HORS BORD Le jo ur na l qu i m et le s vo ile s… e n ry t h m e !!
N°2
HORS BORD n°2 le Rythme
Peinture de couverture: Fabienne Verdier, mélodie du réel V, 2014 Quatrième de couverture: Fabienne Verdier, Mélodie blanche, 2015
De l’autre côté il y a la richesse du vide
Hors Bord s’adresse à qui aime ouvrir des portes et passer le seuil sans faire de bruit. C’est un journal d’étudiants paysagistes mais qui ne parle pas de paysage, ou pas directement. Nous le lançons à l’occasion d’un exercice d’atelier, le 7, celui du grand territoire à l’ENSP Versailles avec Françoise Cremel et Bruno Tanant. Mais bien vite nous nous en éloignons. Nous comprenons le plaisir et l’utilité d’écrire sur ce qui nous inspire plutôt que sur notre travail ou notre «vie d’atelier». Nous souhaitons partager des idées, des réflexions, et des inspirations. Nous les divulguons selon des thèmes, aujourd’hui le rythme, demain qui sait? Ces thèmes sont les prismes par lesquels notre œil poursuit la lumière, et finit par trouver la couleur. Ils doivent être hors cadre et nourrir la pensée de l’auteur autant que du lecteur sur ce qui ne figure pas dans le tableau mais qui a dicté son mouvement. Tel est le cas du rythme, cet étrange «phénomène périodique» qui nous propulse à l’état d’être vivant, que l’on subit ou que l’on imprime à autrui. Le rythme est mouvement, il est à la fois spatial et temporel. Sa recherche n’appartient pas un seul métier: les artistes, les paysagistes, les architectes, les agriculteurs, les sociologues ont tous cette notion au coeur de leur métier, dès lors que l’on touche à la temporalité. Titouan Lampe - Directeur de la rédaction
Un HORS BORD inter-promo et inter-école? Vous aimez le principe, souhaitez participer à la rédaction d’articles, avez des critiques constructives à nous faire part ? -> horsbord.redaction@gmail.com Prochain thème: la liberté d’essayer
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L’ EDITO Comité de rédaction: Louis Richard Norman Villecroix Rebecca Thibault Titouan Lampe
Auteurs invités: Camille Keraudren Germain Lainard Françoise Cremel Lou Wölf
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On
le cherche encore
Rhuthmos -
plateforme
le
travail
de
recherche
sur
le
rythme.
F a i r e p a r t i e d e s m e u b l e s C y c l e s f i n a n c i e r s temps
de
..
poesie en quelques souffles
H a ï k u l e Q i e t l e n o n d i t Y o k a ï F a b i e n n e V e r d i e r A c c e u i l l i r l e c o r p s p a y s a g e m o u v a n t R y t h m i q u e d u v i d e
HORS B ORD n°2 le Ryth me
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p p p p p p
34 36 38 40 42 43
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6 8 9 10
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SOMMAIRE Musique Transe
et
l e l i v e r e n c o n t r e l ’ o r c h e s t r e p u l s a t i o n s l y r i q u e s I s h u m a r s & S a r h a o u i P e u p l e s a m i du
coeur
berliner
à
la
big
transe
-
Transhumance
les
petites
expériences
b a n g
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? e m h t y r e l e u Qu’est ce q
te dans le temps le rythme habite toute chose du moment qu’elle exis
Platon. Les Lois, 665a : « la jeunesse est bouillante, incapable de rester tranquille, [...] mais [...] chez elle il y a un sens de l'ordre que peuvent, de part et d'autre, comporter ces actes, [...] cet ordre dans les mouvements a précisément reçu le nom de rythme ». Les définitions varient, les pratiques aussi, certains se penchent sur le rythme et l’examinent, d’autres l’instrumentalisent, mais tous le vivent… Wikipedia nous explique simplement: «Le rythme est la caractéristique d’un phénomène périodique induite par la perception d’une structure dans sa répétition. Le rythme n’est pas le signal lui-même, ni même sa répétition, mais la notion de forme ou de « mouvement » que produit la répétition sur la perception et l’entendement.» A la fin du XIXe siècle une vague de recherches sur le rythme émerge dans les sciences sociales, la poétique, l’étude du corps, du langage, la philosophie … Les débats s’estompent et renaissent à la fin du XXe siècle. Et pour cause, le rythme n’a pas disparu. C’est une notion clé dans les Arts, la musique évidemment, la danse, le cinéma, la poésie et la peinture. Le rythme emporte ou disloque, il est à la source du geste et temporalise un processus.
Le rythme dans l’art est sans cesse requestionné ne devrait-il pas l’être dans le paysage ? L’approche rythmique du paysage est à la fois spatiale et temporelle. Elle n’existe pas institutionnellement, mais nourrit secrètement beaucoup de réflexions. Parler de vitesse, de déplacement, de cycle naturel ou anthropique, de processus, de répétition dans l’espace, d’atténuation, d’explosion… cela renvoi à la perception de séquences, permet à l’humain de se situer, et puisqu’il se situe, de se libérer.
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RHUTHMOS nous do nne des clefs pour co mprendre le rythme, ce vaste terme qui implique beaucoup trop pour un seul cerveau. C’est un e plateforme, une plaq ue tournante de la pensée rythmiq ue. Cherchez, inspire z, respirez, les penseurs n’ont pas tout pensé.
photo : «Saint Laurent du Pont» et article. T.L
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Le temps de travail rythme la vie des citadins Ce serait une erreur de penser que le travail appréhendé comme élément structurant de la vie sociale des individus ou de certaines catégories sociales n'est apparu qu'avec le XIXème siècle et la révolution industrielle. Nous savons, au moins depuis l'Antiquité, que certaines catégories ont vu leurs rythmes de vie cadencés par le travail, par un travail prescrit par un employeur ou un maître. Evans-Pritchard, analysant le sens du temps chez les Nuer, a bien mis en évidence que chez certains peuples " primitifs ", la mesure du temps est liée à des processus familiers du cycle du travail ou à des tâches domestiques. De même, les rythmes de vie des paysans sont longtemps demeurés inscrits, et le sont toujours dans une certaine mesure, dans une logique de vie dominée par le travail. Mais leur activité était fortement dépendante du rythme des saisons et de celui de la journée. Bien plus, l'organisation sociale du temps, la succession des différentes activités étaient le produit d'une multiplicité de donneurs de temps, temps religieux, temps cyclique, temps prescrit du travail, temps de la fête, etc.
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Le XIXème siècle est désigné par l'ensemble des historiens du travail comme le moment de construction d'une discipline du travail qui revêt un double aspect, à la fois quantitatif et qualitatif. Quantitatif dans la mesure où, avant même l'établissement d'un processus de rationalisation du travail, c'est une prodigieuse mécanique disciplinaire qui s'est installée rivant à la machine, parfois dès l'âge de huit ans et bien souvent jusqu'à la fin de leur vie, ouvriers et ouvrières, entre treize et quinze heures chaque jour et ce six jours sur sept ! Qualitatif, en ce sens qu'il a débouché sur une modification des représentations du temps ainsi que sur un processus de remodelage de l'espace et de l'environnement qui marquent l'affirmation de l'ombre portée du travail sur l'ensemble de la vie sociale et sur les lieux de vie. Dorénavant, toutes les fonctions habituelles d'une ville se dissolvent dans le travail, l'absence d'équipements et de services y est flagrante, le seul rythme des habitants, leur seule " atmosphère " est celle du travail :
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Toute l'histoire du XIXème siècle est d'abord celle de ce moment où " le capital était en pleine orgie " (Marx), puis elle fut celle de la lutte sociale pour la diminution de la journée de travail et enfin, pour se dégager de l'obligation usinière et goûter à une vie hors du travail. Jusqu'à la fin du XIXème siècle, en effet, la revendication de la baisse de la journée de travail n'était pas articulée à la seule notion de loisir, mais surtout à l'objectif de la préservation d'un véritable temps social hors travail, appréhendé non comme un résidu du travail, mais comme une composante à part entière de la vie.
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L'assignation de moments dévolus aux loisirs et plus généralement aux autres temps sociaux, nettement séparés du temps de travail, nous paraît avoir été une tendance lourde de la construction de la société industrielle et de sa rationalisation progressive qui a fonctionné sur le mode de la séparation : clivages entre temps de travail et temps hors travail, entre espace public et espace privé, entre les temps de la formation, du travail professionnel et de la retraite. Cette organisation sociale du temps qui prédomine encore largement dans les sociétés développées a été façonnée d'abord par la discipline du temps, issue de la révolution industrielle et de ses développements ultérieurs. C'est en effet autour du temps de travail que toute la vie sociale s'est organisée, à partir de lui que se sont cristallisés et sédimentés les comportements ainsi que les représentations sociales et culturelles du temps. Le temps de travail a produit une taylorisation du travail mais également du non-travail, à laquelle le loisir n'a pu échapper. Le dégagement progressif du temps libre par la RTT a conduit à la constitution d'un temps de loisir et de distraction, planifié, organisé, progressivement industrialisé et standardisé qui, selon Alain Corbin, " ne diffère du temps initial de la modernité que par l'absence de travail ". Cette forte synchronisation des comportements, associée à une assez faible désynchronisation des activités, génère des dysfonctionnements sociaux repérables dans les domaines de la mobilité (embouteillages), des loisirs (surfréquentation à certaines périodes, week-end et vacances et coûts indexés sur ces variations de fréquentation) et plus généralement de la vie quotidienne (augmentation des temps d'attente). Elle est à l'origine du sentiment largement partagé d'une pénurie de temps et suscite une forte aspiration à une plus grande maîtrise des structures temporelles.
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extraits de : JEAN YVES MOULIN (CNRS) - Les cahiers millénaires - RHUTHMOS
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Cycles financiers de l’essor à la chute
Nombreux sont les économistes qui se sont intéressés aux phénomènes de cycle : John Maynard Keynes, Hyman Minski, John Kenneth Galbraith, Charles Kindleberger ou plus récemment Paul Krugman et Michel Aglietta. Selon ces économistes, Il n’y a pas simplement une répétition des crises, mais une répétition de cycles financiers, dont la crise constitue l’un des moments. Charles Kindleberger (1910-2003), historien économique américain constate l’existence de cycles dans la sphère financière en s’appuyant sur l’étude des grandes crises de l’Histoire. Selon lui, un cycle financier se décompose en cinq phases :
1 ESSOR La phase d’essor se caractérise par une croissance économique après un ralentissement ou une récession. Cette phase de croissance peut être générée par une innovation, un changement technologique ou institutionnel ou encore alimentée par un investissement productif. Cette croissance engendre une expansion du crédit (anticipations optimistes de la conjoncture par les agents économiques) qui favorise une hausse du prix des actifs. Cette phase aurait débuté au début des années 1990 aux États-Unis où l’on constatait un essor de l’octroi de crédits et une phase d’innovation et de libéralisation financière qui s’est traduite par une complexification des produits dérivés et de titrisation, notamment ceux adossés aux crédits accordés aux ménages américains.
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2 EUPHORIE Cette phase se caractérise par un cercle auto-entretenu entre emballement du crédit et hausse du prix de certains actifs. Les risques sont sous-évalués, ce qui aggrave la fragilité des structures financières. C’est ce que l’on a observé avant le déclenchement de la crise des subprimes. Les crédits consentis aux ménages américains étaient sur-évalués par rapport à leur capacité de remboursement et donc le risque sous-évalué. Autrement dit, trop de crédits ont été accordés et les prix des titres financiers adossés à ces créances ne reflétaient pas la réalité du marché.
3 PAROXYSME ET RETOURNEMENT Cette phase est un point de retournement, le passage d’une période d’euphorie à une période de décroissance. Les anticipations des agents économiques se renversent. Après une période de hausse régulière, on assiste à une chute brutale du prix des actifs.
4 REFLUX ET PESSIMISME Cette phase correspond ici au début de la crise des subprimes. Les prix du marché immobilier américain baissent brutalement. La crise est d’abord le point de retournement, le passage d’un moment d’euphorie à un moment de décroissance. Par abus de langage, la crise correspond aussi à la période entière de reflux.
5 DEFLATION DE LA DETTE ET BILAN Cette phase est marquée par : Une déflation de la dette et une restructuration des bilans. Les investisseurs surendettés doivent se désendetter. Ils peuvent être contraints de vendre leurs actifs pour faire face à leur besoin de liquidité, déclenchant une spirale de baisse auto-entretenue du prix de ces actifs et un assèchement de la liquidité. Cette situation se propage de marché en marché, d’un continent à l’autre. Ce phénomène de contagion contraint les banques à resserrer leur offre de crédit. La dépense privée se contracte (volonté de désendettement de la part des agents) et pèse sur les revenus et donc sur la croissance qui finalement freine le désendettement. Le désendettement se réalise beaucoup plus lentement que la chute des prix des actifs, ce qui entraîne de nombreuses faillites. C’est ce que l’on constate pendant l’été 2008, Fanny Mae et Freddy Mac, les deux plus grandes institutions américaines de financement de crédit immobilier sont au bord de la faillite. Début septembre, le Trésor américain annonce leur mise sous tutelle gouvernementale. Une semaine plus tard, c’est au tour de Lehmann Brothers, la deuxième plus grosse banque d’investissement des États-Unis de se déclarer en faillite le 15 septembre 2008. Cette crise, qu’on pensait propre au système financier, se propage à l’économie. Ainsi, en 2009, les États-Unis et la plupart des États membres de la zone euro entrent en récession.
Article extrait de «la fiinance pour tous .com»
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Le rythme Et la Du cœur à la transe, petites expériences musicales du mouvement rythmique “Il y a de la musique là ou se trouve le rythme, tout comme de la vie là ou se trouve le pouls” Igor Stravinsky.
En me grattant la tête plein de cheveux, je me rend compte que je créé un “son”. Ce petit esprit qu’est le son se déplace du lieu de frottement vers mes oreilles pour se faire absorber par tout mon corps entier. En s’infiltrant, cette petite essence se recroqueville dans un petit coin de mon aspect matérielle pour un jour être transmis vers une autre entité. Pour en terminer avec mon envie d’avoir le scalp satisfait par le frottement, je m’engage dans de nombreux grattement de tête, qui suivent un va et vient régulier. En me retournant, je constate que ce frottement du scalpe suit les mouvement des feuilles dans le vent, de l’horloge, des tapotements de pied sur le planché de l’atelier, de mon cœur qui bat pour me permettre de respirer et de vivre. C’est le rythme qui permet la vie
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photo : Arrosoir 2016; Blanche Clément
texte: Norman Villeroux
musique En effet, le rythme nous accueille dès les premiers moments de notre existence, dans le ventre de nos mères. Si je pouvais accéder à mes premières mémoires d’existences, elle serait saturé par la présence de fluide, de chair, et surtout…. d’un rythme. Cette omniprésence du pouls que vit le bébé durant ses débuts pourrait expliquer la fascination que nous avons pour le rythme, qui nous renverrais vers une certaine rêverie dût à son statut onirique. La maison onirique, dans la psychanalyse, serait un espace immatérielle enfouis en chaque personne, servant d’échappatoire à la réalité du matériel. Ce lieu est souvent lié à l’imagination, car elle permet de se soustraire de son contexte environnant pour pouvoir imaginer l’infinie. Le ventre de la mer est souvent cité comme une maison onirique, qui se voit à travers plusieurs pratiques humaines, comme le fait d’habiter et vivre dans des espaces clos. Est-il possible que le rythme soit un élément onirique nous permettant d’échapper à la matérialité de notre vie?
On m’a toujours dit que j’étais un bébé qui dansait. Ça groover vraiment dure dans le bidou.
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Ils tournent en rond pendant des heures A vrai dire, si je quitte l’analyse intellectuel, je sait que quand j’entends un rythme, tout mon corps veut bouger. Je me perd dans le mouvement. C’est comme si je perdais le contrôle de mon corps, ensorcelé par cette aura indomptable qu’est le rythme. Dans beaucoup de culture d’Afrique subsaharienne, le tambour, c’est le maître des instruments, dût à sa capacité à converser avec les esprits environnants. En effet, ces cultures conçoivent d’un monde immatérielle habité de toute sorte d’esprit, du plus maléfique au plus réconfortant. Lors des cérémonies spirituelles, les rythmes émis par les tambours et la danse permettent aux protagonistes de rentrer en transe, dans le but de communiquer avec les esprits pour gagner leurs respect, du matériel à l’immatériel.
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pour atteindre Dieu La transe est fortement lié au rythme. Du nom de Amok en Indonésien, c’est un état physique et spirituel dans lequel nous perdons le contrôle de toute rationalité intellectuel, tout en accédant à une sensorialité corporel maximal. Elle est souvent considérée comme un état de survie, provenant de l’adrénaline, et de nos instincts naturels. La transe est souvent exercée dans de nombreuses cérémonies religieuses, notamment chez les Soufis. Le soufisme est un courant religieux provenant du soufisme dans lequel les doctrines et les dogmes sont abandonnés pour permettre une dévotion totale à la recherche de Dieu, qui est considéré comme in situ… Dieu est dans notre Cœur. C’est donc pour atteindre cette profondeur interne que beaucoup de rituel Soufi tendent vers un exercice corporel intense, qui permettra aux pratiquants d’atteindre une transe, un état dans lequel ils peuvent trouver Dieu.
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Steve Reich, le minimalisme Ou comment composer avec ses mains.
Je m’étonne toujours du rythme dissonant que produit mon scalpe quand je les percutes avec l’extrémité de mes ongles. Quel bonheurs! Et! Bande de lecteurs, ne vous moquez pas de moi! Même de grand compositeur comme Steve Reich, pionnier de la musique contemporaine dit minimaliste, ont été fasciné par le pouvoir du rythme. En 1972, Reich compose une œuvre musicale du nom de Clapping Music. Le morceau et joué par deux… applaudétistes (Bon je l’avoue, ce mont n’existe pas, mais il définit bien les musiciens qui ont pour instruments l’applaudissement….).
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Illustration : Mhibnania Oran photo: Imran Hesira texte: Norman Villeroux
Et oui, ce morceau de quatre minutes se joue uniquement avec des battements de mains entre deux musiciens. La rythmique complexe de l’œuvre joue avec la polyrythmie (superposition de différents type de rythme), permettant l’accomplissement d’un morceau complexe et intéressant à l’usage d’un médium banal. L’idée fondamentale de cette composition est donc de défier les attendus de la musique composée, tout en y apportant une idée intéressante sur l’omniprésence et le pouvoir du rythme.
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Si il permet d’atteindre une dimension spirituelle et onirique, le rythme peut aussi se voir comme les grands guerriers de l’ordre des choses. Certes, selon Hobbes dans le Léviathan, l’homme s’est créé un monde ordonné, hiérarchique et rythmé pour pouvoir combattre sa nature perverse et violente. Mais notre Gaïa l’a fait bien avant nous. Le monde naturel suit un rythme très stricte pour pouvoir équilibrer l’aspect chaotique de la spontanéité des événements temporels; c’est l’Ordre Naturel, cette magie incompréhensible que nous avons personnifié en tant que Dieu pour mieux la comprendre.
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Nous vivons une crise écologique, et c’est en comprenant et en s’adaptant au rythme naturel de Gaïa que nous avons la meilleur chance de combattre notre atonalité envers notre planète. C’est durant ces beaux jours de printemps qu’il est possible d’être spectateurs de la capacité rythmique des monde naturel. Arrêtez vous; regardez les germes grandir, écouter les percussion que chantent les oiseaux et laissez vous emportez par ce petit esprit qu’est le rythme. Article de NORMAN VILLEROUX
Les quatre saisons et le rythme du monde naturel
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Berliner big Un bon gros taz
Se perdre, se retrouver, se disperser, s’émietter se rassembler. Divaguer, mourir, ressusciter, mourir trois fois et finir plus sage qu’une magic carpe. L’effet du kick dans ton estomac, en dialogue direct avec le taz que tu pris il y a une heure, c’est ça. La transe t’emporte et tu ne sais pas pourquoi ? Ça n’est pas que la drogue. C’est le rythme, les nappes, le lieu, l’effervescence de tous ces gens qui sont là pour la même chose que toi: mourir et renaître cent fois. La techno Berlinoise a fait son petit bonhomme de chemin dans le monde et le monde se presse a Berlin pour vivre la transe dont il ne se remettra pas. La ville est un repère de chamans, des ensorceleurs modernes qui t’emmènent à la rencontre de toi-même, de tes démons et de ceux des autres. Il y a cette violence, cette contingence de l’histoire, la ville bouffée jusqu’à la racine se libère, s’extirpe du joug de son propre physique. Les âmes volent dans les ténèbres des clubs, elles s’accrochent aux barreaux sortent par les pores suants de ta peau. Tu n’es plus la même personne, tu te désintègre. La seule chose qui te tient debout, c’est le kick. Si ta tête capte encore les nappes indus, les cordes stridentes ou les clapotis, alors ta vision se brouille, tu ferme presque les yeux et tu fly. Mais ton corps qui bouge, qui se déchaîne c’est plus ton cerveau qui le commande, c’est le beat. La puissance du rythme. Ce «phénomène périodique» qui dans le plus faible des effets te permet de te situer, peut aussi te pousser à t’oublier.
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Un bon gros kick
bang
Un bon gros kif
TrĂŠsor, Tempelhoff (Mathilde) et About Blank texte : T.L
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le live ele rencontre
Un chef d’orchestre ne s’occupe pas de l’écriture d’une oeuvre mu représentant de l’oeuvre et la change à sa sauce, il a ce droit. Le ch initial, ce qui marque la singularité des différents orchestres, s
La techno qui provient de Détroit e rope à Manchester regroupe princip musiques d ‘autrui sur digitale ou vi artistes techno composent eux mêm LIVE. C’est là où l’on voit qui est mu sens du rythme mais c’est une autre de les orchestrer à la perfection! Q une composition propre et personn le maitre de ses machines ( Synthé , Il y a donc une vraie corrélation en sique jouée par un orchestre. Le dj potards » s’apparentent à une clarin cinquantaines de potards comme le orchestre! Il s’occupe même de la généralement par une ou deux boit
Et oui, c’est vaniteux de vouloir diriger un orchestre seul, il en va de là où l’on voit qui est musicien, ou non ! Pour anecdote, certains jo veloppent par des sponsors leurs propres machines avec leurs prop
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Carl craig et Francesco Tristano - photo du magazine Tsugi
Jeff Mills avec l’orchestre ph
ectronique l’orchestre
usicale mais la réinterprète avec l’ensemble de son orchestre. Ainsi c’est le hef d’orchestre est le responsable des différents changements d’un morceau sans oublier la distinction harmonique, philharmonique, symphonique.
et qui apparait pour la première fois en Eupalement des artistes aux Dj sets ( passer les inyle (! NUL !) ) . Cependant les plus grands mes de la musique, c’est ce qu’on appelle le usicien ou non! Car c’est une chose d’avoir le e chose que de savoir gérer des machines et Que se soit du Live modulaire ou numérique, nelle à l’artiste s’en dégage. Il devient ainsi , boite à rythme ). ntre la musique électronique LIVE et la muj équivaut alors au chef d’orchestre et ses « nette, un violon ou un tuba ! Il dirige ainsi ses es différents instruments présents dans une famille des percussions qui est représentée tes à rythmes !
e même pour diriger des machines électroniques seules ! Mais j’insiste, c’est oueurs de musique électronique Live sont tellement performants qu’ils dépres sonorités. Par exemple les différentes machines qu’a pu créer Blawan !
hilarmonique de Lillle - photo du bonbon
Texte : Germain Lainard
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Pulsations Le rythme du chœur Aussi loin que je m’en souvienne, la musique, sous ses formes les plus diverses, a toujours occupé une très grande place dans ma vie. Le son me fascine, son ingestion, son extériorisation, le son qui se meut, se déplace, se disperse, s’ancre, se partage, lie, transperce, apaise, emplit. J’ai choisi très jeune de plonger de tout mon être dans la pratique du chant, plus particulièrement du chant lyrique. J’y ai découvert plus qu’une discipline, plus que l’apprentissage d’une technique vocale. C’est une acuité, une attention nouvelle, une oreille différente portée à notre fonctionnement interne, à notre souffle, à notre rythme intérieur. Une relation perpétuellement renouvelée avec notre corps Le son qui prend racine et se tient dans nos entrailles naît, puis croît, gonfle, s’élève, nous emplit. Là il gagne le palais, véritable caisse de résonance, les frémissements traversent notre chair, notre enveloppe et s’entrechoquent avant de se propager au dehors.
Faire l’expérience de cette pratique en chœur, entouré de tous ces corps qui soufflent, vibrent, et produisent du son offre une palette incroyable de sensations. Car là, au milieu de cette foule, notre vibration interne se mêle aux vibrations de nos voisins, et à celles qui se propagent autour de nous, au sol, dans l'air ambiant. Tendus par l’attente d’une entrée, fixés sur le phrasé musical à réaliser, sur les gestes du chef de chœur, à l’affût des voix des autres pupitres dont les notes tantôt se mélangent aux nôtres, tantôt s’en éloignent, nous formons un tout changeant.
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lyriques Chaque pupitre incarne un rythme qui lui est propre et, rompu à l’exercice du chant qu’il partage, est sensible aux moindres frottements, imperceptibles variations qui s’élèvent autour de lui. Nous sommes à la fois devenus rythme et instruments de celui-ci. Nous sommes à son service et le créons. Ce rythme que nous incarnons nous le ressentons à travers le moindre pore, nous le connaissons, l’anticipons, le devinons, mais nous laissons pourtant toujours surprendre par sa beauté, amplifiée lorsqu’il vient s’unir à celui des autres voix. Le rythme du chœur. Ancrage et envolée. Sécurité et frisson. Intimité partagée et perpétuelle redécouverte."
Peinture: Kandinsky texte : Camille Keraudren
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ISHUMARs
Les chants du désert
Nomades ou semi-nomades Touareg, Toubou, Amazigh, Sanadja, Bédouins, Tekna… membres des peuple Sarhaoui «habitants du désert». Ils détiennent les clefs du Sahara, héritent de la connaissance des routes qui le sillonnent et luttent au prix de leur sang pour l’entendement de leur culture. Les Ishumars font parti de ces peuples, on les appelles ainsi car ce sont des guerriers qui ont choisit de troqué leurs armes contre des instruments. La plus part se sont retrouvé en Libye, dans les camps militaires de Khadafi où ils apprirent à se battre. Mercenaires payés une misère pour un combat qui n’est pas le leur. Les Ishumars ont déserté. Interdit de musique par l’Islamisme radical, interdits de passages par les Etats assis sur leurs frontières et leur ressources naturels. Ils ont décidé de chanter pour leur peuple, pour le monde entier, afin de partager leur culture, la plus ancienne de toutes.
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photo : François Verger article : T.L
Le Sahara est aussi grand que l’Europe. N’en doutons pas, ses paysages sont variés et abritent de nombreuses formes de vie. Son hostilité et la rudesse de son climat force à la mouvance, c’est pourquoi les Hommes, les animaux qui l’habitent sont rarement sédentaires. L’eau s’épuise, la pâture s’amenuise, la vie est rythmée par l’accessibilité des ressources vitales. Les méharées se faufilent entre les pierres du Reg, sinuent sur les crêtes sableuses. Le désert est océan, le touareg est navigateur perdu dans ce trop plein d’horizon. La musique des Ishumars emprunte au blues américain son instrument principal la guitare, sa gamme pentatonique et sa rythmique syncopée. C’est une sorte de base universelle, un socle que le désert érodent et sculpte de ses dissonances granuleuses.
TRACKS
POUR V OYAGE R Tinariwen - sastanaqqam album elwan
TAMIKREST - TOUMAST ANLET album chatma BOMBINO - TAR HANI album agadez TOUMAST - INNULAMANE
album ishumar
IMARHAN - TAHABORT album imarhan
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tRANSHUMANCE Quand le paysage force le mouvement Le rythme est mouvement. Il prend corps dans le temps et l’espace en suivant une trajectoire. La notion de trajectoire implique un état initiale (fixe ou pas), une collision (élément percutant) et une direction (projection vers l’avenir, consciente ou non). Le mouvement est bien au cœur de la vie , chaque particule se déplace et entre en contact avec d’autres particules. Certaines cultures ont fait du mouvement le pilier de leur mode de vie. C’est le cas des Touaregs dans le Sahara, mais aussi des Sami en Laponie, des Tiwa en Sibérie, des Pirates de l’Océan indien et de nombreuses cultures y compris les Gitans en Europe ou encore les Aborigènes en Australie. A chaque partie du globe, son peuple nomade. La question du rythme croise celle du cycle et lorsqu’elle se rapporte aux paysages hostiles elles convoque le nomadisme. Posons nous la question du nomade dans une société mondialisée. Nous, issus d’une culture Européenne attachée à la propriété cadastrale, quelle est la place du nomade dans notre société ? N’est-il pas la composante manquante de notre schéma sociétal binaire pour former la trinité d’un monde équilibré ?
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Théodo re monod nous invite Naturaliste, botaniste, océanographe et ichtyologue, ancien professeur au muséum d’histoire naturelle, Théodore Monod (1902-2000) a publié de nombreux ouvrages traitant du Sahara notamment «Maxence au Désert»…
Méharées - 1994 éditions Babel- pages 24-25 «Ah! Caravanes, suppliais-je, une fois au moins prenez-moi !… Le 15 Octobre 1923, les mornes solitudes du Souehel el Abiod voyaient surgir du fond de l’horizon occidental une petite troupe. Au pas balancé des chameaux, la caravane, dans l’extrême chaleur, avançait d’un rythme régulier sur la plaine caillouteuse et grise, semée de dômes étincelants des barkanes: dix chameaux, une femme, dix-neufs hommes, dont moi. Elles m’ont pris, je suis exaucé. Quelques jours auparavant, brusquement, le lieutenant B. m’avait dit: «Mohamed Yadhi Ould Abd el Baghi, cadi des Oulad Bou Sba va dans le Sud; rejoindre le Sénégal» L’idée n’était pas déplaisante: j’aurais dû partir, en bateau, pour le Nord; je partais à chameau, pour le Sud. L’océan n°2, celui des sables, marquait un point. D’ailleurs, passant de la mer au désert, faisais-je plus que changer d’océan ? Qu ‘il soit d’eau salée, de sables ou de cailloux, c’est toujours un océan. Et voila pourquoi à les avoir vécues tour à tour, on découvre tant de points communs entre la vie du marin et celle du Saharien, une si secrète et profonde parenté. Matérielle, tant les deux milieux - au sens biologique du mot- sont, malgré les apparences, comparables et, partant, psychologiques aussi. Le monde polaire, océans de glace et déserts de neige, compléterait la trilogie des espaces qui commandent le perpétuel mouvement, la navigation, le nomadisme, la fuite éternelle, quotidienne, à travers les cercles sans cesse renaissants et jamais franchis d’un horizon qui vous précède, semble parfois vous attendre, pour vous narguer, mais jamais ne se laisse atteindre.»
photo : «Vue du ciel» Yann Athus Bertrand texte : T.L
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Peuple sami
Les JOIKS CHANTS CIRCULAIRES EN PLEINE TOUNDRA
Dans le nord très lointain qu’est celui de la Norvège, la Suède, la Finlande et la Russie, vit le dernier peuple aborigène d’Europe : les Samis. Longtemps persécutés par les populations coloniales au temps de l’évangélisation puis plus tard, de la Seconde Guerre mondiale, les Samis ont en partie survécu grâce à un trait très particulier de leur culture : le Joïk. Le Joïk est un chant traditionnel qui met en tension les cordes vocales, qui demande une grande maîtrise de son souffle, qui utilise les variations vocales sur une échelle pentatonique pour incarner une quelque chose ou quelqu’un (ami, animal, rivière, pierre, montagne…). Le joïk n’agit pas comme une photo, il ne capture pas son sujet, c’est une représentation multidimensionnelle. Le Joïk n’est pas à propos de quelque chose, c’est quelque chose. Il n’a pas toujours recours aux mots, mais il utilise des émotions, du rythme, une mélodie, des expressions du visage, de la gestuelle. Le Joïk est indissociable de son sujet, c’est une relation à double sens. Le joïk se chante A capela, car le joïker (le chanteur) gradue sans cesse le motif mélodique, le ton et le rythme selon les variations du sujet (si le sujet est une montagne et qu’une ombre passe au-dessus, le joïk va s’assombrir) mais aussi selon le propre état d’esprit du joïker. Les sons nasaux qui en ressortent paraissent souvent rudes, et les notes trop longues ou trop courtes. Ainsi aucun accompagnement instrumental n’est possible. Il n’existe qu’un seul cas où le joïk s’accompagne d’un tambour au rythme profond : lorsque les Noaidis (chamans) entre en transe pour communiquer avec le monde magique du Saivo (le monde des morts et le monde des dieux). Il existe donc une symétrie profonde dans le Joïk, mais la grande différence avec la musique que nous connaissons est dans la dissymétrie de ce chant. Dans le concept régulier de la musique occidentale, une chanson a un début et une fin.
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Cela donne une structure linéaire. Alors que le Joïk a plus une sorte de forme circulaire, sans la symétrie stricte que cette géométrie impose. C’est une sorte de cercle cabossé, déformé, comme une métaphore de leur propre culture. Ainsi, il n’existe pas de commencement ou de fermeture musicale : le joïker commencera brutalement à chanter et s’arrêtera soudainement. Le Joïk en cela reflète la vision du monde des Samis : il n’a pas eu de commencement, et il n’y aura pas de fin. Les Samis voient le monde à travers les schémas circulaires de la nature. Dans ce schéma, un Sami ne devient pleinement Sami qu’à partir du moment où il a su construire lui-même son joïk. Ce joïk l’incarne lui et ses expériences, ses joies, ses peines. Et il sera le seul à chanter ce joïk. C’est un important rite de passage à l’adolescence pour les Samis, c’est comme recevoir un prénom. Chaque Sami a son joïk, et dans la toundra (la steppe enneigée), c’est ainsi qu’ils peuvent se reconnaître à des kilomètres de distance. Ainsi, on ne chante pas un joïk comme on pourrait chantonner une chanson. Un joïk ne peut être compris que dans le contexte social auquel il appartient. A travers la toundra, un joïk peut aussi annoncer son humeur selon la manière dont il sera exprimé : intention belliqueuse ou amicale. Le Joïk supprime toutes les distances : physique ou spirituelle. « By yoiking my parents I can experience feeling of being together with them, although they do not live anymore » racontait Eriksson, un éleveur dans After Gaup. Le Joïk est comme un ami. Ici le concept de « musique » ou de « chanson » n’est pas applicable comme dans le monde occidental. La manière de vivre le son est totalement différente : le chant Sami ne prétend pas à la performance artistique. C’est un instrument social avant tout : il permet de partager des souvenirs, de construire une communauté, de se construire soi-même, de calmer les rennes ou d’effrayer les loups, ou même de se transporter dans un autre monde. Alors que la culture Sami a presque été annihilée, les joïk ont permis de rassembler les gens, de les souder, de créer de la solidarité.
photo : voyage responsable en Laponie
article de: Lou Wolf
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Routes Reines et transhumances polaires La vie des Samis est par ailleurs rythmée par l’élevage de rennes, leur principale (si ce n’est l’unique) ressource de vie. L’élevage de rennes n’est pas comme celui de moutons ou de chevaux, il ne peut pas se limiter à un enclos et même pas à un chien-loup qui les guiderait vers de plus verts pâturages. Le renne n’obéit qu’à lui-même. L’éleveur n’a aucun droit quant à la direction des transhumances. Et ceci parce que les rennes voient ce que les humains ne font qu’entendre. En effet, dans la croyance Sami, il y a des endroits sacrés qu’il ne faut pas profaner au risque de s’attirer la colère du lieu. En Laponie, ces lieux sont appelés Sieidis. Les Sieidis sont habités par un « maître » qui peut être une divinité, un esprit, ou un défunt. Les rennes ont la capacité de discerner ces lieux qui s’animent de présence individualisée. Un Chaman disait à l’anthropologue Charles Stépanoff « Autrefois, un lieu qui avait une forme, une couleur particulière était sacré. Il y a chez nous le rocher blanc, le rocher jaune, le rocher à trou. Ce sont des lieux particuliers, tous différents. Ce sont des lieux « à maître ». Des endroits où on ne doit pas monter ». La phrase de Claude Levi-Strauss dans La Pensée Sauvage prend ici alors tout son sens : « l’espace est une société de lieudits ». Quand les rennes contournent une zone, les éleveurs y devinent une présence invisible. Alors on y adopte des règles collectives : on n’y chasse pas (il n’y aura de toute manière pas de gibier), on n’y mange pas (le feu refusera de s’allumer dans tous les cas), on n’y dort pas (un bruit s’élèvera si on s’obstine), on adopte un comportement de réserve, d’évitement, mais on s’y réunit pour les rituels.
La perception des lieux par les rennes entre donc en considération dans la nomadisation. C’est une association triadique Homme – animal – paysage. Pour communiquer avec les rennes, les éleveurs utilisent les joïks qui parlent de paysage. Ainsi une route de transhumance devient un long chant dans lequel des lieux se succèdent, dans lequel des noms d’esprit des lieux s’enchainent. Mis en scène, le joïk de transhumance prend alors le sens d’un déplacement, d’une progression, d’un espace orienté, d’un vecteur. Ainsi, les transhumances rythment la vie des Samis et les joïks rythment les transhumances. Tim Ingold, anthropologue britannique parle du « chemin, tel une mélodie musicale, [qui] se développe plus dans le temps que dans l’espace ». Les rennes et les Hommes partagent une même carte mentale, une perception euclidienne de l’espace qui se chante, dont d’ailleurs les tambours Samis sont les supports physique et rythmique.
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Carte de transhumance de reines sur une peau de tambour. Le chaman tappe et chante en rythme l’histoire de routes lÊgendaires
photo : Mikko Largerstedt texte : LOU WOLF
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HAÏKU
poème en quelqu es souffles
La forme concise du haïku est légère, volatile, sa lecture est rapide, rythmiquement puissante. On boit le haïku comme une gorgée de thé. L’impression est agréable, sa température est celle de la saison, son goût est celui de la sensation. Et puis on respire, au contact de l’air la menthe caresse le palais, monte jusque dans le nez. Le poème est court mais reste longtemps en bouche. C’est la force de quelques souffles, inscrits dans un mouvement plus ample, celui de l’errance. Nombre de moines zen trouvèrent dans le Haïku une forme poétique susceptible de capturer l’instant dans son essence. Un instant prenant place dans le temps et les cycles saisonniers, une scène de vie et un état d’esprit. Les poèmes courts ont cette force, d’évoquer toujours plus qu’ils n’en disent.
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illustration: Yosa Buson
texte : T.L
Soir de printemps de bougie en bougie la flamme se transmet Yosa Buson (1716-1783) Voie lactée Tu tombes du ciel Et deviens rosée Natsume Soseki (1867-1916)
la porte coulissante en papier fermée la solitude s’installe Hosai Osaki (1885-1926)
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QI La Blanche Cité Royale, je l'ai laissée à l'aube dans un matin de nuages éclatants, Le voyage de mille miles jusqu’à Jiang Ling, s’est fait en un seul jour, Sur les deux rives le bavardage des gibbons résonne, incessant, Alors que mon bateau léger effleure des milliers de rochers.
Li Bai
(702-763)
Le souffle intérieur Qi, s’exprime dans la poésie asiatique autant que dans la calligraphie. Les vers prennent l’élan du souffle, et du corps entier. Le Qi est un fondamental martial et poétique, il donne la force au geste. Le rythme de la respiration est à la base même du mouvement créateur et libérateur.
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une esthétique de la mesure et du non-dit » La juste frontière atteinte la fraicheur s’envole … dans l’herbe l’eau qui s’envole ! … Dans l’herbe de peur des roseaux l’eau qui s’envole (Désormais des fragments de vérité sont effleurés. Tant pis si c’est à travers une forme empruntée:) Contre ce qui t’arrête sache fleurir, comme l’eau. A la fois il y a le mouvement, course, et il y a la limite à peu prés circulaire. Un cercle, un ras de terre, traversé de flèches; Mon regard touche à sa limite: où la course de l’eau dans l’herbe à des roseaux s’ouvre en écume. Souffle du vent dans l’herbe tu peux cribler de flèches cette cible tu la traverses, tu ne t’atteins pas. Courez, eaux grises, tout le jour vers la frontière de roseaux: elle ne sera pas franchie. Cours, clair regard, à la barrière, surprends l’écume: seul fleurit l’inaccessible. Philippe Jaccottet
Paysages avec figures absentes 1970- Gallimard
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- YOKAI et haĂŻku - un monde flottant -
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- Nicolas de crĂŠcy -
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Fabienne Verdier
Fabienne Verdier Fabienne Verdier est une artiste contemporaine marquée par un long séjour en Chine auprès de grands maîtres de la calligraphie, véritable voyage initiatique pour une occidentale issue du système des BeauxArts français. Dans Passagère du silence, ouvrage autobiographique qui raconte son voyage en Chine et son apprentissage de la peinture, elle écrit: «Ma quête ? Saisir les phénomènes dans leur totalité mouvante et capter ainsi l’esprit de la vie. il en émane une atmosphère de puissance et de plénitude. A croire que la sérénité naît d’un mouvement incessant, telles la cadence régulière d’une fugue de Bach, les psalmodies des moines, interprétations qui mêlent mobile et immobile par un récitatif incessant et parviennent à dépasser nos contingences terrestres pour atteindre un au-delà. Même le novice peut suivre la psalmodie de l’écriture s’il est en état de réceptivité. Point n’est besoin de comprendre les idéogrammes chinois pour saisir la beauté en mouvement et atteindre ce que Sénèque appelait la tranquilité de l’âme.»
Depuis sa résidence à la Juilliard School de New York pendant un semestre de 2014, Fabienne Verdier cherche dans son travail la possible concomitance créatrice entre peinture et musique. Ceci l’a conduite à explorer une nouvelle manière de créer à l’écoute de ses propres sensations. « J’ai toujours entendu dans la ligne peinte quelque chose comme une ligne sonore. J’ai toujours perçu dans la ligne sonore quelque chose comme une construction picturale.»
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L’unique trait de pinceau, Calligraphie, peinture et pensée chinoise, Fabienne Verdier, 2001, Albin Michel Passagère du silence, Fabienne Verdier, 2003, Albin Michel Entretien avec Fabienne Verdier, Charles Juliet, 2007, Albin Michel Entre ciel et terre, Fabienne Verdier, 2007, Albin Michel Fabienne Verdier, L’Esprit de la peinture, Hommage aux peintres flamands, Daniel Abadie, 2013, Albin Michel Fabienne Verdier, peindre l’instant, Mark Kidel, 2012, Les Films d’Ici avec la participation de France 5, 52’ http://fabienneverdier.com
Article: Louis Richard
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Créer le trouble et accueillir le corps paysage mouvant.
Un renouvellement du monde que nous fabriquons s’auto-rythme sur le mouvement général dans lequel nous sommes inscrits. Pour que cette dynamique se mette dans une perception de mouvement, les faisceaux doivent perdre leur orientation stable. A nous d’introduire le trouble dans les sensations, mais aussi dans la fixité des perceptions. Ainsi peut se former et se régénérer une force fluide qui détruit l’apparence des choses, le but étant d’en saisir quelque chose d’invisible, l’essence. En cherchant ainsi à créer le trouble pour ne conserver ni assurance, ni moyens, nous transportons les matériaux du paysage dans une fluidité. Aube et crépuscule d’un monde perspicace. Françoise Crémel
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«Rythmique du vide» de Rebecca Thibault
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r e c h e r c h e e t a p p r o c h e s o c i o - e c o n om i q u e
Rhuthmos -
http:
les
millénaires
//www.rhuthmos.fr - CN R S The General Theory of Employment, Interest and Money - J.m Keynes www.lafinancepourtous.fr Journal of Money, Credit, and Banking - Paul Krugman carnets
BIBLIOGRAPHIE Musique Poétique musicale, 1945 - Igor Stravinsky Eva de Vitray-Meyerovitch, Mystique et Poésie en Islam : D jalâl-ud -Dîn R ûmî et l’Ordre des Derviches tourneurs , éd . D esclée de B rouwer , 1982. http :// www . stevereich . com - biographie et oeuvres de S teve R eich S ur l ’ intensité de la vie et les drogues : H owl - A llen G insberg , city light books , 1955 T echno orchestral : C arl C raig & F rancesco tristano w / orchestra et J eff mills & orchestre
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Poesie Y osa B uson - L e P arfum de la lune N atsume S oseki - L es herbes du chemin H ōsai O zaki , R ight under the big sky , I don ’ t wear a hat - S tone B ridge P ress , 1993 P hilippe J accottet - paysages avec figures absentes , G allimard , 1994 C heng W ing fun et H ervé C ollet , L i P o , l ’ immortel banni sur terre buvant seul sous la lune , A lbin M ichel , 2010
Transhumances T héodore M onod - M éharées , éditions B abel , 1999 S éminaire collège de F rance - A pproche anthropologie du paysage , philippe descola C harles S tepanhoff - N omadismes d ’A sie centrale et septentrionale , P aris , A rmand C olin . T itouan L amazou - peintures , éditions gallimard 2014
Recherches
picturales
M ikko L argernstedt - photographe scandinave B rice P ortolano - grand voyageur et photographe F abienne V erdier - passgère du silence , A lbin M ichel , 2003 K andinsky , L ignes et points sur plan , édition G allimard N icolas de C récy - un monde flotant yokaï & haïku , éditions soleil , 2016
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HORS BORD
N°2
Ouvrir, lier, faire des ponts, Hors Bord a pour vocation d’établir des parallèles entre le paysage et ce qui l’induit.
Ce premier «vrai» numéro est consacré au rythme. Nous l’abordons sans logique pré-définie car le terme renvoit à beaucoup d’autres notions. Intrinsèque à toutes choses le rythme est la forme dans le temps.
Nos articles sont des portes sans clés que nos vous laissons ouvrir a votre gré. Ils évoquent, convoquent et invoquent des auteurs et des chercheurs qui font sens dans ce thème. C’est une récolte sucrée des petits fruits de la pensée.