Anne est une tisseuse. Elle aime coudre, raccommoder, créer des patchworks inattendus et contrastés. Je la revois satisfaite de sa couverture faite d’un tissu polaire et d’un bogolan africain. Ses images associent des réalités qui a priori s’opposent mais qui, dans son regard, deviennent étrangement harmonieuses et rient l’une et l’autre de leurs différences. Ainsi, il en va de ses paires improbables mais tissées d’un fil rouge : animisme et christianisme, culture savante et populaire, joie et tristesse, amour et désamour, vie et mort. Un jour, Anne m’a appelé pour me dire qu’elle était amoureuse, « enfin » a-t-elle ajoutée. Elle revenait de Cuba et avait tissé un lien si ténu mais si intense qu’elle savait qu’il s’agissait d’amour. Ses joues étaient rouges et ses yeux brillaient d’une lueur que je ne lui avais pas connue jusqu’alors. C’est une nouvelle histoire qui commençait. Son amour est le nœud de tous ces fils tendus entre Anne et le monde. C’est la figure d’un homme qui s’est finalement dessiné au centre de cette tapisserie d’images du monde qu’elle faisait et défaisait jusqu’alors, Pénélope qui ignore son attente et croit être un oiseau migrateur jusqu’à ce qu’Ulysse se présente à elle. Dès lors, Anne cherche avec la même énergie redoutable à rembobiner son fil pour y ramener, son amour qui est à l’autre bout de la mer.

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Anne a guetté l’horizon chaque jour y cherchant le rayon de soleil qui montrait son nez, l’oiseau porteur de bonnes nouvelles qui y apparaissait, la palpitation des nuages qui indiquaient que le ciel se dégageait, elle a interrogé le ciel chaque jour sans se dérober fixant pour nous les variations du temps – grand vent, ciel noir, nuits d ‘été, tempêtes – sans rien nous cacher. Ses images respirent l’honnêteté de son rapport à la vie. Elles ne font pas semblant d’êtres des instants, elles le sont, elles ne miment pas la vérité, elles interrogent notre rapport au sens. Anne n’a pas peur de plonger dans l’inconnu de la vie, là où se logent le non sens, l’absurde, la contradiction et quand elle les trouve, elle les fixe pour nous. Mais les poissons s’en fichent, il rient ou s’émeuvent du ridicule de ces situations redoutables. As-tu déjà vu un poisson venir visiter la réalité ? Anne ne sent plus le froid, le souffle du vent, elle peut regarder les poissons en face et leur dire : « Plutôt crever que de ne pas vivre. » Après avoir récolté les histoires de l’intérieur et de l’extérieur, d’en haut et d’en bas, du soleil, de la mer, et des nuits sans lune, Anne a retourné son appareil photo contre elle-même et a sondé son propre cœur, oeil du monde qui n’avait pas encore tourné son regard vers elle-même, elle y a trouvé le plus important, tout ce qu’elle avait aperçu dans le visage des hommes d’ici et d’ailleurs. Il y avait l’amour, l’espoir, la colère, la peur, le rire et la dignité. Enfin, dans un dernier mouvement après avoir, déployé son fil, tissé une dernière image, procédé aux retouches et aux essayages, elle qui écoutait beaucoup et ne s’imposait que par la douceur, elle nous a laissé un ordre simple mais clair : cueillir les roses.

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Estran nord / Costa norte / North foreshore

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Vague Ă lame / Mar de fondo / Tidal wave

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Les jours heureux / Los dĂ­as felices / The happy days

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“ Dos gardenias para ti ” / “ Dos gardenias para ti ” / “ Dos gardenias para ti ”

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Lieu commun / Lugar comĂşn / Commonplace

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Quantum : 1 + 1 = ∞ / Quantum  : 1 + 1 = ∞ / Quantum  : 1 + 1 = ∞

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Pégase enchaîné / Pegaso encadenado / Pegase enslaved

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Cercle de femmes / CĂ­rculo de mujeres / Women circle

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Fortuna mutabile / Fortuna mutabile / Fortuna mutabile

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Demander et recevoir / pedir y recibir / Ask and get

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Gabriel et MĂŠlusine / Gabriel y Melusine / Gabriel and Melusine

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Mon petit merle blanc / Mi peque単o mirlo blanco / My little albino blackbird

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In corpore sano ? / In corpore sano ? / In corpore sano ?

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Le cri / El grito / The scream

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La matrice du monde / La matriz del mundo / Womb of the world

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L’alchimie des Êmotions / La alquimia de las emociones / Alchemy of the emotions

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Il est des cigognes qui se perdent en chemin / Hay cig端e単as que se pierden en camino / Some storks get lost on the way

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Avec toi / Contigo / With you

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Triste tropique / Triste tr贸pico / Sad tropic

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L’esprit de nos grands-mères / El espíritu de nuestras abuelas / Our grandmothers in spirit

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Âme de l’aube / Alma del alba / Dawn soul

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Caput mundi ? / Caput mundi ? / Caput mundi ?

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Traversée / Travesía / Crossing

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A deux dans la tempĂŞte / Los dos bajo la tormenta / Two in the storm

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L창cher prise / Deja que pase / Let it go

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Abrecaminos / Abrecaminos / Abrecaminos

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Mayombe / Mayombe / Mayombe

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Innocence / Inocencia / Innocence

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La promesse des poissons sacrÊs / La promesa de los peces sagrados / The sacred fishes’s promise

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Les funambules / Los acr贸batas / On a tightrope

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La sève / La savia / The sap

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Le fol espoir / La loca esperanza / The crazy hope

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Biographie / Biographie / Biographie Anne Ransquin, photographe fondatrice du collectif belge CARAVANE, a travaillé en presse écrite avant de s’intéresser à la photographie. Historienne et graphiste, elle a effectué diverses collaborations sur des projets de conservation des mémoires collectives. Grande voyageuse et tisseuse d’amitiés, son travail photographique est né de sa soif inaltérable de découvertes et de rencontres. Au cours des deux dernières années marquées par le deuil et la maladie, la photographie est devenue pour elle un véritable moyen d’exprimer son combat pour la vie et son amour inconditionnel pour les êtres qui l’entourent. Anne nous a quittés le 13 août 2013 à l’âge de 39 ans. Son courage et sa force ont profondément marqué son entourage, ses amis, sa famille et son conjoint, le photographe Jorge Luis Alvarez Pupo.





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