PAROLES DEÂ PARAGES PORTRAIT DE LAZARE PAR BRUNO TACKELS
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Lazare, héritier d’Hamlet et de Van Gogh de Bruno Tackels *
*Un grand merci à Anne Baudoux, qui, par son savoir du plateau, m’a permis d’enrichir le texte.
Bruno Tackels aime ces artistes de théâtre qui cherchent de nouvelles relations à l’écriture en inventant un plateau-monde composé de formes textuelle, plastique, chorégraphique, sonore et musicale. Nul doute que Lazare en fait partie. « Écrivain de plateau », certes, mais non moins auteur dramatique, à part entière. C’est pourquoi Bruno Tackels nous livre le portrait de cette boule de feu qui n’a de cesse de brûler les planches en explorant poétiquement les non-dits de l’histoire de France. FRÉDÉRIC VOSSIER
Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la maladie. On ne se révolte plus contre les choses, on n’est pas résigné non plus, on est malade et cela ne passera pas. Ouria, dans Rabah Robert de Lazare 1. L’exercice de la musique chorale est une expérience importante à faire ; ce n’est pas rien de chanter avec d’autres, ça oblige à sortir de soi, cela supprime une certaine sorte de respect humain et toute timidité. Pierre Guyotat, Musiques 2. Lazare vient de loin, de très loin. Comme un chat des rues, sans pedigree, il zonait autour du TGP 3, dirigé à l’époque par Stanislas Nordey et Valérie Lang, à la fin des années 1990. Claude Régy y donnait un stage. Lazare rencontre une femme qui y participe, il tombe sur Espaces perdus 4, petit essai fulgurant d’un grand voyant de la scène. Il lit le livre, et, dans la foulée, à minuit appelle Claude Régy, chez lui, dont le numéro figurait dans l’annuaire, quand il y avait encore des annuaires. Très vite, c’est l’évidence. Claude Régy le reconnaît. Il le sent en même temps fragile, et pour tout dire à la dérive. Il faut lui trouver du travail. Il en parle à Marie Raymond, qui est secrétaire générale du théâtre. Le lendemain, Lazare est « ouvreur » au TGP : la figure devenue mythologique, il 1. 2. 3. 4.
Lazare, Rabah Robert : touche ailleurs que là où tu es né, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2013, p. 31. Pierre Guyotat, Musiques, Paris, Léo Scheer / France Culture, 2003, p. 105, CD n° 10. Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis. Claude Régy, Espaces perdus (1991), Besançon, Les Solitaires Intempestifs, coll. « Comment te dire », 1998.
est vrai, de l’ouvreur qui devient acteur − le-grand-artiste-qui-a-commencé-comme-ouvreur… Le mythe a ses raisons, bien sûr : l’ouvreur voit du théâtre tous les soirs, et surtout il revoit le spectacle tous les soirs. Il revoit, il répète, son regard « répète », au sens propre. Et cette répétition est une magnifique école. Lazare, donc, a fait école. Et il s’est lancé, jeté dans la mêlée. « Je me lance » − la première phrase qui ouvre Rabah Robert 5. Je me lance pour vous raconter ce que j’ai vu, vécu, entendu. Raconter cet univers incendié, et parfaitement oublié, enfoui par l’imaginaire collectif de la France. Il y a eu un incendie, les personnages de Lazare reviennent d’un monde calciné, couvert de cendres. Dans son écriture, les grottes enfumées hantent la mémoire, les grottes où l’armée française, lors de la conquête coloniale dirigée par le général Bugeaud, entassait les villageois récalcitrants, bouchait la sortie et y mettait le feu 6. Et cent ans plus tard, la même douleur sans nom qui se répète, avec les massacres de Sétif et Guelma, le 8 mai 1945, le plus grand massacre de l’histoire de France contemporaine en temps de paix. Et les militants assassinés, jusqu’à l’indépendance… et après. Une mémoire hantée par la violence, celle qu’il n’a pas connue, mais qui se propage dans son corps, et que l’on retrouve dans presque tous les titres et sous-titres de ses pièces : « Au pied du mur sans porte », « Touche ailleurs que là où tu es né », et puis « Rabah Robert », un nom tendu entre deux mondes, tension déchirante tout entière contenue dans le nom du père : Rabah Robert, Rabah versus Robert. Car le colon, c’est aussi le père (mort). Avec cette question qui reste, lancinante : On fait quoi, après ? On écrit, on écrit sans relâche, pour ne pas crier, pour ne pas mourir. Car il y a des colères noires, à expurger, par l’écriture, la seule issue, au pied du mur, sans porte. Sur le plateau, il y a tant de portes, imaginaires, qui percent les murs. Et puis il y a ce traumatisme, héritier d’Hamlet : le crime du grand-père, qui n’a été ni dénoncé, ni vengé 7. Comment on hérite de ce trauma ? Comment survivre à cette jeunesse pleine d’incendies, avec la honte, la tristesse, la négation de soi et de ses frères : « Je me suis posé la question du but de la colonisation : est-ce une immense affaire commerciale, d’expropriation, de razzia, de vol ? Et aujourd’hui, ne pourrait-on pas parler d’une forme de colonisation économique, une forme de colonisation par l’abêtissement ? Artaud dit : “Un esprit qui dort est envahi
5. Lazare, Rabah Robert : touche ailleurs que là où tu es né, op. cit, p. 11. 6. Voir Hamida Chaouky, « Les "Enfumades" du maréchal Bugeaud, un crime contre l'humanité ? », Histoire des hôpitaux, 14 juin 2008, www.chaouky.blog.lemonde.fr/2008/06/14/ les-«-enfumades-»-du-marechal-bugeaud-un-crime-contre-lhumanite-algerie-1845. 7. Pour en savoir plus sur le massacre de Sétif, voir Charles Silvestre, « 8 mai 1945 : le massacre de Sétif enfin reconnu ! », L'Humanité.fr, 5 mars 2005, www.humanite.fr/node/323486.
par d’autres esprits.” Qu’est-ce que c’est que de ne pas être sujet ? Pour être sujet quand on est colonisé, que ce soit par l’économie, que ce soit par la pensée, ne faut-il pas passer par la violence ? C’est une question, je n’ai pas de réponse 8. » Comment peut-on ne pas en passer par la violence, par la vengeance, la vendetta ? C’est une question d’anti-Hamlet, à l’évidence, mais comme l’illustre figure shakespearienne, elle hante, avec son cortège de thèmes qui obsèdent, et d’âmes détruites, qui vrillent l’écriture. Toute la prose de Lazare, brute et savante à la fois, est tombée au milieu, entre ces deux mondes, déracinée, et dont la survie repose sur une incroyable volte-face : « Les racines sont dans les pas que l’on fait 9. » Une quête, une quête inlassable, dans les ruines calcinées de la mémoire, encore tièdes. Dans la tête de Lazare, comme dans ses spectacles, il y a plein de réunions, et ça bataille sec. Alors, pour trouver un peu de paix, il y a la musique, le chant. Quand les musiciens de la Rue Ketanou prennent la relève, on pense à Doña Musique, qui a tout dit : « Celui qui ne sait plus parler, qu’il chante ! Il suffit qu’une petite âme ait la simplicité de commencer et voici que toutes sans qu’elles le veuillent se mettent à l’écouter et répondent, elles sont d’accord. Par-dessus les frontières nous établirons cette république enchantée où les âmes se rendent visite sur ces nacelles qu’une seule larme suffit à lester. Ce n’est pas nous qui faisons la musique, elle est là, rien n’y échappe, il n’y a qu’à s’adapter, il n’y a qu’à nous y enfoncer jusque par-dessus les oreilles 10. » Lazare sur sa route chaotique a eu la chance de rencontrer des alliés, précieux et fidèles. Car ses acteurs sont dans son écriture, ils sont nés là, c’est là qu’ils apparaissent, les acteurs. Ils sont cette chance, et lui, Lazare, a reçu le plus beau des cadeaux que puisse recevoir l’écrivain : voir le dedans de sa tête sur un plateau, servi (ou pas), grandi (ou pas), magnifié (ou pas) dans la lumière de la scène. C’est immense comme ça permet de travailler loin. Il leur rend d’ailleurs un très bel hommage, une lettre d’amour aux acteurs, dans Passé - je ne sais où, qui revient 11. Un autre titre qui en dit long, et assume avec courage toutes ces phrases arrachées, comme des bouts de peau, à la vie. Des enfants qui jouent après la guerre − ils n’ont pas eu droit au jeu : on ne joue pas à la guerre quand il y a la guerre.
8. Entretien avec Lazare par Daniel Migairou en octobre 2012, paru dans Focus, journal du Théâtre de la Vignette, n° 6, mars-avril 2014, p. 8. 9. Ibid., p. 9. 10. Paul Claudel, Le Soulier de satin (1929), Paris, Gallimard, coll. « Folio théâtre », 1997, p. 220. 11. Lazare, Passé - je ne sais où, qui revient, L’Île-Saint-Denis, Voix Navigables, 2010.
La pire des guerres, la guerre qui tue, et que l’on réduit au silence. Guerrière une seconde fois, par son silence. Lazare ne raconte pas d’histoire, il lutte pour faire vivre la sienne, la nôtre. Son courage, sa vigueur politique, tous sens en alerte, se sont encore amplifiés après que la violence guerrière, en 2015, est rentrée dans nos villes de France. Une réponse au silence morbide qui a régné durant toutes ces années de « paix » : « Les meurtriers suicidaires sont là, ils font un travail de terrain, minutieux et opiniâtre, dans les quartiers de périphérie, sur Internet. Ils promettent une résolution du monde, et des pays lointains originels. Les champs de représentation, la séparation, ils travaillent dessus. Le rejet, la peur, l’inquiétude, ils travaillent dessus. Et ils déchargent sur d’autres leur angoisse de mort 12. » Ces mots ont été écrits quelques jours après les attentats du 13 novembre 2015, mais avaient déjà donné l’alarme dans Au pied du mur sans porte, en 2010, par une description précise du désarroi de la banlieue des années 1990, que nous semblons, depuis le centre, découvrir depuis peu. Il avait déjà tout vu, prévu, avant que le monde ne découvre l’horreur de la destruction aveugle. Lazare est l’un des derniers militants, ou plus exactement l’un des premiers du nouveau siècle. Il veille, il est en colère, il veut comprendre, il faut agir, cela n’attend pas, il sait que le théâtre peut : « Tous les théâtres de banlieue ont été créés après l’horreur de la Seconde Guerre mondiale. Qu’y fait-on maintenant ? Comment mettre en commun une histoire cachée qu’on ne sait plus articuler ? Elle est enfoncée dans les ventres et elle revient violemment comme un ulcère. En France dans les théâtres comme ailleurs, on a du mal à se rappeler 13. » Dans Sombre Rivière, la pièce qu’il a créée en 2017 au Théâtre National de Strasbourg, Lazare écrit le rôle d’un acteur, Julien, qui incarne le rôle de « Lazare », et qui dit à tous ceux qui se sont rassemblés là : « Bonjour à tous, je m’appelle Lazare et depuis dix ans maintenant je travaille sur l’amnésie que la France entretient avec une partie de son histoire et n’a de cesse de vouloir enterrer dans les égouts. Après les attentats je suis resté coincé chez moi à écrire des poèmes que je n’arrivais jamais à finir car je n’arrivais pas à décrire les yeux de l’enfant face à l’horreur. Chaque soir, je les soumettais à ma collaboratrice, Anne, qui, je tiens à le dire ici, les a tous censurés et rejetés un par un. Je me retrouve donc avec plus d’une centaine de pages sur les bras 14… » Lazare, c’est inscrit dans son nom, reprend la vieille tradition et réveille les morts. Pas seulement la tradition chrétienne, mais celle d’un certain théâtre du XXe siècle, celui de Kantor, de Gabily,
12. Lazare, « Artistes, allumez vos lampes d’inventeurs », Télérama.fr, 16 novembre 2015, www.telerama.fr/scenes/ attentats-artistes-allumez-vos-lampes-d-inventeurs-par-lazare-metteur-en-scene,134175.php. 13. Ibid. 14. Sombre Rivière, inédit. Mise en scène de Lazare créée au Théâtre National de Strasbourg le 14 mars 2017.
de Régy. L’artiste polonais disait que le plateau est le seul endroit où l’on peut réellement faire parler les morts. C’est bien le sens de la citation du tableau de Van Gogh, La Résurrection de Lazare, dans Rabah Robert 15. Un tableau qui est très exactement l’œuvre de Lazare, car avec son théâtre d’ombres et de lumière, oui on peut bien, on doit même parler de résurrection, sans aucun guillemet. Lazare, encore un nom qui porte bien son destin, chevillé au corps. « Nous ne pensons pas à ceux qui manquent sur les plateaux de théâtre 16. » Lazare, oui, et il les fait revivre. Terminer ce portrait par deux expériences vécues. La première. Nous sommes le 23 avril 2017, dans la soirée. Je bois une bière avec Lazare quand nous apprenons les résultats du premier tour de l’élection présidentielle. Lazare est très en colère, blessé, nous parlons jusque tard dans la nuit. Il se demande comment nous allons pouvoir opposer des visages à la haine. Je lui dis que ses acteurs sont la plus puissante des parades, et qu’il faut continuer, persévérer, même si nous nous sentons très seuls. Et la seconde expérience, plus ancienne, elle se passe le 16 novembre 2012 à Rennes. Un large panel de responsables, décideurs et personnalités a débattu sur les grandeurs et décadences du théâtre public français. Le débat est forcément un peu casse-gueule : « En quoi le théâtre français est-il exemplaire ? » Luc Bondy, nouvellement nommé au Théâtre de l’Odéon, vient de dire que sans vrais coproducteurs, il ne peut rien faire, et qu’il est donc sans arrêt en train de tourner ses spectacles… dans la jet-set culturelle européenne. Sa plainte, techniquement valide, est politiquement obscène dans le contexte. Et là un jeune homme prend la parole. Il porte un chapeau noir, il semble venir d’ailleurs, il est plein de lumière. On peut regarder les images de cet événement sur les sites de Télérama et du TNB − cela fait partie des vraies avancées technologiques du XXIe siècle 17. Ce jeune homme s’appelle Lazare. Derrière lui, incroyable coïncidence du cadrage, on voit deux figures emblématiques du « théâtre français exemplaire », deux grands militants, l’un du côté des « gros », et l’autre du côté des « petits » : car le paysage culturel français, en vingt ans, s’est entièrement fondu dans l’idéologie capitaliste. Lazare prend le micro. « Bonjour, je m’appelle Lazare, auteur, metteur en scène, je suis là présent dans le festival Mettre en scène avec un spectacle qui s’appelle Rabah Robert, qui parle un peu de la guerre d’Algérie, de la mémoire et de la disparition du père. Je voudrais vous parler de l’émergence. Cela fait maintenant dix ans que je travaille avec une équipe, on a été vus et repérés
15. Lazare, Rabah Robert : touche ailleurs que là où tu es né, op. cit., p. 31. 16. Sombre Rivière. 17. www.telerama.fr/scenes/etats-du-theatre-2012-a-rennes-les-debats-a-revoir-en-video,90831.php ; l’intervention de Lazare se situe à 2 h 10 min 30 s.
par l’institution. Mon premier spectacle, je l’ai fait avec 2 000 euros, suite à une bourse d’écriture. On s’est retrouvés à l’Odéon, dans le festival Impatience, mais les coproducteurs de ce spectacle, ce sont essentiellement mes acteurs, qui ont accepté de travailler deux mois gratuitement avec moi, pour faire un spectacle, pour des gens. Et puis les programmateurs, LE théâtre français exemplaire, viennent me voir et disent : “Lazare, ta scénographie, c’est pas possible.” Comment ce serait possible, on a travaillé avec un franc six sous ! Vous êtes tellement intéressés par l’émergence, les auteurs contemporains et l’écriture ! Suite à quoi, je fais un autre spectacle, Au pied du mur sans porte, qu’on joue dans un théâtre à Bagnolet, qui s’appelle L’Échangeur, et c’est plein, complet tous les soirs ; on a des articles de presse assez élogieux, des intellectuels s’y intéressent. Et puis on se retrouve devant des programmateurs qui nous disent : “Là, on peut pas faire tourner, parce que là il n’y a pas assez de silence, et puis là il y a trop de silence ; ce que tu fais là, c’est bien, mais c’est pas pour mon public.” On ne nous laisse jamais les moyens de créer pleinement. Dix ans plus tard, je me retrouve avec une équipe qui est toujours sous-payée, dans des conditions très précaires, des rapports de vitesse de création, et des pressions difficiles à supporter, et puis finalement ça tient ! On fait des spectacles, où j’évoque des sujets complexes, souvent délicats, comme la guerre d’Algérie ou les banlieues, et pourtant les gens viennent, les spectacles rencontrent leur public. Je vous parle de notre fragilité, mais elle vaut pour plein d’autres jeunes artistes de ma génération, même si à force je deviens de plus en plus vieux. C’est sans doute le temps qui travaille… » L’animatrice du débat l’interrompt, assez logiquement : « Quelle est votre question ? » Et Lazare de reprendre : « Que comptez-vous faire pour nous, pour toutes ces compagnies dites émergentes ? Et pourquoi le système théâtral français de production et de diffusion est-il à ce point gangrené, bloqué, coincé, pourri ? » Le royaume du Danemark, et les fantômes d’Hamlet, encore et toujours. Quand Lazare dépose son micro, l’émotion est palpable, partagée. Michel Orier, nouvellement nommé directeur général de la création artistique au ministère de la Culture, reprend la parole. Dès le début de la matinée, il avait tenu un discours clair. Le travail des artisans de la culture est aujourd’hui regardé et évalué selon des critères dangereusement libéraux, en insistant sur le (devenu) sacro-saint « taux de fréquentation ». À cette pression nocive pour les véritables enjeux du service public, il répondait : « Encourageons l’augmentation du nombre de représentations, et l’évolution du nombre de spectateurs. » S’adressant à Lazare, Michel Orier fait une vraie réponse politique, engageante, et audacieuse : « On ne peut plus faire porter sur le théâtre public un désir collectif, un espoir énorme qu’il ne peut à l’évidence pas porter seul. On ne peut pas incriminer la seule démocratisation culturelle, c’est notre capacité sociale d’ensemble à démocratiser qui est malade. Néanmoins, il est essentiel de défendre envers et contre tout cette ambition pour le théâtre, et les politiques publiques doivent se développer dans cette direction. En se demandant par exemple : Comment est choisie la promotion du Conservatoire supérieur d’art dramatique, d’où est-elle issue ? Qui s’y présente ? Comment les choisit-on ? La situation du théâtre public s’est considérablement développée depuis vingt ans : plus de 1 500 compagnies sont aidées par
l’État et par les collectivités territoriales, qui sont de plus en plus présentes (pour deux tiers des financements !). Et pourtant, le système est en difficulté. Il faut le reconnaître avec humilité, et prendre en compte les difficultés actuelles : depuis dix ans le système s’est considérablement refermé, et tout particulièrement pour les compagnies en position d’émergence. Cette situation ne peut pas durer, elle ne va pas être facile à faire évoluer, parce que ce cri que tu pousses, Lazare, est absolument entendable, digne, et on ne peut que l’écouter, mais la réalité, c’est qu’il y a aujourd’hui quatre générations d’artistes au pouvoir, et c’est une évolution civilisationnelle complètement inédite. Il est donc urgent de faire évoluer le dispositif, pour se donner les moyens de continuer ce que Michel Guy avait su faire dans les années 1970, en permettant à de jeunes affamés de théâtre d’exprimer leur fureur de théâtre, et en disant à de jeunes gens de trente ans : “Prenez les maisons !” Et en même temps, il est de notre devoir de continuer à faire vivre le théâtre de Claude Régy. » La boucle est bouclée, et Lazare est bien vivant. En espagnol, on dirait : Me alegro mucho. Cela me met en joie. Depuis ma table, je regarde la cordillère des Andes, et dans la ligne claire de la montagne, je regarde les arbres qui dansent, et je vois le château d’Elseneur. Lazare se lance, descend dans la vallée et dessine un paysage incendié. Cela me met en joie. BRUNO TACKELS Tinjacá, Colombie, 27 juin 2017 Post-scriptum : au moment où j’écris ces lignes, les Forces armées révolutionnaires ont rendu la totalité de leurs armes et vont se battre pour la paix, un monde meilleur, avec la force de la parole.
Lazare a publié : Passé - je ne sais où, qui revient, L’Île-Saint-Denis, Voix Navigables, 2010 Au pied du mur sans porte (2010), Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2013 Rabah Robert : touche ailleurs que là où tu es né, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2013 Petits contes d’amour et d’obscurité / Les Illisibles / Quelqu’un est Marie, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2016. Bruno Tackels, docteur et agrégé de philosophie, a enseigné l’esthétique à l’université Rennes-2, de 1996 à 2001, et à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg. Anciennement producteur de documentaires à France Culture et membre fondateur de la revue Mouvement, il dirige la collection « Essais » aux Solitaires Intempestifs (où il publie la série consacrée aux « Écrivains de plateau »). Il a publié chez Actes Sud Walter Benjamin : une vie dans les textes en 2009. Directeur du pôle « recherche » de la Direction générale de la création artistique au ministère de la Culture de 2013 à 2016, il vit et travaille aujourd’hui en Colombie, à Tinjacá.